Chapitre III. Zone économique exclusive
p. 79-88
Texte intégral
A) La pratique des Etats : revendications nationales
1Du sol et du sous-sol de la mer, les revendications nationales des Etats côtiers s’étendirent aux eaux surjacentes. Actuellement, une soixantaine d’Etats ont, par voie de législation nationale, formulé des revendications concrètes sur une zone d’eaux adjacente à leur mer territoriale.126
2Parmi ces Etats, quelques-uns mentionnent les îles dans leur législation interne. Ainsi, en 1947 déjà, par le Décret présidentiel N° 781 du 1er août de la même année concernant le plateau continental ou insulaire, le Pérou se réservait le droit d’établir les limites des zones de contrôle et de protection des ressources naturelles dans les mers continentales ou insulaires qui étaient contrôlées par le Gouvernement péruvien.127 En 1949, par le Décret N° 190 du 27 septembre, le Costa-Rica étendit sa souveraineté nationale sur le plateau continental ou insulaire, indépendamment de la profondeur des eaux, sur l’ensemble de la marge continentale, ainsi que sur la colonne d’eau surjacente, en vue de protéger, conserver et utiliser les ressources naturelles.128
3En 1951, l’Equateur promulgua un Décret par lequel il établit un plateau continental pour les Iles Galapagos (Colón).129 Le même Etat, par le Décret N° 256-CLP du 27 février 1970, amenda l’article 628 de son Code civil en établissant une mer territoriale de 200 milles mesurée à partir de la laisse de basse mer des points les plus extrêmes des côtes continentales équatoriennes et des îles de l’Archipel de Colón.130
4Le 18 août 1952, par la Déclaration de Santiago, trois Etats latino-américains, le Chili, l’Équateur et le Pérou131, établirent une zone de 200 milles autour du territoire et de toute île ou groupe d’îles faisant partie du territoire national.132 D’autres Etats agirent dans le même sens en établissant des zones d’exploitation des ressources du sol et du sous-sol, mais aussi des eaux surjacentes de ces zones adjacentes à leurs côtes continentales et insulaires.133
5Le Mexique, dans une Loi du 26 décembre 1975 portant modification de l’article 27 de la Constitution mexicaine, prévoyait que
« [l]es îles faisant partie du territoire national, à l’exception de celles qui ne peuvent être habitées en permanence ou qui n’ont pas de vie économique propre, disposeront également d’une zone économique exclusive, dont les limites seront fixées conformément aux dispositions des articles antérieurs. »134
6Il s’agit, à notre connaissance, du seul acte qui mentionne ainsi les îles, en faisant une distinction entre îles « normales » et îles ne se prêtant pas à l’habitation humaine permanente ou à une vie économique propre, conformément aux textes de négociation produits au sein de la Troisième Conférence sur le droit de la mer et à la nouvelle Convention.
7Si le Mexique a eu cette attitude modérée et conforme au nouveau texte sur le droit de la mer, tel n’a pas été le cas du Royaume-Uni qui, le 6 septembre 1974, a proclamé ses droits sur le plateau continental des rochers de Rockall, ensemble d’îlots et de rochers inhabités d’une superficie de 5,5 km2 et situés à 400 km au nord-ouest des Iles Hébrides.135 Les rochers avaient été annexés par le Royaume-Uni en 1955 pour des raisons stratégiques.136 Malgré les protestations véhémentes de l’Irlande137 et du Danemark138, le Royaume-Uni persista dans l’affirmation de ses droits non seulement sur le sol et le sous-sol de la mer autour de Rockall, mais aussi sur les eaux surjacentes en vertu du Fishery Limits Act de 1976. En effet, le 24 janvier 1977, le Ministre britannique des Affaires étrangères, M. Owen, affirma que les limites de la zone de pêche s’étendent à 200 milles depuis les lignes de base à partir desquelles est mesurée la mer territoriale et que Rockall faisant partie intégrante du territoire du Royaume-Uni, il doit avoir, en conséquence, droit aux mêmes zones maritimes que les autres terres, sauf quand une ligne médiane s’impose entre Rockall et une terre étrangère.139
8Le même Ministre, répondant à la question de savoir quelle serait, devant la Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, l’attitude de son Gouvernement concernant les îlots inhabités, dit qu’il ne devait y avoir aucune distinction entre îles et îlots quant à leur capacité d’engendrer une zone économique ou un plateau continental.140
9Le 16 août 1977, le Ministre des Affaires étrangères de la Norvège annonça l’élaboration, par son Gouvernement, d’un plan tendant à l’établissement d’une zone de conservation des pêcheries d’une largeur de 200 milles autour de l’archipel de Spitzberg, en dépit des protestations de l’URSS, des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et des autres membres de la Communauté économique européenne.141 A notre connaissance, il n’a pas été donné suite à ce projet.
10Enfin, en 1978, le Venezuela proclama une zone économique exclusive « ... le long de toutes les côtes et des îles de la République du Venezuela. »142
11La pratique montre donc qu’en matière d’attribution aux îles d’une zone économique exclusive, les Etats s’accordent pour traiter les îles comme les territoires continentaux. A une exception près, celle du Mexique, qui prive de zone économique les îles ne se prêtant pas à l’habitation permanente ou à une vie économique propre, tous les autres Etats qui mentionnent les îles dans leurs législations internes, leur attribuent bel et bien une zone économique exclusive.
B) La zone économique des îles dans le cadre des travaux de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer
1. Iles et rochers : deux régimes différents
12L’article 121, chiffres 2 et 3, de la Convention de 1982 sur le droit de la mer a la teneur suivante :
« 2. Sous réserve du paragraphe 3, la mer territoriale, la zone contiguë, la zone économique exclusive et le plateau continental d’une île sont délimités conformément aux dispositions de la Convention applicables aux autres territoires terrestres.
3. Les rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre n’ont pas de zone économique exclusive ni de plateau continental. » (Souligné par l’auteur.)
13Sans doute s’agit-il d’un compromis entre les deux tendances principales qui se sont dégagées à propos de la question de savoir si les îles ont ou n’ont pas droit à une zone économique exclusive : l’une voulait que toutes les îles, sans exception, aient droit à cette zone ; l’autre voulait introduire des distinctions entre différents types d’îles. A la première catégorie appartiennent les Etats insulaires143 ainsi que ceux dont le territoire est composé de masses continentales et insulaires144 et qui, pour cette raison, ont tout intérêt à voir leurs îles dotées d’une zone économique exclusive. A l’opposé de ces Etats se trouvent ceux dont les espaces maritimes se voient amputés du fait que les Etats voisins possèdent des îles145 et également ceux qui ne possèdent pas d’îles, n’ayant ainsi aucun intérêt à ce que la Zone internationale soit réduite par des zones économiques exclusives reconnues aux îles. Tel est le cas des Etats africains qui, dans un projet d’articles sur le régime des îles, suggérèrent que, avant d’accorder aux îles situées en dehors de la mer territoriale des espaces maritimes propres (dont la zone économique exclusive), il conviendrait de prendre en considération tous les facteurs pertinents et de tenir compte de critères équitables tels que la superficie des îles, leur configuration géographique et leur structure géologique, les intérêts de la population qui y vit, les conditions de vie qui peuvent empêcher l’implantation d’une population sédentaire, ainsi que le fait que ces îles peuvent être situées dans l’espace marin ou à proximité d’un autre Etat.146
14De toutes ces propositions, la Convention de 1982 ne retient, on l’a vu, que celle ayant trait aux rochers ne se prêtant pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre ; en règle générale, et indépendamment de sa population, de sa superficie, de la distance qui la sépare de la côte principale et de sa configuration géographique, une île a droit à une zone économique propre. Ce n’est qu’en tant qu’exception à cette règle générale que la disposition sur les rochers s’appliquera. On a voulu ainsi ménager les intérêts des Etats insulaires, mais aussi ceux des Etats qui se croyaient menacés par de larges zones économiques engendrées par les îles et les îlots.
15Ce texte pose cependant plusieurs problèmes qui suscitent les commentaires suivants :
Même si les rochers, en tant qu’ils émergent à marée haute, sont des îles au sens juridique du terme, ils ne sont pas traités comme des îles à part entière, en ce qui concerne la zone économique exclusive.147
On ne sait pas avec exactitude ce qu’est un « rocher », pour la simple raison que cette notion n’est définie nulle part dans la Convention, ni par le droit coutumier. On se demande si la structure géologique rocheuse d’une éminence constitue le critère pertinent et unique pour qualifier une île de « rocher ».
Pour entrer dans la catégorie des éminences qui n’ont pas droit à une zone économique propre, une élévation doit non seulement être un « rocher », mais, en plus, être inapte à l’habitation humaine. Or, l’article 121, chiffre 3, omet de préciser si c’est dans son état naturel que le rocher doit être inhabitable ; ce qui permettrait à soutenir que, si l’on fixe une population sur le rocher, après avoir modifié ses conditions naturelles, celui-ci aurait droit à une zone économique. La formule utilisée à l’article 121 semble suffisamment imprécise pour autoriser à conclure que, à partir du moment où un îlot est habité, on peut lui accorder une zone économique exclusive. Il est donc à craindre que, d’un jour à l’autre, on verra une augmentation des rochers entourés d’une zone économique, rendus soudainement habitables par l’Etat auquel ils appartiennent. Qu’adviendra-t-il d’un tel îlot, si l’on constate que l’implantation d’une population aboutit à un échec, de sorte que, très rapidement, cet îlot devient à nouveau inhabité ? Cela signifierait-il que l’Etat qui le possède n’aura plus des droits sur la zone économique ?
Le critère de l’aptitude à une vie économique propre est tout aussi boîteux. Imaginons le cas d’une découverte de minéraux précieux dans le sous-sol d’une île rocheuse en plein océan ou dans le sous-sol de la mer qui l’entoure. L’Etat auquel elle appartient prendra alors des mesures pour installer une population sur l’île ainsi que l’équipement d’extraction nécessaire. Ainsi l’île devient non seulement habitée, mais elle possède une vie économique florissante. L’Etat proclamera ensuite une zone économique exclusive. Viendra le jour de l’épuisement des ressources sises au sous-sol de l’île ou de la mer y adjacente : nul besoin désormais, de faire habiter cette île ni de l’exploiter. L’île redeviendra déserte et perdra sa zone économique exclusive.
16Ce cas pourrait être rapproché de celui de l’île norvégienne de Jan Mayen. Cette île volcanique et rocheuse est habitée par une trentaine de personnes qui travaillent à des stations météorologiques établies par la Norvège sur l’île, autrement déserte. Jan Mayen, située à 550 milles de la Norvège, ne rentre pas, selon le Rapport d’une Commission de Conciliation instituée par la Norvège et l’Islande, sous le chiffre 3 de l’article 121 du Projet de convention, et, en conséquence, a droit à des zones maritimes telles que la zone économique et le plateau continental.148
17Comme on vient de le constater, le compromis contenu au chiffre 3 de l’article 121 pose plutôt des problèmes qu’il ne les résout. Issu d’un compromis délicat entre intérêts divergents, il contient une disposition dont l’interprétation se révèle problématique.
2. Iles sous domination coloniale ou sous contrôle étranger
18Les Etats du Tiers Monde au sein de la Conférence avaient suggéré de sauvegarder, pour les habitants des îles qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance, leurs droits relatifs à la zone économique et au plateau continental. A la session de Caracas, en 1974, dans leur projet d’articles relatif aux îles, quatorze pays africains proposèrent une disposition ayant la teneur suivante :
« Article 5
En ce qui concerne les îles sous domination coloniale, régime raciste ou occupation étrangère, les droits attachés aux espaces marins et à leurs ressources appartiennent aux habitants de ces îles et ne doivent profiter qu’à leur propre développement.
Aucune puissance coloniale étrangère ou raciste qui administre ou qui occupe ces îles ne peut exercer ces droits, en tirer profit ou y porter atteinte de quelque façon que ce soit. »149
19Cette proposition fut appuyée par la Turquie. Cet appui n’a rien de surprenant si l’on considère qu’il prend place dans le cadre d’un package deal : en souscrivant à la proposition des pays du Tiers-Monde, qui ne la touchait pas directement, la Turquie cherchait à s’assurer, en retour, du soutien de ces pays en ce qui concernait ses propres propositions relatives à l’attribution d’espaces maritimes aux îles.
20Le projet d’articles de la Turquie sur le régime des îles, contenait la disposition suivante :
« Article 3
1. Un Etat qui exerce son autorité ou son contrôle sur une île étrangère ne peut établir de zone économique dans les eaux contiguës à ladite île.
Les habitants d’îles de ce type ont le droit d’établir leur zone économique à tout moment précédant ou suivant leur accession à l’indépendance ou à l’autonomie. Les droits sur les ressources de cette zone économique et sur les ressources de son plateau continental sont dévolus aux habitants de cette île et exercés par eux à leur propre profit et conformément à leurs besoins et exigences.
Si les habitants de ces îles n’établissent pas de zone économique, l’Autorité est en droit d’explorer et d’exploiter ces zones en tenant compte des intérêts des habitants. »150
21L’idée contenue dans ces projets d’articles fut retenue dans le TUN du 7 mai 1975. L’article 136 de ce Texte disposait en effet :
« 1. Les droits reconnus ou établis par la présente Convention sur les ressources d’un territoire dont la population n’a pas accédé à la pleine indépendance ou à quel qu’autre statut d’autonomie reconnu par l’Organisation des Nations Unies, ou d’un territoire sous occupation étrangère ou domination coloniale, ou d’un territoire sous tutelle des Nations Unies, ou d’un territoire administré par l’Organisation des Nations Unies, reviennent aux habitants de ce territorie, qui les exercent à leur profit et conformément à leurs besoins et nécessités.
2. Lorsqu’il existe un différend au sujet de la souveraineté d’un territoire sous occupation étrangère ou domination coloniale, les droits visés au paragraphe 1 ne doivent pas être exercés tant que ce différend n’est pas réglé conformément aux buts et principes de la Charte des Nations Unies.
3. Aucune puissance métropolitaine ou étrangère qui administre ou occupe le territoire ou qui prétend administrer ou occuper le territoire ne peut exercer les droits mentionnés au paragraphe 1, en tirer profit ou avantage, ou y porter atteinte de quelque façon que ce soit.
4. Aux fins du présent article, le terme “territoire” s’entend de territoires continentaux et insulaires. »
22Dans le Texte unique de négociation revisé, élaboré par les présidents des Commissions en 1976, ces règles avaient pris la forme d’une disposition transitoire, mais leur texte était demeuré quasi identique avec celui de l’article 136. Dans sa note liminaire à la Partie II du Texte revisé, le Président de la Deuxième Commission expliqua que le problème soulevé par cette disposition dépasse le cadre du droit de la mer ; en transformant l’article 136 en disposition transitoire, il pensait marquer, « sans ambiguïté possible, que les questions dont traite la disposition ne revêtent nullement un caractère permanent ou immuable ».151
23La disposition transitoire a figuré dans les textes qui succédèrent au TUNR, y compris le Projet de convention sur le droit de la mer du 7 septembre 1981. A la session de New York au printemps 1982, lors de l’adoption de la Convention par la Conférence, le Président de celle-ci proposa de remplacer la disposition transitoire par une résolution. Il s’agit de la Résolution III, qui fut adoptée par la Conférence le 30 avril 1982 et qui a la teneur suivante :
« La troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, Compte tenu de la Convention sur le droit de la mer ouverte à la signature ce jour à Caracas,
Ayant présente à l’esprit la Charte des Nations Unies, en particulier l’article 73 de celte dernière,
Déclare que :
« 1. Dans le cas d’un territoire dont le peuple n’a pas accédé à la pleine indépendance ou à quelqu’autre forme d’autonomie reconnue par l’Organisation des Nations Unies, ou d’un territoire sous domination coloniale, les dispositions afférentes à des droits ou intérêts visés dans la présente Convention sont appliquées au profit du peuple du territoire dans le but de promouvoir sa prospérité et son développement.
2. En cas de différend entre Etats au sujet de la souveraineté d’un territoire auquel s’applique la présente déclaration et à propos duquel l’Organisation des Nations Unies a recommandé des moyens de solution spécifiques, des consultations ont lieu entre les parties à ce différend concernant l’exercice des droits visés au paragraphe 1. Lors de ces consultations, les intérêts du peuple du territoire concerné sont un élément fondamental à prendre en considération. Quelle que soit la forme sous laquelle ces droits sont exercés, il est tenu compte des résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations Unies, sans préjudice de la position de l’une ou l’autre des parties au différend. Les Etats concernés font tout leur possible pour conclure des arrangements provisoires de caractère pratique et ne font rien qui puisse compromettre la solution définitive du différend, ou y faire obstacle.
3. Prie le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies de porter la présente résolution à l’attention de tous les Etats membres et des autres participants à la Conférence, ainsi qu’aux principaux organes de l’Organisation des Nations Unies en leur demandant de s’y conformer. »152
24Bien que toute référence aux îles ait disparu, la genèse de la Résolution III montre à l’évidence que le terme « territoires » couvre tant les territoires continentaux qu’insulaires.
25Reste à savoir quelle est la valeur juridique de la Résolution III. Etant donné qu’il s’agit d’une résolution adoptée par la Conférence, il est probable qu’elle sera comprise dans l’Acte final de celle-ci, acte qui sera signé par la plupart des Etats ayant participé à celle-ci. La Convention elle-même, adoptée par la Conférence et authentifiée par l’Acte final, entrera en vigueur une fois que le nombre requis (soixante) de ratifications ou d’adhésions aura été atteint (article 308, chiffre premier). Il est évident qu’une résolution, ne faisant pas partie intégrante du texte de la Convention, n’a pas de valeur obligatoire pour les Etats Parties à la Convention, à moins que ceux-ci n’aient accepté être liés pas ses dispositions d’une autre manière.
26En l’occurence, la Résolution III est fondée sur l’article 73 de la Charte des Nations Unies qui reconnaît « le principe de la primauté des intérêts des habitants » des territoires administrés par des Etats membres des Nations Unies. Toujours selon l’article 73, ces Etats « acceptent comme une mission sacrée l’obligation de favoriser dans toute la mesure du possible leur prospérité, dans le cadre du système de la paix et de la sécurité internationale établi par la présente Charte » et de prendre à cette fin les mesures concrètes énumérées à l’article 73. Dans la mesure où son contenu coïncide avec celui de l’article 73, la Résolution III a force contraignante, en raison du fait qu’elle met en œuvre une règle de la Charte qui, elle, crée des obligations pour les Etats membres des Nations Unies. Le caractère obligatoire de l’article 73 a cependant été contesté, du fait notamment que le chapitre XI de la Charte (articles 73 et 74) est « de façon significative »153, intitulé « Déclaration relative aux territoires non autonomes ». (Souligné par l’auteur.)
27De toutes façons, il se peut très bien que la Résolution III contribue à la formation d’une coutume. Le problème avait surgi pour la Cour internationale de Justice lors des affaires de la Compétence en matière de pêcheries entre le Royaume-Uni et l’Islande et la République fédérale d’Allemagne et l’Islande ; dans ses arrêts du 25 juillet 1974 sur le fond, la Cour admit qu’une résolution en matière de droits préférentiels de pêche, adoptée en 1958 par la (première) Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, constituait la preuve du fait que l’idée des droits préférentiels de pêche « avait été fort bien accueillie »154 par la Conférence et avait contribué à la formation d’une règle coutumière.
28Il ne faut pas oublier, enfin, qu’une résolution peut être utilisée lors de l’interprétation de la Convention à laquelle elle se réfère. Elle fait en effet partie du contexte d’un traité tel qu’il est défini à l’article 31, chiffre 2, lettre b), de la Convention de Vienne sur le droit des Traités :
« 2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :
a) ...
b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité. »
29Pour conclure sur ce point, il faut remarquer que l’adoption de la Résolution III ne change rien au droit des Etats administrant des territoires insulaires de proclamer des zones maritimes pour ces territoires. L’idée que les règles de la nouvelle Convention doivent être appliquées « au profit du peuple du territoire dans le but de promouvoir sa prospérité et son développement » n’est point nouvelle, car elle correspond à une obligation que la plupart des Etats métropolitains ou administrants ont déjà assumée en vertu de l’article 73 de la Charte des Nations Unies.
Notes de bas de page
126 Il s’agit tantôt de zones de pêche s’étendant entre 20 et 200 milles, tantôt de zones économiques exclusives de 200 milles. Voir à ce sujet le tableau figurant dans Extavour, Winston C., The Exclusive Economic Zone, A Study of the Evolution and Progressive Development of the International Law of the Sea, Genève, Institut universitaire de Hautes Etudes internationales, 1979, p. 321.
127 Laws and Regulations on the Regime of the High Seas, United Nations Legislative Series, vol. I, New York, 1951, ST/LEG/SER. B/1 (ci-après : Nations Unies, doc. ST/LEG/SER. B/1), p. 16.
128 Ibid., p. 10.
129 Décret du Congrès concernant le plateau continental, du 21 février 1951, ibid., additif, page non numérotée.
130 Nations Unies, doc. ST/LEG/SER. B/18, p. 15.
131 Le Costa-Rica y adhéra ultérieurement.
132 Lay, Houston, Churchill, Robin, Nordquist, Myron (éd.), New Directions in the Law of the Sea, Dobbs Ferry, New York, Oceana Publications (ci-après : Lay, Churchill, Nordquist, New Directions), vol. i, 1973, p. 232.
133 Brésil, Décret-Loi réglant la pêche dans la mer territoriale, du premier avril 1971, ibid., p. 17 ; Canada, Arctic Waters Pollution Prevention Act du 2 août 1972, ibid., p. 200; Haïti, Déclaration présidentielle du 6 avril 1977 relative à l’extension des eaux territoriales et sur la zone économique exclusive, Législation nationale et Traités concernant le droit de la mer, Série législative des Nations Unies, New York, 1980, ST/LEG/SER.B/19 (ci-après : Nations Unies, doc. ST/LEG/SER.B/19), p. 43.
134 Lay, Churchill, Nordquist, New Directions, vol. v, p. 293 (traduction de l’auteur).
135 Rousseau, Charles, « Chronique des faits internationaux », R.G.D.I.P., vol. 79, 1975, p. 503.
136 Loc. cit.
137 Par décision du 16 mars 1976, le Gouvernement irlandais étendit sa juridiction sur l’île de Rockall ; ibid., vol. 80, 1976, p. 1247.
138 Le Danemark allégua que Rockall appartenait à la même formation géologique que les îles Faroë; ibid., vol. 79, 1975, p. 504.
139 Symmons, op. cit., p. 117 et pp. 184-187.
140 Loc. cit.
141 D’après ce projet, le Gouvernement norvégien fixerait les quotas pour la pêche et interdirait l’accès des eaux de l’archipel aux chalutiers des Etats intéressés une fois les quotas atteints, ce qui pose un problème, car, selon l’article 2 de la Convention de Paris du 9 février 1920 sur l’archipel de Spitzberg, les ressortissants et les navires de tous les Etats Parties à la Convention ont un droit égal de pêche et de chasse dans l’archipel et ses eaux territoriales et, si la Norvège peut prendre les mesures appropriées pour assurer la conservation du gibier et de la faune marine, c’est à la condition qu’il ne soit accordé de privilège ou d’exception à personne. Rousseau, Charles, « Chronique des faits internationaux », R.G.D.I.P., vol. 82, 1978, p. 694.
142 Act Establishing an Exclusive Economic Zone Along the Coasts of the Mainland and Islands of the Republic of Venezuela du 26 juillet 1978, Nations Unies, doc. ST/LEG/SER. B/19, p. 261.
143 Voir par exemple la proposition des Fidji, Nouvelle-Zélande, Samoa occidental et Tonga, tous des Etats insulaires, proposition selon laquelle « la zone économique d’une île et son plateau continental sont déterminés conformément aux dispositions de la présente Convention applicables aux autres terres émergées. » Troisième Conférence, Documents, vol. iii, p. 244, doc. A/CONF.62/C.2/L.30.
144 Propositions de la Grèce, ibid., p. 232, doc. A/CONF.62/C.2/L.22 et p. 245, doc. A/CONF.62/C.2/L.32 et dont l’article premier disposait : « les dispositions applicables à la délimitation de la zone économique d’un Etat sont en règle générale également applicables à ses îles. » Une troisième proposition grecque disposait par ailleurs qu’« une île possède une zone contiguë et une zone économique sur la même base que le territoire continental... », ibid., p. 263, doc. A/CONF.62/C.2/L.50.
145 Ainsi, dans un document du 12 août 1974, la Roumanie proposait d’inclure la disposition suivante : « en principe, un Etat ne peut pas se prévaloir de l’existence, dans une de ses zones maritimes, d’îlots et d’îles analogues, tels que définis à l’article premier, pour étendre les espaces marins qui reviennent à ses côtes… les îlots et les îles analogues se trouvant au-delà de la mer territoriale, sur le plateau continental ou dans la zone économique du même Etat peuvent avoir autour d’eux ou autour de certains de leurs secteurs des zones de sécurité ou même des eaux territoriales, dans la mesure où cela ne porte pas préjudice aux espaces marins qui reviennent aux côtes de l’Etat ou des Etats voisins.» Ibid., pp. 264-265, doc. A/CONF.62/C.2/L.53. Par ailleurs, la Turquie proposait qu’à moins qu’elle ne comporte au moins un dixième de la superficie terrestre et de la population de l’Etat auquel elle appartient, une île située dans la zone économique d’un Etat étranger n’a pas de zone économique propre et que les îles sans vie économique situées en dehors de la mer territoriale d’un Etat n’ont pas d’espace marin propre; ibid., p. 266, doc. A/CONF.62/C.2/L.55.
146 Proposition de quatorze Etats africains, ibid., p. 269, doc. A/CONF.62/C.2/ L.62/Rev.l.
147 L’expression « second class islands » a été utilisée par Fusillo, Maria Silvana, « The Legal Regime of Uninhabited “Rocks” lacking an Economie Life of their own », Italian Yearbook of International Law, vol. iv, 1978-1979, p. 49.
148 Voir ci-dessous, p. 189.
149 Troisième Conférence, Documents, vol. iii, p. 269, doc. A/CONF.62/C.2/L.62/ Rev.l.
150 Ibid., p. 266, doc. A/CONF.62/C.2/L.55; dans le même sens, voir la proposition de Fidji, de la Nouvelle-Zélande, du Samoa occidental et de Tonga, ibid., p. 244, doc. A/CONF.62/C.2/L.30.
151 Ibid., vol. v, p. 166, doc. A/CONF.62/WP.8/Rev.l/PART II.
152 Troisième Conférence, doc. A/CONF.62/L.94 du 2 avril 1982.
153 Virally, Michel, L’Organisation mondiale, Paris, Armand Colin, 1972 (Collection U, Série droit international public), p. 238.
154 C.I.J., Recueil 1974, § 58, p. 26 et § 50, p. 195.

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