Conclusion Générale
p. 217-220
Texte intégral
1Le problème de la succession d’Etat a donné lieu à beaucoup d’opinions, parfois divergentes, que cela soit au sein de la doctrine, de la CDI ou de la Conférence de Vienne.
2Notre tâche a été de parvenir à une synthèse tout en reprenant à la source certaines recherches sur la pratique des Etats et en les confrontant aux opinions émises par les Gouvernements sous forme d’observations orales et écrites à la CDI et par celles exprimées par les différentes délégations lors de la Conférence de Vienne.
3Cette méthode nous a permis d’aboutir à certaines conclusions sur le bien fondé de plusieurs articles de la Convention de Vienne. L’on peut citer ici l’adoption de la règle de la table rase (article 16) pour les Etats nouvellement indépendants et l’application du principe de la continuité des traités en cas d’unification et de dissolution d’Etats.
4Au cours de notre travail, nous avons pu observer que, d’une manière générale, les règles de succession retenues soit par la CDI soit par la Conférence, faisait preuve d’un esprit de conciliation en offrant des solutions souples. Par exemple, le sens donné à la règle de la table rase appliquée au pays qui ont connu un processus de décolonisation, est des plus raisonnable. En effet, elle ne signifie pas que le successeur doive obligatoirement rejeter en bloc tout l’héritage contractuel reçu, mais au contraire, elle offre à ce nouvel Etat un temps de réflexion et lui permet de prendre des décisions en connaissance de cause. Ainsi, ce n’est qu’après mûre réflexion, que le nouvel Etat décide, soit de renouveler les traités qu’il a hérités en faisant une déclaration de succession ou en les renégociant, soit de les dénoncer s’ils sont en contradiction avec ses intérêts. Cette conception de la règle de la table rase a pour conséquence d’empêcher la création d’un vide juridique à la suite d’une rupture radicale des rapports contractuels entre l’Etat nouvellement indépendant et les Etats tiers. En somme, la Convention tient compte aussi de l’intérêt des Etats tiers en respectant leur volonté.
5On doit reconnaître l’importance de la Convention de Vienne de 1978 comme instrument codifiant une sphère précise du droit international et complétant la codification du droit des traités. De même, par la pratique des Etats, les opinions exprimées par la doctrine et lors des débats de la CDI et de la Conférence de Vienne, nous pouvons être assurés que dans la Convention elle-même, l’élément de développement progressif du droit international ne prévaut pas sur l’élément de codification au sens strict du mot lorsque l’on considère les articles importants relatifs à la succession aux traités. On peut citer quelques exemples frappants d’articles codifiant des normes coutumières établies depuis longtemps : l’article 11 de la Convention sur le régime des frontières, l’article 15 de la Convention concernant le transfert d’une partie d’un territoire d’un Etat et l’article 24 sur les traités bilatéraux. De même, et c’est là le plus important, si l’on prend en compte la pratique ancienne et moderne des Etats, ainsi que les conclusions que l’on peut tirer de la Conférence de Vienne, l’on peut dire que l’article 16 qui dispose que l’Etat nouvellement indépendant n’est pas obligé d’accepter les traités de l’Etat prédécesseur a acquis le statut d’une règle coutumière.
6Il est fréquent d’entendre ou de lire des critiques concernant la valeur d’une telle codification. Certains auteurs vont jusqu’à penser que la codification ne peut qu’arrêter le développement historique du droit et de l’enfermer dans un cadre particulier et dans un milieu idéologique précis1.
7A cette critique, on peut ajouter le fait que la partie de la Convention concernant les Etats nouvellement indépendants est inutile à l’heure actuelle, puisque la plupart des pays sont décolonisés.
8Pour notre part, bien que conscient du fait que la codification peut être un élément qui fige un domaine précis du droit international, il nous apparaît cependant que les avantages apportés par la Convention sont multiples.
9En premier lieu, cet instrument juridique permet de clarifier et de poser avec certitude des dispositions jusque là non suffisamment détaillées. De plus, le fait que cette Convention soit non seulement l’œuvre d’organes hautement qualifiés (exemple : la CDI) mais aussi celle des Gouvernements par le biais de leurs observations écrites et par les interventions en Conférence de leurs délégués est une garantie de sa réussite. Comme l’a dit Yasseen, l’avantage de cette « coopération » c’est qu’elle a orienté l’œuvre de la CDI et lui a permis de bien déterminer la portée des règles existantes ainsi que de saisir dans son vrai sens l’évolution de la communauté internationale et de cerner, par conséquent, d’une façon exacte le développement de l’ordre juridique international qui s’impose2.
10Pour appuyer la valeur de l’œuvre de codification de la succession d’Etats, on peut rappeler les paroles de Ago : « Si l’on veut éviter que le droit international plonge dans l’incertitude, il faut une concertation approfondie entre les anciennes et les nouvelles nations et procéder à un réexamen des institutions et des règles du droit international général. Il s’agit, à la suite de ce réexamen, de redéfinir ces règles, d’en préciser la teneur, d’élaguer au besoin les branches mortes, d’ajuster autant que possible les institutions aux nouvelles situations, de rechercher des compromis là où le maintien des principes traditionnels se heurte à l’opposition ferme des nouveaux Etats, de formuler en outre, d’autres règles qui répondent à des exigences posées par la structure actuelle de la société internationale : il s’agit, en un mot, de procéder à la codification du droit international général. Et cette codification doit être réalisée dans des délais relativement brefs, en donnant la priorité aux principaux chapitres de la matière... tels que droit des traités, responsabilités des Etats et succession d’Etats »3.
11En ce qui concerne la fin de la période de la décolonisation, on peut tout d’abord mentionner que beaucoup de problèmes de succession peuvent parfois mettre des décennies pour être réglés d’une manière définitive et qu’ainsi la Convention pourra servir de référence autant aux pays successeurs qu’aux pays prédécesseurs. D’ailleurs la Conférence, contrairement à la CDI, a adopté un alinéa supplémentaire à l’article 7 du projet de 1974 (devenu l’article 7 de la Convention) où il est fait exception à la règle traditionnelle de la non-rétroactivité des règles de droit. Les participants à la Conférence ont, en effet, tenu à prévoir la rétroactivité de la Convention au cas où les parties à un litige successoral l’acceptent.
12Mis à part les cas de succession découlant de la décolonisation, il est difficile d’affirmer qu’il n’y aura plus de processus de création de nouveaux Etats. Entre autre la résurgence de mouvements autonomistes dont on ne peut nier l’existence pourrait amener la création de nouveaux Etats. Qui peut prévoir avec l’évolution des idées au niveau social, politique et économique si l’on ne s’achemine pas vers une nouvelle période de sécessions, d’unions et de dissolutions d’Etats, et là, la convention sera opérationnelle.
13Pour finir, nous devons nous poser la question plus générale de savoir si cette codification est le droit dont a besoin la communauté internationale ? Si la communauté internationale a besoin d’un manière très urgente des solutions aux problèmes auquels elle est confrontée : par exemple pour les questions du développement, de répartition équitable des richesses économiques, du transfert de technologie, de sécurité, de désarmement et encore des droits de l’homme en général, il n’en demeure pas moins que la succession d’Etats reste, comme nous l’avons déjà dit, un sujet qui préoccupe sérieusement les Etats du tiers monde comme les Etats occidentaux et socialistes. Sinon comment explique-t-on le fait que la CDI l’ait inscrite comme question urgente à son programme et que la Conférence de 1978 s’en soit occupée avec intérêt.
14Les solutions apportées par la CDI et la Conférence sont en effet utiles pour la communauté internationale puisqu’elles lui ont permis de sortir de certaines situations floues et imprécises en la matière. C’est ainsi que, par exemple, peu après l’adoption de la Convention, le Comité International de la Croix-Rouge a adapté sa doctrine à celle proposée par la Convention4.
15L’utilité de la Convention a été résumée de la manière suivante par Yas-seen :
« Cette convention est appelée à être le droit commun de la succession d’Etats en matière de traités. Elle aidera certes les Etats successeurs, dans une période de transition, qui peut être difficile, à connaître clairement la portée de leurs droits et de leurs obligations. Elle épargnera surtout aux Etats nouvellement indépendant des négociations compliquées, dans des circonstances qui, souvent, ne leur sont pas favorables »5.
16Le débat sur la succession d’Etats ne s’est pas arrêté aux traités puisqu’une autre conférence a adopté une Convention à Vienne en 1983, prenant pour base le rapport de Bedjaoui portant sur « la succession d’Etats en matière autres que les traités »6.
17Enfin, la question sur la succession d’Etats est loin d’être épuisée puisque la CDI n’a pas encore ouvert le dossier de la troisième catégorie qu’elle a à son programme, à savoir « la succession d’Etats et la qualité de membres d’organisations internationales ».
Notes de bas de page
1 O’connel, D.P., « Reflexions on the state succession Convention », Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht, 1979, 39/4, p. 739.
2 Yasseen, M.K., « La Convention de Vienne sur la succession d’Etats », AFDI, 1978, p. 213.
3 Ago, R., « La codification du droit international et les problèmes de sa réalisation », Hommage à Paul Guggenheim, Faculté de droit de l’Université de Genève et Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales, Genève, 1968, p. 96.
4 cf. supra, p. 83.
5 cf. Yasseen, M.K., op. cit., p. 112.
6 cf. ACD1, 1980, vol. ii, 1ère partie, pp. 8 et s. et Convention de Vienne en matière de biens publics, d’archives et dettes (A/CONF. 117/14 du 7 avril 1983).
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