Chapitre III. La dissolution d’États
p. 207-217
Texte intégral
1) La doctrine et la pratique en matière de dissolution
A. La doctrine inspirée par la pratique
1Nous avons choisi de traiter la doctrine et la pratique dans le même ensemble car il est difficile de les séparer. La raison en est que la doctrine et même la CDI et l’Association de Droit International se sont penchées sur la pratique des Etats avant de formuler leurs idées et d’en venir à des conclusions sur la succession d’Etats en cas de dissolutions d’Etats.
2L’International Law Association a conclu à la continuité des traités en cas de dissolution d’union d’Etats ; la résolution de 1968, paragraphe 2, alinéa 3 est rédigée comme suit :
« En cas de dissolution des unions ou des confédérations, les éléments constitutifs de l’Etat composé ont pu ou peuvent invoquer les traités de ce dernier dans la mesure où ils sont compatibles avec le changement de circonstances résultant de la dissolution »1
3Quant aux auteurs tels que O’Connell2, Gonçalves Pereira3 et Mochi Onory4, examinant la pratique, ont vite opté pour la continuité des traités à l’égard des Etats successeurs issus d’une dissolution d’Etats. Mais quels sont les exemples couramment cités dans les ouvrages traitant la succession d’Etats ?
B) Exemples fournis par la pratique des Etats
4La pratique qu’on présentera ici sera essentiellement celle qu’on a vue dans notre chapitre sur l’unification d’Etats. Ceci paraît logique car les dissolutions d’unions d’Etats représentant le phénomène inverse des unifications. De plus, il est à noter que, contrairement à ce qu’a fait la CDI dans son projet de 1974 et la Convention de 1978, on ne mentionnera pas dans ce contexte le cas de séparations de parties d’un Etat (sécession). Ces cas ne doivent, à notre sens, ne pas être confondus avec les cas suivants de dissolution5. On verra d’abord la pratique ancienne des dissolutions (a), ensuite la pratique récente (b).
a) La pratique ancienne en matière de dissolution d’unions d’Etats
i) La dissolution de la Fédération de la Grande Colombie
5Entre 1829 et 1831, la Grande Colombie, fédération composée du Vénézuela, de l’Equateur6 et de la Nouvelle Grenade s’est dissoute pour donner naissance à trois Etats souverains. Durant son existence, elle avait conclu des traités d’amitié, de commerce et de navigation avec les Etats-Unis en 1824 et avec la Grande-Bretagne en 18257. Entre 1833 et 1834, la question de savoir si le traité anglo-colombien de 1825 restait en vigueur pour ces nouveaux Etats s’était posée. La réponse fut vite donnée car le Vénézuela et la Nouvelle Grenade optèrent pour la qualité de successeur à ces traités. De même le traité de 1824 restait en vigueur entre la Nouvelle Grenade et les Etats Unis.
ii) La séparation de la Norvège et de la Suède8 et celle de l’Islande et du Danemark
6La Norvège et la Suède, après s’être séparées en 1905, ont opté pour le maintien en vigueur des traités conclus durant l’union. Les traités expressément conclus pour l’un des Etats de l’union resteraient en vigueur seulement entre ces Etat et les autres Etats parties. Les traités qui avaient été conclus pour l’ensemble de l’union resteraient en vigueur pour chacun des Etats, mais seulement par rapport à lui-même. Cette solution fut « ... acceptée par les Etats-Unis et par la France, bien qu’elle suscita des réserves de la part de la Grande-Bretagne9. La Norvège coucha sur sa liste des traités en vigueur, toutes les conventions applicables avant 1905, d’autre part les Etats-Unis inclurent dans leur liste, comme étant en vigueur dans ses relations avec la Norvège, d’innombrables traités conclus avant l’union »10.
7La même solution fut proposée en 1944, après la dissolution de l’union réelle entre le Danemark et l’Islande11. On sait, en effet, que l’Islande opta officiellement pour la continuité des traités conclus durant l’unification12
iii) La dissolution de l’Empire Austro-Hongrois
8A la suite des règlements de paix de 1919-1920, la question s’est posée de savoir si la République Autrichienne et la Hongrie avaient succédé à l’Empire Austro-Hongrois ou si elles constituaient de nouveaux Etats. On se demanda également quel était le sort des traités conclus par la Double-Monarchie avant sa dissolution.
9Les effets de démembrement de l’union réelle Austro-Hongroise sur les personnalités internationales de la République Autrichienne et la Hongrie sont controversées. Des cas de table rase, comme des cas de continuité sont présents dans la pratique de la République Autrichienne. Par contre, seule la continuité est de règle dans la pratique hongroise.
10Abordons tout d’abord le cas controversé de l’Autriche. Dans une première phase, on verra que l’Autriche ne s’est pas considérée comme un Etat identique à l’ancienne Autriche et a par conséquent essayé de renégocier un grand nombre de traités qu’elle a hérités de son prédécesseur.
11Ainsi, le Gouvernement autrichien est d’avis que « l’actuelle République d’Autriche est un nouvel Etat ayant une personnalité juridique indépendante, et que seules peuvent le lier les obligations qu’il a acceptées d’assumer »13. Le Gouvernement autrichien part donc de l’idée que « l’actuelle République n’est pas le reliquat de l’ancienne Autriche, amputée de certains territoires qui ont été cédés ou détachés, il s’agit au contraire d’un nouvel Etat qui s’est constitué après l’effondrement total de l’ancien. On serait donc en présence, non pas de l’ancienne Autriche — diminuée —, mais d’un nouvel Etat issu du démembrement total de l’ancien Empire »14. Très tôt, la position autrichienne a été mise en lumière par l’Article 1er de la loi du 21 octobre 1919 sur la constitution de l’Etat où il est affirmé que, mises à part les obligations « imposée » par le traité de Saint Germain, l’Autriche ne sera pas soumise aux rapports juridiques qui étaient déjà en vigueur pour l’Empire autrichien15.
12En outre, l’Autriche a envoyé en 1921 aux Etats restés neutres pendant la guerre une circulaire dans laquelle elle a déclaré à propos de conventions anciennes dont elle souhaitait la mise en vigueur, qu’elle n’entendait nullement répondre des obligations internationales de l’ancien Empire Austro-Hongrois et qu’elle ne se considérait comme liée que par les traités nouveaux. Un seul Etat, la Hollande, fit une réserve de principe à cette déclaration16.
13En pratique, tous les traités passés par l’ancienne monarchie étaient considérés comme abrogés. De nouvelles négociations furent ouvertes afin de les mettre en vigueur. Ce fut le cas de la convention d’extradition du 1er décembre 1921 entre la République autrichienne et les Pays-Bas17 ; de l’échange de notes austro-danois des 27 et 30 juin 192318 à propos du commerce et de la navigation entre les deux pays et le traité austro-suisse sur l’application des traités antérieurs en matière de relations juridiques, signé à Berne le 25 mai 192519. Ce dernier, visait aussi la remise en vigueur d’anciens traités conclu par l’Empire Austro-Hongrois, mais à titre de traités tout à fait nouveaux. L’idée visant la distinction entre l’Etat ancien et l’Etat nouveau est très nettement posée au préambule du traité qui dit :
« Le Conseil Fédéral de la Confédération suisse et le Président de la République d’Autriche, animés du même désir de rendre applicables entre la Suisse et la République d’Autriche les traités conclus entre la Suisse et l’ancienne Monarchie austro-hongroise concernant le règlement des conditions d’établissement, d’extradition réciproque des malfaiteurs et la légalisation des actes publics, ont décidé de conclure à cet effet un traité... »
14Les Etats Unis ont également défendu le principe selon lequel la République d’Autriche était un nouvel Etat né de l’extinction de l’ancien Empire austro-hongrois20. De même, la Cour suprême allemande soutint que l’Autriche ne pouvait pas s’identifier avec l’ancienne Monarchie dualiste, cette dernière étant dissolue, le co-contractant de l’Etat allemand à un traité de commerce austro-allemand a, par conséquent, cessé d’exister »21.
15A l’inverse de cette thèse, plusieurs Etats tiers ont considéré l’Autriche comme ayant succédé automatiquement à l’ancienne Autriche-Hongrie. Selon O’Connel22, le Gouvernement britannique semble avoir considéré la République d’Autriche et la Hongrie comme survivants au changement provoqué par les traités de Saint Germain23 et de Trianon24, bien que le territoire de l’Autriche ait été considérablement diminué. Cette identification eut pour conséquence que les deux principaux successeurs furent considérés comme liés par les traités signés par l’ancien Empire25. L’article 241 du traité de Saint Germain prône la succession automatique de la nouvelle Autriche aux traités bilatéraux de la Monarchie qui l’a précédée. Il se lit de la manière suivante :
« Chacune des puissances alliées ou associées, s’inspirant des principes généraux ou des stipulations particulières du présent traité, notifiera à l’Autriche les conventions bilatérales de toute nature, passées avec l’ancienne monarchie austro-hongroise, dont elle exigera l’observation. La notification prévue au présent article sera faite, soit directement, soit par l’entremise d’une autre puissance. 11 en sera accusé réception par écrit par l’Autriche ; la date de la mise en vigueur sera celle de la notification [...]. Un délai de 6 mois, qui courra depuis la mise en vigueur du présent traité, est imparti aux puissances alliées ou associées pour procéder à la notification [...] »26.
16La même idée guide la succession de l’Autriche aux traités plurilatéraux et multilatéraux. Ainsi l’article 234 du traité de Saint Germain dispose :
« Dès la mise en vigueur du présent traité et sous réserve des dispositions qui y sont contenues, les traités, conventions et accords plurilatéraux de caractère économique ou technique, passés par l’ancienne monarchie austro-hongroise et énumérés ci-après et aux articles suivants seront seuls appliqués entre l’Autriche et celle des puissances alliées ou associées qui y sont parties... ».
17Cet article énumère l’application à l’Autriche de 23 conventions de caractère économique ou technique. L’article 235 prévoit l’application au même Etat successeur des conventions postales et télégraphiques, l’article 237 la convention sur la propriété industrielle et l’article 238 la convention sur la procédure civile27.
18Pour Hobza, aussi, il n’y a aucun doute que l’Autriche est le successeur automatique de l’ancienne double monarchie, mêlant en cela le nouvel Etat hongrois. A ce sujet il a écrit que d’après les traités de paix de 1919 :
« ... l’Autriche actuelle est la même personne juridique que l’Autriche d’avant-guerre. L’article 194 du traité de Saint Germain dit, par exemple, textuellement : ’ l’Autriche reconnaît qu’elle reste tenue vis-à-vis de l’Italie à exécuter les obligations prévues par le traité de Zurich de l’année 1859, par le traité de Vienne de 1866 et par la convention de Florence de l’année 1868’. Le traité de Saint Germain et, à l’égard de la Hongrie, le traité de Trianon s’expriment de la même manière dans plusieurs articles. 11 faut en outre constater que l’idée de l’identité juridique de l’ancienne Autriche et de l’Autriche actuelle, ainsi que de l’ancienne Hongrie et de la Hongrie actuelle, est la base de toute la construction de ces traités, sans quoi on ne se serait pas servi des expressions qui se trouvent dans ces deux traités, par exemple : — l’Autriche, ou la Hongrie, abandonne tels ou tels de ses droits existant déjà avant la guerre, — ou : s’engage à réparer les dommages qu’elle a causé pendant la guerre, — ou : abandonne telles ou telles unités, de sa flotte commerciale, etc. Toutes ces expressions ne seraient pas compréhensibles si on ne partait pas de l’idée d’une même personne juridique de l’Etat autrichien, ou de l’Etat hongrois, avant et après la guerre »28.
19En conclusion, on peut dire que la succession de l’Autriche aux traités antérieurs à sa constitution en république a été peu claire. Cependant on peut ajouter, comme l’auteur de l’Annuaire International — Grotius que :
« Cette situation équivoque a trouvé une solution heureuse par la déclaration du Gouvernement Fédéral d’Autriche que l’Autriche reconnaît être liées par toutes les conventions et déclarations de la Première et de la Deuxième Conférence de la Paix de La Haye de 1899 et 1907, pour autant qu’elles ont été signées et ratifiées dans le temps au nom de la Monarchie austro-hongroise tout en se réservant en termes exprès son point de vue concernant l’origine de la nouvelle Autriche indépendante de l’ancienne Monarchie austro-hongroise. La solution adoptée n’est peut-être pas tout à fait logique, mais elle est pratique, ce qui est souvent préférable »29.
20Contrairement au cas de l’Autriche, le cas de la Hongrie n’a posé aucun problème de succession puisqu’en théorie cet Etat ne prétendait pas être un nouvel Etat mais la simple continuation de l’ancienne Hongrie monarchiste.
21De plus, les puissances victorieuses la considéraient comme identique à la Hongrie d’avant-guerre30.
22Par exemple, la Grande Bretagne s’est référée au traité de Trianon (article 224) pour considérer qu’il y a remise en vigueur de certains traités bilatéraux entre l’Empire britannique et la Hongrie. Reproduisons ici le type de lettre que la Grande Bretagne a envoyé à la Hongrie à propos de la reconduction de certains traités d’extradition :
« Legation britannique, Budapest, 24 octobre 1921 Monsieur Le Ministre,
Conformément à l’article 224 du Traité de Trianon du 4 juin 1920, le Gouvernement hongrois est informé, par la présente, que les traités bilatéraux suivants primitivement conclus entre l’Empire britannique et l’Autriche-Hongrie sont renouvelés entre l’Empire britannique et la Hongrie à dater de ce jour.
Extradition
a) Traité signé à Vienne le 3 décembre 1873 entre la Grande Bretagne et l’Autriche-Hongrie pour l’extradition réciproque des criminels fugitifs.
b) Déclaration signée à Londres le 26 juin 1901, amendant l’article 11 du Traité conclu le 3 décembre 1873 par la Grande-Bretagne et l’Autriche-Hongrie pour l’extradition réciproque des criminels fugitifs.
J’ai l’honneur de prier Votre Excellence de bien vouloir m’accuser réception de cette note.
Je saisis cette occasion, etc., »31.
23La Hongrie a adopté cette manière de voir puisqu’elle a confirmé cette reconduction par une lettre qui se lit come suit :
« Magyar Kiralyi Kulugyministerium, Budapest, 30 octobre 1921 Monsieur le Ministre,
J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre lettre en date du 24 octobre par laquelle vous avertissez le Gouvernement hongrois que, conformément à l’article 224 du Traité de Trianon, le Gouvernement britannique désire renouveler les traités bilatéraux suivants :
1. Traité signé le 3 décembre 1873 avec la Grande Bretagne, pour l’extradition réciproque des criminels fugitifs.
2. Déclaration signée le 26 juin 1901 et amendant l’article 11 du Traité conclu avec la Grande-Bretagne le 3 décembre 1873, pour l’extradition réciproque des criminels fugitifs.
Veuillez agréer, etc.
(Signé) Banffy »32.
24Etudions maintenant la pratique récente des dissolutions d’unions d’Etats.
b) La pratique récente en matière de dissolution d’unions d’Etats
i) La dissolution de la RAU
25Enfin, parmi les cas de démembrement récents, on a l’exemple du retrait de la Syrie de la RAU en septembre 1961. L’article 69 de la constitution33 de la RAU prévoyait la continuation des traités conclus antérieurement par la Syrie ou par l’Egypte avec des tiers. Après sa séparation, la Syrie reconnut être liée par tous les traités conclus par elle avant son incorporation dans la RAU. Ce fut ensuite le décret du mois de juin 1962 qui alla plus loin en précisant qu’elle était aussi liée par toutes les conventions internationales bilatérales ou multilatérales conclues par la RAU pendant la période d’union34. Les articles 1 et 2 disposent:
« Article 1 — Commitments to treaties and agreements and international bilateral agreements, concluded during the period of union with Egypt, shall be considered in force with respect to the Syrian Arab Republic until these treaties and agreements are amended or abrogated by the Syrian Party and the other contracting party according to their provisions.
Article 2 — The commitments to treaties and agreements and international agreements signed by numerous parties and agreements with international organizations held during the period of union with Egypt shall be considered in force with respect to the Syrian Arab Republic until abrogated by the Syrian party in accordance with their provisions ».
26Il reste à savoir si après la dissolution la Syrie devait automatiquement reprendre son siège au sein de l’ONU et des autres organisations internationales ?
27La Syrie, dans un télégramme au président de l’Assemblée générale, a simplement demandé que l’ONU « prenne note du fait que la République syrienne redevenait membre de l’organisation »35. Après avoir consulté de nombreuses délégations et s’être assuré qu’aucune objection n’avait été présentée, le président a autorisé le 13 octobre 1961 la délégation syrienne à reprendre son siège à l’Assemblée sans qu’aucun vote ne soit intervenu pour sanctionner sa réadmission36.
28Rousseau a vivement critiqué cette « réinstallation ». 11 dit que la qualité de membre d’une organisation internationale est intransmissible et qu’en cas de sécession territoriale l’ancien Etat reste membre de l’organisation, alors que la nouvelle entité doit solliciter son admission à l’ONU, conformément à l’article 4 de la Charte. Telle fut la procédure suivie en 1947 lors de la dissolution de l’Empire britannique des Indes. Alors que l’Inde — membre originaire des Nations Unies depuis 1945 — conserva cette qualité malgré la sécession, étant considérée comme la continuation de l’ancienne Inde britannique, le Pakistan, assimilé à un nouvel Etat, fut dans l’obligation de demander son admission formelle selon la procédure prévue à l’article 4 de la Charte37.
29Selon lui, en admettant automatiquement la Syrie sans la soumettre au barrage de la procédure d’admission, l’ONU a fait en quelque sorte deux poids deux mesures, pratique allant à l’encontre des principes mêmes sur lesquels cette organisation s’appuie.
30A notre avis, cette conclusion aurait été très juste, si dans la réalité la Syrie était un pays sécessionniste par rapport à l’Egypte, comme c’était le cas du Pakistan par rapport à l’Inde. Or, même si la Syrie a donné l’impression d’avoir fait sécession en 1961 en laissant le nom de République Arabe Unie à l’Egypte, aujourd’hui, il a été clairement démontré qu’il s’agissait d’une dissolution d’Etats ; la preuve la plus simple à fournir quant à cette affirmation, est que la Syrie avait sa propre identité avant même l’unification avec l’Egypte en 1958 et faisait déjà partie de l’ONU en tant que telle, ce qui n’est pas du tout le cas du Pakistan.
31En d’autres termes, la Syrie, à cause de son existence antérieure en tant qu’Etat membre distinct, se voyait accorder un traitement différent de celui du Pakistan en 1947 qui avait été tenu d’accomplir les formalités relatives à l’admission en tant que nouvel Etat. Cette solution nous paraît très logique et correspond d’ailleurs au point de vue d’un très grand nombre de gouvernements puisqu’aucun d’eux n’a contesté la procédure suivie en la matière par l’Assemblée générale de l’ONU.
32Concernant l’Union de Paris pour la protection de la propriété industrielle, la dissolution de la RAU a eu pour conséquence de faire figurer la Syrie et l’Egypte à nouveau comme membres distincts de cette organisation. De plus ces deux pays ont été considérés comme ayant adhéré à l’Union et comme étant liés par les différents arrangements à partir des dates réelles antérieures à leur unification de 195838.
33Après dissolution de l’Etat unifié, le Comité International de la Croix-Rouge, par circulaire No 436 du 31 juillet 1962, a notifié que les Sociétés du Croissant-Rouge syrien et du Croissant-Rouge de la République Arabe Unique (ancienne Egypte) étaient redevenues deux sociétés distinctes et étaient habilitées donc à prendre part, à titre séparé, aux Conférences Internationales de la Croix-Rouge39.
34Enfin, après leur dissolution l’Egypte et la Syrie ont aussi retenu une continuité de leur statut de membre séparé au sein de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique40.
35La CDI a tenu compte de cette pratique puisqu’elle a opté pour le maintien des traités à l’égard de chaque Etat successeur dans l’hypothèse où ils étaient précédemment en vigueur à l’égard de la partie du territoire devenue Etat successeur. Les règles de continuité s’appliquent sauf intention contraire des parties et sauf les cas où il y aurait incompatibilité avec l’objet et le but du traité41. La solution apportée par la CDI dans son article 33 ne nous satisfait, répétons le, qu’à moitié, car si on est parfaitement d’accord avec la continuité des traités lorsqu’il s’agit de dissolution d’Etats, on ne partage pas le point de vue de la CDI lorsque dans ce même article 33 elle prévoit également la solution de continuité pour les séparations d’Etats ou sécessions42.
36A l’intention de la Conférence, c’est donc une solution de continuité des traités qui a été proposée pour les cas de dissolutions d’Etats, que la CDI nomme « séparation d’Etats lorsque l’Etat prédécesseur cesse d’exister »43. Cette solution de la CDIa suscité une discussion largement controversée au sein de la seconde session de la Conférence en 1978. Voyons de plus près ce qui s’est passé.
2) La Conférence de Vienne et les problèmes de la dissolution des unifications d’Etats (article 33, paragraphe 1 du projet ou article 34 de la Convention)
37Au sein de la Conférence, deux tendances se sont manifestées. La première va dans le sens du projet présenté par la Commission car elle défend le principe de la continuité des traités44, tandis que la deuxième est favorable au principe de la table rase en cas de dissolution ou de séparation d’Etats.
38Les arguments en faveur de la première tendance nous semblent bien exposés par Rovine, délégué des Etats Unis,45 qui pense qu’il est juste et équitable que l’on applique la règle de la table rase aux cas des territoires non-autonomes et colonies auxquels on a imposé des relations conventionnelles, tandis que les cas visés par l’article 33, c’est-à-dire les Etats issus d’une dissolution doivent renoncer au principes de la table rase. Selon Rovine toujours, il doit y avoir une stabilité dans les relations conventionnelles et que dans les cas de séparation, il y a un droit des nations de compter sur le respect des relations conventionnelles et ce droit suppose que les autres parties ont librement accepté d’être liées par ces relations. C’est en ce sens que le principe de la continuité lui paraît logique.
39La deuxième tendance était principalement dirigée par la France et la Suisse qui avaient présenté un amendement commun46 visant à supprimer le paragraphe 1 de l’article 33 du projet, prônant la continuité des traités pour le remplacer par un principe de table rase, comme pour le cas des Etats nouvellement indépendants (article 15 du projet, 16 de la Convention). En d’autres termes, les délégués français et suisse se sont posés la question de savoir pourquoi la Commission a opté pour un régime discriminatoire, voulant d’une part que les Etats nouvellement indépendants aient plus de droit en ayant la possibilité d’opter soit pour la table rase, soit pour la continuité, et d’autre part que les Etats issus d’une dissolution d’Etats soient astreints à la continuité traités ?
40A notre avis, si généreuse soit-elle, la proposition franco-suisse ne semble pas être conforme à la pratique des Etats issus de dissolution, qui, comme on l’a vu, est orientée dans le sens de la continuité des traités. C’est pour cela que la plupart des délégations gouvernementales présentes à la Conférence de Vienne de 1978 ont voté contre l’amendement franco-suisse. Celui-ci a été rejeté par 69 voix contre 7 avec 9 abstentions47. Il en résulte que la solution de continuité des traités de l’Etat prédécesseurs à l’égard des successeurs a été maintenue dans son intégralité, telle qu’elle a été proposée par la CDI, pour ce qui est des cas de dissolutions d’Etats.
3) Conclusion
41La solution de continuité des traités à laquelle ont abouti la CDI et la Conférence pour la succession d’Etat après unification et dissolution ne représente pas une innovation. A notre avis, cette règle adoptée semble consacrer le droit existant en la matière. C’est-à-dire qu’incontestablement la CDI et la Conférence ont transcrit sous forme de droit écrit une règle coutumière qui existait déjà.
42De tous les domaines couverts par la Conférence, celui des unifications et dissolutions suscita, à quelques exceptions près, le moins d’opposition et de controverse entre les tendances tiers-mondiste, occidentale et socialiste. Ceci est certainement dû au fait qu’il existe une pratique bien assise et acceptée par tous dans ce domaine et que de plus, l’unification comme la dissolution résultent de la volonté des Etats concernés. En effet, dès que leurs intérêts convergent certains Etats s’unissent et quand ces mêmes intérêts divergent, chacun des Etats reprend son statut d’avant l’unification, sans que nécessairement cela donne lieu à des tensions graves.
43Ce que l’on peut regretter, c’est que la CDI et la Conférence aient greffé la question de la sécession à celle de la dissolution. Car si, comme on l’a dit, la dissolution dépend de la volonté des parties de l’Etat unifié, tel n’est pas le cas pour la sécession puisque ce n’est qu’une partie de la population de l’Etat prédécesseur qui décide à un moment donné de se séparer de l’Etat prédécesseur parce que ses droits fondamentaux n’ont pas été respectés. Ce processus s’accompagne presque toujours de graves tensions allant jusqu’à provoquer des conflits meurtriers. Nous répétons ici que les sécessions devraient être traités différemment, avec des règles de succession spécifiques à cette catégorie.
Notes de bas de page
1 cf. The international law association, Report of the fifty third Conference held at Buenos Aires, (August 31 st., 1968), printed in Great Britain, 1969, p. 604.
2 O’Connel, D.P., « State succession and effect upon treaties of entry in composite relation-ship », British Yearbook of International Law, 1963, pp. 117-121.
3 Gonçalves Pereira, A. La succession d’Etats en matière de traités, Pedone, Paris, 1969, p. 69 et s.
4 cf. Mochi onory, A.G., La succession d’Etats aux traités et note sur la succession entre organisations internationales, ed. Giuffré, Milano, 1968, p. 43 et s.
5 Pour le cas de sécession, cf. supra pp. 156 et s., surtout pp. 161-162.
6 le Quito, à l’époque.
7 cf. O’Connel, D.P., op. cit., p. 117-121 et Waldock, in AC DI, 1972, vol. II, p. 40, note 3.
8 cf. O’Connel, D.P., op. cit., p. 117-121 et Waldock, in ACDI, 1972, vol. ii, p. 40, §4 et 5.
9 La Grande Bretagne voulait reviser les traités conclus au sein de l’union.
10 cf. Gonçalves Pereira, A., op. cit., p. 69 ; cf. aussi ACDI, 1974, vol. ii, 1ère partie, p. 271, § 3.
11 cf. ACDI, 1974, vol. ii, 1ère partie, p. 271, § 3.
12 cf. Mervyn, J.J., « State succession in the matter of treaties », British Yearbook of International Law, 1947, pp. 368-369. Entre 1918 et 1944, l’Islande était associée au Danemark par unification d’Etats. Durant cette période l’identité de l’Islande était internationalement reconnue.
13 Répertoire suisse de droit international public. Documentation concernant la pratique de la Confédération en matière de droit international public, 1914-1939, Helbing et Lichtenhahn, Bâle, 1975, p. 1338.
14 Répertoire suisse... ibid, p. 1339.
15 Udina, M., L’estinzione dell’impero austro-ungarico nel diritto internazionale, 2ème éd. cedam., Pedone, 1933, p. 198, note 1, voir aussi les pp. 115 et s. et 194 et s.
16 cf. Udina, M., « La succession d’Etats quant aux obligations internationales autres que les dettes publiques », RCADI, 1933, vol. ii, tome 44, p. 687.
17 cf. Societe des Nations, Recueil des traités, tome IX, 1922, p. 168.
18 cf. ibid, tomeXVIII, 1923, p. 190.
19 cf. ibid, tome XLVII, 1926, p. 39.
20 cf. Marek, K., Identity/ and continuity of states in public international law, Droz, Genève, 1954, p. 232.
21 cf. Fontes juris gentium, Serie A, section 2, vol. 1. Décisions de la Cour Suprême d’Allemagne en matière de droit international public (1879-1929), C. Heymanns Verlag, Berlin, 1931, p. 119.
22 cf. O’Connell, D.P., The law of slate succession, Cambridge University Press, Cambridge, 1956, p. 35 (ci-après: O’Connell, D.P., The law of state succession).
23 cf. Traité de St. Germain, Librairie militaire Berger-Levrault, Paris, 1919, pp. 7 et s.
24 cf. Traité de Trianon in: The Treaties of peace, 1919-1923, vol. i, New York, Carnegie endowment for international peace, 1924, pp. 461 et s.
25 cf. O’Connell, D.P., The law of state succession, p. 35 et Mac Nair, D.A., The law of treaties, Clarendon press, Oxford, 1938, p. 427 ; voir aussi l’opinion de Hobza, A., « La République Tchécoslovaque et le droit international », RGD1P, 1922, pp. 393-395.
26 cf. traité de Saint Germain, op. cit., article 241, pp. 118-119, voir aussi l’article 224 du traité de Trianon in The treaties of peace, 1919-1923, vol. I, New York Carnegie endowment for international peace, 1924, p. 571.
27 cf. Traité de Saint Germain, op. cit., pp. 115-118.
28 cf. Hobza, A., op. cit., p. 194.
29 cf. Grotius - Annuaire international pour l’année 1938, Nijhoff, la Haye, 1938, p. 111.
30 cf. Ronzitti, N., La successione internazionale tra stati, Giùffre, Milano, 1970, p. 44 et note 77.
31 Societe des Nations, Recueil des traités, vol. viii, 1922, p. 377.
32 cf. Societe des Nations, Recueil des traités, vol. vii, 1922, p. 379.
33 cf. supra, p. 190 et s.
34 cf. le décret syrien no 25 du 13 juin 1963 in Whiteman, M.M., Digest of international law, vol. 2, Department of state publication, Washington, 1963, p. 987.
35 Le télégramme adressé par Kouzbari, Président syrien, à l’ONU était conçu de la manière suivante : « On doit rappeler que la République syrienne était membre originaire des Nations Unies d’après l’article 3 de la Charte et qu’elle a continué sa participation sous la forme d’une association conjointe avec l’Egypte sous le nom de République Arabe Unie. En reprenant son ancien statut d’Etat indépendant le gouvernement de la République syrienne a l’honneur de prier les Nations Unies de prendre acte de la volonté de la République arabe syrienne de reprendre sa place aux Nations Unies » (cf. Nations-Unies, Assemblée générale, (distribution générale), doc. A/4913 et S/4957 du 9 octobre 1961, New York et doc. A/4914 et S/4958 du 9 octobre 1961, New York.
36 cf. Revue des Nations Unies, No 10 du 1er novembre 1961, p. 14 ; cf. aussi Nations Unies, Traités multilatéraux pour lesquels le Secrétaire général exerce les fonctions de dépositaire, état au 31 décembre 1979 des signatures, ratifications, adhésions etc., New York, 1980, p. 3, note 4.
37 Rousseau, Ch., « Chronique des faits internationaux », RGDIP No. 2, 1962, pp. 413-7.
38 cf. ACDI, 1968, vol. ii, p. 68, § 297.
39 cf. Revue Internationale de la Croix-Rouge, 1962, p. 384 et ACDI, 1968, vol. ii, p. 49, § 211.
40 cf. les différentes déclarations des gouvernements syrien et égyptien in : Whiteman, M.M., op. cit.. p. 987 et s.
41 Voir l’article 33 du projet de la CDI in annexe II.
42 cf. supra, notre titre III sur les sécessions p. 141 et s.
43 cf. article 33 du projet de la CDI in : annexe II.
44 comme dans l’article 33, § 1 du projet de 1974. Il est toujours entendu que dans la présente section nous ne visons que les cas de dissolutions (lorsque l’Etat prédécesseur cesse d’exister) et non les sécessions (lorsque le prédécesseur continue d’exister).
45 cf. Conférence..., comptes-rendus analytiques... (doc. A/CONF. 80/16 add. 1), vol. ii, p. 62, § 39-40 et pp. 59-60, § 16-20.
46 cf. Conférence..., documents officiels, (doc. A/CONF. 80/16/add. 2), vol. iii, p. 171, g 89 et 91 (amendement A/CONF. 80/C. I//L.41/Rev.1). Voir supra, pp. 160 et note 29.
47 cf. Conférence..., comptes-rendus analytiques..., (doc. A/CONF. 80/16/add. 1), vol. ii, p. 113, § 38.
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