Introduction à « La formation extrascolaire et le développement dépendant »
p. 19-22
Note de l’auteur
Texte écrit avec la collaboration de Michel Carton et Gabrielle Haussmann
Dédicace
A la mémoire de Pierre Bungener qui nous a fait confiance
Texte intégral
1Parmi les innombrables singularités de la production théorique qu’inspire la problématique du développement, la plus curieuse est la tendance à utiliser les schémas sécularisés de la pensée théologique, ce qui conduit essentiellement à choisir un point d’arrivée clairement imaginé — le Développement, la Nouvelle Société, bref n’importe quel substitut au Royaume de Dieu —, à redéfinir le(s) péché(s) capital(aux) comme le sous-développement, les pauvres, la misère, etc.. et à prévoir un chemin du salut, soigneusement organisé en une progression d’étapes comme le chemin de croix de Saint Rostow. Ceux qui se préoccupent surtout de la formation dans le développement échappent encore moins que les autres à ce genre de tentations intellectuelles, en particulier lorsqu’ils sont d’anciens théologiens, des religieux reconvertis ou des militants des partis chrétiens.
2Dans ces conditions, notre propos est tout d’abord méthodologique. Nous nous efforcerons systématiquement de rompre avec ce genre de discours qui peut être utile, mais qui nous semble assez étranger à un siècle où il y a d’autres problèmes à régler en priorité que celui de l’existence de Dieu ou des anges. Néanmoins notre objet la formation — entendue comme l’ensemble des interventions qui cherchent à modifier un individu ou une collectivité —1est trop complexe pour qu’une seule méthode puisse nous satisfaire. Nous utiliserons donc successivement trois approches que nous souhaiterions voir converger vers une interprétation cohérente.
3Tout d’abord nous approcherons le phénomène particulier qui nous intéresse en fonction de son développement historique. Nous chercherons dans le premier chapitre à dégager les circonstances et les contextes dans lesquels un discours en faveur de la formation extrascolaire a réussi une percée universelle à travers les conférences internationales que l’UNESCO a organisées dans les deux dernières décennies et dont un des multiples avatars est la « nouvelle stratégie » que propose la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement. Cette analyse critique du discours sur le rôle de l’éducation extrascolaire dans le développement devrait nous permettre de démontrer notre thèse fondamentale : que cette percée de l’éducation extrascolaire n’est pas due au fait qu’elle mobiliserait des ressources inutilisées, qu’elle serait plus fonctionnelle, qu’elle répondrait donc aux besoins des populations intéressées, mais qu’elle est le seul recours pour continuer la même politique de scolarisation sous une autre forme. Ce n’est pas une réflexion sur les modèles de développement qui explique cet intérêt pour l’extrascolaire, mais les difficultés à sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons au sujet de l’universalisation du modèle occidental de la formation. Au lieu d’aller aux racines de la crise, dite « mondiale », de l’éducation, on s’efforce de réajuster les politiques éducatives en s’annexant un nouveau domaine de formation.
4Mais il ne suffit pas de critiquer un discours pour changer la réalité des choses. Preuve en est que malgré toutes les études, tous les pamphlets et toutes les déclarations officielles sur la « crise de l’éducation », les systèmes scolaires continuent à se développer. C’est pourquoi, dans un deuxième chapitre, nous nous efforcerons de cerner de façon systématique les formes d’interventions en fait assez disparates que l’on classe sous le terme vague de formes extrascolaires d’éducation. Nous montrerons qu’une des difficultés majeures, c’est que les techniques dont nous disposons pour faire l’inventaire de ces formes — sémantiques, statistiques, taxonomiques — n’ont pas encore été suffisamment élaborées pour rendre visible un phénomène dont on sous-estime en général l’importance. En nous basant sur notre expérience du terrain — malheureusement limitée2 — nous essayerons de proposer une nouvelle approche de cette problématique.
5A la suite de ce deuxième chapitre — assez technique, encore qu’il contienne implicitement une discussion des positions idéologiques qui justifient et charpentent les classifications et, par voie de conséquence, les inventaires proposés — nous passerons à un troisième chapitre, critique celui-ci dans le sens où un Habermas utilise ce concept (Habermas 1975). Notre propos sera alors d’articuler l’analyse des structures réelles de l’extrascolaire à l’interprétation du discours à son sujet afin de saisir le sens de ce développement dans la problématique contemporaine de la formation. Ceci devrait nous permettre de dégager les lignes d’une recherche afin que la formation serve réellement. au développement des hommes et non à leur asservissement à des formes de croissance auxquelles il ne leur reste que la sinistre liberté de s’adapter ou de disparaître.
6Bien que j’assume l’entière responsabilité de ce texte, je m’en voudrais de ne pas souligner qu’il est le résultat d’un intense travail d’élaboration collective, en particulier dans notre enseignement sur l’extrascolaire et les problèmes de la dépendance à l’Institut d’Etudes du Développement de Genève, à l’Institut international de planification de l’éducation (IIEP) de Paris et à l’Institut d’Etudes Avancées en Education de la Fondation Getúlio Vargas (IESAE) de Rio de Janeiro entre 1971 et 1975. Je voudrais en particulier remercier mes collaborateurs Mademoiselle Gabrielle Haussmann et Monsieur Michel Carton, ainsi que tous les autres participants à ces séminaires, de leur apport qui a été considérable.
Notes de bas de page
1 Afin d’éviter d’inutiles malentendus, nous utiliserons les termes de formation, d’éducation et d’enseignement de la façon suivante : la formation désigne pour nous toute intervention qui vise à modifier rapidement la conscience, les attitudes et les comportements d’une personne ou d’un groupe ; l’éducation désigne toute intervention de formation qui se moule sur les modèles diffusés en et par l’Occident ; l’enseignement désigne toute forme d’éducation qui s’inscrit dans les niveaux primaire, secondaire ou supérieur des systèmes nationaux d’éducation. L’usage spécifique que nous ferons de la notion d’extrascolarité sera expliqué dans le texte, en particulier au cours du chapitre II (cf. Figure III).
2 Ces expériences auxquelles nous avons pu prendre part comme participant ou comme évaluateur sont les suivantes :
— au Brésil : les expériences d’alphabétisation conscientisatrices du MEB et de Paulo Freire (1962-1967) (Furter 1976) ; d’éducation extrascolaire dans l’Etat de Pernambouc (1972) (Furter et Swett 1972) ;
— au Venézuéla : des expériences de planification dans les perspectives de l’éducation permanente à propos de l’ODEA (1968-1970) (Furter 1970) ; de politique culturelle (Furter 1976) et de l’INCE (Furter 1977) ;
— en Iran : le projet pilote d’alphabétisation fonctionnelle (1970) (Furter 1972) ;
— au Sénégal : des expériences d’éducation des adultes en milieu rural (1972) (Furter et Grabe 1971) ;
— au Rwanda surtout : étude d’alternatives à l’aide suisse en matière d’éducation (1972-1974) (Furter 1974 e.a.) ;
— en France enfin : participation à des évaluations de projets de formation collective en Savoie, à Grenoble et en Lorraine (1972-1974) (Furter 1971).
Auteur
Institut d’Etudes du Département, Genève ; Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève.
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