Quelques éléments de bibliographie sur l’État dans la périphérie
p. 231-237
Texte intégral
La critique de l’Etat-Nation périphérique et de ses pratiques, l’étude de l’articulation des classes et du pouvoir d’Etat dans la périphérie connaissent une vogue certaine à l’heure actuelle. Est-ce encore un engouement des sciences sociales, ou bien est-ce parce que les Etats du Tiers-Monde et leurs créations, les bourgeoisies d’Etat, sont perçus de plus en plus clairement comme l’obstacle principal au développement ?
La problématique de l’Etat a connu bien des vicissitudes. Après les affres de la modernisation, du nation-building, on a voulu minimiser l’Etat, face à une nouvelle vedette : les compagnies transnationales. L’Etat, jusque là seule forme possible d’organisation du pouvoir politique et seul agent du développement, ne comptait plus, était anéanti ou sur le point de l’être, et devait à plus ou moins long terme céder la place à un gouvernement mondial, rationnel, sous l’égide des compagnies transnationales. L’Etat, qui avait été associé au Léviathan pour aboutir à la Providence, n’existait-il plus ?
Par ailleurs, sans théorie cohérente sur l’Etat, ni la prise du pouvoir, ni la destruction des appareils de classe, hérités du colonialisme, par lesquelles passe toute rupture menant au développement, ne sont possibles.
Cette bibliographie sur la problématique de l’Etat dans la périphérie est loin d’être exhaustive, et ce n’était d’ailleurs pas là son but. Elle ne comprend qu’un nombre limité de titres récents, choisis en fonction de l’intérêt qu’ils présentent.
Alavi, H. « The State in Post Colonial Societies », New Left Review, no 74/ 1972.
L’origine métropolitaine (exclusive) de l’Etat colonial et le « surdéveloppement » de l’Etat et de ses appareils par rapport à la structure coloniale. La « centralité » de l’Etat post-colonial et de sa bureaucratie. L’Etat est assimilé à une « oligarchie militaro-bureau-cratique », disposant d’une autonomie relative (Bangladesh et Pakistan).
Anderson, P. « The Antinomies of Antonio Gramsci », New Left Review, no 100/1976-77.
Une analyse fouillée des concepts gramsciens quant à l’Etat et des fondements de leurs versions successives. Si les contradictions sont mises en évidence, l’auteur en recherche les causes dans la pratique politique de Gramsci.
Van Benthem van der Bergh, G. « The Interconnection between Processes of State and Class Formation: Problems of Conceptualisation », I.S.S. (Institute of Social Studies Occasional Papers no 52, August 1975, The Hague).
La dialectique intégration / construction de l’Etat et différenciation / formation des classes sociales.
Cardoso, F.H. « Estado e sociedade no Brazil », chap. 5. - « A questâo do Estado no Brazil », cap. 6, in Autoritarismo e democratizaçâo, Paz e Terra, Caleçâo Estudios Brazileiros, Rio, 1975.
Mettant l’accent sur les mécanismes super-structurels et se référant à A. Gramsci, l’auteur étudie les initiatives étatiques dans le domaine de l’économie, la nature du régime militaire brésilien ainsi que l’articulation des forces sociales et politiques qui constituent la base de cet Etat « bureaucratico-autoritaire ».
Chandra, B. Le colonialisme, la domination de la métropole et l’Etat colonial : révision de la théorie européenne, ronéo, présenté à la Réunion d’Experts sur la structure sociale, le mouvement révolutionnaire et la culture en Afrique australe, Maputo, Mozambique, 19-22 juillet 1976.
Les spécificités historiques de 1’« Etat colonial » par rapport à « l’Etat capitaliste ».
« L’Etat colonial est un corps étranger qui fait partie intégrante du fonctionnement et de la structure de l’économie coloniale et y intervient ».
Davis, R. - Kaplan, D. - Morris, M. - O’Meara, D. « Class Struggle and the Periodisation of the State in South Africa », Review of African Political Economy, no 7/1976.
Une étude (avec les concepts de N. Poulantzas) des changements dans la forme de l’Etat et du régime sud-africains : les conflits et alliances entre classes et « fractions » de classe au sein du « bloc au pouvoir », l’opposition entre capital « étranger » et « national » pour le contrôle hégémonique de l’Etat.
Guilhon-Albuquerque J.A. « Notes sur le système du sous-développement, le rôle de l’Etat et le concept de classes moyennes modernes », L’Homme et la Société, no 24-25/1972.
Typologie des colonisations et des appareils d’Etat en Amérique latine et formation de couches moyennes urbaines. Critique du concept de « classes moyennes ».
Hermassi, E. Etat et société au Maghreb, Ed. Anthropos, Paris, 1975.
Une critique de la modernisation mais aussi une tentative de fonder une « théorie réaliste » du développement national, par une analyse des « réactions des élites aux problèmes sociaux ».
Lefevbre, H. De l’Etat, UGE, 10/18, Paris 1976 (3 volumes parus).
Que dire ? Lisez-le.
Leys, C. « The “Overdevelopped” Post Colonial State: a Reevaluation », Review of African Political Economy, no 5/1976.
Un critique des thèses de H. Alavi (« surdéveloppement » de l’Etat post-colonial, « oligarchie militaro-bureaucratique ») et de J.S. Saul sur la Tanzanie.
Une interrogation sur la nature de la bureaucratie d’Etat (qui ne peut être une bourgeoisie bureaucratique dans la mesure où la classe dominante continue à être la bourgeoisie étrangère, métropolitaine) et sur les intérêts de classe servis par l’Etat (Tanzanie).
Marshall, J. « The State of Ambivalence: Right and Left Options in Ghana », Review of Africa Political Economy, no 5/1976.
Sur les rapports conflictuels et complémentaires des intérêts du capitalisme international et des fractions de la petite-bourgeoisie. Intéressant case-study des orientations politiques du régime ghanéeen.
Miliband, R. Marx and the State, The Socialist Register, 1965.
Le caractère anti-autoritaire et anti-bureaucratique de l’œuvre de Marx sur l’Etat, de la « Critique de la Philosphie hégélienne du Droit » à la « Critique du Programme de Gotha ».
Olivier, J.P.
« Afrique : qui exploite qui ? », les Temps Modernes, no 346, mai 1975 et 347, juin 1975.
Dans le cadre d’une critique des thèses de S. Amin :
sur la nature de l’appareil d’Etat : « dans la plupart des cas, l’appareil d’Etat colonial n’a pas été brisé, ni même tant soit peu modifié. Il a été “africanisé” » ;
sur la bougeoisie d’Etat : « ... le remplacement des titulaires de ce pouvoir modifie les alliances de classes. D’alliés éventuels lors de la période coloniale..., la petite bourgeoisie administrative et les notables locaux devenus bourgeoisie d’Etat, se transforment en ennemis de classe » ;
sur la nation : « Produit artificiel de la colonisation (elle) ne recouvre que le despotisme et l’arbitraire de la classe dirigeante » et « se confond avec l’appareil d’Etat ».
Petras, J.F. « Sociologie du développement ou sociologie de l’exploitation ? », Tiers-Monde, XVII, no 67, juillet-octobre 1976.
L’Etat en Amérique latine, vu comme « unité décisive dans le processus de reconversion des alliances sociales en stratégies de développement ». La nature sociale et politique de l’Etat périphérique est appréhendée « à travers ses relations à l’Etat impérialiste », sous les deux dimensions de la construction et de la destruction :
dans le cadre néo-colonial, construction de l’Etat ;
dans le cadre de régimes nationaux populaires ou nationaux développementalistes, désintégration de l’Etat.
« La formation et la désintégration de l’Etat sont alors deux processus importants pour imposer les rapports de classes basés sur l’exploitation situés dans l’expansion économique impérialiste ».
Saul, J.S. « The Unsteady State: Uganda, Obote and General Amin », Review of African Political Economic, no 5/1976.
Intéressante étude d’un pays trop connu, mais peu et mal étudié :
« Voici l’Etat branlant, par excellence — une formation sociale dépendante d’où n’a pas surgi une révolution, mais qui néanmoins n’a pu produire un Etat capable de garantir l’environnement stable indispensable à la continuité de l’exploitation impérialiste ».
Saul, J.S. The State in Post-colonial Societies; Tanzania, The Socialist Re-gister, 1974.
Reprend, tout en les critiquant, les thèses de H. Alavi. L’auteur tente de caractériser le régime tanzanien à partir d’une discussion sur le rôle et la nature de la bureaucratie d’Etat (qui constitue potentiellement une classe, au caractère essentiellement « plastique »).
Terray, E. « L’idée de nation et les transformations du capitalisme », Temps Modernes, no 24-25-26, Août-Septembre 1973.
Partant du débat sur l’émancipation des minorités nationales, l’auteur tente une définition critique de la nation (à partir de la « nature des luttes où se forme le conscience nationale »). Il envisage aussi les conséquences sociales d’une situation historique où la constitution de pôles autonomes de développement capitalistes s’avère impossible. (Exemples : Côte d’Ivoire et Bretagne).
Touraine, A. « Les classes sociales dans une société dépendante. La société latino-américaine », Tiers-Monde, XVI, no 62, avril-juin 1975.
« Les principaux personnages de l’histoire latino-américaine récente ne semblent pas être la bourgeoisie et le prolétariat non plus que les propriétaires terriens et les paysans dépendants, mais plutôt le capital étranger et l’Etat ». « Les classes ne se constituent comme agents sociaux réels qu’à travers leur relation à l’Etat... Selon l’action de l’Etat les classes prennent une forme ou une autre. Elles ne pré-existent pas comme agent politique à l’intervention de l’Etat : elles sont déterminées par lui ». « Tout passe par l’Etat ».
Turner, T. « Multinational Corporations and the Instability of the Nigerian State », Review of African Political Economy, no 5/1976.
Une analyse intéressante du rôle de l’Etat et des tensions au sein du régime militaire, sous l’angle des rapports entre compagnies transnationales, hommes d’affaires locaux, technocrates et « compradores étatiques ».
Auteur
Institut universitaire d’études du développement.
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