Réflexions pour une lecture de la domination à partir des objets
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Note de l’auteur
Communication présentée lors du colloque sur l’impérialisme culturel organisé par la Fondation Lelio Basso à Alger du 11 au 15 octobre 1977, et publiée in Encrages, no 1, Université de Paris VIII - Vincennes, mars 1979.
Texte intégral
1La domination par les objets s’exerce de façon caricaturale dans les sociétés industrialisées. C’est là que se déploie sans entrave « la mystique du frigidaire » (Goldman). Immobilisés par les objets qui se donnent en spectacle, nous remplissons bon gré mal gré le rôle passif de consommateurs de biens et de récepteurs d’information ; aussi les considérations de Marx liant directement la dépréciation du monde des hommes à la mise en valeur du monde des choses acquièrent-elles une résonnance particulièrement pertinente.
2L’aliénation de l’homme dans son rôle de producteur est complétée par son aliénation dans le rapport qu’il entretient avec les objets. Dans le champ de cette orgie de fabrications matérielles qui caractérise le « développement » occidental, quel sens donner au terme d’impérialisme culturel ? Pris dans son acception large, l’impérialisme culturel consiste, entre autres, à extrapoler aux pays extra-occidentaux la colonisation interne — que nous connaissons déjà — de l’homme par les objets. Cependant, « coïncidence » heureuse pour les pays du centre, les gouvernements des pays du Tiers-Monde recherchent, exigent même, cet impérialisme culturel que, par une pirouette sémantique, ils appellent droit au développement. Cette revendication se situe dans la droite ligne de la logique capitaliste à l’échelle mondiale tant il est évident que l’Occident est tributaire des besoins de développement à l’occidentale exprimés par les gouvernements de la périphérie. Bien sûr, pour le moment, le pouvoir d’absorption des objets provenant du monde industrialisé est encore faible. Il s’agit donc de préparer — économiquement et psychologiquement — les peuples à vouloir ces produits, ces modes de production et de consommation, ces modèles d’existence calqués sur l’ombre projetée de la société occidentale. L’inoculation du virus du développement se fait d’autant plus aisément que les objets porteurs du virus riches sont en significations. L’objet exporte avec lui un réseau de significations qui assurera sa bonne insertion et l’introduction ultérieure d’autres objets porteurs d’une même logique. L’objet exporté devient signe de développement, de modernité, de civilisation et peu importe, à la limite, son emploi du temps réel, le plus important étant qu’il soit là physiquement pour transmettre le message suivant : « nous sommes en passe de devenir comme, autant, aussi bien que... ».
3Dans le cadre de ces quelques réflexions qui se veulent ouvertures sur un champ relativement nouveau plutôt que réponses à des questions tracées d’avance, nous essaierons de nous en tenir au niveau d’analyse de la réalité que compose la population des objets à l’échelon micro-social. Dès lors, ceci suppose que l’on ne répugne pas à se pencher sur la quotidienneté, sur l’évident, sur le banal. La quotidienneté vécue comme ce qui réapparaît immanquablement jour après jour, donc non susceptible d’être remise en question ; l’évident incarné par les normes, les comportements, les relations, les objets intégrés sur le mode du naturel et de l’universel, donc forcément acceptables et acceptés ; la banalité, ce dont il est de bon ton de rester éloigné. Et pourtant, la plupart des objets relèvent par excellence de ces trois domaines du quotidien, de l’évidence et du banal. Leur analyse risque fort, par conséquent, d’être entachée de deux au moins de ces « tares » : celle de l’évidence et celle de la banalité. Force nous est bien d’en assumer le risque si cela pouvait nous permettre de dévoiler un tant soit peu le réseau d’évidences sur lequel se profile l’enjeu de la domination.
4L’on constate immédiatement que celle-ci est d’autant plus efficace que les relations qu’elle engendre apparaissent comme universelles, permanentes et générales. Les relations de domination, asymétriques par nature, volontaires ou non, formelles ou informelles, s’établissant entre au moins deux unités, prennent souvent pour point d’appui des objets et les rapports entretenus face à ces objets.
5C’est dans le cadre de cette problématique que nous voudrions montrer comment des objets apparemment les plus simples et inoffensifs jusqu’aux objets les plus sophistiqués, tous sont susceptibles de prendre une part active au maintien et à la création de relations de domination et de dépendance.
6Chacun de nous étant à sa manière un mini-dominateur et un méga-dominé, il nous paraît indispensable de prendre conscience de cette double expérience quotidienne, parallèlement à l’analyse in abstracto de ce même phénomène.
L’objet est une relation
7Choisir l’objet comme révélation de domination et d’aliénation ne signifie pas considérer l’objet en-soi. Isolé de son contexte socio-historique, l’objet n’existe pas ou alors demeure en tant que simple contexture matérielle, vide de tout message proprement social. Or l’objet qui retient notre attention ici est l’objet envisagé comme lieu de passage, de communication, comme moyen de production (quelle qu’en soit la propriété), comme pilier matériel des sociétés, mais aussi comme élément immatériel puisqu’il est cause, prétexte, conséquence de relations de pouvoir, de rencontre, d’échange symbolique. L’objet n’est qu’un trait d’union substantifié prenant son sens dans ce qu’il relie ou ce qu’il rompt. Marx a pu dire que le capital était une relation ; nous pensons qu’il en est de même pour l’objet. Le même objet peut être parfaitement inoffensif dans un contexte donné, mortel dans un autre. Or, précisément, dans les sociétés industrialisées, les producteurs se placent dans l’hypothèse où chaque objet pris isolément engendre des conséquences identiques, quelle que soit la situation d’origine inscrite dans sa chair matérielle et quel que soit son contexte d’accueil. Ainsi, sa fonction universelle se trouverait dictée par l’objet lui-même. C’est la proposition inverse que nous voulons avancer ici : lorsque les rapports de forces le permettent, la culture sécrète l’objet en fonction de ses impératifs à elle. S’il s’agit d’une société éclatée sous la pression de l’acculturation et de l’impérialisme, l’objet exogène semblera exercer la même fonction que celle prévue par le producteur, et pourtant cette « évidence » relève d’une impression superficielle.
8En réalité, il peut y avoir ré-interprétation de l’objet par la culture agressée, ré-interprétation qui débouchera sur une fonction nouvelle, mieux adaptée aux objectifs qu’elle s’est fixés, ou pure et simple soumission à la fonction exportée avec l’objet, avec pour conséquence une aliénation, une perte de soi en tant qu’être culturel. Enfin, il y a des cas où l’objet et sa fonction « officielle » sont refusés en bloc. Ce sont les rares cas de résistance à l’objet conflictuel.
La nouvelle finalité du pouvoir.
9Ces remarques nous amènent à apporter quelques précisions quant aux sociétés considérées ici : grosso modo, il s’agit de celles que l’on trouve regroupées dans deux grandes entités artificielles et trompeuses mais utiles et inévitables (?) pour la discussion, à savoir le Tiers-Monde et l’Occident.
10Elles recouvrent, bien que très imparfaitement, les sociétés non-industrialisées ou en voie d’industrialisation et les sociétés industrialisées. Les relations de macro-domination entre ces deux « blocs » se concentrent de plus en plus dans le cadre d’un projet de développement mondial conforme aux objets des sociétés industrialisées. Ce projet trouve sa base dans le paradoxe suivant : d’une part, selon l’optique occidentale (URSS comprise) de caractère évolutionniste, les pays non-industrialisés doivent s’engager dans la voie du progrès économique réalisable grâce à l’industrialisation ; mais d’autre part ce développement doit s’effectuer dans l’unique mesure où il crée et favorise le sur-développement des pays déjà pleinement industrialisés. Il ne saurait être question qu’il menace leur propre croissance basée sur l’achat à bas prix de matières premières et sur l’accès à de nouveaux débouchés pour les produits occidentaux. Les sociétés industrielles demandent donc aux sociétés du Tiers Monde de croire au développement et de les suivre sur cette voie tracée par leur exemple mais non de les rattraper. Du côté des pays non-industrialisés, offrir des débouchés signifie consommer les produits occidentaux afin de gonfler perpétuellement la demande alimentant la croissance économique des pays développés.
11Ces produits sont élaborés dans le cadre d’une logique étrangère (en tous cas ou début de la pénétration à celle de la culture d’accueil. Afin que les pays du Tiers-Monde jouent convenablement leur rôle d’éponge absorbant les produits industrialisés quels qu’ils soient, les attitudes et les comportements des consommateurs potentiels « doivent évoluer ».
12Chaque fois que l’altérité d’une culture devient obstacle au rôle qui lui est assigné par l’ordre économique mondial, tout sera mis en œuvre pour qu’elle devienne conforme au prototype d’une société de consommation. On a déjà pu observer ce processus quand la classe capitaliste (d’Etat ou non) s’est employée à inculquer les notions de travail, de temps, de rentabilité, d’efficacité, de profit, conformes à ses objectifs de domination basés sur ceux de production. Mais cette fois-ci, ce sont de habitudes de consommation qu’il s’agit d’entretenir (en Occident) ou de susciter de toutes pièces (ailleurs). L’émergence de besoins sans cesse renouvelés est ainsi devenue la finalité principale d’un nouvel impérialisme infiniment plus raffiné que ceux que l’ont précédé, puisque le type de domination « proposée » dans ce cas s’exerce sous les douces apparences du progrès, de la technique et du développement.
13La domination par l’objet est susceptible de perturber jusqu’aux sphères les plus intimes et les plus quotidiennes de la fibre sociale, provoquant ainsi des ethnocides dont un des « avantages » est qu’ils sont moins « visibles » que les génocides. Un fil tendu entre deux perches, auquel sont suspendus des couteaux, des casseroles, des soutiens-gorge et des pantalons, achèvera l’œuvre de pacification entreprise en vue de neutraliser les groupes d’Indiens opposés à la traversée de leur territoire par la Transamazonienne. Cette entreprise reçoit maintenant le nom de « front de pacification », réservé jusqu’alors à la liquidation physique des populations d’Amazonie. Que se passe-t-il ? Les Indiens, littéralement appâtés par les objets se laissent séduire et les emportent. Quand le contact aura été établi, on les aidera à mettre convenablement leurs shorts ou leur chemise, puis on leur fera comprendre qu’il ne s’agit plus de cadeaux : seul l’argent pourra leur en procurer de nouveaux. La suite n’est que trop facile à deviner... L’accoutumance, la dépendance, le salariat, la prolétarisation, les bidonvilles, l’alcoolisme, la déchéance...
14Cet exemple pourra sembler outré ou exceptionnel. Il n’en est rien, à preuve les fronts de pacification qui se déploient à l’échelle mondiale et jusque dans les villages les plus reculés. Il est vrai qu’ils sont souvent déguisés en projets de développement et de coopération technique mais tous ont pour conséquence, quand ce n’est pas pour objectif, de soumettre un nombre croissant de populations à un nombre croissant de besoins. Les grandes surfaces, les grands magasins, les boutiques des sociétés industrielles, constituent des fronts de pacification particulièrement efficaces et il est peu de sociétés qui peu à peu ne tombent sous leur coupe. Les membres d’une société industrielle avancée sont ainsi pacifiés par le système grâce à un type de front permettant l’assouvissement de désirs dont la sophistication n’est pas supérieure à celle de l’Indien d’Amazonie s’emparant d’une paire de pantalons. En nombre croissant, les personnes demandent le droit à être ainsi pacifiées et domestiquées par la marchandise qui entretient une perpétuelle illusion : mieux-avoir pour mieux-être, débouchant sur un avoir-plus rarement sur un plus-être.
Le rapport avec l’objet en Occident : quelques principes
15Parmi les principes régissant les rapports avec les objets dans les sociétés industrielles avancées, figure d’abord celui d’accumulation. Posséder plusieurs exemplaires du même objet n’est plus une aberration mais une « nécessité ». Les fonctions de base sont démultipliées à l’infini et à chaque fragmentation correspond un objet spécifique de plus en plus spécialisé. En conséquence, l’accomplissement d’une seule fonction, celle de contenir par exemple, exigera la présence d’une multitude d’objets qui, eux-mêmes, demanderont à être contenus, cachés, emballés, voilés, protégés, camouflés par d’autres types de récipients ayant leur propre fonction infinitésimale. Les produits propulsés par la publicité et le marketing ne se différencient bien souvent qu’au niveau du détail (couleur, ornementation, emballage, etc.). Dans les cas extrêmes, seule la publicité établit une différenciation entre eux : c’est l’exemple célèbre des poudres à lessive Omo et Persil et des produits de nettoyage en général. De toute façon, « pour beaucoup, la publicité est le seul mode d’appréhension et d’appropriation de l’objet »1.
16Le principe de rotation accélérée des objets se manifeste par l’apparition incessante sur le marché de nouveautés au cycle de vie de plus en plus court soit parce que l’objet est conçu comme étant « prêt-à-jeter », soit parce que la mort matérielle de l’objet est inscrite dans sa constitution même, ou prévue à brève échéance par elle, soit enfin que le rythme accéléré de la mode lui inflige une mort « spirituelle » prématurée2.
17Le principe de signification est incarné par l’unidimensionnalité de l’objet au niveau de sa signification qui se réduit à l’expression d’une différence. Les objets se différencient les uns des autres dans le cadre d’un vaste projet de hiérarchisation de classe qui a pour fonction de distinguer les propriétaires les uns par rapport aux autres dans une optique de surenchère perpétuelle à travers l’objet3. Les éléments susceptibles d’être utilisés en vue de signifier une différence vont des couleurs aux formes, des matériaux aux marques, de la coupe de grande classe à la désinvolture programmée. Tout et n’importe quoi, pour peu qu’il soit soumis à la logique de cette signification unidimensionnelle, peut se constituer en matériel de différences avec lequel le producteur se livrera à un jeu dont l’unique but est de mieux vendre.
18Il y a probablement d’autres principes à examiner. Nous en citerons encore un : celui du perfectionnement continu qui consiste, dans certains cas, à améliorer effectivement l’accomplissement, par l’objet, d’une fonction particulière. Dans beaucoup d’autres cas cependant, il ne s’agit nullement d’un perfectionnement technique mais tactique, se situant au niveau du signe et entravant, parfois paradoxalement, la fonction première de l’objet : les habits « habillés » qui déshabillent, la forme aérodynamique infligée à la voiture américaine des années 60 et qui en freinent la vitesse, etc... On a pu tirer fierté du fait que la fourchette est un objet qui s’est graduellement perfectionné au cours des siècles, tandis qu’un auteur chinois célèbre la perfection instantanée et définitive de la baguette qui traverse immuablement les millénaires.
19Toutes les astuces du système de production sont déployées en vue de faire croire à l’adéquation entre changement de ou dans l’objet et le progrès en soi.
Et ailleurs ?
20Si ce type de principes gouverne les relations entre individus et objets en Occident, il se pose dès lors trois questions : quelles sont les relations d’un autre type qui peuvent s’instaurer entre objets et individus ? Quelles influences les relations que les hommes entretiennent avec les objets ont-elles sur les relations sociales ? Quelles sont les conséquences d’une exportation de ces principes dans une société qui les ignore ?
21Nous donnerons des bribes de réponse à ces trois interrogations en prenant pour illustration l’exemple des Aché, peuple d’Amérique indienne dont traite P. Clastres dans son livre La société contre l’Etat4. Deux objets dominent la vie du groupe : l’arc et le panier. Ils ne sont au départ rien d’autre en eux-mêmes qu’une tige de bois et un nerf d’animal dans un cas, des tiges tressées dans l’autre. En effet, ils ne prennent réellement corps qu’au moment où, porteurs de significations, ils vont décider de l’existence et de l’identité du groupe. Aux hommes incombe la recherche de la nourriture (l’arc), aux femmes le rôle de porteuses (le panier) lors des déplacements fréquents de ces nomades. Ces deux objets déterminent d’une part le groupe producteur et sa sphère, la forêt, et, partant, un mode d’existence spécifique (l’affût, le danger, la relation au gibier, à la nature) et de l’autre, le groupe consommateur et sa sphère, le camp et le trajet au cours duquel les femmes plient sous le poids des biens familiaux qu’elles transportent.
22Ces deux modes d’existence, reposant sur une division sexuelle stricte des tâches, sont vécus par les Aché comme étant en opposition absolue. Les hommes chassent, les femmes portent : l’arc et le panier, assumant ces deux fonctions, sont tabous pour le sexe opposé. L’arc et le panier constituent encore « l’école » des enfants Aché : c’est par la construction et l’usage d’un arc et d’un panier miniatures que peu à peu l’enfant Aché accèdera au monde des adultes et à la charge définie par son objet. Sans avoir à élaborer à propos de cet exemple, on peut imaginer l’importance vitale de ce réseau de liens existentiels entre l’arc et le panier et les membres du groupe et, par conséquent, le type spécifique de relations qui se tissent entre ces derniers. Il ressort à l’évidence que ce monde invisible mais d’une grande intensité qui relie les Aché à ces objets et entre eux, ne saurait être impunément pénétré par des objets exogènes sans que la charte de leur société ne soit gravement atteinte.
23Se pencher sur un arc et un panier plutôt que sur la torture au Brésil est une option discutable. Elle se fonde sur la constatation que parallèlement et simultanément au déploiement de la violence physique pure, s’étend la violence institutionnalisée de la marchandise. Nous autres, Occidentaux, l’avons si bien intériorisée comme principe irréversible, inéluctable et évident, que l’exemple de sociétés primitives (usage délibéré du terme) peut nous paraître comme dépassé et que vouloir s’y référer c’est céder à une vision passéiste des choses. Mais dépassé au nom de quoi, si ce n’est d’une adhésion à la philosophie de l’évolutionnisme social ou à une croyance de type magique dans les bienfaits du progrès ?
24Chaque fois qu’une puissance impérialiste peut faire l’économie de la domination violente, au sens classique du terme, elle choisira d’autres formes de violence pour parvenir au même but. L’invasion d’objets étrangers n’est que l’envers de la médaille du pillage pur et simple.
25Qu’y a-t-il de plus aliénant pour un peuple : se voir dépouillé de ses richesses matérielles ou se voir transformé en une masse de consommateurs manipulés ? Il est difficile d’analyser en profondeur les conséquences d’une invasion d’objets exogènes dans les pays non-industrialisés. En premier lieu parce que nous en sommes encore au stade de l’organisation stratégique et tactique de l’assaut des marchés au niveau de l’ensemble des populations alors qu’au niveau des « élites », de nombreuses batailles ont déjà été remportées. En second lieu parce que les débouchés sont très restreints dans les classes dominées et les producteurs capitalistes buttent ici sur une des contradictions majeures de l’impérialisme dont il dépend.
Le biberon, arme de mort
26Un objet, cependant, répondant aux critères de quotidienneté et d’inoffensivité apparente, le biberon, nous servira d’exemple de ce qui risque de se passer sur une échelle infiniment plus grande à l’occasion du lancement, dans les sociétés du Tiers-Monde, d’objets que l’on dit « neutres ». En 1974, Nestlé intente un procès en diffamation contre un groupe suisse, le groupe de travail Tiers-Monde, pour avoir publié en allemand une brochure (traduite de l’anglais) sous le titre Nestlé tue des bébés. Au début, Nestlé dépose plusieurs plaintes : une à propos du titre ; une contestant le fait que Nestlé, par ses activités publicitaires, défiait l’éthique et la morale ; une refusant l’accusation selon laquelle il y avait utilisation abusive d’infirmières pour la promotion de la vente des produits Nestlé. Ces plaintes furent retirées par Nestlé à l’exception de celle concernant le titre de la brochure, ce qui constituait déjà un aveu de taille de la part de la multinationale suisse.
27Selon les termes mêmes de l’administrateur délégué de Nestlé, le « biberon a été visé » alors qu’il était de toute évidence un « produit civilisé ». Poursuivant dans l’esprit de la métaphore des « fronts de pacification », nous dirons que la situation sur le terrain est à envisager en termes de lutte. L’épine dorsale de la stratégie de pénétration est la création de besoins, la tactique étant laissée, entre autres, aux soins de la publicité. Dans le cas d’objets en confrontation mais répondant au même besoin, la « création » consiste à aménager la satisfaction de ce besoin de façon à ce que le nouvel objet l’emporte sur l’ancien et l’évacue. Ceci, quelles qu’en soient les conséquences sur les plans de la communication inter-individuelle ou sociale, de l’esthétique, de la dépendance du pays par rapport à l’extérieur, de la non-disponibilité d’une part plus importante du revenu affectée à l’achat de l’objet exogène.
28Dans le cas du biberon, la fonction allaitement pré-existait à l’apparition du lait en poudre, et elle s’effectuait en l’absence d’objet particulier. Il s’agit ici d’une situation de lutte non pas entre deux objets mais entre une présence (le biberon) et une absence (allaitement sans biberon), une situation de non-besoin au niveau primaire, qu’il s’agit d’abolir en y substituant des besoins du second degré. Cette opération s’appuie sur une exportation massive de significations qui, avec l’aide active de l’objet, ouvriront les portes à de nouveaux besoins. L’analyse du contenu de ces significations constitue un des meilleurs révélateurs des batteries de l’impérialisme contemporain.
29En l’absence de ces significations, l’objet-biberon n’aurait pu s’imposer sur une scène culturelle dans laquelle il ne véhicule aucun sens. Sa signification doit donc être livrée avec lui et être constamment réactivée par sa présence et par son usage par la classe dominante, qui reste la meilleure publicité que l’on puisse offrir à un objet.
30Nestlé a pu dire qu’il existait un besoin urgent pour ses produits, que ce n’était pas son rôle d’apprendre à lire aux femmes si elles ne pouvaient pas comprendre la notice explicative et que ses brochures étaient suffisamment claires même pour des analphabètes.
31Ici, nous atteignons le micro-social, le quotidien, le « détail » et nous nous demandons pourquoi alors cette utilisation erronée et souvent fatale du biberon ? Quelles sont les exigences entraînées par la seule présence du biberon ? Tout d’abord, il doit être stérilisé : ceci exige du combustible, beaucoup de combustible, si, comme c’est la plupart du temps le cas, le réfrigérateur n’existe pas et qu’il faut préparer les biberons un à un.
32Laver est devenu souvent synonyme d’utilisation d’un détergent, d’où dépense supplémentaire. Au niveau du savoir, les illustrations bien faites ne suffisent pas et les femmes analphabètes se contenteront par exemple de ne stériliser le biberon qu’une fois — au début — croyant bien faire, car le dessin ne suggère pas la notion de répétitivité, plus claire dans l’explication écrite. Ainsi, très souvent, il existe une profonde inadéquation entre les conditions nécessaires d’hygiène, de savoir, et les conditions réelles d’existence dans les zones rurales et périurbaines.
33Grosso modo, ce dont auraient besoin les mères pour que l’utilisation du biberon soit correcte c’est une cuisine de type occidental avec cuisinière, réfrigérateur, eau potable, détergent, récipients divers et de temps. C’est du moins ce qui est suggéré dans la publicité ou dans les explications concernant la préparation du biberon. Ainsi se constitue le réseau de significations exportées avec le biberon. Les femmes, en l’achetant, obtiennent en prime de quoi se constituer une base d’aspirations matérielles sur le mode de la bourgeoisie des sociétés industrielles. Or, sachant que ce mode de vie de consommation n’est pas à leur portée économique, dans l’immédiat en tous les cas, elles se rabattent sur le biberon qui, lui, semble l’être5 Il devient signe d’une accession partielle, sur le registre de l’imaginaire, au monde moderne occidental qui prétend seul pouvoir offrir le meilleur à ses enfants. Le biberon « reste visé », non en tant que tel mais en tant que lieu d’où partent et où convergent les éléments qui créeront l’objet-biberon comme arme de mort. Le biberon est présenté par la publicité comme symbole de l’alimentation moderne. Il devient arme lorsque, mal utilisé, c’est-à-dire rempli surtout d’eau et peu entretenu sur le plan de l’hygiène, il transporte alors un nombre décuplé de germes et d’infections qui affecteront d’autant plus le bébé déjà affaibli par le phénomène de « l’eau teintée », considérée comme du lait à part entière.
34L’énergie déployée par l’enfant suçant le sein et qui, maintenant, tire sur une tétine en caoutchouc est détournée. Le biberon vole la famille d’une part importante du revenu qui sera affectée au lait en poudre alors qu’on aurait pu, dans la grande majorité des cas, l’éviter. Il vole l’enfant des anti-corps du lait maternel, inimitables et précieux. Il vole le pays lorsque celui-ci doit importer le produit au prix d’une énorme sortie de devises. Le biberon, objet-voleur, est également devenu objet-magique : le dosage de la poudre perd de son importance et seule compte la présence de l’objet qui en soi est perçu comme bénéfique. Les mères ne font souvent pas lien entre l’objet et la mort de leur enfant, si l’on en juge par la présence de nombreux biberons et de boîtes Nestlé sur les tertres des victimes.
35En tant qu’objet-signe, le biberon se fait canal, mettant en relation la société avec les produits, le langage et les valeurs d’une multinationale. Voici les significations véhiculées par le biberon : Nestlé veut le bien du bébé/ nourrir au biberon c’est être moderne, scientifique, hygiénique/ occidental, donc prestigieux/ le biberon est utilisé par les gens riches, donc il est souhaitable/ les femmes évoluées l’utilisent/ le biberon rend les bébés forts, sains, gros, gais, intelligents (cf. la publicité de Nestlé)/ une mère qui aime son enfant achète Lactogène.
36Pour être « sûr » le biberon exige par ailleurs la présence d’autres objets afin de pallier les conditions réelles ou de réaliser les aspirations qu’il a engendrées, par exemple tout un appareillage médical dans les cas où l’enfant anémié échoue à l’hôpital.
37Finalement, le biberon agit aussi comme écran : entre la mère et son enfant, entre la mère et son propre corps (le tabou sexuel frappant la femme qui allaite et qui retardait l’ovulation pendant une période pouvant aller jusqu’à 18 mois, n’est plus respecté). Ce sont ces différentes fonctions (de mort, de vol, de magie, de parasite, de signe, d’écran) qui définissent l’objet-biberon dans une situation socio-historique donnée et non pas la fonction utilitaire première, décrite « officiellement ». C’est en observant l’objet inséré dans son contexte d’utilisation que l’on est en mesure de décoder ses fonctions secondes qui décrivent l’objet total.
Les besoins fondamentaux, panacée idéologique
38Ce type d’analyse condamnant le développement de produits industrialisés assortis de leur réseau de significations fera probablement bondir certains. En effet, il existe des besoins fondamentaux, primaires, en regard desquels il serait indécent de tenir des propos ayant pour effet de les sous-estimer. Reprenons, afin de clarifier notre position, l’exemple de l’objet-biberon. Nous ne nions évidemment pas le fait que les enfants doivent être nourris convenablement et qu’il s’agit ici d’un besoin fondamental, mais nous contestons l’accent mis sur un produit non fondamental, exogène, suscitant de multiples effets d’entraînement assortis de dépendances accrues vis-à-vis de l’extérieur et qui devient dangereux quand il n’est pas accompagné des conditions nécessaires à son usage correct. Dans ce cas particulier, l’urgence est d’assurer en priorité la nourriture des mères et de créer des industries de produits de sevrage locaux (une étude devrait être entreprise sur les obstacles auxquels se heurtent les pays qui tentent cette entreprise...).
39Quant à la définition des besoins fondamentaux, il devrait être clair que ce n’est pas à nous, Occidentaux, lourdement déterminés par une idéologie des besoins, dictée par la logique du système capitaliste (d’Etat ou non), à nous mettre en tête d’en élaborer le contenu. Nous avons cru, peut-être avec les organisations internationales, qu’ils étaient, « évidemment » au nombre de six (santé, alimentation, éducation, habitat, vêtement, emploi) mais nous savons que dans le monde industrialisé, chacun de ces « besoins » est recouvert de plusieurs couches d’industries, de multinationales, d’institutions étatiques et internationales qui les écartèlent démesurément, les font éclater en multitudes de « demandes » auxquelles les réseaux de production vont pieusement répondre pour le bien de chacun. Il s’agit avant tout, non pas de nier l’existence de besoins fondamentaux (qui seront parfois autres et se présenteront dans un ordre hiérarchique aberrant pour un Occidental ou pour une classe dominante occidentalisée), mais de dévoiler l’idéologie sous-jacente à l’adéquation forcée entre besoins et produits préexistants ou plutôt existants comme par hasard en Occident. D’autant qu’en ce moment nous commençons à peine à comprendre les effets de la démographie galopante de nos propres objets et outils-institutions sur nos sociétés « développées ».
40Ce qui est en cause ce n’est pas l’évidence du dénuement matériel, ce sont les moyens proposés à la hâte pour y parer au moyen d’une logique débouchant sur l’accentuation du sur-développement occidental et la non-résolution des problèmes des peuples du Tiers Monde. La rhétorique en vigueur dans des organismes tels la Banque Mondiale ou le Club de Rome lorsqu’il s’agit de traiter de la satisfaction des besoins fondamentaux, devrait suffire à susciter notre méfiance.
L’aliénation par l’objet dans les sociétés industrialisées
41Nous terminerons par une brève réflexion sur la domination exercée par les objets dans les sociétés industrialisées, dans le but de montrer les effets de l’alibi idéologique du besoin lorsqu’il est porté à son comble. Selon l’idéologie du système de production capitaliste, il existerait dans tout objet une valeur d’usage et une valeur d’échange. La présence de chaque objet se justifierait par l’existence simultanée d’un désir potentiellement réalisable par l’objet au moyen de sa fonction ; il existerait d’autre part, une valeur abstraite, la valeur d’échange, c’est-à-dire le prix de l’objet. Cette proposition une fois acceptée, toute production (et n’importe quelle production) trouve sa finalité dans cette valeur d’usage postulée dans l’absolu à propos de chaque objet. Ainsi l’univers objectal s’impose en bloc à la société sous la bannière de l’abondance. On présente cette abondance au consommateur comme étant la garantie d’une liberté de choix exceptionnelle mais en réalité, quel choix peut-il effectuer ? Aucun, si ce n’est celui de choisir entre différents objets qui eux, sont imposés. Cela même est douteux puisque la publicité se charge d’infléchir ce choix. Y aurait-il dès lors un certain pouvoir démocratique des objets puisque l’objet strictement réservé à une caste a presque disparu ? En effet, on n’écarte aucun consommateur, pour autant qu’il consomme effectivement.
42Entre les consommateurs et les objets se faufile le code de l’avoir qui, s’adressant à tous sur le même registre, donne l’illusion d’une démocratisation des relations à travers l’accès immédiat à tous les objets, donné par le revenu. Cette impression d’accessibilité offerte à tous et amplifiée par l’omni-présence tapageuse de la publicité en entretient une autre, celle d’une mobilité sociale rendue possible par le simple passage d’un objet à un autre. Un ouvrier qui s’offre une voiture coûteuse aura le sentiment de monter d’un échelon dans la hiérarchie sociale alors qu’il n’en est rien. La mode et le vieillissement obligé des objets font croire aux consommateurs qu’ils gravissent une échelle sociale en changeant constamment d’univers objectal. Cette mobilité n’est pas sociale mais téléguidée par l’implification constante des signes sociaux distinctifs, et elle rend mobiles les objets plutôt que les personnes.
43Une fois les besoins matériels peu à peu satisfaits, l’ordre de production en vient à prétendre combler les besoins immatériels : beauté, évasion, communication, virilité, rêve, liberté ou plutôt à faire croire à leur satisfaction possible par le biais d’objets concrets. « La valeur de l’image se mesure à l’étendue de son auréole imaginaire » a écrit G. Bachelard. Les producteurs jouent à fond sur ce mécanisme et le consommateur se retrouve consommateur de l’image et des promesses projetées par l’objet bien davantage que consommateur de l’objet lui-même. Avec la voiture on consomme le prestige, la virilité, le standing et ensuite seulement, la fonction première qui était de réduire les distances et de gagner du temps. Cette fonction même a été remise en question en particulier par Ivan Illich qui démontre que le véhicule coûte à son propriétaire de deux jusqu’à quatre heures de travail par jour (achat, assurances, frais de garage, frais d’hospitalisation, frais d’avocat, impôts consacrés au réseau routier, autoroutes, etc.). Or ces 2 à 4 heures sont impossibles à regagner le même jour par l’économie de temps que la voiture est censée apporter.
44Ce recours éperdu à un imaginaire dont les éléments ne sont pas reliés entre eux dans une structure partagée par les membres de la société apparaît comme une compensation à la disparition de l’univers symbolique propre aux sociétés archaïques. L’imaginaire se consomme isolément, sur le mode individuel, de manière désarticulée, le seul sens partagé étant celui de la compétition, de la hiérarchie sociale basée sur l’avoir. C’est le piège du désir tel qu’il est décrit par M. Guillaume6.
45Ainsi, être dominé par l’objet, c’est être aliéné. Nous croyons obtenir quelque chose qui ne se trouve pas dans l’objet, ni dans sa consommation mais dans l’image qu’il propose de lui-même. Le projet de société se réduit à une appropriation individualisée de biens de plus en plus nombreux, entourés d’une auréole imaginaire démesurée. Le consommateur devient ainsi un être dupé en permanence ; frustré dans son attente, sans en comprendre le pourquoi, il fait de la consommation la finalité de son existence en quête perpétuelle d’un bonheur promis sans trêve par l’objet. La réduction de la relation sociale à un acte de consommation est peut-être la conséquence la plus grave de cet état de fait. L’individu branché sur l’objet n’atteint les autres qu’après avoir traversé cet objet imprimant à la relation son sens unidimensionnel, hiérarchique, qui ne relie pas, mais au contraire rompt, les autres types de relations possibles. Cette objet-phagie compartimente les individus et ceux-ci se trouvent doublement isolés : en tant que travailleurs et en tant que consommateurs. C’est aussi le sort qui menace toute société lorsqu’elle est contaminée par des objets destructurants ou par un type de rapports exportés avec l’objet qui ébranle sa charte de vie symbolique.
46« ... demande à l’homme s’il veut vendre sa faucille et son aiguisoir... L’hommes sourit, hoche négativement la tête et continue à travailler. ... Mais voilà qu’un autre type s’en va et revient avec une faucille. Lui, il veut vendre. J’achète : trois de nos francs... Le premier homme réfléchit. Révision déchirante, il est vendeur. J’achète peu fier de ma victoire. ...En une minute, j’ai cassé quelque chose au village : le lien mystique entre l’homme, l’outil et la terre. Un lien qui enserre le monde entier. J’ai introduit le premier rapport marchand à Saroli. »7
47Dans nos sociétés industrialisées, nous n’en sommes plus à un rapport marchand près... Cependant, il ne s’agit pas tant de revenir en arrière — ce qui est impossible — mais de procéder à une « double démystification »8 visant d’une part notre modèle de société de consommation et d’autre part son extension de caractère impérialiste aux pays non encore contaminés, sous la forme d’un prétendu développement, masque « humanisé » d’une exploitation plus totale. Ce masque est façonné dans un amalgame d’objets dont le pouvoir de fascination et de domestication des individus reste tout-puissant.
Notes de bas de page
1 Georges Péninou, « Le oui, le nom et le caractère » in Communications no 17, 1971.
2 « Il faudrait, par tous les moyens, à l’américaine, introduire l’idée du vieillissement de l’œuvre d’art, de sa détérioration psychique et matérielle : il faudrait apprendre aux collectionneurs à mettre les tableaux à la poubelle, comme les voitures et les réfrigérateurs quand d’autres, plus nouveaux, viennent les remplacer ». Extrait d’une interview d’un marchand de tableaux recueillie par Raymonde Roulin pour la revue Traverses no 3, février 1976, « Les intermittences économiques de l’art ».
3 « Les objets ne s’épuisent jamais dans ce à quoi il servent, et c’est dans cet excès de présence, qu’ils « désignent » non plus le monde mais l’être et le rang social de leur détenteur ». Jean Baudrillard, Pour une critique de l’économie politique du signe. Gallimard, Paris, 1972.
4 Pierre Clastres, La société contre l’Etat, Editions de Minuit, Paris, 1974.
5 Part du revenu consacrée à nourrir un bébé de 6 mois : - Europe: 3 %, -Nigeria: 47 %, - Egypte : 63 %.
6 Marc Guillaume, Le capital et son double, Presses Universitaires de France, Paris, 1975.
7 J.F. Held, Le Nouvel Observateur, 25 mai 1977.
8 Georges Corm, « Saper l’idéologie du développement », Le monde diplomatique, avril 1978.
Auteur
Institut universitaire d’études du développement, Genève.
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