... et les incendiaires
p. 322-324
Texte intégral
1(AFP/UPI). Ainsi, l’Assemblée générale des Nations unies a décidé que 1984 serait 1’« Année internationale des incendies ». Ce que l’on sait moins, c’est que cette décision n’a pas été facile à prendre, en dépit d’une somme considérable de travaux préparatoires confiés principalement à l’UNCTAD (United Nations Caucus for Total Arson Deterrence) et au UNC (United Nations College). Un projet spécial baptisé FIP-FOP (Fahrenheit lndicators Project — Fahrenheit Objectives Project), et confié à un professeur blanc se sentant une âme à demi-rwandaise, avait été doté d’une somme de douze millions de dollars pour mettre au point une nouvelle typologie des incendies.
2De leur côté, les ONG avaient déposé sur le bureau de l’ECOSOC un projet de résolution qui émanait essentiellement du groupement mondial des compagnies d’assurances et de l’AIPC (Association internationale des pompiers en civil). L’intérêt principal de ce document consistait à distinguer clairement entre l’incendie absolu et l’incendie relatif ; une série de recherches menées sur le terrain, en dialogue avec les principaux intéressés, avait en effet permis de démontrer que les bidonvilles s’enflammaient plus facilement que les quartiers urbains construits en dur. Pour éviter certaines complications diplomatiques, le rapport laissait cependant planer un doute sur l’interprétation à donner à ces diverses formes de « flambées » (politiques ou réelles).
3Parallèlement à la huitième séance spéciale de l’Assemblée générale, se tenait dans une salle voisine une réunion du SICLI (Symposium international de la coalition pour la liquidation des incendies) qui s’efforçait de faire prévaloir la thèse selon laquelle il était préférable de s’attaquer aux causes des incendies plutôt que de discuter des moyens de les combattre. Le SICLI (composé d’organisations tiers-mondistes militantes) publiait régulièrement un petit journal intitulé Action Against 451, lequel était distribué gratuitement aux agences de presse et aux délégués gouvernementaux. Quoique fort intéressés (confiaient-ils en privé) par les thèses du journal, les représentants des Etats-membres refusèrent cependant d’admettre le SICLI à leur conférence, même avec un statut d’observateur.
4La session spéciale fut longue et difficile. A la suite du Secrétaire général de l’Organisation et de quelques ministres qui s’étaient déplacés pour l’occasion, les délégués s’étaient succédé à la tribune pour exprimer la grave préoccupation (serious concern) que leur causait le développement des incendies. Après quatre semaines de débats de procédure au cours desquels les pays du bloc socialiste cherchèrent vainement à lier le problème de l’incendie à celui du désarmement et de l’usage des armes à feu, on entra enfin dans le vif du sujet.
5Fidèles à leur ligne générale, les pays du Tiers Monde (dont les couches les plus défavorisées de la population pratiquaient encore la culture sur brûlis) cherchaient à constituer un fonds commun visant à financer le transfert de technologie de façon à produire eux-mêmes la mousse carbonique. La Chine — où les incendies ont quasiment disparu grâce à la pensée Mao Tsé-toung — proposa de mettre gratuitement à la disposition des Etats affligés par ce fléau une technologie douce, à base d’eau et de sable, qui avait fait merveille sur les bords du Fleuve Jaune. Mais le représentant du BIT, invité à s’exprimer en tant qu’expert, écarta la proposition chinoise qui avait, selon lui, le défaut majeur de ne pas promouvoir suffisamment d’emplois industriels.
6Les Occidentaux, quant à eux, avaient adopté une position commune et ferme consistant à accorder, à des conditions de faveur, par l’intermédiaire de l’Agence internationale pour le développement, une série de prêts spéciaux qui permettraient aux pays en voie de combustion d’acheter pour leur population des extincteurs individuels qui se déclencheraient automatiquement à la moindre flambée de mécontentement. Un thermostat ultrasensible permettait de régler le fonctionnement de l’engin selon la température moyenne de chaque pays.
7Les débats, comme on l’imagine, furent chauds et le consensus se révéla impossible. Il fallut donc se résigner (une fois n’est pas coutume) à un vote. La proposition occidentale, soutenue par les pays arabes, recueillit 61 voix tandis qu’une contre-proposition présentée par la Côte-d’Ivoire, le Brésil et les Philippines en obtint exactement autant. Les pays socialistes, quant à eux, avaient décidé de s’abstenir. Cette situation exceptionnelle força le président, Son Excellence l’Ambassadeur Carlos Tapioca, à faire usage de sa voix prépondérante. Il trancha en faveur des Occidentaux. L’« Année internationale des incendies » était née. Dans la foulée, l’Assemblée spéciale adopta du même coup la Résolution 4239 (S-VIII) instituant le Nouvel ordre incendiaire international.
8Le lendemain, un numéro spécial de l’Action Against 451, publié par le SICLI, révélait que le président Tapioca était pyromane.
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