Vivre ici... et pas ailleurs
p. 293-319
Texte intégral

1Ce fait divers témoigne d’un malaise profond au sein de la population genevoise, face à la détérioration accélérée de son cadre de vie. Faire intervenir les instances psychiatriques pour régler un conflit d’évacuation est le signe que ce « fait divers » recouvre des enjeux importants. Au-delà de l’aspect spectaculaire de l’incident, ce sont deux modes de vie inconciliables qui s’opposent.
2Le spectacle quotidien de la ville aujourd’hui, ce sont les tours et les murailles de béton et de verre, faces aveugles et opaques du système, qui côtoient les vieux quartiers et leur destruction, témoins d’un passé en voie de disparition.
3Politologues, sociologues, urbanistes et architectes se penchent sur ce chantier et, à partir de leurs notions scientifiques respectives, tentent de résoudre l’adaptation des hommes aux mutations d’un nouvel espace. Sous le signe de la « rénovation », leurs recherches alimentent un discours dans lequel le registre des besoins en matière d’urbanisme ne cesse de s’étendre. Les nouvelles normes qui sont élaborées pour satisfaire les nouveaux besoins ont pour conséquence d’homogénéiser la vie sociale au point de colmater toute brèche où pourrait se glisser une manière de vivre plus complexe et plus autonome. Ce qui pousse certains habitants à refuser les avantages d’un cadre de vie valorisé et sans failles ; ils préfèrent s’accrocher symboliquement à un espace dévalorisé, fissuré, qui laisse s’infiltrer le champ flou de leur propre imaginaire.
Les besoins
4D’après les économistes favorables au système, la production d’objets répond aux besoins exprimés par le consommateur. Ceci est très contestable, étant donné que les biens sont produits et distribués d’abord, et que c’est à partir de cette présence des objets sur le marché que naissent la plupart des besoins des consommateurs.
5Des économistes se réclamant de Marx pensent également que la production répond aux besoins sociaux. Il est vrai que Marx, à partir des données historiques et immédiates de son époque qu’il nomme « phase de soumission formelle du travail au capital », semble accréditer cette interprétation. C’est dans le rapport entre valeur d’usage (V.U.) et valeur d’échange (V.E.) qu’on trouve le fondement théorique de sa pensée : « Considérons la valeur d’usage. Pour définir la notion de marchandise, il importe peu, comme nous l’avons vu, de connaître son contenu particulier et sa destination exacte. Il suffit que l’article devant être marchandise — autrement dit, le support de la valeur d’échange — satisfasse un quelconque besoin social en ayant la propriété utile correspondante, voilà tout »1. Contrairement à la valeur d’échange qui ne peut être séparée de son support, la valeur d’usage, celle-ci aurait sa finalité propre (satisfaction des besoins) et ne s’inscrirait pas nécessairement dans l’économie marchande. Mais, ceci est remis en question par Marx lui-même lorsqu’il analyse plus loin ce qu’il appelle « le mode de production spécifiquement capitaliste », autrement dit, « la soumission réelle du travail au capital ». « Cette production n’est pas entravée par des limitations fixées au préalable et déterminées par les besoins... Ce qui fait son caractère négatif ou antagonique, c’est qu’elle s’effectue en contraste avec les producteurs et sans égard pour eux, ceux-ci n’étant que de simples moyens de produire, tandis que, devenue une fin en soi, la richesse matérielle se développe en opposition à l’homme et à ses dépens. La productivité du travail signifie le maximum de produits avec le minimum de travail, autrement dit : des marchandises, le meilleur marché possible. Dans le mode de production capitaliste, cela devient une loi, indépendamment de la volonté du capitaliste. En pratique, cette loi en implique une autre : les besoins ne déterminent pas le niveau de la production, mais au contraire la masse des produits est fixée par le niveau toujours croissant prescrit par le mode de production »2.
6Il paraît évident que cette analyse correspond à la phase historique dans laquelle nous sommes, caractérisée par la soumission des besoins aux nécessités de la production. Cela implique un renversement du rapport valeur d’usage-valeur d’échange. C’est désormais la valeur d’échange qui crée les valeurs d’usage des produits mis en vente sur le marché. Dès lors, il devient difficile de parler d’une valeur d’usage intrinsèque définie par son utilité :
nous devons relativiser la notion d’utilité des valeurs d’usage qui correspondent à des besoins physiologiques, dès l’instant où elles deviennent, ans nos sociétés industrielles, sources de nuisances et de pollutions. Comme l’écrit Marx, « devenue une fin en soi, la richesse matérielle se développe en opposition à l’homme et à ses dépens ».
il faut également constater que la majorité des objets voient leur fonction utilitaire (valeur d’usage) doublée d’une fonction de signe (valeur distinctive). L’utilité sert souvent d’alibi à cette fonction et, de plus en plus, l’objet est directement produit en tant que signe.
7La valeur d’usage répond bien à des besoins, mais à ceux d’un système de production généralisé qui produit les objets, les usages et les significations. Et, « ce qui caractérise le mode de production capitaliste dans les économies développées, c’est précisément cette production de signes qui envahissent la vie quotidienne des hommes et modifient fondamentalement leur manière de vivre »3.
La logique de la consommation
8Il n’y a pas consommation d’un côté et production de l’autre ; production de biens et production de signes font partie du même mode de production. « Chaque groupe et individu, avant même d’assurer sa survie, est dans l’urgence fondamentale de se produire comme sens dans un système d’échange et de relations. Il n’y a pas de consommation, parce qu’il y aurait besoin objectif de consommer, intention finale du sujet vers l’objet. Il y a production sociale d’un système d’échange, d’un matériel de différence, d’un code de significations et de valeurs statuaires. La fonctionnalité des besoins individuels venant, ensuite, s’ajuster sur ce système »4.
9L’objet de consommation n’est donc pas défini principalement par son usage (satisfaction des besoins minimaux tels que manger, boire, dormir, se loger, etc.) mais il a également une fonction de communication : il communique de la différence, il est signe de différenciation. Pour ce faire, l’objet doit se différencier formellement des autres objets par un certain nombre de caractéristiques. « Ce mécanisme de différenciation est bien mis en évidence par l’apparition et le cycle de vie de nouveaux objets. Quand un nouveau bien ou service apparaît, les plus riches l’achètent et lui confèrent implicitement un sens de différenciation — cette différenciation peut être recherchée consciemment ; mais, même si elle ne l’est pas, elle résulte de ce comportement. C’est ce sens que veulent acquérir ensuite les consommateurs moins riches. Progressivement le sens attribué à l’objet disparaît quand il est presque complètement diffusé. Il rentre dans la phase d’obsolescence. Les conditions d’un nouveau cycle du désir pour un nouvel objet sont réunies »5.
10Cette recherche continue d’un sens, d’un désir de puissance, correspondrait selon Lacan « au désir d’être l’objet du désir de l’autre ». Mais aujourd’hui, ce désir doit s’exprimer dans un contexte social symboliquement déstructuré (disparition des rituels et des traditions). L’homme communique de plus en plus avec autrui par la médiation de l’objet privé ou collectif.
11Il ne s’agit pas de nier de réels besoins utilitaires, mais ceux-ci masquent chez les hommes la recherche d’un sens social (être reconnu, être différent) où le désir s’investit dans les signes d’un nouveau code social.
12Une partie de cette logique de la consommation se retrouve dans la production de l’espace. Il nous faut l’analyser pour comprendre ses implications dans la vie urbaine.
Consommation, fonction et espace
13On retrouve dans l’habitat les quatre logiques de la consommation définies par Baudrillard6 :
la logique fonctionnelle de la valeur d’usage : le logement sert à habiter — il est utile ;
la logique de la valeur d’échange : il a un prix sur le marché défini par le coût du terrain, le coût de la construction, etc. ;
une logique symbolique : l’habitat est encore considéré aujourd’hui comme un bien traditionnel et intériorisé comme espace organique de la famille ;
une logique de différence : l’habitat se distingue par différents types (maison individuelle, appartement, etc.), sa localisation, son aspect moderne, fonctionnel, son standing. Il est signe d’un statut social.
14Dans la consommation courante, il y a longtemps que les objets sont achetés non seulement pour leur utilité mais encore parce qu’ils sont signes de différenciation. Dans le domaine bâti, ce phénomène de la consommation se réalise plus lentement parce qu’il ne peut transformer trop brutalement tout un mode de vie traditionnel. Il n’en continue pas moins à s’étendre et à produire une vie sociale de plus en plus normalisée.
La logique fonctionnelle
15C’est à travers l’environnement fonctionnel que les logiques de la consommation tendent à s’imposer dans l’habitat. La révolution industrielle a développé la production de l’espace ; mais à l’aide des écoles d’esthétique industrielle (design) comme le Bauhaus ou les signataires de la Charte d’Athènes, l’emprise de l’économie politique s’est étendue à la sphère idéologique, culturelle et esthétique du domaine bâti. Les théories des fonctionnalistes, en synthétisant la forme et la fonction, le beau et l’utile, l’art et la technologie, ont réconcilié l’infrastructure technique avec la superstructure des formes et du sens. Voici quelques citations de Le Corbusier qui illustrent bien cette conception :
Art et Technologie : « Une plastique catégorique du ciment armé : une esthétique franche. » « Le charme dû à des structures différentes, à la juxtaposition du poli et du rugueux, du verre et, des murs, la force enfin qui peut émaner d’une matière naturelle, dès qu’on sait l’utiliser comme il convient : tels sont les facteurs appelés à remplacer l’ornement »7.
Forme, sens et culture : « L’angle droit et la droite attestent l’esprit atteignant aux confins de sa puissance, de sa grandeur. » « La culture est un état d’esprit orthogonal. On ne crée pas des droites délibérément. On aboutit à la droite lorsqu’on est assez fort, assez ferme, assez armé et assez lucide pour vouloir et pouvoir tracer des droites »8.
Forme et fonction : « Les poteaux dessinent à l’extérieur une enveloppe régulière et chaque étape s’exprime à l’intérieur de ses poteaux sous une forme exactement conforme aux fonctions »9.
16L’intégration de la fonction dans la forme signifie que, sous couvert d’utilité, la fonction devient une valeur d’usage qu’il faut donc satisfaire car elle correspond à un besoin. Le processus est simple : définition des besoins, détermination des fonctions correspondantes, élaboration des normes. Voici ce qu’en dit Le Corbusier : « Rechercher l’échelle humaine, la fonction humaine, c’est définir les besoins humains. Ils sont peu nombreux ; ils sont très identiques entre tous les hommes, les hommes étant faits sur le même moule depuis les époques les plus lointaines de l’Histoire. Ces besoins sont types, nous avons tous les mêmes... » Ces besoins élémentaires sont évidemment déterminés par l’architecte. Ils doivent donc être satisfaits par une fonction qui se matérialise dans une structure fonctionnelle. Mais ces formes fonctionnelles ont d’autres « qualités » : celles d’influencer psychologiquement les individus. « Votre esprit sera d’autant plus caressé que l’on aura un espace possédant des formes orthogonales, rectilignes, géométriques, simples, standardisées, en hauteur, etc. »10.
17Les fonctionnalistes ignorent donc systématiquement la composante affective et symbolique qui entre en jeu dans la perception de l’habitat. Ils se situent d’emblée dans le champ de l’imaginaire fonctionnel. Le sens qu’ils se proposent de donner à l’objet architectural est un sens basé sur un calcul logique, cohérent et rationnel.
18C’est dans cette contradiction (refus du symbolique, illusion d’un signifié objectivable) que réside l’échec des fonctionnalistes dans leur but proclamé de rendre les gens heureux. Et, par leur persistance à ignorer le contexte social et symbolique, ils portent une lourde part de responsabilité dans la tendance à la disparition d’un milieu traditionnel lié au vécu des gens. Cette disparition est source de déséquilibre, d’aliénation et de résistance.
19Par ailleurs, leur recherche a permis aux raisons profondes, aux éléments inconscients du désir d’être captés par l’imaginaire social représenté par des formes différentes mais vides que le système a investies de signification. En effet, le calcul objectif basé sur une liste close et universelle des besoins des individus, qui est le fondement de la structure fonctionnelle, a été laissé à leurs auteurs (les fonctionnalistes). La logique du système n’en a retenu que l’esthétique, en jouant sur la forme pour différencier les objets. (La mode design en est une parfaite illustration.)
La logique de la différence ; la production architecturale comme signe
20Le système n’a cure des signifiés (la fonction comme valeur d’usage) mais il s’en sert comme alibi idéologique, comme support à la valeur d’échange. A cette fin, seul l’intéresse le jeu des signifiants. Voilà ce qu’en dit Lefèbvre : « Plus profondément aujourd’hui, il faut mettre en cause la visualisation systématique qui atteint l’ensemble de la vie sociale urbaine. Si le plan est l’écriture de l’espace, il appelle l’analyse et la critique au même titre que les autres formes de langage qui ont monopolisé jusqu’ici la réflexion littéraire et la philosophie. Regardez un architecte imaginant une élévation ou concevant une façade : ça n’est pour lui qu’un plan dressé qui subit une rotation à 90 degrés, un volume tout entier visualisé, une écriture meurtrière qui nie l’action concrète et vécue de l’espace. L’espace qui se constitue est visuel et phallique... Le corps est délaissé, le corps est nié par cette excroissance visuelle, il se réduit à un réseau de signes abstraits »11.
21Pas si abstraits que ça. Le néo-fonctionnalisme a pris le relais ; l’école cybernéticienne est prête à combler par un signifié « cette excroissance visuelle abstraite ». Ecoutons Nicolas Schöffer : « Si le tiers-travail est vertical, le tiers-sommeil est horizontal. Nous travaillons en effet dans une position verticale, mais nous dormons dans une position horizontale (sic). Le cadre architectural doit correspondre à ces fonctions et s’harmoniser entre elles. La sensation visuelle de la verticalité stimule, etc., l’horizontalité au contraire incite au repos »12.
22Aujourd’hui, si la verticalité est utilisée et si les tours ont tendance à pousser comme des champignons, ce n’est évidemment pas en rapport avec les prétendues fonctions nées dans le « cerveau programmé » d’un cybernéticien. La verticalité est utilisée indifféremment pour les bureaux ou les hôtels. En outre, il n’est pas évident que les gens qui habitent dans les tours du Lignon soient dérangés dans leur sommeil par leur verticalité. En revanche, verticalité et horizontalité peuvent être utilisées par le système comme matériel de différence. La loi de la valeur d’échange s’est élargie avec la loi de la valeur différentielle : chaque terme d’un système n’a de valeur que par sa relation aux autres, aucun terme n’a de valeur en soi. A Genève, dans la cité satellite du Lignon, par exemple, les logements ont été divisés en catégories13 : loyers libres dans les tours et au début de l’immeuble (bus du Lignon) et HCM, HLM, HBM dans l’immeuble « muraille » d’un seul tenant long d’un kilomètre. Si les loyers dans les tours sont plus chers, ce n’est pas parce qu’ils ont plus de valeur en soi que l’immeuble « muraille » (preuve en est qu’il y a un minimum de loyers libres dans cet immeuble). Tours et muraille sont faites du même matériau, avec la même force de travail, sur le même terrain. Tous les appartements sont traversant. Il n’y a pas de différence de surface entre loyers libres et appartements subventionnés. Ils sont donc similaires, mais ils sont différents. Il y a deux sortes de différences :
des différences réelles : la situation géographique des tours (vue sur le Rhône, parc, forêt), meilleures finitions (par exemple, parquet de meilleure qualité dans les loyers libres), piscine sur le toit, etc. Pourtant ces avantages réels ne justifient pas un tel écart de prix entre les loyers. En revanche, ils servent d’alibi pour situer ses habitants dans la hiérarchie sociale. Ils sont donc, en même temps, avantages matériels et signes de « standing » ;
une différence formelle : la verticalité des tours est la représentation visuelle du statut social supérieur de ses habitants. C’est dans sa relation différentielle avec « la muraille » que la tour prend son sens. Le rapport verticalité-horizontalité a pour fonction d’indiquer l’existence de catégories sociales distinctes. Les tours du Lignon sont donc un signe de prestige, de valeur statutaire et leur valeur d’échange découle de ce prestige.
23Mais la logique de la fonctionnalité des besoins et le code de la différence ne sont pas seulement liés à une architecture de type orthogonal, circonscrite dans les cités satellites. Ils sont également opérationnels dans la ville urbanistique et ses quartiers, entre habitat moderne et habitat ancien ou habitat ancien et habitat restauré, par exemple. D’ailleurs les autorités, face à la crise économique, remettent de plus en plus en question un certain urbanisme fonctionnel. « Il faut une bonne couche de cynisme pour déplorer aujourd’hui l’isolement et le dépérissement culturel dont souffrent les habitants des cités périphériques et des espaces restructurés. Alors que tout a été entrepris pour briser les valeurs d’usage de l’espace d’un mode de vie antérieur »14. Ce cynisme des planificateurs dont parle Alain Léveillé risque de s’amplifier dans leurs nouveaux projets. En effet, sous prétexte de rénovation et de restauration, la logique fonctionnelle se perpétue, mais de manière plus subtile ; avec une certaine écologie récupérée par le capital, le discours des besoins fait d’hygiène, de confort, de modernité s’est enrichi d’un nouvel élément, la qualité de la vie. On continue ainsi à transformer, homogénéiser et normaliser l’ancien tissu urbain.
AU TEMPS QUI PASSE







Le quartier
24Pourtant, la vie de quartier n’a pas complètement disparu et les habitants menacés sont souvent résolus à préserver ce qu’il en reste. C’est ce vécu traditionnel qui est le principal obstacle à la fonctionnalisation totale de la ville.
25Telle est la conclusion du séminaire « Etude sur le développement de la ville et le quartier », organisé à Genève, en 1976, par le Service d’Action Sociale. Les participants y ont condamné la notion de quartier en soulignant la nécessité d’opérer une rupture avec ce concept.
26Cette condamnation du quartier se fait en référence à Lefèbvre qui estime que cette structure a un caractère idéologique dépassé. Voici ce qu’il écrit pour vilipender les tenants de cette idéologie : « Un échelon, celui du piéton, détermine l’échelle humaine et la société entière, dans un siècle où (à tort ou à raison) l’automobile, l’avion, etc. définissent l’espace social (sic) et posent de nouveaux problèmes »15.
27L’idéologie du quartier paraît dérisoire en comparaison avec celle dont est victime Lefèbvre. Quand on connaît les « mirages » créés par les plans « vue d’avion » et l’influence de la voiture dans les nouvelles structures de la ville (autoroute, voie express, etc.), on ne peut s’empêcher de penser que Lefèbvre, lorsqu’il fait cette analyse un an avant 1968, est soumis au code dominant de « la modernité » et de l’idéologie d’une science neutre et inéluctable. Lefèbvre, habituellement plus clairvoyant, a ici une vision traditionnelle de l’idéologie : en bon « marxiste », il privilégie l’infrastructure. Les termes de l’idéologie ne se fondent plus dans un rapport infra/super-structure entre production matérielle et une production de signes (culture). Comme on l’a vu plus haut, avec les théories des fonctionnalistes, forme et contenu font partie de la même économie politique. L’idéologie dominante est inscrite dans les structures urbanistiques. C’est de la ville fonctionnelle que sort la parole du système : modernité, besoins sociaux, hygiène, normes, etc.
L’« alternative » technocratique
28Au-delà de l’idéologie, cette parole représente l’apparition d’un nouveau code de normalité qui se construit dans le tracé de la ville, au détriment de la symbolique traditionnelle. Cette dimension semble échapper aux participants du séminaire. Voici leur conclusion à l’issue d’une analyse comparative très pertinente par ailleurs, entre un grand ensemble et un quartier :
29« La dissociation du travail et du logement, la densification, la mobilité résidentielle, la dépendance croissante vis-à-vis du centre, tout cela aboutit à la destruction de nos formes traditionnelles de vie. Une fois vidé de sa substance, il ne reste plus au quartier que son caractère idéologique qu’il s’agit, pour Lefèbvre, de dénoncer. Il faut opérer une rupture avec ce modèle ancien qui occupe encore notre mémoire affective. » ...« Historiquement, la sphère privée n’était pas séparée de la sphère publique, elles étaient interpénétrées. Cette intégration donnait au concept de quartier un contenu d’adéquation entre vie individuelle et vie de groupe. Les processus de division sociale durant l’industrialisation ont eu pour résultat de renforcer le caractère privé de la sphère privée et, en conséquence, d’attribuer spécifiquement à la sphère publique les échanges de bon voisinage. L’espace de transition entre sphère publique et sphère privée tend à se réduire, le clivage s’accroît. Nous allons vers l’éclatement, s’exprimant tout autant spatialement que socialement dans la désagrégation, dans l’anomie, des ensembles urbains. »
30« Les Pâquis et le Lignon font partie de la même réalité urbanistique : l’agglomération. Celle-ci provoque l’éclatement des unités passées : la ville et le quartier. De fait, il faut opérer une rupture avec le concept de « quartier » encore ancré dans notre mémoire collective ; de nouvelles définitions doivent être recherchées »16.
31Il ne s’agit pas de nier cet éclatement, effectivement lié à un changement du rapport entre sphère privée et sphère publique ; l’analyse de la tendance actuelle de la ville est correcte. Ce qui nous semble contestable, c’est, d’une part, de penser que cette situation est irrémédiable et, d’autre part, de donner l’illusion qu’on peut intervenir sur cet éclatement alors qu’un nouvel environnement est déjà en place.
32Les urbanistes et les travailleurs sociaux ont certainement de beaux projets pour combler l’anomie. Mais ils n’ont pas les moyens de les rendre opérationnels. Leurs propositions ont toutes les chances d’être intégrées dans la logique technocratique des divisions fonctionnelles de l’espace urbain.
33Cette logique s’emparera des aspects qui peuvent renforcer ses propres projets. Et, c’est là le point faible de cette étude : le manque d’analyse du processus fonctionnel. On se borne à constater l’évolution de la ville. Pourtant, contrairement aux participants du séminaire, promoteurs et planificateurs ont les moyens de leur politique. La mise en place d’un environnement fonctionnalisé, qui vienne combler le vide laissé par l’éclatement social, est déjà bien avancée. Sous couvert de rénovation ou de restauration, le rouleau compresseur de la normalisation n’a pas attendu le « travail social, individuel ou collectif » pour trouver une solution à l’anomie.
Equipements collectifs et normalisation
34La disparition de l’organisation naturelle du quartier (petits commerces, places publiques) est progressivement remplacée par des équipements collectifs (HLM, grande surface, parking).
35La plupart du temps, ces équipements ne sont pas tous de nature « parasitaire » : à côté des bars, des hôtels, des studios de luxe, des parkings, on trouve un certain nombre d’équipements qui « répondent » à des besoins fonctionnels et sociaux, comme les services des téléphones et, surtout, les logements. Et c’est là que les urbanistes progressistes sont piégés. Selon leurs principes, ils ne peuvent refuser des équipements à caractère social ; on fera même appel à leur talent pour les implanter. Les besoins sociaux sont un alibi efficace pour transformer un quartier, même si les besoins prétextés ne correspondent pas à ceux des habitants. Le quartier de Plainpalais où l’on a remplacé un espace vert, un terrain de jeu « sauvage » par des HLM en est un exemple éloquent.
36Au-delà des impératifs de la production architecturale, qui répondent prioritairement à des besoins de rentabilisation, les équipements collectifs s’inscrivent dans un plan d’aménagement du territoire. Et c’est peut-être l’aspect le plus dévastateur des transformations de l’espace urbain car il touche directement la vie quotidienne des gens, en planifiant leur futur.
37Dans cet environnement organisé et divisé fonctionnellement, les individus sont classés selon les nouvelles fonctions des quartiers et les « inclassables » sont déplacés vers d’autres territoires : HLM, cités satellites... Ce classement aboutit à un partage entre normal et anormal. « Dans une société hyperorganisée où presque tout le monde est pris en charge par diverses instances, celui qui reste en marge de toute organisation apparaît très différent et à la limite dangereux. Il est donc nécessaire de normaliser le marginal dans une institution. Ainsi traité, le marginal, l’anormal disparaît en tant que tel puisqu’il est mis à sa place dans une organisation : le fou à l’asile, le vieillard à l’hospice, le délinquant en prison ont retrouvé une pleine normalité sociale »17.
Déterritorialisation et déséquilibre psychique
38L’exemple des petites commerçantes de Saint-Gervais qu’on a voulu interner parce qu’elles refusaient d’être déplacées illustre bien ce phénomène. Le travail social, à partir de cette déterritorialisation, risque de devenir un travail difficile d’intégration en douceur des gens à leur nouvel environnement. Nous pouvons le constater à partir de ce cas cité par les travailleurs sociaux du Service d’Action sociale : « Monsieur C. a habité durant trente-cinq ans dans le quartier de la Jonction. Son immeuble devant être démoli, Monsieur C. a pu obtenir un appartement de deux pièces au Lignon. Il a 67 ans, a perdu sa femme il y a sept ans, a deux enfants qui l’entourent beaucoup... En septembre 1970, Monsieur C. a emménagé dans son nouveau logement situé au 9e étage du bâtiment du Lignon. Au bout de trois mois, il a eu des angoisses toujours plus inquiétantes. Il n’ose plus emprunter l’ascenseur, a l’impression de descendre quand il monte, etc. Il passe par les escaliers, mais comme il a de l’asthme, la montée est pénible et dure facilement 15 minutes. Depuis février 1970, il s’est évanoui à trois reprises chez lui. Ne peut plus regarder dehors. A fermé ses rideaux (il n’y a pas de stores aux fenêtres) et a installé son mobilier contre les fenêtres (armoire, commode). Mais en même temps, il souffre de claustrophobie et, par moments, il doit à tout prix descendre et marcher jusqu’à ce que ses angoisses lui passent... En avril, Monsieur C. est allé passer quinze jours dans un chalet à la montagne avec ses enfants. Tous ses troubles ont disparu à ce moment. Dès son retour à Genève, dans son appartement, les angoisses ont recommencé de plus belle et il est allé consulter un médecin qui ne peut rien faire. Lui a donné quelques pilules lorsque les crises étaient trop denses. Lui conseille de se trouver un logement dans un étage inférieur et en ville de préférence. »
39Si cette personne ne trouve rien en ville, on peut se demander avec inquiétude dans quel établissement elle aboutira...
Un espace sans valeur
40La disparition de la ville ancienne n’est pas inéluctable. On a condamné un peu rapidement l’existence des quartiers. C’est ce que tend à prouver le succès partiel obtenu à Genève par les habitants du quartier des Grottes. Les autorités face à la crise économique et à la résistance des habitants ont dû renoncer en partie à leur politique de démolition. Ils se sont prudemment recyclés dans la rénovation, la restauration et même la réhabilitation. Mais ils ne sont pas près d’accepter une nouvelle manière de penser l’urbanisme, comme le propose par exemple l’Ecole d’architecture de Genève. « Un urbanisme qui devrait tenir compte du « non-fini », qui accepterait l’idée d’une interruption ou d’une modification du processus de construction si elle était justifiée historiquement. Un urbanisme qui considérerait la ville pour ce qu’elle est réellement : un chantier permanent et mouvant et non une somme d’objets figés dans une sorte de définition idéale »18.
41Le plus souvent, les gens ne veulent pas quitter leur quartier malgré son caractère vétuste ; ils y ont noué des rapports faits de traces et de références complexes et multiples. Ils ne sont pas opposés au confort et à l’hygiène mais, pour eux, ces éléments doivent s’intégrer et améliorer leur cadre de vie actuelle. Si les habitants des quartiers populaires se refusent souvent à la valorisation de leur espace, c’est qu’ils sentent confusément que les valeurs d’usage qu’on leur promet ne sont que des prétextes à la mise en place d’une architecture glacée, sans failles et sans âme.
42Les aspects les plus troublants de l’histoire des petites commerçantes de Saint-Gervais peuvent nous éclairer sur ce point.
43Voilà des femmes qu’on attaque au Tribunal, qui sont en butte à des tracasseries judiciaires et administratives, qui sont menacées quotidiennement, dont le commerce n’est plus rentable : il leur permet tout juste de survivre. On leur propose d’autres arcades, plus avantageuses, qui leur permettraient peut-être de remonter leur commerce et, de plus, dans le même quartier. Sourdes et indifférentes aux diverses injonctions raisonnables, elles refusent. Cela dépasse l’entendement des régisseurs, des psychiatres et du procureur.
44Pourquoi un refus si radical ? Pourquoi s’accrochent-elles à une vieille arcade pour elles sans valeur ni d’usage ni d’échange ?
45Ce n’est pas en tant que commerçantes, « classées » petites bourgeoises qu’elles réagissent, sinon elles accepteraient des arcades plus intéressantes. Pour les dames B., cette arcade n’est négociable à aucun prix. La loi de la valeur n’a pas de prise sur leur résolution. Ce lieu est leur histoire, il symbolise les relations sociales et affectives qu’elles ont vécues au fil des années. La peur d’être déracinées, de perdre leur identité, le souvenir du père renforce leur radicalité. Leur pulsion de mort joue à fond : vivre ici, et pas ailleurs ; plutôt mourir, disent-elles.
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46L’attachement des habitants aux vieux quartiers est d’ordre symbolique. Les raisons sont à chercher dans le rapport social, affectif et historique qui les lie à leur milieu. C’est pourquoi, il ne s’agit pas de préserver de vieilles pierres en tant que telles. La restauration de vieux quartiers accompagnée de l’évacuation de leurs habitants aboutit au même résultat que leur destruction : la fin d’un certain rapport social. L’illusion de maintenir le caractère d’une ville par la restauration d’une apparence renvoie à l’illusion de recréer ce rapport social dans un environnement octroyé aux habitants, mais qui leur est totalement étranger. Ce nouveau cadre de vie, même assorti d’équipements sociaux appropriés et d’une production immatérielle de compensation (animation, loisirs, sexualité, expression corporelle, etc.)19 ne parviendra pas à combler le manque affectif. Mais il permettra d’occulter ce « manque » par un simulacre des relations humaines pris dans un imaginaire fonctionnalisé de mimétisme et d’adaptation.
47La problématique de la vie urbaine correspond à la mutation d’une société traditionnelle en une société développée, mutation qui bouleverse de manière irréversible l’écologie de l’espèce humaine. Dans ce bouleversement, les relations sociales immédiates tendent à disparaître. Elles font place à une communication médiatisée par un autre langage, celui des objets, des équipements, des modèles, véhiculé dans un espace rénové ou cybernétisé.
48Si l’adaptation à cet espace connaît un certain succès, c’est qu’il répond aux besoins et aux désirs de différence conformes à un nouveau code social. Cette aspiration des hommes et des femmes à être reconnus et aimés fait appel à ce désir profond qui est le « désir de l’autre » dont parle Lacan20, et cet autre évolue à l’intérieur de ce code. Il en découle des aspirations à l’ordre, à la conformité, aux normes21.
49Mais le désir peut-il devenir source de résistance et d’alternative, lorsqu’il s’exprime symboliquement et qu’il se noue à des activités collectives, à une pratique sociale ? Est-ce que, comme l’écrit Guillaume, « dans le registre symbolique... les moteurs de la société marchande et les dispositifs immobiles du pouvoir ne captent plus le désir qui reste, à travers les conflits et les relations de pouvoir, à l’intérieur du groupe et le fait évoluer » ?22
50Hypothèse séduisante qui tend à suggérer que ce désir qui se conforme aux codes dominants aurait des vertus contestatrices... Selon cette idée, surtout développée par Deleuze et Guattari23, le fait de libérer les énergies libidinales, d’affirmer les désirs enfouis dans l’inconscient collectif, provoquerait l’irruption d’une parole vraie opposée au discours imaginaire du capital.
51On pourrait s’interroger sur cet inconscient qui parle vrai, grâce auquel on érige des concepts, on remet en question, on suscite des alternatives. On pourrait se demander si cette parole « réelle » n’est pas en train de participer au discours « hyperréel » du capital qui, au nom du réel visible et lisible, investit justement tous les espaces qui s’ouvrent. On pourrait se demander si cette production de sens émanant du désir n’est pas en train d’en redonner à un système qui, d’ores et déjà, n’en a plus.
52On pourrait également se demander si cette parole rendue audible, visible, évidente, n’est pas en train de tuer un processus inconscient d’un autre ordre, celui, plus secret, d’un imaginaire hors champ, incontrôlé, insensé, mais présent et non séparé du champ du réel. En effet, si nous reprenons l’exemple des dames B., il serait vain d’interpréter leur résistance comme une manifestation d’un désir libéré. Bien au contraire, leur résistance semble émaner d’une force d’inertie, obscure, qui les maintient là où elles ont toujours vécu. Elle serait plutôt issue d’un « mode de vie » chargé d’histoire, de mémoire, de nœuds, qui entre en contradiction avec la volonté des planificateurs d’homogénéiser, de transformer, de déformer l’espace social.
53C’est peut-être dans un espace complexe, dans la banalité de l’existence quotidienne, dans un certain savoir-faire qui traverse notre propre vécu, que l’on peut comprendre certaines résistances. Dans un mode de vie paradoxal, ambivalent qui, sous une apparente torpeur, transgresse et tourne en dérision les valeurs établies. C’est peut-être là le lieu d’une certaine pratique oblique, indifférente aux sollicitations du pouvoir ; non pas une pratique alternative, mais une pratique qui se tient à distance des modèles proposés par les codes de normalité dominants.
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1976 Logement et vie quotidienne, Ecole d’architecture de l’Université de Genève, Genève.
Notes de bas de page
1 Karl Marx, Le capital, UGE, coll. 10/18, Paris, 1971, p. 124.
2 Ibid, p. 222.
3 Marc Guillaume, Le Capital et son double, PUF, Paris, 1975, p. 14.
4 Jean Baudrillard, Pour une critique de l’économie politique du signe, Gallimard, Paris, 1972, pp. 76 et 77.
5 Marc Guillaume, Le Capital et son double, PUF, Paris, 1975, p. 45.
6 Jean Baudrillard, Pour une critique..., p. 64.
7 Cité par H. Raymond et M. Ségaud in : Analyse de l’espace architectural, RAUC, Paris, 1970, pp. 44-45.
8 Le Corbusier, L’urbanisme, Vincent et Fréal, Paris, 1966.
9 Cité par H. Raymond et M. Ségaud, p. 40.
10 Le Corbusier, L’urbanisme, p. 45.
11 Henri Lefèbvre, C’est demain la veille, Le Seuil, Paris, 1973, pp. 97 et 99.
12 Nicolas Schöffer, La ville cybernétique, Denoël, Paris, 1972, p. 128.
13 Mireille Valette, Logement et vie quotidienne, document EAUG, Genève, 1976.
14 Alain Léveillé, « L’espace sans qualité », in Archi-Bref, N° 16, Genève, 1979.
15 Henri Lefèbvre, Du rural à l’urbain, Anthropos, Paris, 1970, p. 210.
16 Service d’Action Sociale, Séminaire d’Etude sur le développement de la ville et le quartier à Genève, Hospice Général, Genève, 1976.
17 Marc Guillaume, Le Capital et son double, PUF, Paris, 1975, p. 86.
18 Ecole d’architecture de l’Université de Genève, Pour les Grottes, Ed. Zoé, Genève, 1979, p. 156.
19 Michel Bosquet, Ecologie et Politique, Ed. Galilée, Paris, 1975.
20 Jacques Lacan, Séminaire, Livre XI, Seuil, Paris, 19.
21 Marc Guillaume, Le Capital et...
22 Ibid., p. 165.
23 Gilles Deleuze et F. Guattari, L’anti-Œdipe, Ed. de Minuit, Paris, 1972.

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