Production de l’identité et pouvoir au Pérou
p. 220-231
Texte intégral
Sens et savoir : une distinction à propos de la production de l’identité
1Aux identités collectives puisant leurs attributs1 dans « l’âme » d’une culture postulée comme isolée, totale et différente, il convient de substituer, dans les formations sociales latino-américaines actuelles, l’idée d’identités relationnelles ou dynamiques, définies en grande partie dans des rapports de sens qui sont le résultat de rapports de force entre les différents groupes sociaux en présence. En d’autres termes, nous opposons à la conception essentialiste de l’identité courante chez les ethnologues, toujours prompts à conférer une nature particulière aux groupes qu’ils étudient, l’idée que les définitions identitaires se déploient actuellement dans un espace sémiologique et matériel fondamentalement contrôlé par les groupes dominants, ceux-ci disposant à peu près totalement du pouvoir de décider de l’être collectif des groupes dominés. Cette idée est contenue dans les textes de Rodrigo Montoya et Javier Albo qui paraissent dans le présent cahier, sans que les auteurs rompent pour autant totalement avec l’identité essentielle, dont ils maintiennent certaines variables (l’histoire chez R. Montoya, la langue chez J. Albo). Ces concessions sont aisément compréhensibles pourvu qu’on admette les propositions qui suivent.
2Nous l’avons déjà posé, dans les formations qui nous intéressent, le pouvoir se manifeste d’abord en ce qu’il contrôle spatialement le déploiement des définitions sociales, en ce qu’il impose un sens dominant. A l’inverse, les dominés ou leurs défenseurs s’efforcent — chaque fois que la conjoncture politique le permet — de produire des « contre sens », tentant de battre en brèche les définitions produites par le pouvoir à leur propos pour en donner d’autres, alternatives ou oppositionnelles. Dans l’un et les autres cas, on admettra que le succès du sens produit tiendra — en dehors des conditions proprement matérielles de sa diffusion — de ce qu’il saura s’appuyer sur une symbolique vraisemblable, utilisée ou susceptible d’être utilisée dans les représentations que les différents groupes sociaux se font (et imposent) d’eux-mêmes et des autres. Ainsi, on constate que les groupes dominants du Pérou classent les autres membres de leur société à partir de variations sur le thème du phénotype, attribut qui fonctionne comme parodie essentialiste, avec d’autant plus de succès que ce mode de classement rejoint — comme on le verra — une manière de formalisation sociologique courante dans le monde rural du pays. Tout le travail de production de sens en faveur des dominés, but des efforts de R. Montoya et J. Albó, consiste d’une part à réfuter les représentations qui se donnent dans le sens dominant (en en soulignant notamment l’évident racisme), mais surtout à articuler la critique d’un ordre socio-économique vécu par les plus démunis avec un ordre conçu dans lequel cette critique puiserait sa légitimation et son ampleur, déstabilisant en fin de compte les définitions du pouvoir. La Colombie actuelle offre un exemple remarquable de tentative en ce sens, avec la lutte des Gambianos chez qui les revendications pour l’accès aux moyens de travail — communes à toute l’Amérique latine — prennent un tour, des dimensions sans précédent, parce que des ethnologues sympathisants ont su les associer avec l’idée de récupérer par là-même un territoire ethnique spécifiquement gambiano pré-existant à la colonisation. Une carte de ce territoire est produite à chaque altercation avec les autorités. Nous ne donnerions pas cher des preuves scientifiques qui ont permis la « découverte » de ce territoire, mais la question n’est pas là : l’essentiel est que cette notion de territoire même parfaitement imaginaire prenne l’efficacité d’un mythe fondateur ; c’est-à-dire acquière rapidement une fonction sociale pour le groupe gambiano. Il est intéressant de noter qu’ici nous sommes bien en présence d’une lutte pour la reconquête d’un espace, l’espace concret revendiqué l’étant au nom d’un espace symbolique pré-existant aux pouvoirs coloniaux.
3Dans le même esprit, R. Montoya et J. Albó, en militants plus qu’en scientifiques produisent du sens plus que du savoir2 dans un souci d’efficacité symbolique et dans des desseins mobilisateurs que nous nous garderons bien de leur reprocher. Car peu importent finalement les fondements scientifiques des matériaux identitaires qu’ils distinguent, l’essentiel est qu’ils fonctionnent comme références idéologiques, qu’ils fassent système avec l’ensemble des velléités oppositionnelles des dominés et qu’ils orientent finalement de manière décisive leur histoire future.
4Ceci posé, nous aimerions poursuivre quelques réflexions sur la production de sens dominant en matière d’identité, notamment à l’intention des couches paysannes ou « indiennes ». Dans le Pérou actuel, son impact n’est, hélas, que trop important.
La définition sociale des identités
5Faisant le parallèle avec les Etats-Unis, où les noirs reçurent au cours de l’histoire récente des désignations différentes de la part de la population blanche : niggers, colored, negroes, blacks, Van den Berghe montre l’abondance de la terminologie désignant les ruraux au Pérou : campesino, indio, indigena, cholo, agricultor (Van den Berghe 1977 : 116 et ss.). Deux séries de nominations sont à l’œuvre ici : quelques-unes connotent une position anthropologique — ethnique ou plus exactement phénotypique — d’autres soulignent un statut professionnel, les termes employés dépendant du niveau de pertinence privilégié par le locuteur. Bien que la nomination du rural dans les catégories anthropologiques soit d’abord le fait de groupes extérieurs — les paysans préférant habituellement les désignations plus neutres3 — les endo-nominations dans le registre anthropologique ne sont pas rares. Il faut donc admettre leur incorporation par les ruraux, notamment en deux occasions :
lorsque le groupe subit une situation de contrainte matérielle et symbolique extrême de la part des groupes dominants : la définition sociale qui lui est impartie s’impose alors de manière absolue,
lorsque, à l’inverse, le groupe s’intègre à un mouvement revendicatif associant critique du paupérisme et recherche d’emblèmes particuliers.
6Dans le premier cas, être indio est une discrimination qu’on intériorise, dans le second cas une vertu qu’on proclame, un peu à la manière du black is beautiful des noirs américains. Dans les deux cas, l’indianité est une construction dont le sens varie avec celui du rapport de forces engagé. C’est Métraux qui, le premier, mentionne l’exo-nomination et le travail d’incorporation dont est l’objet le nom d’indien :
« L’Indien est un individu qui est reconnu comme tel dans la société dans laquelle il vit et qui accepte4 cette qualification » (Métraux 1959 : 227).
7L’approche de l’identité se complique encore dans le cadre péruvien, lorsqu’on constate que les nominations anthropologiques accompagnent l’ensemble des fluctuations de statut socio-économique que peuvent subir le groupe ou l’individu. Et ceci, aussi bien de manière interne, dans une communauté paysanne, que dans la société globale. Supposons, pure hypothèse mais parfaitement envisageable dans le contexte, un paysan particulièrement ambitieux. D’indio il va transiter vers le statut de cholo5, devenir peut-être un jour, au prix d’efforts ou par une alliance réussie, misti6. Son ascension s’arrêtera probablement là, à moins que, tenté par Lima, il puisse — lui ou plus sûrement ses descendants — devenir un authentique criollo7 maniant avec aisance les signes de l’urbanité de la côte. Un sort particulier — un ethos de classe, pour parler comme Bourdieu — est engagé dans chacune de ces nominations8.
8De la même manière, dans une étude socio-historique de la communauté péruvienne du Cuenca, M. F. Houdart montre comment, au cours du temps, des familles paysannes passent du statut d’indien à celui de blanc en parallèle de leur ascension sociale, tandis que d’autres, moins heureuses, régressent, à la fois économiquement et anthropologiquement (Houdart, 1976 : 147 et ss.).
La conversion anthropologique
9Van den Berghe, lorsqu’il qualifie les représentations des couches rurales les plus pauvres, distingue chez celles-ci — qu’il nomme « Indiennes » — une forte aptitude de classement des groupes selon le principe des différences anthropologiques (1977 : 252). Elles n’ignorent pourtant pas les différences socio-économiques, puisque dans une communauté de la sierra : « les blancs ne sont pas tant les blonds que les riches, et inversement, on peut avoir les yeux bleus tout en étant traité d’Indien si on n’a pas de terres » (Houdart 1980 : 48-49).
10A quoi rime alors cette magie sociale qui mue ainsi, constamment, les divisions socio-économiques en divisions anthropologiques ? Elle apparaît comme un travail permanent visant à convertir des différences de positions sociales en différences d’essence. Au riche, on attribue une couleur de peau particulière — parfaitement fictive — qui paraît constituer pour le pauvre la justification même du droit naturel du riche à l’être, ou, pour paraphraser Godelier, la base du consentement du dominé à sa domination, la traduction anthropologique donnée à chaque position sociale transformant des statuts explicables en propriétés ontologiques, de l’ordre de l’inné. Ce « mana » conféré aux êtres, révélateur d’une société qui convertit systématiquement les apparences en essences9, il nous en reste quelques indices dans les sociétés industrielles, par exemple lorsqu’on attribue à quelqu’un du charisme, c’est-à-dire lorsqu’on pourvoit certains dominants d’une sorte de grâce naturelle qui semble les avoir promis de tout temps à l’exercice de la domination et des privilèges10.
11Ces propositions nous paraissent importantes dans le cadre des recherches d’anthropologie politique actuelles. Godelier, qui ne cesse d’y réfléchir depuis des années11 avance l’idée qu’une des composantes du pouvoir résiderait dans la proximité manifestée des dominants avec les garants méta-sociaux traditionnels (dieux, ancêtres ou esprits). L’explication est judicieuse mais non suffisante pour comprendre la pérennité des structures de subordination au-delà d’une certaine complexité dans l’organisation de la formation sociale ou d’une érosion de la croyance dans les relations privilégiées que le pouvoir temporel entretient avec les garants méta-sociaux. Pour que les structures de subordination se maintiennent au Pérou, il faut donc en outre que les différents groupes dominés auto-produisent les bases de leur consentement à la domination. La traduction anthropologique nous paraît être un des mécanismes fondamentaux de cette obligation.
Les fonctions économiques du sens dominant
12Du point de vue des dominants, les représentations collectives de la société péruvienne comme juxtaposition de groupes anthropologiques divers ont intérêt à être maintenues. Masquant la réalité d’une division en classes socio-économiques12, divisions objectives et donc discutables, elles renvoient à un fractionnement culturel qui pénalise les dominés sans mettre en question les dominants.
13Car si le paysan est indien, on peut tenter de l’encadrer au niveau national selon les modalités particulières que semblent justifier son état anthropologique. L’Etat péruvien depuis la réforme agraire de 1969 organise les paysans sur des bases collectives, les comunidades campesinas13, en arguant d’une tradition communautaire à restaurer et de finalités socio-économiques spécifiques à encourager. L’économie communautaire y est fondamentalement analysée — nous reprenons les termes de C. Auroi — comme une activité dont « la motivation [n’est] pas le profit mais le bien-être de la communauté » (Auroi 1980 : 27-28). Le danger de tout ceci, lorsqu’on examine l’ensemble de la formation sociale péruvienne, réside dans les intérêts que peut avoir le secteur capitaliste à préserver un secteur agricole particulièrement peu avancé dans le processus de la transition, l’indianité constituant l’argument idéologique généralement utilisé pour justifier des faibles moyens accordés aux producteurs agricoles et de leur comportement économique de dominés. Cette hypothèse se vérifierait en étudiant plus particulièrement les transferts de valeur entre campagne et ville, qui s’organisent comme suit :
les structures faiblement productives des comunidades campesinas entraînent le repli de leurs membres sur une agriculture de subsistance insuffisante à pourvoir au plein emploi de la main-d’œuvre familiale et à ses nécessités de revenus ;
la main-d’œuvre disponible est accaparée par le secteur agroindustriel via la migration temporaire des paysans ;
les taux de salaire pratiqués en la circonstance sont extrêmement bas, les coûts de la reproduction et de la formation du paysan restant à la charge de l’unité domestique et celui-ci réglant son comportement dans l’agro-industrie en fonction de ses besoins en numéraire : il travaille pour réunir une certaine somme et sans attacher d’importance excessive au nombre d’heures passées pour l’acquérir — ce dont son patron profite pour baisser les taux horaires ; — la commercialisation des produits agricoles, lorsqu’elle peut avoir lieu, se fait à bas prix, le paysan n’intégrant pas ses coûts de production dans les prix de vente pratiqués.
14On voit où peuvent se placer, dans ce scénario, les justifications par l’indianité de situations objectives d’exploitation des producteurs agricoles par le secteur capitaliste.
15Du point de vue du dominant, l’identité est toujours suffisamment réaménageable pour qu’aucune « dictature des origines » ne puisse lui « coller à la peau », autrement dit pour que nul ne puisse, le cas échéant, menacer de le déstabiliser en lui rappelant ses origines modestes. Dans la mesure où son statut social organise ses qualités, il est inattaquable tant qu’il sait conserver son pouvoir.
Identité essentielle et identité relationnelle
16Selon une idée de Marx, tout produit porte les marques du système productif qui l’a engendré. Au Pérou, les nominations anthropologiques ont sans doute pris tout leur poids au moment de la conquête coloniale, dans d’évidentes tâches de distinction discriminatoires. Elles ont été reprises en charge par la société rurale, probablement parce que celle-ci avait une disposition particulière à conversion des apparences en essences. Leur reconnaissance14 par la formation sociale péruvienne tout entière à l’heure actuelle, incite à quelques réflexions supplémentaires.
17Il s’agit d’un lexique commun sans doute nécessité par les exigences d’une communication accrue entre les groupes dans la société globale, due notamment aux mobilités géographiques et sociologiques croissantes ce dernier siècle. Mais cette taxinomie possède la particularité de parler de l’urbain et du rural, de hautes et de basses positions sociales sans jamais les décrire comme tels, et sans jamais évoquer les mouvements concrets qui conduisent de l’une à l’autre position. Elle nie donc les dynamismes socio-géographiques, tendant à représenter la société péruvienne dans son ensemble comme un vaste village, dont les membres seraient moins affectés par une situation économique objective que par des différences anthropologiques naturelles.
18Nous ne prétendons nullement avoir fait le tour du problème des identités collectives au Pérou en insistant sur le rôle de l’exo-nomination dans la constitution de celles-ci. Nous prétendons simplement renverser l’ordre des priorités généralement manifestées dans l’analyse du problème, en soulignant que le statut d’Indien ou de blanc, loin de pouvoir être actuellement référé aux attributs d’une identité substantive quasi-autonome par rapport à une histoire sociale donnée, dépend au premier chef de la place à laquelle le jeu des forces politico-économiques assigne un sujet. « Un blanc peut devenir Indien si de dominant, il devient dominé ; il peut rester blanc malgré la miscégénation avec des éléments indiens, s’il réussit à maintenir une position de domination » dit M.-F. Houdart (1976 : 153). Ce qui signifie qu’il y a construction simultanée des positions sociales, de l’être individuel et collectif et de leurs définitions symboliques dans une société fluctuante, fondamentalement organisée par et pour le pouvoir.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Althusser, Louis
1965 Pour Marx, Maspero, Paris.
Auroi, Claude
1980 Contradictions et conflits dans la réforme agraire péruvienne : le cas de la SAIS Rio Grande (Puno), Itinéraires no 7, I.U.E.D., Genève, ronéo.
Cavaillès, Bertha
1979 « L’ethnie dans la société andine », Annales, nouvelle série, tome XV, no spécial, Université de Toulouse Le Mirail.
Deverre, Christian
1980 Indiens ou paysans, Le Sycomore, Paris.
Godelier, Maurice
1976 « Le sexe comme fondement ultime de l’ordre social et cosmique chez les Baruya de Nouvelle Guinée », Sexualité et pouvoir, A. Verdiglione ed., Payot, Paris.
1977 « Infrastructures, sociétés, histoire », Dialectiques no 21, Paris.
1978 « La part idéelle du réel. Essai sur l’idéologie », L’Homme, juillet-décembre, Paris.
1982 « Maurice Godelier, anthropologue marxiste », une interview au Monde dimanche, 14 février.
Greimas, A. J.
1976 Sémiotique et sciences sociales, Seuil, Paris.
Herbert, J.-L. ; Guzman Bockler, C. ; Quan, J.
1972 Indianité et lutte de classes, UGE, Paris.
Houdart, Marie-France
1976 Tradition et pouvoir à Cuenca, communauté andine, Travaux de l’Institut français d’études andines, tome XV, vol. II, Lima.
1980 « Un exemple de scissiparité de village dans les Andes : le cas de Pilchaca », Bulletin de l’Institut français d’études andines, tome IX, vol. 1-2, Lima.
Levi-Strauss, C.
1961 Race et histoire, Gonthier, Paris.
Meillassoux, Claude
1975 Femmes, greniers et capitaux, Maspéro, Paris.
Métraux, Alfred
1959 « The Social and Economic Structure of the Indian Communities of the Andean Region », International Labour Review, vol. 79, janvier-juin.
1982 « Le réveil des Indiens d’Amérique latine », série d’articles, Le Monde diplomatique, mars.
Tap, Pierre (ed.)
1980 Identités collectives et changements sociaux, Privat, Toulouse.
Van den Berghe, Pierre
1977 Inequality in the Peruvian Andes: Class and Ethnicity in Cuzco, University of Missouri, Columbia.
Veron, Elise
1978 « Sémiosis de l’idéologie et du pouvoir », Communications, no 28, Seuil, Paris.
Notes de bas de page
1 Parmi les attributs les plus souvent sollicités parce que les plus « profonds » : la langue, l’histoire, la culture matérielle, le territoire, le phénotype.
2 Cette distinction rejoint la distinction idéologie/science chez Althusser lorsqu’il avance : « L’idéologie comme système de représentations se distingue de la science en ce que la fonction pratico-sociale l’emporte en elle sur la fonction théorique. » (1965 : 268.)
3 R. Montoya et J. Albo signalent que, lorsque les ruraux parlent entre eux, ils se désignent comme « hommes », « être humains » (jaqi en aymara, runa en quechua). Il s’agit là d’un modèle général que A.J. Greimas (1976 : 61 et ss.) définit comme proxémique. Le groupe exploite sa contiguïté spatiale avec d’autres groupes et se constitue en tant que sens en utilisant un jeu de négations et d’affirmations de solidarité. Un grand nombre de peuples se désignent ainsi d’un nom qui signifie les « hommes », les « bons », les « excellents ». Corrélativement l’hors-groupe est dit ne pas participer des vertus humaines, et qualifié selon les cas de « mauvais », « méchant », « singe de terre », « œuf de pou » (cf. Levi-Strauss, 1961 : 21). Les paysans péruviens n’échappent pas à la règle qui décernent le qualificatif de « qala » les « nus ») aux groupes qui les entourent. Il faut signaler que le modèle proxémique est un modèle de production de significations simple et qu’il n’est nullement suffisant pour épuiser l’analyse des opérations de production d’identités dans le contexte de l’ouverture des sociétés rurales et de la constitution des formations sociales modernes. Pour ce faire, nous devons utiliser la notion de modèle fonctionnel reprise également de Greimas. Dans ce modèle, les identités ne se définissent plus à partir de référents spatiaux stables mais à partir des stratégies des différents acteurs sociaux en présence et en premier lieu du pouvoir. Celui-ci peut axiologiser fortement des catégories morphologiques utiles aux opérations de classements et de hiérarchisations qu’il pratique dans le corps social. Au Pérou il s’agit surtout de la race.
4 C’est nous qui soulignons.
5 Sans traduction littérale. Le cholo est le paysan sorti de son village, donc le marginal ou l’ambitieux.
6 Le misti (métis) est le dominant traditionnel de la société rurale, au niveau local ou régional.
7 Le criollo (créole) est l’homme de la ville, fier d’une ascendance espagnole parfaitement imaginaire la plupart du temps.
8 De même lorsque le rural se désigne du point de vue de sa profession, il n’est pas indifférent qu’il se présente comme paysan, campesino, ou comme agriculteur, agricultor. Au campesino sans grand capital et aux méthodes ancestrales s’oppose l’agricultor moderne soucieux d’une gestion rationnelle d’un capital en terre et en bétail.
9 L’existence y précède donc l’essence, donnée avec le retard de la traduction.
10 Voir les travaux de P. Bourdieu qui a de nombreuses fois souligné l’importance des « délégations d’autorité qui confèrent l’autorité aux discours autorisés ».
11 Voir Godelier : 1976, 1977, 1978, 1982.
12 Constat fait également par J.-L. Herbert au Guatemala (1972) et C. Deverre au Mexique (1980).
13 Le statut officiel des comunidades campesinas (communautés paysannes), anciennement nommées communautés indigènes, qui date de 1970, est un chef-d’œuvre de projection ethnologique : on y prône pour les comuneros un collectivisme et une égalité face aux problèmes de terre qui n’est en rien réaliste dans le contexte actuel.
14 Reconnaissance dans le sens d’E. Veron : utilisation, manipulation (Veron, 1978).
Auteur
Institut universitaire d’études du développement, Genève.
Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Côté jardin, côté cour
Anthropologie de la maison africaine
Laurent Monnier et Yvan Droz (dir.)
2004
La santé au risque du marché
Incertitudes à l’aube du XXIe siècle
Jean-Daniel Rainhorn et Mary-Josée Burnier (dir.)
2001
Monnayer les pouvoirs
Espaces, mécanismes et représentations de la corruption
Giorgio Blundo (dir.)
2000
Pratiques de la dissidence économique
Réseaux rebelles et créativité sociale
Yvonne Preiswerk et Fabrizio Sabelli (dir.)
1998
L’économie à la recherche du développement
Crise d’une théorie, violence d’une pratique
Christian Comeliau (dir.)
1996