Le role de l’ayllu dans la reproduction du systeme marchand simple dans le nord de Potosi
p. 31-90
Texte intégral
1Le nord du département de Potosí — autrefois la province de Chayanta — a longtemps été considéré comme l’une des régions les plus traditionnelles des hautes terres de Bolivie, censée « survivre » en marge du marché et d’un contrôle effectif de l’Etat. Cette apparente marginalité de l’économie paysanne contraste fortement avec les grands complexes miniers qui se sont développés au cœur même de la région 1 : Colquechaca et Aullagas durant les cycles de l’argent de l’époque coloniale et du xixe siècle2 et, plus récemment, l’énorme centre de l’étain constitué par Catavi, Siglo xx et Uncia.
2Cet article présente une partie d’une recherche3 qui avait pour but d’analyser les formes d’articulation par lesquelles les familles paysannes de cette région, regroupées à l’intérieur d’une hiérarchie complexe de communautés ou d’ayllus4, sont liées à la fois au marché du travail et à celui de la consommation. Cela impliquait aussi une analyse des possibilités d’accumulation qui existent à l’intérieur de l’économie paysanne andine du nord du Potosí. L’un de nos points de départ a donc été de récolter des données quantitatives qui permettraient d’évaluer les bases empiriques du modèle dualiste qui oppose « l’enclave » minière à « l’économie de subsistance » du paysan andin.
3Cependant, l’application synchronique de ce modèle dualiste conduit à masquer le fait qu’il est une négation de l’histoire. Contrairement à l’Altiplano de La Paz5, le nord du Potosí est caractérisé par le peu de succès qu’ont eu les hacendados — surtout ceux de Chuquisaca — à s’implanter dans la région avant la Révolution de 1952. C’est pourquoi seules des tentatives limitées ont été faites pour y appliquer la loi de Réforme agraire de 1953, conçue pour établir un régime de petits propriétaires individuels sur les terres contrôlées jusqu’alors par les haciendas.
4Si l’on évacue l’histoire complexe et encore peu étudiée des ayllus boliviens, il devient normal d’affirmer que les communautés « d’indiens libres » correspondent aux régions les plus pauvres et les moins intégrées à l’économie de marché, puisque les meilleures terres sont celles qui attirent le plus les haciendas. De là à conclure trop rapidement qu’une masse de communautés « traditionnelles », aux niveaux de production « dérisoires », continue à « végéter » en marge non seulement des « enclaves » capitalistes mais aussi de l’histoire elle-même.
5Notre recherche sur le nord du Potosi est maintenant suffisamment avancée pour que nous puissions rejeter de tels modèles — qui continuent hélas à dominer aussi bien la pensée des organismes nationaux de développement que celle de certains secteurs de la gauche bolivienne. On commence à reconnaître l’importance des surplus — en travail et en produits — utilisés par les ayllus de cette région dans les processus d’accumulation des formations économiques et étatiques auxquelles ils ont successivement appartenu6. Les mécanismes précis d’extraction du surplus ont naturellement varié énormément d’une époque à l’autre. Mais les niveaux actuels de vente de travail et de produits agricoles doivent être considérés à l’intérieur d’une « constellation » particulière de mécanismes d’articulation qu’il faut considérer comme le produit d’une histoire récente plutôt que d’attribuer ces niveaux à une quelconque condition mythique de « pauvreté originelle ».
6Si nous examinions, par exemple, la situation des Indiens de Chayanta durant les premières décennies de l’ère républicaine, l’image que nous en aurions différerait totalement de celle d’aujourd’hui. Ils étaient alors considérés parmi les Indiens les plus riches de Bolivie et par conséquent comme les plus capables de supporter la charge du tribut dont les finances de l’Etat dépendaient7 Le statisticien protectionniste José Maria Dalence a pu démontrer, pour l’année 1846, que le niveau de production en céréales était plus élevé dans le département de Potosí qu’à Cochabamba même et que la plupart des céréales du Potosí provenait de Chayanta8. Les ayllus de Chayanta fournissaient les marchés de La Paz et d’Oruro et commercialisaient leurs produits dans les Yungas de La Paz et même sur la Côte du Pacifique. La base de cette prospérité fut détruite par l’ouverture des marchés boliviens à la production plus raffinée des moulins chiliens et péruviens, après la victoire chilienne durant la guerre du Pacifique de 18799. En même temps, probablement poussés par la nécessité de remplacer les marchés perdus et de trouver une nouvelle source d’argent pour payer le tribut, les Indiens de Chayanta semblent avoir commencé à vendre saisonnièrement leur force de travail dans les petites mines régionales qui avaient été temporairement mises en veilleuse par le succès des mines à capital intensif de Colquechaca mais qui étaient redevenues économiquement viables lors de la baisse du prix mondial de l’argent10. Il est donc possible que l’origine de cette « constellation » particulière d’aujourd’hui, basée sur la vente saisonnière de force de travail, sur une faible émigration définitive et sur les bas niveaux de ventes agricoles en dehors de certaines zones clairement définies, doive être recherchée dans la mise en place des politiques économiques libérales des dernières décennies du xixe siècle qui ont structuré l’économie nationale à partir de l’exportation des matières premières (métaux surtout) et l’importation de biens de consommation11.
7Même en admettant que le rapport entre la surface des terres et la population soit encore aujourd’hui bien plus favorable que, par exemple, dans le nord de l’Altipiano, la mauvaise volonté apparente des Indiens du nord du Potosí à quitter définitivement leur terre soulève d’importantes questions en ce qui concerne les mécanismes de distribution de la terre à l’intérieur de l’ayllu. Nous analyserons ici ces mécanismes, tels qu’ils opèrent aujourd’hui12, en nous centrant plus particulièrement sur le processus par lequel les terres de la vallée consacrées à la production de maïs sont attribuées aux paysans résidents sur la Puna. Nous prétendons que, pour analyser la capacité d’une région agricole à servir « d’armée de réserve » pour les besoins de l’industrie, il est nécessaire d’examiner la structure de l’offre en travail, celle-ci étant déterminée, entre autres, par la souplesse des mécanismes de distribution de la terre à l’intérieur d’une société paysanne traditionnelle comme celle du Potosí du nord.
8Cette analyse des règles qui assurent l’accès aux terres de la vallée à près de 25 % de la population de la Puna, nous permet aussi de mettre en relation la stratégie andine « traditionnelle » de contrôle vertical du sol sur plusieurs niveaux et les processus internes de différenciation sociale à l’intérieur de la société andine13. Une étude historique a montré comment au xviie siècle, les chefs de Yayllu furent en mesure de développer leurs activités commerciales sur une grande échelle et cela parce qu’ils avaient le privilège de recevoir des prestations en travail de la communauté et d’accéder à une grande variété de niveaux écologiques s’étendant des hauts pâturages de la Puna (4 200-4 600 m) aux terres chaudes de la vallée (2 000-3 500 m)14. Même dans les conditions actuelles d’un plus grand égalitarisme communautaire15, nous constatons que ceux qui peuvent combiner les cycles agricoles de la Puna et de la vallée sont ceux qui ont les niveaux de production, de consommation et de vente les plus élevés. Nous pensons, cependant, que cette tendance à la différenciation sociale interne de l’ayllu est aujourd’hui mise en échec par l’insertion de l’économie paysanne dans ce que Bartra a appelé « un processus d’accumulation primitive permanente16 ». Celui-ci favorise le maintien du mode de production marchand simple qui a formé la base de la politique agricole de l’Etat depuis 1953, car un tel système exige que la production agricole soit fondée sur la prédominance de familles paysannes indépendantes17 Même à l’intérieur de ce contexte, nous pensons que l’ayllu, dans le nord du Potosí, remplit certaines fonctions clés pour la reproduction de ce système de petite production marchande.
9Il faut enfin remarquer que nous limiterons, ici, notre attention à l’aspect « purement agricole » de l’univers étudié ; à l’exception des mécanismes de distribution de la terre qui ont une signification plus générale, nous sommes surtout intéressé aux questions qui permettent au ménage paysan d’augmenter sa production et la vente de ses produits agricoles. D’autre part, un peu plus de la moitié (53 %) des 500 unités de production de la Puna qui forment notre échantillon ont déclaré qu’elles ne vendaient rien et la plupart d’entre elles font partie des 51 % qui ont déclaré vendre de la force de travail domestique saisonnièrement. Tout en examinant les facteurs régionaux qui limitent l’émigration permanente, nous analyserons donc l’économie interne des familles qui sont obligées de vendre leur force de travail temporairement pour obtenir l’argent dont elles ont besoin18.
La distribution spatiale des ressources et les formes dispersées du système foncier
10On peut distinguer trois aires d’activité agricole chez les paysans du nord du Potosí, correspondant approximativement à trois « tiers » écologiques qui s’étendent sur les pentes de l’est de la Cordillera de los Frailes :
L’élevage des Hautes Andes (4200-4600 m).
L’agriculture de la Puna (3500-4200 m).
L’agriculture de la vallée (2000-3500 m).
11Chaque tiers comprend une large échelle de microclimats : bien que leur capacité productive soit très limitée s’ils sont considérés isolément, ils offrent tous ensemble les conditions nécessaires à la production d’une large variété de plantes et d’animaux. L’ethnobotanique andine est en train de dévoiler la vaste gamme d’espèces, de variétés et de formes qui se sont développées dans les Andes et ont permis l’existence de populations agricoles sédentaires dans des conditions inconnues ailleurs dans le monde
1219. L’écotype de la Puna est caractérisé par des flux d’énergie extrêmement instables qui rendent toute activité agricole particulièrement risquée : la diversification des cultures ou l’augmentation de la population peuvent conduire à une réduction des périodes de jachère et, par conséquent, de la productivité de la terre. Néanmoins, les cycles de rotation imposent une distribution spatiale des cultures beaucoup plus étendue dans la région andine que partout ailleurs.
13En définitive, les conditions optimales pour chacune des productions qui toutes ensemble constituent « la base de ressources multiples » peuvent se trouver à de très grandes distances les unes des autres. C’est ainsi que, dans le nord du Potosí, les hauts pâturages où sont élevés des camélidés et de très grands troupeaux de moutons peuvent se trouver à 120 kilomètres des champs irrigués des vallées chaudes où sont cultivés des poivrons, des courges, du sucre, du maïs et, autrefois, du coton. La figure 1 montre la distribution verticale des principales cultures andines que l’on rencontre aujourd’hui dans le nord du Potosí, de même que certaines espèces européennes qui ont été intégrées dans le système de production. Cette distribution n’est qu’approximative puisque la qualité des terres peut fortement varier d’une région à l’autre. L’altitude n’est pas non plus le seul élément déterminant de la distribution spatiale des cultores. Les hautes pentes, moins exposées au gel, sont par exemple préférées aux champs d’un autre niveau pour cultiver des plantes sensibles au froid : sur la Puna, un soleil matinal intense après un gel nocturne peut détruire une culture. Chaque paysan doit adapter sa stratégie à la topographie locale et, s’il manque de terres favorables à une culture particulière, il peut choisir de l’entreprendre tout de même en dépit de la baisse de productivité que cela implique.
14En fait, nous n’avons trouvé aucun cas de paysans qui contrôleraient directement20 l’échelle entière des niveaux écologiques donnés dans la fig. 1. Les éleveurs du niveau 1 peuvent avoir accès aux terres du niveau 2, mais il demeure improbable qu’ils contrôlent les terres des niveaux 3 et 4, bien qu’ils puissent louer quelques parcelles de ces niveaux aux cultivateurs « d’en bas ». Les paysans du niveau 3 auront probablement accès aux terres des niveaux 2 et 4, mais pas aux pâturages des hautes terres. Ils satisferont leurs besoins moindres en terres de pâture en faisant paître leurs troupeaux sur les terres en jachère ou sur les pentes avoisinantes, à l’intérieur même de la zone agricole de la Puna. Les paysans de la vallée, résidant aux niveaux 6 ou 7, auront normalement accès aux trois niveaux de culture propres à la vallée, mais leur accès aux niveaux de la zone de la Puna dépendra de certains mécanismes qui seront analysés ci-dessous. Enfin, les habitants de la zone intermédiaire entre la Puna et la vallée (chawpiranal taypirana) auront accès aux terres limitrophes des deux zones, mais non pas aux terres situées aux extrêmes opposés dans l’échelle d’altitude.
15Il serait faux, cependant, de penser que chaque famille n’aurait accès qu’aux terres des niveaux adjacents. Thomas21 a montré comment les unités domestiques des plus hauts niveaux doivent aller à la recherche de sources d’énergie à l’extérieur de l’écosystème de la Puna. Une étude écologique a aussi été faite dans la thèse d’ethnohistoire de Murra22 qui analyse, dans les sociétés andines précolombiennes, la stratégie « du contrôle d’un maximum de niveaux écologiques ». Ce modèle établit les fondements de la pratique, courante chez de nombreux habitants des hautes terres à la fois éleveurs et cultivateurs, par laquelle ils contrôlent aussi directement la terre de la vallée : depuis l’époque coloniale, cette pratique est connue sous le nom de « double résidence 23 ». Il est ainsi normal de trouver une série de parcelles, situées à des niveaux écologiques discontinus et qui appartiennent pourtant à un même paysan.
16Considéré idéalement, ce modèle d’appropriation du sol reflète les tentatives des paysans de la Puna pour contrecarrer les instabilités climatiques en contrôlant directement la production dans plusieurs écosystèmes24. Dans les premiers âges de l’agriculture andine, cela facilitait aussi une autosuffisance économique en éliminant le besoin de dépendre d’autres groupes spécialisés pour avoir accès aux produits de première nécessité. Cette aspiration fut consolidée à l’époque des fédérations de langue aymara et devint une politique de l’Etat avec les Incas 25. Nous ne croyons pas, cependant, que cette volonté d’autosuffisance joue aujourd’hui un rôle important — et ceci pour des raisons que nous verrons plus tard — bien qu’elle puisse persister ici ou là sous forme de rêve nostalgique.
17Certes, la pratique de « double résidence » affecte la distribution du travail et des inputs à l’intérieur de l’unité domestique de production, qui constitue la forme dominante de l’organisation économique dans l’agriculture du nord du Potosi. C’est ainsi que l’on « descend », par exemple, le fumier des corrals et hauts pâturages vers les champs labourés « d’en bas » ; on peut aussi emmener un troupeau sur les terres qu’on vient de mettre en culture. Des bœufs de la vallée peuvent être conduits, pour servir de bête de trait durant le temps des semailles, jusque sur la Puna où ils profiteront des pâturages abondants des hautes terres avant d’être redescendus dans la vallée. Les bêtes de somme — ânes, mules, lamas mâles — servent durant les semailles et les moissons à transporter les semences, les engrais, les outils et la récolte elle-même entre les différentes parcelles et les greniers domestiques ; ils transportent aussi la récolte ou autres produits (particulièrement le sel) entre la Puna, la vallée et les marchés nationaux. La combinaison des inputs au cours de la production est ainsi grandement facilitée par l’accès direct à une large variété des niveaux tels qu’ils ont été décrits dans la fig. 1. Enfin, il est clair qu’une unité domestique qui dispose de terres sur la Puna et dans la vallée se doit d’assurer également une distribution « verticale » du travail familial. Comme le calendrier agricole de la Puna est de 1 à 3 mois plus avancé que dans la vallée, la famille entière peut, en principe, se déplacer entre les deux zones et utiliser ainsi d’une manière plus intensive sa force de travail domestique, avec les conséquences que nous verrons ci-dessous.
Le tribut [contribución territorial] : formes légales d'accès à la terre
18Examinons maintenant les formes légales qui déterminent la distribution de ces ressources entre les différentes unités domestiques de production. En premier lieu, l’accès à la terre est toujours conditionné par l’appartenance de chaque famille à une communauté ou ayllu. Cette institution continue à limiter la liberté de chaque famille à disposer à sa guise de la terre qu’elle occupe (sa tenure), non seulement parce que l’idéologie locale attribue à l’ayllu un droit éminent sur la terre comme aux époques précolombienne et coloniale, mais aussi parce que l’Etat lui-même (en dépit de fréquentes tentatives pour abolir l’ayllu) continue à utiliser ce groupe et ses représentants pour lever l’impôt26. Dans ce chapitre, cet impôt sera envisagé comme le mécanisme qui légitime l’accès de chaque famille à la terre.
19Jusqu’à la fin du xixe siècle, une importante proportion du revenu de l’Etat provenait du tribut levé dans les communautés indiennes27. En vue de s’assurer l’extraction de ce surplus, l’Etat essaya d’établir une relation entre terre et population, de telle manière que l’économie indienne puisse se reproduire de façon autonome tout en obtenant des niveaux de production assez élevés pour que les finances nationales et départementales puissent s’en approprier une partie. Des enregistrements périodiques (Revisitas i) de la population indienne furent effectués jusqu’à la fin du xixe siècle, confirmant ou redistribuant les droits de chaque famille sur les terres de l’ayllu. Avant la Revisita incomplète de 1882-1903, les chefs indiens du nord du Potosí (kurakas) communiquaient en général les changements survenus depuis l’enregistrement précédent aux fonctionnaires fiscaux dont l’intervention dans les affaires internes de l’ayllu demeurait ainsi minime. Le tribut semestriel variait selon la catégorie à laquelle appartenaient les familles dont les droits étaient confirmés à chaque cérémonie de paiement.
20Les communautés indiennes du nord du Potosí résistèrent violemment à la dernière Revisita de 1882-1903, car elle rompait radicalement avec la pratique antérieure : son but était de rendre effective la Loi d’expropriation de 1874 qui abolissait les ayllus, faisait le relevé de chaque parcelle, distribuait des titres individuels et transformait le tribut en un impôt annuel sur la production. Son but ultime était de créer un marché national de la terre et de faciliter ainsi l’expansion de l’hacienda28.
21L’impôt foncier donna lieu à un débat tout au long du xixe siècle. Beaucoup le considéraient comme un résidu honteux de l’exploitation coloniale et voyaient dans les ayllus un frein à l’expansion d’une agriculture capitaliste. Néanmoins, chaque fois qu’il était aboli, les finances de l’Etat exigeaient sa restauration, quoique sous un nom différent29. Le « tribut » colonial fut successivement transformé en une « contribution indienne » (contribución indígena) puis en une « contribution territoriale » (contribución territorial). Malgré tout, le mot « tribut » continua — presque comme un lapsus linguae — à être utilisé dans les textes de l’époque. Quant aux paysans, du xvie siècle à nos jours, ils ont toujours préféré parler de la tasa, et nous adopterons cet usage puisqu’il nous permet de mettre en relation ces contributions légales avec la distribution des ressources que nous analyserons dans notre dernier chapitre. Le terme tasa ne se réfère pas seulement à l’impôt prélevé par l’Etat mais aussi à la terre elle-même, sur laquelle on s’assure le contrôle en payant l’impôt. Plus précisément, une tasa consiste en un nombre variable de parcelles, cultivées ou en friche, situées entre les niveaux 3 et 7 décrits dans la fig. l. Les éleveurs doivent aussi payer la tasa pour garantir leur accès aux hauts pâturages. Les terres frappées de la tasa s’opposent aux terres du niveau 2, qui demandent de plus longues périodes de jachère, et sur lesquelles la rotation des cultures est décidée collectivement, pour des raisons que nous donnerons ci-dessous. Ces terres ne sont pas désignées par le terme de tasa mais par celui de mantas30, et cette distinction correspond à l’opposition mieux connue dans l’Altiplano entre sayana et aynuqa31.
22En fait, les catégories traditionnelles d’impôt reconnues par les registres de l’époque coloniale et du xixe siècle correspondent aux différentes formes d’accès aux ressources régionales de chaque catégorie de ménages. Ceux qui ont une plus grande sécurité de tenure sont appelés originarios, descendants — supposés — des membres de l’ayllu inscrits dans les premiers registres d’impôt de la Colonie au xve siècle. De génération en génération, les Indiens qui pouvaient prouver leur filiation directe avec les bénéficiaires des premiers temps étaient assurés de la possession sûre et inaliénable de leurs terres, à condition qu’ils remplissent leurs obligations envers l’ayllu et envers l’Etat. Il va de soi que, à chaque recensement, peu d’entre eux étaient capables de produire une preuve généalogique à l’appui de leurs revendications : d’autres Indiens pouvaient par conséquent être inscrits dans la catégorie des originarios, pourvu qu’ils en eussent reçu l’autorisation des autres originarios et acceptent de payer le montant approprié de l’impôt. Selon l’actuel kuraka octogénaire de Macha (Aransaya ou la Moitié d’en haut), les originarios étaient confirmés à chaque Revisita dans la possession de leurs terres de la Puna et de la vallée et avaient à payer 5 pesos pour ce double accès 32 ; leur accès aux terres mantas était en revanche considéré comme la conséquence de la tasa qu’ils possédaient et non de l’impôt qu’ils payaient.
23A part cette catégorie de personnes aux droits prétendus ab initio, un deuxième groupe était réputé être entré dès l’origine dans la communauté pour cultiver son surplus de terres (et augmenter ainsi le nombre de personnes disponibles auprès des autorités de l’ayllu pour remplir les obligations envers l’Etat et protéger les frontières contre les empiètements des communautés voisines). Connues sous le nom d’agregados, leur accès était limité soit aux terres de la Puna soit à celles de la vallée et elles devaient payer 3 pesos pour cet accès plus restreint aux ressources régionales33. Leur statut d’agregado impliquait toutefois une moins grande sécurité de tenure et pouvait être utilisé contre eux par les originarios en cas de conflit sur une terre 34.
24Une troisième manière d’avoir accès à une terre était encore moins sûre. Connus sous le nom quechua de kantu runas (witu jaqi en aymara), ces paysans n’avaient aucun droit sur la terre sinon l’usufruit qui leur était cédé par les possesseurs de titres originario ou agregado. Pour obtenir la permission de cultiver en marge des possessions de ceux-ci, les kantu runas (littéralement les hommes de la marge) rendaient de menus services à leurs protecteurs et se mettaient à la dispositon du prêtre local en représentant leur ayllu de résidence. Depuis 1882, aucun impôt n’était exigé de ces « forains sans terres » (foraster os sin tierras) 35.
25Aujourd’hui, comme au xvie siècle, le payement des impôts par les originarios et par les agregados se fait au cours d’un rassemblement semestriel (cabildo) de tout l’ayllu : connu sous le nom de cabildos de la St-Jean et de Noël, ils coïncident en fait avec les fêtes religieuses correspondantes (24 juin et 25 décembre) 36. Ces cabildos, présidés par les autorités de l’ayllu, sont des célébrations festives où le collecteur d’impôt (cobrador) distribue aux Indiens de la chicha et des feuilles de coca pour l’année en question. Chaque contribuable est appelé par son nom et se présente à la table cérémonielle où il doit payer son dû en présence des autres membres de l’ayllu ; les droits fonciers de chaque personne sont par conséquent confirmés publiquement au moment de chaque cabildo. S’il y a un absent, quelqu’un d’autre peut donner la somme requise et acquérir ainsi les droits sur la terre en question. De cette manière, un agregado peut obtenir les droits d’un originario avec l’approbation de toutes les personnes présentes. Durant les Revisitas du xixe siècle, le commissaire foncier ratifiait ces changements de statut en suivant les indications données par les kurakas et l’assemblée des Indiens. Comme nous le verrons, le même mécanisme pouvait permettre à un originario du siècle d’étendre son droit à cultiver la terre en y englobant une agregado tasa.
26Comment s’est donc modifiée cette situation « traditionnelle » lors de la dernière Revisita de 1882-1903 et surtout lors de la Réforme agraire de 1953 ? Il faut mentionner d’abord la situation juridique confuse qui surgit à cause des difficultés à adapter la Réforme agraire aux conditions du nord du Potosí. En fait le Préfet du Département reconduisit, en 1973 37, les obligations des Indiens des ayllus tandis que, au même moment, des topographes de la Réforme agraire commencèrent à faire un relevé des revendications collectives de certaines communautés. Aujourd’hui, la valeur de l’impôt est purement symbolique : alors que, il y a trois générations, elle était équivalente à une paire de bœufs38, actuellement elle permettrait à peine d’acheter un paquet de cigarettes. Formellement parlant, les Indiens considèrent encore le paiement de l’impôt comme une garantie importante de leurs droits sur la terre, bien que l’affaiblissement de l’autorité des kurakas permette d’outrepasser les règles traditionnelles, à une époque où pour la première fois une génération — la cinquième depuis la dernière Revisita — atteint l’indépendance économique.
27Pour clarifier les ambiguïtés qui ont pu se développer à propos des droits sur la terre, examinons maintenant un cas simplifié, pris dans la région de Macha, qui montre comment, à l’intérieur d’un contexte démographique fluctuant, les parcelles se sont subdivisées depuis la dernière Revisita. Ce cas est représenté graphiquement dans la fig. 2.
28Nous pouvons voir que deux tasas ont été attribuées à l’ancêtre originario (A), l’une étant une originario tasa permettant d’accéder à la fois aux terres de la Puna et de la vallée, l’autre étant une agregado tasa permettant d’accéder seulement aux terres de la Puna. Ces terres furent d’abord divisées entre ses deux fils B et C, B reçut l’originario tasa et C l’agregado tasa. Des deux fils de B, C reçut la section de la Puna et E la section de la vallée. La diversité des microclimats à l’intérieur de chaque section est montrée sommairement sur le diagramme. Ce n’est qu’à la quatrième génération que les terres de la Puna furent subdivisées, chaque bénéficiaire (G, H, J, K) ayant accès à tous les micro-climats locaux (a, b, c, d). Et ce n’est qu’actuellement, à la cinquième génération, que la terre, jusqu’ici en friche, a été mise en culture par les fils mariés de H. Les terres marginales de la tenure originelle, auparavant négligées à cause du manque de bras et/ou de l’absence de pression démographique, ne sont ainsi utilisées qu’aujourd’hui par les descendants de A.
29Nous devons maintenant nous demander comment les chefs des différents ménages représentés dans la fig. 2 ont été classés en fonction de leur statut fiscal. L’ancêtre A payait 8 pesos (selon le kuraka actuel de Aransaya) pour les deux tasas qui lui avaient été attribuées.
30Au moment où les deux tasas furent divisées entre ses deux fils B et C, ceux-ci devinrent respectivement originario et agregado : B payait par conséquent 5 pesos tandis que C payait 3 pesos. Le fils de B (E) déménagea dans la vallée, tandis que D resta sur la Puna en payant l’impôt de l’originario tasa ; la participation de E à cet impôt fut d’abord couverte en divisant en parts égales la récolte de maïs de E. Ce n’est que lorsque le fils de E (I) se fut établi lui-même en permanence dans la vallée que l’originario tasa fut normalement divisée, chaque section devant un impôt de 3 pesos. Il en résulta que D, d’abord originario, devint agregadoii. Nous pouvons supposer que cet accord entre D et I n’a été possible que lorsque la valeur réelle de l’impôt a baissé, si bien que la tenure pouvait être confirmée à l’intérieur de chaque branche de la famille sans qu’il en résulte une augmentation de la valeur réelle de l’impôt à payer.
31Passons maintenant à la quatrième génération : comment le nouvel impôt agregado fut-il divisé entre les descendants de D ?
32Durant plusieurs années, G et H se sont trouvés dans la même situation que L, M et N, les fils de H : ils n’ont pas formellement divisé leur parcelle, préférant cultiver les terres marginales et laisser leur père payer l’impôt maintenant dévalué. Durant tout ce temps, ils s’appelèrent eux-mêmes kantu runas — le terme semble convenir admirablement à une situation si bien envisagée par Chayanov — car ils travaillaient effectivement sur la marge de la tenure de leur père. Ce n’est qu’après la mort de H, qui survint juste au moment où ses fils atteignaient leur majorité, que G prit le satut d’agregado et contribua aux obligations fiscales surtout symboliques de son père. La cinquième génération assume maintenant le statut de kantu runas ; elle ne paie aucun impôt et augmente la portion cultivée de la tasa de ses ancêtres.
33Par cet exemple, nous voyons comment une tenure, attribuée à l’origine à l’ancêtre A, a été divisée conformément à l’extension latérale des branches de sa famille. Mais, comme l’accès à la terre est justifié par la référence à un ancêtre unique, les membres de chaque branche ont un droit résiduel sur la terre des autres branches ; étant donné le développement inégal de chaque branche, il y a possibilité de réunir des parcelles de la tenure originelle en fonction des conditions démographiques à l’intérieur de chaque branche. Nous voyons ainsi que I, l’héritier des terres de la vallée, se trouvant sans enfants, propose à H avant qu’il ne meure de cultiver avec lui les parcelles de la vallée. De même, le fait que F a peu de descendants permet aux héritiers de D de prendre des champs dans la tasa des héritiers de C, si leurs besoins le justifient39.
34Il est possible que les mécanismes décrits ci-dessus soient très anciens et traduisent la manière par laquelle la population indienne adapte les catégories fiscales aux exigences des cycles de développement de chaque groupe domestique. Des changements de catégorie fiscale survinrent certainement lors des Revisitas du xixe siècle, mais les sources administratives ne nous en donnent pas une image aussi détaillée que celle que l’on peut obtenir par un travail ethnographique sur le terrain. Etant donné l’abandon des Revisitas au xxe siècle, il est aussi possible que cette souplesse d’adaptation des catégories fiscales au cycle de développement de chaque famille soit la conséquence de la levée des restrictions de l’Etat sur la redistribution de la population en fonction des terres disponibles. Seule une recherche approfondie en ethno-histoire pourrait résoudre ce problème.
35Il est clair toutefois que là où existent des terres en surnombre sur lesquelles des membres de la famille peuvent s’installer, l’emploi d’un concept comme celui de minifundio est inapproprié. Là où il n’y a pas de terres en friche, cependant, d’autres mécanismes de redistribution de la terre peuvent intervenir. Des stratégies de mariage, par exemple, peuvent être mises en œuvre en vue d’acquérir des terres très éloignées de son lieu de naissance. Dans l’exposé qui va suivre, nous postulons un système de mariage virilocal : des restrictions exogamiques, combinées à une transmission patrilinéaire des terres40, conduisent à l’expulsion des femmes de leur lieu de naissance et à leur intégration dans d’autres groupes patrilinéaires. De tels groupes chercheront à assurer leur reproduction et leur expansion en créant continuellement de nouveaux ménages avec des femmes recrutées dans d’autres groupes patrilocaux. Cependant, si un homme n’a aucun héritier mâle, il peut donner en dot une partie de la tenure familiale à ses filles qui deviendront alors très convoitées par les fils des familles dont l’accès aux terres est limité. Dans ce cas, le mariage sera uxorilocal et les enfants porteront le nom de leur grand-père maternel : l’exception devient ainsi conforme au système de succession dans lequel on donne à la terre le nom de la famille qui a le droit de la cultiver (Wilka tasa, Mamani tasa, par exemple).
36Un homme qui a des terres sur la Puna peut aussi décider d’épouser une femme qui a des terres dans la vallée pour rétablir le réseau de contrôle « vertical » dans le cas où il a été perdu. Nous avons vu que cette perte peut résulter du partage d’une originario tasa entre deux frères, bien que le lien de parenté permette à chacun de conserver son accès aux produits de l’autre zone écologique41. Mais il est clair qu’une descendance nombreuse produira un affaiblissement du lien de parenté qui unit les ménages des deux zones. Il est alors possible de recréer ces liens à travers des mariages entre zones. Des généalogies recueillies parmi les payans de la vallée 42 nous permettent de proposer le modèle suivant, dans lequel de telles alliances entre zones apparaissent comme des moments à l’intérieur d’un cycle.
37Selon ce modèle, une alliance entre la Puna et la vallée devient particulièrement intéressante lorsque trois ou quatre générations se sont succédé depuis le mariage vertical antérieur au lignage patrilinéaire correspondant. Cela est dû à l’affaiblissement progressif des liens de parenté tissés lors du mariage précédent ou à la subdivision de l’originario tasa. Nous pouvons donc dire que, à n’importe quel moment, un quart seulement des ménages de la Puna auront également accès aux terres de la vallée. Notre étude, faite en 1978, confirme cette thèse : sur les 500 chefs de famille interrogés, 25 % d’entre eux (127/500) ont déclaré posséder des terres dans les deux zones. Nous pouvons donc en déduire que la fragmentation des terres est contrebalancée par des mécanismes de réunification de telle manière que, à n’importe quel moment et avec des conditions démographiques constantes, un quart des paysans de la Puna jouissent d’un accès privilégié aux ressources des deux zones.
38Nous conclurons ainsi :
Les tasas, dont l’origine remonte aux Revisitas du xixe siècle, se sont fragmentées à tel point que les paysans eux-mêmes se considèrent comme agregados ou kantu runas 43, selon leur position à l’intérieur du cycle domestique et le rapport homme/terre propre à leur communauté.
La dévaluation de l’impôt a rendu les obligations fiscales presque inexistantes en termes réels, quoique le paiement de l’impôt conserve toute son importance formelle et symbolique puisqu’il confirme les droits d’usufruit. Actuellement, le surplus extorqué aux ayllus provient directement du travail et des marchés de consommation.
La fragmentation des droits fonciers ne devrait pas être trop rapidement étiquetée sous le nom de minifundismo puisque :
La dispersion de chaque « propriété » dans des zones écologiques et des microclimats différents est caractéristique de l’agriculture des Hautes-Andes et traduit la nécessité de s’adapter, dans des conditions technologiques données, à des problèmes climatiques particulièrement aigus.
Le système de succession permet de consolider les « propriétés » dispersées, pour contrebalancer les effets d’un développement inégal entre les différentes branches de descendants d’un ancêtre commun.
Des stratégies de mariage permettent aux hommes pauvres en terres de créer de nouvelles parcelles avec les terres de leur épouse et surtout de récupérer un contrôle, que le développement du cycle générationnel avait affaibli, à la fois sur les terres de la Puna et sur celles de la vallée.
Le hameau paysan : sa dynamique et sa fonction économique
39Les actuels droits fonciers se sont donc constitués sur la base des tasas attribuées, à la fin du siècle dernier, à des paysans qui, alors, se répartissaient entre les catégories d’originarios, d’agregados et de kantu runas. Mais les Revisitas prirent comme point de départ un seul moment chronologique bien précis dans le processus continu de développement démographique et de redistribution territoriale. Nous avons déjà analysé certains aspects de cette dynamique interne de la société paysanne, dont les commissaires fonciers n’étaient naturellement pas en mesure de contrôler le développement. Ainsi, chaque registre donne de ce processus l’image d’un moment « gelé », qui perd sa validité au fur et à mesure que la dynamique de la société paysanne se poursuit. Cette rupture entre Revisita et réalité peut être plus clairement comprise si l’on considère le modèle résidentiel des unités domestiques de production.
40Jusqu’ici, l’analyse s’est centrée sur le ménage, économiquement autonome et constituant par conséquent le noyau de la production marchande simple, et sur le groupe patrilocal, expression locale des règles qui gouvernent l’héritage de la terre. Ce dernier donne naissance aux hameaux paysans dont la taille varie en fonction des mouvements démographiques locaux. Dans le modèle le plus simple, les maisons du groupe patrilocal sont construites sur des terres improductives, à proximité de la superficie autrefois attribuée à l’ancêtre commun et maintenant dispersée entre les unités de production issues de cet ancêtre. Or, au moment de la dernière Revisita, chaque hameau (ou groupe patrilocal) était à un stade déterminé de croissance ou de déclin. Les commissaires attribuèrent donc un nombre variable de tasas à chaque hameau (1 ou 2 pour un ménage isolé et un plus grand nombre pour un hameau déjà constitué par plusieurs unités domestiques).
41Considérons l’exemple déjà présenté dans la fig. 2. Ici, les commissaires fonciers ont attribué deux tasas, l’une originario, l’autre agregado, à l’ancêtre commun (A) des ménages qui actuellement jouissent des mêmes tasas. Les descendants qui ont hérité de l’agregado tasa n’ont eu qu’une faible croissance : ils occupent aujourd’hui une seule cour dont les trois bâtiments en briques d’adobe constituent les habitations et le grenier des deux unités domestiques représentées par J et K. En revanche, les descendants de B se sont multipliés au point de s’étendre hors de l’aire cultivée, sur les terres marginales de la tenure. Ils possèdent actuellement dix maisons qui totalisent treize pièces et consituent les habitations et les greniers des six unités descendantes de B. D’autres hameaux sont beaucoup plus grands car ils étaient déjà dans une phase d’expansion au moment de la dernière Revisita : d’autres maisons au contraire sont isolées car elles ont été construites récemment sur des terres non revendiquées, selon des mécanismes que nous analyserons ci-dessous.
42Bref, nous pouvons supposer que le processus de désintégration qu’a subi la tenure originario dans notre exemple se déroulait également autrefois après chaque enregistrement, jusqu’au moment où un nouvel enregistrement venait le rééquilibrer.
43La formation de hameaux en marge des terres cultivées ou en jachère est caractéristique de la Puna. Il suffit d’un nombre variable de ces groupes résidentiels pour former, avec leurs terres, un ayllu minimal ou cabildo44. Chaque hameau revendique également l’accès aux terres mantas. Dans la vallée une telle formation de noyaux résidentiels est exceptionnelle. Chaque ménage 45 tend au contraire à se séparer de la résidence paternelle et à construire sa maison, isolément, au milieu de ses champs de maïs.
44Cette différence peut être mise en relation avec l’absence de mantas dans la vallée. Sur la Puna, la décision d’implanter de nouvelles mantas sur des surfaces en friche et la succession des cultures plantées annuellement sur chaque manta sont coordonnées entre tous les chefs des ménages du hameau correspondant. Traditionnellement, les mantas étaient redistribuées entre les ménages de chaque hameau par le chef de l’ayllu minimal (alcade) ; aujourd’hui ce mode de redistribution est en voie de disparition, sauf en cas de conflit, et la plupart des ménages savent de quelles mantas ils peuvent jouir. Cependant un contrôle collectif est maintenu dans le choix des friches et dans l’orientation du cycle de rotation, pour des raisons de sécurité. En effet, lorsque le moment est venu pour chaque hameau de choisir de nouvelles surfaces, un dilemme surgit. D’un côté, ce moment devrait être retardé le plus possible pour permettre à la terre de retrouver sa condition optimale, mais, si le hameau attend trop longtemps, un autre hameau peut vouloir saisir la chance de profiter de ressources apparemment abandonnées. La plupart des conflits sur la terre (ch’ajwas) ont lieu à propos des limites de l’ayllu et sont causés par un hameau qui revendique les mantas qui lui sont limitrophes. Cette menace implique que chaque hameau puisse se mobiliser collectivement pour défendre les terres en litige. Cette mobilisation est facilitée grâce à la coordination des cultures sur les mantas entre tous les membres d’un hameau. Leurs intérêts individuels sont ainsi cimentés à l’intérieur d’un territoire homogène. De telles précautions vis-à-vis de ses voisins ne sont pas nécessaires dans la vallée où il n’y a point de mantas.
45Ce mécanisme, aussi bien que le système de succession que nous avons décrit, montre comment l’ayllu assure la reproduction des conditions minimales de la production agricole en permettant au petit paysan de devenir une source de surplus et de contribuer ainsi à la reproduction de la formation sociale bolivienne tout entière. Selon notre étude de 1978, 10 % environ des dépenses familiales est absorbé par les obligations imposées par l’ayllu ; cela devrait être considéré comme un investissement productif qui contribue à garantir la reproduction de chaque unité de production.
46Cependant, même en réduisant la longueur des cycles de rotation, chaque hameau ne dispose que de possibilités limitées d’expansion et l’élasticité marginale représentée par les stratégies individuelles que nous avons analysées jusqu’ici peut devenir nulle. Il existe alors une autre solution à l’intérieur de la dynamique de la société paysanne du nord du Potosí. Des enfants sans terres peuvent être relégués sur des terres plus éloignées du hameau où ils s’installeront soit sur des mantas de moindre qualité qui n’ont pas de possesseurs effectifs (dans ce cas ils essayeront de transformer les mantas en tasas), soit, si cela n’est pas possible, sur les terres en marge des tasas d’autres hameaux moins peuplés. De telles solutions provoqueront une augmentation des kantu runas ou des agregados dans l’ayllu. Nous avons observé de tels cas de « transplantations » de population à la fois sur la Puna, où un groupe de familles essayait d’établir un nouveau hameau, et dans la vallée, où une famille isolée cherchait à obtenir l’approbation de l’ayllu qui contrôle son nouvel environnement. Il est clair que cette solution produit de sérieux conflits en ce qui concerne les droits des nouveaux venus à devenir membres de l’ayllu ; sur la Puna, en revanche, il est évident qu’un groupe de familles créant un nouvel hameau choisit son propre collecteur d’impôt et devient par conséquent un nouvel ayllu minimal ou cabildo 46.
47En dernier ressort, d’autres solutions sont possibles à l’intérieur des réseaux qui articulent l’économie paysanne du nord du Potosí à la société globale. La rareté de la terre peut obliger une unité de production à augmenter le nombre de ses migrations saisonnières. D’autres facteurs, comme le manque d’animaux, peuvent aussi être déterminants. Cela signifie que l’accès à des ressources extérieures, en argent ou en nature, a été intégré depuis longtemps dans le calendrier annuel du paysan du nord du Potosí ; celui-ci travaille temporairement dans les petites mines ou devient définitivement salarié dans les plus grandes. Aujourd’hui, en effet, de nombreux paysans contribuent à enfler le secteur tertiaire des centres miniers de Siglo xx-Catavi (comme porteurs) ou les migrations saisonnières dans les plantations de sucre de Santa Cruz. Certains cherchent du travail dans les champs de maïs de leur région, pour s’assurer l’obtention des produits de base dont la production leur est impossible à cause du faible nombre de niveaux écologiques dont dispose leur unité de production (cf. le cas de Ravelo, dans le chapitre suivant). Notre enquête a montré que 51,6 % (258/500) des ménages interrogés avaient, durant l’année 1977-78, effectué un travail saisonnier qui requérait, en moyenne, une absence de trois mois. La vente saisonnière de force de travail constitue donc, parallèlement à la vente des produits agricoles, un moyen important de se procurer de l’argent et renforce la subordination de la famille paysanne aux marchés nationaux des biens de consommation et du travail.
48La forme la plus intense d’articulation avec le marché du travail est naturellement l’émigration vers les villes ou les centres de colonisation des basses terres tropicales. Notre enquête a cependant montré que seul 13 % (69/500) des ménages interrogés ont perdu des membres de cette manière, contrairement au nord de l’Altiplano où cette proportion s’élève à 38 %. Le nombre moyen de départs définitifs (137 personnes pour 69 ménages) est de 1,98, soit 0,27, (137 personnes pour 500 ménages) pour l’ensemble de notre échantillon, alors qu’il est de 0,8 pour le nord de l’Altiplano. Cette comparaison fait ressortir que le rapport homme/terre est plus favorable dans le nord du Potosí et démontre l’efficacité encore actuelle des mécanismes locaux de distribution de la terre47.
49Notre analyse remet fortement en question toute approche qui décrirait le marché du travail en termes d’« armée de réserve » dont la taille varierait uniquement en fonction des fluctuations de la demande des centres industriels. Tout aussi importante, en effet, est la structure de l’offre, et celle-ci doit être mise en relation avec la structure agraire spécifique que nous avons étudiée. Ces facteurs devraient pouvoir expliquer pourquoi l’économie paysanne du nord du Potosí n’a fourni que du travail saisonnier aux petites entreprises minières de la région et n’a jamais été en mesure de constituer une force de travail permanente pour le grand centre minier de Siglo xx, pourtant situé dans la même région. Le secteur minier a donc dû se contenter d’une utilisation fonctionnelle du « chômage saisonnier » du paysan local et importer sa force de travail de Cochabamba ; là, en effet, et cela dès la fin de l’époque coloniale, s’est développée une structure rurale polarisée, avec d’un côté les grands propriétaires et de l’autre une masse de paysans sans terres, prêts à être transplantés dans les grands centres miniers du nord du Potosí48.
Mise en culture dans les deux zones écologiques et différenciation sociale
50Nous avons vu comment, en ne considérant qu’une seule génération, 25 % environ des ménages paysans de la Puna ont également accès aux terres de la vallée à cause de leur situation dans le cycle des générations de leurs groupes de descendance patrilinéaire. Ces ménages établissent un lien social avec ceux qui n’ont de la terre que dans l’une des deux zones. Cette liaison se fera (et circulera) entre les unités de toutes les différentes branches de chaque groupe de descendance, au fur et à mesure que se déroulera le cycle générationnel. L’accès privilégié aux ressources régionales implique des obligations plus nombreuses envers l’ayllu — les ménages concernés doivent par exemple financer des fêtes dans les deux zones49 — et on peut le concevoir comme circulant tour à tour dans toutes les branches de chaque groupe de descendance.
51Ces obligations plus grandes imparties aux ménages qui ont à la fois accès aux terres de la Puna et à celles de la vallée reflètent le droit éminent que l’ayllu conserve sur toutes les terres à l’intérieur de sa juridiction. Comme le montre la fig. 1, l’ayllu, dans le nord du Potosí, est une division territoriale « verticale » qui s’étend sur les deux zones ; elle peut consister en une bande continue ou, au contraire, en deux enclaves discontinues 50. L’emplacement des terres d’un ménage dans la vallée dépendra donc de la localisation dans la vallée de l’ayllu auquel appartient ce ménage. On peut appréhender le « droit de réversion » 51 dévolu à l’ayllu dans la confirmation rituelle des droits sur la terre, qui est exigée de tous les membres de l’ayllu (surtout leur participation à la bataille rituelle ou tinku) de même que dans l’expulsion occasionnelle des membres qui ont violé certaines règes de l’ayllu et qui sont remplacés par les « étrangers » installés sur les tasas disponibles 52.
52Autrefois, l’accès différentiel à ces ressources éloignées était fonction de différences marquées dans la richesse et le statut53. Au nord du Potosí comme dans d’autres régions andines, l’accès limité des membres de la communauté aux terres de la vallée contrastait avec le contrôle beaucoup plus étendu dont jouissaient alors les autorités de l’ayïllu sur les ressources extérieures. Sous la domination espagnole, l’accès privilégié aux prestations en travail de la communauté permettait aux seigneurs de l’ayllu (kurakas) d’acquérir également un contrôle sur les surplus qui pouvaient être convertis en capital commercial destiné à soutenir leurs opérations dans le secteur commercial de la société coloniale 54. Aujourd’hui, comme nous le verrons, l’accès différencié aux ressources régionales affecte encore les processus de stratification à l’intérieur de Yayllu, bien que les formes d’articulation avec le marché aient évidemment changé 55.
53Nous comparerons dans ce chapitre le comportement économique de ces producteurs qui, au moment de notre enquête, suivaient la pratique « traditionnelle » de culture dans les deux zones, à celui des producteurs qui ne le faisaient pas. Les résultats nous obligeront à remettre en question l’opinion selon laquelle les bas niveaux de production et la faible participation au marché seraient en relation avec le « traditionalisme » du paysan andin.
54Les tableaux 1 et 2 distribuent les ménages qui ont une double tenure en fonction du canton (canton) dans lequel sont situées leurs terres de la Puna et en fonction de l’ayllu auquel ils appartiennent56.
55La proportion élevée, dans le canton de Ravelo et dans l’ayllu de Murumuru, de ménages qui ont une double tenure est certainement due à la faible distance qui sépare à cet endroit les terres des deux niveaux écologiques. Les différences de comportement économique entre ces ménages et les autres seront utilisées comme point de référence dans l’analyse qui va suivre.
56Tout d’abord, il faut remarquer que seuls 49 (38,5 °/o) des 127 chefs de famille qui ont une double tenure cultivaient réellement leurs terres de la vallée au moment de l’enquête. Pour expliquer cet apparent dédain pour une ressource cependant fortement prisée, nous devons passer en revue les facteurs qui déterminent la mise en culture des champs de maïs dans la vallée.
1. Accès aux champs de mais de la Puna
57Une variété naine de maïs (sara ch’isiwayu) peut en fait être cultivée dans les ravines protégées ou dans les champs les plus bas de la zone de la Puna (niveau 4 dans la fig. 1). Le tableau 3 montre que seuls 3 (2 %) des 127 ménages cultivent en même temps les deux sortes de maïs, alors que 46 (94 % ) ne cultivent pas de maïs sur la Puna. Cela pourrait faire croire que les paysans des niveaux les plus élevés de la Puna ont un besoin plus impérieux de cultiver dans la vallée que ceux qui ont accès aux terres du niveau 4. Cependant, si nous considérons les 78 ménages qui ne cultivent pas leurs terres de la vallée, nous voyons que 52 d’entre eux (67 %) ne cultivent pas non plus de maïs sur la Puna. Nous pouvons donc conclure que le manque de terres à maïs sur la Puna est une condition nécessaire mais pas suffisante pour qu’un ménage mette en culture ses terres de la vallée.
2. Composition démographique du ménage
58Nous avons déjà vu qu’une mise en culture des deux niveaux écologiques requiert un investissement en travail beaucoup plus grand. De plus, les terres de la vallée peuvent être situées jusqu’à 120 kilomètres de la résidence de la Puna ; à pied, cette distance peut être couverte en deux ou trois jours mais, avec des lamas, le voyage peut prendre deux semaines. Pour satisfaire à ses besoins supplémentaires de main-d’œuvre, un ménage peut louer de la force de travail domestique. Ces difficultés peuvent être réduites si le ménage a une structure démographique favorable.
59Ce tableau nous donne la distribution par sexe des membres de la famille en âge de travailler (10 ans et plus) dans les unités domestiques de la Puna qui possèdent aussi des terres dans la vallée, selon qu’ils cultivent ou non dans les deux zones. On peut voir que l’on trouve une proportion plus élevée d’hommes dans les unités qui cultivent leurs terres dans la vallée. Inversement, les ménages qui ne les cultivent pas sont caractérisés par une proportion plus élevée de femmes. Nous pouvons donc estimer — le faible degré de signification ne nous permet pas de tirer une conclusion définitive — qu’une plus grande disponibilité en hommes permet aux ménages de cultiver dans les deux zones, puisque les exploitations où les surfaces de terres cultivées sont plus grandes ont besoin de plus de travail masculin.
60Harris 57 a en fait suggéré qu’une mise en culture des deux zones n’est possible qu’à certains moments du cycle domestique : la situation optimale serait obtenue lorsque le ménage ne comprend aucun enfant au-dessous de dix ans (ce qui augmente la mobilité entre la Puna et la vallée) tout en pouvant encore compter sur le travail d’enfants plus âgés. Le tableau 5 mesure l’importance des personnes à charge dans les ménages qui ont une double tenure, selon qu’ils cultivent ou non leurs terres de la vallée.
61Ces résultats tendent à confirmer l’hypothèse de Harris dans la mesure où le nombre de ménages qui cultivent leurs terres de la vallée diminue lorsque le nombre de personnes à charge augmente. Les observations inscrites dans la dernière ligne du tableau ne sont malheureusement pas assez nombreuses pour tirer des conclusions définitives. Mais les tableaux 4 et 5, dans leur ensemble, suggèrent que la proportion d’hommes et la proportion de personnes à charge déterminent les ménages de la Puna qui ont une double tenure à entreprendre ou non une mise en culture dans les deux zones 58.
3. Accès à du travail extérieur à l’unité domestique
62Le recours à l’emploi de main-d’œuvre extérieure qui caractérise certains ménages qui produisent dans les deux zones peut être l’une des solutions au problème posé par la plus grande quantité de travail que nécessite cette double activité (tableau 6). Nous pouvons observer une tendance plus grande à louer de la force de travail extérieure dans les familles qui cultivent leurs terres de la vallée que dans celles qui ne les cultivent pas. Bien que les unités de production fondées uniquement sur le travail familial soient prédominantes même dans les ménages qui pratiquent une double culture, le pourcentage de ceux qui utilisent du travail salarié est, dans ce cas, deux fois plus élevé que dans l’ensemble de notre échantillon. En revanche nous voyons que cette proportion est la même pour les familles qui ne cultivent pas leurs terres de la vallée.
63Il est cependant important de remarquer que le 54 % (7/13) des unités qui cultivent dans la vallée et utilisent du travail extérieur viennent du canton de Ravelo où, comme nous l’avons déjà dit, les deux zones écologiques de la Puna et de la vallée sont très voisines. Dans cette région, les migrations saisonnières de la Puna vers la vallée sont particulièrement importantes dans les familles qui ne peuvent compter sur leur propre production de maïs et qui, par conséquent, souhaitent être payées en nature (cf. le point 7 ci-dessous). En fait, le 86 % (6/7) des unités de Ravelo qui cultivent dans la vallée et utilisent du travail extérieur paient, selon les résultats de notre enquête, leurs travailleurs avec une partie de la récolte de maïs, alors que cette proportion est de 77 % (10/13) dans l’ensemble de l’échantillon.
64Nous pouvons supposer que, corollairement, les unités qui exercent leur activité agricole dans les deux zones vendent moins leur force de travail domestique que les autres et cette hypothèse est renforcée par le tableau 7 dans lequel nous voyons en effet que ces unités vendent moins de force de travail que celles qui ne cultivent pas leurs terres de la vallée et que l’échantillon tout entier.
4. Accès aux bœufs de labour
65Un autre moyen de réduire la pression exercée sur le temps de travail de la famille consiste à posséder des animaux de trait ou à y avoir accès indirectement. 35 % des familles interrogées et 37 % de celles qui possèdent mais ne cultivent pas des terres dans la vallée ne disposent d’aucun bœuf de labour. En revanche, le 10 % seulement de celles qui cultivent les terres de la vallée sont dans une telle situation ; les autres peuvent avoir accès à des animaux, même s’ils doivent les emprunter ou les louer. D’ailleurs 59 % de ces unités possèdent leur propre paire de bœufs alors que cette proportion n’est que de 32 % dans les familles qui ne cultivent pas leurs terres de la vallée.
66L’accès direct ou indirect à une paire de bœufs facilite la mise en culture dans les deux zones. Cela, mis en relation avec ce que nous savons de l’utilisation d’une force de travail extérieure, pourrait signifier que ce type de culture est lié à des niveaux plus élevés de richesse. Avant d’examiner cette hypothèse, nous examinerons une autre variable qui peut influencer la décision de cultiver ou non ses terres dans les deux zones.
5. Obtention de mais à travers des relations de parenté
67Les techniques d’enquête sont inefficaces pour quantifier les échanges qui ont lieu hors du marché, bien que cela soit d’une importance indéniable dans l’ensemble des mécanismes qui permettent la reproduction de l’économie paysanne du nord du Potosí (cf. cependant le point 7 ci-dessous). Ici, nous utiliserons un indicateur indirect pour mesurer l’importance des relations d’échange hors du marché. Sur les 500 ménages interrogés, 79 d’entre eux (16 %) ont déclaré avoir de la parenté qui possédait des terres dans la vallée. 43 de ces 79 unités (57 %) avaient également des terres dans la vallée. Toutefois, sur ces 79 ménages avec accès indirect aux produits de la vallée, seuls 18 d’entre eux (23 %) étaient eux-mêmes producteurs de maïs dans la vallée. Cela permet de penser que l’appartenance à un groupe de parenté dont certains membres ont accès aux terres de la vallée diminue la nécessité d’assurer sa propre production de maïs, conclusion déjà esquissée dans la fig. 3 ci-dessus et qui avait été tirée à partir d’une information extérieure à l’enquête. Mais il est instructif de comparer à nouveau la situation du canton de Ravelo à celle observée dans le reste de la région étudiée. Le tableau 8 montre que l’existence de relations verticales de parenté est une variable non pertinente à Ravelo, probablement à cause de la plus grande facilité de mouvement entre les deux zones à cet endroit, alors que, dans les autres cantons, le même réseau de parenté peut épargner à une famille la nécessité d’utiliser ses ressources éloignées dans la vallée.
68On peut utiliser différents critères pour déterminer les degrés de richesse à l’intérieur de l’économie paysanne du nord du Potosí. En ce qui nous concerne, nous utiliserons un indice constitué par la valeur de la production agricole et des ventes d’animaux sur une période d’une année. Cette valeur a été calculée aux prix d’avril 1978. Nous y avons omis la valeur des animaux non vendus car il vaut mieux considérer celle-ci comme un capital d’auto-reproduction et comme une forme d’épargne plutôt que comme une partie de la production annuelle.
69Le tableau 9 montre une claire corrélation entre le niveau de production globale ainsi défini et la mise en culture dans les deux zones.
70Nous pouvons voir que 64 % des ménages de notre échantillon sont concentrés dans la catégorie des « paysans moyens » (groupes 2 et 3 du tableau 9), alors que dans les catégories extrêmes (groupes 1 et 4) nous trouvons un nombre restreint de « paysans riches » (15 %) et de « paysans pauvres » (21 %). On retrouve cette même répartition si l’on ne considère que les ménages qui ne cultivent pas de terre dans la vallée.
71En revanche, la situation des ménages qui cultivent dans la vallée est complètement différente ; leur pourcentage est le plus faible dans le groupe 1 et il s’élève constamment jusqu’à atteindre 41 % du total du groupe 4. Nous pouvons donc conclure que la mise en culture des terres des deux zones est en relation étroite avec le niveau de richesse.
72La question qui se pose maintenant est de savoir si ces niveaux plus élevés de richesse sont le résultat d’une activité agricole dans les deux zones ou s’ils sont la condition préalable pour entreprendre une production de maïs dans la vallée. A la lumière de notre analyse antérieure portant sur les variables associés à la production de maïs dans la vallée, nous pouvons envisager deux réponses possibles, qui pourront servir à orienter de futures recherches :
73a) Dans notre premier modèle, les ménages qui ont récemment obtenu accès aux terres de la vallée (par héritage ou par mariage) doivent décider s’ils vont les cultiver ou non. Pour pouvoir obtenir de la force de travail extérieure à la famille, ils devraient être dans la catégorie des « paysans riches » ; sinon, seuls les ménages qui ont une structure démographique favorable seront en mesure de cultiver leurs terres de la vallée. Leur condition sera encore meilleure s’ils peuvent disposer d’animaux de trait. D’autre part, l’appartenance à un réseau de parenté étendu, dont certains membres peuvent offrir indirectement un accès aux produits de la vallée, peut amener certains ménages qui ont une double tenure à différer la culture de leurs terres de la vallée. Dans de telles circonstances, ils peuvent être obligés, comme beaucoup de familles qui n’ont pas accès aux terres de la vallée, de vendre saisonnièrement une partie de leur force de travail domestique pour combler le déficit de leur production par d’autres sources d’argent.
74b) Dans le second modèle, les niveaux de production atteints par la mise en culture des deux zones permettent de louer de la force de travail extérieure et donnent ainsi la possibilité d’augmenter la production sans avoir nécessairement une structure démographique favorable. Ces niveaux de production peuvent avoir été atteints par les stratégies esquissées dans le premier modèle ou par l’utilisation plus intense de la force de travail à l’intérieur même de la famille. D’autres voies vers la richesse — le commerce, par exemple — peuvent permettre d’utiliser des travailleurs journaliers, les mink’as, et de consolider ainsi les nouveaux niveaux de production.
75Or l’enquête montre que 11 des 20 « paysans riches » qui cultivent les terres des deux zones sont de Ravelo, où ils constituent plus de la moitié de tous les « paysans riches » de ce canton (11/21). Etant donné que ce canton comporte également le pourcentage le plus élevé de ménages qui utilisent de la force de travail extérieure, nous pouvons en déduire que le second modèle s’applique surtout à Ravelo, tandis que le premier modèle est plus pertinent pour les autres lieux de notre enquête. Une telle interprétation rendrait d’ailleurs aussi compte de l’absence relative de migrations saisonnières de la Puna vers la vallée dans ces lieux-ci.
76Nous pouvons donc voir que la possibilité de cultiver les terres de la vallée constitue l’un des principaux mécanismes de différenciation sociale dans le nord du Potosí, comme c’était le cas d’ailleurs dans les modes de production antérieurs. A l’époque coloniale, les seigneurs de l’ayllu du Haut-Pérou réussirent à former une couche privilégiée de commerçants parce qu’ils pouvaient disposer de prestations en travail et en terre à la fois dans la Puna et dans la vallée. Nous voyons qu’actuellement cet accès différentiel aux ressources régionales offert par l’ayllu à un petit nombre de ses membres permet à ceux-ci de réaliser des niveaux de production exceptionnellement élevés et même d’acheter de la force de travail, ce qui donne naissance à une « structure de classe embryonnaire » parmi les petits producteurs marchands locaux. Cette interprétation n’indique cependant qu’une tendance du système, n’eussent été les limitations imposées par le processus « d’accumulation primitive permanente ». Ce processus implique un transfert constant du surplus en travail vers les centres urbains et miniers, transfert qui freine l’accumulation du capital à l’intérieur de la paysannerie.
6. Mise en culture dans les deux zones et participation au marché
77Nous avons déjà parlé dans le premier chapitre de l’opinion courante chez les ethnographes andins selon laquelle les ménages qui pratiquent une culture dans les deux zones pourraient mieux assurer leurs besoins en biens de consommation avec leur propre production et se situeraient par conséquent en marge de l’économie de marché. Ils répondraient ainsi à l’idéal « traditionnel » d’une autosuffisance économique. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, l’importance, dans le passé, de l’idéal autarcique est indéniable ; cependant, projeter cet idéal trop hâtivement dans le présent nous conduirait à déclarer que les ménages qui cultivent des terres dans les deux zones sont ceux qui ont les plus bas niveaux de ventes agricoles, qui participent le moins au marché de biens de consommation et qui consacrent la plus grande partie de leur production à la consommation domestique. Cette hypothèse n’est pas confirmée par les résultats de notre enquête. Au contraire, il ressort que ces ménages ont les plus hauts niveaux de ventes agricoles. Nous devons donc en con-conclure que la diversification de la production agricole, grâce à l’accès à différents niveaux écologiques, crée les conditions nécessaires à la production pour le marché. En termes plus anthropologiques, le « contrôle vertical d’un maximum de niveaux écologiques » permet au ménage paysan andin de remplir plus efficacement son rôle moderne à l’intérieur du système de production marchand simple et d’assurer, par les ventes de ses produits agricoles, l’accès à l’argent nécessaire à sa reproduction.
78Comparons d’abord les niveaux de consommation de maïs dans les ménages qui en produisent et dans ceux qui n’en produisent pas. Dans le tableau 10, nous avons rassemblé dans la même colonne les productions de la vallée et de la Puna selon les cantons de provenance.
79Nous pouvons observer que les producteurs de maïs (42 % de l’échantillon) jouissent de niveaux beaucoup plus élevés de consommation que les non-producteurs. La consommation moyenne d’un ménage, durant l’année de l’enquête, atteignait en effet 30 arrobas (1 arroba = 11,5 kg) pour le premier groupe, alors que pour le second groupe, elle n’était plus que de 12 arrobas, à l’exception des non-producteurs de Ravelo dont les niveaux de consommation sont pratiquement les mêmes que ceux des producteurs de ce canton. Nous reviendrons bientôt sur cette anomalie apparente 59.
80Néanmoins de plus hauts niveaux de consommation chez les producteurs de maïs n’impliquent pas nécessairement de plus bas niveaux de ventes. Le tableau 11 indique la répartition de la production de maïs entre consommation et vente, selon le type de maïs produit. Bien que, par rapport au total de la récolte, le maïs de la Puna soit proportionnellement un peu plus destiné à la consommation que le maïs de la vallée (80 % et 73 %>), la consommation familiale moyenne des producteurs de la vallée atteint pratiquement le double de celle des producteurs de la Puna (39 arrobas et 22,5 arro-bas). Corollairement, les ventes de maïs produit dans la vallée représentent 22 %> du total de la production, la moyenne familiale de vente atteignant 12,5 arrobas, alors que les 4 arrobas de maïs de la Puna vendus en moyenne par chaque unité de production ne représentent que 14 °/o de la production totale. Nous pouvons donc conclure que les niveaux de production plus élevés qui caractérisent les producteurs de la vallée permettent à ceux-ci de consommer plus et de développer leurs ventes.
81Remarque : Le total de la production est plus élevé que la somme des ventes et de la consommation car il inclut la partie prélevée comme semence.
82Cette conclusion est renforcée lorsque nous analysons la production agricole dans sa totalité. Le tableau 12 compare les proportions destinées à la consommation et à la vente chez les deux types de producteurs de maïs et dans les familles qui ne produisent aucun maïs. On peut voir que les producteurs de maïs atteignent des niveaux beaucoup plus élevés de ventes que les non-producteurs, de même qu’ils jouissent de niveaux beaucoup plus élevés de consommation moyenne par famille. Mais la production moyenne par famille est beaucoup plus élevée pour les producteurs de maïs de la vallée que pour le reste de l’échantillon. Cela explique pourquoi les unités qui produisent dans les deux zones peuvent atteindre des niveaux de ventes plus élevés sur le marché et jouir en même temps de niveaux plus élevés de consommation.
83Pour conclure ce chapitre, revenons aux niveaux anormaux de consommation de maïs qui caractérisent les non-producteurs dans le canton de Ravelo, car cette analyse nous conduira à faire des remarques théoriques sur le phénomène que nous avons appelé « différenciation embryonnaire ». En termes de production agricole, Ravelo est l’une des régions les plus prospères du nord du Potosí ; la production moyenne par famille atteint une valeur de 10 139 pesos, ce qui signifie que le « paysan riche » (groupe 4 du tableau 9) constitue la moyenne du canton. Le 25 %, en moyenne, de la production domestique part sur le marché. Si nous considérons maintenant les 25 unités du Ravelo qui ne produisent pas de maïs, nous voyons que, elles aussi, atteignent une production moyenne de 9 677 pesos, dont elles vendent le 23 %. Ces données sont très semblables à celles obtenues pour les unités qui produisent dans les deux zones et Ravelo semble donc constituer une exception par rapport aux conclusions que nous venons de tirer.
84On peut mieux comprendre cette situation si l’on considère la provenance du maïs consommé par les non-producteurs, telle qu’elle est indiquée dans le tableau 10. Comme nous l’avons déjà dit, il est particulièrement fréquent, dans le canton de Ravelo, d’utiliser de la force de travail extérieure, généralement rémunérée avec une partie de la récolte. Ces résultats sont confirmés dans le tableau 10, où les niveaux exceptionnels de consommation des non-producteurs proviennent, on le voit, de la vente de force de travail saisonnière dans les champs des producteurs de maïs. Les hauts niveaux de vente atteints par les non-producteurs de maïs du Ravelo sembleraient donc être facilités par l’accès qu’ils ont à un « salaire » en maïs qui leur permet d’obtenir des niveaux de consommation semblables à ceux des producteurs.
85Il est clair que l’égalisation des niveaux de consommation de maïs est le résultat de la vente de force de travail par les familles qui n’en produisent point et cette vente constitue l’un des critères pour détecter une « différenciation embryonnaire » dans la paysannerie du nord du Potosi. Toutefois, dans les conditions imposées par le système « d’accumulation primitive permanente », ce processus n’aboutit pas à séparer de leur terre ceux qui vendent leur force de travail. Au contraire, c’est parce qu’ils vendent leur force de travail qu’ils peuvent atteindre des niveaux de ventes et de consommation pratiquement semblables à ceux des producteurs de maïs. Le « salaire en maïs » ressemble donc aux mécanismes andins classiques de redistribution du surplus à travers l’échange de prestations en travail ; le résultat de cette relation « salariale » est en effet la reproduction de toutes les unités domestiques du canton, qu’elles aient ou non accès à un maïs produit par elles-mêmes. Cette reproduction les rend capables de remplir leur fonction à l’intérieur de l’économie régionale. Nous pouvons donc dire que l’ambiguïté conceptuelle reflète une réelle contradiction et que l’on devrait insister sur l’aspect « redistributif » de ce phénomène, dans la mesure où le contexte économique régional exige de maintenir une production paysanne fondée sur une unité de production domestique et empêche la polarisation de la structure agraire en deux classes antagonistes.
Conclusion
86Nous avons vu que, dans le nord du Potosí, certaines caractéristiques de l’organisation en ayllu sont directement fonctionnelles pour la reproduction d’une petite production paysanne marchande à l’intérieur du capitalisme bolivien actuel. Comme nous l’avons fait remarquer dans l’introduction, une approche historique justifie le rejet de modèles qui donnent aux ayllus un statut « pré-mercantile » et qui considèrent la participation croissante de la paysannerie bolivienne au marché comme spécifique aux régions autrefois occupées par les haciendas. Si les niveaux actuels de vente dans le nord du Potosí sont généralement bas, cela devrait plutôt être attribué aux politiques commerciales de l’Etat qui ont détruit les conditions favorables dont jouissaient autrefois les ayllus de la région.
87Dans le vide juridique qui prévaut actuellement au nord du Potosí, le petit producteur marchand est articulé à la fois à l’économie régionale de marché (contribuant ainsi à la reproduction de la force de travail minière) et aux systèmes collectifs de tenure à l’intérieur de l’ayllu : la propriété individuelle de la terre — normalement considérée comme un élément essentiel de la définition du mode de production marchand simple — n’existe pas. Dans cette étude, nous avons isolé les systèmes d’héritage et de mariage pour les considérer en tant que mécanismes qui permettent la redistribution de la terre entre les membres de l’ayllu en fonction des conditions démographiques différentes qui existent à l’intérieur des divers groupes patrilocaux. Nous avons aussi montré comment le paiement du tribut colonial (tasa), par l’intermédiaire des autorités de l’ayllu, constitue encore, en dépit de sa valeur monétaire insignifiante, un aspect essentiel de la légitimation des droits sur la terre : les titres de la Réforme agraire doivent encore être distribués à la plupart des ayllus de la Puna. L’absence, en fait, d’un marché de la terre signifie que l’accès à une tenure ne peut être garanti que si les unités domestiques peuvent démontrer leur appartenance à un ayllu. Bien que nous n’ayons pas approfondi les corrélats rituels et idéologiques de cette appartenance, nous avons suggéré que le 10 % des dépenses domestiques destiné aux fêtes de la communauté pouvait être considéré comme un investissement productif nécessaire au maintien des droits sur la terre.
88Nos données montrent que le cycle générationnel à l’intérieur de chaque groupe patrilocal donne à certains ménages la possibilité de cultiver à la fois les terres de la Puna et de la vallée. On peut ainsi observer une dynamique de différenciation sociale à l’intérieur même de l’ayllu, indépendamment de la formation économique à laquelle il appartient, dans l’ensemble des mécanismes qui équilibrent les mouvements démographiques locaux et les surfaces disponibles pour chaque hameau. Les résultats de notre enquête montrent une claire corrélation entre le fait de cultiver dans les deux zones et les niveaux élevés de production, de consommation et de participation au marché. Le facteur qui, à l’époque coloniale, sous-tendait l’accumulation commerciale des chefs de l’ayllu continue donc à offrir des possibilités semblables à quelque 25 % de la population actuelle, bien que, aujourd'hui, cette potentialité soit freinée par un processus « d’accumulation primitive permanente » au niveau régional.
89Evidemment, le renforcement de la mise en culture des deux zones par certains ménages ne peut être simplement expliqué par la composition démographique de ces ménages ou par l’utilisation plus intense de leur force de travail domestique. Il semblerait que l’accès à un travail extérieur, caractéristique dans certaines régions d’une structure de classes embryonnaire, soit plus déterminant. Cependant, notre analyse du « salaire en maïs » a démontré qu’il serait également faux de postuler une masse croissante de paysans sans terre qui serait due à l’augmentation du « travail salarié » dans la région. Dans le canton de Ravelo, cette relation de production peut aussi être perçue à l’intérieur du réseau « redistributif » des relations de travail andines traditionnelles (mink’a), puisqu’il assure, en fait, la reproduction des ménages qui ne produisent pas de maïs dans des conditions qui les rendent capables de remplir leur fonction à l’intérieur de la structure économique régionale. Cela est parfaitement cohérent avec un modèle de développement agricole établi pour un pays dont l’investissement en capital est très faible et dont l’économie est fondée sur des relations de production domestiques et sur la prédominance du « paysan moyen ».
90La signification de deux des clauses de la Loi sur la Réforme agraire de 1953 devient maintenant évidente 60. La première interdit la vente de parcelles destinées aux familles paysannes, freinant ainsi le développement du marché de la terre. La seconde interdit de posséder une terre en dehors de la zone de résidence permanente ; elle s’oppose ainsi à la pratique de mise en culture de deux zones et élimine par là la possibilité traditionnelle d’accumulation dans la paysannerie des Hautes-Terres. C’est ainsi que la rhétorique populiste du Mouvement national révolutionnaire (MNR) qui dirigea la révolution de 1952 a détourné l’attention des réels effets de la Réforme agraire. Ces deux clauses sont entièrement cohérentes avec le modèle « d’accumulation primitive permanente », fondé sur l’institutionnalisation du système marchand simple qui est un élément essentiel de la nouvelle structure de dépendance créée par le MNR à partir de 1952 et consolidée par les gouvernements militaires qui se sont succédé depuis 1964.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Ce contraste est assez frappant pour avoir été pris comme point de départ d’une importante étude réalisée par Harris, O. et Albó, J. Monteras y gardatojos : campesinos y mineros del Norte de Potosí. Cuaderno de Investigación CIPCA, No 7, La Paz, 1975.
2 L’apogée et la fin du boom de l’argent du xixe siècle ont été étudiées par Mitre, I., Economie and Social Structure of Silver Mining in 19th Century Bolivia. Unpublished Doctoral Thesis, Columbia University, 1977.
3 Cet article fait partie d’un « Rapport sur le centre minier de Siglo xx et Catavi et sur son contexte rural » préparé par une équipe multidisciplinaire entre 1977 et 1979 sous la direction de Antonio Birbuet. Les données statistiques utilisées ici sont le résultat d’une enquête menée durant les mois d’avril et de mai 1978 auprès de 500 familles paysannes de la région de la Puna au nord du Potosí. Les fondements méthodologiques de cette recherche, bien qu’inclus dans le rapport, ne sont pas exposés ici pour des raisons de place. J’exprime toute ma reconnaissance envers M. Birbuet et son équipe pour leur collaboration durant le temps de la recherche et en particulier envers M. Ramiro Molina, mon collègue dans le Département rural du Projet. J’aimerais aussi remercier Olivia Harris et Jorge Hidalgo pour les commentaires qu’il m’ont faits sur une version préalable de cet article, de même que John Beard, Guido Pinto et Daigh Tufts pour l’aide qu’ils m’ont apportée dans les statistiques. Le reste des données utilisées dans cet article est le fruit d’un travail de terrain et d’archives que j’ai entrepris entre 1970 et 1976, en me centrant plus plus particulièrement sur l’Ayllu Macha. Ces résultats sont donc spécifiques et ils devront être revus et corrigés pour les autres ayllus de la région à l’aide de futures recherches. De telles études sont déjà en voie de réalisation pour l’Ayllu Laymi (Olivia Harris) et pour l’Ayllu Jukumani (Ricardo Godoy).
4 Cette complexité du système régional des ayllus peut être partiellement saisie dans les articles de Harris, O., « El parentesco y la economia vertical en el ayllu Laymi », Avances, Revista Boliviana de Estudios Históricos y Sociales, No. 1, La Paz, 1978, « De l’assymétrie au triangle : transformations symboliques au nord du Potosi », Annales, E.S.C., 33e année, Nos 5-6, Paris 1978 et dans les articles de Platt, T., « Acerca del sistema tributario pre-toledano en el Alto Perú », Avances, op. cité et « Mapas coloniales de Chayanta : dos visiones conflictivas de un solo paisaje », Estudios bolivianos en homenaje à Cunnar Mendoza, La Paz, 1978.
5 Cf. Rivera, S., « La expanción del latifundio en el Altiplano boliviano », Avances, Revista Boliviana de Estudios Históricos y Sociales, No 2, La Paz, 1978, étude pionnière sur l’expansion des haciendas au xixe siècle dans la région de La Paz.
6 Cf. Murra, J. V., « La guerre et les rébellions dans l’expansion de l’Etat inca », Annales, E.S.C., 33e année, Nos 5-6, Paris, 1978, à propos de la position privilégiée des guerriers Charka à l’intérieur du Tawantinsuyu (il peut être démontré que les ayllus actuels constituaient des composante de la fédération pré-incaïque des Charka et des Karakara). Pour le système tributaire prétolédien, cf. Platt, T., « Acerca del sistema tributario pre-toledano en ... » op. cité. Nous avons désigné ce système, dans lequel les surplus paysans sont concentrés dans les mains du chef de l’ayllu (kuraka) pour être vendus ensuite sur les marchés de la Colonie, par les termes de « conversion administrée », Harris, O., « El parentesco y la economia... », op. cité) tente d’attribuer l’augmentation de la « commercialisation forcée » pour reprendre les termes de Kula, W., dans Teoría económica del sistema feodal, Mexico, Siglo xxi, 1974) aux ventes forcées (repartos) des corregidores du xviiie siècle : la structure de la consommation familiale peut aussi avoir été modifiée par les salaires en nature donnés par de nombreuses compagnies minières au xixe siècle (cf. Mitre, I., « Economic and Social Structure of Silver »... », op. cit., p. 207). Sur l’importance des relations de marché pour l'ayllu, cf. Grieshaber, E. P., The Survival of Indian Communities in 19th Century Bolivia, Unpublished Doctoral Thesis, University of North Carolina, 1979.
7 Cf. Gobernador de Chayanta al Sr. General Presidente del Departamento de Potosí de Agosto de 1825, cité par Grieshaber, E. P., « The Survival... », op. cit.
8 Cf. Dalence, J., Boscuejo estadística de Bolivia, La Paz, Editorial Universitaria, 1975 (1851).
9 Cf. Grieshaber, E. P., « The Survival of Indian Communities... », op. cit.
10 Je remercie Ricardo Godoy pour l’information qu’il m’a donnée sur la renaissance des petites mines dans le nord du Potosí à partir de 1880.
11 Même avant 1880, cependant, l’économie paysanne régionale ne semble pas avoir favorisé une émigration permanente de travailleurs pour satisfaire aux besoins des mines locales, alors que, au xxe siècle, le nouveau prolétariat des mines s’est constitué surtout à travers l’importation de force de travail de Cochabamba où le processus de différenciation sociale (riches/pauvres) était déjà très avancé dès la fin du xviiie siècle. Ainsi, Aramayo, J.A., (dans Libra extracción de Pastas, Sucre, 1861) parle de la création de travailleurs pour les grandes mines à partir des cholos. L’absence d’une population de cholos près de Colquechaca a dû provoquer une vague d’immigration : le mot cholo suggère par lui-même une origine possible à Cochabamba où la quantité de paysans sans terre était déjà grande au commencement du xxe siècle cf. Larson, B., « Hacendados y campesinos en Cochabamba en el siglo xviii », Avances, No 2, La Paz, 1978, p. 48-49 et pourrait bien avoir déjà rempli les besoins en travail des grands centres miniers, anticipant sur la vague mieux connue de l’ère de l’étain (cf. Harris, O. et Albo, I., Monteras y Guardatojos..., op. cit., cf. aussi Larson, B., Hacendados y campesinos..., op. cit.
12 Certaines caractéristiques essentielles du système d’héritage peuvent être considérées comme valables pour le milieu du xixe siècle. Voir à ce propos le commentaire de l’Apoderado fiscal concernant Chayanta en 1872, sur le droit des femmes et des mineurs d’hériter de la terre lorsqu’il n’y a point d’héritier mâle. Cités par Grieshaber, E.P., The Survival of Indian Communities..., op. cit.
13 Cf. Murra, J.V., « El contról vertical de un máximo de pisos ecológicos en la economia de las sociedades andinas », Visita de la Provincia de León de Huanuco en 1562, Huanuco, ed. John V. Murra, 1972.
14 Pour le développement commercial du xviie siècle parmi les chefs de l’ayllu, voir en particulier Murra, J.V., « La correspondencia entre un ’Capitán de la Mita’ y su Apoderado en Potosí », Historia y Cultura, No 3, La Paz, 1977 et Rivera, S., « El mallku y la sociedad colonial en el siglo xvii : el caso de Jésus de Machaca », Avances, Revista Boliviana de Estudios Históricos y Sociales, No 1, La Paz, 1978 ; comparer, pour la Province de Chayanta, Platt, T., Mapas coloniales de Chayanta..., op. cit. et la documentation reproduite dans l’ouvrage édité par Uroste, A. J., Noticias políticas de India del Licenciado Pedro Ramirez del Aguila, Sucre, 1978.
15 Le déclin des chefs des ayllus s’est dramatiquement accéléré depuis la révolution de 1952, lorsque leur droit à recevoir de la communauté des prestations en travail a été aboli.
16 Cf. Bartra, R., Estructura agraria y clases sociales en México, México, Serie Popular Era, 1974, pp. 102-104. Nous entendons par « accumulation primitive permanente » un transfert constant de valeur hors du secteur paysan sans toutefois que cela conduise à l’expropriation de la paysannerie. R. Bartra mentionne le mécanisme d’« échange inégal » qui résulte des bas prix que la politique nationale impose aux produits agricoles. Dans ce contexte, on devrait mentionner les résultats d’une recherche plus ample, faisant partie du Projet mentionné ci-dessus, sur l’origine du capital investi par les intermédiaires locaux dans l’achat de camions. Il provient surtout d’activités préalables dans les mines et non pas de l’agriculture. Nous avons aussi remarqué le développement insignifiant des relations de crédit entre les intermédiaires et les paysans. Deux mécanismes « classiques » d’expropriation sont par conséquent absents du nord du Potosí, libérant les ayllus d’une menace qui, ailleurs, est bien réelle. C’est ainsi que la communauté, la production marchande simple, les formes de capital commercial et usurier et la structure des prix deviennent tous des éléments, à l’intérieur du système économique, qui permettent d’extraire un surplus en travail sans séparer le producteur de son principal instrument de production, la terre.
17 Cf. Delgado, O., Reforma agraria y desarrollo rural en el area del Altiplano Norte de Bolivia : estudio de caso en el Cantón Ancoraimes en las riberas del lago Titicaca, CIDA, Wisconsin, 1950. Dans certains cas, la Réforme agraire a maintenu le système de tenure que l’on trouvait dans le régime de l’hacienda, système caractérisé par la taille et la localisation des parcelles. En revanche, dans le canton de Ancoraimes, on essaya de concentrer les tenures au moyen d’un « index d’équivalence » qui permettait d’établir des relations de commensurabilité entre les différents types de terre cultivée. Cette politique provoqua une forte résistance de tous les paysans (et pas seulement de ceux directement concernés), de telle sorte que la nouvelle distribution prônée par la réforme fut rejetée collectivement par la communauté. On fut ainsi contraint de réviser la politique de la Réforme agraire et confirmer la distribution antérieure des parcelles.
18 Cf. Molina, R. et Platt, T., « Economía campesina y su articulación con el complejo urbano-minero », Estudio Socioeconómico de los Centros Mineros y su Contorno especial, La Paz, 1979.
19 Cf. Troll, C, (ed), Géo-ecology of the Mountainous Regions of the Tropical Americas, Bonn, 1968.
20 En termes plus précis, nous parlons ici de droit de possession et non de propriété : la propriété individuelle est limitée par le droit éminent de l’ayllu sur la terre de tous ses membres (cf. chapitre 2).
21 Cf. Thomas, B., Human Adaptation to a High Andean Energy Flow System, Unpublished Doctoral Thesis, Pennsylvania State University, 1972.
22 Cf. Murra, J.V., « El control vertical de... », op. cit.
23 En 1779, le curé de San Marcos de Miraflores (une paroisse de la vallée, dans l’ayllu de Macha) se lamentait « ... la petite expérience que j’ai eu en faisant un travail similaire (la reconstruction d’une chapelle) avec des Indiens de l’ayllu qui avaient une double résidence, sur la Puna et dans la vallée... », Libro de la Fâbrica de esta Santa Iglesia de San Marcos de Miraflores que corre de el día siete de septiembre del año 1779. Document consulté dans la Bibliothèque paroissiale de San Pedro Buena Vista Provincia Charcas. Comparer avec Harris, O., « El parentesco y la economia vertical... », op. cit., p. 57, pour le concept de « double résidence » chez les Indiens actuels de Vayllu Laymi.
24 Cf. Harris, O., « El parentesco y la economia vertical », op. cit.
25 Cf. Salomon, F., « Systèmes politiques verticaux aux Marches de l’Empire », Annales E.S.C., 33e année, Nos 5-6, Paris 1978.
26 On a remarqué que le mercantilisme espagnol a maintenu la convergence entre impôt et loyer qui semble avoir existé sous l’Inca, si bien que le roi espagnol hérita du « droit éminent » de l’Inca sur toute la terre de son domaine (Cf. Platt, T., « Acerca del sistema tributario... », op. cit.). Cependant, avec l’émergence de la République créole de 1825, ces deux concepts ont été opposés l’un à l’autre : tandis que le gouvernement blanc proclamait que les ayllus occupaient une terre qui avait été « usurpée » à son réel propriétaire, l’Etat, et que le tribut était en réalité un loyer sur la terre de l’Etat, les Indiens proclamaient, eux, que la terre leur appartenait aussi longtemps qu’ils remplissaient leurs obligations envers l’Etat, dont la principale était de payer l’impôt (tasa). Dans ce qui suit, je préfère parler d’impôt puisque l’obligation de payer ce dû traditionnel a été récemment confirmée par le préfet du Département, conscient de la résistance continuelle au changement qu’a manifesté l’ayllu durant ces cent dernières années. Cela n’empêche pas, bien sûr, les officiers fiscaux de Potosi de proclamer que la tasa est en fait un loyer sur la terre de l’Etat (alquiler)
27 Ainsi, Sanchez Albornos, N., (Indios y tributos en el Alto Perú, Instituto de Estudios Peruanos, Lima, 1978, p. 198) a montré que, en 1838, 52,7 °/o de toutes les ressources de l’Etat avaient cette origine ; même après la renaissance des mines d’argent, en 1880, cette proportion était encore de 22,7 %. En ce qui concerne les finances départementales, la contribución territorial indienne a gardé son importance jusqu’à la guerre du Chaco (1932-1935) — situation très différente du Pérou où le tribut colonial a été aboli en 1850.
28 Bien qu’aucun des buts de la loi d’expropriation ne fût réellement atteint, les paysans du Potosí du Nord considèrent toujours les titres distribués à cette époque comme un point de référence pour garantir leurs droits sur les terres. Sous certains aspects, en fait, la Loi de Réforme agraire de 1953 pourrait être considérée comme un renouvellement des tentatives du xixe siècle pour implanter la Loi d’expropriation : elle avait aussi pour but de détruire les ayllus, d’établir des droits individuels et de remplacer le tribut par un impôt unique (impuesto único). De nombreux ayllus ont violemment résisté à son implantation, comme ils l’avaient fait pour la loi antérieure, par conséquent, la loi de 1953 ne produisit, dans la région de la Puna, que des effets superficiels étant donné qu’elle ne s’appliquait qu’à des régions où le système des haciendas était dominant.
29 Cf. Sanchez Albernos, N., Indios y tributos..., op. cit., pp. 187-218.
30 Probablement du mot aymara « mantaña », « occuper » : chaque année les paysans « occupent » une nouvelle superficie de terres en jachère dont le tour de mise en culture est arrivé.
31 Cf. Carter, W., Comunidades aymaras y Reforma Agraria en Bolivia, México, 1967.
32 Jusqu’à la récente reconfirmation de la tasa par la préfecture, les originarios devaient payer 5,00 pesos et les agregados 3,00 pesos. A la fin du siècle dernier, cependant, les originarios devaient encore payer 9,60 pesos et les agregados 7,00 pesos, comme cela avait été le cas au moins depuis la Revisita de 1816 (Revisitas, Archivo Nacional de Bolivia, Sucre). Cette inconsistance dans le témoignage du kuraka ne devrait pas nous amener à lui enlever toute crédibilité ; bien qu’aucune Revisita ne nous permette de penser que les originarios aient eu accès à la fois aux terres de la Puna et à celles de la vallée, le kuraka est clairement convaincu que cet élément a joué un rôle dans la définition des catégories de la part impôt. Etant donné le peu d’intérêt et l’absence de contrôle que les commissaires fonciers avaient sur les processus de redistribution de la terre à l’intérieur de l’ayllu, j’aurais tendance à accepter l’opinion du kuraka, tout en reconnaissant la nécessité de la confronter aux données de la Revisita par de futures études sur le processus d’enregistrement.
33 L’Etat avait aussi intérêt à les enregistrer officiellement puisqu’il pouvait ainsi augmenter le montant de l’impôt récolté.
34 Un procès qui éclata en 1871, peu avant la dernière Revisita nous donne le ton des relations entre originarios et agregados. Les demandeurs, originarios, se plaignaient de ce que : « ... ces ambitieux Mamanis furent amenés ici comme agregados par nos aïeux qui leur firent la faveur de les enregistrer sur leurs terres, puisqu’ils n’avaient nulle part où vivre, et maintenant, avec le temps — et bien que nous nous soyons maintenus sur ces terres comme le prouve la présence de nos animaux — ces gens avides souhaitent chasser notre bétail et même planter leurs cultures dans les enclos protégeant nos maisons » (cf. Indios de Tinguipaya, Colección de Minutas de 1928, in Notaria de Hacienda, Potosí.) Ailleurs, dans un autre conflit, on accuse les agregados d’avoir payé l’impôt sur une terre en litige : on peut voir, dans ce cas, comment les nouveaux venus d’autrefois désirent un changement non seulement dans la taille de leur parcelle mais aussi dans leur statut fiscal. On remarquera enfin que les changements de statut déterminant pour l’impôt étaient fréquents au xixe siècle, comme le montrent les Actes des Commissaires fonciers (Revistas, Archivo Nacional de Bolivia, Sucre) : en fait, les commissaires ne faisaient normalement que ratifier les décisions du kuraka et de son ayllu.
35 Voir cependant la décision de la préfecture (Resolución Prefectural No 16/75 de 30 de septiembre de 1975) qui « établit le réajustement du taux (tasa) de la contribution territoriale (contribución territorial) dans tout le département de Potosi » ; ici, les originarios doivent payer 20 pesos par année, les agregados 15 pesos et les eventuales (kantu runas) 10 pesos.
36 Pour l’irrégularité dans le payement de l’impôt, au xvie siècle, cf. Platt, T., « Acerca del Sistema tributario... », op. cit. Comparer aussi avec les instructions du vice-roi Toledo aux Corregidores : « Le tribut doit être prélevé et placé au cœur de la communauté, la première moitié du début mai à la mi-juin, l’autre moitié durant les mois de novembre et de décembre », Cajas Reales 18, Año 1575, p. 214 et s., Casa de la Moneda, Potosí.
37 Comparer avec la notre 35 ci-dessus. Le paiement des nouveaux taux est encore très irrégulier et de nombreux ayllu insistent toujours pour payer aux taux antérieurs. Toutefois, quelques-uns acceptent, selon les comptes du Département, de payer 80 pesos pour l’accès à 4 tasas de originario. D’autre part, les ayllus s’opposent encore au paiement de 10 pesos par les kantu runas, qui furent libérés de toute obligation fiscale par la Loi d’expropriation de 1874. Cependant, en revoyant les comptes fiscaux, il est intéressant d’observer combien nombreux sont devenus les originarios depuis la décision de la Préfecture ; les autorités de Vayllu m’avaient pourtant assuré que la plupart des Indiens étaient aujourd’hui agregados ou kantu runas. Le kuraka de Macha (Aransaya) m’a expliqué que beaucoup préfèrent maintenant payer la originario tasa pour garantir leur droit sur la terre. Une fois de plus, nous pouvons constater la liberté avec laquelle les Indiens manipulent les catégories fiscales selon la manière dont ils perçoivent leurs intérêts.
38 Cf. Harris, O., « El parentesco y la economia vertical... », op. cit., p. 54.
39 Récemment quelqu’un de Macha, qui possédait une tenure, a provoqué l’indignation de ses nombreux cousins et voisins : au lieu de céder son surplus de terre à la branche patrilinéaire qui en manquait, il a préféré embaucher des journaliers pour pouvoir utiliser l’intégralité de son héritage. Une telle pratique semble anticiper de futurs conflits de ce type dans le nord de Potosí.
40 La transition au système de succession patrilinéaire imposé par l’Espagne a été analysée dans une ville de Pakaxa par Rivera, S. et Platt, T., « El impacto colonial sobre un pueblo Pakaxa : la crisis del Cacicago en Caquingora (Urinsaya) durante el siglo xviii : Avances, Revista Boliviana de Estudios Históricos y Sociales, No 1, La Paz, 1978. On doit toutefois remarquer que nous traitons ici du modèle prédominant de succession foncière : dans d’autres cas (par exemple la succession d’animaux ou d’autres biens immobiliers) les modèles bilatéraux ont plus d’importance (cf. la note 18 ci-dessus).
41 A comparer avec une situation similaire d’un paysan du cabildo Umajila (ayllu Macha, Urinsaya) en 1926 : « J’ai fait un accord avec mes sœurs et mes neveux pour leur donner toutes mes parts (acciones ; fractions de la tenure de l’ancêtre originario), de même que les obligations correspondantes envers l’Etat — servir comme collecteur d’impôt, comme messager ou autres services (tandas) —, pendant le temps où je renonce à ces terres car j’ai d’autres terres dans la vallée, ma seconde résidence, que je ne pourrai quitter qu’occasionnellement ; c’est pourquoi ma part restera au pouvoir de ces parents. En échange, ils m’apporteront certains produits de la Puna comme le ch’uñu dans ma résidence de la vallée. (In : Protocolización de 1942, Notaria de Hacienda, Potosí).
42 Cf. Platt, T., « Acerca del systema tributario... », op. cit., p. 1106 et la note 7.
43 Cf. note No 35.
44 Les ayllus minimaux ou cabildos constituent le niveau le plus bas dans la hiérarchie entière des ayllus, dont on ne parlera pas ici. (Cf. cependant pour Chayanta : Harris, O., « » De l’assymétrie au triangle... », op. cit., pour Pocoata ; Platt, T., « Mapas coloniales de Chayanta... », op. cit, et pour Macha ; Platt, T., « Symétries en miroirs : le concept de yanantin chez les Macha de Bolivie », Annales E.S.C., 33e année, Nos 5-6, Paris, 1978).
45 Nous ne nous référons ici qu’aux processus de constitution de nouveaux noyaux, engendrés par l’organisation socio-économique paysanne ; d’autres processus d’urbanisation, naturellement, ont donné lieu à la création de centre urbains qui se sont surtout imposés à la dynamique résidentielle de l’économie rurale (tels que les pueblos de reducción tolédiens ou les centres miniers montrés sur la carte 1).
46 Le collecteur d’impôt indien (cobrador) est choisi tour à tour parmi les ménages de son cabildo, constitué par les divers hameaux et terres de la Puna et de la vallée.
47 Des données sur le nord de l’Altipiano peuvent être touvées dans : Urioste F. de C, M., La economia del campesino altiplánico en 1976, Universidad Católica Boliviana, La Paz, 1977. Une analyse des migrations saisonnières du nord du Potosi, qui met en relation le revenu monétaire extra-agricole avec les niveaux de vie globaux, se trouve dans : Molina, R. et Platt, T., « Economia campesina y su articulación con el complejo urbano-minero », op. cit.
48 Cf. Larson, B., Brooke, « Hacendados y campesinos en Cochabamba en el siglo xviii », Avances, No 2, La Paz, 1978.
49 Cf. Harris, O., « El patentesco y la economia vertical... », op. cit., p. 57.
50 La carte montre ce que j’ai appelé les « ayllus maximaux » du nord du Potosí : ceux-ci sont composés d’une hiérarchie de petits ayllus dont le cabildo, lui-même composé de plusieurs hameaux, est l’unité la plus petite. A ce niveau, le cabildo ou ayllu minimal comprend généralement deux enclaves, une dans chaque zone écologique, même s’il fait partie d’un ayllu maximal constitué, lui, par une bande continue (par exemple Macha et Pukwata).
51 Etant donné que l’ayllu détient un droit éminent sur la terre, il peut en disposer ; au cas où la terre n’est pas utilisée, il peut se la faire « restituer » : c’est son droit de réversion. L’importance de l’analyse de Gluckman, M., Essays on Lozi Land and Royal Property, Rhodes-Livingston Papers No 10, Northern Rhodesia (Zam-bia) 1943, a d’abord été mise en évidence par Murra, J.V. Formaciones económias y políticas del mundo andino, Instituto de Estudios Peruanos, Lima, 1975, p. 299-300, par exemple. Nous avons trouvé particulièrement utile le concept d’une hiérarchie de « droits de réversion », homologue à la hiérarchie des ayllus.
52 Ainsi, nous ne devrions pas appliquer au nord du Potosi la généralisation proposée par Montoya, R. (A propósito del caracter prédominamente capitalista de la economia peruana actual 1960-1970), Lima, 1971, p. 77) selon laquelle le concept de « propriété collective » ne serait pas pertinent pour l’ensemble des terres irriguées du Pérou.
53 Cf. Deustua, J., « Acceso a recursos en Yanque-Collaguas, 1591, una experiencia estadística », Etnohistoria y Antropología andina, Lima, 1978.
54 Cf. Murra, J.V., « La correspondencia entre... », op. cit. et Rivera, S., « El mallku y la sociedad colonial... », op. cit. Au sujet d’un seigneur de Pukwata durant le xviie siècle, comparez Platt, T. (« Mapas coloniales de Chayanta... », op. cit.) et le document publié dans Urioste Arana, J., (Noticias políticas de India..., op. cit.), dans lequel plusieurs Indiens de Pukwata dénoncent les pratiques d’accumulation de leur seigneur.
55 Les seigneurs du xviie siècle étaient aussi les collecteurs d’impôt de la Colonie et leur entrée dans le marché traduisait tout d’abord le mécanisme de « conversion administrée » par lequel ils obtenaient l’argent nécessaire au paiement du tribut (cf. Platt, T., « Acerca del sistema tributario... », op. cit.). Aujourd’hui en revanche, la participation au marché repose sur des ménages atomisés et l’argent obtenu est dépensé dans des biens de consommation ou (à Ravelo) des biens de production agricoles modernes (insecticides, engrais) qui ne sont pas produits à l’intérieur de l’économie domestique. Le marché a donc acquis une fonction directe de reproduction pour la plupart des unités domestiques de production.
56 Nous ne présentons ici que l’appartenance à un ayllu maximal et ne mentionnons pas à quel cabildo appartiennent les familles interrogées. Harris, O., (« El parentesco y la economia vertical... op. cit.) indique que, dans l’ayllu Laymi, la résidence principale des ménages qui pratiquent une culture dans les deux zones se trouve dans la vallée. Pour faciliter notre enquête, nous n’avons pas pris en compte cette variable, ce qui ne fausse en rien notre interprétation des résultats.
57 Cf. Harris, O., « El parentesco y la economia vertical... », op. cit., p. 57.
58 A titre d’hypothèse, nous pouvons voir ici une convergence intéressante avec les considérations du kuraka Macha cité ci-dessus. Si nous acceptons que la mise en culture dans les deux zones soit caractéristique de l’originario et si le terme originario signifiait en général une étape dans le cycle de développement du groupe patrilocal plutôt qu’une catégorie absolue et rigide, il devient normal que les deux données montrent une corrélation entre la mise en culture dans les deux zones et les caractéristiques démographiques de la famille paysanne. Nous pouvons même envisager d’inverser les termes de la définition ; originario est avant tout une catégorie fiscale et ne présuppose en rien les processus de formation de l’unité de production catégorisée de la sorte. Il pourrait même être fructueux de rechercher si le terme originario — dans certaines circonstances comme par exemple une très grande pression démographique — n’a pas été utilisé pour dénommer certaines familles à une étape déterminée de leur cycle de développement par le kuraka qui était chargé de fournir l’information démographique requise pour dresser les registres d’impôt.
59 On trouve une indication de la baisse dramatique des niveaux de production et de consommation familiales de maïs, qui indique les effets dévastateurs de l’accumulation coloniale sur l’économie paysanne andine, dans la lettre envoyée au roi d’Espagne le 12 février 1608 par Francisco Alfaro, qui se réfère à une requête intitulée « Pleito sobre las tierras de los indios de Macha », (citée par Gandia, E. de, Francisco de Alfaro y la condition social de los indios, Buenos Aires, 1939, p. 387 388). Nous tirons de cette lettre les informations suivantes :
a) Chaque ménage paysan avait traditionnellement accès à des terres suffisantes pour semer 3 à 5 fanegas de maïs (5 à 10 charges de lama) 1 fanega = larrobas = 80,5 kg.
b) Après la « redistribution des terres par l’évêque de Quito à la fin du xvie siècle, chaque ménage ne conserva de la terre que pour semer 1 1/2 fanegas (3 charges de lama).
c) Etant donné que chaque parcelle devait reposer deux ans, la surface annuellement disponible pour chaque ménage ne permettait de semer qu’une 1/2 fanega (1 charge pour lama).
d) Cela donnait à chaque ménage une récolte annuelle de 50 fanegas.
e) Si nous supposons qu’une famille moyenne était composée d’un couple et de deux enfants (l’équivalent de trois adultes selon les calculs d’Alfaro) et que chaque adulte devait consommer 18 fanegas par année, chaque ménage avait annuellement besoin de 54 fanegas.
f) Ainsi, après que de larges surfaces de terres de la vallée qui appartenaient aux ayllus aient été aliénées en faveur des Espagnols, chaque ménage pouvait à peine satisfaire sa consommation annuelle, estimée à 378 arrobas. Cette énumération ne prend pas en compte les semences, la bière de maïs, etc.
Nous avons vu qu’aujourd’hui les unités de production de Mâcha qui cultivent dans les deux zones atteignent une consommation familiale moyenne de 25 arrobas par année seulement et que les ménages qui ne produisent aucun maïs ne consomment que 12 arrobas par année. Il est donc clair que la paysannerie du nord du Potosi a subi une réduction brutale de ses niveaux de production et de consommation à la suite de son intégration dans les processus d’accumulation primitive mis en place par les Espagnols et les Républicains. Le paysan « traditionnel », tel que le conçoivent les agents de développement rural et certains secteurs de la gauche bolivienne soumis à la même idéologie « développementaliste », n’est que pure fiction. Aux xvie et xvie le siècles, le paysan andin pouvait encore atteindre des niveaux très élevés de production. Ceux-ci furent progressivement affaiblis au fur et à mesure que les mécanismes d’extraction du surplus détruisaient l’héritage pré-colombien et le mettaient en crise. Il est surprenant de constater aujourd’hui la capacité de l’économie rurale andine à fonctionner encore malgré le processus constant « d’accumulation primitive permanente ». Ainsi il ne s’agit nullement d’un secteur « traditionnel » et conservateur au point de résister aux diverses tentatives d’élever les niveaux de production, mais plutôt d’une paysannerie andine qui — malgré la détérioration de ses conditions de production — continue à jouer un rôle essentiel en approvisionnant les centres miniers de l’étain de Lallagua et Siglo xx. (Je remercie M. Thierry Saignes d’avoir attiré mon attention sur ce document de 1608).
60 Murra, J.V. (« Los limites y las limitaciones del ’Archipiélago vertical’ en los Andes », Avances, Revista Boliviana de Estudios Históricos y Sociales, No 1, La Paz, 1978, p. 78) a fait ressortir l’appauvrissement de la paysannerie andine provoqué par les différentes Réformes agraires. Notre recherche confirme son observation et montre aussi leur effet négatif sur les niveaux de ventes et d’accumulation des Indiens des ayllu. Nous faisons naturellement référence ici aux potentialités d’accumulation de capital qui existaient à l’intérieur même de la paysannerie et qui ont été ignorées par la Réforme agraire. Nous ne nions pas cependant que dans certaines régions privilégiées (la basse vallée de Cochabamba par exemple) le niveau des ventes se soit élevé après la Réforme agraire, encore que — et notre recherche sur le nord du Potosi le montre bien — cela soit en étroite relation avec l’amélioration des niveaux de consommation familiale (voir Alb, J., « La Reforma Agraria boliviana », Reformas Agrarias en América Latina, Buenos Aires, Colección Proceso 10, 1976, p. 32).
Notes de fin
i Pour régler le problème de la distribution des terres, les vice-rois espagnols avaient institué le systèmes des Visitas. Après leur départ, on parla de Revisitas, au cours desquelles des fonctionnaires réglaient les conflits fonciers, procédaient au recensement et au prélèvement de l’impôt (N.d.t.).
ii Il devint agregado puisqu’il n’avait accès qu’à la Puna, et non plus à la Puna et à la vallée (N.d.t.).
Auteur
Historien, Sucre (Bolivie)
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