La pensée traditionnelle africaine et la science occidentale
p. 45-67
Note de l’auteur
Texte rédigé en français par l’auteur à partir de ses thèses publiées en 1967 dans la revue Africa, 37, « African Traditional Thought and Western Science ».
Texte intégral
Pensée traditionnelle et pensée scientifique : quelques continuités
1J’aborde le problème de la compréhension de la pensée traditionnelle africaine avec la conviction qu’une exploration exhaustive des similitudes entre celle-ci et la pensée moderne occidentale doit précéder l’énumération et l’étude de leurs différences. Si nous acceptons cet ordre de travail, nous serons moins enclins à prendre les différences de langage pour des différences substantielles et nous serons plus aptes à identifier les traits qui distinguent vraiment un type de pensée de l’autre. Suivant ce procédé, je commencerai par formuler quelques propositions sur le caractère et les fonctions de la pensée théorique. Ces propositions ont leurs origines dans ma formation en sciences et en philosophie des sciences. Mais, comme je le montrerai, elles rendent compréhensibles les mêmes traits de la pensée traditionnelle africaine que les anthropologues ont trouvés si mystérieux.
1. Le quête théorique est au fond la quête de l’unité qui sous-tend la diversité apparente ; de la simplicité sous la complexité apparente ; de l’ordre sous le désordre apparent ; de la régularité sous l’irrégularité apparente
2Cette quête implique typiquement l’élaboration d’un schéma des entités ou des forces qui opèrent « à l’arrière » ou « dans » le monde du sens commun. Ces entités ou forces doivent être d’un nombre limité de genres et leur comportement doit être gouverné par un nombre limité de principes généraux. Un tel schéma théorique est lié au monde du sens commun par des formulations qui identifient les postulats afférents aux événements quotidiens. Dans le langage de la philosophie des sciences, ces formulations se nomment « des règles de correspondance ». En science, parmi les théories explicatives de ce genre, on trouve la théorie cinétique des gaz, la théorie atomique de la matière et la théorie ondulatoire de la lumière.
3Certains auteurs contemporains réfutent l’idée que la pensée religieuse traditionnelle soit une pensée théorique sérieuse. En effet, qu’y a-t-il de commun entre le monde complexe, désordonné et capricieux des dieux et des esprits avec la simplicité, la régularité et l’élégance des théories des sciences ? Pourtant cette antithèse ne s’accorde guère avec les résultats des recherches modernes autour de la pensée religieuse traditionnelle. C’est vrai que les esprits de plusieurs cosmologies africaines sont virtuellement innombrables. Mais dans ce sens superficiel, on pourrait parler de la même tendance dans la cosmologie occidentale, où, par exemple, pour chaque objet quotidien, il y a une myriade de molécules. D’ailleurs, si nous acceptons que le but de la théorisation est la démonstration d’un nombre limité de genres d’entités ou de processus qui sous-tendent la diversité de l’expérience, notre vision de la pensée traditionnelle religieuse deviendra toute différente. En effet, une des leçons tirées des études récentes des cosmologies africaines est justement que les dieux d’une culture donnée forment un schéma qui explique l’énorme diversité de l’expérience quotidienne par l’action des forces spirituelles appartenant à quelques genres, finalement peu nombreux. Ainsi, dans l’étude de John Middleton, Lugbara Religion, on voit comment toutes les oppositions et les conflits dans l’expérience quotidienne lugbara sont expliqués comme autant de manifestations d’une seule opposition entre les ancêtres et les esprits adro. Il en est de même dans mes études de la religion kalabari, où l’on voit que presque tout ce qui se passe dans la vie kalabari peut être expliqué par l’action de forces appartenant à trois catégories fondamentales distinctes : les ancêtres, les héros et les génies de l’eau.
4Ces études récentes démentent le vieux cliché que les dieux sont capricieux et irréguliers dans leur comportement, en nous montrant que chaque catégorie d’êtres a ses fonctions assez bien définies face au monde observable. Les dieux peuvent parfois apparaître capricieux à l’homme ordinaire. Mais pour le spécialiste chargé de poser un diagnostic spirituel, il y a un élément important de régularité dans leur comportement. Enfin, comme pour les atomes, les molécules et les ondes, les dieux introduisent de l’unité dans la diversité, de la simplicité dans la complexité, de l’ordre dans le désordre et de la régularité dans l’irrégularité.
2. La théorie remet les choses dans un contexte de causalité plus large que celui fourni par le sens commun
5Quand nous disons que la théorie montre l’ordre et la régularité sous le désordre et l’irrégularité apparents, une des choses que nous voulons montrer est qu’elle fournit un contexte de causalité pour des événements apparemment « sauvages ». Mettre les événements dans un tel contexte est bien entendu une des fonctions du sens commun. Toutefois cette fonction a des limites. Ainsi, le sens commun cherche à déceler les antécédents de tout événement entre d’autres événements qui lui sont contigus dans l’espace et dans la durée. Il a l’horreur de l’action à distance. Cette recherche se fera, d’ailleurs, vers les antécédents d’autres événements qui lui sont en quelque sorte comparables. De là le dicton : le semblable est produit par son semblable. Or, une fonction essentielle de la théorie est qu’elle aide à surmonter ces limites. L’un des accomplissements les plus évidents de la théorie scientifique moderne est qu’elle révèle une gamme de relations de causalités étonnantes à la lumière du sens commun. Prenons l’exemple de la rencontre entre deux morceaux d’un métal d’aspect très ordinaire à qui on aurait donné une certaine accélération vers eux-mêmes et, par ailleurs, une détonation qui pourrait créer une déflagration si forte qu’elle détruirait des milliers de gens. Ou encore, prenons la rencontre entre les petits escargots de l’eau tropicale fraîche et la bilharziose, maladie qui endort des populations entières.
6On peut s’interroger une fois de plus sur ce que vient faire ici la pensée religieuse traditionnelle. Et une fois de plus, on peut répondre « très peu », puisqu’une thèse assez courante insiste sur le fait que cette pensée renvoie plutôt à des causes surnaturelles qu’à des causes naturelles. Mais cette thèse, comme celle que nous avons examinée sous le premier point, est fausse. Peut-être que la meilleure façon de la réfuter serait de considérer l’occasion plus commune de la quête des causes en Afrique traditionnelle. Partout en Afrique, on voit des malades consulter des devins pour connaître les causes de leurs angoisses. Généralement la réponse qu’ils reçoivent implique un agent spirituel ; ainsi, le remède appelle la réconciliation avec cet agent. Mais la réponse contient toujours davantage que ce qui est énoncé, car le devin qui pose le diagnostic de l’intervention d’un esprit doit aussi rendre compte de ce qui a poussé l’agent en question à agir. Et à ce stade il est presque toujours fait référence à un événement du monde visible et tangible. Ainsi, si un devin pose le diagnostic de l’influence spirituelle de la sorcellerie, il y ajoute presque toujours quelque chose à propos des haines et des méfaits humains qui ont mis en jeu cette influence.
7Ou, s’il constate la colère d’un ancêtre, il signale l’infraction humaine aux règles de la parenté, raison de cette colère. L’important est que le devin traditionnel, qui se voit confronté à une maladie, ne se réfère jamais seulement à un agent spirituel. Il utilise les idées concernant cette instance pour lier la maladie à des causes antérieures au monde visible et tangible. Donc, dire que le penseur traditionnel s’intéresse plus aux causes surnaturelles qu’aux causes naturelles n’a pas plus de sens que de dire que le physicien s’intéresse davantage aux causes nucléaires qu’aux causes naturelles. En effet, tous deux utilisent la théorie de la même façon pour surmonter la vision limitée des causes visibles et tangibles fournies par le sens commun.
8Si nous admettons cette préoccupation commune des causes naturelles, il reste à dire que, pour beaucoup de scientifiques de la médecine en Occident, le lien de causalité entre maladie et relations sociales déséquilibrées - lien sur lequel la pensée traditionnelle religieuse a si souvent insisté - a continué à être, jusqu’à nos jours, de l’ordre de l’invraisemblable. Peut-on dès lors dire que cette idée de causalité soit tout simplement un artefact d’une forme de langage théorique traditionnel ? Est-elle une fantaisie sans prise sur la réalité ?
9Pour moi, cette idée est en même temps un artefact de cette forme de langage théorique dominant et une réponse à certains aspects importants de la réalité. Aujourd’hui, avec les limites des théories bactériologiques de la maladie, devenues de plus en plus claires, les scientifiques de la médecine occidentale eux-mêmes commencent à être plus sensibles qu’autrefois aux déterminants sociaux et psychologiques des maladies soi-disant « physiques » et à entrevoir la pertinence des facteurs signalés par les devins traditionnels, dans leurs préoccupations d’établir des diagnostics.
10Il découle de ce qui précède que la manière assez commune de faire contraster la pensée traditionnelle religieuse d’avec la pensée scientifique s’avère bien trompeuse. On entend ici le contraste entre pensée traditionnelle religieuse prétendument « non-empirique » et pensée scientifique prétendument « empirique ». Par un certain côté, ce contraste est trompeur parce que la pensée traditionnelle religieuse ne s’intéresse pas moins que les sciences théoriques aux causes visibles et tangibles des événements. En effet, la fonction intellectuelle de ses esprits et de ses dieux (tout comme celle des atomes, ou des ondes entre autres) est l’extension de la vision des causes naturelles. Par ailleurs, le contraste est trompeur parce que la pensée traditionnelle religieuse fait bien plus que de signaler les liens de causalité qui n’ont rien à faire avec la réalité. Plusieurs de ces liens sont plus ou moins véridiques, ainsi qu’en témoignent même certains penseurs d’avant-garde de la science médicale moderne. Il faut donc constater que dans une certaine mesure, cette pensée saisit avec succès la réalité empirique.
3. Le sens commun et la théorie jouent des rôles complémentaires dans la vie quotidienne
11On voit en Occident une sorte d’équilibre entre le sens commun et la pensée théorique. Chacun des deux semble tenir une place indispensable dans la vie. Il se peut que la raison en soit que toute théorie est fondée sur une ou plusieurs analogies tirées du monde du sens commun et que toute théorie doit expliquer ce monde. Une autre raison pourrait venir des limites discutées plus haut, à savoir que le sens commun est plus habile et plus économique que la pensée théorique. C’est seulement quand il s’agit de dépasser la vision de causalité limitée du sens commun qu’on a recours à la théorie. On peut ici prendre l’exemple du chimiste industriel et du sel. En utilisant le sel chez lui, pour saler ses aliments, le chimiste-individu reste dans le domaine du sens commun. Mais s’il doit utiliser le même sel dans son usine chimique, il doit s’efforcer de le situer dans un contexte de causalité plus large que celui du sens commun ; et il ne peut le faire que s’il le situe dans l’optique de la théorie atomique. Si on lui demande quel est le sel réel - celui du sens commun ou celui de la théorie atomique - il peut très bien répondre que tous deux sont également réels.
12En Afrique traditionnelle, il s’agit d’un même équilibre entre le sens commun et la pensée religieuse. Et il semble que l’on puisse très bien comprendre cet équilibre si on reconnaît que la pensée religieuse est, comme la pensée scientifique, une pensée théorique. De ce fait et comme dans le cas occidental, on peut trouver que le sens commun est plus habile pour contrôler de nombreuses circonstances de la vie quotidienne et que la pensée religieuse est ce qui doit être utilisé quand on a besoin de saisir une causalité plus large.
13Prenons un exemple tiré de ma recherche personnelle dans le delta du Niger. Chez les Kalabari de cette région, on connaît plusieurs genres de maladies, pour lesquelles on utilise des remèdes végétaux spécifiques. D’habitude, pour une maladie donnée, on réagira d’abord au niveau du sens commun avec un ou plusieurs de ces remèdes. Si l’un d’entre eux guérit le malade, on ne fera pas intervenir les esprits et les dieux. Mais, si ces remèdes n’aboutissent pas à la guérison, on dira qu’il y a une autre raison à la maladie et on appellera le devin. Ce dernier, à l’aide de moyens spirituels, reliera la maladie à des causalités qui n’ont rien à voir avec le sens commun, aux dérangements dans les relations sociales du malade, par exemple.
14Ce que nous venons de décrire ici est ce que l’on nomme souvent « le saut » allant du sens commun à la pensée mystique. Mais, comme nous venons de le voir, il s’agirait plutôt du « saut » du sens commun à la pensée théorique. Et ici, comme en Occident, ce « saut » a lieu juste au point où la vision de causalité limitée du sens commun le rend impuissant face à la situation qui demande une solution.
4. Le niveau de théorie utilisé dépend du contexte
15Lorsqu’on veut situer un événement dans un contexte de causalité plus large que celui fourni par le sens commun, on se trouve souvent face à un choix entre plusieurs niveaux théoriques possibles. Comme celui entre sens commun et théorie, ce choix-là dépendra de toute l’ampleur du contexte de causalité à considérer. Si l’événement se situe dans un contexte assez modeste, il sera possible d’utiliser ce que l’on nomme une théorie de bas niveau, c’est-à-dire une théorie qui couvre un champ d’expériences relativement limité. Si en revanche le contexte est plus ambitieux, les outils théoriques devront être d’un plus haut niveau, c’est-à-dire porter sur un champ d’expériences plus large. Le champ d’expériences le plus modeste, couvert par une théorie au profil bas, étant partie du champ plus large, les entités de l’un seront nécessairement considérées comme manifestations spéciales des entités de l’autre.
16Pour prendre l’exemple du principe de celte opération dans la pensée scientifique occidentale, reprenons le cas de notre chimiste industriel et de son sel. Soit il prévoit des transformations assez limitées à base de cette matière et il utilisera des outils théoriques plus simples, soit il prévoit des transformations plus ambitieuses et il aura recours à une théorie chimique d’un niveau plus sophistiqué, la théorie des particules élémentaires, peut-être. Comme le champ d’expériences couvert par la théorie de niveau plus bas est une partie du champ couvert par la théorie de niveau plus haut, les atomes de l’un seront considérés comme manifestations des configurations des particules élémentaires de l’autre.
17Ici encore on peut tirer des parallèles de cela dans les systèmes religieux traditionnels de l’Afrique. Ces systèmes démontrent typiquement l’idée d’une multiplicité d’esprits d’une part et par ailleurs l’idée d’un seul être suprême. D’ailleurs, même si les esprits sont des êtres indépendants, ils sont aussi considérés comme autant de manifestations de l’être suprême. A partir de matériaux propres aux très diverses cultures africaines, on peut émettre l’hypothèse suivante : les esprits, qui sont partie d’un schéma théorique englobant la communauté et le milieu immédiat du penseur, permettent de situer les événements dans un contexte de causalité restreint ; tandis que l’être suprême, centre d’un schéma théorique couvrant le monde entier, permet de situer les événements dans un contexte de causalité aussi large que possible. Du reste, on peut suggérer que c’est parce que le champ d’expériences couvert par la théorie des esprits est une partie du champ couvert par la théorie de l’être suprême, qu’on conçoit les esprits comme à la fois des êtres indépendants et des manifestations de l’être suprême.
5. Toute théorie décompose l’objet du sens commun en plusieurs aspects, afin d’en situer les éléments dans un contexte de causalité plus large
18De nombreux commentateurs de la méthode scientifique nous ont habitués à voir comment les théories des sciences décomposaient les objets quotidiens pour les porter à une compréhension de causalité plus élevée que celle du sens commun. Pourtant, les études les plus récentes des cosmologies africaines - où les croyances religieuses sont insérées dans le contexte des événements quotidiens auxquels elles donnent un sens - montrent clairement que la pensée religieuse traditionnelle opère, elle aussi, au moyen des mêmes processus d’abstraction, d’analyse et de réintégration.
19Un bon exemple nous est fourni par les études récentes de Meyer Fortes sur les théories ouest-africaines de l’individu et de sa relation avec la société. Fortes concentre son attention sur « les âmes multiples » attribuées à l’individu dans de nombreuses cosmologies de cette région. Des auteurs antérieurs ont émis l’idée que de telles âmes étaient l’évidence d’une fantaisie effrénée. Fortes, en revanche, insiste sur le fait que ces idées, situées dans le contexte de la vie quotidienne, nous montrent que les « âmes multiples » sont des forces qui définissent et qui sous-tendent les différents aspects de la vie de l’individu dans la société. Ainsi, ces idées servent, d’une part, à l’abstraction des aspects différents de l’existence humaine et, de l’autre côté, à les situer dans un contexte de causalité plus large.
6. Pour développer un schéma théorique, l’esprit humain doit tirer son inspiration de l’analogie entre les observations énigmatiques qui doivent être expliquées et les phénomènes qui lui sont déjà familiers
20Dans la genèse d’une théorie, lorsqu’on tire une analogie entre l’énigmatique et le familier, il s’en suit une construction d’un modèle dans lequel une structure similaire au familier est considérée comme la réalité au-dessous de l’énigmatique. Les pensées occidentale et africaine en sont la démonstration. Qu’on cherche parmi les atomes et les ondes en Occident ou qu’on cherche parmi les dieux et les esprits africains, on verra que les idées théoriques ont presque toujours leurs racines dans des expériences relativement familières. Que voulons-nous dire par « phénomènes familiers » ? Nous voulons surtout parler des phénomènes qui, dans l’esprit du penseur, sont étroitement liés avec l’ordre et la régularité. Toute théorie qui dépend de l’analogie avec le familier, pris dans ce sens, est la conséquence du caractère môme de l’explication. Ainsi, le but de l’explication étant de montrer l’ordre et la régularité sous ce qui paraît chaotique, la quête d’analogies signifiantes doit tendre vers des aires d’expériences les plus étroitement liées à ces qualités.
21On peut se demander ici pourquoi les théories occidentales sont souvent formulées dans un langage impersonnel alors que les africaines se formulent plutôt de manière personnelle. Voici ce que je veux suggérer. En ce qui concerne l’Occident industriel et les sociétés complexes en permanente transformation, c’est le champ humain qui semble être le mouvement fluide et changeant (le flux lui-même), ce qui donne une impression de manque d’ordre, de régularité et de prédictabilité. Par contraste, c’est le champ du non-humain et du non-vivant qui semble être le lieu par excellence de ces qualités. C’est pour cette raison qu’en Occident, la pensée théorique en quête d’analogies créatrices se tourne le plus souvent vers le non-humain et même vers le non-vivant. C’est l’inverse qui se produit dans les sociétés traditionnelles africaines. Là, le champ humain semble le lieu de l’ordre, de la régularité et de la prédictabilité, alors que le champ des choses non-humaines et non-vivantes, n’a pas ces qualités. Ainsi, en Afrique, la pensée théorique, en quête d’analogies, se tourne d’habitude vers les êtres humains et leurs relations sociales.
7. Lorsqu’une théorie est fondée sur l’analogie entre observations énigmatiques et phénomènes familiers, ce sont généralement les aspects limités de tels phénomènes qui sont incorporés dans le modèle qui en résulte
22Dans les sciences occidentales, on a souvent utilisé l’exemple de la théorie moléculaire des gaz pour illustrer ce processus d’abstraction. Cette théorie est, bien sûr, fondée sur l’analogie avec le comportement des boules de billard dans un espace limité. Mais, tandis que plusieurs aspects de ce champ de phénomènes familiers ont été intégrés au modèle théorique, d’autres aspects, par exemple la couleur et la température des boules, en ont été omis. On voit d’emblée que ce qui a été incorporé est ce qui semblait avoir une valeur explicative, alors que ce n’est pas le cas de ce qui a été ignoré.
23On fait face au même processus d’abstraction dans la pensée religieuse africaine. Quand cette pensée tire ses analogies du champ humain, on utilise certains aspects de la vie humaine et on en ignore d’autres. Sont ignorés, par exemple, l’apparence physique et le mode de logement des hommes. Ces éléments d’abstraction donnent aux dieux un air atténué que l’on appelle « spirituel ». Pourtant il n’y a rien de mystérieux dans cette « spiritualité » Une fois de plus, c’est une question de signifiance explicative. Ce qui semble être signifiant ici est incorporé au modèle alors ce qui ne semble pas avoir d’importance est simplement ignoré.
8. Un modèle théorique, une fois construit, est souvent développé de façon à obscurcir l’analogie créatrice initiale
24Dans son état originel, un modèle théorique peut très rapidement confronter des observations qu’il est incapable d’expliquer. Mais dans ce cas, plutôt que de le rejeter, ses défenseurs procèderont par modifications successives afin d’en augmenter son champ d’application explicatif. Il se peut qu’on aboutisse ainsi à une sorte de bricolage mineur ; il se peut aussi qu’on entre dans d’autres analogies avec des champs de phénomènes assez différents de celui qui a servi de base au modèle initial. Donc, en comparaison des phénomènes de ce champ-ci, le modèle développé aura un aspect hybride, sinon bizarre. Un des exemples les mieux documentés du développement d’un modèle théorique dans les sciences occidentales est celui de la théorie atomique moderne de la matière. Cette théorie a été créée d’abord sur la base d’une analogie entre le passage de rayons alpha à travers des feuilles métalliques et le passage des comètes à travers notre système planétaire. Ce modèle planétaire des éléments constitutifs de la matière s’est immédiatement montré très utile du point de vue explicatif. Ainsi, lorsqu’il était confronté à des observations contradictoires, ses défenseurs ont plutôt tenté de le développer que de le rejeter. La première modification a été d’introduire la possibilité que les « planètes » se soumettent aux changements instantanés de leurs orbites. Puis naquit l’idée de substitution, au centre du système planétaire, d’une agglomération de corps hétérogènes pour le seul « soleil ». Plus tard encore, il fut dit qu’à un moment donné chaque « planète » avait une position spatiale plus au moins indéfinie. Finalement, une nouvelle analogie permit l’introduction d’une autre idée, celle qui, dans quelques contextes, permettait de considérer les « planètes » comme des faisceaux d’ondes. Chaque modification du modèle a été une réponse pour en augmenter le potentiel explicatif. D’ailleurs, chaque modification écartait le modèle un peu plus des phénomènes familiers, base de l’inspiration originelle. De là, son aspect de plus en plus bizarre. Pour la pensée traditionnelle africaine, nous avons rarement accès à une telle profondeur historique et il n’est guère possible de faire des observations directes sur le développement des modèles théoriques. Pourtant, ces modèles ont souvent le même aspect hybride et bizarre qu’on a noté dans les modèles de la science occidentale. Comme ils ressemblent à bien d’autres égards aux modèles occidentaux, on peut supposer que cet aspect résulte d’un même processus de développement, amorcé, lui aussi, par la demande d’une aptitude explicative augmentée. Notre supposition est renforcée par les études monographiques qui démontrent combien les traits apparemment bizarres des modèles particuliers sont étroitement liés aux fonctions explicatives de ceux-là.
25En considérant les systèmes africains de pensée religieuse comme des modèles théoriques pareils à ceux des sciences occidentales, je n’ai fait qu’en restituer leur propre image visible. Bien que cette approche puisse paraître naïve comparée aux attitudes sophistiquées des anthropologues qui prônent la formule « les choses ne sont jamais telles qu’on les voit », elle a donné des résultats assez surprenants. Elle a surtout introduit le doute sur les dichotomies habituelles qui conceptualisent la différence entre pensée traditionnelle et pensée scientifique ; l’intellectuel contre l’émotionnel ; le rationnel contre le mystique ; l’orientation vers la réalité contre l’orientation surnaturelle ; l’empirique contre le non empirique ; l’abstrait contre le concret ; l’analytique contre le non analytique. Toutes ces dichotomies se sont révélées être plus au moins hors de propos. Si le lecteur est perturbé par le rejet de ces dichotomies, j’espère qu’il l’acceptera lorsqu’il aura compris à quel point cela permet de donner du sens à ce qui semblait préalablement ne pas en avoir.
26Un autre fait peut encore troubler le lecteur : la minimisation de la différence entre théorie impersonnelle et théorie personnelle. Je suis loin d’ignorer cette différence puisque j’ai admis qu’il était très important qu’elle soit confrontée et même expliquée ; et il me semble en avoir trouvé une explication au moins intéressante. Quand même, je l’ai considéré comme quelque chose d’assez superficiel qui cache une similitude sous-jacente du processus intellectuel. Je crois cette position justifiée comme réaction contre celle, plus habituelle, où l’obsession de la différence domine tout. Aveuglé par cette obsession, on ne peut que voir la pensée religieuse traditionnelle comme quelque chose d’entièrement « autre ». Il se trouve ainsi que le « pont » entre pensée occidentale et pensée traditionnelle est bloqué et que la route de la compréhension est fermée.
27Le but de ma démonstration a été de refranchir cet obstacle et d’essayer de montrer que la différence entre les théories impersonnelles des sciences et les théories personnelles des religions est surtout une différence dans la forme de langage théorique. Cette idée éclaircie, les faits ayant jadis l’apparence de manquer de sens, deviennent immédiatement compréhensibles.
28J’espère qu’à ce stade on a compris pourquoi, dans ma comparaison, j’ai insisté d’abord sur les continuités et non sur les différences. Au risque de donner l’impression que la pensée traditionnelle est une sorte de science, ce procédé a l’avantage de permettre, lors de discussions sur la question des différences, de porter son attention sur celles qui sont vraiment profondes et non celles qui sont soit non-existantes soit superficielles.
Situation1 « fermée » et situation « ouverte »
29Dans cette partie de l’essai, j’aborde les différences profondes entre la pensée religieuse africaine et la pensée scientifique de l’Occident. Je commence par en signaler une qui me paraît être à la base de toutes les autres avant de suggérer comment toutes les autres découlent de la première.
30La différence fondamentale est ici assez simple. Dans les cultures traditionnelles, il n’y a aucune conscience de savoirs alternatifs au système théorique établi tandis que dans les cultures à orientation scientifique, la conscience de savoirs alternatifs est très vive. C’est de cette différence dont il est question quand on dit que les cultures traditionnelles sont « fermées » tandis que celles à orientation scientifique sont « ouvertes ».
31L’absence d’une conscience de savoirs alternatifs a deux conséquences :
d’un côté, il encourage l’acceptation totale de la théorie établie et empêche toute interrogation sur cette théorie qui devient, dès lors, « sacrée » ;
d’autre part, tout défi à la théorie établie est une menace de chaos et provoque une inquiétude profonde.
32Avec le développement d’une conscience de savoirs alternatifs, la théorie établie perd sa validité absolue et son aspect sacré. En même temps, un défi à la théorie n’est plus ni menace de chaos ni source d’inquiétude. Il y aurait là une indication pour envisager une nouvelle théorie.
33Enfin, nous avons ici deux situations fondamentales :
celle de la fermeture, caractérisée par le manque de conscience d’alternatives ; théorie sacrée qui implique l’inquiétude provoquée par tout défi ;
celle de l’ouverture, caractérisée par la conscience d’alternatives ; théorie profane qui implique un manque d’inquiétude face aux défis.
34Or, comme déjà suggéré, toutes les autres différences profondes entre esprit traditionnel et esprit scientifique peuvent être comprises comme découlant de la différence entre ces deux situations.
35Pour mieux justifier cette affirmation, je voudrais diviser les différences dont il est question en deux groupes : d’un côté, celles qui découlent directement de l’absence ou de la présence d’une conscience de savoirs alternatifs ; et de l’autre, celles qui découlent de la présence ou de l’absence d’inquiétude face aux défis des croyances établies.
A. Différences découlant de l’absence ou de la présence d’une conscience de savoirs alternatifs
1. Attitude magique ou attitude non-magique envers les mots
36Le point convergent à presque toutes les cosmologies africaines que nous connaissons, est sans doute que les mots, prononcés d’une manière appropriée, ont le pouvoir d’influencer les événements ou les processus qu’ils représentent.
37Les exemples les plus remarquables de ce postulat sont les mythes de la création dans lesquels l’être suprême crée le monde en prononçant le nom de toutes les choses qui existeront en lui.
38Dans les actes de la création que l’être suprême a réservés à l’homme, la prononciation des mots est, à elle seule, rarement considérée comme ayant la même efficacité cosmique. On accepte pourtant que les mots des hommes soient une mesure de contrôle face aux situations qu’ils représentent ; une opération technique doit souvent aussi être exécutée pour parvenir à un certain résultat ; pour qu’elle réussisse, elle doit être accompagnée d’une incantation verbale qui présage du résultat. Dans la plupart des cosmologies traditionnelles, connaître le nom d’un être ou d’une chose, c’est avoir un certain contrôle sur eux. C’est pour cela que les noms « profonds » des dieux sont souvent cachés et leur énoncé réservé aux prêtres qui les utilisent dans les rituels. C’est pour la même raison qu’on utilise des euphémismes pour parler des maladies et des bêtes sauvages dangereuses, car on croit qu’en prononçant leurs vrais noms, on amène leur présence.
39Enfin, dans l’Afrique traditionnelle, on peut relever toutes les manifestations de ce qu’on appelle « l’attitude magique » envers les mots.
40Cependant dans beaucoup de ce qu’on appelle la « magie » africaine, on utilise non seulement les mots, mais aussi les objets matériels. Ceux-ci, néanmoins, peuvent être considérés, à leur tour, comme des mots. Ils sont alors presque toujours introduits dans l’opération magique au moyen d’une incantation verbale qui leur donne une valeur symbolique en fonction du résultat désiré. On peut dès lors dire avec Mauss que cette incantation les convertit en « mots réalisés » ou « mots concrets ». Leur efficacité, elle aussi, est cette magie des mots.
41Si on rend compte de la situation fondamentale du penseur traditionnel, on comprend clairement pourquoi le postulat du pouvoir magique des mots est si central dans cette pensée. L’homme ne peut ainsi être en contact avec la réalité qu’à travers l’écran des mots et de ce fait il ne peut échapper à la tendance à voir un lien intime entre les mots et les choses. Pour le penseur traditionnel, cette tendance est toute puissante puisqu’il ne peut pas imaginer de savoirs alternatifs au système établi des concepts et des mots, ces derniers lui semblant liés à la réalité de façon absolue. C’est la raison pour laquelle il croit que tout énoncé des mots affecte les choses.
42L’attitude de la pensée scientifique est totalement contraire car elle nie absolument qu’un mot ait un pouvoir magique sur son objet de référence. Pour elle, les mots sont des outils consacrés seulement aux fins de la description, de l’explication et de la prévision et ils ne sont utiles qu’à ces fins.
43Pour le scientifique, le refus de la magie des mots provient de leur contradiction avec les faits. Mais qui a mis cette magie à l’épreuve des faits ? Personne. En effet, une raison plus profonde cache ce refus car dans la situation « ouverte », la conscience des systèmes alternatifs de conceptualisation ouvre deux possibilités intellectuelles : toutes deux « pensables », l’une étant insupportable, l’autre pleine d’espoir.
44La première possibilité est tout simplement une continuation de l’attitude magique envers les mots. Mais, si les idées et les mots sont étroitement liés à la réalité et si vraiment ils lui donnent forme et la contrôlent, une multiplicité de systèmes théoriques implique une multiplicité de réalités. Ainsi, tout changement de système théorique signifie changement de réalité. Or, bien qu’il n’y ait rien d’absurde ni d’inconsistant dans ce point de vue, il est nettement insupportable, car il manifeste que le monde dépend du caprice humain, que la quête d’un ordre stable est pure folie et que l’homme perd son temps s’il ne cherche pas d’ancrage solide dans la réalité.
45La deuxième possibilité se base sur le postulat qui veut que les mots et les idées changent, mais que la réalité reste stable et constante. Dans ce cas, les mots décollent de la réalité et perdent leur pouvoir magique. Du point de vue intellectuel, cette deuxième possibilité est ni plus ni moins respectable que la première, mais elle a l’avantage d’être supportable émotionnellement alors que la première est tout-à-fait insupportable.
46Enfin, dans la transition de la situation « fermée » à la situation « ouverte », l’attitude magique envers les mots devient une source d’angoisse. Pour y échapper, on adopte le postulat que les mots varient indépendamment de la réalité.
2. Idées liées aux situations ou idées liées aux idées
47Dans la pensée des cultures traditionnelles, on ne voit pas d’opposition entre les systèmes d’idées et les réalités qui sont leurs objets de référence. On peut plutôt dire que les idées particulières sont liées aux occasions qui les évoquent. Ici aussi, cette situation vient du manque de conscience de savoirs alternatifs au système des idées établi. Face à un tel manque, on ne peut pas voir les idées comme opposées à la réalité.
48Dans les milieux intellectuels occidentaux, les choses sont différentes puisque le mot ’idée’ lui-même implique ce qui est opposé à la réalité. Ainsi, dans l’esprit du penseur, les systèmes d’idées sont des totalités opposées à la réalité. Ceci permet, une fois de plus, de souligner la conséquence d’une vive conscience des savoirs alternatifs. Comme nous l’avons déjà noté, cette conscience encourage le postulat que les idées varient tandis que la réalité reste constante. A partir de là, les idées se détachent de la réalité et peuvent même être vues comme opposées à cette dernière. En donnant au penseur l’opportunité de sortir de son propre système et de l’observer du dehors, cette conscience l’encourage à le voir comme système.
3. Pensée réflexive ou pensée non réflexive
49Il est vrai que les visions du monde africaines sont élaborées « logiquement ». Il est vrai aussi qu’en raison de leur caractère rationnel, elles sont pour cela-même appelées « philosophies ». Mais ici, j’utilise « logique » et « philosophie » dans des sens plus exacts. Par « logique » je veux dire un mode de pensée dirigé par la question suivante : quelles sont les règles générales par lesquelles on peut distinguer les bons arguments des mauvais ? Par « philosophie » la question sera : selon quels critères peut-on réclamer savoir quelque chose ? Dans ces sens restrictifs, logique et philosophie sont relativement absentes de la pensée africaine. Celle-ci est plus préoccupée par la tâche théorique et explicative que par les règles de cette tâche. On peut, là encore, voir cette situation comme produit de la situation « fermée ». Où il n’y a pas conscience de savoirs alternatifs théoriques, il n’y aura pas de possibilité de choix. Il n’y aura pas non plus quête de règles explicites qui gouvernent ce choix.
50Dans les mêmes sens restrictifs, logique et philosophie sont au centre des cultures modernes de l’Occident. Et, comme leur absence était le produit de la situation « fermée », leur présence est le produit de la situation « ouverte ». Ainsi, où il y a conscience des savoirs alternatifs, il y aura la possibilité du choix, puis quête résolue de règles qui gouvernent ce choix.
4. Raisons mixtes ou raisons séparées
51Comme il a été déjà dit, tant la pensée africaine que celle de l’Occident cherchent à expliquer et à faire des prévisions. Mais, dans la première, l’absence de règles explicites fait qu’il y a peu de réflexion sur la compatibilité entre les raisons cognitives et les autres. Ainsi il existe une situation où le système théorique, bien que guidé par des raisons cognitives, est influencé par d’autres qui ne sont pas strictement cognitives. En exemple, on peut dire que le système est souvent très influencé par ce qu’on peut appeler les raisons émotionnelles - c’est-à-dire des besoins pour certains genres de relations personnelles-. Ici, les dieux fonctionnent non seulement comme entités théoriques, mais aussi comme partenaires personnels. Et cette fonction-là influence considérablement les idées qu’on se fait d’eux.
52Dans l’Occident moderne, où la possibilité de choix a stimulé le développement de la logique et de la philosophie, au sens strict des mots, et les règles explicites de la pensée, la situation est très différente. II en résulte une conscience très vive de l’incompatibilité entre les raisons cognitives et non cognitives. On insiste de plus en plus sur le fait que si les idées théoriques sont utilisées comme des outils d’explication et de prévision, elles ne doivent pas devenir des outils à d’autres fins. Ainsi, et de plus en plus, la sélection et le développement des théories sont faits en référence à leur seule efficacité explicative et prévisionnelles. C’est dans ce sens qu’on peut voir la science comme un mouvement de différenciation.
B. Différences découlant de la présence ou de l’absence d’anxiété face aux défis à la théorie établie
5. Attitude protectrice ou attitude destructrice face à la théorie établie
53Dans les deux types de cultures, la pensée théorique est principalement concernée par la prévision des événements. Entre les deux, il y a toutefois des différences assez marquées dans la façon de réagir aux échecs des prévisions.
54Dans la culture traditionnelle, même les échecs répétés ne mènent pas au rejet du postulat théorique. Au contraire, on a recours à d’autres croyances pour « excuser » chaque échec et ainsi protéger le postulat en question. Les anthropologues ont appelé l’utilisation de ces « excuses » « l’élaboration secondaire ». Ici encore il s’agit d’une conséquence de la situation « fermée ». Pour les victimes de cette situation, les postulats théoriques établis ont une validité absolue et les rejeter mènerait au chaos absolu. En cas d’échec, il est donc important d’éviter tout rejet.
55Dans la culture scientifique occidentale, l’attitude envers la théorie établie est différente. Bien qu’un certain effort soit fait pour préserver une théorie, face à des échecs limités, un cumul d’échecs mènera inexorablement à son rejet. Cette volonté fondamentale de rejeter une théorie incapable de prévision, est peut-être le trait plus important de l’esprit scientifique. C’est, d’ailleurs, la conséquence directe de son caractère « ouvert ». Car lorsque le penseur peut considérer sa théorie établie comme une parmi d’autres alternatives, elle prend une valeur moins absolue. Il peut dès lors affronter son rejet comme n’étant pas un saut irréparable dans le chaos.
6. La divination ou le diagnostic
56Le devin africain et le diagnosticien occidental se ressemblent puisque tous deux sont concernés par l’application de la théorie pour expliquer et résoudre pratiquement des situations inquiétantes. Mais il y a des différences dans leurs modes opératoires.
57Le devin opère selon un schéma de chaînes de causalité convergentes. Par exemple, il accepte que plusieurs esprits différents produisent la même maladie. Puisqu’il n’y a pas d’évidence observable qui lui permette de choisir entre plusieurs causes possibles, il compte sur un signe direct de l’invisible pour guider son choix. De tels signes peuvent prendre quantité de formes différentes. Il en résulte une diversité de systèmes de divination. La combinaison d’un schéma de chaînes de causalité convergentes et le postulat de la faillibilité essentielle des signes divinatoires a pour conséquence la protection de la théorie établie. Si l’action d’un remède, basée sur un verdict divinatoire accusant l’esprit, échoue, on peut toujours impliquer l’échec à un esprit B ou à un autre esprit C, en reprochant l’erreur au devin. Cette protection de la théorie établie, démontrée ici encore, est une des manifestations caractéristiques de la situation « fermée ». Par opposition au devin, le diagnosticien occidental opère selon un schéma de chaînes de causalité non convergentes. Son postulat préconise que des causes différentes produisent des effets différents ; en d’autres mots, à chaque effet correspond une cause distincte. Ici l’évidence observable suffit à identifier la cause. Donc, si l’action du remède basée sur son verdict faillit, la théorie sous-jacente peut être mise en doute. Ainsi, loin d’être une part d’un mécanisme qui défendrait la théorie, le diagnosticien devient souvent l’instrument de destruction de la théorie en question. Cela ne doit pas nous étonner, parce que, où il est question de la situation « ouverte », on est toujours plus prêt à laisser la théorie établie vulnérable aux échecs évidentiels.
7. Absence ou présence de méthode expérimentale
58Dans la société traditionnelle, comme cela a déjà été mentionné, la théorie prend considérablement en compte les faits et en donne des explications intéressantes, particulièrement dans le domaine de la vie sociale. Toutefois, face aux faits nouveaux, elle rechigne à s’y adapter ou ne le fait que graduellement. Tout doit se passer comme si personne ne devait soupçonner la modification en cours. On voit, là encore, l’attitude protectrice envers la théorie établie qui caractérise le style « fermé ».
59Dans le milieu scientifique, en revanche, ceux qui tiennent à une théorie établie n’attendent pas que les événements prévus arrivent naturellement, mais ils la bombardent d’événements produits artificiellement pour en tester le plus rapidement possible la validité ou l’échec potentiel. C’est le propre de l’expérimentation. Là encore il s’agit de la conséquence de l’attitude destructrice liée à la situation « ouverte ».
8. La confession d’ignorance
60Dans la société traditionnelle, il est rare d’entendre une confession d’ignorance aux questions que les gens eux-mêmes trouvent importantes. Par exemple, une telle confession est pratiquement inexistante quant à une maladie fréquente ou à un échec en agriculture. Etant donné la situation « fermée », une telle confession serait intolérable car, lorsqu’il n’y a pas des savoirs alternatifs au système établi, chaque soupçon de l’inadéquation aux faits du système serait un présage de chaos irréparable.
61Dans le milieu scientifique, il en va tout autrement. La confession d’ignorance est assez fréquente, même pour des questions importantes à la société. Lorsqu’il est possible d’imaginer des savoirs alternatifs à une théorie établie, le soupçon de l’inadéquation ne suscite aucune angoisse.
9. Coïncidence et probabilité
62Etroitement lié au développement de la capacité de tolérer l’ignorance, il y a le développement des concepts pour lesquels on connaît les limites des possibilités d’explication et de prévision. Les concepts de coïncidence et de probabilité sont ici importants. Dans les cultures traditionnelles, l’idée de coïncidence est très peu développée. Il y aurait plutôt tendance à donner une cause définie à chaque événement imprévu. L’idée qu’un tel événement puisse arriver accidentellement par convergence de deux enchaînements de causalité est inconcevable parce qu’intolérable. L’accepter serait admettre que l’événement en question n’était pas complètement explicable. II y aurait dès lors confession d’ignorance.
63Dans les milieux scientifiques, en revanche, l’idée de coïncidence est centrale. Pour le scientifique, il n’y a rien d’effrayant dans la portée explicative incomplète.
64Il en va de même pour l’idée de probabilité. Là où la pensée traditionnelle a tendance à chercher si quelque chose va arriver ou non, la pensée scientifique se contente souvent d’en imaginer la probabilité mathématique. Ainsi, là où la pensée traditionnelle rejette les limites de la prévision, la pensée scientifique l’accepte sans aucun souci.
65Dans les deux cas, il est question, une fois de plus, de rejeter ou d’accepter un élément de l’ignorance.
10. Attitude protectrice ou attitude destructrice face au système des catégories
66Un trait presque inhérent à la pensée traditionnelle est celui que les anthropologues appellent la « réaction tabou » qui est une réaction d’horreur et d’aversion aux phénomènes qui sont considérés comme monstrueux et polluants. Parmi les phénomènes qui provoquent très typiquement cette réaction sont l’inceste, la naissance de jumeaux, le cadavre humain, le sang menstruel, et les pays étrangers. Il semble que dans presque tous les cas connus, il s’agisse de phénomènes défiant les classifications établies propres aux cultures où elles sont situées. Il semble aussi, par ailleurs, que comme les postulats centraux de la théorie sont défendus par un imposant déploiement d’excuses face à la faillite de la prévision, les lignes principales de catégorisation sont également défendues par des « réactions tabou » envers tout phénomène qui les défie. Comme tout système théorique implique un système de catégories et inversement, l’élaboration secondaire et la « réaction tabou » sont les deux faces d’une même pièce.
67Comme l’élaboration secondaire, la « réaction tabou » n’a pas place en milieu scientifique, car ce qui défie les catégories établies est l’élément dérangeant qui est souhaité parce que provocateur d’une pensée nouvelle.
11. Le temps qui passe
68En Afrique traditionnelle, les méthodes pour saisir le temps qui s’écoule, varient beaucoup d’une culture à l’autre. Et dans chaque culture on trouve une pluralité d’échelles temporelles. Bien que ces échelles ne soient pas systématiquement reliées, elles servent toutes à ordonner les événements dans des séries « de l’avant » et de « l’après ». D’ailleurs, pour toutes, le temps qui passe, implique la menace. Le corollaire à cette attitude envers la durée s’exprime par un très riche développement de rites qui annulent le temps qui s’écoule par un « retour au commencement ». Ces rites sont basés sur le postulat magique que la reconstitution symbolique d’un événement archétypique peut recréer cet événement et annuler le temps écoulé depuis son apparition originelle.
69Ces tentatives courantes de l’annulation du temps qui passe semblent être étroitement liées aux traits de la pensée traditionnelle telle que je l’ai examinée et, comme je l’ai déjà dit, le nouveau et l’étrange, pour autant qu’ils défient le système établi de la théorie et de la catégorisation, sont des risques de chaos à éviter. Le temps qui passe, ainsi que son élément non répétitif, est le véhicule par excellence de ces aspects d’expérience effrayants. C’est pourquoi ses effets doivent être supprimés à tout prix. Enfin, les rites propres à annuler le temps qui passe ont beaucoup en commun avec l’élaboration secondaire et avec la « réaction tabou ». On peut les considérer comme le troisième réflexe défensif de la pensée traditionnelle.
70Chez le scientifique, l’évaluation du temps qui passe est tout à fait inverse. Pour lui, le passé a un aspect mauvais, négatif, alors que le futur est favorable. C’est ce qu’on appelle le sens du progrès. Où le penseur traditionnel tente d’annuler le temps, le scientifique voudra l’accélérer, car, dans sa poursuite passionnée de la méthode expérimentale, il veut toujours créer de nouvelles situations que la nature, laissée à elle-même, n’apporterait que très lentement sinon jamais.
71Une fois de plus, l’attitude du scientifique correspond à la manifestation de la situation « ouverte ». Pour lui, les idées établies sont une possibilité entre plusieurs autres ; les événements qui les menacent ne sont pas sources d’angoisse alors qu’ils le seraient pour le penseur traditionnel. De ce fait, l’élément du nouveau et de l’étrange apporté par l’écoulement du temps n’a rien d’effrayant. Par ailleurs, dans cette situation, il y a une source résiduelle d’insécurité : la conscience du caractère provisoire de toute théorie établie. Cette insécurité résiduelle rend encore plus séduisante l’idée de progrès parce que celle-ci donne aux penseurs la vision d’une perfection théorique future, rendant plus tolérable la conscience d’imperfection de la théorie courante.
72Il n’y a rien de très nouveau dans les termes de ce contraste entre pensée traditionnelle et pensée scientifique. Les onze points de différence dont il a été question ici se trouvent tous en quelqu’endroit dans la littérature. L’originalité de la contribution de cette partie de l’essai est de montrer les onze traits de la pensée traditionnelle comme un syndrome : c’est-à-dire, comme autant de manifestations d’une situation sous-jacente (la situation « fermée »), qui fleurissent et périssent ensemble avec la situation en question. D’ailleurs, on y voit les onze traits correspondants de la pensée scientifique comme un syndrome comparable.
Facteurs socio-culturels constitutifs des deux situations
73Jusqu’ici l’interprétation du contraste a surtout été intellectualiste. Il nous reste encore à suggérer les facteurs socio-culturels qui peuvent l’expliquer. En identifiant de tels facteurs, on aura le moyen de répondre aux questions importantes suivantes : pourquoi le lieu de l’émergence de la pensée scientifique a-t-il été l’Europe et non l’Afrique ? Pourquoi est-elle apparue à un moment donné plutôt qu’à un autre ? Nous suggérons ici, très provisoirement, trois facteurs significatifs de réflexion.
1. Développement de la transmission des croyances par l’écriture
74J’ai parlé au point 6 ci-dessus du paradoxe des systèmes d’idées que les usagers trouvent statiques alors qu’ils sont en mouvement perpétuel, même s’ils avancent à petits pas.
75Or, c’est surtout la transmission orale qui rend possible ce paradoxe. Car, à chaque génération, elle permet les petites innovations. Mais où les gens n’ont pas accès aux idées « gelées par l’écriture » des générations précédentes, ceux qui innovent et acceptent les innovations sont relativement inconscients des changements qui ont eu lieu. Dans ces circonstances, tout tend à accorder à la théorie établie une validité absolue et atemporelle. Elle empêche ainsi la formation d’une conscience de savoirs alternatifs. On peut donc dire que la transmission orale est un des piliers qui supporte la situation « fermée ».
76Lorsqu’est introduit l’écrit, il se passe un changement radical. Les croyances d’une période donnée deviennent « gelées » par l’écriture pendant que la transmission orale continue, avec ses petites innovations typiques. Après des générations, ces innovations auront produit un système d’idées tout-à-fait différent de ce qui avait été écrit au commencement. Dans une culture purement orale, personne ne pourrait prendre conscience du changement alors que, dans une culture littéraire, la possibilité d’une comparaison entre les croyances contemporaines et les croyances « gelées » antérieures rend le changement évident. Dans de telles circonstances, la théorie établie ne peut pas paraître comme douée de validité absolue et atemporelle. Le fait de savoir que nos ancêtres avaient des croyances totalement différentes des nôtres, nous permet d’avoir le germe du sens de savoirs alternatifs. Ainsi tout est prêt pour l’émergence de la situation « ouverte ».
2. Développement des communautés de culture hétérogène
77Le facteur qui saute aux yeux comme impliqué dans la croissance de la conscience de savoirs alternatifs et dans le développement de la situation « ouverte » est la rencontre avec d’autres peuples qui, eux, expliquent différemment le monde. Mais il y a rencontres et rencontres. Certains font peu de différence quant aux perspectives engagées, alors que d’autres font une différence énorme. Or, ni l’Afrique traditionnelle ni l’Europe ancienne n’ont manqué de telles rencontres. Ainsi il faut montrer pourquoi, tandis qu’en Afrique elles n’ont que peu encouragé la situation « ouverte », en Europe elles l’ont encouragée.
78Dans le cas de l’Afrique, on peut suggérer que la plupart des communautés étaient homogènes et que leurs échanges avec d’autres se cantonnaient au commerce. Les partenaires commerciaux restaient enracinés dans leur propre communauté, ils y revenaient après les transactions sans avoir changé d’optique. On commerçait ; on n’échangeait pas les visions du monde. Dans ces conditions, la confrontation avec d’autres croyances restait limitée. Alors que cette confrontation existait, le contenu des théories en question était tel qu’il n’encourageait pas une vraie conscience de savoirs alternatifs. De part et d’autre, il y avait le postulat implicite que le monde marchait d’une certaine manière dans sa communauté et autrement ailleurs. Les systèmes de croyances différents pouvaient dès lors rarement être vus comme de vraies alternatives.
79Alors qu’en Afrique les frontières interculturelles avaient la tendance à coïncider avec les frontières entre communautés, au bord de la Méditerranée et ailleurs en Europe, une série de grandes cités commerçantes serraient, comme des harengs en boîte, des gens d’origines très diverses. Dans ces cités, les habitants, malgré leur diversité culturelle, avaient un fort sentiment de solidarité face aux souverains des territoires environnants et aux cités avoisinantes. De ce fait les relations entre gens de cultures différentes étaient plus importantes qu’en Afrique, débouchant sur des rencontres plus profondes et une conscience plus forte de la possibilité de savoirs alternatifs. D’ailleurs ces gens étaient habitués depuis longtemps à vivre dans des communautés intégralement liées à un monde plus large, ce qui avait encouragé chez eux des théories plus universelles. Il était dès lors impossible de faire valoir, lors de rencontres intellectuelles, que le monde marchait ainsi chez soi et autrement ailleurs. La théorie de l’un et celle de l’autre étaient manifestement toutes deux théories d’un même monde et on ne pouvait pas échapper à la conscience qu’elles en étaient des alternatives.
3. Commerce, voyage, exploration
80Un deuxième type de rencontres est né des voyages d’exploration dans les pays lointains. Malgré quelques voyageurs africains d’exception, ce ne fut jamais le centre d’intérêt des cultures traditionnelles africaines. Mais, en Grèce ancienne, en Arabie médiévale, et plus tard en Europe occidentale, ces voyages étaient d’une telle importance pour la vie sociale qu’ils ont largement coloré la vision générale du monde. On a dit que ces voyages étaient la conséquence et non la cause des mentalités « ouvertes ». Je crois au contraire que les premiers voyageurs étaient issus de sociétés « fermées » et partaient de chez eux pour des raisons courantes dans ces sociétés (manque de terre chez soi, quête de richesses à travers le commerce, etc.).
81Pourtant, la poursuite de ces buts classiques dans les pays lointains a mené à des tentatives très importantes de rencontres intellectuelles avec les indigènes de ces pays. Pour pouvoir coexister ou même vaincre, il fallait bien essayer de les comprendre. Il fallait pour cela non seulement les affronter au niveau du sens commun, mais aussi à celui de la théorie. Il en est résulté une accumulation de témoignages sur des visions du monde « autres » contribuant vivement au développement d’une conscience de savoirs alternatifs.
82Ces voyages d’exploration encourageaient d’une autre façon le développement de la situation « ouverte ». Dans les cultures traditionnelles, comme déjà dit, les pays lointains sont considérés comme les foyers de tout ce qui est monstrueux et « tabou ». Pourtant, dans l’ère des grands voyages et des explorations européennes, on recevait de ses héros des rapports non sur des monstres, mais sur des délices et des richesses. Ces associations bénignes avec l’ailleurs s’étendaient peu à peu à l’expérience nouvelle en général. On commençait à ressentir cette expérience non plus comme dangereuse, mais plutôt comme une nouveauté passionnante et rémunératrice.
83Enfin, les événements de cette ère ont eu un double effet sur la pensée. D’un côté, ils ont affaibli le sentiment que la théorie établie était la seule défense contre le chaos et le vide. De l’autre côté, ils ont donné un aspect plus bénin au chaos lui-même.
84En caractérisant ces trois facteurs comme étant décisifs pour le développement de la situation « ouverte », il n’est pas question de dire que, partout où elle se produit, la transition de la pensée « fermée » à la pensée « ouverte » soit sans douleur et complète. Au contraire, il semble inévitable que la transition soit toujours douloureuse et partielle. Pourquoi donc ? Parce que, bien que le développement d’une conscience des possibilités théoriques de savoirs alternatifs érode l’idée que la théorie établie a une validité absolue et atemporelle, cette érosion est un processus qui prend du temps. Et pendant le processus, il y aura des gens qui garderont le sens de la validité absolue de leur théorie et qui souffriront d’angoisse traditionnelle face à des situations de menace. Ceux-là constitueront une source puissante de résistance à la transition. D’ailleurs, comme je l’ai dit, le monde mobile de la situation qualifiée d’« ouverte » crée, lui aussi, un malaise résiduel face auquel les gens s’arrangeront en développant une foi dans le progrès vers un futur d’où sortira finalement la vérité. Mais il y en aura toujours qui seront les nostalgiques de la théorie sacrée de la situation « fermée ». Eux aussi constitueront une source de résistance. Ce qui est clair, d’emblée, c’est que la situation « ouverte » sera toujours assez fragile.
Notes de bas de page
1 Note de la rédaction : l’auteur a utilisé en anglais le terme de « prédicament ». Il est traduit ici par le mot de « situation » qui nous semble le plus approprié.
Auteur
Après une première formation en chimie, zoologie et botanique, Robin Horton a fait en 1956 le B.A. en philosophie, psychologie et physiologie à Oxford. Il a ensuite été assistant d’anthropologie sociale dans le département de Daryll Forde à l’University College de Londres avant de s’installer définitivement, dès 1962, au Nigéria. C’est aux Universités de Ife, Ibadan et Port Harcourt que Robin Horton enseigne actuellement dans les départements d’études africaines, de sociologie, de philosophie et de philosophie et études religieuses. Son terrain de recherche est l’histoire, la culture et la religion des Kalabari dans le delta-est du Niger. Ses recherches théoriques sont l’étude comparative des systèmes de pensée.
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