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Déchets sans frontières : les enjeux de la Convention de Bâle

Traduit par Odile Chazerand (trad.)

p. 75-85

Note de l’auteur

Traduit de l’anglais


Texte intégral

Introduction

1Au fur et à mesure que, lors de ces prochaines décennies, s’aggravera la détérioration de l’écosystème mondial, l’environnement deviendra un enjeu prioritaire de la politique internationale. Les institutions, les entreprises et les nations les plus puissantes accapareront de plus en plus le débat, les activités et les fonds consacrés à la protection de l’environnement. Ceux qui voient dans l’environnement un moyen d’accroître leur pouvoir personnel pourraient bien sacrifier des objectifs mondiaux tels que la survie des principaux écosystèmes, des populations, voire de la planète tout entière. Dans ce contexte, savoir à qui appartient l’environnement que nous voulons préserver et pour qui nous le préservons permettrait sans doute de mieux comprendre la situation. Ainsi, on pourrait aller jusqu’à imaginer que des régions et des populations soient sacrifiées afin de préserver la vie ailleurs. L’hypothèse d’un totalitarisme écologique justifié par la gravité des problèmes et aux mains de ceux qui disposent des ressources nécessaires pour financer la gestion technocratique des catastrophes est tout à fait plausible.

2Déjà les nations les moins puissantes craignent que les pays riches industrialisés ne cherchent à leur imposer un nouveau colonialisme écologique, que les sanctions commerciales en faveur de l’environnement ne soient des mesures de protectionnisme à peine déguisées contre la concurrence économique du Sud, que des accords tels que la Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction (CITES) ou la Convention sur la diversité biologique ne dictent aux pays en développement la conduite à suivre pour administrer des ressources naturelles qui ont déjà été abondamment exploitées par les pays développés. Elles craignent que des accords internationaux tels que le Protocole de Montréal ou la Convention sur le climat n’imposent au Sud les mêmes sacrifices économiques qu’au Nord, afin de remédier à des problèmes mondiaux causés principalement par le développement technologique du Nord.

3Bien qu’une aide financière soit désormais prévue dans les traités internationaux et malgré l’institution du Fonds pour l’environnement mondial (FEM), ce qu’il est convenu d’appeler la négociation Nord/Sud représente toujours une bonne affaire pour le Nord. Les montants transférés du Nord vers le Sud pour la préservation de l’environnement sont infimes par rapport à ceux prévus dans les accords, qui étaient déjà très en deçà des besoins réels. Malgré la récente réforme du FEM, ce sont encore dans une très large mesure les nations puissantes qui décident des sommes à dépenser et des destinataires de ces sommes. “La conditionnalité verte” de l’aide au développement, qu’elle soit de caractère général ou spécialement axée sur la protection de l’environnement, constitue aujourd’hui un exemple de “colonialisme vert”.

4Dès lors, la négociation consiste trop souvent pour les pays en développement à débusquer les intentions cachées, les jeux de pouvoir qui se dissimulent derrière les positions officielles adoptées dans les accords internationaux et qui remettent en cause la souveraineté nationale ou l’autodétermination sous le couvert de la protection de l’environnement dans le monde.

5Face à la menace, cette attitude défensive est bien compréhensible, mais un tel degré de paranoïa et de suspicion pas plus que la perpétuation du jeu traditionnel néo-colonialiste dans les négociations internationales ne se justifient forcément. En effet, contrairement aux traités qui émanent de décisions prises par des actionnaires (comme au FMI ou à la Banque mondiale), lorsqu’il s’agit de traités fondés sur le principe “un pays, une voix”, les pays en développement ont la possibilité de prendre le dessus.

6Ainsi, dans un contexte tel que celui des Conventions des Nations Unies, où s’applique la règle démocratique, les pays en développement peuvent, s’ils s’expriment d’une voix commune, faire contrepoids aux riches mastodontes qui tonitruent sur la scène mondiale. Bien que la richesse et l’influence constituent d’indéniables atouts dans toute instance politique, c’est au sein des institutions qui mettent le moins en avant les inégalités de pouvoir fondées sur la richesse que les initiatives néo-colonialistes ont le plus de chances d’être déjouées.

Le poids des chiffres

7Le droit international empiète toujours sur la souveraineté ou l’autonomie, la met en jeu sur la table des négociations en échange des avantages supérieurs que procure la coopération multilatérale. La question est de savoir qui risque ainsi sa souveraineté et au profit de quel bien supérieur.

8Dans le monde de l’après-Deuxième Guerre mondiale, où, grosso modo, seuls les 25 membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les 191 Etats-nations existants peuvent être considérés comme “développés”, les chiffres encouragent nettement les nations en développement (une majorité de 85 %) à se coaliser. Même si l’on exclut les pays de l’ancien bloc de l’Est et la Chine, qui sont beaucoup plus industrialisés, la majorité – 75 % – demeuré écrasante.

9Etant donné que les problèmes d’environnement reflètent directement ou indirectement l’inégale répartition du pouvoir et de la richesse puisqu’ils résultent en grande partie de l’exploitation passée et présente de la nature, les pays en développement peuvent s’exprimer d’une seule voix non seulement au sujet de ces problèmes, mais aussi au sujet de l’environnement à l’échelle mondiale. Et si les nations développées progressistes ajoutaient leurs voix à celles des coalitions de pays en développement, la majorité économique pourrait devenir très imposante.

10La formation d’un tel “bloc planétaire” entre groupements d’Etats-nations menés par les pays en développement constituerait l’un des plus sûrs moyens sinon de redresser du moins de prendre en considération les inégalités de pouvoir qui sont en grande partie responsables de la détérioration de l’environnement dans le monde.

Le cas de la Convention de Bâle

11L’exemple de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination et la décision prise en mars 1994 d’interdire totalement les exportations de déchets dangereux des pays de l’OCDE vers les pays non membres de l’OCDE constitue la preuve la plus convaincante de l’efficacité du “bloc planétaire” et de sa capacité potentielle à sortir le droit international de l’environnement de l’inertie. Cette récente décision n’a pas beaucoup retenu l’attention du grand public 77 mais elle a provoqué maints froncements de sourcils dans les ministères des affaires étrangères, de l’environnement, de l’industrie et du commerce des pays du monde entier.

12Ainsi, une coalition menée par les 129 membres du Groupe des 77 a réussi à contraindre, à la faveur d’une décision prise par consensus, les gouvernements de l’Australie, de l’Autriche, des Etats-Unis, du Japon, du Canada, des douze Etats membres de l’Union européenne ainsi que la Commission de Bruxelles à adopter cette interdiction. Bien entendu, ceux-ci n’étaient pas du tout favorables à une mesure de protection de l’environnement aussi contraire aux intérêts de leurs industries et à leur attachement au principe du libre-échange (les déchets dangereux étant considérés comme un produit).

13C’est la première fois qu’une coalition réunit des nations d’Europe centrale et orientale ainsi que la Chine et le Groupe des 77. Cette coalition s’est associée aux pays nordiques et à la Suisse pour appuyer l’adoption d’une mesure énergique de protection de l’environnement contre les vœux de certains des gouvernements les plus puissants du monde et même contre leurs propres intérêts économiques à court terme. C’est aussi la première fois que les pays riches se voient imposer une si cuisante défaite par une majorité de pays pauvres refusant, qui plus est, de se laisser acheter.

14En effet, durant la semaine qu’a duré la réunion, ces derniers se sont vu offrir des “programmes d’aide” – à la gestion des déchets dangereux, prétendait-on – et, selon un délégué du Groupe des 77, ils ont été pressés sans relâche d’accepter un compromis : “nous défendions notre position l’un après l’autre tandis qu’ils essayaient de nous épuiser. Nous prenions de temps à autre une pause pour nous retrouver et discuter entre nous afin de nous conforter dans notre détermination. Nous retournions ensuite dans la salle pour poursuivre la lutte.”

15L’après-midi du troisième jour, le Groupe des 77 a été prié d’énoncer sa position définitive. Le président du Groupe, M. Nesiah, du Sri Lanka, a alors répondu : “nous ne négocierons pas l’interdiction elle-même. Seule la date d’entrée en vigueur est négociable.”

16Les opposants de l’OCDE ne s’attendaient pas à se trouver dans cette situation à un stade aussi avancé de la réunion. Ils n’avaient pas imaginé que les pays du Groupe des 77 ou ceux d’Europe centrale et orientale et la Chine puissent être solidaires. Pour une fois, ils avaient l’impression de faire partie d’une minorité impuissante et tel était bien le cas.

17Le libellé de l’interdiction a été adopté durant la matinée du dernier jour 78 de la réunion, par consensus, car personne ne voulait apparaître publiquement comme celui qui bloquait la volonté d’une écrasante majorité de nations. Il s’agit donc bien d’une interdiction totale ; elle doit entrer en vigueur immédiatement pour les exportations de déchets dangereux destinés à être définitivement évacués, et au début de l’année 1998 pour celles de déchets dangereux destinés à des installations dites de recyclage. M. Sarwona Kusumaatmadja, ministre de l’Environnement de l’Indonésie, a fait observer que le Groupe des 77 n’avait encore jamais manifesté une telle unité politique.

18La sagesse commande toutefois d’attendre la suite des événements. En effet, l’interdiction n’est pas encore effective et les pays battus se sont repliés pour panser leurs blessures et préparer une contre-offensive. Selon des documents confidentiels divulgués à Greenpeace, la stratégie envisagée pour les prochaines réunions de la Conférence des Parties consistera évidemment à ébranler la solidarité des pays du Groupe des 77 et à remettre en question la légalité de l’interdiction.

19De son côté, le gouvernement des Etats-Unis a tenté d’isoler l’un des pays qui ont mené la lutte. L’Australie, elle, a entamé une tournée chez sept de ses partenaires commerciaux d’Asie afin de passer des accords bilatéraux sur les déchets. La Commission de l’Union européenne s’efforce également, au nom des douze Etats membres, de proposer des ententes bilatérales à des pays non membres de l’OCDE. Maintenant que la réunion est terminée, les stratégies habituelles de pouvoir reprennent leur cours.

Bâle : étape décisive ou erreur de parcours ?

20Il sera intéressant de voir si le remarquable résultat de la deuxième réunion de la Conférence des Parties à la Convention de Bâle finira par devenir une véritable règle de droit international et si elle sera dûment observée. Il sera également intéressant de voir s’il déclenchera une orientation nouvelle ou constituera seulement une erreur de parcours.

21Ce résultat a pu être obtenu grâce à la conjonction de plusieurs facteurs : la nécessité de résoudre un problème moral, la construction d’une solidarité sans faille, la bonne organisation de la coalition qui s’est notamment traduite par une coopération régionale et des accords préalables, le refus absolu de tout compromis sur les principes fondamentaux, la pression exercée à l’extérieur par les organisations non gouvernementales (ONG) et la presse mondiale et, enfin, la menace d’un vote dont l’issue ne faisait aucun doute.

22Il est trop tôt pour dire si, fort de cette expérience, le Groupe des 77 fera 79 désormais cause commune sur toutes les questions d’environnement. Il est impossible de prédire si les gouvernements non membres de l’OCDE, qui sont loin de constituer une entité homogène, pourront un jour coopérer aussi étroitement que les pays de l’OCDE au point d’élaborer un programme commun.

23Pour le moment, le Groupe des 77 est divisé sur plusieurs fronts. Par exemple, l’Association des petits Etats insulaires (AOSIS) est soumise à de très fortes pressions de la part des autres pays du Groupe des 77, qui la poussent à retirer le protocole qu’elle souhaite adjoindre à la Convention sur les changements climatiques. Les pays africains n’ont pas toujours été d’accord avec les pays latino-américains et asiatiques en ce qui concerne la Convention sur la désertification, etc. Et dans le cadre du GATT, les pays nouvellement industrialisés (NIC) sont de moins en moins solidaires des pays les moins avancés (PMA). Jusqu’ici, la solidarité a été l’exception plutôt que la règle.

24Bien entendu, la solidarité – à supposer qu’elle soit possible – n’est pas systématiquement favorable à l’environnement. Les exigences du développement durable céderont-elles sous l’énorme poids de la dette ? La majorité cherchera-t-elle à faire valoir son “droit” de répéter les erreurs de l’OCDE, c’est-à-dire d’exploiter et de polluer jusqu’à ses dernières ressources ou bien proposera-t-elle un programme énergique de préservation de l’environnement ? Et si les pays en développement parviennent effectivement à imposer la loi de la majorité dans les instances internationales, la minorité riche continuera-t-elle à accepter des traités fondés sur le principe selon lequel chaque pays dispose d’une voix ? Ces questions sont complexes et demeurent sans réponse à ce jour.

25Toutefois, il est clair que la séparation entre les économies de marché les plus industrialisées du monde qui font partie de l’OCDE et les pays en développement existe aussi dans le domaine de la politique internationale de l’environnement. Bien que la Chine et les économies industrialisées en ruine de l’ex-URSS et de l’Europe centrale et orientale la traversent de temps à autre, la frontière entre pays industrialisés et peu industrialisés, riches et pauvres, aussi floue soit-elle, est bien réelle. Elle sépare des niveaux relatifs de consommation et d’industrialisation, selon que sont ou non comptabilisés les coûts réels d’une production de déchets et d’une pollution excessives, et une richesse relative accumulée grâce à un développement économique non durable.

26Cette frontière sépare en outre ceux qui devraient payer les impôts les 80 plus élevés afin de compenser le coût de la détérioration de l’environnement – dont ils ont tiré profit – et ceux qui devraient être subventionnés de façon à éviter que se reproduisent les erreurs de l’Ouest. C’est précisément parce que l’obsession du Nord pour une croissance économique non durable a appauvri la planète et la majorité de ses habitants que les questions d’environnement et de développement sont liées.

27Nous connaissons tous les statistiques. Les pays développés, qui comptent seulement 25 % de la population mondiale, consomment 80 à 90 % des ressources et de l’énergie mondiale. Ils produisent 98 % des déchets toxiques et 86 % des gaz à effet de serre et utilisent environ 70 % des substances qui appauvrissent la couche d’ozone.

28Pour reprendre la formulation employée par la Commission mondiale pour l’environnement et le développement dans Notre Avenir à Tous, lorsque que s’est ouvert le débat sur le développement durable : un monde dans lequel la pauvreté et l’injustice sont endémiques connaîtra toujours des crises écologiques et autres.

L’entente entre les pays en développement et le mouvement écologiste

29Les pays en développement et les écologistes sont souvent sur la même longueur d’ondes en ce qui concerne les instruments juridiques internationaux. Déjà avant la victoire remportée dans le cadre de la Convention de Bâle, les pays en développement avaient réussi à faire interdire, dans le contexte de la Convention de Londres, l’immersion de déchets radioactifs et industriels en mer. Par ailleurs, ils sont très favorables à l’adoption d’un protocole sur la prévention des risques biotechnologiques, destiné à garantir une utilisation sûre des organismes ayant subi des modifications génétiques.

30Naturellement, les traités qui se prêtent à une collaboration étroite entre pays en développement et écologistes ainsi qu’à la constitution d’une majorité de type “bloc planétaire” sont ceux qui portent soit sur des problèmes causés principalement par les pays industrialisés (la pollution industrielle par exemple) au préjudice des autres pays, soit sur des questions concernant uniquement des pays en développement (la désertification par exemple).

31En revanche, le terrain d’entente est beaucoup plus difficile à trouver lorsqu’il s’agit de traités qui portent sur l’exploitation de ressources naturelles qui sont essentielles pour l’économie des pays en développement (les produits de la forêt et l’ivoire par exemple).

32Cependant, dans pratiquement tous les cas, les intérêts des écologistes et des pays en développement se rejoignent sur un point crucial : la nécessité 81 d’une part de compenser par une assistance financière la détérioration de l’environnement, causée principalement par les Etats de l’OCDE, et d’autre part de reconnaître que ceux-ci ont davantage les moyens de couvrir le coût élevé de la réparation des dommages écologiques et de la conversion industrielle. Sur ce point, le rôle des ONG et des pays en développement consiste à convaincre les pays riches d’ouvrir leurs coffres.

33Pendant et depuis la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, ou Sommet de la Terre, tenue en juin 1992 à Rio de Janeiro, le Groupe des 77 a essayé d’obtenir le financement nécessaire à la réalisation du programme Action 21.

Une meilleure organisation et des instances régionales

34Pour que le “bloc planétaire” soit viable, il faudrait aussi que les groupements plus ou moins bien définis de pays en développement, tels le Groupe des 77 ou le Mouvement des non-alignés, se structurent mieux. Seules une meilleure organisation et la tenue régulière de réunions préparatoires telles que celles désormais organisées par le G7 et l’OCDE permettront d’obtenir le consensus sur des questions complexes. C’est en se préparant aux négociations que les pays ménageront la “zone de sécurité” politique à l’intérieur de laquelle les opinions majoritaires ou même minoritaires pourront remporter l’adhésion de tous.

35Etre mieux préparé et mieux organisé en vue des réunions internationales exige, entre autres, l’élaboration de positions régionales dans le contexte de traités et d’instances à caractère régional. Toutefois, les groupements régionaux, tels que le GRULAC composé de pays d’Amérique latine et des Caraïbes ou encore le Groupe africain, etc., qui se constituent durant les réunions internationales, sont trop liés aux circonstances du moment pour fournir le travail préalable nécessaire à l’élaboration de positions communes ou à l’édification d’une solidarité véritable. Dans le cas de la Convention de Bâle, de nombreux participants s’étaient déjà prononcés en faveur de l’interdiction à l’échelon régional, par exemple dans le cadre de la Convention de Lomé, de l’OUA, du Commonwealth, de l’Accord centraméricain, du Forum du Pacifique Sud de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, etc. Ce sont ces constructions d’alliances régionales qui ont permis d’ériger rapidement un édifice solide durant les réunions que le Groupe des 77 a tenues pendant la Conférence.

36D’ailleurs, le Groupe des 77 devrait sérieusement envisager de s’élargir et de s’organiser davantage sur une base régionale. Il pourrait par exemple s’as-82 socier au Mouvement des non-alignés, tendre la main à l’Europe centrale et orientale et se doter d’un secrétariat central qui demeure en relation avec les groupements régionaux. C’est seulement au prix d’un tel effort que pourra être exploité le potentiel de la majorité – pour le moment encore – invisible.

Voter ou ne pas voter ?

37Pour comprendre l’importance primordiale de la question du vote dans le contexte de l’interdiction des exportations de déchets dangereux, il est utile de connaître un peu la façon dont s’élabore le droit international. Les négociations de la Convention de Bâle ont été dès le départ marquées par le fait qu’une petite minorité de nations industrialisées étaient désireuses de conserver leur droit de régler leurs problèmes de déchets par l’exportation, tandis que la majorité des pays en développement, eux, étaient venus dans le ferme espoir d’obtenir une interdiction totale des exportations de déchets. Cependant, étant donné que l’élaboration du droit international obéit à la règle du consensus, ce sont les pays formant le plus petit dénominateur commun, à savoir les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la République fédérale d’Allemagne, le Japon, etc. qui eurent gain de cause. A l’origine, les négociateurs de la Convention ne purent donc interdire la moindre exportation de déchets, sauf vers l’Antarctique. Greenpeace et les pays en développement condamnèrent la Convention adoptée en mars 1989 à Bâle, en laquelle ils voyaient un instrument servant à légitimer et non à réduire le commerce des déchets, activité qui aurait au contraire dû être considérée comme criminelle.

38Par la suite toutefois, la règle du consensus a été remplacée par les dispositions de la Convention elle-même, qui prévoient différents types de majorité (en l’occurrence les deux tiers). Bien que la décision en question n’ait jamais été mise aux voix, elle a pu être adoptée grâce à la menace du vote et à la détermination à y recourir en cas de nécessité.

39Dans le contexte des traités internationaux, la question du vote est extrêmement délicate. On ne vote généralement qu’en dernier recours, lorsque le consensus est impossible. La réticence dont font preuve à cet égard pratiquement tous les gouvernements et tous les secrétariats de convention s’explique principalement par une idée largement répandue chez les diplomates, selon laquelle, dans un monde déjà en proie à tant de conflits, mieux vaut éviter de créer des inimitiés entre nations. De plus, tous les gouvernements, et ceux de nombreux pays en développement en particulier, craignent d’abandonner leur souveraineté à la majorité.

40Dans un monde où les nations riches et influentes constituent de plus en 83 plus souvent la minorité, la question de la participation revêt une certaine importance : par exemple, si un pays comme les Etats-Unis perd un vote au profit de la majorité, il peut très bien tout laisser tomber, refuser d’être partie à l’accord ou de s’y conformer, ou même renoncer à financer son secrétariat ou les activités qui en découlent. Risquer l’absence de pays qui jouent un rôle déterminant dans les affaires internationales serait courir à l’échec. Et, de fait, tel est le cas pour l’interdiction de l’exportation des déchets dangereux, puisque les Etats-Unis, c’est-à-dire le pays qui produit la plus grande quantité de déchets dangereux au monde, se montrent réticents à ratifier la Convention de Bâle dès lors que leur délégation n’a pas réussi à empêcher l’adoption de cette interdiction.

41Le recours à la menace explicite du vote lui-même dépend dans une large mesure de la gravité du problème en question et aussi de la stabilité de la politique internationale. Ainsi, pour réussir, le “bloc planétaire” devra surmonter la crainte du vote. Compte tenu de la lenteur de réaction de la communauté internationale face à des problèmes d’environnement mondiaux dont la gravité n’est plus à démontrer, il faut espérer que le vote devienne une pratique courante.

42Mais pour que cet espoir se réalise, l’adhésion aux traités internationaux et leur mise en application sont aussi nécessaires. On entend souvent dire que si les puissances mondiales continuent d’être mises en échec dans les instances internationales, elles cesseront tout simplement d’adhérer à de nouveaux accords et en particulier à ceux qui n’offrent aucune porte de sortie ni la possibilité d’exprimer des réserves. Ces puissances pourraient aussi refuser de financer toute activité nouvelle dans le cadre des accords existants, voire remettre en question la légalité de ces accords. De fait, les Etats-Unis et même l’Europe semblent succomber à la tentation de l’unilatéral, sauf peut-être pour le moment, en ce qui concerne les accords commerciaux tels que le GATT et l’Union européenne.

43Toutefois, l’expérience prouve que, malgré les nombreuses possibilités de rester à l’écart des accords internationaux ou simplement de passer outre, la pression qu’exercent des nations amies ou les forces démocratiques internes en faveur de l’adhésion demeure convaincante.

Conclusion

44Le fait que cette deuxième réunion de la Conférence des Parties à la Convention de Bâle ait été dominée par des pays non membres de l’OCDE alliés à des ONG de défense de l’environnement et à des gouvernements progressistes de l’OCDE constitue un progrès sans précédent. Ainsi, on pourrait envisager un scénario dans lequel ceux qui auraient dû être les “colonisés de l’environnement” dictent au monde entier le comportement à adopter pour parvenir à une gestion durable des ressources naturelles et de la diversité biologique de la Terre.

45Chaque fois que s’applique le principe “un pays, une voix”, les pays en développement ont la majorité et peuvent donc prendre l’initiative. Avec les pays développés progressistes, ils peuvent créer un formidable “bloc planétaire” capable d’imposer les règles du droit international de l’environnement qui sont absolument nécessaires, notamment en ce qui concerne l’octroi d’une aide financière aux pays en développement pour leur permettre d’éviter les erreurs du Nord, en recourant à des techniques traditionnelles ou adaptées.

46Il est indéniable que les pays en développement ont désormais tout intérêt à se montrer solidaires les uns des autres dans la négociation des traités internationaux relatifs à l’environnement. Quant à savoir si cette solidarité s’exercera souvent et si elle prendra la forme d’une exigence d’équité dans l’exploitation ou la protection du patrimoine naturel, l’avenir nous le dira.

47Si cette solidarité se concrétise, il demeure probable que des structures informelles de pouvoir fassent échouer tout “bloc planétaire”. L’endettement des pays en développement est certainement un gros désavantage. Tout dépend donc de leur volonté de renforcer leur solidarité et de mieux s’organiser. Si les nations en développement ne parviennent pas à une meilleure organisation et si elles n’adoptent pas une ligne de conduite cohérente, la solidarité risque de s’émousser et des décisions capitales telles que l’interdiction de l’exportation des déchets dangereux seront mises en péril.

48Toutefois, les gouvernements étant de plus en plus tenus responsables de la détérioration croissante de l’environnement, soit sur leur territoire, en raison des revendications démocratiques d’une population déracinée et exaspérée, soit en raison de pressions émanant d’autres nations, on peut s’attendre à ce que les limites de l’exploitation soient de plus en plus évidentes. On considérera bientôt qu’il est beaucoup plus sage de capitaliser le patrimoine naturel que d’anéantir ce qu’il en reste.

49Alors, comme cela a été démontré lors de la Convention de Bâle, le monde en développement pourrait disposer d’un formidable instrument.

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