La cohérence des politiques
– Un premier bilan de la mise en œuvre des lignes directrices Nord-Sud de la Suisse
p. 141-154
Note de l’auteur
L’auteur remercie Mmes Patricia Mendonça Semedo et Claude Passer-Favre pour leur collaboration.
Texte intégral
Introduction
1Il y a maints exemples d’incohérence entre les efforts de la coopération au développement et les autres politiques d’un même pays donateur. Je n’en citerai que trois :
En Afrique de l’Ouest, la coopération vise à promouvoir une agriculture plus productive, plus orientée vers les marchés locaux et régionaux. Simultanément des exportations agricoles subventionnées, principalement européennes, causent l’effondrement des prix de la viande bovine sur les mêmes marchés.
Une série de pays en voie de développement ont des dépenses militaires excessives qui déstabilisent la sécurité régionale et empêchent que des investissements urgents aient lieu dans le secteur social. Les agences de développement cherchent à réduire ces dépenses par le dialogue, la conditionnalité et les mesures positives (p. ex. démobilisation). En même temps, des entreprises d’armement de certains pays industrialisés, souvent soutenues par des subsides étatiques, vendent cher des systèmes d’armes à ces mêmes pays, visés par les mesures de coopération au développement.
La promotion de systèmes de production durable dans les pays en voie de développement est placée aujourd’hui parmi les objectifs principaux de la coopération au développement. Pourtant, le sérieux de ces efforts est mis en question par l’absence de progrès dans le processus d’adaptation des politiques énergétiques des pays industrialisés à un mode plus durable. Ceci pourrait, à terme, par le changement climatique, mettre fin à tout développement dans des régions entières.
2S’il en était encore besoin, ces exemples démontrent l’importance pour le développement de s’occuper de la cohérence des politiques. Cet article a pour but :
d’éclaircir d’abord le concept de la cohérence,
de décrire la genèse des Lignes directrices Nord-Sud (LDNS)1 du Conseil fédéral suisse, instrument conçu en vue de l’amélioration de la cohérence des politiques suisses à l’égard des pays en voie de développement,
de démontrer les méthodes et les obstacles à la mise en œuvre des LDNS, vus sous l’angle de la Direction du développement et de la coopération (DDC),
de présenter une liste de thèmes d’actualité pour une cohérence politique suisse de développement,
de tirer un premier bilan de l’application des LDNS.
Le concept de la cohérence
3Le terme “cohérence” est devenu un mot à la mode utilisé pour toutes sortes d’objectifs2. Cela est légitime tant que l’on prend le mot dans son sens général (“liaison d’un ensemble d’idées, de faits, formant un tout logique”)3. Pourtant, dès que l’on s’y réfère dans le contexte du développement, le concept devient plus clair, mieux défini. Le concept a été élaboré au sein de l’OCDE entre la fin des années quatre-vingts et le début des années nonante. Le “Rapport 1992” du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE le résume ainsi :
“Compte tenu des répercussions importantes qu’elles peuvent avoir, les politiques macro-économique, commerciale, financière et autres des pays de l’OCDE doivent néanmoins être également considérées comme faisant partie de toute stratégie intégrée de soutien des pays en développement - ce qui va dans le sens des intérêts des pays de l’OCDE tout en favorisant le développement. Assurer la cohérence globale des politiques suivies par les pays de l’OCDE dans ces divers domaines, tel doit être un des objectifs fondamentaux du cadre économique et politique général dans lequel s’inscrira la gestion des défis mondiaux au cours des décennies à venir. A l’intérieur de ce cadre général, il conviendra ensuite de définir des stratégies cohérentes pour répondre à tel ou tel problème particulier”4.
4Quels éléments constitutifs peut-on ressortir de cette analyse ?
La notion d’interdépendance entre le Nord et le Sud face aux défis mondiaux d’aujourd’hui est à la base de la réflexion.
Dans la même logique, on relève la notion de l’intérêt propre, au moins dans une perspective à long terme, des pays industrialisés.
Le besoin évident d’intégrer les politiques commerciale, financière, environnementale dans une stratégie de soutien aux pays en voie de développement, en d’autres termes, la nécessité de les intégrer dans une politique de développement cohérente.
5Dans une étude récente consacrée au concept de la cohérence, Hans-Balz Peter, directeur de l’Institut d’éthique sociale à Berne, fait valoir trois points très pertinents qui complètent la définition de l’OCDE5 :
6Premièrement, l’approbation théorique du concept de la cohérence par un gouvernement n’implique pas automatiquement sa mise en application dans la pratique quotidienne de la politique étrangère et interne. Tout au contraire, la réalisation de cet objectif exige un effort constant des offices et départements responsables et des parlementaires intéressés. Il est bien évident que ce principe vaut aussi pour les Lignes directrices Nord-Sud.
7Deuxièmement, la cohérence n’est pas en premier lieu une maxime substantielle mais plutôt une méthode de travail ou un critère procédural qui nous oblige à prendre en compte les intérêts à long terme dans chaque décision. A titre d’exemple, on peut citer le conflit d’intérêts qui se pose entre la politique de la promotion des exportations suisses vers la Chine et notre politique des droits de l’homme à l’égard de ce pays. Le concept de la cohérence ne nous dit pas comment résoudre ce problème, mais il nous force à trouver une approche qui ne relègue pas les droits de l’homme au deuxième rang.
8Ceci nous amène au troisième point : la concrétisation du concept de la cohérence exige l’admission des conflits d’intérêts. Si l’on n’admet pas les contradictions entre les objectifs de différentes politiques, jamais on n’arrivera à formuler une politique globale cohérente. Étant conscient que la politique officielle - suisse et autre - a de la peine à admettre des conflits d’intérêts, on peut considérer que la déclaration du Conseil fédéral dans les Lignes directrices est courageuse et innovatrice :
“Ce qu’il faut, c’est une politique cohérente envers le Sud. Formuler une telle politique revient à montrer les contradictions éventuelles entre des intérêts nationaux à court terme et les buts de la politique suisse de développement, puis à les intégrer, de façon aussi transparente que possible, dans le processus de décisions politiques.”
La genèse des lignes directrices Nord-Sud
9Les travaux pour la rédaction des Lignes directrices Nord-Sud (LDNS)6 trouvent leur origine dans un postulat de la Commission des affaires étrangères du Conseil des États datant de 1990. Lors de la discussion du message sur le crédit-cadre pour la continuation de la coopération technique et de l’aide financière, la commission s’est aperçue qu’un soutien consistant aux pays les plus pauvres posait un bon nombre de problèmes qui ne se laissaient pas régler dans le cadre d’un message portant sur la coopération. La commission avait soulevé en particulier des questions touchant à la “cohérence” :
“Dans le cadre d’une analyse supra-départementale et d’une discussion de principe, le Conseil fédéral est prié d’élaborer un plan directeur du rôle futur de la Suisse dans les relations Nord-Sud, dans le but d’une politique du développement globale et cohérente. Il s’agit en particulier de mieux orienter les mécanismes de la politique économique et commerciale vers les objectifs de la politique du développement et de mieux les adapter aux efforts du DFAE dans les domaines de la coopération technique, de l’aide financière et de l’aide humanitaire ; il y a lieu également d’améliorer le contrôle permanent et l’évaluation des résultats obtenus, ainsi que de renforcer la coordination à l’échelon international.”
10Le Conseil fédéral a proposé d’accepter le postulat et a donné mandat à l’administration d’élaborer un projet. Le contexte national et international était favorable à un tel exercice pour plusieurs raisons :
Comme cité plus haut, un vif débat avait lieu – c’était juste après la fin de la guerre froide – sur la cohérence dans les enceintes internationales, en l’occurrence au CAD de l’OCDE.
Le processus préparatoire et l’écho immédiat de la Conférence des Nations Unies pour l’environnement et le développement (CNUED) à Rio en 1992 entraînaient une conscience accrue de la classe politique suisse pour les questions d’interdépendance globale.
La situation internationale qui s’est développée suite à la chute du mur de Berlin a été à l’origine d’une phase conceptuelle de la politique étrangère suisse. Les travaux lancés en 1991 se sont achevés le 29 novembre 1993 par l’adoption d’un rapport sur la conception de la politique extérieure suisse par le Conseil fédéral7.
11Un groupe de travail composé de collaborateurs de la Direction du développement et de la coopération (DDC) et de l’Office fédéral des affaires économiques extérieures (OFAEE) s’est mis au travail dans ce cadre-là. Les travaux ont été ralentis par des consultations intenses entre les principaux offices concernés par la politique de développement et par le fait qu’une base importante de références - le rapport sur la politique étrangère - n’était pas encore officialisée. Enfin, en août 1993, une première version a été soumise au chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), M. Flavio Cotti. Par rapport au projet approuvé ultérieurement, ce document comportait une partie analytique plus étoffée, une description plus fouillée des interdépendances entre le Nord et le Sud et plus de propositions de mesures concrètes pour sa mise en application. Le Conseiller fédéral Cotti l’a jugé trop long pour un papier politique et a demandé une version abrégée de vingt pages. Le même groupe a ensuite retravaillé et renégocié le document. L’idée de présenter au Conseil fédéral les Lignes directrices en tant qu’annexe au rapport sur la politique étrangère a été abandonnée. En ce qui concerne les questions de la cohérence, les points controversés au sein de l’administration fédérale n’ont en revanche pas changé : ils se situaient pour la plupart entre les objectifs de la sauvegarde de la paix et de la sécurité, de la promotion des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit d’une part et les intérêts de la politique économique extérieure d’autre part. Pour chaque point controversé, certains offices étaient attachés à des définitions et des mesures plus contraignantes alors que d’autres préféraient des formules plus flexibles. Cependant, il n’y a pas eu de tentative de passer sous silence les aspects “chauds”. Après une nouvelle procédure de consultation interne interoffices, une version consensuelle a été enfin présentée au Conseil fédéral, qui l’a adoptée le 7 mars 1994.
12De manière générale, le Parlement a très bien reçu les Lignes directrices, mais il n’a malheureusement pas approfondi le débat, parce que le montant du crédit-cadre affecté à la coopération technique et à l’aide financière, dont le message a été présenté au même moment, a mobilisé toute l’attention des députés. La question de savoir si le concept de la cohérence a vraiment été saisi reste ouverte. Les critiques suivantes ont été émises dans les commissions et aux Chambres fédérales : l’objectif de l’adhésion de la Suisse à l’ONU et celui de l’affectation à l’aide publique au développement (APD) de 0,40 % du PNB ont été qualifiés d’‘irréalistes” ; on a également regretté le manque de clarté et de précision du texte ainsi que le manque de projets concrets pour la mise en œuvre des LDNS. La presse s’est faite le reflet des mêmes échos : le nouvel accent mis sur la politique suisse de développement a été apprécié avec certaines réserves portant sur les déclarations à caractère peu contraignant (on a parlé dans la presse de “bonnes intentions vaguement formulées”)8.
La mise en application des lignes directrices Nord-Sud
13Avec les LDNS, la Confédération dispose aujourd’hui d’une base conceptuelle moderne à sa politique de développement. Une courte partie analytique sur la globalisation des phénomènes politiques, environnementaux et économiques, sur l’hétérogénéité croissante du “Tiers-Monde” et sur l’émergence d’une nouvelle dépendance entre le Nord et le Sud démontre la nécessité d’une politique suisse cohérente à l’égard du Sud. Elle est suivie par les Lignes directrices proprement dites. Elles sont structurées selon les quatre objectifs stratégiques (cf. tableau 1) qui reprennent les objectifs du rapport sur la politique étrangère.
TABLEAU I. LE8 QUATRE OBJECTIFS STRATÉGIQUES DES LIGNES DIRECTRICES
• Sauvegarder et maintenir la paix et la sécurité, promouvoir les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit.
• Promouvoir la prospérité.
• Améliorer la justice sociale.
• Protéger l’environnement naturel.
14Chaque objectif stratégique est ensuite précisé par un certain nombre de domaines d’action. Le tableau 2 illustre cette approche pour l’objectif “sauvegarder et maintenir la paix et la sécurité, promouvoir les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit. »
TABLEAU 2. SAUVEGARDER ET MAINTENIR LA PAIX ET LA SÉCURITÉ, PROMOUVOIR LES DROITS DE L’HOMME, LA DÉMOCRATIE ET L’ÉTAT DE DROIT
• Promouvoir la bonne gestion des affaires publiques.
• Promouvoir les droits de l’homme, l’État de droit et le processus de démocratisation par des mesures positives.
• Montrer les conflits d’objectifs.
• Aménager l’assistance judiciaire internationale.
• Réduire les dépenses militaires exagérées des pays en développement.
• Sauvegarder et maintenir la paix.
15Comment mettre en œuvre tous ces beaux principes ? En termes généraux, on peut différencier l’approche pragmatique, qui est en cours depuis l’adoption des LDNS en mars 1994, d’une approche plus systématique, plus conceptuelle qui nous a amenés à la formulation d’un plan d’action. Commençons par l’usage qui en est fait tous les jours : les LDNS, une fois approuvées par le Conseil fédéral, ont servi de base conceptuelle à la coopération opérationnelle suisse. Elles ont donc influencé la programmation par pays, les programmes sectoriels et annuels de la DDC et de l’OFAEE. Par rapport à la politique de développement au sens large, les LDNS nous ont donné à la fois le mandat et la légitimité pour intervenir dans des domaines hors de la coopération au développement stricto sensu et pour faire valoir la perspective du Sud et ses intérêts à long terme dans les procédures de consultation des affaires du Conseil fédéral, des Chambres ou de l’administration fédérale. Citons trois exemples concrets et actuels :
Une interpellation parlementaire a posé au Conseil fédéral quatre questions sur la future politique sucrière suisse. Le Département fédéral de l’économie publique (DFEP), en l’occurrence l’Office fédéral de l’agriculture, a été chargé d’élaborer la réponse. Dans la phase de consultation entre offices, la DDC est intervenue pour obtenir une clause visant à l’amélioration de l’accès au marché sucrier suisse pour les pays en voie de développement dans le cadre de la révision du système généralisé des préférences (SGP). Notre intervention a été fondée sur le domaine d’action 223 des LDNS (« faciliter l’accès aux marchés du Nord pour les produits des pays en développement »).
A la suite d’une motion et dans le cadre plus large de l’examen des recommandations de l’OCDE pour la lutte contre les paiements illicites, la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national s’est occupée de la déductibilité fiscale des pots-de-vin. Sur la base des LDNS, la DDC est intervenue auprès de la Commission en invoquant le fait qu’un pays industrialisé ne pouvait pas s’engager de manière crédible en faveur de la bonne gestion des affaires publiques dans les pays en voie de développement s’il continuait à privilégier la corruption par des mesures fiscales chez lui.
Il est incontestable que les plus de 100 millions de mines antipersonnel qui ont été posées dans le monde lors de conflits et qui entraînent, chaque jour, la mort d’innombrables êtres humains ou des blessures irréversibles, sont une entrave grave au développement. En vue d’une position suisse plus cohérente et plus effective dans les négociations internationales à ce sujet, différents services du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), dont la DDC, et des organisations internationales comme le CICR ont pu persuader le Département militaire fédéral (DMF) de renoncer à l’utilisation des mines antipersonnel par l’Armée suisse, ce qui a rendu possible une modification de la position suisse en faveur d’une interdiction internationale complète et immédiate des mines anti-personnel.
16Sur un plan plus systématique, la DDC a élaboré au cours de l’année 1995 un plan d’action comme instrument de planification stratégique. Dans les secteurs dont la responsabilité relève du ressort d’autres offices à l’intérieur ou à l’extérieur du DFAE, le plan propose des approches possibles, que la DDC soutiendra avec l’accord de ses partenaires de l’administration fédérale. Le plan d’action identifie 47 lignes d’actions et propose environ 150 mesures pour leur mise en œuvre. Le tableau 3 donne un exemple de la structure et de la méthodologie du document.
TABLEAU 3. PROMOUVOIR LA PROSPÉRITÉ
“Améliorer les conditions cadres pour un développement durable des pays en développement” (221)
13. Augmenter l’aide publique suisse au développement à 0,40 % du PNB
Il faut travailler en permanence à la réalisation de cet objectif fixé par le Conseil fédéral, même si, compte tenu de l’état actuel des finances fédérales, on ne peut espérer de grands progrès ces prochaines années.
Mission de première priorité de la politique de développement. Partenaires de l’administration : Secrétariat général/Département fédéral des affaires étrangères, Office fédéral des affaires économiques extérieures/Département fédéral de l’économie publique, Administration fédérale des finances/Département fédéral des finances.
Mesures
13.1 Ancrer l’objectif des 0,40 % du PNB dans les directives gouvernementales pour la période de législature 1996-1999.
Section Politique et recherche, Direction
12/9
13.2 Actualiser l’argumentaire sur l’aide publique au développement.
Section Politique et recherche, Service d’information
10/96
13.3 Contacts parlementaires : à systématiser après les élections. Élaborer un plan d’action.
Direction
14. Soutien critique aux programmes d’adaptations structurelles
De nombreux pays en développement ne bénéficient toujours pas de conditions économiques permettant une relance, bien qu’ils se soient soumis à des programmes d’adaptations structurelles. La Suisse devrait donc proposer sa propre conception des conditions macro-économiques du développement. Cette dernière concernerait tant les programmes d’adaptations structurelles que les mesures d’accompagnement. Un examen indépendant de la situation et des stratégies appliquées dans quelques pays de concentration pourrait servir de base. Préoccupation de première priorité de la DDC tant au niveau de la politique de développement qu’au plan opérationnel.
Partenaires de l’administration : Office fédéral des affaires économiques extérieures/Département fédéral de l’économie publique, Administration fédérale des finances/Département fédéral des finances.
Mesures
14.1 Participation aux études d’efficacité SAP (Programme spécial pour l’Afrique) de la Banque Mondiale (financée éventuellement par les fonds d’étude de la DDC) dans une sélection de pays de concentration. Développer nos propres capacités pour évaluer les études d’efficacité de la Banque mondiale ou d’autres organisations (y compris des organisations locales).
Service d’évaluation, Section “questions économiques”, Section Bretton Woods, en collaboration avec l’Office fédéral des affaires économiques extérieures
6/97
14.2 Reformuler la politique SAP Suisse
Section “questions économiques”, Section Bretton Woods, en collaboration avec l’Office fédéral des affaires économiques extérieures
6/96
17Sous l’objectif stratégique “Promouvoir la prospérité”, on trouve le domaine d’action 221 “Améliorer les conditions cadres pour un développement durable des pays en développement”, et ensuite les premières lignes d’action de ce but : “13. Augmenter l’APD suisse à 0,40 % du PNB” et “14. Soutien critique aux programmes d’ajustement structurel” et, en dessous, une liste de mesures.
18On trouve des mesures s’adressant à la coopération bilatérale opérationnelle, d’autres qui exigent des travaux conceptuels ou encore qui portent essentiellement sur la cohérence des politiques. Il est évident que la mise en œuvre des LDNS, à savoir la réalisation d’une politique de développement suisse cohérente, implique surtout une collaboration interdisciplinaire. Puisqu’une administration est normalement une structure assez rigide, centrée sur les compétences propres de chaque office, elle est très réticente à l’égard du travail interdisciplinaire. Souvent, l’attitude qui cherche à défendre son champs d’action propre défini par les lois et ordonnances contre toute “ingérence” de l’extérieur, l’emporte. C’est pour cette raison que le plan d’action vise à améliorer la collaboration entre les divisions opérationnelles et la division politique de la DDC, entre la DDC et l’OFAEE et entre la DDC et les divisions de la Direction politique du DFAE, en créant un certain nombre de groupes de travail mixtes auxquels sont invités à participer tous les services concernés qui s’occupent des mesures regroupées sous les thèmes suivants :
droits de l’homme, État de droit et coopération au développement,
coordination des donateurs,
pauvreté/empowerment,
ajustement structurel
“continuum” (aide humanitaire, coopération, mesures de paix),
environnement,
participation,
décentralisation/augmentation de l’efficacité de l’État,
promotion du secteur privé,
prévention des conflits, médiation.
19Le caractère distinctif de tous ces thèmes est leur propriété transversale, impliquant plusieurs acteurs, échelons et offices de l’administration fédérale.
Quelques affaires actuelles concernant la cohérence des politiques suisses
20Revenons à la cohérence des politiques au sens propre, à savoir aux conflits d’intérêts entre des politiques internes, des politiques économiques extérieures et une politique de développement reposant à la fois sur la sauvegarde à long terme des intérêts suisses et la solidarité globale. Le tableau 4 donne une liste non exhaustive d’affaires actuelles soulevant des questions de cohérence.
21En énumérant tous ces postulats de cohérence, il ne faut en tout cas pas perdre de vue l’impact de toute démarche unilatérale. Tout progrès en matière de cohérence est souhaitable et doit être encouragé, mais l’effet sur le développement d’une mesure unilatérale d’un pays comme la Suisse sera toujours marginal si aucun effort multilatéral n’est fait en parallèle. En plus, pour des raisons de compétitivité, la marge de manœuvre unilatérale dans beaucoup de domaines importants pour la cohérence est, pour tous les pays industrialisés, très étroite. C’est dans cette perspective que les LDNS demandent d’aménager sur le plan multilatéral les politiques économique, commerciale et extérieure et des politiques de développement cohérentes. Si, à titre d’exemple, la Suisse se donne une législation en matière de matériel de guerre très sensible aux questions de sécurité régionale et de dépenses militaires excessives, la crédibilité de notre politique de développement en profitera ; mais sans progrès multilatéral dans ce domaine, elle seule n’empêchera pas l’éclatement de conflits dans le Sud. La même réflexion vaut pour le climat global : une politique énergétique suisse plus durable est aussi urgente pour la crédibilité de nos actions au Sud, mais elle seule n’arrivera pas à réduire substantiellement l’effet de serre.
Bilan
22Deux ans après leur adoption, on ne peut que tirer un bilan très provisoire de ce qui a été atteint par les LDNS. Je pense que les LDNS se sont avérées être un instrument utile pour développer une cohérence accrue des politiques. Pourtant, en confirmant la thèse de H.-B. Peter, citée au deuxième chapitre, l’existence même d’un tel document ne change encore que très peu l’évolution de la situation. Ce n’est que par l’engagement quotidien des offices intéressés de l’administration et des acteurs extérieurs qu’une mise en application conséquente peut être assurée. Je me permets d’évoquer là quelques constats critiques :
Les acteurs de la politique de développement en Suisse (parlementaires intéressés, ONG, églises, etc.) ne connaissent encore guère les LDNS, leur concept et leurs idées principales. En conséquence, ils les utilisent peu dans le débat politique.
La mise en œuvre des LDNS dans la coopération bilatérale est nécessairement un long processus, parce que les programmes et projets de la coopération ne supportent pas de changements brusques. Il faut encore réfléchir à la façon de transmettre des principes conceptuels et politiques de manière plus conséquente dans la programmation opérationnelle.
Pour les représentants suisses dans les institutions et dans les négociations multilatérales, les LDNS ne sont pas encore devenues une base de référence.
L’esprit de collaboration au sein de l’administration n’a pas encore suffisamment évolué. La défense des compétences propres prime toujours sur la recherche des synergies et de la cohérence.
23Je suis persuadé que le processus lancé par le plan d’action entraînera des progrès sur plusieurs plans (collaboration entre différents acteurs tels que les offices fédéraux, coordination des actions bilatérales et multilatérales, conceptuelles et opérationnelles). L’introduction imminente d’un “controlling” central à la DDC va certainement aussi renforcer le poids des bases conceptuelles. Pourtant, il est indispensable que les milieux politiques intéressés, les ONG et les citoyens découvrent cet outil pour mobiliser l’opinion publique et pour exercer une pression politique en vue d’une meilleure cohérence de la politique de développement suisse.
Notes de bas de page
1 Rapport du Conseil fédéral sur les relations Nord-Sud de la Suisse dans les années 90 (“Lignes directrices Nord-Sud”) du 7 mars 1994, Office central fédéral des imprimés et du matériel (OCFIM), 94.003, Berne.
2 P. Maurer, “Réflexions sur le thème de la cohérence”, Annuaire Suisse-Tiers Monde 1995, IUED, Genève, 1995, p. 164-173.
3 Petit Larousse.
4 Coopération pour le développement, rapport 1992, OCDE, Paris, 1992, p. 36.
5 P. Hans-Balz : “Kohasrenz” als Kriterium fur eine etisch reflektierte Aussenpolitik, ISE-Texte 10/95, Berne, 1995.
6 LDNS, p. 5.
7 Rapport sur la politique extérieure de la Suisse dans les années 90 du 29 novembre 1993, Office central fédéral des imprimés et du matériel (OCFIM), 93.098.
8 Der Bund, 03.01. 1994.
Auteur
Philosophe, chef suppléant section Politique et Recherche, Direction du développement et de la coopération (DDC), Berne, Suisse
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