Pièges et illusions du partenariat
p. 37-47
Texte intégral
Vous avez dit : partenaire ?
1Dans le dossier fécond intitulé “Nord/Sud : de l’aide au contrat”, les auteurs illustrent le caractère ambigu du concept de projet, à mi-chemin, disent-ils, “de l’action éducative et sociale et de l’entreprise, de l’institution définitive et de l’opération temporaire, de la projection sur l’avenir et de la réalité concrète”1.
2Un concept attrape tout ? Ou un concept cache-misère ?
3Un mot “Partenaires”. Le mot “partenaires” est souvent utilisé par les ONG du Nord pour caractériser le type de relations qu’elles entretiennent, ou souhaitent entretenir avec les ONG du Sud. Il voudrait exprimer que la relation unit deux acteurs libres, égaux et durablement engagés à coopérer entre eux. Mais le mot est plus noble que la relation effectivement vécue, celle d’une coopération toujours à renégocier afin de maintenir le flux asymétrique du transfert financier, parfois accompagné de coopérants ou de volontaires, du Nord vers le Sud. Que veut-il attraper ? Que désire-t-il cacher ?
Un partenariat qui ne doit pas coûter plus cher que le projet
4Nous avons observé au Sénégal, en 1995, une association fondée en 1990 par une personne réputée en matière d’appui aux organisations féminines débutantes. Après quatre ans d’existence, elle vient d’acquérir assez de trésorerie pour louer un bureau de deux pièces. Dans ces deux pièces, il n’y a pas de machine à écrire et encore moins de secrétaire. Cependant, des actions nombreuses sont menées par plus de 400 femmes dans une quinzaine de villages. L’ONG a déjà négocié avec quatre sources d’aide différentes quatre projets, dont le dernier couvre les trois prochaines années, mais dont les premiers n’étaient établis que pour un an. Avec ces “partenaires à l’essai”, pourrait-on dire, elle n’a obtenu ni financement des dépenses de fonctionnement, ni son financement personnel. Tout se passe comme si les quatre ONG étrangères, pourtant déjà bien expérimentées, connaissant le pays et appréciant cette personne, supposaient que quelqu’un d’autre qu’elles assurent le fonctionnement de l’ONG débutante.
5Chacun des donateurs s’intéresse à un volet d’activités spécifique : l’un ne paie que l’alphabétisation, l’autre ne s’intéresse qu’à l’activité d’appui aux productions agricoles. Enfin, aucun d’entre eux n’a, jusqu’à présent, établi un calendrier d’envoi des apports financiers. Chacun d’eux vire l’argent à sa guise, quand il juge que sa trésorerie le lui permet. Celui qui finance, au Nord, porte attention souvent aux seules réalisations matérielles, sans s’occuper du fait que celui qu’il appelle son partenaire a, lui aussi, des charges de fonctionnement. En quelque sorte, il paye les puits mais ni la chaise pour le bureau du partenaire ni le travail d’appui institutionnel aux bénéficiaires pour aller au-delà de la construction du puits. Celui qui donne aime les choses visibles, vérifiables, évaluables.
6Qu’appelle-t-on fonctionnement ? Du papier, une armoire, des chaises, des salaires, un véhicule, du carburant...” Quand nous leur demandons de nous aider à nous organiser entre paysans”, dit Joseph Séné, qui fut le président de l’Association Régionale des Agriculteurs de Fatick (Sénégal), “les ONG répondent qu’elles ne veulent pas entendre parler de fonctionnement. Il y a même des mots tabous comme “voiture” ou “voyage” qui peuvent mettre en cause toute une relation. Ils disent que cela ne fait pas partie de leurs principes. Enfin vient un grand projet qui dit vouloir faire “l’appui institutionnel à l’ARAF”. On a soumis nos demandes : des équipements, des sièges d’Unions, des constructions de salles de réunion, etc. Ils ont dit : “Non, pas dans ce domaine”. Nous, on se pose la question : “Qu’est-ce que c’est que l’appui institutionnel ?” parce que, pour 38 nous, appui institutionnel voulait dire renforcer la capacité des organisations paysannes, pour que l’on n’ait plus à tendre la main à l’extérieur à l’avenir”2.
Un partenariat déterminé par les exigences financières des ONG du nord
7Les apports d’aide extérieure sont découpés par opérations particulières et ne forment en aucune façon un flux d’aide continu. De l’argent arrive, est affecté à telle opération et point à telle autre, et puis plus rien ne vient pendant des mois. Comment vivre dans ces conditions ? L’ensemble du budget d’une organisation forme un tout et plusieurs postes doivent être financés en même temps pour que ce tout fonctionne. Une même organisation du Sud peut paraître riche pendant quelques mois et être absolument sans ressources externes les mois suivants, si elle dépend d’un trop petit nombre de partenaires du Nord.
8Un responsable d’ONG du Togo exprime ceci : “Je dis aux ONG du Nord : je voudrais qu’au mois de janvier de chaque année 50 % des fonds prévus par le contrat arrivent (pour être sûr de mener nos activités en suivant le programme qui a été tracé). Puis qu’à la fin du premier semestre, après contrôle des dépenses, 45 % et, après le contrôle de l’audit, 5 % soient versés”. Ils me répondent : “Non, on ne peut pas. Nous n’avons pas assez avec notre propre fonds, nous devons attendre les virements de notre bailleur” ?3
9Quelques fois, il se passe 6, 12, 18 mois ou plus, entre le moment où les deux parties commencent à entrer en discussion et celui où le contrat est signé. Mais plus gênant encore est le rythme imprévisible d’arrivée des financements eux-mêmes. Les ONG du Nord assurent, en priorité, leur propre fonctionnement et en constituant des provisions, essaient de garder en permanence une trésorerie suffisante. La préoccupation d’envoyer à temps une trésorerie, même minima, à leurs partenaires du Sud n’est pas essentielle. Beaucoup d’entre elles dépendent, pour constituer leurs ressources (parfois à plus de 90 %), du rythme de décaissement des programmes dont elles ont obtenu le cofinancement auprès des agences d’aide publiques ou de grandes agences privées. La programmation de ces différents budgets (entrées et sorties) est évidemment un casse-tête quand le volume de ressources propres de l’ONG du Nord est trop faible. Ceux qui en pâtissent sont les dirigeants et le personnel des ONG du Sud. Cette dépendance en matière de trésorerie entraîne des retards de paiements de salaires qui peuvent aller jusqu’à une année, et des dettes (si la réputation de l’ONG est bonne) qui peuvent s’étendre sur plusieurs années.
10Le temps pour des donateurs ou des ONG du Nord ne s’écoule pas de la même façon que le temps de leurs obligés. Vous avez dit : partenaires ? Mieux vaut être client que partenaire !
Bailleurs de fonds ou partenaires ?
11Joseph Séné distingue deux types d’organismes parmi la quinzaine d’ONG du Nord et du Sud qui ont eu des relations avec l’association paysanne qu’il préside au Sénégal. “D’un côté, les bailleurs de fonds. Ils nous apportent de l’argent mais ils veulent transformer ce qui est là et qui est notre affaire à nous. Et puis, leur programme terminé, ils nous quittent. De l’autre : les vrais partenaires. Ils n’ont peut-être pas beaucoup d’argent, mais ils sont là, toujours à l’écoute. On peut compter sur eux. Ils nous suivent depuis le début. Ils ne nous imposent pas ”.
12Établir une relation forte de partenariat demande plus d’efforts que ne le laisse penser ce tableau simplifié. Non seulement les finalités d’un partenariat sont complexes mais le rôle central de l’apport financier imprime sa forme à la relation. C’est dire que les chargés de programme, au Nord et au Sud, sont placés en permanence face à plusieurs dilemmes. Parfois, une solution trouvée pour ce dilemme-ci va rendre plus difficile l’issue de ce dilemme-là.
13Bien des ONG du Nord désirent ne pas être seulement des bailleurs de fonds. Pour y parvenir, elles doivent résoudre plusieurs problèmes avec chaque partenaire, alors qu’elles-mêmes sont contraintes par leurs propres bailleurs. Parmi ces derniers, très rares sont ceux qui autorisent des pratiques adaptées. En effet, les façons de faire du système d’aide extérieure ne facilitent ni la durée des relations, ni l’autonomie des deux partenaires, qui sont deux conditions à la réussite d’un partenariat.
14L’encadré ci-dessous présente, en simplifiant, les grands traits de ces deux types de comportement.
Le dilemme entre une relation de longue durée et la recherche de l’autonomie
15Au début d’une relation, l’acteur du Nord veut connaître celui avec lequel il commence à coopérer et espère pouvoir le faire à l’occasion d’un accord de financement portant sur un projet au contenu précis et d’une durée limitée. Est-ce une méthode féconde ? Oui, si durant cette période, des liens s’établissent au-delà de la seule relation de financement. Non, si ces liens ne s’établissent pas. Réussir un projet n’est pas la preuve qu’un partenariat peut s’établir et porter ses fruits. C’est seulement un indice positif. Mais si l’on ne profite pas d’une première collaboration pour se connaître au-delà de l’exécution de l’action, il y a de fortes chances pour que le partenariat s’arrête à la fin de celle-ci. Un partenariat durable s’enracine sur un terreau autre que celui d’une réalisation matérielle. Il exige des occasions de rencontre et des moments d’évaluation vécus ensemble. Un partenariat naît difficilement si la perspective de collaboration (presque toujours imposée par celui qui apporte l’argent) est trop étroite et de portée trop immédiate.
16A l’inverse, maintenir trop longtemps un flux d’aide peut entraîner l’accoutumance. L’aide financière peut agir comme une drogue et conduire celui qui la reçoit à toujours compter sur elle. Et finalement, quand l’habitude devient dépendance, à ne plus compter que sur elle. C’est alors la fin de la mobilisation des apports propres et l’attente permanente de l’aide. Éviter cela demande de construire l’autonomie financière de chacune des activités du partenaire durant la période d’aide extérieure. Et pour cela, de prévoir entre partenaires la limite de durée des apports d’aide. Certes, il est probable que l’insuffisance des ressources financières propres continuera au-delà de cette limite. Mais en prévoyant la fin de l’aide financière par dons, les partenaires se donnent du même coup le devoir de mettre en place des ressources qui resteront disponibles après la phase d’aide.
17Construire un partenariat durable, allant bien au-delà du financement des projets au sens restreint du terme, permet de prévoir, d’organiser et de financer cet accès à l’autonomie financière. Par exemple, un projet de construction d’écoles en milieu rural s’accompagne souvent d’un projet de formation des maîtres. Mais ce n’est pas suffisant du point de vue de l’autonomie. On le complétera d’un projet de mise en valeur de la surface agricole nécessaire pour couvrir les frais de fonctionnement de chaque école. Et d’un volet de constitution d’une caisse d’épargne entre les parents d’élèves pour faire face aux dépenses d’écolage. Cette pratique n’est possible que s’il y a, des deux côtés, assez de lucidité et de détermination pour limiter la durée et le volume des financements et en faire évoluer les formes.
18Quant à l’autonomie de chacune des deux parties, elle est difficile à préserver. L’autonomie de l’ONG du Nord paraît évidente mais cette évidence est trompeuse : la main qui donne dépend, elle aussi, de la main qui reçoit. “C’est moi qui vous nourris”, disait un assisté lucide aux assistantes sociales de son quartier. Beaucoup d’ONG du Nord n’ont pas (ou peu) de ressources propres. Elles recherchent l’essentiel de ce qu’elles consomment auprès des agences publiques. Elles n’obtiennent des cofinancements qu’en présentant des programmes précis à exécuter par leurs partenaires du Sud. Ce sont ces derniers qui “nourrissent” les partenaires du Nord. Une fois qu’un partenariat est bien établi, le lien de dépendance réciproque est difficile à couper. Il pousse à la consommation continue de l’aide. Il peut même amener l’ONG du Nord à augmenter le nombre de ses partenaires afin de s’assurer un volume suffisant de ressources d’aide pour couvrir ses propres frais de fonctionnement. C’est le cas des ONG spécialisées en envoi de volontaires : leurs dépenses de structure sont couvertes par des commissions prélevées sur les contrats des volontaires envoyés sur le terrain et financés par le secteur public. Maintenir les flux financiers à un étiage suffisant lie entre eux les partenaires du Sud et du Nord.
19De son côté, ne recevant d’aide que pour des projets, le partenaire du Sud est amené à tricher afin de couvrir la partie indispensable de ses dépenses de fonctionnement. Il va avoir tendance à multiplier le nombre de projets de façon à répartir ses frais fixes sur une plus large gamme de ressources (imitant l’ONG de volontariat décrite ci-dessus).
20Au-delà des seuls frais de fonctionnement, rares sont les institutions du Sud capables de mettre de côté des réserves. Certaines cherchent à vendre leurs services. Mais sur un marché pauvre et où se concurrencent les divers apports d’aide, il est difficile de gagner de l’argent. On le pourrait en exerçant des fonctions commerciales, lesquelles - en général - n’attirent pas les ONG (du Sud comme du Nord).
La difficile cogestion de l’aide
21Le fait d’être placé sur un canal de distribution d’aide donne une responsabilité et un pouvoir sur l’usage même de l’argent de l’aide. Admettons que ce pouvoir soit légitime. Comment faire pour qu’il s’exerce sans produire un effet de soumission obligée de ceux qui gèrent l’arrivée de l’aide vers les bénéficiaires finaux ?
22Constatant que l’existence de partenaires compétents au Sud rendait anormal l’envoi d’équipes de volontaires expatriés organisant eux-mêmes leurs interventions sur le terrain, l’association Vétérinaires Sans Frontières affirme ceci : “entre l’intervention directe et le transfert de fonds, ou plutôt entre l’assistance et la simple prestation de service neutre, il y a une alternative : si l’ONG ne doit pas imposer sa problématique, il lui faut tout de même bien avoir un discours, un message, une ligne d’action, des finalités, bref, une politique”4.
23Effectivement, quitter l’intervention directe, c’est reconnaître que quelqu’un au Sud est capable de gérer lui-même l’argent de l’aide. Une des preuves de sa capacité est qu’il ne se laissera pas imposer un schéma et des objectifs préparés par celui qui finance. Pour un partenaire du Sud capable, il n’existe pas de programme imposé depuis l’extérieur. Pour un partenaire du Nord conscient de sa propre politique, il n’existe pas de programme à financer à l’aveugle. Entre ces deux pôles, diverses voies de négociation existent, mais toujours celui qui détient la responsabilité d’utiliser de l’argent donné par l’étranger, dispose d’un moyen de pression dont l’interlocuteur ne dispose pas.
24Autres freins à l’autonomie, les multiples influences des méthodes et des modèles du Nord qui envahissent le Sud avec l’appui de la majeure partie des élites locales. Sur le terrain du développement local, l’influence conjuguée de ces deux dissymétries, celle entraînée par l’argent et celle provoquée par le modèle, fait que les responsables des organisations du Sud sont amenés à adapter leurs demandes et leurs façons de faire à ce qu’ils connaissent des priorités et des tabous de chaque donateur. Une véritable négociation est rare. Une négociation où l’on s’écoute complètement l’un l’autre, où chacun affirme ce qui lui paraît important, où l’on cherche les plages d’intérêt commun, où l’on repère les zones de divergences et s’y attaque pour trouver des compromis, ce mode de négociation-là est exceptionnel.
25Dans la plupart des cas que nous connaissons, une sorte d’autocensure intervient dès la rédaction d’une demande de financement ou d’une recherche de partenariat. En quelque sorte, chaque responsable du Sud est tenté, inconsciemment ou consciemment, d’adapter le contenu de sa demande à ce qu’il suppose être les priorités et les interdits de son vis-à-vis. Le document de projet est souvent le lieu de cette compromission. Avant même d’être négocié, il est déjà un projet d’aide et non plus le projet, ou le programme, du demandeur. Chaque responsable conçoit alors ses propres programmes, non plus en fonction de ses priorités et des contraintes locales mais en fonction de leur chance d’obtenir leur réalisation grâce à une facile négociation de l’aide. Certains d’entre eux finissent par être, en quelque sorte, des “agents d’aide” et par perdre, au moins apparemment, leur autonomie de pensée.
26Cette déformation concerne tout autant les chargés de programmes des ONG du Sud que ceux des ONG du Nord quand ils préparent, à leur tour, des demandes de cofinancement avec les bailleurs de fonds publics.
Pour un partenariat multiple mais transparent et coordonné
27Jusqu’à présent, nous avons analysé le partenariat comme s’il s’agissait d’un tête-à-tête entre une institution du Nord et une institution du Sud. Mais la réalité des relations de partenariat est beaucoup plus complexe que cela. L’expression classique : “nos partenaires” dissimule une multiplicité de relations beaucoup moins exclusives que l’expression possessive ne le laisse entendre.
28Au Nord, les associations de taille moyenne ou de grande taille, en multipliant le nombre de partenaires et la variété des contextes et des pays où elles travaillent, en arrivent vite à devoir animer un trop grand nombre de relations personnelles et institutionnelles. Leurs chargés de programmes font face à une gestion difficile. Ils consacrent, petit à petit, trop peu de temps à entretenir la relation en profondeur du partenariat, à mieux préparer les interventions successives et, surtout, à en suivre le déroulement pour être capables de les réorienter, au besoin. En multipliant, à partir du Nord, le nombre de ses partenaires, l’ONG court le risque d’un travail superficiel. Finalement, son travail ne sera pas très différent d’un financement par projets sans partenariat réel.
29Inversement, un grand nombre d’associations de petites dimensions ne travaillent qu’avec un seul partenaire du Sud. Cette spécialisation peut être un facteur d’efficacité mais peut être aussi un facteur limitant. Ne connaissant qu’un seul contexte, une seule institution partenaire, l’ONG risque d’avoir des œillères et il lui sera difficile d’échapper à une relation de type paternaliste. Dans la plupart des cas de “partenaire unique”, l’association du Nord aura tendance à se considérer, en quelque sorte, comme propriétaire d’une relation qu’elle souhaite voir durer et s’approfondir. Elle risque de redouter que l’institution du Sud entame des partenariats avec d’autres qu’elle.
30C’est dire qu’entre l’une des voies (univoque) et l’autre voie (multiple), il n’est pas si commode de maîtriser le problème du nombre de partenaires. Ce n’est pas un hasard si deux tendances sont dominantes : trop peu ou trop de partenaires. Probablement, est-ce un fruit de l’exagération (au sein des conseils d’administration des ONG et en particulier parmi leurs membres fondateurs) du caractère spécifique et irremplaçable de leur initiative, puis de leur institution. Cela freine la possibilité de s’associer avec d’autres institutions du Nord pour réfléchir et organiser une répartition du travail entre elles.
31Où trouver les motivations qui permettraient une meilleure spécialisation et répartition des rôles entre les ONG du Nord ? La question, à notre avis, reste largement sans réponse. Et nous doutons qu’elle trouve plus que des réponses expérimentales concernant quelques ONG du Nord seulement. Nous pensons que c’est plutôt à partir des initiatives des institutions du développement local et régional du Sud qu’une certaine synergie entre les associations du Nord peut naître. A moins que les États du Sud et les bailleurs de fonds publics n’imposent une concertation aux acteurs privés.
32Quant aux organisations du Sud, elles ont souvent intérêt à multiplier les relations avec des partenaires différents. Il leur faut, en premier lieu, échapper au risque de tutelle de la première organisation du Nord (et aujourd’hui du Sud pour certains) qui aura réalisé un premier projet avec elles. S’ils annoncent la couleur et qu’ils tentent d’obtenir, d’entrée de jeu, l’accord du premier bailleur pour cette ouverture vers d’autres collaborations, il est probable que le réflexe de leur partenaire sera de perdre, au moins en partie, confiance en eux. Mais cette perte de confiance sera encore plus élevée s’ils le font sans le prévenir. En tout état de cause, ils courent le risque, chaque fois qu’ils ouvrent le jeu, de voir disparaître celui ou ceux qui coopéraient avec elles. Comment expliquer autrement le fait qu’une association sérieuse comme l’ARAF5, que présidait Joseph Séné, ait eu, en 15 ans, 15 partenaires, dont 2 seulement se sont révélés capables de durer plus que 2 ou 3 ans ?
33Pour éviter cette valse et cette extraordinaire perte d’efficacité collective, certains organisent un consortium de bailleurs à une même organisation du Sud. Cette pratique permet d’éviter les suspicions dues aux collaborations parallèles où chacun des bailleurs a le sentiment qu’on lui cache quelque chose. En même temps, peu d’entre eux exigent de connaître l’ensemble des ressources de l’organisation qu’ils appuient. Bien entendu, ils justifieront cette réserve par le fait qu’ils ne veulent pas trop s’immiscer dans les affaires du partenaire, mais en réalité, n’est-ce pas aussi pour que ce dernier ne vienne pas trop regarder dans les affaires de l’organisation du Nord ? Ce type d’appréhension mutuelle bloque le progrès d’un partenariat en profondeur.
34Pour que ce progrès s’accomplisse, ne faut-il pas une transparence des deux cotés ? Est-ce que cette transparence est plus facile à obtenir dans une relation avec un consortium que dans des relations individualisées ? Certainement. Mais c’est un risque que prend une organisation du Sud de réunir tous ses œufs dans le même panier car, si la méfiance s’installe au sein du consortium, toutes les ressources extérieures risquent de disparaître d’un seul coup. Pour se protéger de ce risque, il n’y a guère d’autre moyen que de permettre aux deux parties de bien se connaître et de pratiquer des exercices réguliers d’évaluation réciproque. Ainsi, les doutes peuvent s’exprimer et le chemin du futur peut être exploré en même temps par les deux parties. Au passage, chacun d’entre eux apprend de l’autre.
Notes de bas de page
1 Claude Marchant, éd. Syros, Paris, 1991, p. 137.
2 Interview, en 1993, de Joseph Séné, président de l’ARAF (Association Régionale des Agriculteurs de Fatick, au Sénégal).
3 Interview, en 1995, de Julien K. A. Nuyadzi, responsable de l’Association-Village-Entreprise (AVE), à Kpalimé, Togo.
4 Vétérinaires Sans Frontières, “Appui aux organisations locales : le long chemin de la théorie à la pratique”, photocopie, V.S.F., Lyon, 1993.
5 Association régionale des agriculteurs de Fatick (Sénégal).
Auteur
Ingénieur-conseil, Bonneville, France.
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