De l’esprit d’entreprise chez les réfugiés
Propos recueillis par Delphine Bordier
p. 129-137
Texte intégral
1Vous avez séjourné, en tant que chercheur, dans trois camps de réfugiés de la région de Bukavu, au Zaïre, entre juin et septembre 1996. Ces camps avaient été créés dans le but d’héberger provisoirement des réfugiés rwandais, dans l’urgence, à leur arrivée au Zaïre. Ils étaient situés directement à la frontière des deux pays. Il y en avait une vingtaine au total, qui ont accueilli des réfugiés depuis avril 1994. Vous avez étudié la reconstruction du tissu économique dans ces camps. Qu’est-ce qui vous a particulièrement frappé en ce domaine ?
2Ce qui m’a d’emblée étonné, c’est le dynamisme de la population, l’activité qui régnait dans ces camps et le sentiment que les réfugiés avaient retrouvé, en deux ans et deux mois de camps, une vie somme toute assez « normale » en ce sens qu’ils avaient pu plus ou moins « reconstituer les fondements et les indicateurs de leur vie d’avant l’exil » : les activités agropastorales (hors des camps), le petit commerce (dans les camps et aux alentours, et même dans la ville de Bukavu) et les cérémonies rythmant et marquant la vie en communauté (cultes à l’église et au temple, visites, mariages, deuils, chants, danses...). Et ce, quand bien même ils étaient censés ne vivre que de l’aide humanitaire et que toute activité économique leur était en principe interdite.
3Les réfugiés ont donc passé outre à cette interdiction des autorités et ont développé illégalement des activités économiques ?
4Oui. Et non sans raison, car même si l’aide alimentaire, qui est calculée en termes de calories, de vitamines, etc., est en principe suffisante à la survie physique des individus, elle reste absolument insuffisante du point de vue des habitudes culinaires antérieures des réfugiés. Par exemple, ce sont toujours les mêmes produits qui sont distribués : farines, différentes graines, haricots, huile, lait pour les enfants et les malades. Or, au Rwanda, on mange traditionnellement des haricots, de la banane, des patates douces, des pommes de terre, des farineux comme la farine de manioc, sans oublier de la viande dans les familles « aisées ».
5De plus, dans la culture rwandaise, la boisson n’a pas pour seule fonction d’étancher la soif. On boit quotidiennement de la bière de banane ou de sorgho, ou de la bière industrielle si on est aisé. La boisson est un facteur social important, elle est le principal élément de contact social entre individus : le verre de bière est toujours la première chose qu’on offre au visiteur. De même, on ne peut pas parler de fête sans bière : on peut fêter sans manger mais pas sans boire. Par ailleurs, lorsque, selon la « tradition », les maris « libèrent la maison » après le travail, laissant leurs domestiques, femmes et enfants faire le ménage et la cuisine, ils ont coutume d’aller au café discuter autour d’un verre. Au Rwanda, on dit : « On ne peut pas causer dans le vide », c’est-à-dire qu’on « cause généralement en partageant un verre de bière ». Or, bien sûr, le HCR [Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés] ne peut pas assurer ce « besoin » de boisson. Ne serait-ce qu’en raison du coût.
6Un autre facteur culturel que le HCR ne peut pas assurer est la pratique du cadeau. Même dans les camps, entre les réfugiés, la coutume d’offrir des cadeaux en maintes occasions subsiste. Et puis, il y a aussi des besoins matériels : dans la tente, sur quoi va-t-on s’asseoir, sur quoi va-t-on se coucher, avec quoi va-t-on manger ? Tous ces petits « besoins », issus des habitudes culturelles, ne sont pas pris en compte par le HCR, qui se borne à assurer les besoins « macro » : l’alimentation, le logement, les soins médicaux, l’eau, le bois de chauffage, quelques habits, quelques ustensiles de cuisine. Face à ces insuffisances, les réfugiés réagissent pour tenter de plus ou moins satisfaire l’ensemble de leurs besoins.
7C’est donc le désir de retrouver au moins partiellement leurs conditions de vie antérieures qui a poussé les réfugiés à reconstruire une économie ?
8Oui, mais il y a plus que cela : c’est aussi la volonté de retrouver leur dignité en tant que personnes. Et le premier indicateur de cette dignité est le pouvoir d’achat. Il s’agit d’abord d’être capable d’échanger, que ce soit par le troc ou par l’usage de la monnaie. Et échanger, cela sous-entend produire quelque chose.
9La dignité est aussi déterminée par le statut familial ou social. Le réfugié est par exemple père de famille. Il doit donc continuer de remplir ce rôle, c’est-à-dire de subvenir aux besoins de sa famille, d’en être responsable. Cela suppose qu’il apporte dans la famille quelque chose de propre, de spécifique (à manger, pour s’habiller ou à vendre). Dans le cas contraire, il perdrait son autorité au sein de la famille. De la mère, on attend aussi qu’elle innove au niveau de la cuisine, de l’aménagement de la maison, etc. Au niveau du groupe, les attentes dépendent de la fonction que vous exerciez au pays. Vous aviez tel statut ? La communauté continue à attendre de vous les mêmes services et le même comportement qu’antérieurement. Il vous faudra donc être créatif, chercher, inventer, produire qualitativement et quantitativement quelque chose pour les vôtres et pour le groupe. C’est à partir de cet impératif familial et social de la dignité que se définit une stratégie économique autonome, totalement distincte de la passivité qu’on attend des assistés.
10Partant de rien, comment les réfugiés sont-ils parvenus à créer de toutes pièces une économie, dans l’illégalité de surcroît ?
11Certains réfugiés sont arrivés au camp avec de l’argent liquide, une voiture ou un camion, etc. Mais, dans un premier temps, les réfugiés se servent de l’aide humanitaire qu’ils perçoivent : les produits vivriers, le matériel d’équipement (les bidons, les casseroles) et les tentes. Et immédiatement commence à se tisser un réseau de troc entre les réfugiés eux-mêmes : « Je te donne une casserole et toi, tu me donnes des graines ou de la farine. »
12Mais les réfugiés ont besoin de leurs céréales ou de leur farine.
13Si vous avez une famille de quatre enfants, vous pouvez prélever quelque chose tout en conservant une quantité plus ou moins suffisante. Bien sûr, celui qui n’a reçu que pour deux, par exemple, ne peut pas se le permettre. Mais il aura peut-être un bidon de trop. Il faut préciser que, dans l’urgence de l’établissement d’un camp, le HCR distribue le matériel d’équipement sans trop y regarder sur la taille des familles. On n’a pas le temps de compter au moment où les gens arrivent massivement. Par exemple une tente, reçue du HCR, pouvait être vendue 30 ou 40 dollars ; un bidon pour puiser de l’eau, environ 20 dollars. Or, avec 50 dollars, on pouvait déjà louer une propriété à cultiver chez un paysan zaïrois.
14Mais s’ils vendent leur tente, ils n’ont plus d’abri.
15Le défi, c’est d’avoir une tente à vendre et une autre qui vous reste.
16Une famille pouvait avoir plusieurs tentes ?
17En principe non, mais dans les faits oui, car les tentes étaient distribuées par famille. Donc si, en arrivant au camp, vous multipliiez votre famille, vous aviez autant de tentes que de familles fictives.
18On en reparlera plus tard si vous voulez bien. Poursuivons sur le troc.
19Donc, pour en revenir au troc, il apparaît immédiatement, dès l’installation du camp. Chacun échange ses biens provenant de l’aide humanitaire en fonction de la taille de sa famille et de ses besoins, qui sont déterminés par le mode de vie antérieur : un paysan, peu habitué à avoir de l’huile, préférera accroître sa quantité de farine, par exemple.
20Puis, une fois installés, les réfugiés vont tenter de maîtriser l’environnement socio-économique autour du camp. Certains sont arrivés avec de l’argent et chacun a avantage à « monétariser » les échanges. C’est alors que débute le vrai commerce : ceux qui ont de l’argent achètent du matériel à ceux qui n’en ont pas, qui ainsi en acquièrent. Tout de suite se créent dans le camp des petites boutiques de vente au détail : commerce d’huile pour les lampes à pétrole, commerce de bière, etc.
21Il y a donc une relation linéaire dans le temps entre le troc et les échanges monétaires : au début le troc, ensuite le commerce. A mesure qu’on s’installe, on développe des activités plus intéressantes, plus lucratives, et le troc finit par disparaître. Le troc se fait faute de mieux. Il y a aussi eu du troc entre réfugiés et autochtones, par exemple avec la banane, qui fait partie du régime alimentaire des Rwandais. Certains paysans zaïrois qui avaient des plantations de bananes les ont mises en location contre des casseroles, des bidons ou de la farine. Mais c’est ensuite à l’avantage des deux partenaires de « monétariser » les échanges.
22Lorsque vous êtes arrivé aux camps, quelque deux ans et demi après leur installation, dans quel type d’économie vivaient les réfugiés ?
23Précisons qu’à mon arrivée, les activités économiques étaient déjà interdites aux réfugiés. D’où il faut distinguer deux cas d’activités, à savoir celles qui ont « résisté » à l’interdiction et celles qui ont disparu avec l’interdiction.
24A mon arrivée, les activités qui se pratiquaient encore étaient extrêmement variées, à l’image de ce qui se faisait avant l’exil : restaurants, bistrots (vente de vin de banane et de bière industrielle), boutiques, salons de coiffure, ateliers divers... Le vin de banane était fabriqué par les réfugiés eux-mêmes à partir des bananes achetées aux autochtones alors que la bière industrielle était livrée aux camps par des commerçants de la ville (Bukavu). Faute d’espace, l’agriculture et l’élevage n’étaient pas pratiqués dans les camps : les paysans et paysannes (qui constituaient la majorité des réfugiés) allaient négocier des terres appartenant aux autochtones des alentours.
25A part ces activités qui avaient « survécu », il y avait aussi des vestiges de ce qui avait été « la prospérité commerciale » de certains réfugiés, et cela était particulièrement remarquable dans le camp de Kashusha. Avant l’interdiction d’activités économiques faite aux réfugiés, il y avait dans ce camp un marché qui était tellement bien fourni que même les commerçants zaïrois de Bukavu et les populations autochtones venaient s’y approvisionner. Des réfugiés avaient monté un réseau d’importation de biens en provenance d’Arabie Saoudite : des conteneurs pleins de marchandises arrivaient de là-bas directement dans le camp de Kashusha.
26Et lorsque j’ai visité ce camp pour la première fois, que restait-il de ce commerce qui avait été si prospère ? Des étalages sur la place du marché, des boutiques et des magasins portant encore (sur les portes et les murs) des affiches et panneaux publicitaires divers qui avaient résisté aux intempéries (« Pièces-autos », « Pharmacie », « Alimentation », « Huiles et Carburants »...).
27Ils avaient donc conscience qu’ils resteraient là assez de temps pour pouvoir cultiver, puis récolter ?
28La saison culturale ne dure que trois ou quatre mois, par exemple pour la pomme de terre, les haricots, la patate douce ou le maïs. Les paysans réfugiés payaient la location de la terre soit en espèces, soit en nature, soit en travail (le paysan zaïrois prête une parcelle de terre au réfugié pour les besoins de ce dernier qui, en échange, cultive un morceau de terre en plus pour les besoins du paysan zaïrois). Seuls les fonctionnaires réfugiés ne pouvaient continuer leurs activités antérieures : ils se rabattaient sur une autre activité, le commerce ou l’agriculture.
29Les réfugiés pratiquaient aussi toutes sortes d’activités lucratives en ville, soit hors du camp. Les bureaux de change fleurissaient à l’époque, avec l’arrivée des dollars drainés par les organisations non gouvernementales (ONG) et tout le commerce de l’humanitaire. Certains réfugiés travaillaient dans ce secteur. D’autres tenaient boutique en ville ou bien y avaient ouvert des restaurants et bistrots. Il y avait aussi des réfugiés employés et salariés par le HCR et les ONG, aussi bien aux camps que dans les bureaux implantés en ville, à Bukavu.
30Les réfugiés se sont donc repliés sur les activités qu’ils pratiquaient antérieurement Vous parliez d’innovation, de créativité. Je ne vois pas en quoi cela est particulièrement créatif.
31La créativité découle du fait que ces activités étaient illégales. Il ne faut pas oublier que ces camps étaient destinés à être provisoires et que les réfugiés étaient censés n’y vivre que de l’aide humanitaire. Toute activité « économique » leur était officiellement interdite. La nouveauté était donc ce cadre restrictif, qui leur était imposé, et la créativité des réfugiés s’est manifestée dans l’élaboration de réseaux d’entraide, d’allégeance, de soutien informel, qu’ils ont tissés pour contourner ce cadre.
32Prenons par exemple le cas des camionneurs, des Rwandais qui sont arrivés au camp avec leurs camions. Ces camions étaient immatriculés au Rwanda. Aisément reconnaissables, donc. Alors, pour ne pas avoir de problèmes avec la police routière zaïroise lorsqu’ils circulaient au Zaïre, les réfugiés s’arrangeaient pour se faire prêter ou pour louer des plaques d’immatriculation zaïroises.
33Autre exemple, au niveau de la maîtrise de la langue autochtone. Presque tous les réfugiés, et en particulier les hommes, ont appris très rapidement le lingala et le swahili car c’était un moyen de passer inaperçu auprès des policiers et militaires zaïrois (barrages routiers, etc.). Des réfugiés parlaient tellement bien le lingala que les militaires ou les policiers croyaient qu’ils étaient Zaïrois. Cet apprentissage de la langue si rapide et si efficace (et sur le tas de surcroît !) marque une adaptation stratégique très poussée. C’est une innovation.
34Autre forme de collaboration : chaque camp était gardé par des militaires zaïrois qui y habitaient et qui avaient pour tâche d’assurer la sécurité du camp, de faire respecter les interdictions de commerce, etc. Les réfugiés se sont débrouillés pour se lier d’amitié avec ces militaires. Ce n’était pas de la corruption mais des relations sociales pérennes qui font qu’on devient très familier : « Tu passes, nous partagerons un verre. » Cela servait leur stratégie. C’est à ces niveaux-là que je trouve qu’il y a des innovations : trouver les intermédiaires et les utiliser au bon moment et de façon efficiente.
35Un autre cas m’a été raconté par l’acteur lui-même. Il était agent de change dans la ville de Bukavu. Pour se prémunir contre les rafles régulières des policiers zaïrois, il s’était fait protéger par une dame zaïroise qui était en bonnes relations avec eux. Un jour on lui a raflé les liasses de billets qu’il avait et on l’a emmené au poste de police, l’accusant d’avoir volé cet argent dans les banques rwandaises. Il a dit que ce n’était pas son argent, qu’il travaillait sous l’autorité de cette dame et que l’argent raflé était son argent à elle. Une heure après, cette dame était au poste. Les policiers ont dû rendre l’argent et libérer le détenu. Le réfugié payait la protection que lui assurait cette dame, forfaitairement, au mois.
36La créativité de ces réfugiés rwandais est donc là, dans le fait qu’ils assumaient l’illégalité de leurs activités en imaginant diverses tractations plus ou moins douteuses, en créant des circuits parallèles de protection et d’allégeance de toutes sortes, bref en faisant preuve de beaucoup de débrouillardise. Des réfugiés ont d’ailleurs montré une sorte de prédisposition à la « magouille » – on aurait dit qu’ils prévoyaient que ce serait là un des moyens de survie – en manœuvrant avec les autorités humanitaires dès leur arrivée au camp.
37On a parlé plus haut de ceux qui multipliaient leurs familles. C’est ce que j’appelle le phénomène de duplication des familles. Ça se passait comme cela : à son arrivée au camp, le père et une partie de ses enfants se présentaient comme une famille. On leur accordait donc une tente et une parcelle. Ensuite, la mère et les autres enfants disaient composer une autre famille, à qui on accordait aussi une tente et une parcelle. Le HCR n’avait pas le temps de vérifier.
38Donc des familles pouvaient être comptabilisées comme six personnes alors qu’il n’y en avait en fait que quatre, par exemple ?
39Oui. Il faut dire que les agents de recensement étaient soit des employés des ONG autochtones, soit même des réfugiés. Car le HCR employait dans son personnel des réfugiés et des autochtones.
40On pouvait donc les « acheter ». C’est de la corruption.
41Ce sont plutôt des services rendus : « Je suis l’ami d’un tel », ou bien « Je t’ai donné ceci »... D’ailleurs, dans ce contexte, la terminologie n’a pas d’importance.
42Les réfugiés n’avaient-ils pas peur de représailles au cas où ces subterfuges étaient dénoncés ?
43Mais dénoncés par qui ? Un réfugié va-t-il dénoncer un réfugié ? Non, bien sûr, c’est une question de solidarité. Et pour le personnel autochtone, si on lui donne un peu d’argent, dans quel intérêt va-t-il dénoncer ?
44Ne peut-il pas se créer des jalousies ?
45Je dirai que ce genre d’imagination, de manœuvres spontanées, de spéculations stratégiques sur l’avenir, était partie intégrante de la culture dominante des camps. Certains étaient peut-être jaloux mais, dans ce contexte de désolation commune, on n’a pas intérêt à entrer en conflit. Sans solidarité on ne peut pas survivre dans un camp. On ne peut pas réussir tout seul : il faut de la solidarité dans la famille, dans le groupe, et au-delà ; il faut créer des solidarités avec les autochtones. Je crois que la solidarité est l’un des grands moteurs de ce développement économique dont nous parlons. Un autre de ces moteurs est la « culture lucrative », en ce sens que les Rwandais sont des « entrepreneurs » : ils savent se débrouiller. Le dernier de ces moteurs, on en a déjà parlé, c’est la dignité.
46Ainsi, les réfugiés rwandais au Zaïre se sont totalement intégrés à l’économie environnante mais par des moyens illégaux et « parasitaires ». Mais, ce faisant, ils ont détourné l’objectif poursuivi par les autorités qui était de les maintenir dans l’inactivité économique. Cela n’a-t-il pas posé de problème ?
47Si, au niveau des autorités zaïroises. Au début, elles ont relativement fermé les yeux sur ces activités. Mais, dans le courant du premier trimestre de 1996, soit environ un an et demi après l’implantation des camps, elles ont serré la vis. En fait, l’objectif des autorités zaïroises était de maintenir le calme dans la région. Or, la simple présence des réfugiés rwandais dans cette région frontière représentait une menace : la population autochtone zaïroise était en première ligne en cas de représailles de la part du nouveau gouvernement rwandais. Certains Zaïrois voulaient donc que ces réfugiés soient déplacés vers l’intérieur du pays ou même renvoyés chez eux. Et lorsque ces mêmes réfugiés ont commencé à prospérer jusqu’à atteindre un niveau de vie supérieur au leur, ces Zaïrois ont commencé à s’agiter plus sérieusement. Le gouvernement zaïrois, qui tenait à la stabilité de cette région, a alors pris des mesures. L’administration zaïroise a fixé des quotas limitant la proportion de réfugiés que les ONG ou le HCR pouvaient employer, afin d’accroître le nombre de postes disponibles pour les Zaïrois. De même pour les salaires des réfugiés : ils ont été revus à la baisse. L’interdiction du commerce a été réactivée : les importateurs de produits commerciaux ont dû cesser leurs activités et c’est ainsi que le grand marché du camp de Kashusha a été fermé.
48Ces mesures ont donc effectivement entraîné une réduction du niveau de vie des réfugiés ?
49Jusqu’à un certain point, oui. Ces mesures visibles ont suffi à contenter les populations autochtones insatisfaites et à maintenir le calme. Mais, au niveau microéconomique, les réfugiés se sont réadaptés une fois de plus et ont continué bien souvent les mêmes activités, mais avec plus de prudence. Tout le microcommerce interne au camp s’est maintenu moyennant une intensification des relations avec les militaires qui gardaient les camps (échange de bons procédés, dons, etc.). Quant à ceux qui avaient des affaires en ville, ils ont à nouveau changé de tuteurs, et de noms d’emprunt.
50C’est dire que, quelle que soit la situation, les réfugiés qui vivent collectivement dans des camps ne peuvent pas être contraints à l’inactivité. Le HCR devrait en tenir compte et sortir de l’image du parking à humains pour développer l’idée de circuits d’activités économiques avec l’environnement. Car c’est déshumanisant, désécurisant et dénaturant de travailler au noir. Interdire l’activité économique, c’est interdire aux réfugiés de retrouver leur dignité. C’est donc une protection à moitié. Une protection au jour le jour peut-être, mais pas une protection psychique à long terme.
Auteur
Etudiant, IUED, Genève.
Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Côté jardin, côté cour
Anthropologie de la maison africaine
Laurent Monnier et Yvan Droz (dir.)
2004
La santé au risque du marché
Incertitudes à l’aube du XXIe siècle
Jean-Daniel Rainhorn et Mary-Josée Burnier (dir.)
2001
Monnayer les pouvoirs
Espaces, mécanismes et représentations de la corruption
Giorgio Blundo (dir.)
2000
Pratiques de la dissidence économique
Réseaux rebelles et créativité sociale
Yvonne Preiswerk et Fabrizio Sabelli (dir.)
1998
L’économie à la recherche du développement
Crise d’une théorie, violence d’une pratique
Christian Comeliau (dir.)
1996