La corruption, de l’« économie de bazar » au bazar de l’économie ?
p. 315-344
Note de l’auteur
« Economie de bazar » : Nous empruntons la notion à Clifford Geertz, pour qui elle désigne une économie dans laquelle les transactions commerciales sont, non impersonnelles, mais au contraire hautement personnalisées. De ce fait, la formation des prix obéit à des règles de négociation au cours de laquelle diverses prestations sont échangées dans le temps.
Texte intégral
1La corruption apparaît comme une préoccupation essentielle des années 90. La découverte, durant ces années, de faits corrupteurs majeurs dans les pays de l’OCDE a généré un regain d’intérêt pour cette question. Elle est devenue, désormais, une préoccupation des institutions internationales qui en font un de leurs chevaux de bataille et participent ainsi à son introduction dans l’agenda politique des gouvernements. Auparavant cantonné à la dénonciation d’une réalité des pays en développement, dans laquelle l’Afrique occupait une place de choix, le champ de pertinence de la notion s’est donc trouvé élargi à l’ensemble de la planète. On ne peut pas dire que le phénomène de la corruption soit, en quelque endroit, nouveau1 ; en revanche, l’émergence de préoccupations institutionnelles nationales et internationales présente assurément un caractère de nouveauté.
2A titre d’exemple, depuis 1992, l’administration Clinton incite l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à adopter la Foreign Corruption Practices Act (FCPA) élaborée en 1977 afin de pouvoir traduire en justice des sociétés ou individus impliqués dans des affaires de corruption à l’étranger. L’OCDE a d’ailleurs conclu le premier accord international en matière de corruption en produisant, en mai 1994, un ensemble de recommandations pour lutter contre la corruption dans les échanges commerciaux internationaux : il concerne les pratiques bancaires, les conditions d’octroi des marchés publics, etc.2 L’OCDE semble en outre céder aux incitations américaines en cherchant à rendre illégales les commissions dans la passation de marché au niveau des transactions internationales (Robinson 1998 : 6). Parallèlement à ces mesures officielles apparaissent des initiatives privées. En 1993, Peter Eigen, un ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, fonde en Allemagne l’association Transparency International. Cette organisation, qui dispose notamment de sections en Grande-Bretagne et en France, se donne pour but de promouvoir un « vaste programme visant à rendre publics l’incidence et les enjeux de la corruption dans de nombreuses régions du monde, en particulier dans les pays en développement » (Heidenheimer 1996 : 397).
3Promue au rang de problème politique et social majeur, la corruption devient du même coup un objet de recherche pleinement légitime. On assiste alors à une expansion de la production scientifique et éditoriale3. Le propos de cet article est de faire une présentation critique de cette littérature. Nous chercherons ainsi à mettre en évidence l’existence de points aveugles dans les analyses du phénomène ainsi que l’insuffisance de l’implication des sciences sociales dans ce domaine de recherche. Sans remonter aux calendes grecques, à notre connaissance, les premiers travaux scientifiques d’économie ou de sciences politiques datent des années 60 mais sont quasi exclusivement anglo-saxons4. Ces travaux ont posé les questions fondamentales qui intéressent toujours la recherche actuelle. Cependant, comme nous tâcherons de le montrer dans ce texte, cette dernière n’a pas toujours pu y apporter des réponses entièrement satisfaisantes. Il semble en effet que les difficultés inhérentes à la notion de corruption, d’emblée politique, n’ont pu être résolues. En particulier, le problème de la définition (première partie) constitue toujours le passage obligé de toute réflexion : chaque auteur semble contraint de produire une définition originale. Cependant, elles restent faiblement contradictoires. On pourrait parler de dissension molle dans un contexte d’inflation définitionnelle. En matière de mesure (deuxième partie), les auteurs semblent d’accord pour affirmer que la corruption est en augmentation. Toutefois, devant la difficulté de produire une mesure objective, ils sont obligés, à des fins comparatives, de se tourner vers la quantification non pas des actes de corruption, mais de la perception de la corruption. Les divergences sont profondes quant à la nature des causes et des conséquences de la corruption (troisième partie). Elle peut être, selon les cas, perçue comme toxique ou tonique. On peut dire sans schématiser qu’ici, tout est dit ainsi que son contraire. Il faut d’ailleurs noter que ce ne sont pas tant les mécanismes sociaux qui préoccupent la majorité des auteurs que l’identification des causes politiques, historiques ou encore économiques. Ce fait marque à notre avis la dimension éminemment politique de cet objet, notamment avec la question de l’Etat, tour à tour régulateur ou moteur de la corruption.
La notion de corruption : une « nébuleuse sémantique »5
4De nombreux auteurs soulignent l’importance des difficultés que l’on rencontre à vouloir définir rigoureusement la notion de corruption. Dans ce sens, par exemple, M. Johnston parle de « bourbier définitionnel » (1993a : 4) et J.-L. Rocca évoque une définition « brouillée » (1993 : 7). On peut dire de la même façon qu’il n’est pas aisé de chercher à classer les différentes définitions en usage dans la littérature. En effet, d’une part, les conceptions sur lesquelles elles s’appuient varient considérablement, et, d’autre part, celles-ci sont innombrables.
5Certains auteurs proposent des modes de classement. R. Lucchini (1995) découpe les approches de la corruption en théories libérales fonctionnalistes et théories universalistes. Y. Mény (1997), quant à lui, oppose l’approche juridique, la corruption étant exclusivement définie comme un délit identifié par les lois pénales propres à un système politique, à l’approche sociologique, plus apte à saisir la diversité des situations. J.-L. Rocca (1993 : 16-18) distingue trois types de définitions : le premier regroupe les définitions fondées sur un point de vue moral, le second, celles qui s’appuient sur des critères objectifs (la violation d’un règlement ou plus généralement la violation de l’intérêt public) ou bien qui sont fondées sur la perception des acteurs, et le troisième est composé des définitions appréhendant la corruption comme une transaction. Dans un article consacré à cette question, M. Johnston (1996) sépare les définitions issues de conceptions classiques axées sur la vitalité morale des sociétés et les définitions modernes fondées sur une classification des comportements (définitions modernes parmi lesquelles il distingue celles qui s’appuient sur des normes « objectives » de celles centrées sur des normes sociales, dites « subjectives », et des définitions « commettant-agent-client »). Si ces différents modes de classement se recoupent partiellement, aucun ne semble pouvoir prétendre englober les autres6.
6En plus des difficultés inhérentes à l’exercice lui-même, toute tentative de classification est entravée par une sorte d’inflation du nombre des définitions. La définition de la corruption est un tableau impressionniste auquel chaque auteur ajoute sa petite touche. Si les différentes définitions proposées ne sont que faiblement contradictoires, elles ne génèrent pas, pour autant, un accord minimal, pas plus qu’elles ne sont l’objet d’une controverse particulièrement aiguë7. « Plus qu’à une véritable opposition entre conceptions radicalement différentes, la variété des définitions de la corruption tient surtout à la façon dont les auteurs se placent par rapport à un phénomène éminemment polysémique. De ce point de vue toutes sont justes », explique J.-L. Rocca (1993 : 20). De même, pour A. Morice, « la définition de la corruption peut renvoyer à l’étymologie (“une altération, un pourrissement”) ; aux ingrédients qui la composent (“un ensemble de tractations illicites”) ; aux fonctions qu’elle remplit (“transférer des traitements insuffisants”) ; à ses conditions d’existence (“c’est quand des acteurs économiques font face à des administrateurs de biens rares”) ; ou simplement, enfin, à l’éthique (“un moyen d’enrichissement que la morale réprouve”) » (1995 : 43), sans qu’aucune de ces définitions ne soit pleinement satisfaisante. On serait alors en droit de s’interroger sur les raisons et les effets de cette polysémie. L’absence de conflit patent autour de la définition de la corruption laisse penser qu’il s’agit là d’une question épineuse que la plupart des auteurs que nous avons pu consulter tentent de contourner discrètement. Cependant, cette esquive ne doit pas être forcément perçue comme une défection. Ainsi, pour A. Morice, « on doit se garder, sous peine de risquer de tomber dans des raisonnements tautologiques, de toute définition fermée dictée par des conclusions préétablies » (ibid.).
7Le choix de présentation des différentes définitions que nous avons rencontrées repose, quant à lui, sur un classement entre approches normatives et non normatives selon la nature de la norme transgressée8.
Des prises de position essentiellement normatives
8Les définitions de type normatif, les plus nombreuses au sein de notre corpus, renvoient à des normes, légales et/ou culturelles, morales ou universalistes.
9On pourrait dire que la définition légale emprunte, de manière simplifiée, à la formalisation juridique des actes de corruption, plus précisément de la corruption passive telle que la conçoit le Code pénal français. La définition de J.S. Nye illustre ce cas et constitue d’ailleurs la définition la plus communément admise par les auteurs : « behavior which deviates from the formal duties of a public role because of private-regarding (personal, close family, private clique) pecuniary or status gains ; or violates rules against the exercise of certain types of private-regarding influence » (1967 : 419)9. Cette définition a pour caractéristique d’être étroitement liée à la notion de service public, incluant également les mandataires désignés par des électeurs. Les travaux politico-économiques de S. Rose-Ackerman appartiennent à cette famille. Ils sont emblématiques du modèle de l’agence. Le modèle de l’agence décrit la relation de délégation entre un « principal » et un « agent » dans laquelle le « principal » (par exemple un chef de service dans une administration publique) fixe à un « agent » (un subalterne) des objectifs dont il attend la réalisation. Le modèle introduit une tierce personne qui cherche à influencer l’agent moyennant paiement (matériel ou non) ; agent qui peut y répondre dans la mesure où il dispose d’une marge de manœuvre par rapport au principal pour faire avancer son intérêt. Ce faisant, S. Rose-Ackerman (1978 : 6-7) avoue que sa définition est proche de celle de J.S. Nye et ajoute d’ailleurs que la corruption est une « legal category ».
10Centrée sur des comportements déviants par rapport à des normes légales, la définition légale débouche inévitablement, ainsi que le note avec justesse A. Morice (1995 : 44), sur la question du relativisme. Autrement dit, l’infraction, outre qu’elle s’apprécie diversement suivant la position sociale des agents, ne reste valable que pour une période donnée et un contexte culturel précis. J.-P. Olivier de Sardan (1996 : 98-99) parle ainsi de l’« enchâssement culturel » de la corruption en Afrique pour désigner l’inscription des pratiques de corruption dans le tissu des normes et attitudes sociales usuelles (voir aussi Huntington 1968 : 60). Il rappelle par exemple l’« obligation morale d’assistance mutuelle » ou bien le devoir de redistribution au sein de réseaux de solidarité, autant de normes qui, combinées entre elles, rendent répréhensibles les comportements qui oublieraient de dispenser les faveurs associées à l’usage d’une position politique aux membres du groupe d’appartenance (Olivier de Sardan 1996 : 105 et sq.). Du fait de cette diversité anthropologique, M. Johnston adopte la définition qui suit: « the abuse of public roles or resources, by officials or by the private parties who seek to influence them, for private benefit - with abuse being identified by legal or cultural standards » (1993a: 4).
11Les théories libérales de la corruption qui nous viennent des Etats-Unis et qui se sont développées à la fin des années 60 et tout le long des années 70 (Lucchini 1995 : 219) apparaissent également normatives. Par exemple, S.P. Huntington (1968 : 59) décrit la corruption comme une déviance par rapport à des normes « acceptées », sans qu’il soit possible de trancher nettement s’il s’agit de normes légales (l’auteur parle explicitement des devoirs des fonctionnaires) ou de normes sociales plus générales et contextualisées. Ambiguïté aussi dans la mesure où il semble, à l’inverse, et comme le souligne justement J. Cartier-Bresson (1992 : 590), que ce soit tout autant l’« inadéquation des normes » qui, dans des moments historiques précis, est à la source de la corruption. C’est en effet dans le processus de modernisation des pays du tiers-monde que S.P. Huntington place son analyse, à savoir, en particulier, le fait que les nouvelles normes introduites, dont les nouvelles élites sont porteuses, viennent heurter des normes traditionnelles qui tolèrent des comportements apparaissant aujourd’hui comme corrompus.
12La définition « éthique » ou « morale » ressortit à ce qu’on pourrait appeler l’humanisme civique, qui conçoit l’homme comme un être essentiellement politique dont la nature se réalise dans le statut de citoyen participant activement à la vie publique au sein d’une « République vertueuse »(c/ Spitz 1996 : 282). Dans cette perspective morale, qu’Y. Mény symbolise en France, « la corruption [...] signifie la dénaturation des principes sur lesquels se fonde un système politique ». Autrement dit, la République est soluble dans la corruption. La définition insiste en conséquence sur la dimension « clandestine » ou « occulte » de l’échange entre le « marché politique » et le « marché économique », échange qui « viole des normes publiques, juridiques et éthiques et sacrifie l’intérêt général à des intérêts privés » (1995 : 12). D’autres auteurs s’inscrivent dans une démarche, que R. Lucchini nomme universaliste (1995 : 3), qui voit dans la corruption un danger pour les droits de l’homme ; ou plus exactement une « perversion systémique » de ces droits dans la mesure où l’échange de corruption est la négation ou l’exploitation du « tiers » et par là même l’aliénation de l’intérêt général (Meyer-Bisch, 1995 : 290). Proche du point de vue moral, l’approche universaliste se veut pourtant un dépassement ou plutôt une exacerbation de celui-là par l’inclusion des droits de l’homme. Elle est d’ailleurs tout entière représentée dans ce travail spécifique d’identification d’un « seuil de normativité » propre aux droits de l’homme (p. 295).
Les définitions non normatives : les approches économiques de « rent-seeking » et les approches sociologiques
13A l’opposé de ces positions normatives, la majorité des économistes centrent, plus ou moins explicitement comme le suggère J. Cartier-Bresson (1995 : 83), leurs définitions sur un marché de la corruption au sein duquel des prix se forment au gré de l’offre et de la demande, mais aussi des probabilités de sanction. C’est en particulier le cas de la théorie de la « recherche de rente ». Dans la mesure où « la recherche de rente décrit l’ensemble des activités menées dans le but de bénéficier d’une redistribution de la richesse collective », la corruption apparaît comme une forme particulière de recherche de rente, essentiellement dans le cadre de l’intervention publique (Vornetti 1998 : 13). Cette définition renvoie donc à des transactions marchandes entre un client (demandeur de rente) et un titulaire d’un office public ou d’un mandat électif (offreur de rente). Les comportements des agents sont analysés en termes de choix rationnel par lequel vendeurs et acheteurs s’engagent dans la corruption pour maximiser des opportunités et minimiser les coûts (Savona 1997). M.H. Khan note que les analyses économiques s’intéressent tout particulièrement au problème de l’allocation de ressources dans la mesure où « the final user of a resource is someone other than the one who would have had access to the resource otherwise » (1996 : 14).
14A.J. Heidenheimer représente ce que M. Johnston appelle l’approche subjective. Membre du cercle étroit des références incontournables, tout au moins dans le corpus qui est le nôtre, il codirigea, sur la base d’un de ses livres précédemment écrits, un manuel sur la corruption qui fait autorité (1989). S’appuyant sur une remarque de C. Leys qui soutient que la question de la corruption nécessite de savoir « under what conditions is behaviour most likely to occur which a significant section of the population will regard as corrupt » (1965 : 223), A.J. Heidenheimer (1989) propose une typologie en trois actes de la perception de la corruption. Elle s’étage du noir (situation dans laquelle à la fois l’élite et la « masse » condamnent quasi unanimement la corruption) au blanc (situation dans laquelle la majorité de l’élite et de la masse tolère la corruption qui n’apparaît donc plus comme telle). Une corruption grise renvoie au cas où, le plus souvent, l’élite demande une punition pour des actes que la masse accepte ou bien adopte à leur égard une attitude ambivalente. Nous ne reviendrons pas sur la critique de relativisme absolu que la plupart des auteurs de notre corpus adressent à cette conception (par exemple J.-L. Rocca 1993 : 19). Plus intéressante est la critique que J. Cartier-Bresson adresse à A.J. Heidenheimer quant aux rapprochements qu’il effectue entre certains des types de corruption définis et des systèmes politiques. Ainsi, pour A.J. Heidenheimer, la corruption blanche est-elle plus probable dans les systèmes traditionnels de relations politiques où prédominent les liens de parenté que dans une société de culture civique. J. Cartier-Bresson (1997 : 271) souligne que, ce faisant, il n’est pas pris en compte le fait qu’il y a une grande tolérance de la corruption politique dans les sociétés européennes.
15A. Morice, quant à lui, plaide en faveur d’une approche anthropologique de la corruption. Se référant à Marcel Mauss, il défend l’idée selon laquelle elle doit être envisagée comme un phénomène social total. Ainsi, il la définit « comme un mécanisme particulier de structuration politique des corps sociaux, qui se fonde sur l’appropriation privée d’une rente servie, le plus souvent, par la puissance publique » (1995 : 42). La corruption est, selon lui, une manifestation particulière de l’informel, défini non pas comme un secteur économique mais comme un mode particulier de répartition des richesses et un mode de contrôle et de domination (1991 : 144-145). Il envisage aussi la corruption comme un système contingent obéissant à une logique exponentielle. Combinant richesse et pouvoir, « le fait corruptif se fonde ainsi en même temps sur l’existence d’une manne et sur sa rareté » (p. 155). Juridiquement et éthiquement, il ne doit pas être, comme le fait le bon sens populaire, uniquement associé à la notion de puissance publique car il peut tout autant concerner le secteur privé. Il précise également qu’il n’est pas réductible à un échange marchand, encore moins monétaire ; l’échange peut porter sur des faveurs, des privilèges, des votes, des amitiés, une dépendance, une allégeance, etc. (p. 158). Enfin, dans le cas du Brésil, où il enquête sur les mécanismes de corruption dans l’attribution de logements et de terrains subventionnés, il aborde la corruption comme une « technique d’encadrement politico-administratif » de la population, et affirme qu’en général la relation corruptrice comporte les traits élémentaires suivant : c’est une relation de dépendance réciproque mais asymétrique (« sans protégés le métier de protecteur ne vaut rien » [p. 167]), structurante (idéologiquement : « la faveur finit par être perçue comme un droit » [p. 167], et socialement : « il se forme des chaînes de clientèle où les différents rapports sociaux s’imitent et se renforcent mutuellement dans tous les domaines de la vie de la cité » [p. 168]), excluante (il faut faire partie de la « bonne » clientèle, avoir fait le « bon » vote) et instable.
16A la lecture de la littérature consacrée à la notion de corruption, on s’aperçoit, à l’instar de A. Morice, que « tour à tour cause de fascination et de répulsion, la corruption est le prétexte de deux types complémentaires de raisonnements moralistes » (1991 : 152). Elle est ainsi désignée soit comme un « fléau », un frein au développement économique, soit au contraire comme un « mécanisme naturel de récupération », en quelque sorte un « mal nécessaire ». Sa définition se trouve le plus souvent assortie d’indications expliquant l’existence et l’ampleur du phénomène et de propositions d’actions pour la juguler ou la contrôler. Comme l’indique l’auteur, aussi contradictoires et antagonistes qu’elles puissent paraître, ces deux visions « ont en commun de s’enfermer dans une problématique volontariste qui, pour mieux intervenir sur le cours des choses, veut identifier des causes et des effets » (ibid.).
Du flou sémantique aux affres de la mesure
Une mesure impossible
17A bien des égards, mesurer la corruption apparaît comme une entreprise impossible. En premier lieu, la quantification du phénomène souffre tout particulièrement des imprécisions de sa définition. Même si l’on arrive à choisir une définition précise et opérationnelle, on n’aura pas pour autant résolu la question. En effet, la corruption pâtit des difficultés de mesure inhérentes à tout phénomène criminel. Quelles sont-elles ? Tout d’abord, toute entreprise de mesure doit s’évaluer à l’aune d’enjeux qui viennent entacher la vraisemblance de ses résultats. La mise à jour de faits corrupteurs en dit tout autant sur l’existence et l’efficacité des instances (presse ou justice par exemple) qui les ont fait apparaître que sur l’importance de la corruption dans la société concernée. Ensuite, de la même manière que l’on reconnaît l’existence d’un chiffre noir de la criminalité, on doit toujours garder à l’esprit que pour être tout à fait mesurable la corruption devrait être absolument visible, ce qui n’est évidemment pas le cas. Et ce d’autant plus que, comme le souligne Y. Mény (1996), les formes de la corruption sont de plus en plus sophistiquées pour devenir quasi invisibles10. Il est d’usage en sociologie criminelle (Bessette 1989 : 496) de distinguer la criminalité réelle (soit l’ensemble des infractions commises), par définition inconnue, la criminalité apparente (l’ensemble des infractions connues des instances judiciaires) et la criminalité légale (l’ensemble des infractions légalement sanctionnées comme telles). Si le troisième type présente les caractères de la définition durkheimienne du crime11, on conçoit aisément qu’en matière de corruption ce seul domaine ne suffise pas à satisfaire l’intérêt des chercheurs. C’est bien sur ce que l’on pourrait appeler la corruption réelle qu’ils veulent porter leur attention et ils sont, pour ce faire, contraints d’user de voies détournées, comme par exemple la mesure, non pas des actes de corruption, mais de leurs effets (incidences économiques, coûts, etc.) ou de la valeur des biens impliqués, ou encore la mesure de la perception de la corruption.
18Ces efforts restent cependant bien laborieux. Si S.P. Huntington (1968) introduit les notions de « scale of corruption », qui est la valeur moyenne des biens privés et des services publics impliqués dans les échanges corrupteurs, et de « incidence of corruption », qui est la fréquence des actes de corruption, dans une population donnée, il se garde bien pourtant d’en fournir une estimation chiffrée. Certes, de nombreux auteurs soulignent qu’il n’existe pas de statistiques de la corruption, par exemple V Tanzi (1998) ou A. Etchegoyen (1995), mais ils ne nient pas qu’il puisse exister des statistiques. Tous les moyens sont donc bons. On voit ainsi J.-F. Médard (1998 : 60) évoquer des quantificateurs aussi vagues que la « convergence de témoignages » pour affirmer que la corruption s’est aggravée en Afrique avec la crise économique des années 80-90. M. Johnston (1993b) ajoute alors que la corruption ne peut se mesurer que par le biais des scandales et donc de son exhibition médiatique. A ce titre, presse et justice constituent des révélateurs et des compteurs de la corruption prise comme un événement. Cependant, force est de souligner que l’absence de scandales n’est pas absence de corruption. A.J. Heidenheimer (1996 : 393) relève même que corruption et dénonciation varient probablement de manière indépendante. A. Morice (1995 : 59), pour sa part, suggère que les révélations de corruption peuvent avoir pour effet de promouvoir une alliance objective entre partis politiques pour désigner des boucs émissaires et parer à d’éventuelles dénonciations dans une sorte de pacte de non-agression.
Des mesures de la perception de la corruption
19Il existe des mesures de la corruption qui permettent de comparer et de classer différents pays entre eux, tel l’indice de perception de la corruption, s’échelonnant de 0 (très corrompu) à 10 (très intègre), qu’a produit Transparency International. Cet indice est obtenu par enquête auprès de directeurs de société auxquels il est demandé d’évaluer le niveau de corruption des services publics de différents pays. Outre la mesure fournie par Transparency International, l’article de A. Ades et R. Di Tella (1996 : 7) liste trois sources de données. La première mesure est issue de Business International, filiale de The Economist Intelligence Unit. Les données reposent sur un réseau de correspondants qui évaluent sur une échelle de 1 à 10 la quantité de transactions commerciales qui impliquent des pots-de-vin. Les résultats concernent 70 pays et la période de 1980 à 1983. La deuxième mesure a pour origine le World Economic Forum (Suisse), qui publie le World Competitiveness Report. Les données sont produites sur la base d’une enquête auprès de grands et moyens patrons des entreprises les plus dynamiques des pays concernés. Depuis 1989, il leur est posé une question sur la corruption, à savoir le degré de pratiques illégales qui touchent la sphère publique. Le troisième type de mesure renvoie à une publication allemande, Impulse, qui est une revue d’affaires. Les données sont également produites sur la base d’une enquête auprès d’hommes d’affaires allemands dont les entreprises ont des relations commerciales avec les pays considérés. Il leur est demandé une estimation des commissions versées (en pourcentage de la valeur des transactions) lors des contrats commerciaux passés avec divers pays. Les résultats ont été publiés en 1994 et concernent 103 nations.
20La question de la mesure nous conduit à la question du comparatisme. Si les prises de position moralistes ou les présupposés rationalistes des approches économiques sont un obstacle à l’entreprise comparatiste, J.-F. Médard (1997a : 263) indique la limite relative aux coûts d’une recherche forcément internationalisée. J. Cartier-Bresson (1997) suggère pour sa part l’insuffisance d’une réflexion sur les termes de la comparaison dans la mesure où il relève que les typologies sont pour la plupart indexées au contexte des pays du tiers-monde et donc peu transférables au contexte des pays de l’Europe de l’Ouest. R. Lucchini (1995 : 221) estime que l’analyse comparative est indispensable pour dépasser les points de vue stérilisants du « relativisme radical » ou de l’ethnocentrisme. Il évoque alors la nécessité de comparer l’expérience singulière que des cultures différentes font des droits de l’homme.
21La classification élaborée par Transparency International occupe une place de choix dans les analyses comparatives. A.J. Heidenheimer (1996) cherche tout particulièrement à expliquer les variations de la perception de la corruption dans les pays de l’Europe qui vont des « moins corrompus » (à savoir les « petits » pays européens du Nord et la Grande-Bretagne) aux « plus corrompus » (comme l’Italie, l’Espagne et la Grèce), en passant par les « peu corrompus » (la France, l’Allemagne, la Belgique et le Portugal). L’auteur assigne à ces différences entre le « nord » et le « sud » de l’Europe deux raisons essentielles : d’une part, une stricte séparation entre la sphère publique et la sphère privée qui caractérise les sociétés protestantes du Nord, et, d’autre part, la faible politisation de l’administration des pays du Nord12. J. Cartier-Bresson (1997) nuance les analyses de Heidenheimer. Notant, tout d’abord, que l’Europe de l’Ouest connaît une grande corruption liée à des réseaux sociopolitiques et consubstantielle au développement du financement illégal des partis politiques, ensuite, que le classement de Transparency International fait cependant ressortir des différences entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, l’auteur souligne que, si la formation des élites administratives, les idéologies de l’engagement politique, la confiscation du politique par une « caste de professionnels », les modes de scrutin ou encore le cumul des mandats apparaissent comme des facteurs explicatifs, il n’existe pourtant pas de corrélation simple entre ces variables et le degré de corruption, même si dysfonctionnements administratifs, relations clientélaires, organisations criminelles ressortissent aux pays du Sud.
22A. Sindzingre relève d’emblée que « la corruption n’est pas plus profonde ou répandue en Afrique subsaharienne qu’en Asie, avec en outre des variations marquées entre pays » (1997 : 393). Même s’il nous semblerait plus pertinent d’explorer ces variations, l’auteure préfère quant à elle nous proposer une analyse comparative de « grande portée », entre l’Afrique et l’Asie de l’Est. Elle cherche de manière privilégiée à dégager les facteurs qui expliquent les différences de développement économique entre les deux ensembles régionaux. Outre la nature de l’Etat (des Etats prédateurs en Afrique contre des Etats à l’autoritarisme « bienveillant » avec de bonnes capacités administratives en Asie) et l’héritage colonial, A. Sindzingre met l’accent sur la structure des réseaux. Limités et fragmentés, les réseaux africains n’offrent pas les mêmes potentialités de connexion aux marchés internationaux que les réseaux asiatiques dont les règles de confiance garantissent les relations au sein de groupes dispersés. Ces réseaux s’appuient, en outre, sur les diasporas chinoises qui, il est vrai, étaient favorisées dans leurs rôles d’entrepreneur par l’Etat, au contraire du cas africain. J.-P. Daloz et M.-H. Heo, dans une comparaison plus serrée entre le Nigeria et la Corée du Sud, rejoignent certaines de ces conclusions. Ils soulignent cependant que les pratiques sont bien plus « l’ordinaire de tous les instants » (1997 : 367) en Afrique qu’en Asie, même si la corruption s’ancre, dans les deux pays, dans des logiques de redistribution et de prestige social. J.-F. Médard (1997b) compare les différents modèles de corruption internationale dans le cas de l’Afrique. Il distingue le modèle franco-africain du modèle « classique » lié au commerce international qui concerne les autres pays. Les spécificités du premier modèle ont trait au fait que la France a conservé des liens privilégiés avec ses anciennes colonies ; c’est-à-dire qu’à côté d’une corruption classique, on trouve une corruption de réseau passant par des liens personnels qui mêlent échanges économiques et échanges politiques et qui permettent, à la fois, à la France de préserver sa position internationale et aux dirigeants africains de reproduire leur pouvoir et d’accroître leurs richesses.
Les « facilitateurs » de la corruption
23Nombre d’auteurs tentent de décrire et d’analyser les causes et les conséquences de la corruption, que ce soit en termes politiques, économiques, sociaux ou culturels. Pourtant, la distinction est malaisée et le plus souvent, ils finissent par avouer que « les causes et les conséquences interagissent et deviennent indissociables » (Médard 1998 : 59), si bien qu’ils précisent que les options qu’ils ont choisies peuvent être parfois artificielles ou arbitraires : « Causes et conséquences sont en effet intimement liées dès lors que de nombreuses sources de corruption s’expliquent par l’adaptation des acteurs économiques aux conséquences de la corruption » (Cartier-Bresson 1998 : 29). Nous pourrions multiplier les citations exprimant cette idée. Loin de nous l’idée de récuser, sur le fond, le bien-fondé de ces propos. Loin de nous aussi la volonté de contester, dans son principe, la pertinence d’une analyse des causes de la corruption. Cependant, nous devons émettre quelques réserves quant à la valeur analytique d’un raisonnement qui noie deux antonymes dans une indistinction savante et qui liste des causes sans être capable de les hiérarchiser13. Mais, en l’occurrence, les analyses des « causes » de la corruption, outre qu’elles viennent fréquemment expliquer l’augmentation constatée du phénomène, s’inscrivent souvent dans une perspective volontariste dont l’objectif est la mise en place de moyens de lutte14. Ainsi, moyens de lutte et causes de la corruption se réfléchissent mutuellement de telle manière que les secondes n’ont plus besoin d’être explicitées rigoureusement. En conséquence, plutôt que de parler de causes, il nous a paru plus opportun d’employer une notion floue, celle de « facilitateur »15.
Une corruption en augmentation
24Même en l’absence de mesure rigoureuse de la corruption, il existe un consensus parmi les auteurs pour estimer que le phénomène de la corruption est en augmentation. Y. Mény (1995) identifie ainsi les « changements structurels profonds » qui incitent à penser que la corruption est en extension depuis vingt ans, à savoir, d’une part, les changements dans les modes de régulation économique qui sont liés à la « vague néolibérale » et qui s’appellent privatisation, dérégulation, globalisation des échanges, et, d’autre part, un ensemble de dispositions psychologiques plus favorables liées au fait que les valeurs dominantes actuelles sont l’appât du gain et le cynisme. Dans un article ultérieur, Y. Mény (1996) ajoute que la baisse du nombre des militants et donc des recettes des partis politiques conjuguée avec des coûts de campagne électorale de plus en plus onéreux, en induisant des besoins de financement considérables, est aussi une de ces conditions objectives facilitant l’extension de la corruption. A propos de la « vague néolibérale », il note également, mais de manière vague, qu’elle provoque des opportunités nouvelles de corruption en produisant une situation de transition dans laquelle les règles anciennes disparaissent sans que les nouvelles règles soient pleinement affirmées et appropriées. Dans une perspective proche, ce sont, en fin de compte, chez A. Etchegoyen (1995) l’érosion du sens moral et la perte du sens du devoir, ou bien, chez J. Cartier-Bresson (1997), la dissolution des vertus civiques, qui, en baissant le coût moral de la transgression, participent à la floraison de la corruption en France et plus généralement en Europe. A. Etchegoyen met aussi l’accent sur les conditions suivantes favorables au développement de la corruption : l’explosion des pratiques de lobbying, auprès des parlementaires en particulier, et la structure de plus en plus emboîtée et de moins en moins transparente des groupes industriels qui accompagne le vaste mouvement de restructuration financière et économique des entreprises internationales. J. Cartier-Bresson fait, quant à lui, l’historique de l’augmentation de l’offre de corruption en Europe. Il voit dans le fait que l’Etat est devenu pendant les années 50 un acteur majeur de l’économie (développement de l’économie mixte et de l’Etat-providence) un trait important de l’expansion de l’offre de corruption. Celle-ci est renforcée, outre les points relevés ci-dessus, par les politiques de privatisation des années 80, mais aussi par les grands-messes comme les grandes manifestations sportives mondiales. V Tanzi (1998 : 4-5) fait l’hypothèse que l’augmentation constatée de la sensibilité aux phénomènes de corruption16 est consubstantielle à une augmentation réelle de la corruption. A l’appui de cette hypothèse, il avance, à l’instar de J. Cartier-Bresson, l’interventionnisme grandissant de l’Etat dans la régulation et le contrôle de l’économie depuis les années 60, qui a pour conséquence de multiplier les règlements et les autorisations d’activité, la flambée du commerce international, les privatisations, qui ont certes permis d’éliminer la corruption des entreprises publiques impliquées dans le financement des partis politiques, mais sont facteurs de corruption dans les économies en transition.
Trop ou trop peu d’Etat ?
25Que ce soit comme atténuateur ou stimulateur de la corruption, l’Etat apparaît comme le facilitateur par excellence. Il se situe au cœur des théories normatives, qui, en ce sens, sont moralisatrices, qu’elles prônent une forme de moralisation de l’action publique, au besoin en diminuant la sphère d’intervention étatique, ou bien qu’elles souhaitent au contraire renforcer le pouvoir moralisateur de l’Etat, notamment par la promotion des droits de l’homme. Nous ne pouvons traiter ici la question de l’Etat dans son entier. Nous en donnerons juste quelques aperçus, insistant plus spécifiquement sur les positions contrastées qu’elle engendre, notamment sur la base d’une comparaison entre deux pôles extrêmes, le pôle libéral et le pôle universaliste.
26J. Cartier-Bresson (1992 : 382) note que les plans d’action des organisations internationales dans le tiers-monde, en cherchant à promouvoir des solutions à la fois politiques (démocratisation et éradication de la corruption) et économiques (ajustement structurel) depuis le début des années 90, s’inscrivent dans le projet global d’organisation politique et économique de la pensée libérale dont le leitmotiv est moins d’Etat. Ces plans d’action rejoignent les théories libérales des années 60 car ils ont pour hypothèse sous-jacente l’idée que la corruption est plus intense dans les sociétés se trouvant dans des phases particulières de leur évolution, à savoir la phase de modernisation des pays du tiers-monde. S.P. Huntington (1968), figure essentielle de ce courant, soutenait en effet que la modernisation encourage la corruption parce que notamment, au fur et à mesure qu’elle s’installe, l’État étend son emprise sur les activités économiques et se met à réguler bureaucratiquement des pans de plus en plus larges de la vie sociale et économique. Dans ce contexte, la corruption est l’huile dans le moteur économique (« lubricant easing »), à savoir, une forme de réponse adéquate dans un système trop rigide. Les mots ont été lancés, la question de l’Etat est partie prenante d’une géopolitique de la corruption. Les propos de J. Cartier-Bresson résument bien aujourd’hui cette idée : « Quels que soient leurs régimes politiques, les PED possèdent tous une fragilité vis-à-vis de la corruption supérieure à celle des pays développés simplement parce que les défaillances de l’Etat et du marché y sont supérieures et qu’elles déterminent de violentes distorsions » (1998 : 26).
27L’Afrique occupe ici une place de choix. A tel point que cette question accède à la légitimité sur la scène internationale pour la première fois, en 1989, dans un rapport de la Banque mondiale consacré à l’avenir de l’Afrique (cité par Sindzingre 1994 : 4)17. La corruption fait ainsi partie d’un package qui met la nature de l’Etat et de l’administration au cœur de l’explication de l’échec des programmes d’ajustement structurel (PAS) appliqués à l’Afrique au début des années 80 (Cartier-Bresson 1998 : 25). Cette vision d’un rapport particulier des PED à la corruption conduit, à partir du milieu des années 90, les agences internationales à prendre conscience des effets hautement négatifs de la corruption sur le développement et à soumettre l’octroi de l’aide financière aux conditions de la good governance (Sindzingre 1997 : 387). Pourtant, depuis peu, ce sont aussi les pays développés ou les pays émergents qui sont sur la sellette. Ce fait nouveau souligne par défaut que l’entreprise de désignation des pays dits corrompus renvoie à une stigmatisation différentielle, affaire de pouvoir s’inscrivant dans les rapports de domination Nord-Sud, à laquelle les pays du Sud peuvent se montrer sensibles18.
28Si donc, globalement, le moins d’Etat caractérise la pensée libérale, les discours ne sont pas figés. Citant un rapport de la Banque mondiale de 1997, A. Sindzingre (1997 : 386-87) montre que les institutions internationales d’aide, après l’échec des réformes économiques des quinze dernières années, commencent à s’interroger sur la nécessité de restaurer et de consolider l’Etat dans les pays en développement. On rejoint ici les théories universalistes. Soulignant que « la tolérance des libéraux à son égard [la corruption] tient sans doute davantage à leur défiance envers l’Etat qu’à leur confiance dans les mécanismes d’autorégulation du marché » (Delmas-Marty 1995 : 18-19), les théories universalistes promeuvent la restauration de l’Etat en tant qu’instance neutre garantissant à la fois les droits individuels et la stricte séparation des sphères publique et privée. Il ne faudrait cependant pas opposer trop schématiquement les théories libérales aux théories universalistes sur le plan fonctionnel. Ainsi, les théories libérales admettent que la corruption n’est fonctionnelle qu’à petite dose (Huntington 1968 : 69) : un verre de corruption, ça va, trois verres, bonjour les dégâts ! De même, Y. Mény (1992 : 18) admet, pour la France, qu’il peut y avoir une « nécessité fonctionnelle » de tricher19 avec les règles en raison du centralisme bureaucratique.
La controverse culturaliste : existe-t-il des cultures spécifiques de la corruption ?
29En introduction à une revue consacrant son numéro à la thématique de la corruption, J.-F. Médard note : « Des divergences apparaissent cependant sur le poids et la portée à accorder aux explications de type culturaliste » (1997a : 264). Le débat est en effet vif, selon J.-P. Daloz et M.-H. Heo (1997 : 363), entre, d’une part les tenants d’une « théorie continuiste » qui voient dans les pratiques de corruption actuelles une filiation avec des pratiques traditionnelles, et, d’autre part, les « africanistes tiers-mondistes » qui voient la corruption comme un phénomène moderne lié à la période coloniale puis postcoloniale. En Extrême-Orient, les auteurs signalent également l’oscillation des positions entre deux thèses extrêmes qui apparaît caractéristique de la controverse : « Après avoir érigé cette doctrine [le confucianisme] en variable explicative multidimensionnelle, on se livre aujourd’hui à des rejets sans nuances. Les cultures sont peut-être de plus en plus en interaction et donc hybridées mais ceci n’exclut nullement la permanence de noyaux durs assez résistants. L’influence du néo-confucianisme est manifeste dans toute la région, même si les analyses comparatives sérieuses se doivent de montrer qu’il ne s’agit pas d’un bloc monolithique » (ibid.). Cette tension est résumée par la formule suivante, que l’on doit à J.-F. Médard : « Mais si l’on n’explique rien par la culture, on ne comprend rien sans elle » (1998 : 56)20.
30A. Elorza (1995 : 84) parle ainsi de « mentalité favorable » à la corruption politique en Espagne, mentalité qui renvoie à des usages du passé tels que le trucage systématique des élections, le système des caciques ou encore le système de la recommandation, l’utilisation de liens personnels dans la résolution de problèmes. Si le titre de l’article de J.-L. Rocca (1996) prend parti pour une position « anticulturaliste », le contenu est plus nuancé21. En effet, J.-L. Rocca admet que les logiques de redistribution communautaire ou les relations personnelles (« guanxi ») ont un rôle important ; simplement, il leur dénie la faculté de rendre compte de l’ensemble de la corruption chinoise aujourd’hui par l’entremise d’un « besoin communautaire ». L’auteur en appelle, en particulier, à prendre conscience du fait que les communautés actuelles sont plus larges et ouvertes que les solidarités traditionnelles. Notons que les positions culturalistes qu’il dénonce semblent bien marginalement dans leurs outrances. Pour A. Sindzingre (1997), les valeurs culturelles sont de « faible capacité heuristique » (p. 394) dès qu’on veut expliquer les niveaux de corruption de l’Afrique ou de l’Asie, ainsi que leurs contrastes. Pour l’auteure, la culture du détournement ou l’économie morale qui concourent toutes deux à parler de pratiques illégales rendues licites par le biais des redistributions communautaires sont des « pièges explicatifs faciles » (p. 396). Pourtant, A. Sindzingre (1994) adopte la notion de « pression communautaire » (p. 16) pour comprendre une partie des « logiques sous-jacentes » (p. 13) qui rendent compte de la corruption africaine. Cette notion renvoie à la « force » des réseaux d’appartenance communautaires qui impliquent un tissu serré de droits et d’obligations, en particulier de solidarité ; et ce, même si la nature de la communauté s’est modifiée avec l’urbanisation.
31L’article de J.-P. Olivier de Sardan (1996) attaque de front le problème de la culture et des incitations pratiques que celle-ci induit à la fois sur des comportements communs de corruption et sur les discours de légitimation de ceux-ci. Il est à notre connaissance la seule tentative originale à ce sujet. Ce n’est évidemment pas, ainsi qu’il le souligne, à une théorie déterministe ou monolithique de la culture que l’auteur se réfère, mais bien plutôt aux « affinités » qui existent entre des pratiques et certains systèmes de valeurs et codes culturels qui mêlent des éléments anciens recomposés à des éléments nouveaux. J.-P. Olivier de Sardan distingue ainsi six « logiques de comportement » qui peuvent influer sur des pratiques diverses de la corruption : une logique de la négociation et du marchandage, une logique du courtage ou de l’intermédiaire, une logique du cadeau, une logique du devoir d’entraide de réseau, une logique de l’autorité prédatrice et une logique de l’accumulation redistributrice. Pour l’auteur, ces logiques, en dissolvant « les pratiques juridiquement répréhensibles dans un tissu de pratiques voisines et socialement communes, acceptables, et même valorisées » (p. 108), facilitent l’« acceptation culturelle » de la corruption en la banalisant. Le concept d’« affinité » n’est certes pas suffisant pour éviter l’écueil du culturalisme, il peut n’être qu’une élégance de langage. En replaçant la corruption en Afrique dans un contexte de faillite des élites politiques, de développement général de la corruption, en introduisant la notion de « facilitateurs » qui accélèrent les effets des logiques précédemment identifiées et qui sont, d’une part, la surmonétarisation contemporaine des échanges, et, d’autre part, le sentiment traditionnel de « honte », régulateur social important qui intervient ici, par exemple, pour dénigrer un individu qui refuserait un service à une personne recommandée, J.-P. Olivier de Sardan surmonte ce piège qui ferait de la corruption une affaire de « culture africaine ».
***
32A l’issue de cette présentation, nous aimerions proposer au lecteur quelques réflexions critiques. A bien des égards, nous avons été frappés par l’empreinte du moralisme dans les recherches sur la corruption. Comme nous l’avons vu, tant au niveau de sa définition qu’à celui de l’explication de ses causes, pour être légitime, la recherche sur le phénomène semble devoir adhérer de manière partisane à la mobilisation qu’il suscite. C’est que la corruption est affaire de morale, son existence offense. Il n’est pour s’en convaincre que de relever les titres des articles de presse qui lui sont consacrés. Sommairement, on constate qu’ils utilisent un lexique dont les deux registres principaux sont l’un médical et l’autre guerrier. Notons au passage que le vocabulaire mobilisé par les chercheurs appartient bien souvent aussi à ces catégories. Ainsi, la corruption est un « fléau » sur lequel « on a longtemps fermé les yeux », qui « gangrène » les entreprises et « rend malade » l’Etat, et contre lequel les « pionniers de la lutte », ces « chasseurs aux mains propres », sont entrés en « guerre ». Une étude des discours sur la corruption serait la bienvenue.
33Le deuxième élément qui nous a interpellés est l’ancrage disciplinaire des études sur la corruption. Les sciences sociales sont encore relativement absentes et le champ est largement dominé par les économistes et les politologues. Cela explique peut-être le fait qu’il n’y ait pas de lien, ou si peu, avec la sociologie criminelle ou la sociologie de la déviance dont les domaines d’investigation sont pourtant très proches22.
34Enfin, dernier point, la corruption apparaît comme un problème social et devrait être étudiée comme tel. En effet, cette notion pâtit de certaines de ces caractéristiques : une définition introuvable, l’absence de mesure objective et des causes obscures (des origines multiples et non hiérarchisées), de telle manière que, pour la constituer en objet sociologique, une rupture avec les définitions socialement admises semble devoir s’imposer. Incorporer à la problématique les conditions de son émergence pourrait être le premier moment de cette rupture. En effet, comme l’indique R. Lenoir, « ce qui est constitué comme problèmes sociaux varie selon les époques et les régions et peut disparaître comme tel alors que les phénomènes qu’ils désignent subsistent » (1996 : 57). Dès lors, il convient de s’interroger sur le travail de construction de la réalité sociale qui a permis la reconnaissance de la corruption comme problème majeur, et l’a rendue digne d’attention ; d’étudier les conditions sociales qui ont rendu possible l’entreprise de promotion du problème, le travail spécifique d’énonciation et de formulation publiques qu’ont dû opérer ceux que H.S. Becker (1985) appellerait des « entrepreneurs de morale », leurs enjeux (tant nationaux qu’internationaux) et les stratégies qu’ils ont mises en œuvre, de manière à comprendre par quel processus le problème de la corruption a pu se construire et s’institutionnaliser.
35D’aucuns reprochent à cette posture d’être une forme de synecdoque remplaçant l’essentiel par le superflu. « Déconstruire les discours constitutifs des problèmes sociaux laisse toujours l’impression d’un jeu irresponsable de massacre, d’un amour pervers pour la destruction de la réalité », remarque B. Lahire (1997 : 66). Mais il ne s’agit que d’une impression. Faire la sociogenèse d’une catégorie ne consiste pas à fuir ou à nier la réalité. L’étude des discours ne doit pas relever du plaisir de la destruction, mais constituer un déplacement de l’attention à des fins d’intelligibilité. Si la démarche sociogénétique entre apparemment en contradiction avec la position réaliste, elle ne peut, pour autant, prétendre s’y substituer. Il convient alors de reconnaître leurs nécessités combinées, d’admettre la pertinence tant du travail sur « les mots » que de celui sur « les choses » (ibid.), tous deux producteurs de connaissances sur le monde social.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Signalons à titre d’exemple Waquet (1984) et Albert (1984) sur la vénalité de la presse française sous la Troisième République.
2 Le 17 décembre 1997, les pays de l’OCDE, ainsi que cinq autres nations, ont signé une convention visant à instituer la lutte contre la corruption des agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales.
3 Un nombre important de revues consacrent un numéro spécial à la question ; le mot est introduit dans le dictionnaire de sciences politiques (Colas 1997) ; de même, pour ne citer qu’elles, la collection Que sais-je? lui accorde un titre (Alt et Luc 1997) et La Documentation française un volume de la collection dédiée aux « Problèmes politiques et sociaux » (Mény 1997).
4 C’est chez un agronome, René Dumont, que nous trouvons en 1962 une violente diatribe sur la corruption en Afrique. Elle ne représente cependant que quelques pages dans un livre « généraliste » (Dumont 1962).
5 L’expression est d’A. Morice (1995 : 48).
6 Cette remarque s’applique aussi au classement que nous avons choisi (normatif-non normatif).
7 Au point d’être traitée avec humour dans un working paper du FMI : « However, like an elephant, even though it may be difficult to describe, it is generally not difficult to recognize when observed » (Tanzi 1998 : 8).
8 Il ne faut pas coupler le mot « normatif » avec le mot « moraliste ». Ce sont à nos yeux deux points de vue différents même s’ils peuvent se recouper.
9 Remarquons que J.S. Nye ne parle pas clairement de normes légales mais de devoirs formels, sans pour autant spécifier ce qu’il entend par là.
10 Une bonne description des difficultés des juges à appréhender les circuits de l’argent de la corruption nous est donnée par D. Robert (1996).
11 « Nous appelons crime tout acte puni », écrivait, en 1894, E. Durkheim dans Les règles de la méthode sociologique (1983 : 35).
12 Notons que les variances des notes de certains pays (France, Belgique, Espagne, Italie, Grèce) sont telles que le partage Nord-Sud paraît sujet à caution, d’autant plus que les bornes des trois catégories (des très corrompus aux moins corrompus) ne sont pas homogènes (larges ou étroites). Cependant, il n’est pas contestable, à la vue du tableau, que les pays du nord de l’Europe sont les moins corrompus.
13 Alors qu’identifier une relation de causalité consiste bien à hiérarchiser des relations de dépendance entre variables statistiques. On perçoit mieux ici l’importance de la mesure.
14 A titre d’exemple, un peu extrême, on trouve dans un chapitre du Rapport sur le développement dans le monde, intitulé « Mettre fin à l’arbitraire et à la corruption », une section consacrée aux « causes de la corruption » où les auteurs énumèrent un certain nombre de « facteurs incitants » du type « dans les pays où l’Etat ne fait pratiquement rien pour empêcher la pratique des dessous-de-table, le degré de corruption risque d’être élevé » ou encore « la corruption peut devenir une pratique florissante si les conséquences d’être pris et sanctionné sont faibles par rapport aux avantages qu’elle procure », le tout appuyé avec force par des tableaux statistiques (Banque mondiale 1997 : 118-119).
15 Nous empruntons l’expression à J.-P. Olivier de Sardan (1996 : 109).
16 Qu’il attribue à de nombreux facteurs : la fin de la guerre froide et la découverte du phénomène dans les pays à économie centralisée, la poussée démocratique et l’existence de médias libres, le rôle des ONG qui ont pour objet la lutte contre la corruption, la multiplication des recherches empiriques (1998 : 4-5).
17 Notons cependant que le thème n’était pas inédit puisque, déjà en 1983, un rapport de la Banque mondiale s’intéressait aux effets dévastateurs de la corruption sur l’efficacité bureaucratique et le développement socio-économique des pays développés (cité par Klitgaard 1988 : 28).
18 L’attitude des autorités chinoises lors de la 7e Conférence internationale contre la corruption montre bien les enjeux de cette stigmatisation. Acceptant de l’accueillir sur leur territoire, elles ont cependant contrôlé les échanges entre Chinois et étrangers par la censure de certaines contributions, l’exclusion de journalistes, le refus de délivrer des visas aux délégués jugés indésirables, etc., et ont ainsi manifesté leur volonté de ne pas se laisser imposer une manière de traiter la question (cf. Cabestan 1995).
19 Voir aussi J.-C. Usunier et G. Verna (1994). Les auteurs introduisent la notion de « triche » pour décrire ces pratiques « forcées » comme réponses fonctionnelles à des réglementations déraisonnables.
20 D. Cuche nous indique qu’il est nécessaire, si l’on ne veut pas réduire les faits sociaux à des faits culturels, de replacer l’analyse des seconds dans le cadre des relations sociales. La formule de J.-F. Médard, bien que largement admise dans les sciences sociales, paraît insuffisante dans la mesure où, justement, elle ne permet pas de penser l’articulation entre relations sociales et faits culturels.
21 Le titre en effet marque une « dénonciation » directe des dérives culturalistes, selon J.-L. Rocca, d’un article de J. Andrieu dans ce même numéro et qui s’appelle « Chine, une économie communautarisée, un Etat décomposé » (pp. 669-687).
22 Les problèmes que pose la perception de la corruption pourraient être abordés dans le cadre de la notion de déviance telle que la définit H.S. Becker : « Les groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression constitue la déviance, en appliquant ces normes à certains individus et en les étiquetant comme déviants. De ce point de vue, la déviance n’est pas la qualité de l’acte commis par une personne, mais plutôt une conséquence de l’application, par les autres, de normes et de sanctions à un “transgresseur” » (1985 : 32-33).
Auteurs
Ingénieur agronome ; anthropologue ; allocataire de recherche à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Marseille.
Sociologue ; chargé de mission au Groupe permanent de lutte contre l’illettrisme, Ministère de l’emploi et de la solidarité ; doctorant à l’Université de Provence, Aix-en-Provence.
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