Ali Baba et les quarante voleurs. La corruption dans l’Argentine de Carlos Menem
p. 195-220
Texte intégral
« No sé si los peronistas son corruptos o cleptómanos. Pasan al lado de una mesa, ven un cenicero y se lo llevan. Y luego ven 300 millones y también se los meten en el bolsillo. Es un fenómeno que todavia no se estudió debidamente. »1
Jacobo Timerman, La Nación, 29 septembre 1996
1En théorie, un Etat qui passe d’un régime politique autoritaire à un régime démocratique et d’une économie étatisée à une économie de marché devrait voir baisser son niveau global de corruption. La démocratisation est réputée avoir un effet négatif sur la corruption pour diverses raisons : indépendance du judiciaire, liberté de la presse, imputabilité des services publics, transparence des décisions et des procédures politiques. De même, la libéralisation économique, associée à l’établissement de règles uniformes et claires, mettant fin aux monopoles et introduisant davantage de concurrence, est réputée diminuer les incitations à la corruption. Cette idée est corroborée par les observations empiriques, par exemple par Ades and Di Tella qui concluent : « Les effets de l’ouverture [la part des importations dans le produit intérieur brut] sur la corruption sont à la fois négatifs et importants » (Ades and Di Tella 1996).
2Comment dès lors expliquer un cas comme celui de l’Argentine, dans lequel le retour à la démocratie en 1983 et la libéralisation économique n’ont apparemment pas entraîné une baisse de la corruption ? L’Argentine est en effet régulièrement citée comme un pays où la corruption est non seulement de pratique courante mais en augmentation2. La population du pays se préoccupe tout autant de cette situation, ce que reflètent avec constance les sondages d’opinion : en 1996, 81 % des personnes interrogées étaient persuadées de l’existence d’une mafia liée au pouvoir politique3 et la corruption reste mentionnée régulièrement comme faisant partie des trois principaux problèmes du pays, avec le chômage et les problèmes de la croissance économique (Hufty 1996 ; 1993).
3Un élément de réponse à cette anomalie nous est donné par ce que Harris-White and White (1996) qualifient de « nouvelle corruption ». Si l’autoritarisme et le dirigisme économique favorisaient la corruption par le règne de l’arbitraire et l’opacité des règles, la libéralisation et la démocratisation n’abaissent pas nécessairement le niveau global de corruption. Tout dépend de la dynamique qui se met en place lors des périodes de transition, alors que les systèmes de contrôle sont affaiblis et que l’incertitude juridique ou administrative se généralise. D’une part, du côté de l’offre, il est possible que la corruption se déplace vers le secteur privé. Apparaissent de nouvelles élites, liées au marché ou mafieuses, qui interviennent à leur tour auprès d’un Etat, resté principal régulateur, en vue d’obtenir des avantages économiques. D’autre part, du côté de la demande, la concurrence entre les partis politiques, liée à la démocratisation, entraîne des besoins financiers considérables. Dans des systèmes politiques où la valeur dominante n’est souvent pas la probité, il peut être tentant pour les nouvelles élites politiques, sachant qu’elles ne resteront au pouvoir que relativement peu de temps, de profiter au maximum de leur passage au contrôle de l’Etat pour s’enrichir.
4Une objection possible à cette thèse serait que l’importance récente accordée à la corruption, ou sa plus grande visibilité, viendrait du fait que les autres problèmes naguère plus urgents – instabilité politique et économique -se sont estompés ou que le phénomène est désormais mis en évidence par une presse plus libre et des institutions plus transparentes. Est-ce le cas en Argentine ? Quelles sont la nature et l’étendue de la corruption sous le gouvernement de Carlos Menem ? Quelle est l’implication du gouvernement et du président ? Je répondrai à ces interrogations en quatre points.
5Premièrement, la corruption est ancienne en Argentine ; elle est étroitement liée à ses traditions en matière de gestion publique. Quel que soit le type de régime politique, cette tradition s’est maintenue, en partie du fait de l’importance de la place de l’Etat dans l’économie et de la réglementation à l’excès de l’activité économique, qui ont créé une véritable industrie de la fraude et une culture de la corruption. Deuxièmement, si la démocratisation et l’ouverture économique de l’Argentine ont effectivement diminué la « petite corruption » – le pot-de-vin qu’il fallait verser pour obtenir une ligne téléphonique par exemple –, la corruption s’est concentrée vers le haut et a atteint un niveau sans précédent. La politique est devenue le moyen le plus rapide de s’enrichir. De fait, plus on monte dans la hiérarchie, semble-t-il, plus nombreuses sont les occasions de faire des « affaires » et plus importants sont les montants impliqués.
6Troisièmement, cela s’explique par la nature même du système politique argentin et du parti au pouvoir de 1989 à 1999, plus caractérisés par le patri-monialisme et le clientélisme4 que par une gestion de type légale-rationnelle, mais aussi par l’absence totale de scrupules des dirigeants politiques argentins. Quatrièmement, cette faible moralité, cette absence apparente d’éthique dans la gestion publique, a été associée à une impunité quasi totale, permise par une mainmise de l’exécutif sur les pouvoirs judiciaire et législatif, aussi bien que sur les éventuels organes de contrôle administratifs ou policiers.
Corruption
7De quoi parle-t-on exactement ? En son sens le plus large (et pour faire simple), la corruption politique peut être définie comme tout usage illégal ou immoral du pouvoir et de l’influence attachés à une fonction publique en vue d’un gain personnel. Elle implique forcément trois « acteurs » : le corrompu, le corrupteur et la partie lésée. Le premier est celui qui échange certaines ressources publiques qu’il contrôle contre un gain privé, économique ou non, le second profite illicitement de ressources publiques en échange du paiement d’un pot-de-vin, et la partie lésée est l’Etat ou l’ensemble de la collectivité5. Il va de soi que les deux premiers acteurs réalisent un gain net et que le troisième subit une perte nette.
8Malgré le fait que la corruption est généralement punissable par la loi6, il est extrêmement difficile d’en cerner légalement les contours. Sa définition légale n’est souvent ni précise ni consistante (Lowenstein 1985), ce qui laisse une large marge de manœuvre interprétative au judiciaire. De plus, ce qui est répréhensible légalement ne l’est pas toujours dans les faits : l’application de la loi tient compte de la morale, de la légitimité et de la pratique. La corruption connaît donc plusieurs degrés, allant d’une corruption perçue comme bénigne et tolérée jusqu’au crime unanimement réprouvé, en passant par une « zone grise » dans laquelle les interprétations et la tolérance varient en fonction des circonstances. Le financement des partis politiques un peu partout dans le monde a récemment donné lieu à un débat sur les limites de cette zone grise. Un consensus tacite s’est établi parmi les élites politiques pour distinguer la corruption en vue de financer les activités électorales des partis politiques, mollement réprimée, de celle qui a pour seul objectif un enrichissement personnel et qui est plus sévèrement jugée. La formule célèbre du ministre de l’Intérieur argentin Manzano (démis de ses fonctions en décembre 1992), « Robo para la corona » (« Je vole pour la couronne »), illustre parfaitement cette ambiguïté : « Je suis corrompu, c’est vrai, mais cette corruption est bénigne car elle sert à financer les activités du gouvernement, et a donc pour objectif final le bien public. »
9Mis à part le sophisme contenu dans ce raisonnement, la corruption politique n’est en effet pas toujours un simple phénomène lié à des gains économiques directs. D’un point de vue fonctionnaliste, elle représente un moyen pour des acteurs extérieurs à l’Etat d’influencer les politiques publiques. Moyennant rétribution, ils obtiennent sur la formulation des politiques publiques (décisions, application des lois ou des règlements, attributions de marchés) une influence qu’ils n’auraient pas eue en suivant les procédures normales. Comme ce phénomène est connu et que la concurrence y recourt elle aussi sous peine de perdre un avantage, il s’agit en fait d’un véritable marché, noir ou gris, dans lequel sont échangés des biens et des services.
10La corruption politique est donc loin d’être réductible à des jugements simplistes. Du côté positif, cela peut favoriser la croissance économique, comme l’affirme une approche théorique proche de celle de la modernisation (Leff 1964) et illustrée par l’étude bien connue de Fernando de Soto sur le cas péruvien (Soto 1986). Les démarches légales pour obtenir un permis de construire ou ouvrir une entreprise étaient si longues et si coûteuses que la plupart des gens avaient recours au marché informel et à la corruption. En ce cas, la corruption favorise le dynamisme économique. Elle est rendue nécessaire par une réglementation qui paralyse l’initiative et l’innovation. Du côté négatif, ce type de marché noir ou gris n’est absolument pas transparent, il fonctionne par réseaux personnels, se base sur un différentiel d’accès à l’information et de disponibilité des ressources nécessaires à la corruption. Il en résulte un marché cartellisé et réservé aux acteurs qui contrôlent ce type d’activités. Si l’on accepte le postulat qu’en marché ouvert le producteur le plus efficient l’emporte, la corruption peut constituer une source importante de distorsion des mécanismes économiques. Ces pratiques handicapent évidemment les « naïfs » qui persisteraient dans l’honnêteté, elles corrompent en général la société politique, empêchant les mécanismes de régulation démocratique de fonctionner, et accentuent les inégalités sociales. De surcroît, lorsqu’on se réfère à l’obtention d’avantages économiques par corruption, il s’agit de fait d’une taxe sur les activités économique dont les revenus sont perdus pour l’Etat. La corruption est donc une source de distorsion des mécanismes politiques aussi bien qu’économiques.
Une tradition
11La corruption est ancienne en Argentine. Ce pays a hérité, comme les autres Etats d’Amérique latine, des traditions patrimoniales, corporatistes7 et militaristes hispaniques, favorisant les tendances centralisatrices, autoritaires et clientélistes du système politique. Il en est résulté une société fortement stratifiée et une économie fondée sur le pillage plutôt que l’investissement Au niveau administratif, les postes officiels sont traditionnellement sources d’enrichissement et sont attribués plutôt par relations (amiguismo) que par compétence, ce qui facilite évidemment le clientélisme et la corruption, au détriment de l’intérêt général.
12Depuis toujours en Argentine, la richesse est associée avec la corruption. Le pillage de l’Etat, organisé par les classes dirigeantes et indissociable de la corruption des fonctionnaires, est une tradition séculaire en Argentine, bien que ses mécanismes aient varié avec le temps. A la fin du xixe siècle, le pouvoir politique et l’économie sont contrôlés par une oligarchie de propriétaires terriens. Une série de montages frauduleux lui permet de s’approprier les meilleures terres de la pampa humide. Un de ces dispositifs est celui des cédulas. Typiquement, dans un premier temps une banque hypothécaire de l’Etat émet des emprunts publics à Londres. Dans un deuxième temps, la banque prête cet argent sous forme de bons (cédulas) en pesos courants à des propriétaires terriens qui peuvent ainsi acheter de nouvelles terres. Ils multiplient les emprunts en se servant des terres achetées comme garantie et spéculent, d’autant plus aisément que la valeur des terres monte avec la demande. Une partie de la plus-value réalisée dans ces manœuvres est placée en devises, livres sterling ou pesos or. Dans un troisième temps, le peso courant, qui n’est pas défendu par le gouvernement argentin, subit une dévaluation sous l’effet d’une émission monétaire excédentaire. Comme les cédulas sont émises en pesos courants et ne sont pas indexées, il suffit d’attendre et de rembourser les cédulas à l’aide des devises mises de côté pour réaliser des bénéfices juteux. L’Etat récupère l’intégralité du montant en pesos courants, mais doit rembourser ses dettes internationales en devises. L’ensemble des citoyens paie donc la dette mais la propriété se trouve de plus en plus concentrée, manœuvre à l’évidence impossible sans la complicité des autorités monétaires et politiques.
13Le système politique est resté marqué par le caudillisme, cette personnalisation autoritaire de la politique immortalisée par l’œuvre magistrale de Sarmiento, Facundo, mais aussi par le « verticalisme » (un « centralisme démocratique » version locale) qui caractérise le mouvement péroniste (formellement le Parti justicialiste), principal parti d’Argentine depuis 1946. Le populisme, ce lien direct entre le leader et le peuple qui court-circuite et dévalorise les institutions politiques, a été et reste pratiqué par les principaux partis politiques. Ces atavismes du système politique argentin ont deux effets principaux : d’une part, les décisions gouvernementales sont appliquées par autorité plutôt que par consensus, ce qui en termes d’analyse systémique limite fortement le rôle des partis comme courroie de transmission des demandes politiques et conduit systématiquement au rapport de force ; d’autre part, l’extrême centralisation du système politique se cristallise autour du président de la République, père de la nation, arbitre suprême des conflits d’intérêt et personnage central de la farándula, le cirque médiatique de la « cour » qui gravite autour du pouvoir :
14« Political power is concentrated to an enormous degree in the hands of a single individual, the president of the Argentine Republic. This situation is well understood not just by politically active groups and individuals but also by the average citizen (who quite frequently refers to the president as the government). [...] the president is considered both omnipotent and all-responsible, there is a tendency for all political demands to be brought to him » (Snow and Wynia 1990: 161).
15Quels que soient le type de régime politique et le parti au pouvoir, cette tradition s’est maintenue. Le radical Hipolito Yrigoyen, premier président élu au suffrage universel en 1916, se contente de gérer l’« ordre conservateur » avec des méthodes traditionnelles : cooptation, réciprocité, caudillisme et clientélisme à tous les niveaux. L’attribution des charges publiques à un large éventail de partisans politiques devient un élément constitutif du système politique.
16Les gouvernements de Juan Perón sont entachés de nombreux scandales, souvent révélés a posteriori. Les députés qui arrivent au pouvoir les poches vides en 1946 se retirent en 1955 avec un patrimoine considérable (Vega 1974). Les capitaux illégaux évacués du pays par les favoris du régime sont estimés à 2 ou 3 milliards de dollars et Perón lui-même aurait possédé 700 millions de dollars sur un compte à numéro en Suisse (Lewis 1990). Le gouvernement péroniste de 1973-76 sera décrit en ces termes peu élogieux par un député de l’opposition :
17« Le chaos économique, le vide du pouvoir, la corruption et l’immoralité administrative, la fraude politique, l’étouffement des institutions démocratiques, le mépris des droits élémentaires et des libertés, la malversation des fonds publics, la confusion entre le parti et le gouvernement, l’apparition de la délinquance au sommet de l’Etat, la complicité sinon la responsabilité des hauts fonctionnaires dans les méfaits de certaines bandes armées qui assassinent, torturent et séquestrent impunément les citoyens, forment un panorama que n’a jamais connu auparavant la société argentine. »8
18Les régimes autoritaires, que les militaires justifient traditionnellement en partie par la lutte contre la corruption, ne font pas exception. Sous la présidence du général Videla (1976-81), une expansion spectaculaire du marché financier domestique permet de nombreuses malversations9, y compris au sein du gouvernement militaire et dans l’entourage immédiat du ministre civil de l’Economie, Martinez de Hoz10. Alors que la dette extérieure augmente à une vitesse vertigineuse, passant de 8 à 36 milliards de dollars en cinq ans, les capitaux en fuite se montent à plus de la moitié des emprunts contractés par le pays. La corruption et le pillage des ressources de l’Etat se généralisent. Dans un domaine déjà considéré comme une vache à lait de la corruption, celui des contrats de l’Etat pour des œuvres publiques et la fourniture aux entreprises de l’Etat, le régime militaire voit se mettre en place une véritable industrie de la fraude. Les principales entreprises de ce secteur se constituent en un cartel au sein duquel les prix des soumissions publiques sont décidés selon un principe de rotation de l’entreprise gagnante et de surfacturation des services au bénéfice des hauts fonctionnaires complices et des entrepreneurs.
19En général, la réglementation à l’excès de l’activité économique a créé de multiples occasions pour des situations de « rente », permettant à des individus ou à des groupes d’obtenir des profits indus. Il s’agit, par exemple, pour un entrepreneur d’obtenir des restrictions à l’importation de produits concurrentiels avec celui qu’il fabrique. Il peut ainsi vendre son produit, probablement de qualité inférieure à ce qui se trouve sur le marché mondial, à un coût supérieur et empocher un surprofit. C’est ainsi qu’en Argentine, on pouvait jusqu’à tout récemment acheter des voitures d’une technologie périmée au double du prix d’une voiture équivalente sur le marché nord-américain ou européen.
20Il résulte de ces distorsions structurelles qu’il est plus rentable pour les entrepreneurs d’investir auprès des décideurs politiques, en usant des réseaux et des mécanismes d’influence pour obtenir une rente au détriment de leurs concurrents, que pour améliorer leur productivité. Les politiques publiques adoptées reflètent donc plutôt la capacité des groupes d’influencer la bureaucratie et les autorités que l’intérêt général. Une partie importante de l’activité des partis politiques, étroitement liés à des intérêts économiques, vise en conséquence à contrôler l’attribution des rentes, générant ainsi une politique « politicienne », caractérisée par le clientélisme, les détournements de fonds, la prébende, le trafic d’influence et la prévarication11.
Le système Menem
21Ce système a atteint un niveau sans précédent lors des deux mandats présidentiels consécutifs de Carlos Menem (1989-95 et 1995-99). Alors que l’on aurait pu croire que la libéralisation à outrance de l’économie, les privatisations massives et la fermeture de la plupart des agences gouvernementales allaient avoir un effet positif sur l’industrie de la fraude publique, c’est apparemment le contraire qui s’est produit.
22Les privatisations, entreprises en partie sous le prétexte de diminuer les occasions de corruption des fonctionnaires publics, ont été au contraire l’occasion d’une gigantesque mise à sac des ressources de l’Etat, en particulier les cas de la compagnie d’aviation Aerolineas Argentinas, du monopole public du téléphone Entel12 et du complexe pétrochimique Bahia Blanca. Le gouvernement a procédé à des appels d’offres au début de 1990 et adjugé ces compagnies à des prix et à des conditions sous-estimant nettement leur valeur réelle, le tout dans des circonstances confuses. De forts soupçons pèsent quant au versement de pots-de-vin à divers membres du gouvernement impliqués dans la privatisation de ces trois compagnies (Maria Julia Alsogaray, Roberto Dromi, José Luis Manzano)13. Malgré une enquête judiciaire et les révélations de la presse, personne n’a fait l’objet d’une condamnation pénale à ce sujet.
23Comme l’affirmait le président de l’association des banques étrangères en Argentine14, le pays a vécu sous un régime de cleptocratie. Toute transaction commerciale importante impliquait de « huiler les rouages » par une coima (pot-de-vin) (Majul 1994). Les cas d’enrichissement suspect de fonctionnaires du gouvernement Menem sont innombrables : le procureur général de la Nation15, des ministres, des députés et des sénateurs, des juges, divers chefs des services de police, des militaires, etc., se sont vus impliqués dans des « affaires ». Pire, alors que les scandales liés à la corruption ont fait la une des journaux jour après jour, les responsables sont demeurés pratiquement impunis. Selon une enquête de Noticias, sur 108 fonctionnaires ou amis du gouvernement mis en accusation pour corruption entre 1989 et 1995, trois seulement ont été effectivement condamnés, des figures mineures du régime sacrifiées comme boucs émissaires16. Les scandales étaient si nombreux, l’impunité si générale, l’étalage des richesses de cette « nouvelle élite » si vulgaire qu’on ne peut qu’hésiter entre la révolte et la nausée.
24La corruption faisait partie intégrante du système de pouvoir en Argentine. Carlos Menem s’est formé à la gestion gouvernementale comme gouverneur de La Rioja, petite province aride perdue au pied de la cordillère des Andes et terre du légendaire caudillo Facundo Quiroga. Le Nord-Ouest argentin est réputé pour ses traditions politiques clientélistes et la proportion élevée de la population active employée par les Etats provinciaux. La Rioja ne fait pas exception, le gouvernement attribue traditionnellement des postes de travail comme récompense pour services rendus ou mesure de lutte contre le chômage. La corruption est endémique et les institutions de contrôle verrouillées par les amis du gouvernement. Les fonds publics, dont la majeure partie vient du gouvernement fédéral par le système de « coparticipation », y sont dilapidés par l’élite politique locale.
25Carlos Menem, élu gouverneur provincial (1973-76 et 1983-89) grâce à l’appui financier de la famille de son épouse, les Yoma, a contracté à cette époque des dettes politiques qui le suivront jusqu’à la présidence et il s’est entouré dès lors de quelques-unes des personnes qui l’accompagneront dans sa montée vers le pouvoir. Au risque de faire un mauvais jeu de mots en référence à son origine syrienne et au sobriquet dont l’affligent ses détracteurs, Ali Baba, le gouvernement de Carlos Menem s’approchait davantage du sultanisme, caractérisé par une gestion patrimoniale, des réseaux clientélistes et un népotisme17 généralisé, que d’un régime de type légal-rationnel. Quelques exemples, choisis parmi la multitude pour leur exemplarité, démontreront la gravité de la situation.
Le beau-frère
26Typiquement, lorsqu’il accède à la présidence en 1989, Menem doit, en paiement de ses dettes politiques, accorder des postes à responsabilité à ses « amis », en particulier la famille Yoma qui obtient plusieurs postes administratifs importants, entre autres à la présidence et à la direction des douanes de l’aéroport d’Eizeiza.
27Ce sera l’origine d’un cas exemplaire, un des premiers à faire l’objet d’une large couverture médiatique, du niveau auquel la corruption est organisée et des liens entre le pouvoir exécutif et les affaires familiales : le cas Swift-Armour en 1990. Propriété de la firme américaine Campbell Soup, cette entreprise est un des plus anciens frigorifiques (compagnies exportatrices de viande) nord-américains en Argentine. A cette époque première exportatrice agro-industrielle du pays, elle générait un chiffre d’affaires annuel de plus de 100 millions de dollars. Désireuse de moderniser sa production, elle entreprend en 1987 une démarche pour importer des machines d’une valeur de 4,4 millions de dollars en exemption de taxes, conformément à la loi sur la promotion industrielle, destinée à favoriser la modernisation de la production par la détaxe des importations de biens de production. La démarche suppose une approbation spécifique du pouvoir exécutif, mais, pour des raisons d’instabilité politique, l’autorisation est repoussée jusqu’à l’élection du gouvernement de Carlos Menem. Swift-Armour revient alors à la charge.
28Pour une raison mystérieuse, le représentant de la compagnie est renvoyé de ministère en ministère avec des excuses variées, jusqu’à ce que les choses s’éclaircissent. Sur « autorisation » du président Menem, le ministre de l’Economie, Erman González (ancien comptable de la firme Yoma) a confié la responsabilité de la démarche en question à Emir Yoma, beau-frère de Carlos Menem, chef du clan des Yoma et conseiller du président. Celui-ci réclame secrètement à Swift-Armour 400’000 dollars pour permettre l’exemption de taxes demandée, soit l’équivalent de la somme que la compagnie devait épargner. Cette dernière se retrouve alors dans un cul-de-sac, car une fois l’exemption demandée, il n’est plus possible, selon la loi argentine, de faire machine arrière pour simplement payer les taxes.
29Il est possible que si la somme demandée n’avait pas été aussi élevée, la direction argentine de Swift aurait, comme d’autres, versé le pot-de-vin mettant in à cet interminable feuilleton. Mais au lieu de payer, la direction fait appel à l’ambassadeur des Etats-Unis en Argentine, Clarence Todman, qui profite du séjour du président Bush en Argentine en décembre 1990 pour que le cas soit présenté comme un exemple des obstacles aux bonnes relations entre les deux pays. Après une intervention du ministre des Affaires étrangères, à cette époque Domingo Cavallo, le président Menem, fort soucieux de plaire aux Etats-Unis, retire immédiatement la gestion de cette démarche des mains d’Emir Yoma et le problème se règle dès lors en quelques jours sans paiement de pot-de-vin.
30La nature de cette « autorisation » présidentielle est bien entendu un des points centraux de cette affaire. Elle est difficilement démontrable car elle s’est passée en privé et sans trace écrite. Selon Horacio Verbitsky (1991 : 11), le président a donné explicitement à Erman González l’ordre de confier la gestion de la démarche de Swift-Armour à Emir Yoma. Que cela ne puisse être prouvé n’empêche pas de croire, étant donné l’importance de l’affaire et la centralisation du pouvoir exécutif, qu’il est improbable que le président Menem n’ait pas été au courant de ce qui se passait. Les leçons du cas Swift-Armour sont instructives : certains droits garantis par la loi dépendent pour leur application de l’arbitraire du pouvoir exécutif et représentent des occasions favorables à la corruption ; celle-ci porte sur des sommes importantes ; elle est organisée au plus haut niveau de l’Etat ; enfin, les affaires privées et publiques sont inextricablement entremêlées.
31On retrouve les noms d’Emir Yoma ou des membres de sa famille associés à de nombreux scandales ayant marqué la présidence Menem : blanchiment d’argent sale, trafic de cocaïne, trafic d’armes, trafic d’or, surfacturation de fournitures à l’Etat, emprunts frauduleux, etc. Emir Yoma bénéficiait d’une confiance et d’une protection totales de la part de Carlos Menem.
La meilleure police du monde
32Les régimes militaires, en particulier celui de 1976-83, ont laissé des traces profondes dans les institutions argentines, particulièrement les corps de police et de sécurité. Au cours de cette période sombre, tous les coups leur ont été permis : arrestations arbitraires, torture, assassinats, mise à sac des maisons des personnes arrêtées. Certaines bandes qui se sont formées durant ces années subsistent aujourd’hui au sein des corps de sécurité et perpétuent leurs activités : rackets, enlèvements, vols, assassinats. Ce qui peut sembler une exagération ou une caricature est malheureusement amplement documenté, ne fût-ce que par les enquêtes et les condamnations d’individus appartenant à ces institutions et ayant commis des actes criminel. Le citoyen argentin craint en général de faire appel à la police et ne lui fait aucune confiance, souvent avec raison.
33La police de la province de Buenos Aires est une des institutions qui restent marquées par le terrorisme d’Etat. Cette province compte plus de 12 millions d’habitants. Sa capitale n’est pas, contrairement à ce que pourrait suggérer son nom, la ville de Buenos Aires, mais La Plata, une petite ville située au sud de cette dernière. Pourtant, la géographie humaine et économique de la province gravitent autour de la mégalopole, car les limites entre la province et la capitale fédérale sont constituées par une des principales artères de la ville (Avenida General Paz) et se situent donc en pleine zone urbaine. Les institutions administratives provinciales gèrent donc une partie importante de la ville de Buenos Aires, en plus de la multitude des villes provinciales. La police de Buenos Aires a été impliquée dans un nombre impressionnant de scandales, allant de la criminalité organisée de type mafieux à l’attentat contre l’AMIA (Asociación Mutual Israelita Argentina), qui a fait 86 morts, et le meurtre du photographe de presse José Luis Cabezas.
34Eduardo Duhalde, gouverneur de la province de Buenos Aires, a eu un mot malheureux au sujet de la police de la province en la qualifiant de « meilleure police du monde ». Depuis, à chaque scandale impliquant la police provinciale, les commentateurs reprennent ce mot avec ironie. En 1999, face aux multiples pressions pour une amélioration du contrôle de ce corps policier, un civil, le juge pénal García Berro, a été nommé auditeur général de l’Office de contrôle de corruption et d’abus de fonction de la province. Auparavant, les plaintes concernant la police étaient examinées par la Division des affaires internes, gérée par les autorités policières elles-mêmes. Cette mesure, qui mène apparemment à un meilleur contrôle de la police, doit toutefois être prise avec prudence car le juge Berro est étroitement lié au ministre de la Justice de la province qui l’a nommé à ce poste, León Arslanian, lui-même ancien ministre de la Justice du gouvernement Menem.
35Récemment sont apparus des « repentis » à la mode italienne qui ont rompu le pacte du silence ou des policiers qui ont simplement décidé de dénoncer, au péril de leur vie, les exactions de leurs collègues. Ils acceptent de témoigner anonymement ou contre une protection physique. Les autorités supérieures de la police fédérale, en charge de la sécurité dans la ville de Buenos Aires, ont ainsi été mises en cause dans des affaires rapportant plus de 3 millions de dollars mensuels18. Un policier, le caporal Marcelo Hawrylciw, a dénoncé en 1998 l’organisation, dans son commissariat, d’un réseau de racket contrôlé par les officiers supérieurs, y compris les autorités de contrôle. Selon lui, les extorsions auprès des vendeurs ambulants, des commerces, des taxis et des prostituées rapportaient environ 60’000 dollars mensuels, lesquels étaient répartis jusqu’en haut de la pyramide hiérarchique. Ces faits sont confirmés par plusieurs de ses collègues19, ainsi que par les associations de vendeurs ambulants et des commerçants qui ont précisé que jusqu’à tout récemment, il était impossible de procéder à une dénonciation car les différents commissariats se soutenaient mutuellement et tout dénonciateur s’exposait à ne plus pouvoir travailler dans la ville de Buenos Aires. La justice détient apparemment des témoignages ou des preuves (des registres de paiements illégaux) qui impliquent 15 des 52 commissariats de la police métropolitaine20. Hawrylciw a été victime depuis sa dénonciation de trois attaques armées malgré une protection permanente.
36Comme toujours dans ces cas, la bataille se déplace sur le champ de la justice et du politique. Les policiers incriminés disposent de diverses stratégies. Plusieurs témoins mentionnent que les sommes d’argent récoltées par les policiers remontent en partie jusqu’aux partis politiques, pour financer leurs activités clientélistes ou les campagnes électorales. Outre l’intimidation directe des juges ou des témoins, ils peuvent donc faire intervenir les politiques pour obtenir d’être jugés par des juges « amis » ou pour voir un jugement défavorable cassé en appel, comme cela s’est produit à de nombreuses reprises (Dutil et Ragendorfer 1997). Les policiers sont alors simplement relaxés « faute de preuve » ou, au pire, légèrement condamnés. La stratégie de l’administration a été, face à la multiplication des scandales impliquant la police fédérale, de procéder à plusieurs mises à la retraite et à des rotations dans les commissariats, une mesure destinée avant tout à calmer l’opinion publique21.
Un monument à la corruption
37La construction du barrage de Yacyretá constitue un paroxysme de la fraude organisée par les fournisseurs de biens et de services à l’Etat. Œuvre titanesque située entre le Paraguay et l’Argentine et objet d’un traité entre ces deux pays, le barrage doit fournir à son terme plus de 18 millions de kilowatts, soit 40 % de l’énergie électrique produite en Argentine. Sa réalisation s’est étendue tout au long du xxe siècle. Les premiers projets remontent à 1905. L’accord binational lançant le projet a été signé en 1973 par les généraux Perón et Stroessner. Le montage financier de l’opération s’est effectué dès 1978, sous le régime militaire. En 1980, la firme française Dumez (Suez Lyonnaise des Eaux) gagnait le concours d’adjudication des travaux d’ingénierie civile. En 1983, la firme italienne Impregilo, entreprise de construction de la famille Agnelli et perdante de ce même concours, a été associée d’autorité par le gouvernement argentin à Dumez pour former un consortium, Eriday (Empresas Reunidas Impregilo – Dumez y Asociados para Yacyretá), maître d’œuvre des travaux entamés en 1983 et qui se sont poursuivis sous la présidence de Raúl Alfonsín.
38Lorsque Carlos Menem est arrivé au pouvoir en 1989, il a caractérisé Yacyretá de « monument à la corruption », un mot resté célèbre, et annoncé qu’il allait mettre un terme aux travaux. Placé devant l’argument selon lequel l’arrêt de l’œuvre allait être plus coûteux que son parachèvement, son gouvernement a non seulement poursuivi les travaux, mais la présidence et son entourage s’y sont intéressés de très près en plaçant à divers postes à responsabilité des proches du régime. Font d’ailleurs partie du consortium Eriday Francisco Macri, Amelia Fortabat et Benito Roggio, trois des entrepreneurs les plus riches du pays, parmi ceux qui ont fait fortune sous le régime militaire et appartiennent à ce qui est qualifié de patria contratista22, soit les entreprises qui se sont enrichies en profitant d’une situation de rente liée à la provision de biens et de services à l’Etat. Ils comptaient parmi les proches de Menem dont ils ont contribué à financer les campagnes électorales.
39La première des 20 turbines est entrée en fonction en 1994, avec huit ans de retard, la dernière en 1998. Au lieu du milliard et demi de dollars du devis initial, Yacyretá aura coûté, estime-t-on, plus de 8 milliards23, dont 1 milliard financé par la Banque mondiale, 840 millions par la Banque interaméricaine de développement et le reste par des emprunts sur le marché privé des capitaux garantis par l’Argentine et remboursés en partie par un impôt de 7 % sur les factures d’électricité des consommateurs argentins. Une dernière phase du projet, estimée selon les sources entre 750 millions et 2 milliards de dollars, doit permettre de hausser le niveau de la retenue d’eau pour atteindre une production électrique optimale.
40Une partie de l’augmentation des coûts du barrage est due aux délais causés par les désordres politiques et économiques que l’Argentine a connus (les travaux se sont arrêtés à plusieurs reprises) ou aux hausses des taux d’intérêt mondiaux. Une autre partie est due à la corruption et aux habituels mécanismes de pillage des ressources publiques. Ce barrage est par exemple connu au sein de la Banque mondiale comme « le barrage qui a financé la guerre des Malouines », par référence aux emprunts contractés par le régime militaire de 1976-83 pour la construction de Yacyretá et utilisés en fait pour acheter des armes24.
41En plus de ces hausses de coûts, le consortium Eriday réclame, suite aux variations des taux de change, à une actualisation des coûts, aux conséquences de nouvelles normes juridiques, etc., des dédommagements supplémentaires. Ces dédommagements, qualifiés de asuntos contractuales pendientes (« questions contractuelles en suspens »), ont doublé entre 1997 et 1999, passant de 770 millions à plus d’un milliard et demi de dollars, en partie parce que Eriday leur applique un taux d’intérêt annuel de 12 %25. Les ministres de l’Economie Cavallo et Rodriguez ont rejeté la plupart de ces réclamations, de même que la justice et la direction de l’Entité binationale Yacyretá (EBY), chargée d’administrer le projet, qui reconnaît moins de 20 % des demandes d’Eriday. Mais en Argentine les litiges de cet ordre ne se règlent jamais selon les procédures légales. Le président Menem a personnellement pris la chose en charge et transféré par décret (47/99 du 29 janvier 1999) le dossier du Ministère de l’économie au secrétariat présidentiel, dirigé par Alberto Kohan, un membre de sa « garde rapprochée ». Les réclamations des consortiums se sont vues légitimées par l’exécutif, dans la perspective, supposent les mauvaises langues, d’un pourcentage en espèces sonnantes et trébuchantes, mais les protestations de l’opposition et des adversaires internes de Menem l’ont obligé à changer de stratégie. Une commission d’arbitrage a été mise sur pied, qui comprendra l’ex-secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger.
42Un incident rapporté par Horacio Verbitsky26 illustre les mécanismes de la hausse frauduleuse des coûts. L’ancien directeur exécutif de l’Entité binationale, responsable de la gestion du barrage, Osvaldo Torres, affirme qu’Emir Yoma – encore lui – a exigé l’achat de 10 génératrices Siemens pour Yacyretâ à un prix fixé par lui-même. Siemens avait déjà gagné l’appel d’offres pour la fourniture de ces génératrices, mais le prix du contrat proposé par Yoma majorait cette offre de 22 millions de dollars. Selon Torres, au cours d’une réunion Yoma lui aurait même précisé une clé de répartition de cet extra, clé comprenant Carlos Menem et certains de ses plus proches collaborateurs. Torres, choqué par ses exigences, a refusé de signer le contrat et fait appel directement au président Menem. Celui-ci l’a alors reçu en compagnie de Yoma, lui signifiant par là l’inutilité de sa démarche. Torres, sous pression de l’entourage de Menem, a été obligé de donner sa démission peu de temps après.
43En conséquence de la hausse vertigineuse des coûts du barrage, l’électricité produite coûtera 0.095 dollars du kilowattheure alors qu’elle se vend à 0.03 actuellement en Argentine. Pour considérer l’installation comme rentable, en particulier dans la perspective d’une privatisation, il faudrait dissocier les coûts financiers de la valeur de la production électrique, en faisant passer les surcoûts dans les pertes et profits des comptes nationaux de l’Argentine. Une série d’incidents liés au fonctionnement du barrage ne font rien pour arranger l’affaire. Au début de 1999, des problèmes ont été détectés sur cinq des turbines de type Kaplan fournies par l’entreprise allemande Voith, interrompant prématurément leur fonctionnement. Si ces turbines sont assurées, il n’en va pas de même des pertes liées à l’interruption de la production d’électricité, estimées à 50’000 dollars par jour par turbine arrêtée.
44Par ailleurs, pour une économie de dimension modeste comme celle du Paraguay27, Yacyretâ représente, on se l’imagine, une aubaine à tous les sens du terme. L’entreprise Conempa, propriété de l’ex-président Juan Carlos Wasmosy et qui lui a servi à accumuler une véritable fortune (en partie illégale28), lors de la construction du barrage d’Itaipu entre le Brésil et le Paraguay, possède une part du consortium Eriday. Wasmosy a donc défendu personnellement les réclamations du consortium, y compris lorsqu’il était encore président, faisant pression pour que le directeur argentin de l’Entité binationale Yacyretá, Jorge Padreira, qui refusait de reconnaître les réclamations d’Eriday, soit remplacé29. Un avocat ancien associé de Menem, Raúl Reali, l’a remplacé en février 1999. Le général Oviedo, réfugié en Argentine suite aux règlements de compte qui ont conduit début 1999 au départ du président Raúl Cubas Grau (successeur de Wasmosy et qualifié de mafieux par le nouveau président de son pays30), a lui aussi des intérêts personnels pour Yacyretá et une relation étroite avec Carlos Menem.
L’ami du pouvoir31
45Pour poursuivre avec les amis du pouvoir, lorsque, le 23 août 1995, le ministre de l’Economie, Domingo Cavallo, dénonçait durant onze heures et avec fracas, au Congrès, la « mafia » incrustée au sein du pouvoir, il se référait à l’entrepreneur Alfredo Yabrán et à son réseau dans l’entourage du président Menem. L’affaire Yabrán a pris depuis une ampleur considérable et culminé avec le suicide de ce dernier en juin 1998. Très discret, à peine connu du public, Yabrán avait fait fortune dans les services de courrier privé à la manière dont cela se pratiquait à l’époque : par accords de monopoles sectoriels, surfacturation de ses services à l’Etat, fraude fiscale, manipulations comptables, corruption, association avec des délinquants, menaces et violence physique.
46Ouvrant dans les années 70 une brèche dans le monopole de l’entreprise postale étatique Encotel, Yabrán et quelques entrepreneurs nationaux avaient commencé à distribuer les envois de documents entre les banques, cela avec l’accord d’Encotel qui percevait une redevance sur chaque envoi. Puis ce service fut étendu au courrier et Yabrán, par l’entremise de son entreprise Ocasa, s’arrangea pour prendre le contrôle de ses concurrents par rachats, exclusion des appels d’offres grâce à des complicités officielles, disparition de sacs de courrier, menaces, violences physiques, etc. Puis il s’arrangea, à l’aide d’appuis politiques, pour qu’Encotel se retire peu à peu du marché de la distribution de la correspondance des services publics, pour finalement assurer une position dominante dans le secteur à Ocasa et aux entreprises paravents dont il détenait le contrôle. En conséquence, les services postaux coûtaient en moyenne cinq à dix fois le prix payé à l’étranger.
47Sous le gouvernement de Carlos Menem, ses affaires ont prospéré comme jamais : il réussit à placer des hommes de confiance à la tête d’Encotel, obtient une immunité douanière aéroportuaire pour Ocasa (ce qui ouvrait la voie à tous les trafics), se diversifie dans une multitude d’activités (entre autres dans le transport aérien, les services aéroportuaires, les services de sécurité en association avec d’anciens militaires, des investissements immobiliers à Pinamar, une station balnéaire à la mode) et se prépare pour le rachat de l’entreprise postale publique, en cours de privatisation32. S’assurant de nombreuses amitiés au sein du gouvernement, Alfredo Yabrán avait un accès direct au pouvoir exécutif, y compris au président lui-même. C’est à l’occasion du processus de privatisation d’Encotel que Domingo Cavallo entra en conflit avec Yabrán, après que son attention eut été attirée par les plaintes d’autres entrepreneurs dénonçant la monopolisation du secteur postal en Argentine. Dès lors ce fut une guerre ouverte, Cavallo qui dénonçait avec fracas la mafia opérant au sein du pouvoir et tentait de décartelliser le secteur postal, Yabrán recourant à ses amis contre Cavallo et menaçant physiquement ceux qui se plaçaient sur sa route.
48Deux événements ont marqué cette guerre entre Cavallo et Yabrán : la démission du premier de son poste de ministre de l’Economie et l’assassinat du reporter-photographe José Luis Cabezas. En 1996, Cavallo se trouvait dans une posture de plus en plus difficile au sein du cabinet : certains de ses proches avaient été touchés par une énorme fraude (des pots-de-vin de plus de 37 millions de dollars liés à l’achat d’ordinateurs IBM pour une banque publique, Banco Naciôn) et le ministre était entré en conflit avec de nombreux amis du pouvoir pour des questions liées à l’évasion fiscale. De plus, Carlos Menem n’a jamais vraiment supporté de devoir partager avec lui le lit du pouvoir. Dès sa réélection en 1995, il avait décidé de se débarrasser du ministre qu’il n’aimait guère, le jugeant trop sérieux, trop ambitieux et gênant pour certains de ses amis, en particulier Yabrán. Mais les bailleurs de fonds de l’Argentine et les grands entrepreneurs nationaux tenaient à Cavallo et le départ de l’artisan du « miracle économique argentin » aurait provoqué une crise économique. Il fallait lui trouver un remplaçant crédible pour les marchés ; ce fut Roque Fernández, l’ultraorthodoxe président de la Banque centrale et docteur en économie de Chicago, qui devint ministre de l’Economie le 26 juillet 1996. Yabrán avait apparemment gagné la guerre.
49Mais un nouvel épisode est venu compliquer les choses : le meurtre, dans des conditions horribles, de José Luis Cabezas, employé de la revue Noticias, principal hebdomadaire d’Argentine. Depuis quelque temps il poursuivait une série de reportages sur les activités de Yabrán dans la station balnéaire de Pinamar. Il avait réussi à photographier l’entrepreneur et la revue avait publié ses photos dès 1995, à la grande colère de Yabrán. L’assassinat de Cabezas en janvier 1997 fut attribué en première instance à une bande de trafiquants de cocaïne. Puis, devant les doutes, et surtout avec l’aval d’Eduardo Duhalde, gouverneur de la province de Buenos Aires, concurrent de Carlos Menem au sein du parti péroniste et ennemi de Yabrán, l’enquête fut reprise à zéro par un autre juge d’instruction. L’enquête, stimulée par l’acharnement de la revue Noticias, plongea dans les milieux policiers de Pinamar, où il fut découvert non seulement que les premiers enquêteurs avaient tout fait pour faire disparaître les preuves, mais que ces policiers étaient à la tête d’une véritable organisation du crime, dont les assassins de Cabezas faisaient partie. De plus, toutes les pistes remontaient à Yabrán, rapidement qualifié d’auteur intellectuel du crime. Coutumier de la violence, il avait apparemment décidé de faire payer à Cabezas son acharnement à enquêter sur ses affaires et, par là même, d’envoyer un message – mafieux – à la presse et à ses ennemis.
50Début 1998, alors que son empire et ses intrigues occupaient les colonnes des journaux et que l’enquête judiciaire accumulait les preuves à son encontre, les amis politiques de l’entrepreneur niaient le connaître et pouvaient à peine se rappeler son nom. Mystérieusement, Alfredo Yabrán se suicida en juin 1998, mettant in à l’enquête sur le crime de Cabezas et soulageant sans aucun doute ses ex-amis du pouvoir.
Les contre-pouvoirs muselés
51Ces situations ne sauraient être possibles si les contre-pouvoirs, inscrits dans une constitution inspirée de celle des Etats-Unis, fonctionnaient adéquatement. S’éloignant de l’idéal d’équilibre des pouvoirs cher à Tocqueville, l’exécutif a mené une campagne systématique de mise sous tutelle de ces autres pouvoirs, ce qui a permis à la corruption de prendre des proportions sans précédent et de garantir l’impunité presque complète de ceux qui y participent.
52Le pouvoir judiciaire est au centre de cette stratégie de verrouillage. La Cour suprême représente, à l’instar du système politique des Etats-Unis, l’ultime instance d’arbitrage de la légalité en Argentine. Les tentations d’en influencer les décisions n’ont jamais manqué. Les gouvernements de facto qu’a connus ce pays ont soit forcé leur propre reconnaissance par la Cour (1930, 1943, 1962) ou carrément démis celle-ci dans son ensemble (1955, 1966, 1976). Sous Menem, c’est un gouvernement démocratiquement élu qui a donné corps à ces tentations. Convaincu dès son arrivée au pouvoir que le fait de contrôler la Cour était une garantie pour son programme politique, Menem a fait augmenter le nombre des juges de cinq à neuf, nommant bien évidemment des juges « amis » pour combler les nouveaux postes. Noyautée par les amis du président, la Cour a perdu sa légitimité en raison de sa sensibilité aux manipulations politiques et de l’implication de plusieurs de ses juges dans des « affaires » (Verbitsky 1993).
53Les instances supérieures du pouvoir judiciaire ont fait elles aussi l’objet d’une stratégie active de mise sous séquestre. Peu après son arrivée au pouvoir, Menem a fait augmenter le nombre des juges dans les tribunaux fédéraux de six à douze et le nombre des procureurs dans les parquets fédéraux de douze à vingt-quatre, les nouveaux nommés étant évidemment des juges « amis ». En général, les juges se plaçaient dans trois catégories : indépendants, ils recevaient une « promotion » ou étaient déplacés administrativement sur des dossiers moins gênants ; prudents, ils étaient l’objet de pressions ; et « amis », il n’était pas nécessaire de leur donner des instructions quant à la ligne de conduite à suivre. Ainsi, les « affaires » étaient confiées à des juges sous influence de l’exécutif. Cette impunité n’est évidemment pas passée inaperçue dans l’appareil judiciaire : nombre de juges se sont donné comme spécialité de protéger des hauts fonctionnaires ou divers délinquants contre espèces sonnantes et trébuchantes.
54Le chef d’orchestre de cette stratégie a été Carlos Corach, ex-professeur de droit à l’Université de Buenos Aires, avocat, secrétaire légal et technique de la présidence (chargé de l’agenda et porte-parole du président), puis ministre de l’Intérieur. Domingo Cavallo, ex-ministre de l’Economie qui a rompu avec le gouvernement Menem suite aux nombreuses affaires, affirme dans une anecdote devenue célèbre que Corach lui a un jour dressé la liste des juges amis du régime, confirmant ses soupçons (Cavallo 1997 : 261). Le judiciaire a aussi été utilisé comme une arme contre les opposants au régime, journalistes ou politiciens, et Cavallo lui-même, une fois passé à l’opposition, s’est vu attaquer par une multitude de procès – dont il est d’ailleurs sorti indemne.
55Le Congrès a été généralement considéré plus comme une chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif que comme un lieu d’initiation et de débat des lois. L’exécutif a pratiquement gouverné par décrets – plus de 250 depuis 1989, soit plus que tous les gouvernements depuis la constitution de 1853 –, une pratique explicitement prohibée par cette même constitution (art. 99.3), qui précise que l’émission de décrets n’est légale qu’en cas d’urgence et de circonstance exceptionnelle. Le gouvernement se conformait bien entendu à sa propre interprétation de ce qui constitue une circonstance exceptionnelle ou une urgence et a imposé cette pratique anticonstitutionnelle par sa majorité au Congrès et son contrôle de la Cour suprême.
56Face à une évasion fiscale qui oscille entre 15 et 20 milliards de dollars par année (les Argentins ont tendance à considérer l’évasion fiscale comme un droit et un devoir), les systèmes de contrôles administratifs ont été partiellement renforcés, mais ils connaissent eux aussi des limites politiques. La Direction générale de l’impôt (DGI) avait mis sur pied une équipe d’auditeurs de haut niveau qui ont étudié plus de 2000 dossiers en quatre ans et découvert ainsi plus de 8 milliards de dollars de fraudes. Appelée « les Intouchables » par la presse, cette équipe, trop efficace, a été démantelée pour avoir révélé de nombreuses affaires compromettant des amis du gouvernement, par exemple le scandale compromettant IBM et la Banque de la nation, ainsi qu’une affaire touchant les Macri, le clan de l’automobile étroitement lié au gouvernement Menem. Le ministre de l’Economie, Cavallo, à l’origine de la formation de cette équipe, s’est trouvé alors en conflit direct avec le secteur politique du Parti justicialiste à cause du zèle de la DGI. Cela lui a valu une difficile confrontation avec le président lui-même et il a dû reculer, abandonnant les Intouchables qui ont présenté leur démission33. L’ouverture économique et la chasse fiscale ont les limites que lui imposent les affaires de la « cour ». Malgré cela, certains proches de Menem, par exemple Omar Fassi Lavalle, ex-secrétaire au Tourisme, ou José Alberto Samid, industriel de la viande et ex-député péroniste, se sont vu mettre en accusation ou condamner pour fraude fiscale par la justice. Boucs émissaires ou sursaut éthique ?
57Il existait certes un discours d’opposition qui s’exprimait dans les médias. A cela le pouvoir a réagi de deux manières, le contrôle direct et indirect. Le contrôle de la presse s’exerçait par une gamme de moyens allant d’une loi contre la diffamation tout à fait disproportionnée (le gouvernement a reculé) au boycott publicitaire d’un média, en passant par le passage à tabac de journalistes trop curieux par de mystérieux inconnus. Les tentatives de musellement de la presse ont échoué lorsqu’elles ont été directes, mais ont partiellement réussi par des procédés indirects, en particulier des avalanches de plaintes pénales34.
58Le syndicalisme, contre-pouvoir traditionnel en Argentine, a perdu sa force par un mélange de trois facteurs : discrédit politique, baisse du nombre des membres et contrôle par l’exécutif péroniste de l’appareil syndical. La police se préoccupait surtout de faire des affaires. Les militaires ont vu leur rôle quasiment réduit à néant par un discrédit total, la réduction des budgets et la nouvelle donne géopolitique latino-américaine. Et l’appareil de sécurité en général, par exemple les divers services secrets, était contrôlé par la mise à disposition de l’exécutif de sommes discrétionnaires importantes, gérées en particulier par Carlos Corach.
Conclusion
59Un commentateur politique connu, James Neilson, a parlé de « collapsus éthique ». La classe politique argentine a pratiqué ouvertement toutes les formes de corruption et afiché son aisance sans vergogne dans un pays dont 15 % de la population est au chômage et un tiers dans une situation économique précaire. La corruption impose un coût supplémentaire à l’activité économique ainsi qu’une distorsion des mécanismes des prix, détournant les ressources vers des activités improductives et affaiblissant la compétence des institutions de l’Etat et sa légitimité. Il est permis de penser qu’elle ne favorise pas non plus le développement d’une société juste et que la classe politique actuelle constitue un bien triste exemple pour les jeunes. A long terme, le coût social devrait en être très élevé.
60Malgré cette note pessimiste, le barrage d’impunité protégeant les membres du gouvernement Menem a commencé à se fissurer, en particulier avec les dissensions politiques causées par l’approche des élections présidentielles de 1999 : les politiciens péronistes qui envisagent un avenir ont pris leurs distances vis-à-vis de leurs collègues les plus « mouillés », ce qui a ouvert des brèches à la presse et à la justice. Dans les dernières années du régime Menem, certains de ses proches se sont vu poursuivre avec des accusations de plus en plus précises.
61La corruption, phénomène récemment montré du doigt par les organisations financières internationales, est récemment devenue un enjeu politique. L’écho qui lui est donné est donc amplifié par son instrumentalisation et le fait que la coalition d’opposition, l’Alliance (Parti radical et Frepaso), en a fait son cheval de bataille et menacé de poursuivre Carlos Menem et nombre de ses proches devant la justice après les élections, une fois l’impunité légale formelle levée. Malgré cela, les dénonciations précèdent cette instrumentalisation politique et il n’est pas certain que l’Alliance soit en mesure de donner des leçons au péronisme sur ce sujet. Son candidat à la présidence a été lui-même impliqué dans plusieurs scandales. Il est fort probable qu’un pacte informel de non-agression soit conclu entre les principaux partis politiques, ne serait-ce que parce que les péronistes détiendront la majorité au Sénat jusqu’en 2001 du fait du système électoral et dans au moins 16 des 24 provinces qu’ils contrôlent traditionnellement, que les syndicats restent péronistes, que les juges nommés par le gouvernement Menem seront encore en fonction, et que l’Alliance reste une coalition marquée par d’importantes divisions politiques. Gouverner en situation d’hostilité ouverte contre les péronistes pourrait paralyser l’action gouvernementale de Fernando de la Rúa.
62Les croyants en la libre entreprise noteront par ailleurs avec délectation le développement fulgurant de la consultance privée en matière de lutte anticorruption. Par exemple, l’ex-procureur dans le procès de la junte militaire, Luis Moreno Ocampo, qui est devenu un spécialiste en la matière et a mis sur pied un cabinet dont les services sont très demandés à la fois par les entreprises et l’Etat.
63Finalement, sans aller jusqu’à parler d’une démocratie sous séquestre comme l’affirment certains observateurs, il faut convenir que nous nous trouvons fort éloignés de l’idéal démocratique fait d’équilibre des pouvoirs, d’alternance, de respect des minorités et de transparence. Alors que la libéralisation économique devait mettre fin à l’Etat prédateur, il est patent que la corruption la plus éhontée peut cohabiter avec un libéralisme sans frein. Les relents du caudillisme et du clientélisme marquent encore la gestion économique de l’Argentine. Tout autoritarisme dans la société argentine n’a pas disparu avec le dernier régime militaire et ces procédures illustrent bien le paradoxe entre la nécessité d’un Etat fort pour mettre en place le néolibéralisme et celle du démantèlement de l’Etat conformément aux préceptes de ce modèle. A condition de satisfaire à certaines normes internationales, celles des institutions de Bretton Woods, et de permettre une relativement bonne marche des affaires domestiques, les « affairistes » politiques ont su se préserver des zones d’ombre, suffisantes pour s’enrichir à millions.
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Notes de bas de page
1 « Je ne sais pas si les péronistes sont corrompus ou cleptomanes. Ils passent à côté d’une table, voient un cendrier et le fauchent. Bientôt ils voient 300 millions et se le mettent également dans la poche. C’est un phénomène qui n’a pas encore été étudié comme il se doit » (notre trad.).
2 Sans pouvoir en déduire une augmentation réelle du taux de corruption interne, l’Index de Transparency International classait l’Argentine au 36e rang. En 1997, elle passait au 42e rang et en 1998, au 61e rang sur 85 pays répertoriés avec une note de 3,0 sur 10.
3 « Argentina : Cavallo Strikes », The Economist, 26 October 1996.
4 Le patrimonialisme est le fait d’un souverain qui ne distingue pas ses biens privés de ceux de l’Etat qu’il incarne. Le clientélisme est une relation de dépendance personnelle qui se base sur un échange réciproque mais inégal de ressources : en échange de faveurs ou de protection le client offre au patron son obéissance ou ses services.
5 Pour une discussion sur les définitions de la corruption politique, voir « Terms, Concepts, and Definitions : An Introduction », in : Heidenheimer, Johnston and LeVine (1989 : 3-14).
6 Pas toujours ; par exemple en Suisse, la corruption de fonctionnaires étrangers par une entreprise suisse pour gagner un marché est non seulement légale, mais déductible d’impôts, ce qui paraît logique d’un certain point de vue, bien que cynique, puisqu’il s’agit de frais de représentation et que la concurrence agit de même, bien que sans l’avouer. Une adaptation de la législation suisse aux normes de l’OCDE est toutefois en cours.
7 Le corporatisme est une doctrine politique qui prétend déléguer la médiation politique aux corps civils organisés (corps de métier, syndicats, forces armées, Eglise, etc.).
8 Citation d’un dirigeant de l’UCR reprise par Rouquie (1976 : 87).
9 Une malversation est une faute grave commise dans l’exercice d’un mandat ou d’une charge.
10 Le magazine Time (« Big Profits in Big Bribery », 16 March 1981) classe l’Argentine des militaires en première place des gouvernements corrompus dans le monde.
11 Le détournement de fonds est l’appropriation de fonds publics par un fonctionnaire. La prébende est le profit indû tiré d’une charge publique. Le trafic d’influence est le fait de recevoir un avantage (monétaire) pour faire accepter une offre de biens ou de services par l’Etat. La prévarication est un manquement d’un fonctionnaire aux devoirs de sa charge.
12 A titre anecdotique, après la privatisation en 1990 de la compagnie téléphonique d’Etat, Entel (déficitaire pour des dizaines de millions de dollars), la première préoccupation des nouveaux propriétaires fut de dresser un inventaire serré des employés à l’occasion de la première paie : près de 1000 employés « fantômes » ne se présentèrent jamais. L’attribution d’emplois fictifs – mais de salaires réels – était et reste une spécialité des services publics argentins.
13 Voir par exemple Aramouni et Colombo (1992) ainsi que Bocco et Minsburg (1991).
14 Emilio Cárdenas, cité par Cerruti et Ciancaglini (1991 : 255).
15 « Agüero Iturbide : El buen inversor », Noticias, 17 août 1996.
16 « Las manos de la Justicia », Noticias, 10 mars 1996.
17 Le népotisme est l’abus qu’une personne en situation d’autorité fait de son influence pour procurer des avantages ou des emplois à des membres de sa famille ou à des amis.
18 « Podría truncarse la investigación por corrupción policial », La Nación, 13 mars 1999.
19 Capiello H., « Los testigos confirman casos de corrupción », La Nación, 21 octobre 1998.
20 Zommer L., « Más testimonios de corrupción policial », La Nación, 22 mars 1999.
21 Rodriguez F., « Proceso de depuracón en la Federal », La Nación, 21 octobre 1998.
22 Littéralement « patrie du contrat ». Cette expression du jargon politique argentin, difficilement traduisible, pourrait prendre le sens de confrérie ou réseau de captation des contrats de l’Etat, mais patria se réfère à différents mondes qui coexistent à l’intérieur de la société argentine : patria peronista, patria financiera, etc.
23 Les chiffres varient de 8 à 13 milliards selon que l’on prend en compte les travaux strictement liés au barrage ou l’ensemble des frais directs et indirects. Alors que les mesures d’accompagnement liées aux déplacements de population et aux mesures environnementales prévues dans les accords de financement avec la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement n’ont pas encore été entièrement respectées, si le réservoir du barrage passe finalement de 76 à 83 mètres comme prévu, les coûts des mesures d’accompagnement augmenteront de 2 milliards de dollars. Voir la World Rivers Review, February 1998, site Internet http://www.irn.org/pubs/wrr/9802/yacireta.html.
24 Inter Press Service, « Development : World Bank Probes In-House Corruption », World News, 16 July 1996.
25 « Yacyretá, otra vez en la mirada por mayores costos », La Nación, 18 mars 1999.
26 Verbitsky H., « El asilo al jinete bonsai », Página 12, 4 avril 1999. Le titre étrange de cet article fait référence à la petite taille du général Lino César Oviedo.
27 Un PNB de 10 milliards de dollars en 1997, soit 3 % de celui de l’Argentine (Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde, 1998-99).
28 Selon La República (quotidien de Montevideo, Uruguay) des 12-14 février 1996, Conempa aurait détourné 29 millions de dollars à l’occasion de sa participation à la construction d’Itaipu. Il est improbable que ces détournements aient été réalisés sans la participation de Stroessner et des militaires paraguayens ; voir Guibeleguiet (1996). Itaipu est considéré lui aussi comme un monument à la corruption ; voir McCully (1996).
29 Sánchez Bonifato C., « Paraguay no quiere quedar fuera del reparto de Yacyretá », La Nación, 10 mai 1999.
30 Réponse du nouveau président paraguayen Luis Angel González Macchi à la question d’un journaliste de Noticias : « Oviedo no controla a la mafia, Oviedo es la mafia » (Noticias, 3 avril 1999).
31 Cette partie est basée sur les sources suivantes : Cavallo (1997) ; Cherashny (1997) ; Llorente et Balmaceda (1997) ; Caviglia et Sanz (1998) ; ainsi que sur la revue Noticias et divers journaux.
32 Cavallo (1997) décrit sur plus de 70 pages et dans le détail les opérations du groupe.
33 « Intocables : Nos volvimos incontrolables », Noticias, 11 février 1996.
34 Un exemple éloquent est celui de Horacio Verbitsky, qui témoigne dans le Buenos Aires Herald du 15 octobre 1992 : « I am 50 years old, have been a journalist for 32 of those years, and until the publication of Robo para la corona I had never been sentenced by a court. Forty-five days after the publication of the book I had my first sentence, a one-month suspended sentence, from the Supreme Court of Justice, the same court described as having been taken over by President Carlos Menem in chapter four of that book. I was found guilty of contempt of authority (desacato) regarding one of the members of that court. That same week, in February 1992, half a dozen government officials opened charges against me, some for contempt of authority, others for perjury, because of the book. This was part of a strategy to limit my freedom of movement and with the purpose of forcing me to leave the country. »
Auteur
Politologue ; chargé de cours, IUED, Genève.
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