La corruption en Suisse : une plaisanterie ?
p. 177-194
Texte intégral
« On savait déjà que certaines entreprises suisses, pour pouvoir lutter contre la concurrence, devaient apporter, disons, des “prestations” qui n ‘étaient pas tout à fait celles prévues dans les contrats. Mais les pays réputés avoir ces exigences étaient plutôt lointains [...] Les juges étrangers nous ont ouvert les yeux. Ce sont eux qui nous ont montré que le fléau de la corruption n ‘était pas réservé aux autres [...] »
B. Bertossa, procureur général de Genève (in : D. Robert 1996 : 98)
La corruption, nouveau facteur d’insécurité ?
1Cyniquement, on a coutume de dire qu’avec la prostitution, la corruption est le plus vieux métier du monde. Si la première représente une « mise en location » de son corps, la seconde constitue plutôt la « mise en vente » de sa conscience (ou de son âme ?). L’une et l’autre sont habituellement considérées comme un mal nécessaire et, en tous les cas, sont fort lucratives : le montant global annuel représenté par l’ensemble des relations de corruption dans le monde est estimé à 600 milliards de dollars (selon Rügemer 1996). Toutefois, les acteurs de la corruption, contrairement à ceux de la prostitution, se découvrent assurément beaucoup moins...1
2Assurément, aucun système politique ni économique ne peut offrir une résistance totalement efficace contre la corruption. La démocratie, sans modes de régulation des conflits d’intérêts économiques, des mécanismes de concurrence ou des pots-de-vin, est vulnérable : les institutions publiques sont alors fragilisées par la course à l’enrichissement individuel et privé. A l’inverse, le libéralisme économique (ou l’idéologie du free market critiquée notamment par Rose-Ackerman 1996), sans structures démocratiques de gouvernement, produit aussi un système vulnérable : d’une part, le pouvoir discrétionnaire des responsables politiques et administratifs et le détournement des biens publics y sont élevés ; d’autre part, ce libéralisme débridé tourne très rapidement au capitalisme sauvage. Mais la démocratie et le libéralisme économique ne garantissent pas, ensemble, une absence complète de liens corrompus : ils en sont des conditions nécessaires, mais pas suffisantes à elles seules !
3Par ailleurs, avec la fin de la guerre froide, la corruption et la criminalité organisée sont devenues des thèmes importants (bien que non militaires) de réflexion quant à la sécurité et à la stabilité des nouveaux équilibres politiques et économiques mondiaux. Ainsi, par exemple, l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) et l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) défendent toujours plus sérieusement des stratégies de prévention et de riposte face aux diverses activités des organisations criminelles, parmi lesquelles figurent les processus de corruption. En 1996, un rapport du Comité européen pour les problèmes criminels du Conseil de l’Europe a mis en évidence l’évolution qui s’est dessinée à la fois en Europe de l’Ouest et en Europe centrale et de l’Est depuis la chute du mur de Berlin (novembre 1989) et qui peut être résumée par l’expansion nationale et transnationale de la criminalité organisée, de la délinquance économique et d’affaires ainsi que des actes de corruption et d’infiltration des sphères politiques et économiques officielles.
4Si aucun pays n’est désormais à l’abri de la corruption, la Suisse ne peut évidemment pas faire exception. En avril 1997, le président de la Confédération lui-même le reconnaissait en ces termes : « Il n’y a encore pas si longtemps, la corruption ne constituait guère un sujet de discussion en Suisse. Dans ce domaine également, nous nagions dans un océan de béatitude [...] Entre-temps, nous avons dû déchanter [...] »2Un certain nombre d’affaires retentissantes (aux trois échelons : aussi bien fédéral que cantonal et communal) sont venues démontrer, ces dernières années, qu’il serait aussi bien irréaliste qu’irresponsable de nier le phénomène de la corruption dans notre pays. Cela est si vrai que même les stratèges de la défense nationale planchent sur des scénarios qui, désormais, incluent aussi la criminalité organisée et la corruption parmi les facteurs de risque pour la sécurité nationale3.
La corruption : principaux éléments de définition
5Mais qu’est-ce que la corruption ? A notre avis, il est indispensable de réfléchir au phénomène de la corruption dans une perspective dynamique. Il faut en effet comprendre la corruption comme un processus d’abus de situation ou de pouvoir. Au cours de ce processus, soit un acteur (corrupteur) joue de son influence et offre un avantage afin d’obtenir en échange qu’un acteur (corrompu) abuse de son pouvoir ou de sa fonction pour lui attribuer un privilège, une faveur ou un contrat4 ; soit le détenteur d’une autorité ou fonction soumet le demandeur d’une prestation publique à la remise d’un avantage pour pouvoir vraiment obtenir cette prestation5. La corruption renforce ainsi des structures informelles ou souterraines de pouvoir en évitant ou neutralisant les obstacles politiques, juridiques ou économiques institutionnels et démocratiques. Elle est donc surtout (mais bien sûr pas exclusivement) liée à la criminalité des puissants (gens de pouvoir et d’autorité) et à la criminalité économique ou d’affaires (gens de confiance, « cols blancs », experts et consultants)6. Par ailleurs, une importante évolution a eu lieu ces quinze dernières années avec l’apparition de divers intermédiaires professionnels (notamment du système financier, bancaire et parabancaire), qui sont venus rendre plus opaques encore les rapports corrompus, lesquels ne se déroulent plus seulement de façon bilatérale, mais bien plus subtilement dans un entrelacs de relations ou de réseaux. Enfin, les processus de corruption ont pris une dimension transnationale, bien au-dessus des frontières et des lois de chaque Etat, ce qui, là encore, rend le phénomène et les stratégies de riposte beaucoup plus complexes. Telles sont les principales composantes actuelles de la corruption. Il ne faut certes pas oublier le rôle de frein que peuvent exercer les coûts moraux de la corruption : c’est là qu’interviennent alors les aspects éthiques de ce problème. Toutefois, il apparaît que le sens des valeurs civiques, de l’intérêt général et de l’esprit de service public a cédé du terrain face à la poursuite d’intérêts particuliers et de l’appât du gain.
6En résumé, nous pouvons définir la corruption ainsi : elle est un processus d’échange illégal entre acteurs de la sphère publique (politique et administrative) et acteurs de la sphère privée (notamment de l’économie) ; ce processus de liens corrompus tend à se structurer sous forme de réseaux, voire à se systématiser, et il vise ou aboutit à l’exclusion de tiers (« intérêt général » ou concurrents) au profit d’intérêts particuliers (financiers, de pouvoir, de domination, de prestige, etc.). La réciprocité des avantages que procure la corruption (aussi bien aux acteurs corrupteurs qu’aux acteurs corrompus) renforce la solidité de leurs échanges ainsi que leur hermétisme (silence et invisibilité) : le crime semble donc payer doublement ! D’autre part, le caractère anti-éthique et illégal de la corruption est très souvent relativisé par diverses stratégies d’autolégitimation ou de neutralisation, du type « les petits cadeaux entretiennent l’amitié » ou « de toute façon, tout le monde le fait » ou encore « il faut bien obtenir des commandes pour sauvegarder des emplois ». Cela est dû notamment au fait que les actes de corruption ont été trop longtemps considérés comme des faits relevant d’une criminalité sans victime. Une telle conception, particulièrement perverse, explique en grande partie les stratégies nombreuses de justification de la corruption. Or, les acteurs de la corruption, qui ne poursuivent généralement que leurs seuls intérêts personnels, réalisent concrètement des actes de discrimination de personnes, de groupements, voire de fractions entières de la société : ces tiers exclus (cf. Meyer-Bisch 1995), c’est-à-dire tous les autres groupes ou citoyens écartés par les échanges corrompus, ne doivent désormais plus être oubliés.
Des seuils de tolérance très flexibles : la « nébuleuse de la corruption »
7Il est très important, dans une vision globale, de distinguer entre le « centre du cyclone », c’est-à-dire la corruption au sens strict (ou les processus de liens corrompus définis ci-dessus entre acteurs de la sphère publique et acteurs de la sphère privée), et ce que nous appelons la nébuleuse de la corruption, qui englobe en un vaste tourbillon toutes les pratiques de collusion, de corruption privée, de trafic d’influence et de copinage.
8Il existe en effet un grand nombre de situations illégales dans lesquelles les collusions ou connivences entre des particuliers (personnes physiques, sociétés commerciales et d’affaires) et des membres de l’autorité ou de l’administration publique sont telles que l’on peut considérer que ces acteurs évoluent dans la zone diffuse des figures très proches de la corruption : nous pensons par exemple à la réalité opaque des fraudes en matière fiscale, de droit des sociétés ou des assurances sociales, des banqueroutes, des dessous-de-table dans les opérations immobilières, des opérations d’initiés, des passe-droits dans le domaine de l’aménagement du territoire et des autorisations de construire, etc. A cela s’ajoute bien sûr tout le champ de la corruption privée (pots-de-vin entre particuliers et surtout entre sociétés privées), en principe interdite par la loi suisse sur la concurrence déloyale ou réprouvée par les nouvelles règles du commerce mondial prônant un véritable libre-échange généralisé... Or, dans tous ces domaines, nous avons constaté (cf. Borghi et Queloz 1997) que soit le droit suisse se révèle trop flou ou lacunaire, favorisant même parfois ces pratiques (comme dans le cas de l’acceptation de la déductibilité fiscale des « commissions occultes »), soit ce sont les instances de contrôle et de la justice qui se montrent particulièrement discrètes, inefficaces, voire totalement passives.
9En outre, nous regrettons que le trafic d’influence, qui peut être grandement favorisé par la décentralisation et le système politique fermé (dit « de concordance ») que nous connaissons en Suisse, ne soit presque jamais évoqué politiquement ni pris en considération par le législateur. Car, même s’il ne s’agit pas de corruption au sens du droit pénal en vigueur, on constate que les us et coutumes helvétiques, dans le monde des affaires et de la politique par exemple, sont fortement marqués par ces réseaux de copinage et de favoritisme, en particulier entre camarades issus de la même promotion académique ou militaire ou des mêmes associations, corporations ou amicales en tout genre. On a affaire ici à une corruption sous forme d’échanges sociaux de bons procédés, dont les termes et modalités d’exécution sont flous, mais dont chacun attend un bénéfice à venir ou un probable « renvoi d’ascenseur »7. Ces filières et pratiques (apparemment très civilisées et respectables) aboutissent, elles aussi, à l’exclusion de tiers et ne sont donc pas sans conséquences négatives pour des personnes, des groupes ou pour l’intérêt général, souvent laissés pour compte (de pertes et non de profits !).
Liens entre corruption et criminalité organisée
10Si la corruption représente un processus spécifique, distinct en soi de la criminalité organisée, des liens étroits peuvent, selon les circonstances, unir ces deux phénomènes. Francis Ianni affirmait en 1973 déjà qu’aux Etats-Unis il existe une relation totalement corrompue entre le crime organisé (ou les activités criminelles du « syndicat du crime ») et les structures politiques, économiques et judiciaires de la société nord-américaine8. Lorsque ces liens tentaculaires sont tissés, la corruption représente alors une forme de violence « douce » et symbolique de la criminalité organisée : l’argent et l’achat d’influences peuvent y remplacer, de cas en cas, les armes à feu et l’élimination physique. Les organisations criminelles ayant en effet un besoin essentiel de sécurité et de protections, la corruption et la mise sous influence des gens de pouvoir (gouvernants, capitaines d’industrie, policiers ou magistrats) constituent l’un des moyens privilégiés pour obtenir cette tranquillité. Si aujourd’hui la criminalité organisée est peut-être moins violente qu’elle ne l’était dans les années 20, c’est probablement parce que les pratiques de corruption (achats de voix, pots-de-vin, dessous-de-table, mise sous influence) se sont beaucoup étendues et en partie substituées aux actes de violence « dure » (crimes de sang).
11Mais Genève, Zurich ou Bâle n’étant pas Chicago, Moscou ni Medellin, nous partons de l’hypothèse, dans la recherche que nous menons en Suisse, que la corruption, si elle venait à se systématiser dans certains secteurs sensibles de l’appareil politique, de l’administration publique et de l’économie, pourrait servir de moyen de facilitation de l’implantation d’organisations criminelles et d’expansion des activités de la criminalité organisée. C’est l’hypothèse de la corruption comme terreau favorable à la floraison de la criminalité organisée : cette dernière ayant besoin, pour se développer, d’un soutien logistique considérable (notamment en services financiers et réseaux d’appuis locaux : cf. Bernasconi 1993), la corruption joue ce rôle à la fois de « fertilisant » et de « lubrifiant » dans les rouages complexes de la criminalité organisée et économique, à l’interface entre les sphères formelles (officielles) et informelles (souterraines). Notons que, depuis le 1er avril 1998, les autorités suisses de poursuite pénale disposent de directives9 définissant la notion de « criminalité organisée » en particulier selon les caractéristiques de travail suivantes : l’utilisation de structures commerciales, industrielles ou financières en Suisse comme couverture d’agissements illégaux ou pour le recyclage des produits d’activités criminelles (blanchissage) ; le recours à la violence contre des personnes et des biens ainsi qu’à d’autres formes d’intimidation ; l’influence, notamment par le chantage et la corruption, exercée sur les milieux politiques, l’administration publique, le pouvoir judiciaire, l’économie ou les médias.
Quelques facettes de la corruption en Suisse
12En ce qui concerne les illustrations que nous pouvons donner du phénomène de la corruption en Suisse, nous proposerons ici trois regards différenciés : d’abord sur l’évolution de l’écho médiatique donné aux affaires de corruption; puis sur les statistiques de condamnations pénales, qui n’informent que sur la pointe de l’iceberg ; et enfin, sur les secteurs d’activités qui, en Suisse, se révèlent être les plus vulnérables à la corruption.
13Pour mettre en lumière l’importance de la médiatisation de la corruption, nous avons choisi l’indicateur suivant : à partir de la banque de données ELSA de l’Agence télégraphique suisse (ATS), nous avons analysé les dépêches transmises par l’ATS à l’ensemble de la presse suisse concernant la corruption entre 1985 et 1996. Cette analyse nous permet de voir quelle importance le phénomène de la corruption a prise au cours de ces dernières années dans la diffusion qu’en a donnée l’une des principales sources de la presse suisse.
14On constate que le nombre de dépêches sur la corruption a déjà augmenté en 1987, en Suisse avec la question des fonds Marcos bloqués à Zurich et le procès de Licio Gelli à Genève ; à l’étranger, de 1987 à 1989, en raison de cas de corruption en URSS, en RDA et au Japon. Après deux années d’accalmie, le véritable tournant a lieu en 1992, avec le départ de l’opération Mani pulite en Italie, ses retombées en Suisse et la révélation de l’affaire Huber à Zurich. C’est entre 1993 et 1996 que l’accroissement des dépêches est le plus spectaculaire : pour l’étranger, le record est enregistré en 1993 (495 dépêches) avec l’avalanche de la corruption systématisée mise en lumière en Italie et l’affaire Bernard Tapie en France (dont le football aura été la source) ; pour la Suisse, ce record a lieu en 1996 (114 dépêches), avec les affaires de corruption au Département militaire fédéral, à l’Union suisse du commerce de fromage, à l’Office fédéral de la statistique, ainsi qu’avec l’Appel de Genève lancé par sept magistrats européens (cri d’alarme lancé en particulier contre la corruption : cf. D. Robert 1996) et la publication du rapport von Däniken sur l’état de la corruption et des procédures de contrôle en Suisse. C’est aussi en 1996 que les cas de ramification de la corruption entre la Suisse et les pays voisins (Espagne, avec l’affaire Roldan ; Italie, avec de nouvelles découvertes dans l’opération Mani pulite ; Belgique, avec l’affaire Dassault ; France, avec des maires corrompus) ont suscité le plus de dépêches (86) : dans toutes ces situations, c’est l’argent de la corruption à l’étranger qui a finalement été placé (en partie au moins) dans des banques suisses. Cela appuie l’affirmation du procureur Bertossa placée en exergue : « Les juges étrangers nous ont ouvert les yeux. Ce sont eux qui nous ont montré que le fléau de la corruption n’était pas réservé aux autres » !
15En résumé, il est frappant de constater, sur le plan quantitatif, que les dépêches centrées sur la corruption en Suisse ont été multipliées par neuf entre 1985 et 1996 et par sept pour les affaires liant la Suisse à des pays étrangers : l’évolution de l’ensemble des dépêches ATS portant sur la corruption (3620 en douze ans) a été très forte (+275 %), le sujet ayant ainsi perdu tout aspect tabou, en tous les cas en ce qui concerne sa médiatisation.
16Sur le plan qualitatif, une brève synthèse du contenu de ces dépêches permet de mettre en lumière que la corruption est associée à une grande majorité de concepts négatifs, mais aussi, pour ce qui concerne la question de la lutte contre la corruption, à une minorité forte de concepts positifs.
17Parmi les concepts négatifs, la corruption est associée :
sur le plan politique, à la dictature, à l’arbitraire, à l’insécurité, mais aussi, plus largement, aux violations des droits fondamentaux des citoyens, aux fraudes électorales, aux détournements des deniers publics et au financement illégal des partis politiques ;
aux carences ou dysfonctionnements de l’Etat et de l’administration (services publics, autorités de surveillance, police, justice) ;
aux inégalités économiques et sociales ;
à une crise des valeurs, souvent liée à un individualisme égoïste (accumulation de richesses, affairisme, malhonnêteté) ;
à la criminalité économique (fraudes, banqueroutes, escroqueries, évasion fiscale) ;
à la criminalité organisée (trafics illicites, proxénétisme et prostitution, racket, jeux illégaux et blanchiment d’argent)...
18La prévention et la lutte contre la corruption sont en revanche associées positivement :
à l’aide au développement des pays pauvres et à la démocratisation des anciens Etats totalitaires ;
aux changements politiques (pluralisme, multipartisme), à l’assainissement et à la transparence de la gestion publique, à la réduction des inégalités et à la justice économique et sociale ;
à la légalité, au respect des droits et des libertés, à une justice indépendante ;
à l’éducation, à la formation et à la responsabilisation, au sens civique et éthique.
19A cet égard, nous pouvons noter que malgré les conditions spécifiques de leur production et la place restreinte qui leur est assignée, les dépêches de l’ATS s’efforcent de jouer un rôle de sensibilisation de l’opinion publique au thème de la corruption.
20Si l’on s’intéresse maintenant à la pointe de l’iceberg de la corruption, représentée par les affaires effectivement jugées et condamnées, l’image statistique est la suivante : entre 1985 et 1996, ce sont en moyenne, en Suisse, neuf acteurs privés et trois ou quatre acteurs publics qui ont été chaque année réprimés par la justice pénale pour des actes de corruption au sens étroit. Ces chiffres sont restés globalement assez stables : depuis 1991, on peut noter toutefois une légère augmentation des actes dus à des personnes privées, alors que la corruption condamnée des acteurs publics est en diminution10. Ces statistiques n’incluent cependant pas les cas qui ont pu être sanctionnés par la voie administrative ou disciplinaire, ni les affaires pouvant relever de la « nébuleuse de la corruption » comme nous l’avons décrite ci-dessus.
21Un bref coup d’œil dans des pays voisins nous révèle qu’en France, entre 1992 et 1994, c’est une moyenne de 22 personnes exerçant une fonction publique et de 41 particuliers qui ont été condamnés pour corruption et trafic d’influence (ce dernier comportement étant incriminé par le code pénal français). En Allemagne, en 1993, ce sont 56 personnes exerçant une fonction publique et 166 particuliers qui ont été sanctionnés pénalement pour des actes de corruption. En Italie, un rapport présenté en octobre 1996 au président de la Camera dei deputati indique qu’entre 1988 et 1995, le nombre de condamnations pénales d’employés publics pour la seule corruption en vue d’un acte contraire aux devoirs de leur office a passé de 12 à 258 ; ces dernières années, c’est environ 1 % du personnel de l’Etat qui a été mis en cause dans des procédures pénales pour des faits de corruption et le seul parquet de Milan a pu récupérer plus de 100 milliards de lires (près de 90 millions de francs suisses) versés à des employés publics depuis 1992 dans le cadre des opérations Mani pulite. Cependant, sept ans après le lancement de ces procédures d’enquête, le bilan brossé par l’équipe des procureurs milanais est à leurs yeux assez amer au point qu’ils n’hésitent pas à parler de « révolution inachevée » : en effet, sur les 4446 incriminations et les 1189 procès auxquels elles ont mené, seules 758 condamnations ont été définitivement prononcées et aucun condamné n’a été effectivement mis en détention...11
22En ce qui concerne les caractéristiques et aspects qualitatifs de la corruption, les affaires révélées en Suisse ces dix dernières années ainsi que les données de nos propres recherches permettent d’en dresser l’image suivante : même si les processus de corruption en Suisse sont bien davantage caractérisés par le trafic d’influence que par la corruption crasse au sens étroit, cette dernière n’est toutefois pas si limitée ou exceptionnelle. A cet égard, nous sommes très surpris par le ton extrêmement réservé et rassurant adopté dans le rapport sur la corruption remis au Conseil fédéral en octobre 1996 par le groupe de travail présidé par le chef de la police fédérale (groupe von Däniken)12. Selon nos sources, les services publics touchés par des cas de corruption et dont des membres ont été impliqués dans des procédures pénales étaient notamment des départements de travaux publics ; des services d’entretien des routes, d’épuration des eaux ou d’évacuation des déchets ; des polices cantonales, services des douanes, du feu ou de la protection civile ; le Département militaire fédéral ; des services pénitentiaires ; des services des automobiles ; divers services responsables de l’octroi de patentes d’établissement public, de permis de séjour pour les étrangers ou d’autorisations de construire ; des bureaux d’encaissement des impôts, de poursuite pour dettes ou faillite ou d’octroi de prestations de l’assurance chômage. Une seule affaire a officiellement concerné la justice elle-même, mais ne touchait que des experts externes qu’elle avait mandatés. Le cas plus fréquent de notaires sanctionnés comme officiers publics est spécifique aux fraudes en matière de transactions immobilières (cas des dessous-de-table). En ce qui concerne le monde politique, certains membres d’exécutifs et quelques parlementaires ont eu maille à partir avec la justice pour des cas de corruption « passive », d’acceptation de pots-de-vin ou de gestion déloyale des intérêts publics. Quant aux acteurs de l’économie privée poursuivis pour corruption « active », ils provenaient notamment d’entreprises de la construction (aussi bien du génie civil que du bâtiment), de la vente immobilière, de la restauration (cafés, restaurants, bars, dancings) et de casinos, de la fourniture d’équipement informatique ou de matériel de bureau et de la vente de véhicules.
23Il est ainsi possible de faire le constat que les domaines d’activités les plus sensibles ou les plus vulnérables à la corruption en Suisse relèvent principalement du secteur global des marchés publics et en particulier ceux de la construction de routes13, bâtiments, stations d’épuration et d’incinération de déchets ; souvent connexes au domaine de la construction, les secteurs de l’aménagement du territoire et de la vente immobilière se sont révélés particulièrement fragiles, ainsi que les marchés publics d’équipements matériels, notamment militaires, informatiques ou de santé ; dans les domaines où l’Etat est fournisseur de prestations, ce sont surtout les mécanismes d’allocation de subventions et tous les secteurs d’octroi de permis, patentes ou autorisations (laissant à l’administration un pouvoir d’appréciation parfois très lâche) qui peuvent s’avérer problématiques. Enfin, dans un autre registre, le domaine du sport n’est pas épargné par la corruption, le cas du football (et d’un arbitre en particulier) n’étant ici que la petite pointe d’un iceberg de fraudes partout où la loi de l’argent prédomine sur l’éthique du jeu. Les affaires (révélées en janvier 1999) de corruption de membres du Comité international olympique par des représentants de villes candidates14 à l’organisation des jeux ne font que jeter une lumière très crue sur ce vaste phénomène.
24Dans les pays voisins, les principaux scandales ont surtout concerné les relations corrompues entre l’appareil politique et administratif et des entreprises, notamment pour le financement des partis politiques et des campagnes électorales (sans oublier les juteux avantages financiers ou en nature captés par des personnalités politiques). Ce type d’affaires (découvertes) est rarissime en Suisse où, apparemment, il y aurait peu de détournements de fonds publics. Pourtant, les collectivités publiques suisses recourent aussi très généreusement à des mandats en tout genre confiés à des bureaux d’études et de consultants qui, chez nos voisins, ont si souvent servi d’écran pour camoufler les détournements de fonds. D’autre part, cela ne signifie pas que le problème du conflit d’intérêts entre activités politiques et affaires privées (cas de doubles, voire de multiples « casquettes »), ni celui de la transparence du financement des partis politiques (cf. Balmelli 1997) ne se posent pas aussi avec acuité dans notre pays. En effet, les marchés publics peuvent se transformer, en Suisse également, en « marchés de la corruption » mettant en relation des entreprises, des partis politiques, des gouvernants et des membres de l’administration.
25Enfin, si les liens entre corruption et criminalité organisée ne sont pas faciles à démontrer, nous relèverons que deux rapports récents font état, l’un d’un important commerce d’armes découvert en Suisse en 1997 au profit de la mafia italienne, notamment grâce à l’intermédiaire du fonctionnaire d’un arsenal militaire qui a vendu diverses armes (y compris un tube roquette !) et accessoires15 ; l’autre de six personnes et de deux sociétés qui ont été impliquées en Suisse dans des cas de corruption commandités par des organisations criminelles russes entre septembre 1997 et septembre 199816.
Face à la corruption : une mobilisation durable ou de simple façade ?
26Il est donc nécessaire de réfléchir sérieusement aux stratégies de prévention et de riposte face à la corruption. A ce sujet, on assiste depuis le milieu des années 90 à une véritable mobilisation internationale : ce sont en effet tout à la fois l’Organisation des Nations Unies, la Banque mondiale, l’Organisation de coopération et de développement économiques (Convention de lutte contre la corruption dans le cadre de transactions commerciales internationales17), la Chambre internationale de commerce (qui a renforcé les Règles de conduite des entreprises contre l’extorsion et la corruption), le Conseil de l’Europe (GRECO et Convention anticorruption18), l’Union européenne (politique de lutte contre la corruption et contre les fraudes en matière de subventions) et un grand nombre d’Etats qui ont décidé d’adopter des mesures en cette matière. Ces programmes visent aussi bien la gestion et l’administration publiques que le monde du commerce et des affaires et prévoient une stratégie combinée de sensibilisation et de formation (codes de conduite), d’amélioration des organisations (transparence, mobilité, supervisions) et de renforcement de la répression (normes pénales et sanctions).
27A l’échelle suisse, les quelques affaires importantes de corruption de ces dernières années ont démontré des lacunes, non seulement de l’arsenal juridique, mais aussi tout simplement de nature organisationnelle et de surveillance. On a pu constater en effet que ces principes apparemment simples n’étaient régulièrement pas appliqués : celui de la transparence (des fonctions, des tâches et des mandats ; des prestations et des critères de coût dans les marchés publics ; des sources de financement des partis politiques) ; le principe des contrôles croisés plus efficaces19 ; celui de la rotation régulière des personnes occupant des postes particulièrement exposés à de possibles pressions ; ou encore le principe si élémentaire du respect des règles de désistement dans les élections et de récusation dans les procédures où des acteurs sont exposés à des risques du conflit d’intérêts (privés et publics).
28Par ailleurs, puisque la connaissance de la corruption, comme forme de criminalité lésant surtout la collectivité, dépend fortement de l’intensité et de l’efficacité des actions de surveillance et de sanction, il y a ici de quoi être souvent stupéfait : les organes de contrôle administratif et disciplinaire d’une part, la justice d’autre part, démontrent (à de rares exceptions près) une candeur et une passivité désarmantes. Il y a d’abord une ignorance crasse du problème de la corruption et une méconnaissance naïve, parfois coupable, des textes de loi existant à ce sujet. Il y a ensuite une absence inquiétante de curiosité quant aux rapports corrompus qui peuvent entacher des activités irrégulières, voire illégales qui ont été découvertes. Comme le relève justement un rapport gouvernemental de juin 199820 : « Le faible nombre des procédures pénales ne s’explique actuellement que par l’absence de la conscience nécessaire. » Nos propres recherches nous permettent de confirmer solidement cette affirmation : nous sommes d’avis qu’en Suisse, ni les instances de surveillance des activités publiques, ni les autorités judiciaires ne font l’hypothèse de la corruption. Or, l’expérience des pays voisins (Allemagne, France, Italie) démontre que dès que le choix des autorités est de postuler que la corruption existe aussi dans l’exercice du pouvoir, de la gestion publique et des relations économiques, elles mettent alors le doigt sur une série de cas qui illustrent que la corruption n’est pas exceptionnelle. En matière de criminalité économique par exemple, trop souvent les autorités de surveillance ou les instances judiciaires alertées ne vont pas vraiment chercher à mettre en lumière tous les tenants et aboutissants (liens corrompus) d’une affaire, que ce soit par inexpérience, par incompétence, par souci de ne pas trop se compliquer la vie ou parce qu’elles se satisfont rapidement des premiers résultats d’enquête portant sur des infractions plus courantes (faux, escroqueries ou abus de confiance). Enfin, il y a une fâcheuse tendance à jeter le discrédit sur les quelques rares citoyens courageux qui osent dénoncer tout haut de basses combines ou des pratiques crapuleuses21.
29Dans un tel environnement, il est selon nous assez paradoxal de vouloir compléter encore les dispositions de lutte contre la corruption22 alors que celles qui existent sont déjà très mal appliquées ou demeurent lettre morte... Si cette volonté politique est en soi une bonne chose, il ne faut toutefois pas perdre de vue le fossé qui peut se creuser entre la lettre de la loi (la loi en théorie) et sa mise en œuvre effective par les autorités de surveillance et par la justice (la loi dans la pratique) : c’est le problème de l’(in)effectivité du droit. Il est pour nous évident que, pour prévenir la corruption, les normes juridiques ne sont pas suffisantes. Nous convenons parfaitement avec ces auteurs français (Garapon et Salas 1996) que la corruption est à la démocratie ce que le doping est au sport et le dumping à la libre concurrence : à savoir des procédés qui faussent les règles du jeu et qui finissent par rendre le jeu lui-même complètement absurde. Pour redonner le goût du jeu, pour en clarifier les enjeux et plus encore pour généraliser le sens du fair-play, il faut souhaiter que la récente mobilisation résumée ci-dessus ne soit pas qu’un feu de paille mais permette, en démocratie comme dans le sport ou sur les marchés commerciaux, d’emporter l’adhésion du plus grand nombre de joueurs.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Autre point commun (et la comparaison s’arrêtera là) : alors que la Direction juridique du Conseil de l’Europe, inquiète de l’évolution de la situation, a chargé (depuis mars 1995) un groupe de travail de préparer une convention et un programme d’action contre la corruption, les parlementaires du Conseil de l’Europe, inquiets de constater que plus de 500’000 femmes sont victimes, sur notre continent, de la traite sexuelle, ont réclamé en avril 1997 une convention européenne contre la prostitution forcée (où le prix d’une femme vendue serait de 2000 marks et celui d’un(e) mineur(e) de 50’000 dollars...).
2 Arnold Koller, ministre de la Justice, exposé d’ouverture de l’assemblée annuelle de la Société suisse de droit pénal consacrée au thème de la corruption (Lausanne, 24 avril 1997).
3 Le projet de loi fédérale prévoyant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (présenté par le Conseil fédéral en mars 1994 : cf. Feuille fédérale, 1994, II : 1123) fait figurer la détection précoce des dangers liés notamment à la criminalité organisée parmi les tâches nouvelles à assumer pour garantir les fondements démocratiques et constitutionnels de la Suisse. Cette loi a été adoptée par le Parlement fédéral en mars 1997 (entrée en vigueur en juillet 1998) : elle donne à la Confédération des compétences de « renseignements sur le crime organisé » (art. 2).
4 « Si vous êtes entrepreneur, vous devez recourir à tout ce qui peut influencer une décision [...] » : extrait d’un entretien portant sur l’attribution des marchés publics de la construction dans le cadre de notre recherche sur les Processus de corruption en Suisse, financée par le Fonds national de la recherche scientifique dans le cadre du Programme national de recherche nº 40 Violence au quotidien et criminalité organisée.
5 L’expression légale de corruption passive pour désigner celle des membres d’une autorité ou de fonctionnaires démontre ainsi toutes ses limites et devrait être abolie.
6 En Suisse, les processus de petite corruption au quotidien sont rares. Dans le cadre d’un sondage international, ce ne sont par exemple que 3 % des commerçants suisses interrogés qui affirmaient en 1993 que la corruption est courante dans leur secteur d’activité. Par contre, en Hongrie, près de 18 % des petits commerçants et en Tchéquie près de 35 % des commerçants (petits et grands) déclaraient en être victimes régulièrement ; cf. European Sourcebook of Crime and Criminal Justice Statistics, Strasbourg : Conseil de l’Europe, 1995.
7 En Suisse, « la corruption réside plutôt dans l’importance des relations et des réseaux [...] Si on n’est pas dans les bons réseaux, on est systématiquement écarté ou même cassé » : extrait d’un entretien dans le cadre de notre recherche (cf. note 4).
8 Des affaires de famille : la mafia à New York, Paris : Plon.
9 Office fédéral de la police, Règlement de traitement ISOK (système d’informations en matière de lutte contre le crime organisé), Berne, 20 mars 1998.
10 Cela semble confirmer la bonne résistance à la corruption des employés publics suisses, illustrée par cette dépêche de l’ATS (publiée le 23 décembre 1997) : « Deux nouvelles tentatives de corruption [de fonctionnaires de l’administration fédérale] ont été découvertes [...] a annoncé hier le Ministère public de la Confédération. Dans les deux cas, les fonctionnaires approchés ont refusé les sommes proposées. Elles portaient sur plusieurs milliers de francs [...] »
11 Parmi les plus illustres d’entre eux, Bettino Craxi et Silvio Berlusconi, tous deux anciens présidents du Conseil des ministres, sont toujours en liberté.
12 Groupe de travail « Contrôles de sécurité et corruption », Rapport final, Berne : Département fédéral de justice et police, octobre 1996.
13 Le seul exemple du réseau autoroutier suisse, dont le coût global était estimé en 1960 à 5,7 milliards de francs (ou 2,4 millions le kilomètre) et dont le coût réel a été évalué en 1997 à près 60 milliards de francs (ou près de 55 millions le kilomètre) donne à penser que l’augmentation de la facture payée par l’ensemble des citoyennes et citoyens de ce pays n’est pas due seulement au renchérissement, au perfectionnisme helvétique ou encore aux retards pris par les procédures d’opposition...
14 Le mot « candidat » fait « référence à une pratique interdite par les Romains, consistant, pour les citoyens briguant des mandats électifs, à blanchir leur toge pour mieux séduire les foules (candidatus : “qui a été blanchi”) » (Alt E. et Luc I., 1997, La lutte contre la corruption, Paris : PUF, p. 3)...
15 Département fédéral de justice et police, Rapport sur la protection de l’Etat 1997, Berne, juin 1998.
16 Offices centraux de police criminelle, Rapport de situation, 2/98, Berne.
17 Cette convention a été signée à Paris en décembre 1997 (y compris par la Suisse) ; elle est finalement entrée en vigueur en février 1999 après que les principaux pays exportateurs du monde l’eurent ratifiée (ce qui n’est pas encore le cas de la Suisse).
18 Le GRECO (Groupe d’Etats contre la corruption) a été établi en mai 1998 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe (Strasbourg), alors que la Convention pénale sur la corruption devrait être adoptée en 1999.
19 L’expression allemande de vier Augen Prinzip est encore plus imagée : elle signifie à la fois qu’il vaut mieux adopter un double regard de surveillance, mais aussi que deux personnes sont plus difficiles à corrompre qu’une seule !
20 Département fédéral de justice et police, Rapport en vue de la révision du droit pénal suisse de la corruption, juin 1998, Berne (cf. note 22).
21 Nous pensons notamment à Michel Carron en Valais (dénonciateur de l’affaire Dorsaz et des détournements de fonds dans le cadre de la Banque cantonale du Valais) et à Jean-Claude Knopf à Fribourg (dénonciateur de l’affaire des combines et malversations dans la gestion du garage de la police cantonale) qui, pour avoir révélé des agissements criminels contraires à l’intérêt public, ont été longtemps stigmatisés professionnellement et socialement avant d’être l’un et l’autre réhabilités par... le corps électoral qui, par ses suffrages, a démontré son soutien à l’action de ces « preux justiciers » ! J.-C. Knopf, par exemple, a été condamné pénalement pour violation du secret de fonction, puis sanctionné disciplinairement (blâme) alors même que la législation sur le statut des fonctionnaires oblige chaque employé public à dénoncer les infractions commises au préjudice de l’Etat dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions…
22 Le gouvernement fédéral a mis en consultation en été 1998 un avant-projet de révision du droit pénal suisse relatif à la corruption, d’une part pour intensifier la lutte contre la corruption et, d’autre part, pour adapter le droit suisse aux exigences des conventions internationales mentionnées ci-dessus et que la Suisse souhaite ratifier.
Auteur
Sociologue et juriste ; professeur associé de droit pénal et de criminologie, Faculté de droit, Université de Fribourg.
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