La tradition de l’« histoire immédiate » en République démocratique du Congo
p. 201-216
Note de l’auteur
Ce texte est la version tronquée d’un article plus important, dont la partie principale, intitulée « De Lumumba à Kabila. Essai sur l’histoire politique en République démocratique du Congo », n’a pas été reprise dans ce Cahier et demeure donc pour l’instant inédite. Je remercie Charles Hersperger, Marie-Dominique Perrot et Benoît Verhaegen pour leur lecture critique de la version initiale.
Texte intégral
Argument
1Un rapide survol de la littérature en sciences politiques et sociales consacrée à la République démocratique du Congo, à partir de la décolonisation jusqu’à nos jours, révèle l’existence d’une abondante accumulation de matériaux documentaires qui ont suscité de nombreuses analyses positives.
2Ainsi, l’approche développementiste, telle qu’elle a essaimé un peu partout en Afrique, n’a pas été dominante au Congo, du moins pas dans la période qui suivit l’indépendance. Le thème du développement était d’abord l’apanage de certains économistes. Cependant, une idéologie du développement, paternaliste, « économiciste » et apolitique, avait été vulgarisée par l’administration territoriale belge dans sa pratique de mise en valeur du pays par l’encadrement du monde rural et des cités ouvrières. En effet, il faut rappeler que le Congo belge de la fin des années 1950 passait pour un pays bien en piste pour parvenir au décollage !
3L’origine de la crise congolaise qui éclata immédiatement après l’indépendance n’avait rien à voir avec le sous-développement. La question cruciale était plutôt la trop longue mise sous tutelle des Congolais et la carence de cadres formés à la gestion politique, car le gouvernement belge n’avait en réalité ni envisagé ni planifié l’émancipation de sa colonie, qui ne connut ainsi aucun régime de transition. Cette carence explique à la fois l’émeute du 4 janvier 1959, qui fut le signal adressé aux Belges que le temps colonial était révolu, et la mutinerie de l’armée congolaise contre ses officiers belges, en juillet 1960, quelques jours après l’indépendance, qui allait entraîner le pays dans un processus de fragmentation et l’introduire de plain-pied dans la guerre froide.
4Par ses richesses minières et sa position stratégique au cœur de l’Afrique, le Congo devint alors un nouvel enjeu de l’affrontement Est-Ouest. Il se stabilisa ensuite avec l’instauration du régime Mobutu comme bastion de la sphère d’influence de l’Occident, de telle sorte que les appuis de ses protecteurs ne lui firent jamais défaut jusqu’à la fin de la guerre froide.
5Il fallut attendre le moment où la dictature de Mobutu était à son zénith pour constater que l’approche développementiste s’était peu à peu vulgarisée au Congo-Zaïre, car l’aide externe et les ONG avaient pris la succession de l’administration publique mise en faillite par la prédation de la clique au pouvoir et de ses nombreuses clientèles.
6Une vaste documentation empirique est aujourd’hui disponible sur la société politique congolaise après l’indépendance. Les chercheurs peuvent y puiser des éléments de connaissance positive en vue de rendre compte de la politique congolaise dans une perspective historique. Il nous semble possible de sélectionner dans ces fonds documentaires existant au Congo et en Belgique, ainsi que dans la littérature spécialisée, principalement en français et en anglais, des matériaux pertinents en vue d’élaborer un essai d’explication de l’histoire politique en République démocratique du Congo depuis l’indépendance. Cet effort de clarification serait le bienvenu pour comprendre la politique congolaise aujourd’hui, au temps du président Kabila, et la situer en continuité avec l’époque du premier gouvernement congolais de Patrice Lumumba, en 1960.
Connaître la société politique congolaise aujourd’hui ?
7Lorsque Laurent-Désiré Kabila entreprend au Kivu la longue marche qui allait s’achever en mai 1997 par la conquête de Kinshasa, il est quasiment inconnu en Occident. Les médias vont cependant signaler qu’il avait accueilli Che Guevara en 1965 dans un maquis à l’est du Congo.
8Pourtant, l’Institut africain-Centre d’étude et de documentation africaines (CEDAF) de Tervuren, en Belgique, publia en cette même année 1997 une enquête sur Le maquis Kabila, se prévalant de la méthode de l’histoire immédiate (Wilungula 1997 : 19). Son auteur, Cosma Wilungula l’avait présentée dans une première version comme mémoire de licence en sciences politiques et administratives à l’Université de Kisangani, en juillet 1988. Toujours en 1997, les 18 et 19 décembre, un séminaire sur « L’éthique de l’informel au Congo-Zaïre » eut lieu à l’Institut africain-CEDAF à Tervuren, avec la participation de professeurs et de chercheurs congolais, qui tous présentèrent des travaux de type monographique basés entre autres sur des séquences d’histoires de vies exprimant les conditions socio-économiques récentes de leur pays.
9C’est dire qu’il existe des pratiques de recherches à caractère universitaire ayant pour objet général la connaissance immédiate des « événements » de la vie socio-politique quotidienne au Congo. Ces pratiques se sont instaurées au moment de l’indépendance du pays en 1960 pour se poursuivre jusqu’à nos jours en dépit de la dégradation progressive de la situation des universités congolaises durant ces vingt-cinq dernières années. Elles se sont élaborées de façon autonome, à l’écart de la problématique du développement – à laquelle elles sont d’ailleurs bien antérieures.
La génèse du « politique » et sa connaissance dans le paternalisme colonial
10A l’origine, quelques universitaires belges se préoccupent d’analyser et de comprendre la situation politique congolaise à la fin de la période coloniale. Il s’agit pour eux non seulement de reconnaître et de valoriser l’émergence d’une vie politique « congolaise », de la pratique politique militante et de son expression dans les différentes manifestations du nationalisme congolais, généralement traité avec condescendance par le milieu colonial, mais aussi de favoriser son étude en stimulant la recherche en science politique. La prééminence accordée au « politique » par ses promoteurs pouvait alors être comprise comme un engagement militant. En effet, ceux-ci et leurs élèves congolais étaient sensibles au mouvement général de décolonisation en Afrique et entendaient étudier et comprendre les politiciens congolais, leurs partis et leurs revendications, ce qui n’était pas évident dans un contexte colonial et universitaire, à la fois paternaliste et clérical1. Le fait de conférer de la valeur à la connaissance immédiate de la politique pratiquée par ceux que le système colonial avait catégorisés à l’aide de l’épithète méprisante d’« indigènes évolués », dans le dessein d’en faire de la science politique, pouvait passer pour incongru et subversif. En réalité, le paternalisme colonial produisait un discours assez proche de celui qui se vulgarisa avec l’aide au développement du début des années 1970. La politique et les politiciens étaient des tares instaurées avec la complicité d’agents extérieurs qui détournaient les indigènes du travail et de l’aspiration au bienêtre individuel et familial, valeurs sûres d’un développement économique conçu comme fin et comme moyen. Ce discours était l’expression d’une construction idéologique ignorant délibérément les individus et les groupes tels qu’ils sont, pour ne s’intéresser qu’à ce qu’ils devaient devenir et aux façons d’y parvenir, le concept de développement n’étant, dans ce sens, qu’une version modernisée de celui de civilisation. C’est au nom de la civilisation que les puissances européennes avaient justifié la colonisation de l’Afrique.
11Après l’indépendance du 30 juin 1960, la crise congolaise ouverte par la mutinerie de l’armée fut marquée par le départ en catastrophe des fonctionnaires et agents belges, l’irruption de la guerre froide dans la politique interne du Congo et l’intervention des Nations Unies (ONUC). La crise devint tragédie avec la sécession du Katanga, l’effondrement institutionnel du pays, l’assassinat de Lumumba puis, plus tard, la mort du secrétaire général des Nations Unies Dag Hammarskjöld dans un accident d’avion alors qu’il se rendait en Rhodésie du Nord pour négocier avec le président sécessionniste Tshombé.
12Face à la décolonisation ratée et au fait que le Congo était devenu un enjeu de la guerre froide, l’objectif de connaissance empirique « immédiate » s’imposa comme une exigence encore plus fondamentale à ce petit noyau d’enseignants belges de l’Université Lovanium, restés au Congo, auxquels allaient s’intégrer des étudiants, chercheurs et enseignants universitaires congolais au fur et à mesure de l’africanisation des cadres académiques.
13Cette préoccupation nécessitait non seulement de procéder à la collecte documentaire systématique en vue de conserver la mémoire de la nouvelle nation congolaise, venue au monde en pleine turbulence, mais aussi de permettre aux étudiants et aux nouveaux cadres congolais d’analyser la situation présente et d’en comprendre la nature et les enjeux. Cet objectif se matérialisa dans un premier temps au sein de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) de l’Université Lovanium, puis s’amplifia avec l’accroissement de son personnel expatrié et national, entraînant la création d’un Centre d’études politiques (CEP) en son sein2.
14Avec le temps, la relève des professeurs belges fut assurée par les universitaires congolais, comme en témoigne le mémoire de Cosma Wilungula dont nous parlions plus haut, rédigé sous la responsabilité du professeur Tshonda Omasombo, lui-même ancien élève de Benoît Verhaegen, qui est à l’origine à la fois de la création du Centre d’études politiques et de la méthode de l’histoire immédiate au Congo.
De l’objectif monographique à l’interrogation épistémologique
15Notre propos vise à présenter brièvement certains travaux représentatifs de cette époque et les institutions qui les soutenaient. Ils sont marqués par un souci empirique et toujours accompagnés de réflexions épistémologiques, méthodologiques et théoriques. Cette double préoccupation ainsi que sa mise en œuvre concrète expliquent l’élaboration d’une méthode spécifique, baptisée ensuite « histoire immédiate », qui permet d’identifier les travaux qui s’en prévalent comme représentatifs d’une école.
16Il convient d’insister sur le fait que ces travaux gardent une grande pertinence pour la compréhension du Congo d’aujourd’hui. La dégradation des services publics depuis le milieu des années 1970, la suppression des libertés dans le système de parti-Etat et le délabrement de l’institution universitaire contribuèrent à mettre en veilleuse les recherches d’histoire immédiate au Congo. Paradoxalement, ce contexte déprimé leur assure une nouvelle légitimité dans la mesure où elles sont devenues l’emblème des seules recherches possibles pour les différents chercheurs congolais des sciences de l’homme et de la société, permettant, entre autres, la collaboration interdisciplinaire entre sociologues, anthropologues et historiens. A ce niveau, les antennes extérieures ont joué un rôle indispensable d’encouragement et d’appui, telles que le CEDAF à Bruxelles mais aussi les collègues d’universités belges, américaines et canadiennes, qui ont eux-mêmes largement contribué par leurs recherches à produire cette connaissance de la société politique congolaise.
17Soulignons encore que cette méthode se démarque nettement de toute approche normative du type de celle qui caractérisa la problématique du développement, au Congo et en Afrique. En effet, c’est avec l’intention très nette de se différencier d’une certaine science politique « africaniste » américaine, dans sa dimension appliquée – trouver des solutions aux problèmes politiques de l’Afrique –, que la formule « histoire immédiate » (ou « histoire ultracontemporaine ») a été retenue pour qualifier ce genre de recherches. L’objectif poursuivi par cette école était – et demeure – l’analyse des faits politiques africains contemporains dans leur historicité et leur ambivalence pour en comprendre le sens, et non pour les évaluer à l’aune d’un modèle démocratique plus ou moins implicite auquel les sociétés africaines auraient dû ou pu se conformer. En ce sens, la préoccupation de rendre compte empiriquement de faits à partir de l’évidence documentaire et des informations orales est dominante au sein de cette école. Toute la dimension théorico-idéologique, associée à l’interprétation des faits, a toujours été suffisamment séparée, dissociée et clairement posée comme telle, pour éviter qu’elle ne devienne le mode de sélection obligé du matériel empirique collecté3. Cette remarque ne signifie pas que, du point de vue de ses organisateurs, la collecte documentaire était supposée produire automatiquement de la connaissance et que l’approche empirique était à l’abri de toute critique ; elle exprime plutôt une certaine lucidité à l’égard du processus de production de connaissance, envisagé comme éminemment complexe, enserré lui-même par l’histoire réelle, humaine et subjective.
18Ces recherches ont toujours bénéficié de collaborations extérieures qui leur ont assuré une certaine diffusion hors du Congo, principalement en Belgique, ancienne métropole coloniale, mais aussi en Amérique du Nord. Car, au fil du temps, des chercheurs américains ont eu l’occasion de s’y associer au cours de séjours de terrain au Congo, tandis que des universitaires congolais ont parfait leur formation – et certains ont été engagés ensuite comme professeurs – dans diverses universités américaines et canadiennes.
Les sources externes de l’histoire immédiate : le CRISP
19Le Centre de recherche et d’information sociopolitiques (CRISP), créé à Bruxelles dans les années 1958-1959, en pleine décolonisation congolaise, avait comme principale raison d’être la connaissance de la vie politique en Belgique. Or, comme le relève Jules Gérard-Libois, son premier directeur, c’est au moment où sortait la première livraison du Courrier hebdomadaire consacré à la presse belge que se produisirent les « événements du 4 janvier 1959 », qui allaient précipiter la décolonisation du Congo : « Il fallut traiter l’événement à chaud et prouver que le I (information) figurant dans le sigle CRISP avait une signification réelle. Le 16 janvier 1959 parut un CH (Courrier hebdomadaire), Eléments pour une sociologie d’une émeute, le titre traduisant bien le souci de ne pas prétendre à une analyse complète et définitive » (Gérard-Libois 1993 : 244)4.
Le secteur africain du CRISP
20En plus de la collecte documentaire, effectuée grâce à un réseau de correspondants, d’amis et de collaborateurs à l’efficacité certaine, le secteur africain du CRISP devint rapidement célèbre pour ses publications sur le Congo, qui étaient de trois sortes : 1) la publication périodique de Courrier et Travaux africains ; 2) la série des ouvrages correspondant à des années politiques allant de Congo 1959 à Congo 1967 ; 3) des études plus spécifiques, consacrées soit à un problème d’actualité comme la sécession katangaise ou les rébellions, soit à un parti politique congolais (Abako, Parti solidaire africain), sous forme de dossier documentaire.
21En outre, le CRISP contribua en 1960 à appuyer un institut de formation dans la capitale congolaise, l’Institut politique congolais (IPC), devenu ensuite l’Institut national d’études politique (INEP), qui organisait des cours du soir à l’intention des cadres congolais et publiait une revue, Etudes congolaises (voir plus bas). Au niveau international, il développa des coéditions grâce à la notoriété que lui avaient value ses travaux pionniers sur la décolonisation et l’indépendance du Congo. En 1972, le secteur africain acquit son autonomie à l’égard du CRISP pour devenir le Centre d’étude et de documentation africaines (CEDAF) à Bruxelles, puis l’Institut africain-CEDAF, aujourd’hui installé à Tervuren, dans les locaux du Musée royal d’Afrique centrale.
Les sources internes de l’histoire immédiate
22Le 30 juin 1960, la colonie belge devient du jour au lendemain un pays indépendant, avec un gouvernement ne disposant d’aucun instrument fiable lui permettant de gouverner. Tous les cadres belges avaient gardé leur place au titre d’un accord de coopération. Quelques jours plus tard, l’armée se mutina contre ses officiers, tous Belges, et tous les fonctionnaires furent rapatriés. Le gouvernement Lumumba se trouva impuissant à gouverner. La crise congolaise était ainsi ouverte, libérant les multiples forces associées aux positions acquises dans les partis politiques et les institutions, récemment créés, et entraînant un morcellement du pays qui devint rapidement l’enjeu de la guerre froide.
23Institué quelques mois avant l’indépendance, l’IPC/INEP se proposa dès 1960-1961 d’assurer une formation aux problèmes politiques, économiques et sociaux relatifs à la gestion de l’Etat. Sa contribution s’inscrivait dans la nécessité de suppléer aux carences découlant du paternalisme colonial belge. Sans entrer dans les détails de son organisation, il convient ici de retenir deux éléments qui expliquent son autonomie à l’égard du monde académique : il s’agissait de mettre sur pied un organisme dirigé par des Congolais alors que les institutions académiques étaient contrôlées par des expatriés et que l’Université Lovanium était dominée par l’Eglise catholique. L’institut s’affirmait ainsi à la fois comme un institut national congolais et comme organisation laïque.
« Etudes congolaises » : la revue de l’IPC/INEP
24Dès mars 1961, cette revue commença à paraître avec une périodicité qui allait devenir mensuelle, comprenant certains numéros doubles. Son objectif était de couvrir l’actualité politique congolaise à l’aide de rubriques variées : un dossier, des chroniques concernant tous les domaines, des documents, une revue de presse, une chronologie des événements, des comptes rendus de livres sur le Congo et l’Afrique. Avec le temps, un comité de rédaction se mit en place dont les membres, eux-mêmes auteurs, réunis autour de Louis Mandala, étaient l’expression du réseau que Benoît Verhaegen avait largement contribué à installer.
25Le numéro d’Etudes congolaises paru en octobre 1964 (IPC 1964) nous semble une bonne illustration de la prudence des commentaires que s’autorisaient les auteurs des chroniques, nullement exhaustives, présentées essentiellement comme un montage documentaire de données et de séquences événementielles. En ce sens, il ne s’agit même pas d’un bilan. Le terme aurait été considéré comme trop ambitieux à l’époque, même si l’étude de Baudoin Kalonji consacrée au syndicalisme congolais l’utilise dans son titre (Kalonji 1964). Pourtant, le matériel empirique offert au lecteur n’est nullement caractéristique d’une carence en connaissance positive, mais bien de l’incertitude découlant de la complexité des données présentées, et de la conscience de leur caractère fragmentaire.
26Le premier texte, non signé, traite de l’évolution de l’économie congolaise durant cette période. Il constitue une synthèse des divers articles de Fernand Herman publiés dans la revue depuis 1961, synthèse sans doute réalisée par l’un ou l’autre des membre du CRISP à Bruxelles. Le professeur Fernand Herman, correspondant du CRISP, assurait les chroniques économiques pour la revue. Il avait quitté l’Université Lovanium pour devenir professeur à la nouvelle ENDA (Ecole nationale de droit et d’administration), créée par le gouvernement pour former rapidement des fonctionnaires et des magistrats à la suite du départ massif des cadres belges, provisoirement remplacés par des agents des Nations Unies. Etienne Tshisekedi, l’actuel président de l’UDPS, en assurait la direction ; un des premiers diplômés en droit de l’Université Lovanium, il avait été commissaire général adjoint à la Justice dans le collège instauré par le colonel Mobutu lors de son premier coup d’Etat en septembre 1960.
27Les autres auteurs anonymes5 étaient soit des membres du CRISP, soit des assistants, congolais et expatriés, ou encore des étudiants en fin de cursus associés au Centre d’études politiques de l’IRES Lovanium. Je me souviens d’avoir rédigé une partie du texte consacré aux relations extérieures du Congo en collaboration avec Ilunga-Kabongo, alors étudiant qui venait d’achever ses études de droit et qui allait devenir assistant, puis professeur. Comme nous avons tenté de le suggérer ailleurs (Monnier 1999), le matériel empirique fourni par cette livraison de la revue en 1964 nous permet aujourd’hui d’y puiser des éléments d’information en vue d’argumenter tant sur la problématique du factionnalisme, qui est au cœur de la théorie politique aujourd’hui, que sur la problématique des relations entre le secteur économique moderne et le secteur dit « informel » En ce sens, ces sources, produites dans les années 1960, demeurent utilisables aujourd’hui pour les chercheurs qui voudraient écrire ou récrire certains épisodes de l’histoire du Congo, mais aussi pour comprendre la politique congolaise hic et nunc. C’est le jeu factionnel qui expliquerait les fluctuations des alliances et leur caractère éphémère, mais aussi la rébellion d’août 1998 et le comportement apparemment étrange des dirigeants de l’équipe Kabila à l’égard des gouvernements étrangers et des investisseurs potentiels, durant ces premières années de pouvoir en République démocratique du Congo.
L’Institut de recherches économiques et sociales (IRES)
28Dirigé par le professeur Hughes Leclercq, bon connaisseur des finances publiques congolaises, l’IRES devint, après la création du gouvernement Adoula de réconciliation nationale d’août 1961, un organisme de recherche universitaire en pleine expansion, mais aussi un site où ministres congolais et experts étrangers pouvaient obtenir des informations et des diagnostics sur la santé économique du pays. En 1962, l’institut comptait une dizaine de professeurs belges, une quinzaine de membres du personnel scientifique expatriés et un seul assistant congolais. En 1963, les assistants congolais étaient au nombre de quatre et ils dépassaient la quinzaine en 1966, avec également un professeur congolais6.
29A l’époque, l’absence d’universitaires formés semblait être la cause indirecte du chaos congolais, contribuant à accréditer le mythe qu’il suffit d’avoir des diplômes académiques pour être compétent en politique et mériter de hautes charges publiques. Ce mythe découlait directement de la politique coloniale paternaliste de la Belgique, qualifiée de « platonisme » par Hodgkin (1957 : 52) pour rendre compte de la division tranchée qu’elle impliquait entre les rois philosophes belges et la masse des producteurs africains.
30En un certain sens, l’IRES exprimait une contradiction qui était en fait celle de toute l’université, voire même celle de la société congolaise, et sur laquelle il faudrait revenir. C’est grâce à une fondation belge, la Fondation Université Lovanium, que l’université, enclave belge et catholique, pouvait assurer sa maintenance et son expansion, caractérisée par une africanisation progressive mais contrôlée. Les universitaires catholiques belges demeuraient les garants du haut niveau de l’enseignement universitaire au Congo7. Dès lors, même en jouant à fond le jeu de l’option nationale congolaise de façon assez enthousiaste et, au besoin, en prenant des distances à l’égard du paternalisme néocolonial ambiant, les membres du personnel expatrié de l’IRES ne s’en trouvaient pas moins en porte-à-faux, entretenus qu’ils étaient par des institutions étrangères au Congo en continuité avec le projet colonial de « civilisation-développement ».
La Revue l’IRES et la création du CEP : de la science politique à l’histoire immédiate
31En octobre 1962 était inaugurée la revue trimestrielle de l’institut, les Cahiers économiques et sociaux, avec une parution consacrée à l’inflation congolaise. Avec la création du Centre d’études politiques (CEP) et du Centre d’ethnologie et de sociologie, l’IRES s’ouvrait alors aux autres sciences sociales. Une série d’articles concernant les recherches entreprises en science politique fut publiée dans la revue, inaugurant une réflexion sur des problèmes de méthode qui, plus tard, allaient être présentés comme significatifs de l’approche d’histoire immédiate.
32Dirigé par Benoît Verhaegen, avec quatre assistants dont trois expatriés, le Centre d’études politiques se lança dans l’étude des 21 nouvelles provinces qui étaient en voie de constitution en 1962-1963. Treize d’entre elles firent l’objet de petites monographies, dont douze furent rédigées par Willame (1964-1965). La province de l’Uélé fut aussi étudiée du point de vue économique (Comeliau 1964), et celle du Kongo central fut traitée de façon plus approfondie (Monnier 1971).
33A l’époque, et en particulier après l’échec des rébellions en 1965, l’IRES avait le projet de travailler en collaboration avec les administrations provinciales en vue d’ouvrir dans les chefs-lieux de chaque province des centres provinciaux de documentation qui auraient collecté toutes les données économiques et sociales, les documents officiels, la littérature grise, etc., et qui auraient été autant de correspondants locaux pour l’institut. Celui-ci avait d’ailleurs commencé à former des documentalistes, nommés par certaines administrations provinciales dans le cadre de ce projet. La liquidation des provinces politiques par le régime Mobutu supprima la raison d’être d’un tel projet.
Science politique et histoire immédiate : une pratique toujours actuelle
34Notre propos n’est pas ici de poursuivre cet inventaire des recherches universitaires en science politique au Congo suite à la prise de pouvoir de Mobutu et à la nationalisation des établissements universitaires en 1971. Relevons simplement qu’une pratique de recherche empirique avait été mise en place et qu’elle s’est poursuivie avec des hauts et des bas résultant de l’évolution du régime Mobutu, marqué dès le milieu des années 1970 par la dégradation progressive des conditions de travail à l’Université nationale du Zaïre.
35Cette pratique ne fut en tout cas pas perturbée par les préoccupations développementistes qui fleurirent par la suite en économie, en philosophie et même en théologie, puisque c’est dans le cadre du renouveau de l’enseignement universitaire confessionnel, à la fin des années 1980, que les Facultés catholiques de Kinshasa lancèrent une Faculté des sciences et techniques du développement8.
L’interaction entre enseignement et recherche : les mémoires d’étudiants
36Il serait sans doute possible de dresser le bilan de l’évolution de la recherche se prévalant de la méthode d’histoire immédiate en évaluant les orientations et les contenus des mémoires d’étudiants rédigés depuis cette époque.
37Après l’étude des « provincettes », le thème d’actualité abordé fut le phénomène des rébellions. C’est d’ailleurs dans ce domaine de recherche que Benoît Verhaegen acquit une réputation internationale (Verhaegen 1966, 1967 ; Coquery-Vidrovitch, Forest & Weiss 1987). A l’occasion de l’approfondissement de cette problématique, dès 1965, les étudiants furent encouragés à organiser leurs deux dernières années de licence en sciences politiques et administratives avec l’objectif de rédiger un mémoire original basé sur une recherche de terrain, qui prendrait pour thème le pouvoir local envisagé dans une perspective historique.
38En effet, l’étude empirique des rébellions, et particulièrement de la manière dont le mouvement rebelle s’était implanté dans telle ou telle communauté, ou au contraire y avait été contré par la résistance des chefs locaux, permit de prendre conscience de l’importance du contexte micropolitique et historique local. Les chercheurs du Centre d’études politiques, qui avaient associé les générations successives d’étudiants aux recherches en cours, visaient ainsi à multiplier les sujets de mémoires, conçus comme des monographies articulées sur l’actualité politique des collectivités congolaises. En construisant leur problématique à partir des enjeux du pouvoir local en période de rébellion, les étudiants procédaient à une microrecherche historique dont l’orientation était déterminée par l’identification des relations de pouvoir entre les acteurs locaux. L’étudiant chercheur prenait en général comme terrain de recherche sa région d’origine, dont l’accès lui était aisé.
39Le mémoire de Wilungula (1997) s’inscrit directement dans cette tradition qui s’est poursuivie jusqu’à nos jours. L’ouvrage est préfacé par Jean-Luc Vellut, ancien professeur d’histoire à l’Université Lovanium puis à l’UNAZA campus de Lubumbashi, qui présente l’auteur comme un « passionné d’histoire immédiate », exprimant ainsi la convergence aujourd’hui acquise entre historiens et sociopolitologues adeptes de l’histoire immédiate.
En guise de conclusion
40L’objectif de cet article est de montrer l’existence, en République démocratique du Congo, d’une tradition de pratiques de type universitaire, amorcées à l’indépendance, caractérisée par des recherches empiriques de terrain et des analyses positives concernant les problèmes sociopolitiques du temps présent. Cette tradition, qui à l’origine s’était développée dans le cadre de la science politique et d’une école spécifique, s’est par la suite vulgarisée sous l’étiquette d’« histoire immédiate » et de nos jours, elle concerne des chercheurs congolais de tout l’éventail des sciences de l’homme et de la société.
41Cette tradition n’a pas été perturbée par les préoccupations développementistes de la fin des années 1960, car celles-ci ont été de tout temps très présentes au Congo, de l’ère coloniale à l’indépendance, associées tant aux pratiques de l’administration territoriale belge qu’au rôle très actif des missionnaires, puis du clergé congolais, principalement catholique, dont l’africanisation fut réalisée bien avant celle des cadres administratifs. Il n’y eut ainsi ni compétition ni concurrence entre les deux domaines, dont les légitimités respectives étaient reconnues et réciproquement acceptées. D’éventuelles frictions entre l’appartenance au statut « aristocratique » de chercheur universitaire et la condition de développeur à la base dans une logique missionnaire populiste, qui auraient pu se creuser après l’indépendance à l’instigation des expatriés, perdirent rapidement toute raison d’être du fait des tensions consécutives à l’implantation du régime de Mobutu, qui se trouva contesté en tout premier lieu dans le milieu des étudiants, puis au sein de l’Eglise catholique, lorsqu’il imposa à tous l’adhésion au parti-Etat.
42Aujourd’hui, la question demeure de savoir si cette tradition pourra bénéficier d’une relance, liée à l’éventuel redémarrage de l’enseignement universitaire, ou s’il faudra encore attendre que le nouveau pouvoir congolais se soit organisé de façon durable. Une recherche en vue de réaliser une analyse positive se prévalant de l’histoire immédiate pourrait être élaborée sur la base d’une problématique de ce type.
Bibliographie
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–, 1978, « Impérialisme technologique et bourgeoisie nationale au Zaïre », in Coquery-Vidrovitch C. (éd.), Connaissance du tiers monde. Approche pluridisciplinaire, Cahiers Jussieu nº 4, Paris : Union Générale d’édition/10/18.
–, 1981, « La première République 1960-1965 », in Vanderlinden J. (éd.), Du Congo au Zaïre 1960-1980. Essai de bilan, Bruxelles : CRISP.
–, 1992, « Histoire de l’Abako », in Stengers J. (éd.), Congo 1955-1960. Recueil d’études, Bruxelles : Académie royale des sciences d’outre-mer, pp. 557-586.
Weiss H.F., 1994, Radicalisme rural et lutte pour l’indépendance au Congo-Zaïre. Le Parti solidaire africain (1959-1960), Paris : L’Harmattan.
Willame J.-C., 1964-1965, Les provinces du Congo. Structures et fonctionnement (Verhaegen B. éd.), Collection d’études politiques, 5 vol. , Léopoldville : IRES,
vol. 1, mai 1964, Kwilu – Luluabourg – Nord Katanga – Ubangi
vol. 2, juillet 1964, Sud-Kasaï – Uélé
vol. 3, octobre 1964, Nord Kivu – Lac Léopold II
vol. 4, décembre 1964, Lomami – Kivu central
vol. 5, octobre 1965, Moyen Congo – Sankuru
Wilungula C.B., 1997, Fizi 1967-1986. Le maquis Kabila, Bruxelles/Paris : Institut africain-CEDAF/L’Harmattan.
Young C., 1968, Introduction à la politique congolaise, Kinshasa/Bruxelles : Editions Universitaires du Congo/CRISP.
Notes de bas de page
1 Au sein de ce groupe d’enseignants belges, le rôle de Benoît Verhaegen, professeur à l’Université Lovanium de Léopoldville (Kinshasa), a été déterminant (voir plus bas note 5). Pour se situer dans le contexte de l’époque, on lira avec profit la relation de discussions sur le thème de la « politique » au Congo qui eurent lieu vers la fin de l’année 1959 (soit environ huit mois avant l’indépendance du Congo) entre Benoît Verhaegen et André Ryckmans, fonctionnaire de l’administration territoriale, fils de l’ancien gouverneur général du Congo belge, Pierre Ryckmans (voir Kestergat 1961 : 248-250). Comme on le verra plus loin, l’idéologie paternaliste coloniale avait produit un discours négatif sur la « politique » qui, à certains égards, se retrouve dans les pratiques actuelles des agents de la coopération au développement.
2 Sur l’évolution institutionnelle de l’étude du champ politique au Congo, voir plus bas.
3 Ainsi, l’ouvrage de Benoît Verhaegen qui rend compte de cette théorie ne mentionne la pratique de recherche au Congo que dans l’introduction (Verhaegen 1974 : 13-17).
4 Benoît Verhaegen, qui enseignait à l’Université Lovanium de Léopoldville (Kinshasa) depuis 1958, contribua à la rédaction de ce Courrier. Dès janvier 1960, il prit la codirection du Courrier africain, qui attestait l’expansion rapide acquise sur le plan documentaire par le secteur africain du CRISP (Bruxelles), avec l’accélération de la décolonisation et, entre autres, la Conférence de la table ronde, qui, ce même mois de janvier, réunit dans la capitale belge des politiciens belges et congolais en vue de préparer l’indépendance congolaise, fixée au 30 juin 1960, et les normes constitutionnelles du nouvel Etat (la Loi fondamentale). Benoît Verhaegen est le père de l’histoire immédiate au Congo. La conception et la vulgarisation de la méthode d’histoire immédiate doivent beaucoup à la popularité dont il jouissait auprès des étudiants et intellectuels congolais progressistes comme critique de l’institution universitaire néocoloniale. En effet, ce sont ses analyses très limpides de la situation du temps présent – et ses références à Marx, souvent très pertinentes étant donné le contexte néocolonial de la structure universitaire – qui le rendirent célèbre, beaucoup plus que ses écrits théoriques proprement dits. Entre 1962 et 1970, sur le campus de l’Université Lovanium, il présenta chaque année une conférence publique sur les grandes préoccupations du moment, et souvent sur la situation de l’université, qui suscitait l’enthousiasme des étudiants et la consternation de l’establishment expatrié, conservateur et clérical. Il contribua à la création de l’Office national de la recherche et du développement (ONRD), organisme indépendant des intérêts particuliers, qu’ils soient universitaires, cléricaux, belges ou étrangers.
L’Université Lovanium, filiale congolaise de l’Université catholique de Louvain, avait ouvert ses portes en 1954 ; en règle générale le courant libéral et libre-penseur, symbolisé en Belgique par l’Université libre de Bruxelles, ne fut pas officiellement introduit dans la colonie avant l’arrivée au pouvoir en Belgique, en 1954, de la coalition socialo-libérale dans laquelle le libéral Buisseret avait été nommé ministre des Colonies.
5 Seuls les articles d’auteurs étaient signés. D’autres articles, qui étaient plutôt des montages de chroniques ou de documents, impliquant un premier niveau d’élaboration à Kinshasa, puis un second niveau au CRISP, à Bruxelles, où la documentation disponible était alors plus fournie et systématiquement classée, demeuraient anonymes. On postulait qu’ils résultaient d’un travail collectif produit sous la responsabilité du comité de rédaction de la revue, qui se réunissait au siège de l’INEP dans la capitale congolaise, et des deux éditeurs, l’INEP Kinshasa et le CRISP Bruxelles.
6 Rétrospectivement, on ne peut s’empêcher de mettre en parallèle cette évolution concernant l’encadrement universitaire en sciences économiques et sociales et le premier coup d’Etat du colonel Mobutu, en septembre 1960, qui procéda à la création d’un Collège des commissaires, comme première tentative d’utiliser les compétences des étudiants ou universitaires congolais pour sortir de la crise que les politiciens se montraient incapables de surmonter.
7 Certains professeurs belges accomplissaient leur tâche à la fois comme un apostolat et comme un rite. Ainsi, j’ai connu un étudiant congolais en biologie (première licence), seul et unique étudiant de sa volée, qui reçut un enseignement magistral de cinq professeurs, donnant leurs cours comme s’ils s’adressaient à un auditoire nombreux. Cet étudiant, qui avait ainsi mobilisé cinq enseignants uniquement pour lui, rata néanmoins son année et dut interrompre ses études sans avoir décroché de licence. Comme ils l’affirmaient eux-mêmes, certains enseignants belges se montraient d’autant plus sévères qu’ils savaient que les étudiants congolais allaient devoir assumer de lourdes responsabilités sitôt leur diplôme obtenu.
8 En décembre 1974, le Bureau politique du MPR (Mouvement populaire de la révolution), le parti unique, décrète la suppression des Facultés de théologie au sein de l’Université nationale du Zaïre. La Faculté de théologie catholique devient alors une institution autonome. En 1987, la Conférence épiscopale du Zaïre décide de la transformer en « Facultés catholiques de Kinshasa ». L’institution, qui compte deux facultés, celles de théologie et de philosophie, se voit adjoindre une troisième faculté en juillet 1989, sur décision du Comité permanent des évêques, celle des sciences et techniques du développement. Cette dernière connaît un essor rapide, qui s’explique aussi par la dégradation de l’enseignement « officiel ». Son programme, très complet, va de la licence au doctorat, en passant par un diplôme spécial et un DES. Elle dispense des cours du soir, organise des stages et des activités pratiques dans un Centre de développement rural, situé à 45 kilomètres de Kinshasa, gère un programme de publications et administre des échanges avec l’Université d’Anvers.
Auteur
Politologue, Institut universitaire d’études du développement (IUED), Genève.
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