Repères pour la gestion de l’environnement en Europe de l’Est
p. 233-242
Note de l’auteur
Bien que l’auteur soit membre de la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies, les opinions qu’il exprime dans le texte qui suit sont les siennes et ne reflètent pas forcément celles de l’ONU.
Texte intégral
L’encadrement général
1La transformation entamée par les pays ex-socialistes constitue une refonte complète de l’organisation sociale dans sa définition la plus large. Elle remet en question la perception de l’Etat et ses institutions par l’individu. Les rapports interpersonnels et entre les personnes et les institutions ainsi que les relations entre institutions sont appelés à se reconstituer, selon un modèle peu clair. Certes, l’autonomie de tout un chacun est accrue mais elle nécessite des efforts psychiques très prononcés. Rien n’est plus comme avant, sans qu’il y ait eu un temps suffisant d’adaptation. Bref, l’insécurité par rapport à ce qui va se passer, même dans un avenir proche, est grande, constante, et ce pour chacun.
2La gestion de la chose publique n’échappe pas à la règle. Ce qui doit être globalement de la compétence de l’Etat n’est plus clairement défini. Les instruments nécessaires au bon fonctionnement des administrations publiques n’existent pas encore, l’absence d’un système de perception de revenus fiscaux constituant de loin le handicap le plus grave. Une seule certitude demeure, à savoir que l’Etat dans son ensemble, et notamment son autorité centrale ou nationale, est moins pesant qu’il ne l’était auparavant. Dans beaucoup d’Etats fraîchement redevenus ou devenus indépendants, cela signifie que l’ancienne autorité, émanant d’une capitale d’un pays qui est devenue désormais étrangère, est partiellement transmise aux administrations régionales ou locales. Complication supplémentaire et fréquente : dans de petits Etats, l’autorité autrefois régionale devient l’autorité suprême, éliminant le niveau administratif des régions et laissant ainsi un vide entre le niveau national et le niveau local. Ce vide complique notamment la coopération entre communes – une coopération bien souvent nécessaire pour la réalisation de certains travaux de protection de l’environnement qui dépasse les moyens de la municipalité. En outre, la création d’un nouveau niveau régional représente une charge financière très lourde en période de transformation et, comme elle est souvent ajournée, elle laisse le champ libre à une coopération intercommunale improvisée ou à la transmission directe de la volonté du gouvernement national aux communes.
3Dans cette situation, la plupart des Etats en transition ont défini leurs priorités et le financement de celles-ci, notamment avec l’aide extérieure et à la hâte, incités par la détresse. L’introduction d’un système de taxation figure parmi les priorités absolues, mais les résultats n’apparaissent évidemment pas du jour au lendemain. La définition des priorités suit généralement deux axes : il s’agit d’une part de faire revivre l’économie et, de l’autre, de stabiliser les services sociaux à un niveau soutenable sans créer davantage de problèmes sociaux. Dans cette stratégie, la protection de l’environnement ne passe donc pas au premier plan, et elle doit généralement trouver seule ses propres moyens financiers. Les solutions les plus utilisées pour le financement de la gestion de l’environnement font l’objet de la partie suivante de cet article.
4Pour être soutenable dans ce contexte, la gestion de l’environnement doit surtout bénéficier de l’appui populaire, mais l’état de cet appui n’est pas très clair dans les pays en transition. Nombreux sont ceux qui sont convaincus que la priorité absolue pour la population est liée à un allègement des contraintes matérielles, et dans une large mesure ils ont raison. Néanmoins, même si les sondages sur cette question sont rares, on peut présumer dans plusieurs pays l’émergence d’une « conscience environnementale » non négligeable. Là où elle existe, elle semble avoir été suscitée par la crainte des impacts de la pollution sur la santé. La consommation d’eau « potable » polluée, quand elle provoque des maladies, ou les conséquences d’une radiation d’origine nucléaire élevée engendrent des réactions prononcées. Dans ces conditions, les populations semblent accepter des dépenses exorbitantes par rapport au niveau du revenu des ménages. Par exemple, les factures pour la consommation d’eau et pour la collecte et le dépôt des déchets atteignent dans certaines régions 25 % d’un salaire moyen. Elles sont cependant admises à la seule condition que l’approvisionnement en eau propre et la décharge des déchets dans les règles de l’art soient garantis. Une gestion de l’environnement qui se veut plus efficace doit se préoccuper de l’état de l’environnement dans ses aspects les plus néfastes pour la santé.
5Si les problèmes environnementaux perçus par la population peuvent être pris en charge par l’administration environnementale, parce que le financement de cette prise en charge est assuré, la gestion de l’environnement peut entrer dans sa phase pratique. Mais en même temps, la multiplication des décideurs dans la société et leur autonomie accrue par rapport aux administrations publiques suscitent un défi énorme : non seulement les niveaux administratifs doivent abandonner beaucoup de leurs prérogatives d’antan, ils sont aussi appelés à prendre dorénavant des décisions qui n’étaient pas de leur ressort. Les efforts à faire sur le plan de l’organisation, les changements de comportement et l’adaptation de la formation que ce défi implique sont passés en revue dans la quatrième partie de ce texte, et nous conclurons par une appréciation des chances de succès pour le processus de transition de la gestion de l’environnement.
Les méthodes de financement de la gestion de l’environnement
6L’absence d’un système fiable de revenus pour l’Etat hypothèque le fonctionnement du budget de la protection de l’environnement. Bien qu’il y ait des lois budgétaires, leur application est des plus arbitraires et on peut dire que les activités des administrations se décident souvent au jour le jour, suivant les arrivées, dans leurs caisses respectives, des transferts que les ministères des finances sont capables et prêts à effectuer. Si la situation s’améliore, c’est à un rythme très lent et uniquement dans quelques pays. Il n’est toujours pas rare que les salaires des employés ne puissent être versés régulièrement, aussi bas soient-ils – peu nombreux sont ceux qui gagnent plus de 100 à 200 dollars par mois – et les affectations budgétaires sont fréquemment limitées aux seuls salaires des employés et aux dépenses y relatives. Comme les administrations de l’environnement sont la plupart du temps exclues du cercle restreint des secteurs prioritaires, elles sont obligées de se trouver des sources de revenus si elles comptent opérer un minimum d’activités.
7Elles le font principalement de deux manières. D’une part, elles cherchent à monopoliser l’utilisation de tout revenu de l’Etat provenant d’une activité nocive pour l’environnement. Par exemple, les ministères de l’environnement réclament normalement que des paiements requis en contrepartie de permis d’émission pour des polluants de l’atmosphère ou de l’eau ou pour des déchets leur soient versés intégralement pour le financement de leurs activités opérationnelles. Souvent, des fonds spéciaux sont créés pour recevoir ces sommes ainsi que d’autres revenus, et les dépenser. D’autre part, les ministères de l’environnement demandent de participer au produit de taxes spécifiques, telle une taxe sur le pétrole ou sur l’énergie.
8Les deux démarches ne vont pas sans problèmes. Tout d’abord, il faut que le gouvernement dans son ensemble soit d’accord de céder aux instances du seul ministère de l’environnement et qu’il admette donc leur priorité. Cependant, bien que des compromis soient bien sûr à l’ordre du jour, les paiements qui souvent reviennent à l’administration environnementale à la suite de la décharge de polluants sont pratiquement dérisoires dans la plupart des pays. En règle générale, on peut dire que les administrations de l’environnement commencent à pouvoir travailler correctement lorsqu’elles obtiennent une part d’une taxe sur le pétrole ou sur l’énergie. Une telle participation n’est accordée que rarement.
9La décentralisation pose un autre problème pour la gestion des finances disponibles. Bien sûr, les administrations centrales délèguent volontiers les fonctions – sans cependant transférer des fonds, de sorte que nombre d’actions protectrices de l’environnement au niveau local ne sont pas entreprises faute d’argent. De surcroît, les municipalités n’ont souvent pas de revenus réguliers et, pour payer les salaires et autres dépenses prioritaires, elles puisent dans les attributions reçues à titre de protection de l’environnement ou dans les fonds pour l’environnement – pour autant que ceux-ci existent au niveau local. Cette pratique est encouragée par l’absence fréquente d’experts de l’environnement au niveau local qui pourraient guider l’utilisation de ces fonds en faveur de la protection de l’environnement.
10La pratique de création de fonds spéciaux pour la protection de l’environnement est très répandue dans les pays en transition, toujours au niveau national, parfois aussi aux niveaux régionaux et locaux. Il existe deux types de gestion : soit ces fonds sont administrés par le ministère des finances, soit ils possèdent un mécanisme d’administration indépendant. Dans le premier cas, les ministères de l’environnement n’ont pas toujours le contrôle des dépenses, ni même l’information complète sur les revenus des fonds, d’où leur préférence pour la deuxième solution. Pourtant, là aussi toute expérience n’est pas heureuse. Pour n’indiquer que les complications les plus importantes : les fonds peuvent attribuer des crédits ou des subventions, mais s’il s’agit de crédits, ils doivent entreprendre des transactions bancaires avec peu de moyens de contrôle, et souvent les crédits ne sont pas remboursés ; la transparence des prises de décision n’est pas facile à établir, d’où un potentiel de conflits politiques ; en outre, l’administration d’un fonds peut être coûteuse, surtout si l’on veut assurer son utilisation exclusive pour la protection de l’environnement. Pour ces raisons, les fonds sont devenus plus controversés au fil du temps de la transition, et certains pays ont déclaré ne plus vouloir continuer cette pratique. Ils ont été encouragés dans ce sens par des organismes internationaux.
11Si la recherche des moyens de financement internes au pays est clairement primordiale à long terme, un appui financier important est souvent sollicité et obtenu par le biais de la coopération internationale. Pour les pays les plus touchés par la crise économique de la transition, soit ceux qui ont peu de revenus publics provenant de l’activité économique intérieure, cette source est souvent la seule disponible pour la gestion de l’environnement. L’appui international se manifeste dans le cadre d’une coopération multilatérale ou bilatérale. Dans le premier cas, des financements sont souvent accordés dans le cadre des conventions ou programmes internationaux auxquels le pays adhère. En outre, des fonds sont dégagés par l’Union européenne en préparation à une adhésion, ou au moins à une accommodation, du pays bénéficiaire aux pratiques communautaires. Les montants sont en général considérables, et constituent potentiellement – à condition qu’ils soient efficacement gérés et utilisés – un élément important pour stimuler une harmonisation de la politique de l’environnement au niveau européen (sur la base des pratiques communautaires).
12Le financement obtenu par la coopération bilatérale est souvent beaucoup plus volumineux que celui provenant de la coopération multinationale. En plus, la coopération bilatérale est en règle générale (mais des exceptions existent des deux côtés) nettement plus efficace. Tel est notamment le cas de la coopération suisse en ce domaine : quand elle s’engage, elle le fait à long terme et avec un accompagnement par un personnel helvétique. Ces deux aspects sont malheureusement « oubliés » par beaucoup d’autres partenaires, ce qui fait que de nombreux projets financés internationalement manquent de continuité faute d’encadrement et de formation au niveau local ou de préparation institutionnelle dans les pays en transition.
13Un instrument bien spécifique mérite d’être mentionné séparément, puisque la Suisse l’a appliqué à la Bulgarie en 1995, à savoir la conversion de créances pour le financement de mesures de protection de l’environnement (debt-for-environment swap). Il s’agissait de renoncer au remboursement d’une dette de 22 millions de francs, en échange d’une obligation pour la Bulgarie d’investir l’équivalent de cette somme dans la protection de l’environnement. Malheureusement cet instrument est rarement utilisé.
L’état de l’environnement et ses risques pour la santé
14Les diverses pollutions créent des situations dramatiques dans le domaine des risques pour la santé. L’absence de systèmes efficaces de traitement des eaux usées est probablement l’aspect le plus commun dans les pays en transition. Si des usines existent, elles sont rarement maintenues en état et provoquent des débordements fréquents. Dans certains pays, on doit compter avec un fort abstentionnisme dans les usines de traitement de l’eau : les employés ne viennent pas tous les jours au travail car le défaut de versement régulier des salaires les oblige à cultiver leurs potagers pour survivre ! Les usines effectuant un traitement biologique des eaux usées ne sont pas la règle, et celles procédant à des techniques de purification avancée sont très rares. Souvent, les additifs pour un traitement efficace manquent, faute d’argent. Les canalisations sont presque toujours défectueuses et la contamination des eaux potables fréquente, même aux endroits où l’approvisionnement en eau est centralisé. Cette forme de distribution n’existe pratiquement nulle part en dehors des grandes villes, exposant la population rurale à la consommation d’une eau polluée au-delà des normes hygiéniques.
15Quant aux décharges publiques, la situation n’est guère meilleure. Elles constituent pratiquement la seule forme de traitement des déchets de toutes sortes, et il n’est pas rare de déposer au même endroit les déchets des ménages, des hôpitaux, des industries ou autres. Comme elles ne sont pas toujours contrôlées, les décharges sont libres d’accès et souvent des groupes marginaux de la population (Roms ou autres minorités) y cherchent des objets utiles, s’exposant à des risques d’infection évidents. Ces risques sont augmentés par la présence d’animaux errants dans les décharges. En outre, les décharges ne sont en général pas protégées contre l’écoulement vers les nappes phréatiques ou les eaux de surface avoisinantes, ni construites dans des endroits offrant une protection naturelle, de sorte que l’eau utilisée dans les villages environnants s’en trouve polluée.
16Dans certains pays, des risques importants pour la santé sont liés à des phénomènes de pollution plus localisés. Le plus spectaculaire de ces risques est dû à l’irradiation, qui survient dans des régions où se produisent des essais nucléaires ou qui contiennent des mines d’uranium, ou à la suite d’explosions nucléaires pour d’autres raisons (accidentelles ou à des fins de génie civil). Conséquemment à la politique d’information peu transparente qui a caractérisé (et qui parfois caractérise toujours) le régime socialiste du passé, la perception de ces risques n’est pas toujours aussi correcte qu’elle ne devrait l’être et constitue donc un problème pour les gestionnaires de l’environnement. En plus, il est fréquent que les populations exposées à ces risques ne les considèrent pas comme importants puisque leur activité économique en dépend, ce qui rend la gestion du problème encore plus ardue.
17Si l’irradiation est le phénomène le plus spectaculaire, celui des déchets des mines des ressources souterraines, déchets souvent hautement toxiques – y compris des matières radioactives, s’il s’agit de mines d’uranium –, est probablement le plus important. Même au centre des villes des maisons sont construites sur ces déchets, protégées seulement par une couche de terre. Les risques en découlant sont normalement connus des administrations, mais les remèdes à ce problème sont très coûteux.
18Enfin, un grand risque est lié à l’existence de produits chimiques toxiques. La baisse de l’activité économique a souvent entraîné l’abandon de produits chimiques, qui ont par la suite dépassé leur date limite d’utilisation et se sont détériorés. Le plus connu de ces problèmes concerne les pesticides obsolètes qui se sont accumulés presque partout. Mais il ne faut pas oublier non plus les produits pharmaceutiques (parfois déjà périmés à leur arrivée dans certaines régions de guerre !) ou encore des substances chimiques dans des anciennes usines industrielles qui sont aujourd’hui abandonnées faute d’activité.
19Un des rares points éclaircissant ce tableau noir concerne la pollution atmosphérique. Plus que pour les émissions des polluants de l’eau, l’arrêt de nombreuses entreprises de production a permis de stabiliser le niveau de pollution pour l’instant, malgré l’augmentation sensible de l’utilisation des voitures. Ensuite, beaucoup de pays en transition ont réussi à substituer des sources d’énergie moins polluantes aux anciens fuels. Il y a donc une tendance positive en ce domaine, même si la technologie utilisée pour la dépollution des gaz d’échappement est inexistante ou inefficace.
L’équilibre entre « réglementation » et « incitation »
20Issues d’un système non seulement centralisé, mais également extrêmement hiérarchisé, toutes les administrations trouvent très difficile l’adaptation soudaine à la communication et à la réglementation qu’émettent un grand nombre de décideurs, dont chacun a ses intérêts et ses prérogatives propres. Le défi qui s’ensuit est double : d’une part, il s’agit de redéfinir ce qui est du ressort de l’Etat et ce qui ne l’est pas ; d’autre part, il faudra trouver le juste dosage des instruments de gestion, afin que le but recherché soit atteint, sans entraver toutefois le développement durable du pays. De toute évidence, ces deux tâches sont à l’origine d’immenses perturbations de la gestion environnementale, puisqu’elles dépendent de l’attitude des parties concernées.
21Quant à l’équilibre entre règlements obligatoires et incitations, il est rare, voire impossible, d’associer à sa définition les différents groupes impliqués. La raison objective de cette difficulté est l’insuffisance du degré d’organisation de ces groupes, pour des motifs évidents. Les entreprises, même celles qui sont privatisées, ont en général du mal à réussir et, si elles rencontrent le succès, elles n’ont pas l’habitude de s’entraider. Du côté de l’Etat, rares sont les fonctionnaires doués d’une vision à long terme leur permettant de prévoir que la création opportune de rapports moins autoritaires avec le secteur privé déboucherait sur une simplification de leur travail à l’avenir. La population, elle, est généralement trop préoccupée par sa situation matérielle pour s’intéresser à un dialogue sur un problème qui naguère ne faisait pas partie de ses relations avec l’Etat. Pourtant, là où une discussion est provoquée – souvent par l’intermédiaire de partenaires internationaux –, elle est en général vive, et contribue rapidement au dénouement des problèmes.
22Mis à part ces questions de procédure, il existe une grande hésitation à abandonner la réglementation. Le cas le plus flagrant concerne les normes de qualité environnementale. Prenons l’exemple de la pollution atmosphérique. L’ancien système était le suivant : à partir de la nocivité d’un polluant atmosphérique déterminée sur la base d’études épidémiologiques, on fixait des seuils de concentration pour chaque polluant dans l’air ; ensuite on calculait, à l’aide de modèles standardisés, des émissions admissibles pour chaque source d’émission. Cela se faisait chaque année, pour chaque polluant possible, en tenant compte de l’activité de l’usine, et pour chaque source se trouvant dans l’enceinte de l’usine. Des usines complexes telles que les raffineries, pouvant abriter un millier de sources de pollution et émettant un large nombre de polluants atmosphériques, se voyaient donc exposées à une réglementation massive et à un travail énorme pour réglementer chacun des polluants séparément. Pourtant, parmi le millier de polluants, il n’y en avait guère qu’une trentaine qui pouvaient être effectivement mesurés, donc contrôlés. La résistance à l’abandon de ce système ne fléchit que très lentement. Il est vrai que les contraintes d’ordre pratique, y compris les frais énormes de l’ancien système, ont un poids moins impressionnant que la référence à la santé humaine.
23Le juste dosage des instruments de gestion pour arriver à un résultat satisfaisant appelle plusieurs démarches, les unes aussi novatrices que les autres dans le contexte de la transition. Tout d’abord, il faudrait connaître la réaction du secteur privé à ces mesures. Normalement, cette connaissance présuppose le fonctionnement d’un marché pour les acteurs économiques, et l’existence d’un système global de gestion publique pour les acteurs sociaux. Evidemment, ces deux conditions fondamentales ne sont pas remplies. Une autre incertitude concerne la définition du but recherché par ces instruments. Cela est possible avec plus ou moins de précision, mais demande quand même des opinions sur les développements technologique et économique, pour n’en citer que deux. La situation de base n’est donc pas propice à une solution réfléchie du problème. Une telle solution demanderait une approche où le tâtonnement remplacerait une décision basée sur des connaissances bien établies. Ce processus de trial and error serait coûteux. En plus, au moins en ce qui concerne les mesures économiques – dont raffole tout conseiller de l’Ouest arrivant dans les pays en transition –, l’unique but recherché pour l’instant est la collecte de revenus. Le désir de guider les décisions des acteurs privés vers la protection de l’environnement apparaît comme un luxe, prévu pour plus tard.
24C’est probablement dans le contexte de la définition des instruments de gestion que le manque de qualifications adéquates des fonctionnaires se fait le plus sentir. La recherche que doivent entreprendre ceux qui sont déjà formés et la formation de ceux qui en ont besoin à cause de leurs fonctions sont primordiales. La seconde de ces tâches est particulièrement difficile parce qu’une fois formé, un expert tend à quitter un service public qui a du mal à être compétitif en matière de salaires, par manque de revenus. Voilà le dilemme le plus désespéré du service public dans l’état actuel de la transition.
Le succès de la transition est-il possible ?
25La réponse à cette question dépend de beaucoup de facteurs, dont le degré d’optimisme qu’on veut bien se permettre ! Il est évident qu’après dix années de transition, on constate des succès, mais également des déceptions. Du côté des premiers, il faut surtout noter que la réduction nécessaire de l’appareil administratif de la gestion de l’environnement est bien entamée, dans la douleur, certes, mais avec un certain succès. Cet allègement de la bureaucratie conduira à une situation plus vivable pour toutes les unités économiques.
26Le côté moins réjouissant concerne l’introduction de la nouvelle gestion de l’environnement. Hormis les pays qui sont obligés d’adopter au plus vite la réglementation environnementale de l’Union européenne, et qui sont fortement assistés dans cette démarche par les fonds de l’Union, la réforme de la gestion de l’environnement s’est le plus souvent bornée à la création de nouvelles législations ou à la restructuration des institutions existantes. Dans les deux cas, ces mesures ne sont pas suivies d’effets. Les nouvelles législations demeurent souvent très théoriques et la restructuration des institutions chargées de la gestion environnementale était, avant toute autre considération, une méthode pour faire avaler la réduction des effectifs. Les instruments modernes de gestion de l’environnement restent donc toujours à créer ; ils doivent être adaptés aux différents acteurs et situations. Voilà un travail de très longue haleine, qui nécessite beaucoup de recherche et de réflexion de même qu’une approche prudente et équilibrée, s’il doit amener les sociétés en transition à bon port.
27La question de savoir si cela est possible nous ramène à la case départ. La transition des pays ex-socialistes est d’une telle envergure que le sort final de l’exercice risque de susciter encore des surprises. On ne peut qu’espérer que les peuples de l’Est européen, qui ont déjà subi tant de souffrances ces dernières décennies et consenti tant de sacrifices sans voir le bout du tunnel, retrouvent enfin leur place sur notre continent. Il faut certes les aider dans leurs efforts pénibles, mais il est clair que la plus grande partie de ce qui doit être accompli sera le résultat de leurs seuls efforts.
Auteur
Economiste et écologiste humain, Commission économique pour l’Europe, Palais des Nations, Genève ; analyste de la politique de l’environnement et promoteur de projets visant au développement durable des pays en transition.
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