Le caméléon et le technocrate. Paradoxes et ambiguïtés des élections présidentielles au Bénin
p. 41-70
Note de l’auteur
L’auteur tient à remercier Laurent Monnier pour ses remarques stimulantes.
Texte intégral
1La victoire de Mathieu Kérékou aux élections présidentielles de 2001, à l’instar de la précédente élection en 1996, en a surpris plus d’un. Quel regard peut-on alors jeter sur le déroulement et l’issue des dernières présidentielles au Bénin ?
2Au-delà des justifications des scores des candidats, des mobiles des électeurs et des explications causales souvent mises en avant, c’est aux sources mêmes du « Renouveau démocratique béninois » qu’il faut remonter pour dégager les enjeux et l’économie politique de ces élections. Cela permet de mettre en exergue les logiques du politique et de tirer nombre d’enseignements sur l’évolution politique récente du Bénin.
3De fait, le contraste est frappant entre
d’une part, la vitrine démocratique du « modèle » (côté jardin), où, en s’appuyant sur les principes, les institutions et les mécanismes inspirés des démocraties occidentales, « on joue le jeu de la démocratie », et où le design démocratique permet largement de s’ajuster aux nouvelles donnes du « temps mondial »1 (conditionnalité économique et démocratique, bonne gouvernance, démonstration de la bonne foi libérale, promotion des organisations de la société civile…) ;
et d’autre part, un « côté cour » avec une cuisine interne, où se superposent aux dispositifs formels divers réseaux, des alliances avec l’extérieur, des ajustements au sein de l’élite, des imaginaires et des référents spécifiques, une énonciation particulière du politique avec un langage codé, binaire et implicite dont les méandres, les subtilités et la plasticité éclairent nombre d’ambiguïtés et de paradoxes.
4De même, le recours à l’invisible, la permanence et la valorisation de la ruse et de la duplicité vont de pair avec des machines électorales huilées, des règles du jeu qui changent en permanence ; les usages du vote deviennent particuliers et les impostures des entrepreneurs politiques dans leurs tactiques et stratégies renseignent sur les contraintes et la complexité du jeu politique.
5La logique et la culture du jeu politique, la capacité des acteurs à réinventer les règles du jeu sont telles que les grilles d’analyse courantes n’arrivent pas à décrypter le système politique, sa configuration actuelle et ses orientations, ni encore sa dynamique paradoxale.
6En dehors des facteurs qui expliquent l’avènement de « Kérékou III », on peut s’interroger in fine sur la façon de faire de la politique au Bénin. Quels sont les critères d’un bon homme politique eu égard au contexte béninois ? Comment s’opère la réappropriation des principes et des valeurs de l’Occident ?
7Les éléments de réponse à ces questions permettent de dégager un cadre cohérent d’explication et de donner tout leur sens aux résultats des dernières présidentielles, étant entendu que les élections sont un moment paroxysmique du jeu politique. On pourra alors dégager les figures du politique. Mais avant, il convient d’effectuer un retour sur le modèle béninois.
Pour comprendre le modèle béninois
Le modèle et sa trajectoire
8Le Bénin tient lieu de modèle de démocratisation en Afrique depuis le début des années 19902. Ce pays a inventé et exporté sa formule de « Conférence nationale » sur le continent africain. L’ancien « quartier latin de l’Afrique » – qui, après avoir opté pour le marxisme-léninisme en 1975, a redécouvert les vertus du libéralisme en 1990 – a de quoi susciter les louanges des médias et les satisfecit des observateurs. De fait, avec des élections présidentielles, législatives et municipales périodiques depuis treize ans et deux alternances en 1991 et 1996, le « Renouveau démocratique béninois » s’est renforcé. Cela s’est traduit par un pluralisme politique et médiatique, la liberté d’expression et le respect des droits de l’homme, l’éveil de la société civile, avec l’avènement d’un espace public où l’on débat des questions de la Cité, un fonctionnement relativement satisfaisant des institutions de contre-pouvoir (Cour constitutionnelle qui n’hésite pas à désavouer le chef de l’Etat, Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication qui s’affirme face à divers gouvernements, velléités d’autonomie des commissions électorales indépendantes mises sur pied lors des scrutins…). Cette vitalité du jeu démocratique a induit une exemplarité du « modèle »3, avec son corollaire d’autosatisfaction des Béninois, exemplarité renforcée par les restaurations autoritaires déguisées, les coups d’Etat et autres guerres civiles survenus dans d’autres pays du continent. On a dès lors pu parler de « laboratoire de la démocratie », de « démocratie apaisée ».
9Tandis que politologues et transitologues dissertent sur les dynamiques du dedans et du dehors du Renouveau démocratique béninois, à grand renfort de concepts et de théories, les médias, par le truchement d’un journalisme interprétatif fondé sur des stéréotypes, des préoccupations et des sensibilités de journalistes et d’experts pressés, ne s’embarrassent pas de nuances analytiques et ont souvent imposé une perception du modèle béninois qui structure en partie la réflexion politique4. Cependant, la réalité du Renouveau ne coïncide pas avec les constructions médiatiques de la démocratie béninoise : derrière la vitrine, et loin des mécanismes institutionnels, se déploie côté cour un système distinct de ce que le Renouveau donne à voir au spectateur candide. Entre l’empirisme naïf des journalistes et des observateurs et la surthéorisation de nombre de politistes, une bonne part de la réalité de la vie politique béninoise échappe à l’analyse, en partie en raison de ce que Jean-Marc Ela a appelé « la crise du regard »5. Pour donner plus de lisibilité au processus de démocratisation au Bénin, il faut non seulement décrypter ce qui se passe côté cour, mais aussi mettre en exergue le revers de la médaille.
10En réalité, le précurseur « modèle » donnait depuis le milieu des années 1990 des signes d’essoufflement. Certains étaient liés à des déterminations de départ, tels l’immunité accordée en 1991 à Mathieu Kérékou et son corollaire, l’impunité des exactions commises de 1972 à 1989, ainsi que le non-renouvellement des élites. D’autres résultaient des défis de la gestion de la crise économique et financière avec son cortège d’effets de ciseaux des programmes d’ajustement structurel (PAS) successifs et de blocages et couacs divers. Ces contingences et ces modalités d’avènement du Renouveau démocratique béninois ont dessiné les contours d’une démocratie spécifique qui évolue à sa manière, avec à la fois l’apprivoisement de principes universalistes et des dévoiements par rapport à ces mêmes principes, dévoiements qui, au lieu d’être dysfonctionnels, s’avèrent opératoires dans le jeu politique béninois.
Les difficultés de consolidation du Renouveau
11En effet, la consolidation de l’expérience démocratique s’est très vite heurtée à de multiples difficultés. Citons entre autres l’émiettement de l’espace politique en une multitude de partis (de 37 en 1991, le nombre de partis est passé à 110 en 2001), ce qui ne permet pas de disposer de majorité stable à l’Assemblée où 21 partis sont représentés et accentue le « grenouillage ». Ce terme recouvre les manœuvres politiciennes, les tractations et les intrigues diverses, la chasse aux portefeuilles ministériels et aux postes de députés – qui nourrit l’inflation des partis et le marchandage politique –, les surenchères des partis dont la plupart ont pour leitmotiv la devise « alliance tactique avec démarcation stratégique ». D’où des majorités de bric et de broc qui ne tiennent que de courts moments avec des limogeages et des défections au sein des partis, ainsi que des ralliements à d’autres partis, phénomène devenu courant et que le journaliste béninois M. Machoudo a décrit dans un article au titre évocateur de « Transhumance politique : quand les politiciens retournent leur veste »6. Une des figures emblématiques du microcosme politique béninois a par exemple changé trois fois de parti, entre 1991 et 1993, pour finalement atterrir au sein du parti tardivement créé par Nicéphore Soglo, la Renaissance du Bénin7, et devenir ministre des Affaires étrangères dans le dernier gouvernement Soglo. L’avocat Edgar Yves Monnou, toujours membre de la Renaissance du Bénin, qui accompagnait N. Soglo dans tous ses déplacements durant sa traversée du désert de 1996 à 2001, n’a pas hésité, dans la controverse qui suivit le premier tour des présidentielles et sans attendre le second tour, à féliciter publiquement M. Kérékou, lors d’une conférence de presse tenue à Paris ainsi que dans un communiqué à l’Agence France Presse8, et à appeler entre autres N. Soglo à « plus d’humilité et de fair-play pour préserver les acquis de la démocratie », en ajoutant : « Nous avons échoué, notre peuple ne veut pas d’une alternance au sommet de l’Etat en 2001. »
12Une telle palinodie illustre le « grenouillage » des hommes politiques béninois, mais aussi, comme on le verra plus loin, la généralisation des dirty tricks (sales tours), la prégnance de l’idée selon laquelle « quand le rythme change, le pas de danse aussi doit changer » (houn dé dio, houé ton non dio), toutes choses qui fortifient l’idée non explicitée en vertu de laquelle il faut par ses calculs et ses attitudes se mettre du côté du gagnant. Le perdant a alors grandement tort car il faut toujours mettre tous les atouts de son côté pour gagner et la défaite équivaut implicitement à une incapacité à se doter des atouts permettant de parvenir à la victoire.
13Un clivage est apparu très tôt entre, d’une part, les milieux syndicalistes et universitaires et le Parti communiste du Dahomey (PCD) – réprimé par le régime marxiste sous Kérékou I et responsable de la contestation dès 1988 – et, d’autre part, la nouvelle classe politique largement dominée par d’anciens exilés, fonctionnaires internationaux, outsiders et opportunistes de tout poil ou encore d’anciens affidés du régime marxiste-léniniste ayant troqué le treillis ou le costume à col Mao contre le costume cravate qui sied au Renouveau. Ces milieux contestataires (syndicalistes, étudiants frondeurs, fonctionnaires socialement déclassés, diplômés au chômage, frustrés de tout poil) ont une logique putschiste (qui est par ailleurs un stigmate de l’ancien régime militaro-marxiste) et qui veut que tout soit soumis à débat (en vertu du principe « le pouvoir appartient au peuple ») même si un mandat a été donné aux députés, au gouvernement et au chef de l’Etat par des élections. Ils estiment que l’esprit de la Conférence nationale a été dévoyé et le Renouveau confisqué par l’élite au pouvoir : dès lors, le Renouveau n’est toujours que le règne de l’ancien régime.
14Il reste difficile de faire adhérer les couches urbaines au PAS et de faire passer les mesures d’austérité, alors que ces franges urbaines sont de plus en plus vulnérables et que les scandales, détournements de deniers publics et autres prévarications se sont multipliés, accentués par la nécessité de financer les partis, consubstantielle au nouveau cours politique. Par dérision, la presse a ainsi pu parler de « Renouveau démagogique, réceptacle d’opportunistes et d’usurpateurs bourgeois », de « pillage transparent », de « politique alimentaire », ou encore conclure de façon péremptoire que « les loups ne se mangent pas entre eux ».
15Il s’en est suivi désillusions et désenchantement de la population9, aggravés par la démagogie des hommes politiques avec leurs promesses électorales irréalistes10 qui, in fine, et selon la formule de l’homme politique français Charles Pasqua, n’engagent que ceux qui y croient.
16Malgré les différentes réformes impulsées, la restauration de l’Etat de droit et du principe d’accountability (obligeant les gouvernants à rendre des comptes), corollaire du nouveau système de compétition politique, l’enrayement de la machine politique appelait à réactiver d’autres modes de régulation déjà éprouvés par le passé, afin de mettre de l’huile dans les rouages : c’est là qu’intervient le côté cour ou, pour parler comme Emmanuel Terray, la véranda des discussions et des tractations nocturnes ou informelles, en complément du climatiseur qui symbolise le système institutionnel officiel11.
17Paradoxalement, c’est le côté cour, invisible pour l’observateur, qui constitue le site prédominant du jeu politique et qui aidera, plus que les institutions calquées sur le modèle occidental, à réguler le système politique et éviter la paralysie politique. Ces mécanismes informels sont mis en place et gérés par le détenteur suprême du pouvoir, le chef de l’Etat, selon son habileté, sa connaissance du terrain, des hommes et de la culture ambiante, ses sensibilités et aussi l’importance qu’il accorde respectivement au côté cour et au côté jardin. De ce point de vue, la comparaison des styles de gouvernement des deux présidents qui se sont affrontés et succédé à la tête du Bénin depuis 1991 est édifiante sur les logiques du politique. Les élections12 – dont les résultats sanctionnent les stratégies de ces deux entrepreneurs politiques – révèlent par leurs thèmes et leurs modalités de campagne, leurs usages sociaux et leur sens du vote, les règles cachées et impensées du jeu politique (au-delà de ce qui est inscrit dans la Constitution ou les lois électorales et que les juristes s’épuisent à décrypter et à comparer aux modèles occidentaux), les imaginaires politiques ou encore la réception-appropriation du concept de la démocratie.
Pour une approche alternative du politique
Des façons de faire de la politique : la gestion technocratique sogloïste et le « système Kérékou »
18Le contraste est frappant entre le style de commandement du technocrate Nicéphore Soglo, énarque, ancien administrateur à la Banque mondiale, premier ministre du gouvernement de transition de mars 1990 à mars 1991, puis président de la République d’avril 1991 à avril 1996, et le pragmatique général Mathieu Kérékou qui, après avoir dirigé le pays de 1972 à 1989, est revenu au pouvoir en 1996 (Kérékou II) suite à la défaite du président sortant N. Soglo, pour rempiler pour un deuxième mandat en 2001 (Kérékou III).
19Alors que Nicéphore Soglo s’était appuyé, lors des deux dernières élections, sur le bilan de son action gouvernementale (redressement de l’économie jusqu’alors paralysée par une quasi-banqueroute, réalisations diverses, taux de croissance redevenu positif jusqu’à 5 %…), il n’a pu avoir gain de cause. Non seulement le bilan de l’action gouvernementale n’est pas un critère déterminant, mais l’arrogance de l’ancien administrateur de la Banque mondiale, le sectarisme et le népotisme qui lui sont reprochés à cause de l’immixtion jugée exagérée de sa femme, de ses enfants et de ses proches dans la gestion du pays et la vie politique, son discours technocratique sec l’ont nettement desservi. N. Soglo ne ratait pas une occasion pour critiquer, voire insulter journalistes et opposants, ou encore fustiger la gabegie et la dictature de Mathieu Kérékou, tout en affichant son mépris et sa condescendance à l’égard de ses interlocuteurs, et se montrait peu réceptif aux conseils de son entourage ou d’hommes politiques plus chevronnés. Aussi aimait-il lancer des ultimatums aux partis en leur enjoignant de le soutenir avec menaces à l’appui. Les discours de l’ancien président étaient truffés d’envolées lyriques sur les agrégats monétaires (même devant un parterre de chefs traditionnels analphabètes), de commentaires sur les performances à réaliser et de louanges sur les programmes des institutions de Bretton Woods. D’où les surnoms d’« Hercule », de « La Banque a dit » ou encore « Quand j’étais à la Banque ».
20De même, l’application inconséquente des décisions de la Conférence nationale et l’alignement de N. Soglo sur les injonctions des institutions de Bretton Woods ont contribué à ses échecs lors de ses deux dernières tentatives de briguer la magistrature suprême. Bon gestionnaire, celui-ci n’en est pas moins un piètre politicien peu en phase avec son environnement, faisant davantage appel à la raison qu’au cœur de ses compatriotes.
21A l’opposé, Mathieu Kérékou, en caméléon (c’est-à-dire en personnage s’adaptant à toutes les situations en changeant de couleur), a mis l’accent sur la redistribution, la circulation des élites avec une cooptation tous azimuts13, le « cadeautage » des partis ou d’hommes d’affaires ayant soutenu sa candidature, et cultivé l’image d’un homme austère, rassembleur-arbitre donnant sa chance à tout un chacun.
22Dépourvu de parti, M. Kérékou a veillé, lors de ses deux dernières magistratures, à donner une caution technocratique à ses gouvernements (en cooptant des technocrates non inféodés aux partis) tout en élargissant le recrutement politique au sein du gouvernement, de son cabinet et de son shadow cabinet à de jeunes outsiders, à d’anciens dignitaires de l’ancien parti unique marxiste-léniniste ou encore à d’anciens présidents de la République qu’il a lui-même contribué à renverser par le passé (par exemple Emile Derlin Zinzou). Tout en donnant de la sorte des gages pour montrer que tout un chacun avait sa chance (il a pu nommer des instituteurs ambassadeurs, un ancien trafiquant de drogue ministre…), il n’hésitait pas à se débarrasser de leaders de partis qui l’avaient fait roi (cas d’Adrien Houngbédji et d’Albert Tevoedjré) et montrait par la même occasion qu’il était le chef d’orchestre et l’arbitre central, toutes choses qui confortent son leadership et son image d’homme fort cultivée par le passé.
23En fin connaisseur de l’âme béninoise – pour avoir dirigé le pays pendant plus de deux décennies –, Mathieu Kérékou va manipuler avec brio les symboles de la culture politique locale. Machiavélique dans ses manœuvres, réaliste et prudent sur le fond, prenant dans la solitude les décisions importantes, M. Kérékou va souvent feindre et ruser14. Capitalisant sur sa repentance symbolisée à la fois par le pardon qui lui fut accordé par la Conférence nationale, l’immunité dont il a bénéficié, sa solitude et son mutisme durant sa traversée du désert, le Caméléon va s’évertuer à cultiver une image d’homme au-dessus de la mêlée, renforçant un certain mythe autour de sa personne.
24Tout au long de la campagne présidentielle, il se décrira tour à tour comme « le père de la Nation », un « général chargé de protéger ses compatriotes » ou encore « le candidat de la conscience béninoise et africaine », « l’arbitre central » au-dessus même de la Cour constitutionnelle, le « professeur » face à ses apprentis. Cette dernière assertion faisait allusion au fait que la plupart de ses challengers avaient servi sous ses ordres en tant que premier ministre ou ministre, mais aussi accréditait l’idée qu’il maîtrisait nettement mieux les règles informelles de la véranda, qu’il pourrait enseigner à ses adversaires. Tout cela enfin réaffirme son statut naturel et légitime de leader charismatique prédestiné à exercer le pouvoir.
25Dans le même temps, Kérékou se fait homme du peuple, humble, n’hésitant pas à se faire photographier juché derrière le conducteur d’un taxi-moto, photo qui figurera d’ailleurs sur son site Internet <www.generalkerekou.com>. Personnage théâtral doté d’un sens aigu de la mise en scène et fin calculateur, il apporte une attention particulière à ses tenues vestimentaires, aux lieux où il déclare ses candidatures, qui représentent des symboles forts, etc. De même, il va subtilement mettre en scène et médiatiser un mode de vie austère, sobre et simple15 censé désamorcer toute critique d’enrichissement. Il devient ainsi, selon l’expression d’un observateur averti, « un chef de gang qui n’est pas lui-même un voleur », et qui transfère la responsabilité de la prédation des finances publiques sur ses collaborateurs et légitime par avance sa pseudo-croisade anticorruption16. Au fond, tout porte à croire que M. Kérékou aime en réalité le pouvoir sans forcément vouloir jouir de tous les délices qu’il procure. Dans le même temps, palliant le fait qu’il ne dispose pas de parti et jouant à la personne désintéressée, il fera passer ses candidatures, toujours tardivement annoncées, pour la volonté du peuple. Ainsi, le 1er février 2001, après que des marches de soutien eurent proposé sa candidature et que des leaders de différents partis l’eurent quasiment supplié de briguer un nouveau mandat, M. Kérékou devait déclarer en introduction de l’annonce de sa candidature, devenue en la circonstance un événement quasi céleste : « Me voici devant vous. Je réponds favorablement à votre sollicitation. »
26Nicéphore Soglo, en revanche, s’est montré trop sûr de lui, sectaire, suffisant et imbu de sa personne, hâbleur et revanchard. A la campagne de M. Kérékou centrée sur la stabilité et le consensus, il a répondu par une campagne privilégiant ses relations avec des dirigeants étrangers, arguant de son séjour à Harvard et de son expérience à la Banque mondiale, et critiquant sévèrement l’action de son challenger. En s’inscrivant totalement dans la modernité17 et cultivant à l’excès l’image désuète et surannée de l’akowé18, l’ancien énarque ramait à contre-courant de la culture politique ambiante, faisant presque l’exact contraire de ce qu’il aurait dû faire. Malgré son instruction, l’ancien administrateur à la Banque mondiale s’est montré d’une médiocrité politique déroutante (que les événements allaient confirmer par la suite), avec une ignorance, voire un mépris des mœurs politiques locales, en cherchant à transposer les modes de gouvernement occidentaux dans un pays dont il ne maîtrise malheureusement pas les rouages politiques19.
27Dans le contexte béninois, entre le yuppy modernisateur déconnecté des réalités et le vieux briscard manipulateur de symboles, sachant soigner les frustrations et faire espérer, les jeux étaient faits d’avance.
28Ces deux styles contrastés expliquent pour une bonne part la victoire de M. Kérékou lors des présidentielles de 1996 et 2001. Leur opposition renseigne sur les mécanismes du jeu politique. En effet, au-delà du contraste s’affrontent deux logiques : la logique de performance de N. Soglo (gestion technocratique et programmatique), qui s’avère inefficace pour la conservation ou la conquête du pouvoir, et la logique redistributive, qui s’avère payante même au prix d’un immobilisme (navigation à vue, absence de réformes) ou d’une gabegie croissante (système Kérékou). Cette dernière logique fait partie intégrante de l’imaginaire politique ambiant.
L’économie politique des élections de mars 2001
29Les présidentielles de mars 2001 furent émaillées d’incidents, de contentieux et de contestations des suffrages dont étaient crédités les différents candidats20. Dans une ambiance de confusion, d’accusation de fraudes et de mauvaise foi, de recours introduits auprès de la Cour constitutionnelle à l’issue du premier tour (87 % de taux de participation) par Nicéphore Soglo et Adrien Houngbédji – arrivés en deuxième et troisième position, avec respectivement 28 % et 12 % des suffrages derrière Mathieu Kérékou, crédité de 45 % des suffrages –, « un match amical par défaut et sans suspense » a finalement opposé Bruno Amoussou21 à Mathieu Kérékou. Les candidats Soglo et Houngbédji s’étaient désistés et avaient appelé sans succès au boycott du scrutin, dénoncé « la mascarade électorale », « l’imposture », « la partialité et la vénalité du président de la CENA », Charles Djrekpo, « le hold-up électoral », et pris la communauté internationale à témoin. Précisons que la CENA, qui a fait preuve d’impartialité lors d’élections antérieures, est composée de 19 membres désignés par l’Assemblée, de trois membres désignés par le gouvernement, de deux magistrats et d’un représentant de la Commission béninoise des droits de l’homme, soit un total de 25 membres, et qu’elle est fortement politisée et divisée. Cela explique qu’elle ait pu continuer à officier nonobstant la démission de certains de ses membres et que, d’autre part, son président ait pu jouer un rôle prépondérant en dépit d’une lettre du ministre de l’Intérieur circulant sous le manteau sous forme de tract, qui lui réaffirmait les promesses du « général » s’il « gérait bien les élections ». L’inféodation du président de la CENA, tout comme celle de membres influents et surtout de la présidente de la Cour constitutionnelle (dont les décisions sont sans recours), procède de « l’ingénierie électorale » mise en place par M. Kérékou pour garantir son succès aux élections, quitte à ternir l’image de la Cour et entamer sa crédibilité. Côté jardin, des institutions qui fonctionnent à merveille, et côté cour, une cuisine interne qui phagocyte tout l’aspect procédural. Des témoignages concordants accréditent d’ailleurs la thèse selon laquelle tout était programmé pour que M. Kérékou gagne les élections au premier tour. Ce plan ayant été déjoué suite à de multiples aléas, la tactique a consisté à empêcher toute alliance donnant un poids critique à N. Soglo au second tour.
30Le chien aboie, la caravane passe. Malgré ces péripéties et l’existence alléguée d’irrégularités22, la communauté internationale interloquée est restée sans réaction, même si l’image du modèle en est sortie quelque peu brouillée23. Mais on finit par entériner les résultats du second tour (83,64 % des suffrages pour Mathieu Kérékou contre 16,36 % pour son faire-valoir, Bruno Amoussou, avec un taux de participation de 53 %), ce qui a permis à Mathieu Kérékou de prêter serment le 6 avril 2001 pour un nouveau mandat de cinq ans24. Nous sommes côté jardin, avec les arguties juridiques et le goût immodéré de la procédure, si bien que les déclarations de certains opposants à Kérékou ressemblent à un grand oral de sciences po ou à l’exposé d’un candidat à l’agrégation de droit public, à grand renfort d’invocations d’articles de la constitution béninoise et de comparaison avec les textes fondamentaux d’autres pays. Largement axée sur la thématique de la lutte contre la corruption (clin d’œil aux bailleurs), la campagne donne à voir ce que les protagonistes veulent laisser transparaître.
31Côté cour, l’instrumentalisation du thème de la lutte contre la corruption permet de régler les comptes, de porter des coups de Jarnac à l’adversaire sur la base de dossiers patiemment réunis et subtilement distillés à travers la presse. Et pour cause : nombreux sont les membres du microcosme politique qui se sont rendus coupables d’indélicatesses, de prévarications et autres détournements des deniers publics. Ces faits notoires ne changent en rien la donne : même si on les dénonce collectivement, on en profite individuellement. Cela concerne d’abord les électeurs s’enquérant de façon faussement naïve auprès des candidats : « Comment êtes-vous venus ? »25, mais aussi les villageois sachant apprécier le salut monétaire des fronts26 – pratiqué par la quasi-totalité des candidats – même s’ils se doutent de l’origine des fonds qu’ils reçoivent à titre gracieux et savent qu’ils ne voteront que pour un seul candidat, et enfin les zémidjan (conducteurs de taxi-moto) qui profitent du « moment élections » pour arrondir leurs fins de mois en portant des tee-shirts à l’effigie de tel candidat ou en organisant des processions en son honneur. Tout est bon à prendre, car comme le dit un adage fon fort répandu, « c’est ce que tu as reçu et “mangé” ici et maintenant qui t’appartient réellement ». Le futur, tout comme les prétendus programmes des candidats, est de facto dévalorisé.
32Tout cela procède de calculs opportunistes et parasites : il s’agit de du afu27, littéralement « profiter des largesses d’autrui », notamment celles des entrepreneurs politiques, sans pour autant que cela n’engage à quelque réciprocité, car ces derniers ne sont par ailleurs pas dupes. Les journalistes ont leurs tarifs pour tirer à boulets rouges sur tel homme politique ou publier tel dossier explosif opportunément exhumé des tiroirs. Tous les coups sont alors permis et l’argent circule à flots28, ce qui permet, le temps des élections, une redistribution à grande échelle où les cadets sociaux prennent leur revanche sur les dinosaures repus. Les hommes d’affaires choisissent leurs candidats – s’ils ne les arrosent pas tous – en attendant le retour sur investissement qui, on le sait, s’accommodera mal de la moralisation de la vie publique et de la good governance.
33L’un des enjeux devient alors la disposition du nerf de la guerre pour « motiver » les grands électeurs tout comme l’électeur de base. Dans cette logique, le détenteur du pouvoir est a priori mieux loti que ses challengers puisqu’il contrôle la source principale de financement (les caisses de l’Etat) et détient un pouvoir potentiel de redistribution après les élections29.
34Précisons que, comme à l’accoutumée, les présidentielles de 2001 ont-elles aussi obéi, outre la loi de l’argent, à l’arithmétique ethno-régionale assortie de la logique de « prime au fils du terroir »30, avec son cortège de psychose de coup de force ou de guerre civile et de velléités revanchardes des populations de la partie septentrionale du pays.
35En raison de la prépondérance des ressortissants du Sud du Bénin au sein de l’élite et dans la vie politique du pays, le Nord s’est souvent senti floué, ce qui a donné naissance à un clivage Nord-Sud. Originaire du Nord, M. Kérékou a toujours su habilement gérer ce clivage en refusant de s’enfermer dans une logique régionaliste et en s’entourant même davantage de cadres du Sud et du centre, alors même que N. Soglo a toujours eu des difficultés à se tailler des fiefs dans la partie septentrionale. Conforté par la multiplicité des candidats originaires du Sud, à laquelle se superpose une polarisation dans le Sud, incarnée par les trois principaux poids lourds (B. Amoussou pour le Sud-Ouest, A. Houngbédji pour le Sud-Est et N. Soglo pour le reste de la partie méridionale, avec un axe Cotonou/Ouidah/Abomey), M. Kérékou a su très vite instrumentaliser cette donne. Il lui a en effet suffi d’encourager la concurrence et l’affaiblissement des poids lourds du Sud par des leaders de partis natifs de ces différentes sous-régions, tout en inféodant les partis du Nord31.
36Dès lors, face à l’improbabilité de la candidature unique d’un seul poids lourd de la région méridionale (après désistement ou entente), M. Kérékou devient, en raison même de cette configuration sociologique, un garant et un gage de la cohésion nationale et son image de non-partisan impartial est favorisée par le fait qu’il ne dispose pas de parti en propre.
37Tout le monde joue le jeu, mais personne n’est dupe. Pour le vulgum pecus, la politique est la terre d’élection de la langue de bois, du simulacre, de l’imposture et des magouilles, et les politiciens, des nubaduto (des gens qui cherchent seulement à bouffer) avec une propension au wiwan (gourmandise, voracité, goinfrerie). Dès lors, les politiciens sont blanc bonnet et bonnet blanc et ne sauraient se manger entre eux. Pour d’autres, plus péremptoires, il s’agit simplement d’adjoto (voleurs). La politique est en effet généralement perçue avant tout comme un moyen d’enrichissement, d’assouvissement de la soif de pouvoir et d’ascension sociale.
38Les électeurs désabusés ont depuis longtemps intériorisé l’idée que les fraudes sont constitutives du marché électoral. Dès lors, les revendications par un Nicéphore Soglo de clarification des listes électorales et d’annulation du scrutin deviennent superflues : les règles du jeu veulent implicitement qu’on use de la ruse et d’intrigues. Tout le reste n’est que simulacre ; à charge pour chacun des candidats de se montrer le plus rusé et de bâtir son dispositif32 en conséquence, d’anticiper les alliances et de prévoir des scénarios de riposte rapide aux initiatives adverses. Dans un contexte où la politique est assimilée au ahizi33 et fonctionne comme tel, il devient illusoire de recourir au formalisme juridique. Au surplus, on est perçu comme « quelqu’un qui n’a pas pris ses dispositions », selon la formule consacrée. Il est d’ailleurs significatif que Nicéphore Soglo ait été taxé de « mauvais perdant » et que la presse ait stigmatisé sa « capitulation », son « chantage odieux », et l’ait accusé de vouloir, par son attitude, « bloquer le processus électoral et paralyser l’Etat »34.
39En vérité, N. Soglo avait en un sens échoué à convaincre les autres candidats, notamment Bruno Amoussou, ainsi que la CENA et la Cour constitutionnelle de le suivre dans la contestation des résultats. Après avoir pris avec quelque retard conscience de la logique implacable du dispositif électoral de M. Kérékou, il était prêt à jouer son va-tout, voire à recourir à la violence et à créer un vide constitutionnel à partir du 6 avril 2001, d’autant plus que la différence de plus de 500’000 voix à l’avantage de M. Kérékou au premier tour était éloquente malgré les fraudes alléguées et que son mot d’ordre de boycott n’avait été que timidement suivi. Plus que les arguments officiellement avancés, les jeux d’alliance s’avèrent déterminants35 et rendent le processus électoral fluide avec des résultats aléatoires au fil des tractations, des stratégies et des dispositifs, des financements disponibles, des retournements d’alliance et des calculs du microcosme politique. On en arrive au fait, en un sens paradoxal, que l’issue de l’élection est toujours aléatoire puisque les véritables règles du jeu changent sans cesse. On joue le ahizi dans le cadre des principes constitutionnels et démocratiques universels. Le vent tourne sans cesse, tant et si bien qu’au second tour, des candidats opposés à M. Kérékou découvrent subitement qu’il est « l’homme que le peuple a choisi »36 et que des notables de partis d’opposition appellent ouvertement à voter pour lui. Le repositionnement de l’élite n’a alors plus de limites, pas plus que la versatilité de l’électorat.
40Ce qui est perçu comme un imbroglio électoral par l’observateur non averti n’en est pas tout à fait un. Les « autres façons de faire la politique » l’emportent même si les candidats disposent de sites Internet et déclament leurs programmes (ou ce qui en tient lieu) en plusieurs points pour faire diversion. Lors des élections, tout comme dans la vie politique quotidienne, on retrouve toujours le climatiseur et la véranda. A la lumière de ces deux versants (côté jardin et côté cour), quels véritables déterminants de la politique peut-on dégager ?
Le renouveau démocratique : côté cour et côté jardin
Les logiques du politique
41Les performances politiciennes sont les seules choses qui comptent vraiment. A charge pour l’entrepreneur politique d’ajuster son discours et ses comportements aux imaginaires de la population, de se professionnaliser sur cette base en intériorisant les critères d’un bon homme politique. Parmi ceux-ci, citons l’humilité et le respect des gens, le djidjodagbé (bon comportement du good guy, « réglo », ce qui sous-entend une conformité aux règles implicites de l’imaginaire) ; le gnon homé (générosité, amour du prochain, partage, avoir un bon fond) ; la théâtralisation, qui suppose de jouer la comédie, de faire semblant sans dévoiler l’essentiel du côté cour.
42Dans cette quête de l’humilité (qui est une réponse adéquate aux « béninoiseries » que nous expliciterons plus loin), le politicien-investisseur peut aller jusqu’à jouer à l’idiot (nec plus ultra de la ruse) afin que ses adversaires le minimisent mais qu’il puisse les tromper37. Ce fut la stratégie de M. Kérékou lors des dernières présidentielles : tout en ayant bétonné à l’avance son dispositif, le Caméléon « a fait l’andouille » afin que N. Soglo, qui, arguant de son bilan – au fond non déterminant et qui tient une place de choix sur son site Internet <www.soglo.com> – et du peu de résultats de l’administration Kérékou II, croyait à une élection gagnée d’avance, néglige sa propre campagne. Ce qui illustre une fois de plus que la politique ne repose pas sur les résultats concrets de l’action du gouvernement, mais se mesure plutôt à l’aune des capacités redistributives et du degré d’intériorisation des principes informels du jeu politique.
43Préserver le côté cour conduit inconsciemment à une sorte d’omerta qui a partie liée avec un autre répertoire, celui du secret qui, dans le culte vodun, joue un rôle central en tant qu’instrument de pouvoir, d’obéissance et de loyauté. Selon ce schéma, les initiés (ceux qui ont mon aho) ont un langage codé et doivent garder le secret par rapport aux non-initiés, les Ahé. Ils ne doivent pas parler de certaines choses sous peine de marginalisation sociale (qui en fait des parias), d’ensorcellement, d’empoisonnement ou de mort. Ainsi, le côté jardin est préservé grâce à toutes sortes de manœuvres accusées d’hypocrisie, de mise en scène et d’illusionnisme collectif, que l’on peut désigner par le vocable fon yéménun (hypocrisie, dissimulation). Bien entendu, un tel dispositif n’aide pas le profane à percer la grammaire du politique. Bien plus, il conforte le microcosme politique dans sa tentative de manipuler l’interlocuteur (surtout étranger), en jouant sur le répertoire moderne et universaliste qu’il maîtrise bien à cause de sa formation occidentale, tout en dissimulant l’essentiel. Il ne faut jamais en dire trop et le discours doit être modelé en fonction de l’interlocuteur, en cultivant au besoin les quiproquos et malentendus. Une bonne partie de la politique relève du aho (chose d’initiés). Ainsi, le ministre qui disserte brillamment dans les enceintes internationales sur la good governance et les moyens de moraliser la vie publique dans son pays n’en organisera pas moins dans le secret – et de préférence lors de réunions nocturnes (le aho tout comme la sorcellerie et les choses occultes sont du domaine de la nuit, ce qui en renforce l’opacité) –, des rackets huilés au sein de son ministère afin de s’enrichir, quitte à recourir à l’invisible pour eviter d’être découvert. Il s’ensuit un « mentir à soi-même », un illusionnisme collectif (mêdébiblé), qui entraîne un dédoublement psychologique de l’homme politique qui jongle en permanence entre deux répertoires.
44Quant aux « béninoiseries » – concept éclairant dont la paternité est attribuée à l’ancien ministre Robert Dossou –, le journaliste béninois Léon Brathierles définit comme « l’atavisme d’un certain esprit béninois qui porte à exceller dans les contorsions aussi bien verbales que comportementales […] avec un génie imaginatif au service de la convoitise, de la médisance et de la méchanceté […] A l’analyse, l’on peut dire que notre mentalité est aujourd’hui comparable à celle du joueur d’une loterie instantanée dont l’angoisse est de gagner ici et maintenant, et surtout de gagner gros […], une société du sauve-qui-peut »38. Cette mentalité, qui favorise les coups de poker politiques et l’esprit de facilité, vise aussi à réduire à néant toute initiative qui émerge, à niveler les actions courageuses, de préférence par le bas. Et le journaliste de conclure que l’ensemble du système donne l’impression d’« un bateau qui “fait du sur-place” parce que, pour un petit intérêt personnel, deux individus naviguent à contre-courant, contrairement à la cadence de tous ».
45Le politicien est dès lors sommé d’intégrer ces « béninoiseries » qui sont des habitus, qui participent de la grammaire politique locale et se traduisent par un art consommé du simulacre, de la falsification, de la dissimulation et de la manipulation, avec pour corollaire la méfiance (souvent teintée de crainte et de peur), la duplicité et la ruse.
46Une telle atmosphère impose au politicien d’être « puissant », c’est-à-dire d’être à la fois protégé et blindé par des moyens occultes de façon à ne pas être vulnérable aux « missiles » et autres mauvais sorts qui pourraient lui être lancés par ses adversaires dans le champ de l’invisible, ou encore à pouvoir adresser des ripostes foudroyantes, quitte à donner s’il le faut dans l’arbitraire. Il se doit d’être un asuka39, un sunun glégbénun40, prompt à anticiper et à déjouer les ruses et les intrigues de l’autre. Ces habitus, qui dérivent de la mentalité de courtisan et de la prégnance des intrigues au sein des cours royales d’antan41 ainsi que du contrôle social induit par les jeux de l’invisible et notamment le culte vodun42, façonnent les comportements aussi bien du politicien que de l’homme de la rue, même s’ils confinent souvent à une forme de paranoïa. En témoignent d’ailleurs la discographie béninoise tout comme nombre de proverbes.
47L’imposture est alors érigée en modus vivendi avec un « égoïsme collectivement partagé mais aux incidences collectivement critiquées dont les responsabilités incombent à l’Etat, par définition impersonnel »43. Cet égoïsme, qui est à la base du jeu politique, est résumé par la formule bien connue au Bénin Gbadé tché djin nan bi, littéralement, « Quoi qu’il en soit, c’est mon maïs à moi qui doit cuire, à l’exclusion du maïs de tous les autres ». En écho à cette forme d’égoïsme sacré existe une autre formule selon laquelle Gbadé ‘tche’ djin nan bi o zo wé kan non tchi do, littéralement, « Quand on cherche à cuire exclusivement son maïs, le feu s’éteint » (à cause du recours à l’invisible, de la convoitise, de la méchanceté, de la jalousie). L’intériorisation de toutes ces variables doit conduire le politicien à être vigilant et à construire sa stratégie et sa légitimité pour avoir un « bon comportement ».
48Ce bon comportement, lié à une accumulation largement redistributive et un sens de l’équité, fonde la légitimité : le Prince se doit d’être juste et doit donner sa chance à tout un chacun. Ce système de gouvernement, fondé sur le schéma de la tontine avec sa temporalité cyclique44, permet une rotation de l’élite et des différentes factions aux postes à responsabilité et induit une forme de consensus. Le blocage du système tontinier par une monopolisation des positions de pouvoir et l’accumulation par une personne ou un groupe de personnes – ou par simple ostracisme – enraye la machine politique. Inversement, et de façon paradoxale, les alternances confortent ce système tontinier, tout comme la cooptation et la circulation des élites, qui peuvent prendre une forme élaborée de gouvernement d’union nationale sous le parrainage du chef de l’Etat. Sous cet angle, on peut dire qu’en fait on n’élit pas un président, mais qu’on défait ou donne quitus à un « président-chef tontinier » selon l’appréciation que l’on a de sa gestion du système tontinier. C’est à la lumière d’une telle logique qu’il faut interpréter l’élection, en janvier 2003, de Nicéphore Soglo comme maire de Cotonou, au détriment de son challenger, Séverin Adjovi, ancien ministre, leader de parti et partisan de Mathieu Kérékou. Malgré les défauts reprochés à l’ancien président, l’opinion largement répandue dans cette ville rebelle à M. Kérékou (forte concentration de cadres) et fief du parti de N. Soglo (forte présence d’électeurs d’ethnie fon) était que « les gens de Kérékou » avaient accaparé tous les postes juteux : il fallait donc sanctionner la défaillance du chef tontinier Kérékou qui n’a pas su laisser des miettes à l’adversaire, ainsi que réguler et rétablir le juste équilibre du système tontinier.
Le réglage de sens du concept de démocratie : la perception et la domestication de l’idée de démocratie par les gens ordinaires
49La réappropriation du concept de démocratie – et les autres contraintes et injonctions liées au temps mondial – s’effectue à travers diverses modalités de réglage. Ainsi, les élections et/ou alternances sont instrumentalisées au service du système tontinier de gouvernement, qui repose sur le principe cardinal de la participation de tout un chacun au partage du national cake.
50De même, la réappropriation de la préoccupation occidentale de lutte contre la corruption permet au microcosme politique de dénoncer les pertes annuelles de 60 milliards de francs CFA, dues à la « corruption », et de réclamer une moralisation de la vie publique. Or, cette moralisation va à l’encontre de l’utilisation des deniers publics à des fins de redistribution et de régulation politique. Cependant, le credo de la lutte anticorruption est fonctionnel à bien des égards : il permet d’exhumer des dossiers lors des campagnes électorales pour déstabiliser adversaires ou alliés à l’attentisme calculateur45. Tout cela donne l’illusion d’une lutte contre ce fléau, qui s’appuie sur des dénonciations symboliques dans la presse ou lors d’émissions radiotélévisées, ou encore sur la création à la présidence de la République d’une cellule de lutte contre la corruption censée moraliser la vie publique46.
51A vrai dire, on critique collectivement la corruption, mais on en profite individuellement. Paradoxalement, la critique prend tout son sens selon la perspective adoptée : le partage du national cake est condamné lorsque la redistribution est insuffisante ou lorsqu’il y a exagération dans le captage et l’extraction des ressources à des fins personnelles. Aussi critique-t-on en réalité non pas le principe de la manducation (voler l’Etat n’est pas immoral, puisque ce n’est pas le bien de ton père ou de ta mère), mais plutôt le wiwan (la goinfrerie, la voracité) qui véhicule l’idée d’exagération dans les modalités et la vitesse d’enrichissement ou encore la longévité de certaines personnes à des « postes juteux » (tontine et circulation de l’élite). La confidence que nous a faite un directeur d’une entreprise publique juteuse, peu après avoir été démis de ses fonctions en Conseil des ministres (arbitrage du Prince), illustre bien cette façon de voir : « On n’interdit pas de manger. Mais il faut le faire dans les règles de l’art, mettre le couvert, bien mâcher, prendre son temps, débarrasser et surtout laisser des restes aux autres et savoir passer la main, car quand on mange tout seul, on est mort. » Ces propos confirment la conception cyclique tontinière qui permet à long terme d’avoir à nouveau son tour47 pour qu’au bout du compte il n’y ait pas de vrais gagnants ni de vrais perdants ; en somme, que la tontine ne soit pas bloquée.
52L’intériorisation de ces principes aboutit à une forme de consensus qui se superpose aux règles et aux mécanismes formels et institutionnels. Aux antipodes des positions individuelles censées induire une majorité au sein de la démocratie représentative, ce consensus sert de levier à l’action politique avec des discours à contenu référentiel (comportant des sous-entendus renvoyant à la culture locale) et binaire (utilisant simultanément le répertoire occidental et celui de l’imaginaire local). L’énonciation du politique englobe alors tout ce non-dit et cet impensé de règles tacites dont sont fortement imprégnés les imaginaires. Les discours et les comportements deviennent ambivalents, à la fois intégrés au système symbolique occidental et pénétrés des logiques locales qui incluent souvent le dédoublement psychologique des personnages déjà évoqué.
53En vertu de ces principes tacites, les référents de la démocratie sont multiples. Pour certains, le Renouveau démocratique n’est que aya yéyé (en langue mina : nouvelle ère, nouvelle mode), un changement des symboles sans que le fond et les pratiques ne changent pour autant, à quoi s’ajoute l’idée que cette mode, née après le marxisme-léninisme, passera le témoin à une mode ultérieure. Cette absence de réformes radicales et de changement des mentalités, confortée par le non-renouvellement des élites, l’impunité des malversations ou des abus et la dégradation des conditions économiques et sociales, a conduit un jeune chômeur – pour lequel les politiciens seraient tous des pourris – à nous dire à Cotonou en mai 2002 : « Nous faut-il des urnes ou du pain ? Si c’est ça ce que vous appelez démocratie, eh bien, nous n’en voulons pas de votre démocratie ! » Une telle affirmation témoigne de la permanence et de la prégnance du côté cour et en même temps vise à sanctionner cette forme de « démocratie forum » où l’on débat à l’infini sans donner un contenu concret à l’expérience démocratique et où l’on use de faux-semblants pour masquer l’essentiel, avec à la clé un désenchantement exacerbé.
54En ces temps de mondialisation et de crise socio-économique avec leur cortège de destruction des liens sociaux, d’incertitudes et de perte de repères, il est important de décrypter autrement la sociabilité politique telle qu’elle s’organise et se développe au Bénin. En tâchant d’appréhender les figures du pouvoir et du politique dans leur banalité, on se rend compte que le politique béninois tente de s’adapter au temps mondial en se donnant des marges de manœuvre, en faisant montre de créativité avec des jeux d’esquive, de ruse, de contournement48. Comme en écho à de telles tactiques, l’énonciation du politique se nourrit d’un imaginaire spécifique de même qu’elle combine dérision, caricatures, polysémie, adages ancestraux ou principes du culte vaudou. Il y a un continuum entre le côté jardin et le côté cour, ce qui débouche sur un système politique à la fois hybride et inédit où l’informel et le formel s’imbriquent pour faciliter le fonctionnement du système49.
55Cette réalité politique, fort éloignée du discours officiel ou médiatique couramment véhiculé sur le « modèle béninois », bat en brèche le présupposé selon lequel le système électoral de même que l’expérience démocratique elle-même fonctionnent à la perfection. Faut-il signaler par exemple qu’après la Conférence nationale, tout comme lors des deux dernières élections présidentielles, les risques de guerre civile étaient réels étant donné la fluidité de ces différentes conjonctures politiques ? Les capacités de négociation, l’autorégulation du système, la volonté de sauver la face50 mais aussi les campagnes de sensibilisation d’ONG locales, les prières de la population ou les exhortations à la paix et à la tolérance de personnalités locales de bonne réputation… ont contribué à faire perdurer le Renouveau. C’est donc par ces voies paradoxales, ces temps cycliques tension/apaisement, que la démocratie se construit au Bénin, avec son lot de contradictions, de dysfonctionnements et de conséquences imprévues qui constituent autant de sérieux défis.
56Dans ce jeu de théâtre collectif, finalement, qui trompe qui ? Personne n’est vraiment dupe. A quand le dévoilement critique ? Quand les Béninois, hommes politiques ou hommes de la rue, accepteront-ils collectivement de se regarder dans leur propre miroir en se posant la question : « Qui sommes-nous et où allons nous ? »
57Le fonctionnement actuel du système favorise la prédation de l’Etat (qui reste central et prédominant malgré les apparences), donne une prime au chef tontinier le plus habile avec son cortège de laissés pour compte, de dérive maffieuse, de manducation et aussi de clivage générationnel. Les membres de la jeune génération se comportent en rivaux dominés, pleins de considération envieuse et de ressentiments envers des aînés dominants, proches et pourtant inaccessibles, qu’ils critiquent parce qu’ils ne possèdent pas leur capital financier, culturel, social et symbolique. Comment, en ces temps de mondialisation, cette jeune génération peut-elle changer le système sans accepter de se changer elle-même ? Est-il possible de refonder l’Etat, de clarifier, ne serait-ce qu’en partie, les règles du jeu de la compétition politique, de déterminer comment faire face au défi de la gestion et du développement, comment faire des choix d’avenir, redonner goût à un civisme minimal ou encore susciter un sursaut citoyen ?
58Pour l’instant, partant de l’idée selon laquelle « on sait que l’arbre (l’Etat) donne des fruits, mais on ne sait pas le nombre de fruits qui tombent », on postule une incommensurabilité des moyens de l’Etat qui apparaît comme un butin à partager, quitte à recourir à des trafics de diverses sortes pour compenser toute impécuniosité temporaire de l’Etat. Mais jusqu’à quand pourra-t-on le faire ? Jusqu’à quand continuera-t-on à raisonner comme ce ministre justifiant en aparté la manducation et autres pratiques particularistes par le fait que « quand tout le monde marche sur la tête dans un pays, il est inutile de vouloir jouer au sot en marchant sur les deux pieds » ?
Conclusion
59Ces remarques, inspirées par notre expérience et notre observation du jeu politique béninois sur trois décennies et par la fréquentation du microcosme politique, visent à porter un autre regard sur la manière de faire de la politique au Bénin. Ce regard, sans être forcément péjoratif, comme on a coutume de le faire, permet de mieux cerner les manières de faire, l’énonciation et la configuration culturelle du politique dans un système en transition avec ses spécificités, ses implications subjectives de la démocratie, ses réappropriations et hybridations.
60Ce faisant, on en arrive à dégager une informalité du système qui lui permet de perdurer par une forme d’autorégulation que le chercheur peut soupçonner, mais qu’il ne lui est pas toujours facile de comprendre ni d’expliquer, à cause de la barrière linguistique (on est pleinement dans l’oralité, ce qui favorise par ailleurs le verbalisme démocratique), du temps nécessaire pour être initié et prendre toute la mesure de la réinvention de la démocratie, pour démêler les quiproquos. Tous ces éléments participent d’un temps long, qui ne coïncide pas avec celui, plus court, de la mission ou du travail de terrain de thèse, et obscurcissent la compréhension du politique béninois. Loin des réflexions savantes sur l’Etat en Afrique, nous avons tenté de faire une analyse concrète d’une situation concrète, d’explorer la sociabilité et « l’art d’administrer la maison Bénin » pour rendre plus lisible le politique dans sa banalité, ses mécanismes, ses imaginaires ou encore ses registres magico-religieux. De la sorte, on donne toute leur cohérence aux paradoxes et ambiguïtés décelables à première vue et on montre aussi les limites et les défis du système tel qu’il fonctionne.
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—, « Bénin : le défi de la gestion », Politique africaine, nº 48, décembre 1992, pp. 136-139.
—, Des « akowés » aux technocrates : esquisse de la formation et de l’évolution des élites modernes au Bénin, Bordeaux, Institut d’études politiques – CEAN, 1989, multig., 24 p.
—, « Le Bénin à l’heure du Renouveau démocratique », Politique africaine, nº 38, juin 1990, pp. 138-142.
—, « Le debolezze del modello liberista del Benin », Politica internazionale, vol. 21, nº 2, Aprile-Guigno 1993, pp. 35-46.
—, « L’impact des radios internationales en Afrique noire », in La mondialisation des médias contre la censure. Tiers-monde et audiovisuel sans frontières, Mattelart Tristan (dir.), Bruxelles, de Boeck Université, 2002, pp. 81-102.
Notes de bas de page
1 Pour reprendre le terme de Zaki Laïdi (dir.), Le temps mondial, Bruxelles, Editions Complexe, 1997, pp. 11-52.
2 Nous ne revenons pas ici sur la trajectoire politique du Bénin caractérisée par une instabilité chronique de 1960 à 1972, un régime militaro-marxiste habilement géré par le général Mathieu Kérékou jusqu’en 1989, avant la montée des périls qui conduisit à un nouveau cours politique, «le Renouveau démocratique », à partir de 1990. Voir notre article : « Bénin : du “système Kérékou” au Renouveau démocratique », in Etats d’Afrique noire. Formations, mécanismes et crises, Jean-François Médard (dir.), Paris, Karthala, 1991, pp. 93-116 ; ainsi que Francine Godin, Bénin 1972-1982. La logique de l’Etat africain, Paris, L’Harmattan, 1986, 321 p. ; Maurice A. Glélé, Naissance d’un Etat noir. L’évolution politique et constitutionnelle du Dahomey de la colonisation à nos jours, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1969.
3 Voir Philippe Noudjenoume, La démocratie au Bénin. Bilan et perspectives, Paris, L’Harmattan, 1999, 395 p., ainsi que le nunéro 59 de la revue Politique africaine (octobre 1995), consacré au Bénin.
4 Sur ce rôle sociopolitique des médias, voir par exemple Théophile E. Vittin, « L’impact des radios internationales en Afrique noire », in La mondialisation des médias contre la censure. Tiers-monde et audiovisuel sans frontières, Tristan Mattelart (dir.), Bruxelles, de Boeck Université, 2002, pp. 81-102.
5 Jean-Marc Ela, Restituer l’histoire aux sociétés africaines, promouvoir les sciences sociales en Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 17.
6 Paru dans le quotidien Le Matinal, 4 septembre 1998.
7 Dirigée de main de maître par Rosine Soglo, épouse de l’ancien chef de l’Etat et député à l’Assemblée, la Renaissance du Bénin a littéralement implosé depuis l’échec de Nicéphore Soglo aux dernières élections, malgré les tentatives de reprise en mains de ce dernier. Les incursions de l’ex-première dame dans les affaires de l’Etat et son omniprésence ont suscité les critiques d’un électorat assez machiste qui n’a cessé de stigmatiser la pusillanimité de N. Soglo face à l’affirmation de son épouse, d’où le surnom de « Nicéfaible » dont il est affublé.
8 Voir Cotonou, l’opposition se divise à deux jours du scrutin, dépêche de l’AFP, 16 mars 2001.
9 Sur ces points d’achoppement du Renouveau démocratique, nous renvoyons à : Théophile E. Vittin, « Bénin : le défi de la gestion », Politique africaine, nº 48, décembre 1992, pp. 136-139 ; idem, «Le debolezze del modello liberista del Benin », Politica internazionale, vol. 21, nº 2, Aprile-Guigno 1993, pp. 35-46 ; Bruce Magnusson, « Legitimating Democracy in Benin : New Institutions and the Historical Problem of Economic Crisis », L’Afrique politique 1996, Paris, Karthala, 1996, pp. 33-54 ; Cédric Mayrargue, « Le Bénin depuis le retour au pouvoir de M. Kérékou : démocratie apaisée ou paralysie politique ? », L’Afrique politique 1999, Paris, Karthala, 1999, pp. 107-124. Voir aussi d’un point de vue général : Javier Santiso, « Les horloges et les nuages, temps et contre-temps des démocratisations », Hermès, nº 19, 1996, pp. 165-184 ; ainsi que Christophe Jaffrelot (dir.), Démocraties d’ailleurs, Paris, Karthala, 2000, 638 p.
10 Celles-ci vont de la création de 20’000 emplois en un an (A. Tevoedjré, pour les présidentielles de 1991) à la prise en charge des enfants par l’Etat jusqu’à l’âge de 3 ans (M. Kérékou, pour les présidentielles de 2001) en passant par l’abaissement du prix de l’essence à 150 fr. CFA en trois mois (N. Soglo, pour les présidentielles de 2001).
11 Emmanuel Terray, « Le climatiseur et la véranda », in Afrique plurielle, Afrique actuelle. Hommage à Georges Balandier, Paris, Karthala, 1986, pp. 37-44.
12 Sur les différentes élections, voir l’ouvrage riche en anecdotes d’Emmanuel V. Adjovi, Une élection libre en Afrique. La présidentielle au Bénin (1996), Paris, Karthala, 1998, 181 p. ; ainsi que Richard Banegas, « Marchandisation du vote, citoyenneté et consolidation démocratique au Bénin », Politique africaine, nº 69, mars 1998, pp. 75-88 ; Afize D. Adamon, Les élections législatives de 1995, Cotonou, Editions du Flamboyant, 1996 ; Kouassi A. Degboe, « Elections et réalités sociologiques du Bénin », Cotonou, Intermonde Editions, 1995, 79 p. ; Roger Gbegnonvi, «Les législatives de mars 1995 », Politique africaine, nº 59, octobre 1995, pp. 59-69. Dans le cadre de ce texte, nous limiterons nos illustrations aux présidentielles de mars 2001, qui serviront de point d’appui à notre démonstration.
13 Nous avons analysé ailleurs ces mécanismes de circulation des élites. Voir Théophile E. Vittin, « Bénin :
du système Kérékou… », art. cité, notamment pp. 102 et suivantes.
14 Sur ces aspects, nous renvoyons entre autres à deux biographies consacrées au chef de l’Etat béninois : Jean Establet, Mathieu Kérékou 1933-1996, l’inamovible président du Bénin, Paris, L’Harmattan, 1997, 261 p., et celle, plus hagiographique, de Félix A. Iroko, Le président Mathieu Kérékou, un homme hors du commun, Cotonou, Les Nouvelles Editions du Bénin, 2001, 314 p. Voir également notre article « Bénin : du système Kérékou… » déjà cité.
15 Voir dans ce sens l’article « Kérékou plie, mais ne rompt point » publié dans l’hebdomadaire Jeune Afrique. L’Intelligent (nº 2099, 9 avril 2001) par l’envoyé spécial de ce journal peu après la réélection du Caméléon. Cette réputation d’homme austère sera savamment distillée jusque sur les antennes de Radio France internationale (RFI), fort écoutée au Bénin et dont le correspondant à Cotonou, Jean-Luc Akplogan, décrira Mathieu Kérékou, le 6 avril 2001, jour de son investiture, comme « un homme de cœur… pauvre comme un ancien marxiste ».
16 « Si on me donne de l’argent, je le redistribuerai aux pauvres », déclarait-il lors de la campagne en précisant : « Le pouvoir est une corvée… A moins d’être voleur, on n’a rien à y gagner. »
17 Lors de la campagne, tandis que M. Kérékou faisait les déclarations rapportées ci-dessus, N. Soglo déclarait entre autres : « Un président de la République doit avoir une vision moderne de l’Etat, être informé de l’évolution du monde, comprendre l’économie globalisée et l’importance des nouvelles technologies de la communication. Ce n’est pas le cas de Mathieu Kérékou… [qui] est un produit de la guerre froide, un homme du passé. »
18 Littéralement, « personne sachant lire et écrire ». Les akowé qui ont dominé la vie politique depuis les années 1940 ont vu leur hégémonie décliner avec l’inflation des diplômés et les modifications des critères de recrutement politique au-delà de l’instruction; la population elle-même commençait à se méfier des intellectuels. Voir dans ce sens Théophile E. Vittin, Des « akowés » aux technocrates : esquisse de la formation et de l’évolution des élites modernes au Bénin, Bordeaux, Institut d’études politiques – CEAN, 1989, multig., 24 p.
19 De ce point de vue, N. Soglo peut être rangé dans la catégorie de ceux que M. Kérékou dénonçait dans les années 1970 sous l’expression d’« intellectuels tarés ».
20 Dix-sept candidats étaient en lice : quatre poids lourds, à forte assise financière avec un capital social important, se dégageront et imposeront leur loi, ce qui condamnera les autres candidats à des scores minimes (moins de 5 % des suffrages). La seule femme candidate, Elisabeth Gbedo, n’a pas été avare d’interviews aux journaux panafricains et étrangers qui la portaient aux nues. Alors qu’on l’a présentée comme un signe de modernité du Renouveau, elle n’a réalisé qu’un score de 0,36 %, malgré une campagne admirable. Avocate de 46 ans, divorcée, elle a été desservie par la mentalité machiste ambiante avec des arguments du style « Une femme qui n’a pas pu tenir un foyer ne peut prétendre diriger un pays » ou encore « Elle va monter la tête de vos femmes ». Voir dans ce sens Le Cordon, nº 11, 15 mars 2001.
21 Ce candidat, alors qu’il n’avait été crédité dans un premier temps que de 4 % par la Commission électorale indépendante (CENA), était arrivé en quatrième position avec 8 % des suffrages après rectification par un nouveau décompte de la Cour constitutionnelle et avait appelé à voter Kérékou au second tour.
22 Bourrage d’urnes dont certaines auraient été retrouvées dans la lagune de Cotonou, liste des électeurs non fiable, achat de voix, utilisation de fausses cartes d’identité, rachat de cartes auprès des électeurs, interdiction signifiée au dernier moment aux Béninois de l’étranger, réputés plutôt favorables à Nicéphore Soglo, de voter, vote non secret dans certains bureaux du Nord du pays, bulletins supérieurs au nombre de votants dans certains bureaux, différence de « 390’926 électeurs évaporés » entre le décompte de la CENA (3’139’405 électeurs) et celui de la Cour constitutionnelle (2’748’479 électeurs), etc. Tous ces incidents, qui ne sont pas toujours vérifiés (il s’agit souvent de rumeurs), participent d’une surenchère des débats électoraux qui accroît le suspense, chaque camp présentant la situation à sa façon sans preuves patentes, ce qui conforte de facto le vainqueur final, en raison de l’imperfection des opérations de vote. Par exemple, la différence entre les décomptes d’électeurs de la CENA et de la Cour constitutionnelle s’explique par une erreur d’ingénierie électorale : la Cour, qui établit depuis les législatives de 1995 le nombre d’électeurs à partir des feuilles de dépouillement des voix et des rapports des bureaux de vote, est à la merci des erreurs ou des manipulations des agents des bureaux de vote. Il s’ensuit que le nombre d’électeurs retenus par la CENA n’a jamais coïncidé avec celui de la Cour, ce qui ouvre la voie à la contestation. Par ailleurs, les deux cabinets d’informatique recrutés par la CENA ne s’entendent pas sur les modalités de traitement des résultats, ce qui conduit à des disparités de chiffres.
23 Voir entre autres dans ce sens : « Kérékou devrait succéder à Kérékou », Courrier international, 21 mars 2001 ; Valentin Hodonou, « Le modèle défiguré », Le Nouvel Afrique Asie, nº 140, mai 2001.
24 Bien entendu, les quelques missions d’observateurs sur place ont conclu à des élections globalement transparentes. Cela pose la question de l’intelligence que cette communauté internationale et surtout les bailleurs ont de la situation politique du pays : crise du regard, laisser-aller, cynisme, naïveté ou calculs politiques et stratégiques ?
25 Littéralement Nin mi wa gbon. En langue fon, cela signifie en langage codé : « Qu’est-ce que vous nous avez apporté ? » Sous-entendu : il nous faut quelque chose à nous mettre sous la dent au-delà de vos discours et programmes « qui ne nourrissent pas l’homme ». Il est même arrivé que des candidats peu fortunés (surtout lors des législatives), qui venaient à des meetings sans espèces sonnantes ni une quantité suffisante de mets ou de boissons à distribuer, aient été hués, rabroués et priés de repartir car « on ne saurait manger et se rassasier de démocratie ».
26 Cette ancienne pratique, que l’on désigne par l’expression tékué do nounkon noun mé (littéralement, « placer une pièce de monnaie ou un billet de banque sur le front de quelqu’un »), avait originellement cours lors des fêtes et des réjouissances (ago), des cérémonies, des funérailles ou des messes, pour récompenser les prestations d’un bon danseur, d’un bon griot ou d’un bon chanteur ou encore pour manifester une certaine munificence. Elle a été importée, systématisée et amplifiée dans le champ du vote pluraliste, notamment à partir des législatives de mars 1995. Cela permet aux hommes politiques de tenter de peser sur le choix des électeurs par l’achat des consciences et aussi de faire étalage de leur richesse et de leur puissance en « décorant », dans l’ambiance festive des meetings ou des visites dans les villages ou quartiers, les fronts des électeurs avec des billets de banque, de préférence neufs, ce qui atteste de la provenance directe de la banque et rehausse le prestige du geste. Ces nouvelles tendances permettent d’arroser les populations à coups de centaines de millions de francs CFA, grâce à des dons et autres libéralités, allant des tonnes de ciment offertes pour achever la construction de l’école d’un village à des enveloppes discrètement remises aux grands électeurs que sont les chefs traditionnels, les leaders religieux ou les notables. Cette monétarisation du jeu électoral contribue en partie à une sélection des hommes politiques par l’argent et accrédite l’idée que l’argent permet de gagner les élections.
27 Les mots et expressions utilisés dans ce texte sont de la langue fon, qui est une langue véhiculaire au Bénin. La linguistique n’étant pas à proprement parler notre domaine de compétence, nous sollicitons par avance l’indulgence du lecteur pour les insuffisances éventuelles de nos traductions qui sont le fruit de nos constructions personnelles.
28 Cette forte circulation monétaire, outre l’achat des consciences, est censée démontrer la puissance financière du candidat, pallier son manque de charisme, la vacuité de son programme, ou encore lui permettre de se positionner pour un marchandage ultérieur de postes ministériels. Certains candidats vont jusqu’à s’endetter dans l’espoir de se faire rembourser grâce à un poste juteux.
29 Ce pouvoir de redistribution incite hommes d’affaires, hauts fonctionnaires et responsables politiques de pays étrangers à parier sur sa réélection en lui procurant des financements substantiels. A cet égard, on glose au Bénin sur l’angélisme et la candeur de Nicéphore Soglo, qui, dit-on, est l’un des rares présidents africains en poste à avoir perdu les élections, ce qui sous-entend que celui-ci est un néophyte en politique.
30 Sur cet aspect, nous renvoyons, à l’appui des ouvrages et articles déjà cités sur les élections au Bénin, à : Nassirou Bako-Arifari, « Démocratie et logique du terroir au Bénin », Politique africaine, nº 59, octobre 1995, pp. 7-24 ; Thomas Bierschenk, Jean-Pierre Olivier de Sardan (dir.), Les pouvoirs au village. Le Bénin rural entre démocratisation et décentralisation, Paris, Karthala, 1998, 296 p.
31 Trois ressortissants du Nord étaient candidats aux élections présidentielles de 2001: Soulé Dankoro, Sacca Lafia et Wallis Zoumarou n’ont pu affaiblir Matthieu Kérékou. Ce dernier a en effet su habilement discréditer Soulé Dankoro avec une affaire de détournement de fonds dont S. Dankoro s’était rendu coupable dans les années 1980. Sacca Lafia fut quant à lui desservi par une déclaration qui opposait les Bariba aux Somba, deux ethnies majoritaires du Nord. Wallis Zoumarou avait perdu le soutien des chefs traditionnels et des jeunes dans les villes de Djougou et Ouaké. Ces facteurs se sont conjugués avec l’option légitimiste des électeurs pour assurer un vote massif en faveur de Matthieu Kérékou.
32 Le dispositif de M. Kérékou, préparé de longue date, a vu l’injection de fonds colossaux (dont des fonds étrangers et des financements spontanés d’hommes d’affaires et de politiciens locaux pour qui le général représente une assurance-vie) avec des meetings géants, des caravanes, le quadrillage du pays par des cortèges de quatre-quatre, des comités de soutien réclamant à cor et à cri sa candidature avant même le démarrage officiel de la campagne, etc.
33 On pourrait traduire ce terme fon par « magouille sophistiquée dont on ne peut démêler l’écheveau ». On comprend alors que dans le scandale de la SONACOP, un richissime homme d’affaires, Séfou Fagbohoun, chef de parti et ami du président Kérékou, ait poussé le bouchon jusqu’à racheter cette société d’Etat avec les fonds de… cette même société en 2000 !
34 L’autosatisfaction des Béninois et la volonté forte chez l’intelligentsia béninoise de faire perdurer le modèle coûte que coûte ou de ne pas ouvrir la voie à la violence ne sont pas étrangères à de telles prises de position. La perduration du modèle est par ailleurs une ressource diplomatique qui facilite le captage de rentes sous forme de « primes à la démocratie » auprès des bailleurs et donateurs.
35 Ces jeux d’alliance peuvent se faire parfois à quitte ou double. Ainsi, lors des présidentielles de 1996, le rôle de faiseur de roi d’Adrien Houngbédji fut déterminant dans l’élection de M. Kérékou au second tour. Alors qu’il avait promis son soutien à N. Soglo et conclu un accord dans ce sens avec les émissaires de ce dernier, il invitait sur les antennes de Radio France internationale (RFI), quelques minutes après cet accord, ses électeurs à voter pour M. Kérékou. Voir dans ce sens Emmanuel Adjovi, op. cit.
36 En vérité, nombre de candidatures sont suscitées et financées en sous-main par Mathieu Kérékou. Ces « candidats sous-marins », qui sont d’ailleurs les plus acerbes à l’endroit du Caméléon jusqu’au premier tour, aident à divertir l’électorat, provoquent une déperdition des voix au désavantage des autres poids lourds, et surtout suscitent un report de voix massif sur le Caméléon au second tour avec un effet de synergie. Signalons aussi qu’Adrien Houngbédji a suscité les candidatures de Soulé Dankoro et Sacca Lafia, et que Nicéphore Soglo a inspiré celle de Wallis Zoumarou.
37 Un vieil adage dit d’ailleurs que « qui veut atteindre ses objectifs et vivre longtemps ne doit pas trop se montrer ni faire le m’as-tu-vu, mais plutôt vivre caché ».
38 La Nation (quotidien), 8 avril 1997.
39 C’est-à-dire un homme vaillant, courageux, intrépide et qui ne doit jamais prendre pour argent comptant ce qu’on lui dit.
40 Dans la cosmogonie béninoise, le sunun glégbénun (vrai homme qui sait montrer ce qu’il est à qui ose le défier) est originellement un homme de puissance, protégé par les esprits, détenteur de pouvoir et fort en incantations. La course pour l’obtention d’un tel statut explique la fréquentation galopante, par les hommes politiques, hommes d’affaires ou cadres moyens ambitieux, des bokonon (prêtres vaudou) et autres marabouts à la réputation établie. Selon la rumeur publique, l’inflation des quatre-quatre serait liée à la nécessité, pour ces candidats à l’immunisation définitive et à la puissance, de se rendre rapidement de nuit ou pendant les week-ends dans les villages les plus reculés pour « se blinder » et « se fortifier ». Le bokonon complète alors – voire supplée – le conseiller diplômé de Harvard ou le «grand communicateur » français faiseur d’image.
41 Voir par exemple Maurice A. Glélé, Le Danxomè : du pouvoir adja à la nation fon, Paris, Nubia, 1974, 282 p.
42 Sur ces aspects, voir entre autres Pierre Verger, Notes sur le culte des Orisa et Vodun à Bahia, la Baie de tous les Saints, au Brésil et à l’ancienne Côte des esclaves en Afrique, Dakar, IFAN (Institut français d’Afrique noire), 1957 ; Bernard Maupoil, La géomancie à l’ancienne Côte des esclaves, Paris, Institut d’ethnologie, 1988 (3e éd.) ; Karola Elwert-Kretschmer, « Vodun et contrôle social au village », Politique africaine, nº 59, octobre 1995, pp. 102-121 ; Tobie Nathan, Lucien Hounkpatin, La parole de la forêt initiale, Paris, Odile Jacob, 1996, 362 p.
43 Francis Akindes, « Regard sur le Bénin », Continental, nº 19, février-mars 2001, p. 23.
44 Voir dans ce sens Laurent Monnier, « Démocratie et factions en Afrique centrale », La Revue nouvelle, janvier-février 1993, pp. 122-131 ; ainsi que Dominique Desjeux, « Le Congo est-il situationniste ? : 20 ans d’histoire politique de la classe dirigeante congolaise », Le Mois en Afrique, nº 178-179, octobre-novembre 1980, pp. 16-40.
45 Ce fut le cas des dossiers SONACOP et SONAPRA lors des présidentielles de mars 2001, dont se réclamaient respectivement N. Soglo et M. Kérékou en évoquant des montants qui se chiffraient en centaines de milliards de francs CFA, sans qu’aucune suite juridique concrète n’ait été donnée à ces deux affaires. Il s’agissait d’amuser la galerie. Il est d’ailleurs de notoriété publique que M. Kérékou, qui a couvert sur toute la ligne l’homme d’affaires S. Fagbohoun, impliqué dans le scandale SONACOP, a gardé par-devers lui les résultats des commissions d’enquête par lui diligentées par le passé et qui sont compromettants pour nombre d’hommes politiques dont il fait des affidés obligés par un chantage tacite qui ne dit pas son nom.
46 Si cette cellule a pu procéder à des opérations coups de poing subtilement médiatisées au Port autonome de Cotonou et auprès des douaniers, de nombreux témoignages rendent plausible la thèse véhiculée au Bénin selon laquelle les membres de cette cellule (dont la présidente a entre-temps démissionné) monnayent contre espèces sonnantes la non-poursuite de certains dossiers.
47 La fameuse déclaration de Mathieu Kérékou en janvier 1996, lors de l’annonce officielle à Porto-Novo de sa candidature aux présidentielles de 1996, est symptomatique de cette conception cyclique tontinière : « Avant nous étions en haut. La Conférence nationale nous a mis en bas. Maintenant nous allons remonter en haut. »
48 Ces phénomènes ne sont pas spécifiques à l’Afrique et on les retrouve, souvent sous d’autres formes, sur d’autres continents, y compris en Europe et en Amérique du Nord.
49 Par exemple, l’informatisation des services de la douane, pour permettre la modernisation et la rationalisation du système douanier censées accroître les recettes de l’Etat dans le cadre du programme d’ajustement structurel, fait l’objet de ruse et de falsification dont ne se doute pas forcément l’expert de la Banque mondiale ou de la société suisse de contrôle d’import-export COTECNA. Cela nous a été dévoilé avec malice par un « transitaire » (nouvelle figure emblématique de la réussite économique et sociale) qui, lors d’un entretien à bâtons rompus, s’interrogeait sur le degré d’intelligence du chercheur que nous sommes. En effet, à notre question de savoir si la fraude avait baissé avec l’informatisation, après un rire sarcastique, cet interlocuteur nous répondit de façon prosaïque que « même si l’ordinateur était censé suppléer le douanier, jusqu’à nouvel ordre, c’est le douanier qui introduit les données dans l’ordinateur ».
50 « Le monde entier nous regarde », a-t-on coutume de répéter au Bénin, notamment lors des échéances électorales.
Auteur
Politologue et sociologue des médias ; consultant international indépendant basé à Harare (Zimbabwe).
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