III. Le problème de la genèse des règles de la continuité
p. 253-268
Texte intégral
1Nous avons déjà fait état des raisons généralement avancées pour expliquer l'apparition et l'essor des règles de la continuité dans la pratique tout en laissant entendre qu'elles ne mettaient pas bien en lumière le phénomène1. Reprenons maintenant ces points.
A. La justification des deux règles basées sur la théorie de la “claims agency”
2La théorie de la “claims agency” est intimement liée à l'exigence de la nationalité à l'origine. En effet, celle-ci permet d'empêcher que des personnes acquièrent la nationalité d'un Etat déterminé afin de bénéficier de meilleures chances d'obtenir une indemnité. De même, elle rend inutile l'achat, par un particulier ou un Etat, du droit que détient un étranger lésé à la suite d'un fait illicite commis par un autre Etat2.
3La théorie de la “claims agency” présuppose par conséquent que, sans la règle de la nationalité à l'origine, des naturalisations et des cessions du droit obéissant à des calculs étaient susceptibles de réussir. Or, ce succès n'aurait pu être assuré qu'à la condition que le nouvel Etat national de la personne naturalisée, ou l'Etat national du cessionnaire du droit, fussent habilités à déposer une réclamation en faveur de ces personnes. Cela semble impliquer que le droit de réclamation puisse passer de l'ancien Etat national du lésé au nouveau, ou de l'Etat national du cédant à celui du cessionnaire. Pourtant, en examinant cette idée à l'aide de la théorie classique de la protection diplomatique3, on ne voit pas comment un tel transfert serait possible.
4En effet, selon la théorie classique, le droit de réclamation appartient à l'Etat national et non à la personne lésée. Comment alors ce droit pourrait-il être transféré à un autre Etat à la suite d'un simple changement de nationalité ou d'un transfert du droit individuel ? Il y aurait là un nouveau paradoxe dans la conception classique, pourtant axée sur un dualisme strict, c'est-à-dire une séparation rigoureuse entre les droits des particuliers, nés et protégeables sur le plan interne, et ceux des Etats, issus de l'ordre juridique international. Comment, dans cette perspective, admettre que le transfert du droit individuel ou un changement de nationalité puissent avoir pour effet de faire passer le droit de réclamation de l'Etat national à un autre Etat ?
5La situation ne devrait pourtant pas être analysée différemment de celle qui verrait, par exemple, un Etat A, victime d'une violation de sa souveraineté territoriale attribuable à l'Etat C, céder plus tard à l'Etat Z la portion de territoire envahie puis abandonnée par C. On accepterait mal l'idée que Z puisse exiger de C des excuses au motif que le territoire en question lui appartient à présent. En effet, à la date de l'acte illicite, c'est A qui possédait le territoire sur lequel des soldats de C avaient pénétré. La souveraineté territoriale a, par conséquent, été violée à l'égard de A, dont le droit de réclamation ne passe pas à Z en raison de la cession ultérieurement intervenue. Le fait que, dans l'hypothèse qui nous intéresse, le préjudice de l'Etat consiste en une atteinte illicite portée aux droits d'un de ses ressortissants ne nous semble pas de nature à transformer radicalement la situation. Ce changement de nationalité de la victime (ou la cession du droit en cause à un étranger) ne peut “déplacer” vers un autre Etat le préjudice subi par l'Etat national à l'origine.
6En réalité, il semble bien qu'une analyse centrée essentiellement sur les droits des Etats nationaux respectifs ne puisse qu'aboutir à une impasse. Nous allons montrer que les abus tant redoutés de la protection diplomatique étaient susceptibles de se produire pour des raisons ne reposant pas sur des considérations théoriques relatives au droit de l'Etat national, mais sur la simple observation du fonctionnement des MCC.
7Nous pensons en effet que les commissaires appelés à statuer sur les réclamations des personnes bénéficiaires des clauses de la convention en cause ne se sont sûrement pas interrogés sur le sort du droit de l'Etat national du lésé. Liés strictement par les termes de la convention fondant leur compétence, ils pouvaient avoir à admettre des demandes déposées par des personnes qui, naturalisées de fraîche date, jouissaient à l'origine de la nationalité d'un Etat non partie à la convention. Prenons l'exemple d'une disposition qui permettrait à des “ressortissants américains” (“citizens of the United States”) de présenter des réclamations à raison de préjudices dont doit répondre le Venezuela4. Ce genre de formulation oblige à accueillir la requête d'une personne lésée qui aurait par exemple été ressortissante britannique à l'époque du préjudice avant de devenir américaine et de bénéficier par là des clauses de la convention. En effet, “réclamations de ressortissants américains” s'interprète logiquement comme “réclamations que possèdent des personnes qui jouissent actuellement de la nationalité américaine”, c'est-à-dire au moment de la signature ou de l'entrée en vigueur du traité, ou encore à la date du dépôt de leurs réclamations auprès de la MCC5.
8Or, on imagine sans peine qu'en concluant un traité bilatéral avec les Etats-Unis, le Venezuela n'ait pas entendu assumer une responsabilité pour des faits dommageables commis à l'encontre de personnes qui jouissaient auparavant de la nationalité britannique. Ce serait cependant bien là le résultat auquel mènerait une interprétation littérale de la Convention.
9Ainsi, sans que la réclamation internationale ait juridiquement été transférée de la Grande-Bretagne aux Etats-Unis à la suite d'une naturalisation de la victime, il était possible que cette dernière obtint une indemnité par le truchement de l'intervention de son nouvel Etat national6. Pour éviter ce résultat, il suffisait d'insérer dans la convention une clause requérant la possession, au moment du préjudice, de la nationalité de l'Etat dont les ressortissants étaient admis à faire valoir des droits devant la Commission7. Nous sommes conforté dans nos vues par la constatation que, comme nous le verrons, l'origine des règles de la nationalité au moment de la présentation de la requête et de la continuité de l'identité du titulaire du droit s'explique également par des données fort voisines de celles qui nous paraissent avoir mené à l'adoption de la règle de la nationalité à l'origine.
10En définitive, l'idée qu'un transfert du droit de réclamation de l'Etat national de la victime à un autre Etat peut se produire à la suite d'un changement de nationalité de cette personne ou du transfert à un étranger du droit que possédait celle-ci est juridiquement fallacieuse. Notre explication montre que c'est vraisemblablement en dehors de toute réflexion théorique sur le droit propre de l'Etat national qu'il faut rechercher l'origine de la crainte, maintenant plus compréhensible, de la “claims agency”.
11Nous devons toutefois considérer notre explication avec une certaine méfiance, parce qu'il est difficile de prouver que l'adoption de la règle de la nationalité à l'origine résulte bien de la prise de conscience que l'insertion exclusive de la règle de la nationalité au moment de la présentation de la requête peut avoir pour conséquence l'admission des réclamations de certaines personnes récemment naturalisées — ou de nouveaux titulaires du droit en cause. Un élément pourrait, dans l'administration de cette preuve, projeter quelque lumière sur la question. S'il était possible d'affirmer que la condition de la nationalité à l'origine était apparue postérieurement à celle de la nationalité à la présentation de la requête, on tiendrait là un indice solide en faveur de notre hypothèse. Or, on ne saurait se forger de certitudes sur ce point car, bien que la condition de la nationalité à l'origine ait rarement été clairement formulée dans les conventions, les termes utilisés dans certaines des plus anciennes d'entre elles semblaient déjà l'exprimer8. Nous ne sommes dès lors pas en mesure de prétendre de façon catégorique que cette règle a suivi celle de la nationalité au moment de la présentation de la requête. Nous relèverons toutefois que nous n'avons, au cours de notre étude de la pratique internationale, rien rencontré qui puisse infirmer notre hypothèse.
12Il reste à éclaircir un autre phénomène : les soi-disant risques d'abus ne sont susceptibles de se matérialiser qu'en cas de naturalisations et de cessions volontaires du droit individuel. Pourquoi alors les règles de la continuité ont-elles fonctionné dans un champ infiniment plus large ?
13On voit clairement qu'une explication reposant exclusivement sur la “claims agency” est insuffisante. Ceux qui la maintiennent diront que, conçues à l'origine pour lutter contre des abus dans les seules hypothèses de la naturalisation et de la cession, les règles de la continuité ont été par la suite étendues à tous les cas de changement de nationalité et de titularité du droit en cause. Pour rendre raison de cette extension, il leur faut s'appuyer sur le système du “binding precedent” inhérent au droit anglo-saxon et prétendre que, d'analogie en analogie, ces règles ont finalement englobé toutes les hypothèses de changement de nationalité ou de titularité du droit. A cette manière de voir, on objectera qu'un système fondé sur le “binding precedent” pousse au conservatisme plutôt qu'à l'innovation9, en dehors des hypothèses de l'abandon d'une jurisprudence antérieure et de la survenance d'une nouvelle situation inconnue du droit positif. Et, pour ce qui est d'un éventuel changement de jurisprudence dans le sens d'une généralisation des deux règles — seule hypothèse envisageable ici — on ne comprend pas, en recourant à la théorie de la “claims agency”, comment cette extension aurait pu se produire ; la généralisation est même en contradiction flagrante avec l'essence de cette théorie.
14Nous espérons montrer qu'une cause d'un autre ordre explique d'une manière plus satisfaisante l'origine de cette extension abusive10.
B. La justification des deux règles basée sur la situation de l’individu sur la scène internationale
15On trouve, sous la plume de certains défenseurs des théories moderne et mixte11, l'idée selon laquelle c'est la précarité de la situation des individus sur le plan international qui rendit nécessaire la création d'un droit d'intervention au bénéfice de l'Etat national. Le particulier étant dans l'impossibilité de faire valoir directement une réclamation devant le juge international, il s'avéra indispensable d'instituer le relais étatique. Pour donner un fondement à l'action de l'Etat, on imagina la célèbre fiction de l'Etat lésé “à travers” son ressortissant.
16Nous avons déjà émis quelques réserves à l'égard de la thèse qui affirme que, au 19ème siècle, les particuliers étaient considérés comme titulaires de droits en vertu de l'ordre juridique international tout en étant dans l'incapacité de faire valoir ceux-ci devant une juridiction internationale12. De plus, il nous semble difficile de remettre en question l'authenticité de la fiction vattélienne dans la mesure où, à cette époque, l'idée d'une véritable offense faite à l'Etat national par le biais d'un préjudice causé à l'un de ses ressortissants répondait largement à la réalité socio-juridique13.
17Autrement dit, nous ne sommes pas persuadé par la pertinence de l'explication tirée de la situation de l'individu sur la scène internationale. Le paradoxe qui veut que le particulier soit le titulaire d'un droit résultant du fait illicite international mais se trouve dans l'incapacité de saisir une juridiction internationale, hormis certains cas particuliers14, est d'origine plus récente.
18De toute manière, la situation de l'individu en droit international est impropre à expliquer les exigences de nationalité et de titularité du droit au moment de la présentation de la requête. Pour parvenir à une meilleure intelligence du phénomène, nous devons faire entrer en ligne de compte d'autres éléments.
C. Justification des deux règles basée sur l’exigence d’un intérêt de l’État national a exercer la protection diplomatique
19Chez ceux qui pensent que la nationalité fonde le droit de l'Etat et, en conséquence, que la perte ou le changement de nationalité éteignent le droit de l'Etat demandeur15, la justification tirée de l'exigence d'un intérêt de l'Etat protégeant éveille un certain écho. L'intérêt pour agir est, en procédure, généralement lié à la jouissance du droit allégué16. Or, si le droit en cause de l'Etat repose sur la nationalité, le défaut de ce lien engendrerait la perte de l'intérêt à présenter une réclamation ou à continuer la procédure engagée.
20Cependant, en droit procédural, il suffit que l'intérêt à agir existe au moment où la demande est introduite devant l'instance compétente17 ; il n'est pas nécessaire d'en prouver l'existence pour une période antérieure. Aussi bien, la possession de la nationalité à la date du dépôt de la requête réalise déjà l'intérêt dans l'action, rendant superflue toute condition de continuité à partir du préjudice18. Du reste, nous avons vu que la question fut examinée, sur le plan procédural, dans le cadre de la compétence de l'instance plutôt que dans celui de l'intérêt à agir. On ne trouve pas de décision rejetant explicitement la requête pour défaut d'intérêt à agir de l'Etat demandeur dans des cas de changement de nationalité ou de titularité du droit.
21Ainsi, quand on parle de la continuité de la nationalité comme incarnant l“'intérêt” de l'Etat à agir, on ne prête pas exactement à ce terme son acception juridique habituelle. Nous ne voyons pas pourquoi il se justifierait d'étendre la notion d'intérêt à agir dans le cadre de la recevabilité des réclamations présentées par le truchement de la protection diplomatique.
D. Explications19 basées sur l’effet relatif des traités
22“Il convient d'observer que la jurisprudence des commissions arbitrales a été toujours enfermée dans le cadre étroit des conventions bilatérales qui disposaient du règlement des contestations mutuelles entre les Etats signataires.”20
23La Pradelle et Politis avaient déjà senti que le système du règlement des différends lui-même est susceptible de fournir des indications sur l'origine des deux règles de la continuité.
24En vertu de l'effet relatif des traités, une convention
“... ne crée ni droits ni obligations pour un Etat tiers sans son consentement.”21
25On est en présence d'une application de la règle coutumière res inter alios acta.
26Concernant les traités instituant des MCC par exemple, cela signifie qu'en l'absence de dispositions contraires, seules les personnes possédant la nationalité d'un des Etats Parties pouvaient bénéficier des mécanismes de règlement mis sur pied. En effet, par ces conventions, les Etats conféraient des droits exclusivement à leurs ressortissants. Or, il est évident qu'ils entendaient accorder la qualité de “ressortissant” à des personnes qui jouissaient actuellement de la nationalité requise, c'est-à-dire au moment de la signature ou de la ratification de la convention, ou encore à la date du dépôt de la demande auprès de l'instance juridictionnelle créée par cet instrument. Les étrangers et les personnes qui avaient perdu la nationalité de l'un des Etats parties au traité se voyaient ainsi exclus du cercle des bénéficiaires de ce dernier. Aussi bien, le droit de présenter une demande devant la MCC était lié à la possession d'une nationalité déterminée, et l'effet relatif de la convention conduisait les commissaires à repousser toute requête émanant d'un individu ressortissant d'un Etat tiers.
27Nous pensons que l'exigence de la nationalité de l'Etat demandeur au moment de la présentation de la requête apparaît comme une conséquence nécessaire de l'effet relatif des conventions en cause, parce que celles-ci octroyaient aux particuliers des droits sur la base de la possession d'une nationalité déterminée.
28L'effet relatif des traités permet aussi de comprendre pourquoi les demandes de personnes dont la nationalité avait changé pour une cause “involontaire” étaient systématiquement rejetées. Dans la logique de ce mécanisme, peu importait la raison du changement intervenu : il suffisait à l'arbitre de constater que la personne en faveur de laquelle l'Etat demandeur intervenait ne possédait pas — ou plus — la nationalité de cet Etat22. Il ne faut pas chercher ailleurs la raison de l'application de la règle de la continuité à tous les modes de changements de nationalité.
29La règle de l'effet relatif explique également celle de la continuité du titre et ses limites. Elle montre pourquoi un transfert du droit opéré entre deux ressortissants du même Etat Partie à la convention n'a pas d'incidence fâcheuse sur le sort de la réclamation ; en effet, le droit étant toujours entre les mains d'un ressortissant du même Etat, la demande demeure dans la sphère de compétence de l'instance en question.
30Dans ce même ordre d'idées, nous disposons encore avec l'effet relatif des traités, d'un élément nouveau susceptible de nous éclairer sur les motifs ayant conduit à l'adoption de certaines clauses dérogatoires figurant dans les traités de paix consécutifs aux deux guerres mondiales23. Des conventions multilatérales comme le Traité de Versailles ou le Traité de paix de 1947 entre les Etats alliés et l'Italie apportaient des exceptions “relatives” aux règles de la continuité en ce sens que les changements de nationalité et de titularité du droit étaient tolérés à condition qu'ils se fussent produits chez des ressortissants des Etats alliés (Nations Unies), autrement dit des Etats cocontractants. Il est significatif qu'on n'ait pas accepté, dans le cadre du Traité de 1947 par exemple, que le successeur dans le droit en cause fût mexicain ou chinois. On ne pouvait aller plus loin que ne le permettait l'effet relatif des traités.
31Mais, peut-on se demander, la condition de la nationalité “à l'origine” s'explique-t-elle de la même façon ?
32Comme les traités n'ont en principe pas d'effet rétroactif, la règle de l'effet relatif était impropre à engendrer celle de la nationalité à l'origine. Il n'existe aucune relation de cause à effet entre les deux règles même si, bien entendu, le précepte de la nationalité à l'origine figure dans de nombreux traités et a, dès lors, vocation à être appliqué entre les parties, précisément en vertu de l'effet relatif24. Il ne convient donc pas de modifier notre position sur la genèse de la règle de la nationalité à l'origine25.
33En conclusion, il importe de remarquer que certaines des exigences relatives à la nationalité et à la titularité du droit dérivent de circonstances étrangères à l'essence du droit de la responsabilité internationale et se sont greffées sur lui pour des raisons tout à fait pratiques. Il n'est dès lors pas surprenant que la protection diplomatique
“... constitue un domaine particulier de la mise en cause de la responsabilité internationale.”26
34Dans le système des MCC, seuls les droits des particuliers faisaient en fin de compte l'objet de l'attention des juges, même s'il dépendait de l'attitude de l'Etat national des victimes que leurs revendications parvinssent ou non devant la commission instituée. Certes, l'Etat exerçait bien un pouvoir discrétionnaire dans la décision de négocier un accord avec l'Etat responsable des préjudices ainsi que dans le choix des demandes individuelles à soumettre à la MCC. Mais, lors de la phase juridictionnelle, c'est-à-dire la présentation de ces requêtes à la MCC, seules les questions relatives aux droits des particuliers étaient pertinentes aux fins de l'octroi d'indemnités.
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Considérations finales
35Parvenu au terme de notre travail, nous désirons faire quelques remarques récapitulatives.
1. Sur le problème de l'origine des deux règles de la continuité
36Non seulement ne saurait-on expliquer l'apparition de nos deux règles sans se référer à l'effet relatif des traités, mais encore faut-il souligner que c'est par l'effet de ce même principe que le champ d'application des deux règles de la continuité devait englober tous les cas de changement de nationalité ou d'identité du titulaire du droit.
37La crainte de la “claims agency” a considérablement renforcé l'application répétée des deux règles de la continuité jusqu'au début du 20ème siècle. Il s'agit là d'un fait bien établi.
38En résumé :
la règle selon laquelle la personne lésée doit avoir possédé la nationalité de l'Etat demandeur au moment du préjudice (exigence de la nationalité à l'origine) s'explique fondamentalement par le fait que l'existence du préjudice de l'Etat (considéré d'abord comme moral, puis juridique) dépend de la nationalité de la victime. On peut se risquer à faire intervenir parallèlement une cause plus pratique, découlant de la nécessité d'empêcher que des personnes lésées, récemment naturalisées, bénéficient des clauses d'une convention conclue par leur nouvel Etat national avec l'Etat auteur du fait illicite ;
la règle qui contraint le lésé à prouver qu'il est encore titulaire du droit en cause au moment de la présentation de la requête provient de la nécessité d'éviter que le droit en cause ne soit acquis par un étranger et qu'ainsi celui-ci puisse bénéficier d'une convention conclue par son Etat national avec l'Etat auteur du fait illicite ;
l'exception à la règle précédente, suivant laquelle les transferts du droit fondant la réclamation internationale opérés entre compatriotes sont permis, est éclairée par l'effet relatif des traités internationaux ;
la règle de la nationalité à la présentation de la requête se comprend en recourant également à celle de l'effet relatif des traités ;
rien de solide ne saurait en revanche appuyer les prétendues exigences d'une continuité au sens strict, qui n'ont par ailleurs aucun caractère coutumier.
2. Sur la valeur explicative des théories relatives à la nature et aux fondements de la protection diplomatique
39Les théories classique et moderne sont d'une utilité limitée pour qui veut saisir la complexité des relations juridiques qui se nouent d'une part entre la personne lésée et l'Etat auteur de l'acte illicite et, d'autre part, entre cet Etat et l'Etat national de la victime. La théorie mixte, elle, constitue un meilleur paradigme conceptuel, mais, outre qu'elle ne tient pas assez compte des conceptions dominantes au 19ème siècle, elle comporte, comme les deux anciennes théories, des implications qui contredisent les données de la pratique internationale.
40La jurisprudence reflète largement les ambiguïtés de la protection diplomatique, et le fait que le corps des règles sur la nationalité se soit en partie développé à partir de données pratiques, comme nous l'avons vu, plutôt que sur des bases théoriques liées au problème de la responsabilité internationale, se trouve certainement à la source de bien des incohérences27. Confronté à ces contradictions, le chercheur ne doit pas perdre de vue que, dans ce domaine, le droit a évolué non pas
“... selon les lois de la logique, mais plutôt sur la base de l'expérience.”28
3. Solutions de lege ferendo et perspectives d'avenir
41Le lecteur se souvient que nous avions recommandé l'élimination des règles de la continuité dans toutes les hypothèses de changement de nationalité ou de titularité du droit individuel fondant la réclamation internationale29. Nous avions proposé de conserver la condition de la nationalité à l'origine, l'Etat investi du droit d'exercer la protection diplomatique étant ainsi l'Etat national de la personne lésée au moment de la survenance du préjudice. Ce choix apparaît comme une solution de compromis et, à ce titre, présente des inconvénients, ainsi que nous l'avions laissé entendre30. Il faut maintenant exposer ces inconvénients tout en défendant la position que nous prônons de lege ferendo.
42Le problème principal que soulève la suppression des règles de la continuité est que cette solution aurait des répercussions sur l'ensemble du système de la protection diplomatique. Dans ce système, en effet, la nationalité joue un rôle prépondérant, à telle enseigne que les interventions étatiques qui se basent sur un lien différent ne sont pas considérées par tous les auteurs comme de véritables cas de protection diplomatique. Non seulement le droit de l'Etat dépend-il étroitement de la nationalité, mais la décision d'endosser la demande de la personne lésée est, elle aussi, liée à l'idée d'un intérêt national. On sait que des considérations d'ordre politique surtout conditionnent la prise de position de l'Etat, l'existence d'un intérêt national constituant certainement un préalable nécessaire au déclenchement de l'intervention31.
43Dans ces conditions, il faut se demander si l'Etat détenteur du droit d'exercer la protection diplomatique — l'Etat national à l'origine selon nous — accepterait d'intervenir en faveur d'une personne qui aurait perdu sa nationalité et ultérieurement acquis celle d'un autre Etat. Sur le plan pratique, on voit mal quel serait l'intérêt d'un Etat à exercer la protection diplomatique en faveur d'une personne qui possède, au moment où elle fait appel à lui32, la nationalité d'un autre Etat.
44De plus, dans l'hypothèse où un changement dans la titularité du droit individuel se serait produit, le problème de la destination finale de l'indemnité risque de se poser. Supposons que la personne lésée ait transmis le droit fondant la réclamation internationale à un étranger et que l'intervention déclenchée par l'Etat national à l'origine au profit de la victime originaire de l'acte illicite aboutisse, grâce à l'élimination de la règle de la continuité de l'identité du titulaire du droit. Il faudrait que l'obligation de verser l'indemnité au nouveau titulaire du droit figure dans la décision du juge international33, sans quoi on peut imaginer que l'Etat préférerait verser la somme reçue à son propre ressortissant, c'est-à-dire à une personne qui n'y a plus droit. Pour faire accepter une pareille solution, il serait nécessaire que les gouvernements abandonnent l'idée que la réparation appartient à l'Etat national et non à la personne lésée.
45Nous sommes conscient qu'il est délicat de mettre l'accent sur le préjudice individuel, enlevant par là du poids à la thèse du préjudice matériel de l'Etat, et de défendre une solution qui diminue encore l'importance de l'intérêt national. Que reste-t-il à l'Etat si on lui ôte à la fois son préjudice et le motif essentiel de son intervention en faveur de la victime ? Pour qu'il daigne continuer ses démarches au bénéfice d'une personne devenue étrangère, il faudrait lui offrir mieux qu'un préjudice “juridique”. C'est le système entier de la protection diplomatique en tant qu'il est basé sur le pouvoir discrétionnaire de l'Etat qu'il conviendrait de repenser34. La tâche qui consiste à apporter des correctifs, à l'avantage des particuliers, en modifiant un système fondé sur la primauté des intérêts étatiques, est presque insurmontable. Comme les défenseurs de la théorie moderne, nous éprouvons de la peine à déplacer le centre de gravité de l'institution de la sphère étatique vers la sphère privée. Pourtant, comment ne pas oublier que le point de départ du système dans son ensemble se trouve dans le préjudice infligé à la personne privée ?
46On peut toutefois supposer que la suppression des règles de la continuité incitera l'Etat national à l'origine à poursuivre ses démarches en faveur d'une personne dont la nationalité aurait changé par la suite ou qui aurait perdu le droit en cause à la date de la saisine du juge international. La question de l'intérêt national, si chère aux Etats et décisive pour la conduite à terme de la réclamation internationale, passerait au second plan si les deux règles de la continuité disparaissaient.
47Ces inconvénients ne sont pas à redouter si l'on fait de l'Etat national au moment de la présentation de la requête l'Etat habilité à exercer la protection diplomatique. Tout d'abord, l'intérêt de cet Etat à endosser la demande du nouveau titulaire du droit (ou du titulaire originaire qui a acquis sa nationalité après la date de l'acte illicite) est bien “national” puisque le titulaire possède la nationalité de l'Etat en cause. Quant à la difficulté liée au sort de l'indemnité, elle disparaît évidemment pour la même raison, l'ayant droit étant ressortissant de l'Etat demandeur.
48Pourtant, il nous semble que certains arguments de poids militent en faveur du choix de l'Etat national à l'origine et contrebalancent les avantages pratiques de la solution qui ferait de l'Etat national au moment de la présentation de la requête l'Etat fondé à exercer la protection diplomatique.
49Premièrement, notre proposition est conforme à la pratique internationale. Cette considération est d'une importance capitale du moment qu'on se détermine, comme nous le faisons, pour une solution qui ne s'écarte pas trop de la réalité. Certes, on aurait pu se démarquer complètement de cette réalité. Beaucoup d'auteurs l'ont fait, et nous appuyons d'ailleurs leur démarche35. Mais, bien que l'évolution des relations internationales montre que le lien de nationalité ne constitue plus l'unique moyen à disposition de l'ordre juridique international pour conférer des droits aux particuliers, nous pensons que la protection diplomatique n'est pas menacée par la désuétude36. Cette façon de voir explique que les modifications que nous proposons ne s'attaquent pas au fondement même du système, à savoir le droit propre de l'Etat national à l'origine de déposer une réclamation internationale à raison d'un fait illicite commis par un autre Etat.
50En second lieu, la préférence accordée à l'Etat national à l'origine est en accord, sur le plan théorique, avec le système de la protection diplomatique, du moins tel que nous le comprenons. L'Etat national à l'origine possède un droit propre, à côté du droit de la personne lésée, et si ce droit dépend de l'existence du préjudice ressenti par l'individu et de la nationalité de ce dernier, il continue à exister en dépit des changements ultérieurs relatifs à la nationalité ou à la titularité du droit de la personne lésée37. On chercherait en vain un fondement juridique solide au “droit” de l'Etat national au moment de la présentation de la requête. Devant l'impossibilité de donner une assise juridique cohérente à l'intervention d'un Etat autre que l'Etat national à l'origine, la solution avancée par la théorie moderne est difficilement acceptable.
51Ainsi, après une réflexion portant sur le cadre général dans lequel ont fonctionné les règles de la continuité, nous sommes amené à confirmer les propositions de lege ferenda que nous avions émises auparavant. On peut cependant se demander si nous n'avons pas singulièrement manqué d'audace en nous appuyant sur un système qu'on dit dépassé. En effet, le droit international a évolué dans le sens d'une diminution du rôle joué par l'Etat national pour se diriger vers une reconnaissance de plus en plus marquée des droits de l'homme, indépendants de la nationalité38. De ce fait, la protection diplomatique devient subsidiaire, le domaine des droits de l'homme se substituant progressivement au droit des étrangers.
52Pourtant, nous pensons que la protection diplomatique garde toute sa raison d'être. En l'absence d'un système de protection des droits de l'homme général et efficace, elle demeure une ultima ratio essentielle39. Malgré le changement structurel du système de protection internationale des particuliers — dont on serait tenté de dire que la caractéristique essentielle réside dans le passage d'un système conventionnel bilatéral à un système multilatéral dans lequel
“[t]out Etat signataire d'un Pacte pourra intervenir en faveur de la victime d'une violation des droits de l'homme, même si celle-ci n'est pas son ressortissant”40
53— et le nombre des dérogations conventionnelles, les règles de la continuité ne sont pas tombées en désuétude même si elles ont perdu l'importance qu'elles avaient autrefois41. Soucieux d'éviter leurs effets néfastes, et nous plaçant encore dans une perspective de lege ferenda, nous désirons nous faire l'écho des voix de tous les auteurs que les innombrables injustices engendrées par les règles de la continuité avaient poussés à recommander la création d'un tribunal spécial42. Cet organe juridictionnel devait être ouvert aux particuliers sans considération de nationalité et régler les différends qui pourraient les opposer à un Etat étranger.
54La situation de l'individu en droit international s'apparente encore beaucoup à celle d'un pupille à qui on ne refuse certes plus la possibilité de devenir titulaire de certains droits, mais qui ne peut que rarement les faire valoir directement contre le responsable. L'intervention de son “tuteur” — l'Etat national — remédie en partie à la précarité de sa position, mais les lenteurs de la procédure et les défauts qu'elle comporte hypothèquent les chances de succès de ce type de démarche. En tout cas, la protection diplomatique verrait son efficacité s'accroître de manière appréciable si on la débarrassait des règles de la continuité. C'est à convaincre le lecteur de la nécessité de faciliter l'intervention de l'Etat national à cet égard que nous avons travaillé. Puisse cette étude contribuer à rallumer une controverse qui avait tendance, ces dernières années, à brûler d'un feu trop doux.
Notes de bas de page
1 Supra, p37.
2 Pour van Panhuys, la problématique de la “claims agency” masque celle, plus fondamentale, de l'effectivité de la nationalité ou de la nationalité accordée en fraude à la loi (The Role of Nationality in International Law, Leiden, Sijthoff, 1959, p. 92). Selon cet auteur, ce que les Etats ne pouvaient accepter, c'est l'idée que des individus puissent rechercher la nationalité d'un Etat en fonction d'un intérêt matériel et non en vue de concrétiser des liens réels préexistants.
3 Rappelons que seule cette théorie est contemporaine de la naissance des règles de la continuité et de l'apparition de leur justification fondée sur la “claims agency”. On ne saurait donc confronter l'explication traditionnelle aux théories moderne et mixte, plus récentes.
4 Voir la Convention signée par ces deux pays le 5 décembre 1885 (précitée en p. 33 n. 9).
5 Voir infra, p. 260.
6 On peut appliquer le même raisonnement au cas où le lésé, ressortissant britannique, aurait cédé le droit en cause à un citoyen américain avant la date de la présentation de la réclamation internationale.
7 On se rappelle que, dans le cas de la Convention américano-vénézuélienne de 1885, les commissaires se sont tirés d'affaire en appliquant la règle de la nationalité à l'origine à titre de principe bien établi (cf. supra, p. 33 n. 12).
8 Voir supra, p. 32.
9 Pour une illustration de ce phénomène, voir l'affaire Delrieu (MCC franco-américaine créée par la Convention du 15 janvier 1880), dans laquelle la Commission se basa sur un précédent, l'affaire Grayson (MCC anglo-américaine créée par la Convention du 8 mai 1871). Elle refusa l'indemnité demandée à cause d'une rupture de la continuité de l'identité du titulaire du droit due à une succession pour cause de mort. On peut lire sous la plume du commissaire Aldis : “S'il est vrai... que cette décision [Grayson] est contraire au droit public, à la justice et à l'équité, et a été montrée être, dans la pratique, injuste, inéquitable et désastreuse, il semble que ce fait aurait attiré l'attention des auteurs de la convention et qu'ils auraient inséré quelque article pour éviter de telles décisions dans l'avenir. Nous estimons que... le précédent... doit être suivi.” (Citation empruntée à La Pradelle et Politis, Recueil des arbitrages internationaux, Vol. II, Paris, Pedone, 1923, p. 107.)
10 Cf. infra, pp. 259 ss.
11 Voir par exemple Dubouis, “La distinction entre le droit de l'Etat réclamant et le droit du ressortissant dans la protection diplomatique”, Rev. crit., vol. 67, 1978, p. 620. Dans le même sens, cf. Cavaré, “Les transformations de la protection diplomatique”. Abhandlungen zum Völkerrecht. Festgabe für A. Makarov, Stuttgart, Kohlhammer, 1958, p. 56.
12 Voir supra, p. 245.
13 On rappellera, en guise de preuve de cette affirmation, qu'on ne pensait pas, à cette époque, que le droit international put être viole au cas ou la victime de l'acte illicite était un apatride (cf. supra, p. 120).
14 Nous ne pouvons nous prononcer définitivement ici sur la question de savoir si l'individu est actuellement un sujet du droit des gens. Le problème est compliqué par le fait qu'on ne confère pas la même acception au terme “sujet de droit” en droit international et en droit interne. Sur ces problèmes, consulter par exemple H. Kelsen, “Théorie générale du droit international public. Problèmes choisis”, RCADI, vol. 42, 1932-IV, pp. 141-172, J. de Soto, “L'individu comme sujet du droit des gens”, in : La technique et les principes du droit public. Etudes en l'honneur de G. Scelle, Paris, LGDJ, 1950, vol. II, pp. 687-716, H. Lauterpacht, International Law and Human Rights, Londres, Stevens & Sons Ltd., 1950, spécialement pp. 27-60, ou Norgaard, The Position of the Individual in International Law, Copenhague, Scandinavian University Books, 1962, 319 p.
15 Cf. par exemple Ch. De Visscher, dont la remarque citée plus haut parait aller dans ce sens (voir supra, p. 234).
16 La notion d'intérêt est cependant plus large : le représentant d'un mineur peut avoir intérêt à exercer une action en justice pour faire valoir le droit de son protégé. C'est le concept d'intérêt juridique— critiqué par Solus et Perrot — qui, justement, se confond avec la titularité du droit : “... déclarer une demande irrecevable en affirmant que l'intérêt dont se prévaut le demandeur n'est pas un 'intérêt juridique', ... revient à constater que la demande n'est pas fondée parce que le droit fait défaut. C'est le droit qui n'ose pas dire son nom” (Droit judiciaire privé, vol. I, Paris, Sirey, 1961, p. 203).
17 C'est l'exigence de l'intérêt “actuel” (Solus et Perrot, ibid., p. 204).
18 On peut faire la même remarque en relation avec la titularité du droit individuel.
19 Nous abandonnons ici le terme “justification” parce qu'il connote des éléments moraux, donc théoriques et abstraits. Comme la naissance des règles de la continuité est due en grande partie, nous le verrons, à des facteurs liés à une “mécanique juridique”, nous utiliserons plutôt le mot “explication”.
20 La Pradelle et Politis, op. cit. note n. 9. Ces vues sont partagées par Sinclair, “Nationality of Claims : British Practice”, BYIL, vol. 27, 1950, pp. 126-127, et O'connell, International Law, vol. II, Londres, Stevens & Sons, Ltd., 1965, p. 1123.
21 Thierry, Combacau, Vallée et Sur, Droit international public, 4e éd., Paris, Montchrestien, 1984, p. 91.
22 C'est се que Sinclair avait souligné: “Such Claims Commissions were limited in their jurisdiction by the terms of the ad hoc Convention under which they had been constituted, and a strict interpretation of the terms of the Convention in question generally resulted in dismissal of the claim unless the claimant was able to prove that he possessed the nationality of the demanding state at the time of the presentation of the claim. Thus, there was no need to insert... any clause relating to the necessity for continuous national character; the ordinary rules of treaty interpretation were sufficient to ensure that, to be a British subject or United States citizen under the Convention, nationality must be proved, not only at the time the injury occurred, but also at the time the claim was presented for adjudication.” (“Nationality of Claims : British Practice”, BYIL, vol. 27, 1950, p. 127).
23 Voir supra, pp. 43-47.
24 Si l'on stipule que “... arbitrators shall have jurisdiction of all claims presented to them by the Government of the United States for injuries done to citizens of the United States...” (voir l'Accord du 12 février 1871 signé par les Etats-Unis et l'Espagne, in : Parry, The Consolidated Treaty Series, vol. 143, p. 3), il paraît évident que l'exigence de la nationalité américaine à l'origine découle du traité lui-même. Par contre, si la convention se borne à établir la compétence de la commission mise sur pied pour “ [a]ll claims owned by citizens of the United States of America against the Republic of Venezuela...” (art. 1er de la Convention du 17 février 1903 entre les Etats-Unis et le Venezuela, RSA, vol. IX, p. 115), il est difficile, contrairement à ce que prétend Sinclair (cf. n. 22), de se prévaloir des règles habituelles d'interprétation des traités pour exiger la nationalité américaine à l'origine. Au contraire, il serait plus juste d'interpréter ces termes dans le sens d'une affirmation de la condition de la nationalité au moment de la présentation de la requête, les traités n'étant en principe pas rétroactifs ; “ressortissants américains” signifie donc “ressortissants au moment de la signature (ou entrée en vigueur) du traité”. Dès lors, exiger la nationalité à l'origine procéderait de l'application d'une règle préexistante et non de l'effet relatif des traités.
25 Voir supra, pp. 254-255.
26 G. Perrin, “Réflexions sur la protection diplomatique”, Mélanges M. Bridel, Lausanne, Imprimeries Réunies SA, 1968, p. 386.
27 Cf. G. Perrin, Ibid. p. 389 n. 39.
28 Briggs, “Exposé préliminaire”, AIDI vol 51, 1965-I, p. 119. C'est de cette manière que Briggs explique la contradiction existant entre le droit propre de l'Etat et la condition de la nationalité au moment de la présentation de la requête. Borchard donne exactement la même réponse au même problème (voir son “Rapport”, AIDI, vol. 36, '1931-I, p. 287).
29 A titre principal tout au moins. Subsidiairement, nous avons admis leur application dans les cas de naturalisation des personnes physiques et morales et de cession du droit fondant la réclamation internationale (voir supra, pp. 95 et 150).
30 Cf. supra, pp. 94 -96.
31 Pour des exemples, on peut se reporter notamment au chapitre relatif à la protection diplomatique des actionnaires (supra, pp. 191 ss).
32 Si le changement de nationalité ou d'identité du titulaire du droit se produit après la décision d'endossement, l'Etat peut encore, s'il le désire, renoncer à poursuivre ses démarches. Il semble bien que la pratique internationale soit conforme à la théorie classique de la protection diplomatique sur ce point.
33 Cette possibilité est tout à fait envisageable. C'est sur la base d'un raisonnement similaire que le montant acquitté par l'assureur à l'assuré fut imputé sur la somme correspondant à l'étendue du préjudice total dont réparation était demandée par l'Etat national de l'assuré : voir par exemple l'affaire Quillin (supra, p. 169). A propos de l'affaire Turini (supra, p. 204), nous nous étions demandé si la décision contraignait l'Etat demandeur à indemniser un créancier contractuel de la personne lésée, sans pouvoir trancher péremptoirement la question.
34 Comme le dit fort bien Ch. De Visscher, “... l'entière discrétion politique laissée à l'Etat dans l'exercice de la protection s'accorde assez mal avec le principe que le traitement dû à l'étranger relève du droit international” (Théories et réalités en droit international public, 4e éd., Paris, Pedone, 1970, p. 305).
35 Voir infra, p. 268
36 Preuve en soit la récente réclamation que les Etats-Unis ont présentée à la CIJ en faveur de deux sociétés américaines et qui vient de faire l'objet de l'arrêt ELSI, dont il a déjà été question dans cette étude.
37 L'Etat national pourrait ainsi se borner à invoquer le fait que la victime de l'acte illicite était à l'origine l'un de ses ressortissants. Cette condition, nécessaire mais suffisante, permettrait l'admission d'une demande présentée par l'Etat national d'une personne lésée qui aurait perdu son droit après la date du préjudice, par exemple.
38 Pour un historique de cette évolution, voir Cavaré, op. cit. note 11, pp. 54-80 (spéc. 61-80). Kiss, “La condition des étrangers en droit international et les droits de l'homme”, Mélanges W.J. Ganshof van der Meersch, vol. I, Paris, LGDJ, 1972, pp. 499-511) ou Rousseau, Droit international public, vol. II, Paris, Sirey, 1974, pp. 695-775.
39 Comme le remarque Skubiszewski, la majorité des procédures intentées dans le cadre de la protection des droits de l'homme concernent des cas où l'individu est lésé par son propre Etat national plutôt que par un pays étranger. In : E. Lauterpach/J. Collier (éd.), Individual Rights and the State in Foreign Affairs. An International Compendium, New York, Praeger, 1977, p. 10.
40 Kiss, op. cit. note 38, p. 510. L’art. 24 de la Convention européenne des droits de l'homme illustre parfaitement ces dires (texte dans Reuter et Gros, Traités et documents diplomatiques, 4e éd., Paris, Presses Universitaires de France, 1976, p. 238).
Par ailleurs, on sait que l'art. 25 de la même Convention ménage aux particuliers le droit de saisir la Commission directement en cas de violation de ses engagements par un Etat partie (ibid.).
41 Pour Lauterpacht, “... the rule of nationality of claims... in some of its aspects is an anachronism” (op. cit. note 9, p. 55). Freidberg, lui, en parle comme d'une “archaic relic” (“Unjust and Outmoded - The Doctrine of Continuous Nationality in International Claims”, The International Lawyer, vol. 4, 1970, p. 835).
42 Cf. par exemple Borchard (op. cit. note 28, p. 287), Lauterpacht (Op. cit. note 14, p. 52), Leigh (“Nationality and Diplomatic Protection”, ICLQ, vol. 20, 1971, p. 453), ou Jessup (A Modem Law of Nations. An Introduction, New York, Macmillan Co., 1948, p. 116).

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