VIII. Le rapport de représentation et le mandat
p. 213-215
Texte intégral
1Lorsqu'une personne se fait représenter volontairement dans l'exercice de ses droits ou que la loi elle-même institue ce rapport, une dissociation se produit entre la titularité du droit en cause et la jouissance de la qualité pour agir. Le représentant fait valoir en justice le droit de la personne représentée.
2Si la victime1 de l'acte illicite commis par l'Etat défendeur charge une autre personne d'agir à sa place, ce mandat incitera-t-il le droit international à s'intéresser à la nationalité du représentant au lieu de celle du représenté ? Poser cette question, c'est limiter le débat essentiellement à la procédure particulière des MCC, où les particuliers jouaient un rôle relativement important2.
3Dans la conception traditionnelle de la protection diplomatique, il semble difficile d'admettre que l'Etat national du représentant de la personne lésée puisse exercer le droit d'intervention à la place de l'Etat national de celle-ci. Ce serait aller à l'encontre du principe selon lequel seul l'Etat national de la victime (ou, du moins, d'une personne possédant un droit protégé par l'ordre juridique international) est habilité à agir en sa faveur. Du reste, en endossant la demande, l'Etat se charge d'une certaine manière des intérêts de son ressortissant, sans que le rapport qui les unit ne se réduise pour autant à une simple représentation3.
1. Le problème du choix du titulaire du droit fondant la réclamation internationale
4Dans l'affaire Reynosa4 (MCC américano-mexicaine créée par la Convention du 4 juillet 1868), une société mexicaine faisait valoir ses propres droits ainsi que ceux d'autres personnes contre les Etats-Unis. Se prononçant sur la question de la représentation, le juge estima qu'il était douteux qu'un tel droit existât, du moment que les personnes représentées avaient la faculté de demander elles-mêmes réparation pour le prétendu dommage. Comme la preuve de leur nationalité mexicaine n'était pas faite, il refusa d'allouer une indemnité en leur faveur5.
5Dans l'affaire Dusenberg, la même Commission admit que
“... a party may by his attorney in fact in his absence from the State where he resides, file his memorial.”6
6Cependant, elle ne s'intéressa qu'à la nationalité des personnes représentées : le caractère américain des réclamations n'étant pas prouvé à l'époque où l'acte illicite fut commis, elle ne fit pas droit à la demande.
7Dans l'affaire Clark7 (“General Claims Commission” créée par la Convention du 8 septembre 1923), il fut jugé que seule la nationalité de la personne représentée présentait un intérêt :
“The nationality of a legal representative in the claim on behalf of the estate of a deceased American subject is immaterial.”8
8Ces trois affaires nous confortent dans l'idée que c'est la nationalité de la personne lésée qui compte. Par là même, on voit que jamais le représentant ne fut tenu pour le titulaire du droit fondant la réclamation ; c'est au représenté qu'on a accordé cette qualité, conformément aux règles généralement admises en matière de représentation. Voilà pourquoi on ne s'est intéressé qu'à la nationalité de ce dernier.
9Dès lors, aucun problème spécifique lié à la continuité n'est susceptible de se poser dans l'hypothèse d'un rapport de représentation.
2. La doctrine
10Les rares avis exprimés sur le sujet ne s'écartent pas de la solution adoptée par la pratique. Pour Blaser, par exemple, le représentant “... n'est qu'un instrument dont la nationalité importe peu”9.
11On trouve, dans la Règle 6, lettre c, de la Résolution de l'Institut de droit international de 1932, le même choix : l'Etat national du mandant a le droit d'exercer la protection diplomatique, alors que cette faculté est expressément refusée à l'Etat national du mandataire10.
12Pour notre part, nous approuvons également cette solution, qui s'inscrit dans la logique même du rapport de représentation.
Notes de bas de page
1 Nous voulons naturellement parler de la personne privée. A propos de l'Etat, il faut souligner que la question de la représentation s'est posée parfois en termes de délégation du pouvoir d'exercer la protection diplomatique. L'histoire fournit de nombreuses illustrations du phénomène, particulièrement fréquent en cas de guerre ou de rupture des relations diplomatiques. Par exemple, la Suisse assuma la protection des droits des ressortissants de 34 Etats au cours de la Seconde Guerre mondiale, et elle continue d'exercer actuellement la protection diplomatique (au sens large) en faveur des citoyens du Liechtenstein.
Pour d'autres exemples, ainsi que sur le fonctionnement de la représentation en droit international, voir Sereni, “La représentation en droit international”, RCADI, vol, 73, 1948-11, pp. 81-174
2 Les opinions sont partagées sur ce point. Pour Ralston (The Law and Procédure of International Tribunals, Stanford, Stanford University Press, 1926, p. 229), les réclamations appartenaient aux individus et non aux Etats, en général; Rundstein (“L'arbitrage international en matière privée”, RCADI, vol. 23, 1928-III, p. 389) nie que l'individu ait bénéficié d'un accès direct aux MCC, alors que Cavaré (Le droit international public positif, 2e éd., Paris, Pedone, 1962, vol. II, p. 247) est de l'avis contraire. Sur cette question, voir aussi Guyomar, “L'arbitrage concernant les rapports entre Etats et particuliers”, AFDI, vol. 5, 1959, pp. 333-354 (spécialement pp. 347-350), dont l'étude montre que la pratique témoigne d'une grande diversité, la participation des particuliers à la procédure ayant beaucoup varié suivant la volonté des Etats en cause.
3 Contra: la théorie moderne de la protection diplomatique (voir supra, p.). Celle-ci doit être comprise de lege ferenda plutôt que de lege lata.
4 Moore, International Arbitrations, vol. II, p. 1356.
5 Ibid.
6 Ibid., vol. III, p. 2157.
7 Décision non publiée du 8 octobre 1930, RSA, vol. IV, pp 1615-1616.
8 Ibid., p. 616.
9 La nationalité et la protection juridique internationale de l'individu, thèse, Lausanne, Imprimerie Rencontre, 1962, p. 46.
10 AIDI, vol. 37, 1932, p. 280.

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