III. La subrogation de l’assureur dans le droit fondant la réclamation internationale
p. 163-174
Texte intégral
1On peut définir le contrat d’assurance1 comme étant
« … une opération par laquelle une partie, l’assuré, se fait promettre, moyennant rémunération, la prime, pour lui ou pour un tiers, en cas de réalisation d’un risque, une prestation par une autre partie, l’assureur, qui, prenant en charge un ensemble de risques, les compense conformément aux lois de la statistique. »2
2Lorsque l’acte illicite a endommagé ou détruit un bien qui a fait l’objet d’un contrat d’assurance, le paiement de l’indemnité effectué par l’assureur à l’assuré peut transférer au premier nommé tous droits contre le tiers responsable. Si le droit international tient compte d’une subrogation effectuée valablement selon le droit interne, une rupture de la continuité est inévitable en cas de différence dans la nationalité des parties au contrat d’assurance.
3Les quelques difficultés que nous rencontrerons au cours de notre étude proviennent essentiellement de ce que le transfert du droit en cause ne s’opère pas selon un mode monolithique : d’une part, ce n’est pas toujours la totalité des droits qui passent à l’assureur3 ; d’autre part, le moment auquel se produit la subrogation peut varier en fonction de la branche d’assurance concernée4.
1. Législation applicable au transfert du droit
4C’est le droit étatique, on le sait, qui règle cette question. Précisons tout d’abord que la subrogation n’est pas admise par tous les types d’assurances connus5. Parmi celles qui la prévoient, les assurances privées destinées à protéger la victime vont retenir notre attention puisque ce sont elles qui peuvent être appelées à fonctionner au cas où l’Etat auteur de l’acte illicite aurait porté atteinte aux biens d’un étranger6. Dans cette catégorie d’assurances là, la subrogation est admise par la majorité des droits internes7, et son effet est de transférer les droits de l’assuré contre le tiers responsable à l’assureur au moment où celui-ci s’acquitte du paiement de l’indemnité qu’il doit à l’assuré en vertu des clauses du contrat d’assurance8.
5Ce qui est capital pour notre propos, c’est que le montant de la prestation de l’assureur dépend généralement de l’étendue du préjudice. Par conséquent, la subrogation – qui ne peut en principe avoir lieu avant l’exécution de cette prestation – est nécessairement postérieure à la date du préjudice9. Serait-il toutefois possible d’admettre que la subrogation rétroagisse au jour de la conclusion du contrat ?10 Sous l’angle de la continuité, un tel effet rétroactif présenterait l’immense avantage de placer l’assureur dans la position d’une victime originaire de l’acte illicite. On neutraliserait alors la règle de la continuité, à moins évidemment que l’assureur ne cède par la suite le droit en cause à un tiers étranger.
6Sur le plan interne, il ne semble pas que cette possibilité soit reconnue11, en raison de la nature même de la subrogation. Celle-ci se distingue de la simple cession de créances futures par la condition préalable du paiement de l’indemnité par l’assureur12.
7Il faut donc conclure que la subrogation a lieu au moment du paiement de l’indemnité due par l’assureur.
2. Le problème du choix du titulaire du droit
8La législation interne applicable à la question de savoir si le droit individuel a été transféré peut exclure la subrogation13.
9Dans le cas contraire, on doit se demander si le droit international suit le droit interne et considère que l’assureur est le nouveau titulaire du droit fondant la réclamation internationale14.
10C’est ce qu’il nous faut examiner maintenant15.
a) Choix de l’assuré
11Dans l’affaire des « Assureurs-vie des sinistrés du Lusitania »16 (MCC germano-américaine créée par l’Accord spécial du 10 août 1922), le surarbitre Parker mit en évidence le fait que, dans le système des assurances-vie, l’assureur ne supporte en réalité aucun préjudice résultant de l’acte illicite (in casu : torpillage du « Lusitania » imputable à l’Allemagne). La cause de sa perte financière résidait dans la conclusion du contrat d’assurance, et l’indemnité qu’il devait payer ne dépendait pas de la valeur économique de la vie ni des pertes financières éventuelles dues à la mort de la personne en question17.
12Contrairement à ce qui se passe dans les assurances de sommes,
« The insurers through subrogation or otherwise are not entitled to stand in the shoes of the representatives of the estate of the insured or of the beneficiaries and pursue their rights, if any exist, against the author of the death of the insured »18.
13L’interprétation a contrario de cette décision mène à la conclusion que la subrogation doit être admise dans les types d’assurance où l’assureur subit une perte du fait du versement de son indemnité à l’assuré et où le montant de sa prestation est conditionné par l’étendue du préjudice19.
14Mais, dans les assurances-vie, seul l’assuré fait figure de victime de l’acte illicite.
b) Choix de l’assureur
15Différentes voies ont abouti à la solution qui fait de l’assureur le titulaire du droit fondant la réclamation internationale :
161. Le droit international fait de l’assureur la victime originaire de l’acte illicite.
17Dans l’affaire du Mechanic20 (MCC américano-vénézuélienne créée par la Convention du 5 décembre 1885), la Commission américano-vénézuélienne avait fait remonter la subrogation au moment même de la saisie du navire21. Cette option revenait à considérer l’assureur comme une victime originaire.
182. Le droit international accorde des effets à une subrogation valable sur le plan interne.
19Dans l’affaire Quillin22 (MCC germano-américaine créée par le Traité de paix du 25 août 1921), le surarbitre tint compte de la subrogation et déduisit de la somme demandée par les assurés le montant correspondant à l’indemnité versée par l’assureur.
203. Le droit international consacre lui-même le principe de la subrogation.
21Dans l’affaire de l’Eagle Star23 (MCC mexicano-britannique créée par la Convention du 19 novembre 1926), la Commission sembla admettre le principe de la subrogation. Etant consacrée par de nombreuses législations internes, la subrogation méritait, selon elle, d’être intégrée dans l’ordre international. Mais on peut hésiter à voir dans cette décision un exemple probant d’une consécration, par le droit international, de la subrogation24. L’ambiguïté des termes employés laisse planer un doute. On serait également fondé à interpréter la sentence comme un cas où l’ordre juridique international ne fait qu’accorder effets à la subrogation. La Commission dit :
« The view may be taken – as is laid down in several codes – that the Insurer is, by the payment of the insurance money, subrogated to the right of the insured… »25
22La diversité des solutions adoptées dans ces quelques affaires nous empêche de dégager une règle unique26. Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que la subrogation a été admise dans les cas où il s’agissait d’assurances privées qui protégeaient la victime de l’acte illicite. Mais la question de savoir si elle constitue un principe du droit international ou si cet ordre juridique se borne à enregistrer les effets qu’elle déploie sur le plan interne reste ouverte.
23En l’absence d’une norme incontestée, il ne paraît pas inopportun d’examiner et apprécier les diverses solutions proposées.
241re hypothèse : la subrogation ne déploie pas d’effets en droit international.
25C’est donc l’assuré qui est considéré comme le titulaire du droit fondant la réclamation internationale27. Ainsi l’intervention de l’Etat national de l’assureur étranger contre l’Etat présumé responsable se heurterait à un refus, alors qu’une demande émanant de l’Etat national de l’assuré serait agréée par le juge jusqu’à concurrence du montant total du préjudice. En effet, le juge, ne tenant pas compte de la subrogation opérée, n’imputera pas la somme versée au préalable par l’assureur à l’assuré en exécution de ses obligations28. L’assureur se verrait donc obligé de se retourner contre l’assuré, d’abord sur le plan interne, ensuite, le cas échéant, sur le plan international par l’intermédiaire de son propre Etat national. Le motif sur lequel s’appuierait cette demande serait une sorte d’enrichissement illégitime, l’assuré ayant reçu deux fois le montant équivalant à la prestation de l’assureur, une première fois de la part de celui-ci, une seconde fois de la part de l’Etat responsable.
26Cette situation est critiquée à juste titre par Ritter, qui estime que le droit international doit tenir compte d’une subrogation effectuée valablement sur le plan interne. S’il en allait autrement, il se produirait, selon lui, une sorte d’ingérence dans un domaine relevant de la sphère étatique29.
272e hypothèse : la subrogation fait passer les droits de l’assuré à l’assureur en vertu du droit international (ou, en tant que processus de droit interne reconnu, elle déploie des effets sur le plan international).
281. La subrogation est totale.
29Nous voulons dire qu’en vertu du contrat d’assurance, l’indemnité payée par l’assureur à la suite de la réalisation du risque couvre la totalité du préjudice, la chose détruite ayant été assurée jusqu’à concurrence de sa valeur globale.
30La solution présente ici l’avantage de la simplicité, dès lors que l’assureur a obtenu par subrogation l’intégralité des droits qu’aurait pu faire valoir l’assuré contre le tiers responsable ; ainsi, il se substitue à lui dans leur exercice. Sur le plan international, cela signifie que l’Etat national de l’assureur réclamera à l’Etat présumé responsable le remboursement d’une somme correspondant à la valeur totale de la chose détruite, ce montant équivalant à celui que l’assureur a dû verser à l’assuré en exécution de ses obligations. Relativement à la chose assurée, l’assuré, lui, a perdu tous droits et son Etat national n’a aucun titre qui légitimerait une intervention en sa faveur.
312. La subrogation est partielle.
32Dans cette hypothèse, la chose n’a pas été assurée à sa valeur totale, de sorte que l’indemnité payée par l’assureur est inférieure à la somme que pourrait réclamer l’assuré au tiers responsable.
33Si l’intervention dirigée contre l’Etat présumé responsable émane d’abord de l’Etat national de l’assuré, le juge devra imputer sur la somme demandée le montant déjà payé par l’assureur à l’assuré parce qu’il reconnaît la subrogation30. L’assureur devrait alors se retourner à son tour contre le tiers responsable afin de récupérer cette somme. Sur le plan international, l’intervention de son Etat national contre l’Etat responsable succéderait à celle de l’Etat national de l’assuré.
34De même, si c’est l’Etat national de l’assureur qui exerce en premier lieu la protection diplomatique contre l’Etat présumé responsable, le juge n’allouera à cet Etat que la somme que l’assureur a effectivement payée à l’assuré et qui délimite strictement son intérêt.
35L’assuré pourra ensuite, par l’entremise de son Etat national, demander à l’Etat responsable de s’acquitter de la différence entre l’indemnité totale résultant de la destruction de la chose et la prestation de l’assureur31.
36La solution qui permet à l’Etat national de l’assureur d’intervenir a, nous le verrons, ses partisans et ses adversaires32.
3. Ruptures de la continuité de l’identité du titulaire du droit
37Une rupture de la continuité ne peut survenir, dans l’hypothèse de la subrogation, que si le droit international accorde des effets au transfert du droit. Nous avons vu que ce ne fut pas toujours le cas ; c’est pourquoi les instances dans lesquelles le juge a repoussé la réclamation pour ce motif ne foisonnent pas33.
38Dans l’affaire Quillin, les Etats-Unis demandaient à l’Allemagne réparation pour la perte d’un navire coulé par un sous-marin allemand. Les propriétaires américains du navire avaient contracté une assurance auprès de l’Etat français, lequel s’était acquitté de l’indemnité due peu après la guerre.
39Le surarbitre Parker déduisit de la somme demandée le montant déjà versé par l’assureur. Par l’effet de la subrogation, l’Etat français possédait un droit partiel contre le tiers responsable, à savoir l’Allemagne. Ce droit, ayant passé en mains étrangères, ne pouvait être revendiqué, et seule la différence existant entre le montant total du préjudice et la somme payée par l’Etat français fut allouée aux assurés américains34.
40Dans l’affaire de l’Eagle Star, la requête émanait de la Grande-Bretagne et visait à protéger des assureurs britanniques. Le contrat d’assurance portait sur une cargaison de sucre, propriété d’une société mexicaine ; au cours du transport, ce sucre avait été volé par des soldats mexicains. L’assuré possédait donc la nationalité de l’Etat défendeur.
41La Commission admit l’existence de la subrogation mais prétendit que, du moment que l’assuré n’aurait rien pu réclamer au Mexique devant elle (parce qu’il était de nationalité mexicaine), il était impossible que l’assureur eût acquis des droits que l’ancien titulaire ne possédait pas.
42Le véritable motif qui se cache derrière ces termes n’apparaît pas clairement35, mais il est hors de doute que la continuité de l’identité du titulaire du droit était brisée36.
43Dans l’affaire du Circassian (MCC anglo-américaine instituée par le traité du 8 mai 1871)37, la Grande-Bretagne réclamait réparation aux Etats-Unis pour des dommages résultant de la saisie du navire « Circassian » qui transportait des marchandises appartenant à des ressortissants français mais assurées auprès de compagnies britanniques. Dans son argumentation, la Grande-Bretagne mit l’accent sur deux éléments : tout d’abord, le versement de l’indemnité contractuelle enlevait tout intérêt dans la demande aux assurés français ; puis le droit des assureurs était né au moment même de la conclusion du contrat38.
44La Commission alloua une indemnité complète aux réclamants, mais ne justifia malheureusement pas sa décision39.
45Nous ne sommes par conséquent pas en mesure de savoir si la décision constitue un cas d’exception à l’application de la règle de la continuité ou si, suivant en cela la thèse britannique, la Commission « neutralisa » la règle de la continuité en considérant l’assureur comme une victime originaire de l’acte illicite.
46Dans l’affaire de l’Incident aérien du 27 juillet 1955 (Israël c. Bulgarie, arrêt du 26 mai 1959)40, le Gouvernement d’Israël réclamait réparation à la Bulgarie pour la perte d’un aéronef enregistré en Israël et appartenant à la compagnie nationale El Al. Cet avion avait été abattu en vol par l’armée bulgare. Des ressortissants israéliens avaient été tués, de même que des passagers de nationalités diverses. La compagnie El Al étant assurée pour la perte de l’avion auprès d’assureurs britanniques, la Bulgarie souleva, entre autres, une exception préliminaire basée sur le défaut du caractère national de la réclamation : dans la mesure où les assureurs étrangers étaient subrogés dans les droits de l’assuré à la suite du versement des indemnités fixées contractuellement, le Gouvernement israélien ne pouvait intervenir en faveur de personnes qui avaient perdu leur droit au moment de la présentation de la requête. Et, s’agissant des nouveaux titulaires, le droit international n’admet pas une intervention d’un Etat en faveur de personnes étrangères41.
47Du côté israélien, on fit valoir que les contrats passés sur le plan interne entre les divers intéressés constituaient des res inter alios acta qui, à ce titre, étaient étrangères aux rapports juridiques que le litige avait fait naître entre les deux Etats42. Critiquant la règle de la continuité, M. Rosenne souligna que
« … the most unjust and inacceptable result would follow that the wrong-doing State could always escape any liability to the State of which the injured individual was a national for damage caused if the injured individual was covered by foreign insurance »43.
48S’étant déclarée incompétente, la Cour ne se pencha pas sur ce problème44.
4. La doctrine
49Parmi les auteurs qui se sont intéressés à ce sujet, Schwarzenberger45 semble peu favorable à la protection diplomatique de l’Etat national de l’assureur.
50Pour N’Guyen Quoc Dinh, la question pertinente est celle de savoir si le préjudice de l’assureur peut être considéré comme « direct », c’est-à-dire situé dans un rapport de causalité suffisamment étroit pour que le droit de cette personne soit protégeable sur le plan international. Il tranche ce point par la négative46.
51Blaser47, faisant appel à l’équité, estime qu’on devrait admettre en principe cette protection, et son opinion trouve écho chez Brownlie qui estime que la subrogation « … could be supported as a general principle of law »48.
52L’étude la plus approfondie est sans doute celle de Ritter qui se dit favorable à la reconnaissance, sur le plan international, d’une subrogation valable en droit interne49. Il assimile la position de l’assureur à celle d’une sorte de cessionnaire ou de créancier de l’Etat responsable50.
53Selon Ritter, la protection diplomatique de l’Etat national de l’assureur ne se justifie pas en principe, car celui-ci doit faire valoir sa créance devant les tribunaux de l’Etat défendeur51.
54Peu d’auteurs, à notre connaissance, se sont attaqués à la question de l’application de la règle de la continuité en cas de subrogation de l’assureur dans les droits de l’assuré52. Pourtant, l’injustice qu’elle engendre dans ce cas est bien réelle, et on ne saurait recourir à la traditionnelle théorie de la « claims agency » pour la justifier. En effet, comme le contrat d’assurance précède nécessairement la date de l’acte illicite, événement imprévisible, il est impossible de prétendre qu’un désir d’abuser de la protection diplomatique se soit trouvé à l’origine du transfert du droit fondant la réclamation internationale. La situation se présente en somme de la même manière qu’en cas de succession pour cause de décès.
55Pour remédier à l’injustice engendrée par l’application de la règle, il faudrait, par l’effet d’une fiction juridique, faire remonter la date de la subrogation au moment même de la réalisation du préjudice. Ritter a relevé que, comme les droits sont la conséquence de la réalisation du sinistre, ils ne peuvent naître au moment précis où le dommage se produit, du moins sur le plan de la causalité53. Cette remarque est juste, mais le recours à une fiction permettrait de contourner l’obstacle ; d’ailleurs, en matière de subrogation, la logique juridique doit céder le pas aux nécessités pratiques de la vie54.
56Cette solution permettrait à l’Etat national de l’assureur, en tant que victime originaire de l’acte illicite, de déclencher l’action diplomatique en sa faveur, sans qu’il ait à craindre que la règle de la continuité ne fasse échouer sa requête éventuelle. Un autre moyen reste à disposition pour atteindre le même but : accorder le droit d’intervention à l’Etat national de l’assuré et refuser d’appliquer la règle de la continuité. Notre préférence va pourtant au recours à la fiction juridique parce que le moment de la subrogation n’est en principe pas très éloigné de la date du préjudice. Par conséquent, on peut considérer l’assureur comme une victime originaire sans trop attenter à la logique juridique.
5. Les réassureurs
57Nous n’allons pas vraiment traiter de cette question, car, selon la majorité des contrats, le réassureur n’est pas subrogé dans les droits de l’assureur par son paiement55 ; il se trouve plutôt dans la position d’un créancier ordinaire de l’assureur. Dès lors, nous pouvons renvoyer à plus tard la question de sa protection sur le plan international56.
58Au cas où le droit interne placerait le réassureur dans la position d’un subrogé dans les droits de l’assureur, ce que nous venons d’exposer relativement aux droits de l’assureur s’appliquerait également à lui. Ainsi, rien ne semble s’opposer péremptoirement à la réussite de l’intervention diplomatique de l’Etat national du réassureur étranger, possible si l’on admet l’effet rétroactif des deux subrogations successives réputées accomplies au moment de la réalisation du préjudice57.
Notes de bas de page
1 Pour ce chapitre, nous sommes largement redevable à l’étude approfondie de Ritter (« Subrogation de l’assureur et protection diplomatique », Rev. gén., vol. 65, 1961, pp. 765-802).
2 Hémard, Traité et pratique des assurances terrestres, 1924, t. I, p. 73, cité par Mestre (La subrogation personnelle, Paris, LGDJ, 1979, p. 274).
3 Dans les assurances dites « de choses », l’assureur ne peut généralement faire valoir contre le tiers responsable qu’une prétention limitée au montant de l’indemnité qu’il a versée à l’assuré. Par exemple, en droit suisse, l’article 72, al. 1er, de la Loi sur les contrats d’assurances de 1908 stipule : « Les prétentions que l’ayant droit peut avoir contre des tiers en raison d’actes illicites passent à l’assureur jusqu’à concurrence de l’indemnité payée » (Recueil systématique du droit fédéral, XXI, vol. II, 2).
4 Par exemple, dans les assurances publiques, le moment auquel intervient la subrogation ne coïncide pas toujours avec le moment du paiement de l’indemnité due par l’assureur : en droit suisse encore, dans le cadre de l’assurance-accidents, la subrogation prévue par l’article 100 de la Loi de 1911 sur l’Assurance maladie-accidents a lieu au jour où la Caisse Nationale d’Assurance reconnaît définitivement ses obligations à l’égard de l’assuré (voir Deschenaux et Tercier, La responsabilité civile, 2e éd., Berne, Stämpfli & Cie SA, 1982, p. 311).
5 Les assurances dites « de sommes » (les assurances-vie par exemple) ne l’admettent en principe pas. L’article 96 de la Loi sur les contrats d’assurance (LCA) mentionnée à la note 3 dispose : « Dans l’assurance des personnes, les droits que l’ayant droit aurait contre des tiers en raison du sinistre ne passent pas à l’assureur » (Deschenaux et Tercier, ibid., p. 304). L’assurance dite « des personnes » dont il est question constitue une sous-catégorie des assurances de sommes.
6 Ce ne sont en effet pas les assurances sur la responsabilité civile (RC) qui régissent notre situation-type, puisqu’elles sont plutôt destinées à protéger le tiers responsable (cf. Deschenaux et Tercier, ibid., p. 299).
7 Mestre signale que ce principe est consacré par les législations néerlandaise, chilienne, belge, hongroise, roumaine, espagnole, portugaise, argentine, mexicaine, japonaise, allemande, suisse, turque, française, tchécoslovaque et italienne (op. cit. note 2, p. 282, note 53).
8 La subrogation est en général soumise à certaines conditions, dont la principale veut que l’assureur ait payé l’indemnité qu’il doit en vertu du contrat passé avec l’assuré (cf. Jacob, Les assurances, 2e éd., Paris, Dalloz, 1979, p. 211).
Une faute du tiers peut également être érigée en condition (cf. l’article 72, al. 1er, LCA : voir Deschenaux et Tercier, op. cit. note 4, p. 302).
9 Le contrat d’assurance, lui, précède obligatoirement ce moment. Un contrat conclu après la survenance d’un événement dommageable et qui aurait pour objet la réparation des dégâts ne serait pas un contrat d’assurance (voir par exemple l’article 9 de la LCA, qui prévoit la nullité d’un contrat « d’assurance » signé après la réalisation du risque).
10 Voir l’affaire du Mechanic (infra, p. 166). En théorie générale des obligations, on peut en effet analyser le contrat d’assurance comme soumettant le transfert des droits à l’assureur à une condition suspensive casuelle (survenance d’un événement incertain indépendant de la volonté des parues). Voir Engel, Traité des obligations en droit suisse, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1973, p. 571. Or, nous savons que certaines législations étatiques prévoient que les contrats soumis à de telles conditions ne prennent effet qu’au moment de la réalisation de celles-ci (pour le droit suisse, cf. supra, p. 144 n. 16). Cela signifierait, dans le cas du contrat d’assurance, que la subrogation ne pourrait rétroagir qu’au jour de la réalisation du risque, mais pas au-delà (donc pas jusqu’à la date de la conclusion du contrat). La solution généralement adoptée en la matière n’admet toutefois pas l’effet rétroactif (voir la note 11).
11 En droit suisse, on n’admet pas que la subrogation puisse rétroagir, ne serait-ce qu’au moment du sinistre. L’article 72, al. 1er, LCA doit être interprété comme instaurant une subrogation au moment du paiement (cf. Brehm, Le contrat d’assurance de responsabilité civile. Etude de droit suisse, Lausanne, Payot, Collection juridique romande, 1983, p. 196).
Pour Ritter, on ne saurait tenir l’assureur pour une victime originaire parce qu’il faut d’abord que le dommage survienne pour que des droits prennent naissance et se transmettent (op. cit. note 1, p. 173). Sulliger souscrit également à ces vues (L’épuisement des voies de recours internes en droit international général et dans la Convention européenne des droits de l’homme, thèse, Lausanne, Imprimerie des arts et métiers, 1979, p. 70).
Mestre pense aussi que la rétroactivité de la subrogation est exclue (op. cit. note 2, p. 393). Il indique qu’en droit français, les clauses du contrat d’assurance en vertu desquelles le moment de la subrogation est avancé à une date antérieure à celle du paiement de l’indemnité de l’assureur ont été déclarées nulles par les tribunaux (ibid., p. 64).
12 Ibid., pp. 64-65.
13 Vischer, Traité de droit privé suisse, t. I, Droit international privé, Fribourg, Ed. Universitaires, 1974, vol. 4, p. 220.
14 Théoriquement, le droit international pourrait aussi attribuer à l’assureur la titularité originaire (en lui reconnaissant alors la qualité de victime de l’acte illicite, voir l’affaire du Mechanic, infra, p. 166) ou celle résultant d’une subrogation effectuée par l’application de ses propres normes (voir l’affaire Quillin, infra, p 166).
15 Nous nous appuierons surtout sur la jurisprudence sélectionnée par Ritter.
16 RSA, vol. VII, pp. 91-116.
17 Ibid., p. 113.
18 Ibid. Parker rappelle aussi que c’est là la solution unanimement admise pour les assurances-vie (voir les affaires qu’il cite à la page 114).
19 Voir aussi le passage où Parker oppose l’assurance-vie à l’assurance « de choses » (ibid., p. 113).
20 Moore, International Arbitrations, vol. III, pp. 3210-3220.
21 La décision a été critiquée par Ritter, op. cit. note 1, p. 787, sous l’angle de la causalité (cf. la note 11). Ritter a l’appui de Sulliger, op. cit. note 11, p. 63. Voir aussi infra, p. 173.
22 Décision du 21 avril 1926. RSA, vol. VII, pp. 299-301, et voir infra, p. 169.
23 Décision du 23 avril 1931. RSA, vol. V, pp. 139-142, et voir infra, p. 170.
24 Ritter, lui, est affirmatif dans le sens d’une telle interprétation (op. cit. note 1, p. 780).
25 RSA, vol. V, p. 142. La requête fut néanmoins repoussée (voir infra, p. 168).
26 Si l’on se penche sur l’analyse, beaucoup plus substantielle, de Ritter, on parvient à une conclusion identique.
Pour Borchard, la pratique est plutôt favorable à l’intervention effectuée au profit de l’assureur (Diplomatic Protection of Citizens Abroad, New York, The Banks Law Publishing Co., 1927, p. 647).
27 Dans ce sens, on peut citer la Règle 6, lettre c, du Projet de résolution de l’Institut de droit international (1932) qui fait de l’assuré la « personne intéressée » dont l’Etat national peut endosser la demande en vue d’exercer la protection diplomatique (AIDI, vol. 37, 1932, p. 278).
28 On supposera, pour simplifier, que la chose assurée a été complètement détruite.
29 Op. cit. note 1, pp. 790 et 794. Selon lui, le droit international devrait « … prendre en considération les processus de droit interne qui sont venus fixer définitivement la substance même du litige international » (p. 794).
30 Voir par exemple la décision du surarbitre Parker dans l’affaire Quillin, cf. ci-dessous.
31 On réalise à quel point une action conjointe des deux Etats intéressés serait judicieuse, mais il faut rappeler que la pratique ne nous en fournit pour ainsi dire aucun exemple.
32 Voir infra, p. 172
33 Il ne faut pas oublier non plus que la rupture de la continuité présuppose une différence de nationalité de l’assuré et de l’assureur ; selon Ritter (op. cit. note 1, p. 784), c’était précisément dans cette situation que les Etats refusaient d’endosser la demande de l’assureur.
Borchard nous dit cependant que les assureurs américains furent protégés par le Département d’Etat, en tout cas lorsque la subrogation avait fait passer tous les droits de l’assuré à l’assureur (op. cit. note 26, pp. 647-648).
34 RSA, vol. VII, p. 300.
35 La Commission pouvait rejeter la demande pour trois motifs :
1. En se basant sur l’article 3 de la Convention, qui exigeait que les victimes des actes incriminés fussent ressortissants britanniques, ou du moins des personnes « … under British protection… » (RSA, vol. V, p. 8. La Convention du 5 décembre 1930 remplaça cette expression par les termes « British juridical persons », ibid., p. 11). Or, la personne lésée, l’assuré, était une société mexicaine. Si la Commission a admis le principe de la subrogation de l’assureur – cf. supra, p. 167 – elle n’a pas considéré celui-ci comme une victime originaire : « Insurers suffer losses indirectly… not in the first place… » (RSA, vol. V, p. 141). Par conséquent, la personne lésée était bien l’assuré, qui n’avait pas la nationalité britannique.
2. Comme elle a accordé des effets à la subrogation sur le plan international et fait de l’assureur un successeur dans le droit en cause, la Commission aurait pu dire que la continuité de l’identité du titulaire du droit avait été rompue.
3. L’assuré, victime originaire, possédait la nationalité de l’Etat défendeur. Par conséquent, le litige n’avait aucun caractère international. Ce n’était que devant les instances internes mexicaines que la société mexicaine (et ensuite la compagnie d’assurance subrogée dans son droit) pouvait porter sa réclamation, et non pas devant une juridiction internationale. Faut-il interpréter ainsi les mots « … it is evident that he [the Insurer] can never exert any rights that did not belong to the Insured » (ibid., p. 142) ?
Nous pensons que la Commission a rejeté la requête en se référant implicitement à l’article 3 de la Convention, c’est-à-dire sur la base du premier motif énoncé (elle a dit : « … the Insured party was a Mexican firm not entitled to claim compensation… under the terms of the Claims Convention » (ibid.) (c’est nous qui soulignons).
36 La continuité était bel et bien brisée, la subrogation ayant fait passer les droits d’une personne morale mexicaine dans les mains d’assureurs britanniques après la réalisation du sinistre.
37 La Pradelle et Politis, Recueil des arbitrages internationaux, vol. III, Paris, Pedone, 1954, pp. 355-362 ; Ritter, op. cit. note 1, p. 772-773 ; Moore, op. cit. note 20, vol. IV, pp. 3915-3923.
38 La Pradelle et Politis, op. cit. note 37, p. 358 ; Ritter, op. cit. note 1, p. 773.
39 Moore, op. cit. note 20, p. 3920 ; La Pradelle et Politis, op. cit. note 37, p. 361.
40 CIJ, Rec. 1959, pp. 127-146.
41 CIJ, Mémoires, plaidoiries et documents, 1959, p. 439 (plaidoirie de M. Cot, avocat du Gouvernement bulgare).
42 Ibid., p. 535 (plaidoirie de M. Rosenne, avocat du Gouvernement israélien).
43 Ibid.
44 CIJ, Rec. 1959, p. 146. Elle accueillit une autre exception bulgare fondée sur l’invalidité du titre de compétence.
45 International Law, 2e éd., Londres, Stevens & Sons, Ltd., 1957, p. 600.
46 Droit international public, 3e éd., Paris, LGDJ, 1987, p. 698. Pour Bollecker-Stern, la question se pose en termes identiques, l’assureur étant « un tiers par rapport à un acte illicite dommageable » dans l’assurance-vie, « … avec un adoucissement des conséquences de cette situation sur le plan de la réparation dans le cas des contrats d’assurances pour risques… » (Le préjudice dans la théorie de la responsabilité internationale, Paris, Pedone, 1973, p. 237).
Nous pensons quant à nous que l’existence d’un droit d’intervention de l’Etat national de l’assureur doit être établie avant de poser le problème de la réparation (dommages directs, indirects…), comme dans l’hypothèse où les intérêts de créanciers seraient affectées par l’acte illicite lésant les droits du débiteur (voir infra, chapitre 7).
47 La nationalité et la protection juridique internationale de l’individu, thèse, Lausanne, Imprimerie Rencontre, 1962, p. 49.
48 Principles of Public International Law, Oxford, Clarendon Press, 1966, p. 397.
Il concède toutefois que « … there is authority for the view that the insurer should bear the risks in the contemplation of the policy and should not qualify for protection » (ibid.).
49 Op. cit. note 1, p. 796. Nous nous rallions à cette manière de voir.
50 Ibid., p. 797.
51 Si, à cette occasion, l’Etat défendeur commet un déni de justice à l’encontre de l’assureur, alors seulement l’intervention de l’Etat national de celui-ci devient légitime (ibid.).
52 Seul Sulliger déplore le résultat auquel elle mène inévitablement en cas de différence dans la nationalité de l’assureur et de l’assuré (op. cit. note 11, p. 70).
53 Ritter, op. cit., note 1, p. 797. Dans le même sens Sulliger, op. cit. note 11, p. 68. Rappelons pourtant l’existence, en droit des obligations, de la thèse française selon laquelle un droit auquel est rattachée une condition suspensive est censé avoir pris naissance avant l’avènement de la condition en cause, et ce même si le contenu de ce droit n’est pas encore déterminable à ce moment (en principe le jour de la conclusion du contrat). Il n’est donc pas totalement arbitraire de prôner l’effet rétroactif de la subrogation (même si le droit français lui-même l’exclut – voir la note 11) : la fiction se trouve ici assez proche d’une réalité.
54 En effet, dans la théorie générale de la subrogation, on ne s’explique pas comment « … une créance éteinte par paiement puisse être transférée, toujours vivante dans son identique individualité » (Béguelin, La subrogation, Fiche Juridique Suisse, no 768, 1943, p. 1). La subrogation, effectivement, « … combine le principe de la cession avec celui du paiement » (ibid.). Notre fiction ajouterait à ce domaine un deuxième mystère de la résurrection d’une créance.
55 Cf. Ritter, op. cit. note 1, p. 801.
56 Voir infra, chapitre 7.
57 Ritter nous dit que, dans l’affaire des Assureurs américains (Etats-Unis-Allemagne), un accord fut passé entre les parties le 25 juin 1924 afin de régler le problème des droits des réassureurs. En l’espèce, comme les réassureurs n’avaient pas la même nationalité que les assureurs (américains) en faveur desquels les Etats-Unis étaient intervenus, on tint compte des contrats de réassurance. Les indemnités versées aux assureurs par les réassureurs furent déduites du montant réclamé en faveur des premiers nommés (op. cit. note 1, p. 802).

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