Introduction
p. 85-86
Texte intégral
1Nous allons maintenant examiner les différentes situations dans lesquelles la nationalité de la personne protégée est susceptible de changer ou de disparaître entre le moment de la survenance du préjudice et la date de la présentation de la requête.
2Par l’effet de la règle de la règle de la continuité de la nationalité1, ces changements ont en général entraîné le rejet de la réclamation internationale présentée par l’Etat national à l’origine ou par le nouvel Etat national. Le juge international n’avait le plus souvent pas à se prononcer sur le bien-fondé du droit allégué parce qu’il pouvait écarter la demande pour des motifs liés à la nationalité de la victime. C’est bien là qu’on trouve la source du malaise engendré par l’application de la règle : elle fait obstacle à la protection des droits individuels pour des causes qui n’ont, hormis l’hypothèse de la fraude à la loi, aucun lien avec l’existence même de ces droits2.
3En effet, on ne voit pas pourquoi une personne victime d’un préjudice imputable à son Etat de résidence, par exemple, ne pourrait obtenir d’indemnisation pour la seule raison qu’elle a perdu sa nationalité d’origine. Si on avait uniquement voulu empêcher des naturalisations abusives, pourquoi traiter de la même manière les changements de nationalité engendrés par d’autres causes ? Une partie de la doctrine s’est posé avec raison la question3.
4Il se justifie d’autant plus de se placer sur le terrain de la justice et de l’équité que ces notions constituent l’un des fondements socio-juridiques de l’institution de la protection diplomatique4.
5Quelles sont les sources du droit de la nationalité ? Les normes juridiques y relatives proviennent tant du droit interne que du droit international, et l’incertitude relative au champ d’application ratione materiœ de ce dernier gêne la recherche5.
6Le droit international renvoie en principe au droit étatique en matière de nationalité, plus précisément à la lex causœ, soit à la loi du pays qui prétend que la personne dont il s’agit possède sa nationalité6. Chaque Etat jouit donc de la faculté d’attribuer souverainement sa nationalité, mais certaines limites, qui découlent du droit international et dont le contenu est controversé, atténuent cette liberté7. Tout d’abord, la première condition de validité de la nationalité en droit international exige que l’acquisition de celle-ci ait été conforme à la législation de l’Etat en cause8. Mais le droit étatique ne saurait bien sûr soumettre l’octroi de la nationalité à n’importe quelle condition, sous peine de rendre la nationalité inopposable aux Etats tiers. Le contenu (incertain) des limites apportées par le droit international dépend du mode d’acquisition de la nationalité auquel on a affaire. En effet, la liberté d’action de l’Etat n’est pas la même dans le cas de la naturalisation ou dans l’hypothèse d’un changement de nationalité résultant d’une succession d’Etats, par exemple9.
7En ce qui concerne la reconnaissance d’un changement de nationalité opéré valablement selon le droit interne, la question est à envisager de façon uniforme pour toute attribution de la nationalité. Quel que soit le mode d’acquisition – dérivée10 – de la nationalité, les Etats tiers doivent respecter une nationalité accordée en conformité de la législation de l’Etat en cause et des principes de droit international.
Notes de bas de page
1 Que nous nommerons « règle de la continuité », sauf indication contraire. Nous ne nous occuperons pas de la continuité de l’identité du titulaire du droit.
2 Précisons toutefois que d’autres règles juridiques font obstacle au redressement des droits sans que leurs fondements entretiennent pour autant des rapports étroits avec ceux-ci. Par exemple, la prescription est une institution dont des raisons d’ordre public et de sécurité juridique expliquent qu’elle puisse paralyser, voire éteindre un droit. Cette conséquence ne choque personne. Par contre, dans le cas de la règle de continuité de la nationalité, c’est l’absence de justifications satisfaisantes couplée à la malencontreuse généralisation de son application qui heurte notre sens de l’équité.
3 Ces auteurs ont alors établi une distinction fondée sur les changements dits « volontaires » et « involontaires » de nationalité. Voir infra, p. 93.
4 Cf. Paul de Visscher, « La protection diplomatique des personnes morales », RCADI, vol. 102, 1961-I, p. 466 ; et voir le nombre impressionnant d’affaires jugées ex œquo et bono dans la jurisprudence.
5 Pour éviter toute confusion, nous avons été contraint de traiter à titre préliminaire la question du droit applicable tout au long de ce travail. Ce découpage se justifie surtout pour la partie IV, dont la matière est particulièrement complexe, comme on le verra.
6 Voir l’article 2 de la Convention de La Haye du 12 avril 1930 sur certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité, qui stipule : « Toute question relative au point de savoir si un individu possède la nationalité d’un Etat doit être résolue conformément à la législation de cet Etat » (texte par exemple chez Perrin, « Les conditions de validité de la nationalité en droit international public », Mélanges P. Guggenheim, Genève, Publications de l’Université et de l’Institut de hautes études internationales, 1968, p. 854). Voir aussi Caflisch (La protection des sociétés commerciales et des intérêts indirects en droit international public, thèse, La Haye, Nijhoff, 1969, p. 115), Van Panhuys (The Role of Nationality in International Law, Leiden, Sijthoff, 1959) et la CPJI (Affaire des Décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc, Avis consultatif du 7 février 1923, CPJI, Rec., Série B no 4, p. 24.
D’après Weis, les notions de « nationalité » du droit international et du droit interne ne se recouvrent pas, si bien que, selon lui, le droit international peut considérer un individu comme ressortissant d’un Etat déterminé alors même que la loi de ce pays n’aboutit pas à ce résultat (Nationality and Statelessness in International Law, Londres, Stevens & Sons, Ltd., 1956, p. 61). Cette distorsion peut se produire si l’on fait du principe de l’effectivité de la nationalité une condition de sa validité en droit international (sur ce point, voir infra, p. 126ss).
7 Un Etat ne saurait attribuer sa nationalité à toutes les personnes qui posséderaient un immeuble sur son territoire, par exemple (cf. J.-F. Aubert, Traité de droit constitutionnel suisse, t. I, Neuchâtel, éd. Ides et Calendes, 1967, p. 352).
8 Cf. Perrin, op. cit. note 6, p. 856.
9 Voir infra, pp. 87 et 111.
10 On réserve généralement l’expression « acquisition originaire » pour l’acquisition d’une nationalité à la naissance (selon les critères du jus soli ou du jus sanguinis), gardant les termes « acquisition dérivée » pour tous les autres modes (voir Weis, op. cit. note 6, pp. 95-96).

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