Introduction
p. 5-7
Texte intégral
1On dit généralement que la règle de la continuité de la nationalité a vu le jour à la fin du XVIIIe siècle et qu’elle s’est répandue au cours du siècle suivant, dans le cadre de la protection diplomatique1.
2La protection diplomatique est une institution difficile à cerner. Il n’entre pas dans notre propos d’examiner en détail toutes les formes qu’elle a pu revêtir ni d’établir ses traits distinctifs par rapport à d’autres modes de règlement des différends mis sur pied par les Etats à l’occasion de litiges issus d’actes illicites commis à l’étranger au détriment de nationaux. Eussions-nous voulu approfondir ces questions que nous nous serions heurté à de sérieuses difficultés, engendrées par l’absence de critères sûrs permettant de délimiter le cercle des interventions effectuées au titre de protection diplomatique.
3Pour illustrer ce problème, on peut citer un passage d’une décision2 du Tribunal irano-américain créé par la « Claims Settlement Declaration » – adoptée par les Etats-Unis et l’Iran dans le cadre des « Déclarations d’Alger »3 – dans lequel il est dit que les affaires dont le tribunal doit s’occuper
« … involve a private party on one side and a Government or Government-controlled entity on the other and many involve primarily issues of municipal law and general principles of law. In such cases, it is the rights of the claimant, not of his nation, that are to be determined by the Tribunal. This should be contrasted with the situation of espousal of claims in international law… »4
4Le Tribunal en conclut que le système de règlement des différends mis sur pied par les Etats-Unis et l’Iran n’entre pas dans le champ de la protection diplomatique5. L’élément qui lui paraît déterminant pour affirmer l’autonomie du système dont il fait partie par rapport à la protection diplomatique se rapporte à l’existence, parmi les parties en litige devant lui, d’une personne privée dont les droits doivent être pris en considération. Il se réfère également à l’émergence de questions de droit interne devant le juge international. Or, la suite de notre étude montrera que ces éléments entrent nécessairement en ligne de compte dans n’importe quel type de procédure par laquelle un Etat intervient en faveur d’un de ses ressortissants, même si, ce faisant, cet Etat fait valoir son propre droit de réclamation. Il nous semble par conséquent peu judicieux de distinguer en fonction de ses critères.
5Face à la difficulté de dessiner avec exactitude les contours de la protection diplomatique, nous préférons inscrire notre analyse des applications de la règle dite de la continuité de la nationalité dans le cadre du contentieux international en général. Ce choix nous donne ainsi la liberté d’étudier sous cet angle certains mécanismes conventionnels qui se prétendent eux-mêmes distincts des accords auxquels peut mener l’exercice de la protection diplomatique6.
6Toutefois, nous n’abandonnerons pas pour autant l’expression « protection diplomatique » qui, en tout cas, revêt historiquement un sens bien précis grâce au rôle qu’y joua la nationalité. Au sens large, la protection diplomatique englobe toute démarche accomplie par un Etat en faveur d’un de ses ressortissants auprès d’un autre Etat7. Prise dans cette acception, l’intervention est susceptible de revêtir des formes très diverses et peut viser par exemple à l’obtention de certains avantages pour les nationaux à l’étranger, ou encore à empêcher que ces personnes ne subissent des atteintes à leurs droits8 (en cas de troubles politiques, par exemple).
7Au sens strict, la protection diplomatique est le droit de réclamation que possède l’Etat national d’une personne privée qui a été victime d’un acte illicite imputable à un autre Etat. L’Etat national fera valoir son droit dans une procédure internationale dirigée contre l’Etat présumé responsable. Historiquement, c’est surtout par la voie de l’arbitrage que les Etats ont cherché à régler les différends de cette espèce9, qu’ils aient créé des tribunaux arbitraux proprement dits ou des commissions mixtes composées de juges possédant leur nationalité.
8Ce n’est que plus tard, au cours du XXe siècle, qu’on a vu la silhouette de la protection diplomatique s’estomper quelque peu suite à l’apparition de mécanismes conventionnels multilatéraux par lesquels les Etats cherchaient à faire redresser les droits de leurs ressortissants lésés à l’étranger10. La procédure, originairement caractérisée par son bilatéralisme, connut une extension qui ne fut pas sans incidence sur les règles relatives à la nationalité11. Dès lors, le profil traditionnel de la protection diplomatique en parut modifié. De surcroît, les interventions en faveur de personnes non nationales se multiplièrent et, en conséquence, l’importance de la nationalité diminua alors que d’autres liens de rattachement, unissant parfois d’autres sujets de droit entre eux que l’Etat et la personne privée, entrèrent en ligne de compte12. A ces transformations13 il convient de relier l’idée, concrétisée par l’émergence des droits de l’homme, que les particuliers jouissent de droits que l’ordre juridique international leur confère indépendamment de toute nationalité.
9Cette évolution a jeté le doute dans les esprits quant aux caractéristiques de la protection diplomatique. Quoi qu’il en soit, une étude axée sur la règle dite de la continuité de la nationalité prendra largement appui sur une pratique relativement ancienne. Cette démarche s’autorise en cela de la nécessité de remonter aux sources pour comprendre l’apparition et l’essor de la règle en question. Dans ce contexte, le problème de la délimitation du domaine de la protection diplomatique est moins délicat. Nous pouvons dès lors utiliser ces termes dans le sens que nous leur avons donné plus haut, et autour duquel règne d’ailleurs un consensus important.
Notes de bas de page
1 Sur l’origine de la règle, voir infra, chapitre 3.
2 Il s’agit de la Décision A/18 rendue le 6 avril 1984 (voir infra, p. 180).
3 C’est ainsi qu’on a appelé le système d’accords signés par ces deux pays dans le but de régler la crise née de la prise d’otages américains suite à l’attaque contre l’ambassade américaine à Téhéran.
4 ILM, vol. 23, 1984, p. 498.
5 Le fait que les « Déclarations d’Alger » avaient pour but de dénouer une situation de crise entre les Etats-Unis et l’Iran apparut au Tribunal comme une preuve de l’existence de conditions particulières hétérogènes à la protection diplomatique.
On ne comprend pas très bien l’argumentation.
6 Voir en particulier le système CIRDI (infra, pp. 47-48). L’article 27 de la Convention de Washington du 18 mars 1965 règle les rapports entre la procédure instituée et la protection diplomatique, dont l’aspect subsidiaire est expressément proclamé.
7 Cf. Briggs, « La protection diplomatique des individus en droit international : la nationalité des réclamations. Exposé préliminaire » (cité ci-après : « Exposé préliminaire »), AIDI vol. 51, 1965-I, p. 129 ; Diez de Velasco, « La protection diplomatique des sociétés et des actionnaires », RCADI vol. 141, 1974-I, pp. 97-98 ; ou Raestad, « La protection diplomatique des nationaux à l’étranger », Revue de droit international, vol. 11, 1933-I, pp. 493 ss.
8 G. Perrin, « Réflexions sur la protection diplomatique », Mélanges Marcel Bridel, Lausanne, Imprimeries Réunies SA, 1968, p. 380. Voir aussi l’article 5 de la Convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires, qui stipule :
« Les fonctions consulaires consistent à :
a. protéger dans l’Etat de résidence les intérêts de l’Etat d’envoi et de ses ressortissants, personnes physiques et morales, dans les limites admises par le droit international ;
b. (…) »
L’article 3, lettre b, de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 fait pendant à cette disposition. Voir ces textes par exemple chez Reuter et Gros, Traités et documents diplomatiques, 4e éd., Paris, Presses Universitaires de France, 1976, pp. 388 et 401.
9 Raestad, op. cit., note 7, p. 496.
10 Voir par exemple les Traités de paix consécutifs aux deux guerres mondiales (infra, pp. 43 ss.).
11 Voir infra, pp. 260-261.
12 Comme le fait remarquer Diez de Velasco, « … l’extension des normes de droit international relatives à la responsabilité internationale et à la protection diplomatique à des entités distinctes des Etats constitue un des développements les plus importants du droit international contemporain » (op. cit., note 7, p. 105).
13 Voir à ce sujet Cavaré, « Les transformations de la protection diplomatique », Abhandlungen zum Völkerrecht. Festgabe für A. Makarov, Stuttgart, Kohlhammer, 1958, pp. 54-80.

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