Chapitre II. Sources formelles et contenu du régime de neutralité
p. 145-192
Texte intégral
I. Les sources formelles du régime de neutralité
1Cet examen des fondements du régime de neutralité est limité aux sources formelles, soit essentiellement à la coutume et aux traités en vigueur. Notre propos ne consiste pas à analyser si les Parties ont puisé leur inspiration dans le droit régissant d’autres canaux, si elles ont opté pour une solution de continuité avec le régime antérieur ou si au contraire elles ont maintenu l’essentiel des règles préexistantes. Nous envisageons d’exposer non pas les sources matérielles du nouveau régime mais uniquement les normes juridiques régissant l’utilisation du canal de Panama, telles qu’elles furent posées par les Parties.
A. L’héritage de l’ancien régime
1. Le droit coutumier
2Nous avons vu dans la première partie que les Etats-Unis possédaient, géraient le canal et en assuraient la sécurité dans des conditions excluant toute ingérence d’un tiers, fût-il le Panama. En agissant « comme s’ils étaient souverains », les Etats-Unis ont clairement indiqué que le régime d’utilisation du canal ne dépendait que des traités bilatéraux conclus avec le Panama, la Grande-Bretagne et la Colombie. Si nous prenons le cas particulier du libre transit à travers le canal, nous avons constaté qu’il s’agit d’une obligation assumée par les Etats-Unis et d’un droit dont peuvent se prévaloir les autres usagers sans toutefois être en mesure de s’opposer à une modification ou à une abrogation des traités garantissant ce droit. Nous avons également relevé que ce libre transit n’avait pas été transformé en droit coutumier. La pratique est constante : le libre transit par le canal n’a jamais été mis en question, du moins en période de paix, mais la conscience du caractère irrévocable de ce droit fait défaut, surtout en raison de l’intention exprimée par les Etats-Unis.
3La conséquence en est que, lors des pourparlers menant à la conclusion des nouveaux traités, les Etats-Unis et le Panama étaient maîtres de la destinée du canal : n’étant liés par aucune obligation coutumière envers la communauté internationale, ils auraient pu décider de clore le canal, de limiter son accès aux navires marchands, voire d’exclure les navires d’une certaine portion de l’hémisphère ; juridiquement, aucun obstacle ne s’opposait à une telle entreprise, si l’on ne considère que le droit coutumier. Les très rares allusions au droit coutumier durant les hearings1 ou dans les commentaires postérieurs à l’adoption des traités2 sont plutôt l’expression d’un avis sur le droit tel qu’il pourrait ou devrait être. Elles n’infirment pas la conclusion qu’aucune norme d’origine coutumière ne régit le mode d’utilisation du canal.
4Aucun autre pays ne fut directement associé aux négociations. Certains pays d’Amérique centrale furent consultés par le Panama afin de lui fournir des conseils sur la stratégie à adopter, sans toutefois participer aux négociations. Les diverses propositions de régionalisation ou d’internationalisation, auxquelles personne ne croyait, n’étaient pas fondées sur la conviction que les autres usagers avaient un droit de regard sur l’avenir du canal, mais sur la crainte d’abandonner le canal au Panama à la fin de ce siècle3.
2. Le droit conventionnel
5Le traité relatif au canal de Panama a abrogé les traités de 1903, 1936 et 1955 ainsi que tout autre traité, accord et échange de notes relatifs au canal. Par conséquent, rien ne reste formellement du corps de règles ayant lié le Panama et les Etats-Unis depuis 1903. Quelques vestiges de l’ancien régime subsistent toutefois ; en effet, le traité Hay-Pauncefote de 1901 est toujours en vigueur entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne et il convient d’analyser l’effet des nouveaux traités à son égard. Nous ferons abstraction des relations conventionnelles avec la Colombie dont les droits sont demeurés intacts et ont été confirmés par les traités de 19774.
6Etant liés par le traité Hay-Pauncefote, les Etats-Unis devaient veiller, au cours des négociations, à ce que les nouveaux traités fussent compatibles aux engagements existants, sauf agrément de la Grande-Bretagne les autorisant à se départir de l’accord. La Grande-Bretagne a affirmé que les nouveaux traités étaient conformes au traité de 1901 et leur a donné son aval5. Cette assertion n’est pas entièrement correcte : en l’an 2000, le Panama assurera seul la gestion du canal tandis que le traité de 1901 confiait cette tâche aux Etats-Unis. Néanmoins, comme nous le verrons, les nouveaux traités maintiennent le libre transit et l’interdiction de discrimination, de sorte que les caractéristiques essentielles du traité de 1901 sont sauvegardées. Les deux traités furent jugés compatibles car ils contiennent les mêmes principes généraux : seules quelques précisions jugées superflues ou désuètes ont été abandonnées, notamment quelques règles de la Convention de Constantinople de 1888 qui avaient été insérées dans le traité Hay-Pauncefote6.
7Il n’en demeure pas moins que les traités de 1977 ne font pas référence au traité Hay-Pauncefote. Il fut proposé d’ajouter, à l’article premier du traité de neutralité, que le Panama devait se conformer non seulement au traité de neutralité mais aussi au traité de 1901, ce qui fut refusé, motif pris de ce que le droit de transit expéditif prévu à l’article VI du traité de neutralité pour les navires de guerre et les navires auxiliaires des Etats-Unis et du Panama contredisait le principe d’égalité et qu’une telle insertion pourrait se révéler préjudiciable aux intérêts des Etats-Unis7. Alors qu’auparavant le traité Hay-Pauncefote liait le Panama du fait que ses dispositions avaient été insérées par référence dans le traité Hay-Bunau-Varilla, il n’en est plus de même désormais : seuls les Etats-Unis sont tenus envers la Grande-Bretagne ; pour le Panama, le traité de 1901 est devenu une res inter alios acta.
8Toujours est-il que le traité de 1901 demeure en vigueur et, avec lui, l’engagement pris par les Etats-Unis envers la Grande-Bretagne de maintenir le canal libre et ouvert à tous les navires. Les nouveaux traités n’ont pas mis un terme à cette obligation.
9Jusqu’en l’an 2000, les Etats-Unis possèdent certes les moyens d’assurer le respect du traité de 1901, vu qu’ils gèrent et défendent le canal dans des conditions presque analogues à celles préexistantes. La Grande-Bretagne ne pourra pas s’adresser directement au Panama, étant donné que ce dernier n’est plus lié par le traité de 1901 : elle est placée sur le même pied que tout autre usager du canal non partie au traité de neutralité. Sa position juridique est donc affaiblie par rapport à la situation antérieure.
10Dès l’an 2000, la Grande-Bretagne aura toujours le droit d’exiger des Etats-Unis le respect de l’obligation souscrite en 1901, même si ces derniers ne géreront plus le canal. La Grande-Bretagne possède ce droit, quelle que soit la nationalité du navire qui, par exemple, se verrait refuser l’accès au canal. Dans leurs relations avec le Panama, les Etats-Unis ne pourront évidemment pas invoquer le traité Hay-Pauncefote, parce que le Panama n’est tenu que par les traités de 1977 ; leur seul recours consistera à se fonder sur le traité de neutralité de 1977, dans la mesure où les dispositions des deux traités coïncident. Si tel n’est pas le cas, les Etats-Unis seront dans l’impossibilité de se conformer simultanément aux obligations du traité de neutralité et à celles résultant du traité Hay-Pauncefote. Un tel conflit d’obligations conventionnelles est cependant peu plausible, du fait que, comme nous le verrons, le mécanisme de garantie mis en place par le traité de neutralité permet aux Etats-Unis d’agir dès qu’une menace ou une attaque est dirigée contre le canal.
11Le traité Hay-Pauncefote garde donc son utilité en cas de violation du régime de neutralité portant sur des caractéristiques communes aux deux traités. Si la violation est le fait des Etats-Unis, le Panama invoquera le traité de 1977 et la Grande-Bretagne celui de 1901 pour obtenir des Etats-Unis le respect de leurs engagements. Si la violation du régime de neutralité est le fait du Panama et lèse indirectement les droits conférés à la Grande-Bretagne par le traité de 1901, la Grande-Bretagne ne pourrait pas agir par l’intermédiaire des Etats-Unis qui seraient en quelque sorte son représentant8 : en un tel cas, l’action des Etats-Unis fondée sur le traité de neutralité de 1977 serait un moyen plus assuré d’une issue favorable. Ainsi, l’exercice par les Etats-Unis du droit conféré par le traité de neutralité aurait pour conséquence indirecte de permettre l’accomplissement de l’obligation de 1901.
12Le fait que le traité Hay-Pauncefote subsiste sans que le Panama soit tenu de s’y conformer peut conduire à des situations problématiques pour les Etats-Unis9. La cause de ce phénomène réside en ce que les Etats-Unis, pendant qu’ils géraient le canal, minimisaient la portée du traité Hay-Pauncefote pour des raisons qui leur étaient propres. En 1977, soucieux de régler au plus tôt un problème épineux, ils n’ont considéré que leurs relations avec le Panama, laissant dans l’ombre les implications juridiques posées par le maintien en vigueur du traité Hay-Pauncefote. Peut-être eût-il été préférable d’insister sur les obligations du riverain plutôt que sur la prétendue absence de droits des tiers et de mentionner dans le traité de neutralité que le Panama respecterait les termes de l’article III, chiffre 1, du traité Hay-Pauncefote.
13Enfin, quant au droit de transit que les Etats tiers tiennent du traité Hay-Pauncefote, il aurait pu être modifié ou supprimé dans les traités de 1977, à condition que la Grande-Bretagne y souscrive. Vu que le traité de neutralité maintient le libre transit sans discrimination, les tiers pourront désormais, dans leurs relations avec le Panama ou les Etats-Unis, se fonder sur ce nouveau traité pour exiger le respect de cette liberté.
14L’héritage de l’ancien régime se limite par conséquent aux règles du traité Hay-Pauncefote, et encore ces règles ne lient-elles que les Etats-Unis. Cette conclusion démontre à tout le moins que le canal n’est soumis qu’au droit conventionnel et que son sort dépend uniquement de la volonté des Parties aux divers accords.
B. La déclaration unilatérale du Panama
1. Nature juridique
15Par l’article premier du traité de neutralité, le Panama « déclare que le canal… sera neutre en permanence… ». La même déclaration figure à l’article II définissant la finalité du régime de neutralité. L’origine de cette formulation est expliquée comme suit par le Panama : les Etats-Unis proposèrent d’abord la conclusion d’un pacte militaire avec le Panama, ce que ce dernier refusa ; par la suite, les Etats-Unis suggérèrent l’adoption d’une déclaration commune de neutralité, ce à quoi les Panaméens ne voulurent souscrire, redoutant d’être ultérieurement engagés dans tout conflit armé auquel les Etats-Unis prendraient part ; finalement, il n’y eut qu’une déclaration unilatérale de neutralité, celle du Panama10.
16Le problème consiste à déterminer d’abord si cette déclaration est un acte juridique unilatéral créateur de droits et d’obligations pour son auteur et ses destinataires. La question de l’existence même des actes juridiques unilatéraux est vivement débattue et est loin d’avoir reçu une solution communément adoptée11. Sans entrer dans le vif de la controverse, admettons leur existence et examinons si nous sommes en présence d’un acte juridique unilatéral. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les Parties se sont placées sur ce terrain : tant du côté américain que panaméen, référence fut faite à la jurisprudence internationale – la déclaration Ihlen et les déclarations françaises de 197412 – à l’effet de tracer des analogies entre ces diverses situations. On peut douter que la déclaration Ihlen fût un véritable acte juridique unilatéral13. Les conséquences juridiques attachées par la CIJ, dans son arrêt de 1974, aux déclarations françaises14 furent amplement commentées et parfois vigoureusement contestées en doctrine15.
17Un survol sommaire de la doctrine et de la jurisprudence révèle qu’il est exceptionnel qu’une déclaration unilatérale soit, à elle seule, source d’obligations juridiques : elle s’inscrit le plus souvent dans un processus conventionnel formel ou informel et ne crée de droits ou d’obligations que lors de sa rencontre avec une autre manifestation de volonté ; à ce moment-là seulement naît l’obligation. Ainsi, ce genre d’acte unilatéral n’est qu’un élément, indispensable mais non suffisant, du processus de création de droits ou devoirs juridiques. En présence d’une déclaration unilatérale, il faut analyser avec soin si « derrière la façade de l’unilatéralité formelle… ne se cache pas une bilatéralité de fond »16. La manifestation de volonté doit être indépendante, ne pas être liée ou subordonnée à d’autres manifestations de volonté.
18Dans notre cas, l’unilatéralité formelle n’existe même pas : l’élément décisif nous paraît être le fait que la déclaration unilatérale panaméenne est insérée dans un traité bilatéral, ce qui donne pour le moins un caractère factice à son unilatéralité. La déclaration a été acceptée par les Etats-Unis, de sorte que nous retombons dans le schéma classique de l’offre et de l’acceptation. Cette déclaration a surtout une valeur symbolique : lorsque nous lisons à l’article IV du traité de neutralité que les Etats-Unis et le Panama « acceptent de maintenir le régime de neutralité », nous mesurons encore mieux le caractère artificiel, sur le plan juridique, de l’unilatéralité de cette déclaration.
19Le parallélisme avec le traité Hay-Pauncefote est frappant : en 1901, seuls les Etats-Unis assumaient l’engagement de garantir la neutralité du futur canal, vu qu’ils s’apprêtaient à en être le constructeur, gérant et défenseur unique ; il n’a cependant jamais été prétendu que le fondement juridique de l’ancien régime reposait sur la déclaration unilatérale des Etats-Unis insérée dans le traité mais bien plutôt, et à juste titre, sur le traité Hay-Pauncefote.
20Le caractère obligatoire de la déclaration panaméenne repose sur le traité de 1977 et cette déclaration n’a pas d’existence autonome. On peut se demander pourquoi, dans ces conditions, une telle importance est attachée à la déclaration unilatérale du Panama : peut-être estime-t-on que si le Panama abroge le traité de neutralité, il sera tout de même tenu par sa déclaration et que rien ne sera changé à ses obligations ? Une telle construction juridique ne résiste pas à l’examen : si le traité est abrogé, la déclaration elle-même perd sa validité, vu son insertion dans le traité.
21En résumé, il ne s’agit pas d’une neutralisation du canal ou d’une autoneutralisation par le Panama17. Cette déclaration, à elle seule, n’est pas de nature à créer un fondement de la neutralité du canal : prétendre que la neutralité du canal ne repose que sur la déclaration unilatérale du Panama est inadmissible18. Tel ne serait le cas que si le Panama avait eu les moyens politiques d’abroger les traités existants et d’édicter unilatéralement une déclaration inspirée de celle du Gouvernement égyptien en date du 24 avril 195719. Une telle déclaration, si elle était irrévocable, contiendrait l’engagement de se conformer aux principes du régime de neutralité et les Etats tiers seraient habilités à en exiger le respect ; cette déclaration serait crédible dans la mesure où le Panama aurait la capacité de garantir et d’assurer le respect de cette neutralité contre les menaces externes, ce qui n’est pas le cas. En l’état actuel, la déclaration du Panama demeure soumise au droit des traités ; en particulier, son contenu est celui défini par le traité et ses nombreuses modifications, le Panama ne pouvant l’altérer sans le consentement des Etats-Unis20.
2. Portée
22La portée de la déclaration est d’abord et surtout politique, en ce sens qu’elle est une manifestation de la souveraineté territoriale : elle satisfait le souci du Panama de faire respecter sa dignité nationale. Le système d’une déclaration unique fut adopté car les Etats-Unis furent conscients qu’il était psychologiquement plus avisé que seul le Panama, en tant que souverain, fît une telle déclaration l’engageant à assumer les responsabilités inscrites dans le traité.
23Un autre problème consiste à déterminer si cette déclaration ne s’adresse qu’aux Etats-Unis ou à l’ensemble de la communauté internationale. Prenant appui sur l’arrêt précité de la CIJ, il a été avancé que cette déclaration avait peut-être pour effet de créer des droits en faveur des tiers21 ; cet arrêt mentionne comme critère décisif du caractère obligatoire que telle soit bien l’intention de l’auteur de la déclaration. Même si nous avons conclu que le caractère obligatoire de la déclaration repose sur le traité, il convient d’examiner si la déclaration est adressée avec la volonté de se lier face à toute la communauté internationale. Le Panama avait certes l’intention de se lier, mais seulement vis-à-vis des Etats-Unis qui, de leur côté, ont accepté l’engagement du Panama. C’est en particulier pour ce motif que la déclaration fut insérée dans le traité bilatéral. De l’histoire des négociations et de l’examen des débats, il résulte que la question essentielle fut de savoir si les Etats-Unis et le Panama déclaraient en commun la neutralité du canal ou seulement le Panama ; c’est finalement la déclaration unique qui fut adoptée pour les motifs ci-dessus indiqués. Il n’a jamais été formellement question de s’engager face à la communauté internationale, quoique cette question soit largement académique : même si le Panama désirait s’engager envers tous les Etats, le fondement du caractère obligatoire de l’engagement repose sur le traité et non sur la déclaration unilatérale. D’ailleurs, il fut maintes fois répété que les Etats tiers n’avaient aucun droit découlant des traités22, affirmation dont nous examinerons la portée plus loin.
24Le fait que le Panama déclare unilatéralement la neutralité du canal pourrait conduire à penser que seul le Panama a le droit, à l’avenir, de déclarer si et quand la neutralité a été violée23. Une telle opinion est erronée : le système de garantie de la neutralité mis en place par le traité exclut une telle hypothèse.
25Enfin, le Panama estime que sa déclaration unilatérale ne concerne pas seulement le canal et ses abords mais qu’elle étend son bénéfice à tout le territoire de la République, mettant ainsi le pays à l’abri des conflits armés24. Nous jugerons de la pertinence de cette espérance lors de l’analyse du champ d’application spatial du régime de neutralité : de toute évidence, la déclaration en elle-même ne saurait avoir un tel effet, vu que sa force obligatoire repose sur le consentement des Parties au traité.
C. Le traité de neutralité permanente
26La déclaration de neutralité insérée dans l’article premier et acceptée par les Etats-Unis est le fondement du régime de neutralité du canal ; elle doit être lue en relation avec la disposition de l’article IV par laquelle les Etats-Unis et le Panama « acceptent de maintenir le régime de neutralité établi par le présent traité… nonobstant l’extinction de tout autre traité conclu entre les deux Parties contractantes. »
27Par conséquent, le régime de neutralité trouve sa source dans le traité de neutralité permanente : l’accord de volonté des Parties a donné lieu à la création d’un système d’utilisation du canal complet et cohérent qui se suffit à lui-même. Les Parties n’ont pas entendu invoquer par analogie les règles de la neutralité ou de la neutralisation, qu’elles soient coutumières ou conventionnelles ; de même, elles n’ont pas fait appel aux normes régissant l’usage d’autres canaux internationaux. Il est vrai que les Parties ont désiré se départir le moins possible du régime antérieur et assurer la poursuite de l’usage du canal sans solution de continuité : la paternité du nouveau régime peut certes être recherchée et trouvée dans les traités antérieurs, mais vu que ceux-ci ont été abrogés, la source unique et exclusive du nouveau régime réside dans les traités de 1977 ; au cas où ces traités seraient dénoncés, nous serions en présence d’un vide conventionnel, voire juridique si l’on exclut l’existence de normes coutumières.
28La règle pacta sunt servanda est à la base du régime. Le traité est le fondement du régime de neutralité du canal et toutes ses caractéristiques en font partie. Cette conclusion confirme l’assertion avancée au début de notre étude selon laquelle tout régime d’utilisation d’un canal ne saurait être, au départ, que conventionnel. Les Etats intéressés à son fonctionnement et à sa garantie décident librement du contenu à donner aux règles et l’inscrivent dans un traité qui sera la loi des Parties ; les Etats tiers sont libres ou non d’accepter le régime établi, ils ne peuvent le modifier.
D. Le protocole d’accession
29Toutes les nations peuvent accéder au protocole au traité de neutralité ; ce faisant, elles reconnaissent le régime de neutralité, s’associent à ses objectifs et s’engagent à observer et respecter en tout temps ce régime.
30Le protocole est un complément au traité de neutralité ; lors des négociations, les Etats-Unis auraient d’ailleurs été opposés à son existence, puis auraient voulu qu’il ne soit ouvert qu’aux Etats du continent américain, à l’exception de Cuba, avant de se ranger aux demandes panaméennes, acceptant qu’il soit ouvert à tous les Etats25.
31Nous analyserons au chapitre suivant la portée de cet instrument26. Pour l’instant, bornons-nous à remarquer que le protocole ne constitue pas une base juridique du régime de neutralité ; il ne donne pas naissance au régime de neutralité, que ce soit de façon indépendante ou conjointe au traité de neutralité27. Soutenir le contraire serait admettre que le protocole a pour effet de transformer le traité de neutralité en accord multilatéral, ce qui est contraire à la volonté des Parties. Les Etats accédant au protocole ne seront pas liés aux Etats-Unis et au Panama ; ils s’engagent uniquement à respecter un régime préétabli dont le contenu est entièrement fixé par le traité de neutralité28. Le protocole n’ajoute donc rien à la substance du régime de neutralité dont les détails ont été arrêtés par les Parties au traité de neutralité.
E. Appréciation
32Le fait que le régime de neutralité trouve son fondement unique dans le traité de neutralité ne doit pas masquer l’évidence que les Parties ont voulu éviter toute modification majeure du système antérieur. Depuis 1846, le libre passage a fonctionné avec profit pour les Etats-Unis et, depuis l’ouverture du canal, la liberté de transit a bénéficié aux Etats-Unis et aux autres nations maritimes ; il convenait de ne pas bouleverser l’ordre établi : les modifications introduites ne l’ont été que pour harmoniser les relations entre les Etats-Unis et le Panama.
33Si le poids du passé a eu une influence décisive, il n’en demeure pas moins que le régime reste conventionnel et que son maintien, sa modification, voire son abrogation, sont soumis à la volonté du Panama et des Etats-Unis.
34Les Parties n’ont pas voulu mettre un terme au caractère permanent de la neutralité ni à ses caractéristiques essentielles ; elles ont décidé de mettre fin aux accords antérieurs et de conclure un nouvel accord bilatéral plus adapté aux circonstances actuelles. Il est permis d’envisager la création d’une coutume sanctionnant la permanence du régime ou le principe du libre transit ; pour l’instant, les composantes du régime sont inscrites seulement dans le droit conventionnel. Les Etats-Unis et le Panama seront peut-être désireux d’étendre le cercle des ayants droit, mais l’hypothèse est improbable pour les raisons suivantes :
Les Etats-Unis possèdent des droits étendus dont ils veulent être les seuls à bénéficier. Ils entendent demeurer juges ultimes de l’ampleur de leurs droits, sachant que leur marge de manœuvre avec le Panama est appréciable ;
De son côté, le Panama verra enfin se terminer la présence étrangère sur son sol et aura le bénéfice de sa principale ressource un siècle après son indépendance. Un seul interlocuteur lui suffit et il n’envisage pas de concéder des droits autres que le libre transit à des tiers, si ce n’est pour contrebalancer une mainmise insistante des Etats-Unis sur l’avenir du canal29.
35Toutes ces considérations laissent entrevoir peu d’espoir d’émergence d’un droit coutumier. Cette constatation est tempérée par le fait que le maintien du régime est dans l’intérêt des Etats-Unis et du Panama et que les tiers jouiront comme par le passé des mêmes facilités.
II. Le contenu du régime de neutralité
36Dans cet examen du contenu du régime de neutralité, nous aborderons les problèmes de la liberté de transit, de l’interdiction de discrimination, du champ d’application spatial du régime et des mesures de sécurité concernant le canal. Est en revanche exclue du présent chapitre la garantie du régime de neutralité : cette garantie fait certes partie du régime mais sera analysée ultérieurement30.
37Ainsi que nous l’avons relevé précédemment, nous sommes en présence d’un régime défini uniquement par le traité de neutralité ; comme l’a souligné l’ancien Secrétaire d’Etat Rusk, il ne s’agit pas des règles de la neutralité élaborées depuis des siècles en droit international31. La neutralité de la voie d’eau a été définie comme étant le fait de garder le canal ouvert, accessible, sûr et efficace, dans les conditions posées aux articles II et III du traité32. En réalité, le régime de neutralité ne comprend pas seulement les principes généraux de ces deux articles mais aussi le système de garantie et les exceptions à l’interdiction de discrimination agréées par les Parties. On ne peut extraire quelques principes et en faire le contenu du régime, excluant les exceptions ou certaines prescriptions de détail : le régime de neutralité comprend l’ensemble du traité.
38A l’instar du système établi par les traités antérieurs, le régime de neutralité est permanent. Cette caractéristique ne fut jamais mise en question au cours des pourparlers. La perpétuité établie en 1903 a cependant été abrogée et les Parties auraient pu convenir d’un traité à durée limitée : le caractère permanent de la neutralité n’était pas coutumièrement établi, comme semblait d’ailleurs le reconnaître l’accord Tack-Kissinger de 197433. Si le principe même de la permanence de la neutralité ne fut pas mis en cause, il en va différemment des modalités de garantie du régime par les Etats-Unis : les Panaméens auraient voulu dissocier les deux aspects de la question, sans toutefois y parvenir.
A. La liberté de transit
1. Un canal sûr et ouvert en temps de paix et de guerre
39L’article II du traité de neutralité stipule que la République de Panama « déclare la neutralité du canal afin qu’il demeure sûr et ouvert, en temps de paix comme en temps de guerre, au transit pacifique des navires de toutes les nations… ».
40Alors que les traités de 1901 et de 1903 envisageaient un canal libre et ouvert, celui de 1977 fait mention d’un canal sûr et ouvert. La substitution du terme libre par celui de sûr ne revêt pas une profonde signification ; on a suggéré que libre se réfère plutôt à l’intérêt des usagers, tandis que sûr fait allusion à celui du Panama34. En fait, la sécurité du canal est prévue à l’article II dans l’intérêt des usagers, que les navires battent le pavillon de Panama, des Etats-Unis ou de tout autre Etat. Il est vrai que la sécurité du canal en tout temps est aussi dans l’intérêt du Panama, mais le but premier de cette disposition est d’assurer le transit sans risque des navires35. La sécurité du Panama est expressément envisagée au membre de phrase de l’article II, alinéa 1, in fine, se référant au souhait que le canal ne soit pas l’objet de représailles. Le libellé actuel nous paraît plus satisfaisant dans la mesure où les termes libre et ouvert étaient en quelque sorte des redites. La liberté du canal est d’ailleurs implicitement garantie par l’engagement de garder le canal ouvert en temps de paix et en temps de guerre.
41Le canal doit être ouvert au trafic et le demeurer. Les Etats-Unis auraient voulu que le Panama déclarât, à l’article I, que le canal serait perpétuellement neutre et ouvert ; les négociateurs panaméens firent observer que le canal pourrait être fermé pour les causes suivantes : tremblement de terre, glissement de terrain, défaut de rentabilité du canal. Les Etats-Unis admirent le bien-fondé des deux premières causes mais réfutèrent la troisième, arguant que le Panama pourrait toujours demander des fonds aux Etats-Unis ou à d’autres pays ; ne pouvant arriver à un accord sur ce point, l’adjectif ouvert ne fut pas inclus dans l’article I et le Panama a prétendu que l’obligation de garder le canal ouvert ne lui a pas été imposée36. Une telle prétention est insoutenable, vu que l’article II mentionne expressément que le canal sera sûr et ouvert. La question du défaut de rentabilité du canal a trait aux droits de péage dont le montant doit être fixé de façon à assurer l’équilibre budgétaire selon des modalités à examiner plus loin. Le fait demeure que le canal doit rester ouvert, sauf circonstances naturelles ou économiques extraordinaires.
42Ajoutons que le canal pourrait être fermé aux navires d’un ou plusieurs Etats dans l’hypothèse où le Conseil de Sécurité en déciderait ainsi en se fondant sur le chapitre vii de la Charte. Des mesures prises par le Conseil en vertu des articles 39 et suivants de la Charte lieraient le Panama ou les Etats-Unis, vu l’article 103 de la Charte. L’article 25 de la Charte de l’OEA du 30 avril 194837 et les articles 8 et 20 du traité de Rio du 2 septembre 194738 permettent aussi d’envisager une décision de fermeture à laquelle les Etats-Unis ou le Panama devraient souscrire. Si l’Etat dont le navire se voit interdire le transit est membre de l’OEA, aucun problème ne se pose, cet Etat ayant accepté à l’avance de pouvoir être l’objet d’une telle mesure. S’il s’agit d’un Etat non-membre, une incompatibilité avec le traité de neutralité existe du fait que la liberté de transit est un droit dont tous les Etats peuvent se prévaloir.
43Le canal doit être sûr et ouvert « en temps de paix et en temps de guerre », précision que ne contenait pas le traité Hay-Pauncefote. Par un curieux retour de l’histoire, les négociateurs sont revenus à la formule de la Convention de Constantinople de 1888. La conclusion logique serait que désormais le canal ne pourra plus être fermé en temps de guerre. Il faut cependant distinguer deux situations relatives à la possibilité de clore le canal39, selon que le Panama ou les Etats-Unis seront engagés dans un conflit armé.
44Nous avons vu que la correspondance diplomatique du début du siècle autorisait les Etats-Unis à clore le canal, possibilité dont ils ne firent jamais usage du fait que la voie d’eau était trop précieuse pour les besoins de leur sécurité nationale. Il n’y a pas, entre les Etats-Unis et le Panama, de pendant au mémorandum Lansdowne de 1901 ; vu que les Etats-Unis ne possèdent plus la souveraineté de fait sur le canal, ils n’ont plus le droit de le clore. Malgré cette interdiction théorique, les Etats-Unis auront les moyens, jusqu’en l’an 2000, de fermer le canal en cas de nécessité en raison de la majorité dont ils disposent au sein de la Commission ; cette décision serait prise, officiellement, pour préserver la sécurité du canal, quelle que soit l’opinion du Panama qui n’aurait d’autre possibilité que de s’aligner sur la position des Etats-Unis. Cette faculté disparaîtra après l’an 2000. Si les Etats-Unis sont en guerre, ils devront se limiter à interdire l’accès des navires ennemis en se fiant à leur capacité d’interception en haute mer. Le progrès dans la rédaction du traité est donc plus cosmétique que substantiel : les experts ont d’ailleurs déclaré que les intérêts de la sécurité des Etats-Unis seront tout aussi bien protégés que par le passé40.
45Si le Panama est engagé dans un conflit armé, nous serions en droit de prétendre qu’il doit laisser le canal ouvert même aux navires ennemis, à condition que ces derniers s’engagent à ne pas commettre d’acte d’hostilité durant la traversée. La situation n’est pas aussi limpide. En effet, le Panama déclare la neutralité du canal « afin que le canal… ne soit pas l’objet de représailles dans tout conflit armé entre d’autres nations du monde. » Faisons observer tout d’abord que l’expression « autres nations » pourrait se référer aux Etats autres que les Parties au traité ; néanmoins, comme seul le Panama déclare la neutralité de la voie d’eau, cela signifie que l’expression « autres nations » comprend aussi les Etat-Unis ; si ces derniers sont aussi en guerre, ils doivent respecter la neutralité du canal et ne pas faire de l’isthme un objet de représailles. Une interprétation différente ne serait possible que si les Etats-Unis et le Panama avaient déclaré en commun la neutralité du canal. En revanche, l’expression « autres nations » exclut le Panama, ce qui laisse entendre que le régime de neutralité ne s’applique pas si le Panama est lui-même engagé dans un conflit armé ; en un tel cas, le Panama serait habilité à prendre les mesures nécessaires à sa survie, en particulier la fermeture du canal. Une telle conclusion serait en contradiction avec l’affirmation que le canal sera ouvert en temps de paix et de guerre, sans aucune restriction. L’histoire des voies d’eau internationales nous révèle cependant que, lorsque le riverain est engagé dans un conflit armé, ces voies d’eau ont presque toujours été interdites au transit des navires ennemis41, sans toutefois faire l’objet d’une interdiction totale. Le fait demeure qu’un Etat est autorisé, dans un cas de nécessité, à prendre les mesures dictées par le maintien de son existence même. Le Panama serait en droit, théoriquement, de clore le canal. Nous verrons cependant que le système de garantie mis en place autorise les Etats-Unis à agir dès que, à leur avis, le libre et sûr transit est en danger : une décision du Panama de fermer le canal appellerait la mise en œuvre de la garantie, soit l’intervention des Etats-Unis en vue de défendre cette liberté.
2. Un canal sûr et ouvert à tous les navires
46Le canal doit être ouvert au transit pacifique des navires de toutes les nations : cette liberté s’étend aux navires de commerce et aux navires de guerre ainsi qu’aux navires auxiliaires. Cette liberté est réaffirmée à l’article III, alinéa 1, lettre e, par lequel « les navires de guerre et les navires auxiliaires de toutes les nations ont le droit de franchir le canal en tout temps, indépendamment de leur mode de propulsion, de leur origine, de leur destination ou de leur armement, sans être astreints à inspection, enquête ou surveillance. »
47Le droit accordé aux navires de guerre provoqua de nombreux remous du côté américain. Lorsqu’un conflit armé éclate et que les Etats-Unis sont neutres, le droit de transit des navires de guerre des belligérants ne pose aucun problème particulier42. En revanche, si les Etats-Unis sont eux-mêmes en guerre, la situation évolue radicalement. Les sénateurs n’ont pas manqué de soulever de nombreuses questions : quelle est cette neutralité qui permet aux navires ennemis d’avoir libre transit ? Cette neutralité n’est-elle pas inadmissible ? N’est-elle pas trop large et ne constitue-t-elle pas une menace pour la sécurité nationale ?43 Pourquoi prévoir le libre transit alors que sous l’ancien régime la neutralité ne s’appliquait pas au temps de guerre ?44 Ces interrogations suscitèrent de multiples propositions de modification du traité. On suggéra de soumettre le libre transit non seulement aux règles du traité de neutralité de 1977 mais aussi à celles du traité Hay-Pauncefote, amendement écarté pour des motifs étrangers à notre problème45. On proposa de déclarer expressément dans le traité qu’il ne serait pas contraire à la neutralité d’empêcher les navires ennemis d’atteindre le canal ; cet amendement fut jugé inutile, à raison, le droit international ne prohibant pas l’interception d’un navire ennemi en haute mer46. On revint à la charge en proposant que les navires ennemis ne soient pas mis au bénéfice du libre transit ; cette suggestion, qui allait bien plus loin que la proposition précédente, ne fut repoussée qu’à une faible majorité47. Enfin, une dernière tentative infructueuse fut effectuée pour supprimer purement et simplement l’article III, alinéa I, lettre e, ce qui aurait donné aux Etats-Unis toute liberté d’autoriser ou de refuser le transit48. L’analyse des arguments avancés pour s’opposer à ces divers amendements est instructive : certains arguments étaient parés d’atours juridiques, d’autres s’inspiraient du réalisme politique ou tout simplement du bon sens.
48Au rang des arguments juridiques, citons tout d’abord celui de la Navy : l’interdiction de transit des navires ennemis serait peut-être en contradiction avec le droit coutumier relatif aux canaux internationaux49. C’est la seule fois où les militaires firent état d’un hypothétique droit coutumier, et ce à mauvais escient ; il est étonnant que cette allusion au droit coutumier n’ait pas été faite lors des deux guerres mondiales à propos de la législation mise en vigueur par les Etats-Unis. En réalité, la Navy savait que ses moyens étaient suffisants pour empêcher un navire ennemi d’atteindre le canal et elle aurait pu le dire simplement, sans recourir à une argumentation juridique aux fondements vacillants. Un autre argument fut qu’il convenait de maintenir la neutralité du canal afin d’éviter que le canal fût l’objet d’attaques ou de représailles en cas d’entrée en guerre des Etats-Unis ou du Panama50. Cet argument ne manque pas de valeur, mais nous verrons qu’il n’est opposable qu’aux Etats ayant accédé au protocole51. Un dernier argument consista à déclarer que rien n’était modifié à la situation antérieure : sous l’ancien régime, tous les navires pouvaient utiliser le canal ; ce dernier fut toujours administré comme une voie neutre et ne fut jamais fermé en temps de guerre52 ; si la seconde affirmation est correcte, la première ne l’est pas.
49La seconde série d’arguments s’est révélée bien plus convaincante. On déclara, en déformant un peu l’histoire, que l’interdiction de transit n’avait jamais existé53 : seul le pouvoir de la marine de couler les navires ennemis avant leur arrivée au canal avait suffi à détourner ces navires de la voie d’eau ; à l’avenir, il n’y aurait pas de modification : les navires de guerre des Etats-Unis et de leurs alliés seraient assurés de pouvoir franchir le canal. Rien ne s’oppose à l’attaque d’un navire ennemi avant le passage : la meilleure solution consiste à empêcher ce navire, en haute mer, de poursuivre sa route vers le canal54. Les navires ennemis ont certes le droit théorique de transiter par le canal mais l’accès ne leur est pas garanti55 : comme par le passé, les Etats-Unis empêcheront l’accès au canal, de sorte que le transit n’est assuré que si le navire ennemi réussit à atteindre le canal56. D’aucuns se sont élevés contre cette neutralité à double face, ce cynisme consistant à promettre le transit aux navires ennemis en les avertissant qu’on les coulera préalablement en haute mer57 : ces considérations morales ont rencontré peu d’écho.
50Doit-on conclure que rien ne sera modifié et que les Etats-Unis empêcheront les navires ennemis d’approcher du canal, hors de la zone des trois milles marins ?58 Juridiquement, une telle analyse est erronée du fait que le Panama revendique une mer territoriale de 200 milles alors que les Etats-Unis s’en tiennent à la limite des 3 milles, avec une acceptation probable de l’extension à 12 milles. Dans ce dernier cas, la défense du canal en haute mer ne s’opérerait qu’à partir de la limite extérieure des 12 milles, créant ainsi une zone grise entre la limite extérieure des eaux du canal et celle de la haute mer. De son côté, le Panama estimerait que toute intrusion dans la zone des 200 milles constituerait une violation de sa souveraineté territoriale. Ajoutons que si la convention des Nations Unies sur le droit de la mer récemment adoptée était ratifiée par le Panama, la mer territoriale de ce dernier ne pourrait excéder une largeur de 12 milles59. A l’extérieur de cette zone, les Etats-Unis seraient libres de prendre les mesures de leur choix, sans que le Panama puisse élever une objection. La situation ne serait pas clarifiée au regard des mesures que les Etats-Unis pourraient adopter dans la zone sise entre les 3 milles et les 12 milles.
51Une autre conséquence juridique est que désormais les Etats-Unis ne peuvent plus adopter une réglementation semblable à celle insérée dans l’article 15 de la proclamation de neutralité de 191760. La même obligation incombe au Panama après l’an 2000. Notons au passage que la législation relative à la neutralité du canal n’a pas été modifiée dans les Panama Canal Regulations ; en particulier, un navire ennemi des Etats-Unis peut se voir interdire le transit dans l’intérêt de la protection du canal61 : une telle disposition est contraire au traité de neutralité dans la mesure où elle vise spécifiquement les ennemis des Etats-Unis. En pratique, la situation demeure inchangée, les Etats-Unis agissant en haute mer pour empêcher l’accès du canal aux navires ennemis62 : il est reconnu que la défense du canal se fait en haute mer et que les troupes stationnées au Panama – quelle que soit leur nationalité – n’ont pas pour but de protéger le canal contre les navires ennemis63.
52Une autre question est celle de savoir si le Panama – et non plus les Etats-Unis – aura le droit d’interdire le transit des navires ennemis. A notre avis, ce droit existe et peut être déduit du traité lui-même. En effet, le canal est ouvert au transit pacifique des navires ; si un Etat est engagé dans un conflit armé avec le Panama, ses navires désireux de franchir le canal peuvent difficilement prétendre que leurs intentions sont pacifiques. Le refus de transit est fondé lorsqu’existe une présomption raisonnable que la sécurité du canal est en danger. Au siècle prochain, le Panama pourra décider de l’existence de cette présomption64. Lors de l’examen du système de garantie, nous verrons que ce droit peut être mis en échec par l’intervention des Etats-Unis ; si ceux-ci s’abstiennent d’agir au titre de la garantie, le canal sera effectivement fermé aux navires ennemis du Panama, sans que cette mesure constitue une violation du régime de neutralité.
53Le fait que le canal doit demeurer ouvert à tous les navires constitue donc un progrès juridique illusoire. Les arguments avancés pour accepter la liberté de transit des navires ennemis sont révélateurs des limites posées à l’établissement d’un véritable régime de neutralité et des concessions académiques que les Etats-Unis étaient disposés à accorder. Cette constatation n’est guère surprenante : tant que la mer des Caraïbes sera considérée par les Etats-Unis comme une mare nostrum et que ces derniers auront les moyens militaires de faire respecter leur hégémonie, la situation ne se modifiera pas.
54On peut s’étonner qu’il ne fût pratiquement jamais question du Panama au cours des débats relatifs à ce problème. Le fait est que les Etats-Unis se sont préoccupés exclusivement de leur sécurité nationale et des moyens d’assurer leur contrôle sur la voie d’eau après l’an 2000 : le riverain doit se borner à assurer le transit des navires que la marine des Etats-Unis jugera acceptables au gré des situations politiques. Le principe du libre transit est certes ancré dans un traité bilatéral mais une seule des Parties déterminera le cercle des bénéficiaires, étant maîtresse de la possibilité d’accès au canal. Ainsi, lorsque les Etats-Unis affirment que le régime de neutralité signifie notamment que le canal devra être accessible, ce qualificatif revêt une acception très restrictive : le canal doit être libre d’entrave ou d’obstacle lorsque des navires se présentent à ses entrées, mais ces navires n’ont pas un droit d’accès au canal.
55L’exclusion des navires de nations ennemies des Etats-Unis paraît contredire l’affirmation de la souveraineté panaméenne sur le canal ; elle n’est cependant que la conséquence logique de l’alliance militaire conclut entre les deux Etats pour défendre la sécurité du canal. Au cours des pourparlers, le Panama a d’ailleurs admis cette possibilité : en décembre 1971, le négociateur panaméen reconnut que les navires ennemis des Etats-Unis seraient exclus du canal, tout en spécifiant que cette interdiction devrait être formulée dans le traité de façon très prudente65. En 1977, on ne jugea pas nécessaire d’adopter une telle formulation en raison de la prépondérance militaire des Etats-Unis et du système de garantie mis en place.
3. La nature du libre transit
56On a prétendu qu’un canal pourrait être assimilé à la mer territoriale de l’Etat riverain ou aux détroits internationaux et que le droit de transit découlerait des règles générales du droit international public66.
57Si la liberté de transit par le canal est confondue avec le droit de passage inoffensif à travers la mer territoriale, de nombreuses difficultés surgissent. Tout d’abord, la controverse subsiste sur l’acception objective ou subjective à attribuer au qualificatif « inoffensif ». Ensuite, ce droit de passage inoffensif n’est pas absolu, pouvant être temporairement suspendu si cette mesure se révèle nécessaire à la protection ou à la sécurité de l’Etat riverain67. Enfin, le droit de passage des navires de guerre est contesté, étant parfois considéré comme une simple tolérance. Faisons observer ici que la convention des Nations Unies sur le droit de la mer définit de manière précise le passage inoffensif et les circonstances dans lesquelles il peut être suspendu68.
58Enfin, si le libre transit par le canal est assimilé au passage par les détroits – ou au passage en transit selon la terminologie de ladite convention – la possibilité de suspension n’existe pas ; en outre, tant les navires de commerce que les navires de guerre sont titulaires du droit. Néanmoins, l’analyse de la pratique et des divers traités régissant l’utilisation des détroits nous révèle que cette liberté n’est pas absolue : lorsque le riverain est neutre, il peut prendre des mesures pour assurer sa propre sécurité ; lorsqu’il est en guerre, les abords des détroits sont minés ou d’autres dispositions sont adoptées, de telle sorte que le droit de passage n’existe plus69.
59Nous avons vu que le canal, en sa qualité de voie artificiellement créée, doit être assimilé à l’espace terrestre de l’Etat et fait partie de ses eaux intérieures70. Dans le cas du canal de Panama, il faut se souvenir qu’il s’agissait, en 1846, d’un droit de passage terrestre concédé par traité aux seuls Etats-Unis et que ce passage terrestre fut transformé en passage maritime artificiel dont l’usage était réservé, par convention, aux navires de tous les Etats. La construction d’un passage artificiel n’a pas transformé ce passage en une aire géographique soumise au principe de libre navigation ou au droit de passage inoffensif ; le point de départ et de référence est la souveraineté de l’Etat sur son espace terrestre. Il est d’ailleurs symptomatique de remarquer que, dans les traités de 1977, les Parties ont soigneusement évité toute référence au droit de passage dans la mer territoriale ou par les détroits : il est fait mention uniquement de libre transit et non de passage inoffensif ou de passage en transit. On n’a pas voulu introduire dans ce sujet déjà suffisamment complexe les difficultés rencontrées au cours de l’élaboration du nouveau droit de la mer. En outre, on entendit demeurer dans la tradition développée depuis plus d’un siècle, à savoir qu’il s’agissait d’un régime spécial dont seules les Parties fixent et modifient les modalités, sans référence explicite ou implicite aux règles ordinaires du droit des gens. Ce régime trouve sa source et ses caractéristiques essentielles dans le traité de 1846 accordant aux Etats-Unis un droit de passage terrestre et s’est poursuivi jusqu’en 1977. Des modifications imposées par le creusement du canal furent certes apportées au début du siècle, sans toutefois altérer profondément la substance du régime de libre transit.
60La question de savoir si nous sommes en présence d’une liberté de transit ou d’un droit dont peuvent se prévaloir les tiers fut déjà évoquée dans la première partie de notre étude et nous avions conclu qu’il s’agissait d’un droit révocable que les Etats peuvent revendiquer tant que les traités sont en vigueur. Les nouveaux traités n’ont pas modifié la réponse apportée à cette question. Rien n’autorise à conclure que nous sommes en présence d’un droit irrévocable conféré aux usagers. Certes, il fut affirmé que les Etats tiers n’ont aucun droit découlant des traités de 197771 ; dans le même sens, le Panama déclarait dans un projet de traité de 1971 que les navires des Etats-Unis auraient le droit de franchir le canal s’ils se conformaient au traité72, ce qui laisse supposer que les tiers n’ont aucun droit. Le Panama a cependant affirmé en d’autres occasions que les navires de tous les Etats devaient avoir l’assurance du libre transit73. Nous avons déjà indiqué le sens à attribuer à toutes ces déclarations parfois contradictoires : les tiers ont un droit de transit révocable, sans pouvoir se prévaloir d’un droit de contrôle de la voie d’eau. Le texte même du traité de neutralité de 1977 confirme cette conclusion ; en effet, l’article III, alinéa 1, lettre e, déclare que les navires de guerre et les navires de tous les Etats auront le droit de franchir le canal s’ils satisfont aux conditions posées : on ne peut trouver meilleure illustration de l’affirmation d’un droit. Il est vrai que ce droit n’est pas conféré expressis verbis aux navires de commerce, quoique cette particularité soit aisément explicable : il convenait de préciser sous quelles conditions les navires de guerre auraient un droit de transit, conditions différentes de celles imposées aux navires de commerce.
61Par conséquent, le droit de transit de tous les navires existe dans les mêmes circonstances que précédemment. On pourrait même soutenir qu’il est plus étendu, vu qu’il concerne tant le temps de paix que de guerre ; étant donné que le transit doit être pacifique, ce droit ne s’étend pas aux navires d’un ennemi de l’Etat contrôlant le canal, ni à ceux d’un ennemi de l’Etat riverain.
B. L’égalité de traitement
1. L’interdiction de discrimination
62L’interdiction de discrimination fut adoptée sur une base bilatérale dans les traités de 1846 et de 1850. Elle fut maintenue par la suite dans le traité Hay-Pauncefote et dans les divers accords conclus entre le Panama et les Etats-Unis. Les traités régissant l’usage des canaux de Kiel et de Suez ont également adopté cette règle, de sorte qu’on en a conclu qu’elle est devenue une norme coutumière74. A ce propos, il est digne d’intérêt de relever qu’en 1877, lors de pourparlers avec le Nicaragua, les Etats-Unis avaient proposé des droits de péage différents pour les navires des Parties au traité et pour ceux des Etats tiers75 ; cette suggestion ne fut pas jugée contraire au traité Clayton-Bulwer de 1850 et laisse planer quelque doute sur le caractère coutumier de l’interdiction de discrimination. Nous ne pensons pas que l’interdiction de discrimination soit coutumière : il faut se souvenir qu’elle est intimement liée au droit de transit ; si ce dernier n’est pas accordé ou est abrogé, l’égalité de traitement perd sa raison d’être. L’existence et le maintien du libre transit sont des conditions sine qua non de l’obtention de l’égalité de traitement : ce n’est que lorsque le droit de transit est accordé aux navires que ces derniers ont droit à l’égalité de traitement.
63L’article II du traité de neutralité établit que le canal sera ouvert à tous les navires sur un pied d’entière égalité de telle sorte qu’il n’y aura aucune discrimination de quelque nature que ce soit. Afin de bénéficier de cette égalité de traitement, les navires doivent remplir quatre conditions : acquitter les droits de péage ; observer les règlements applicables ; ne commettre aucun acte d’hostilité durant la traversée ; observer les autres conditions établies par le traité.
64La première condition est la contre-partie naturelle de l’utilisation de la voie d’eau : des contestations ne surgiront que si les droits de péage sont discriminatoires, situation que nous analyserons ci-après.
65La deuxième condition se réfère à l’observation des prescriptions adoptées par le Congrès, le Panama Canal Act, l’Exécutif, les Panama Canal Regulations, et la Commission. Au siècle prochain, le Panama sera compétent en la matière. La législation édictée comprend de multiples obligations auxquelles les navires doivent se soumettre76 : mesures de santé et de quarantaine, obligation de déclarer une cargaison dangereuse77, inspection et mesurage des navires, etc.78 La mise en œuvre de ces prescriptions laisse une large manœuvre d’appréciation au gérant du canal : nous avons vu par exemple selon quelles directives s’effectuait le contrôle des navires en 194879. Le choix des moyens utilisés peut aller des simples tracasseries administratives à la suspicion d’un transfert de matières dangereuses, de la décision abrupte qu’un navire risque d’endommager les structures du canal à la mise en application extrêmement stricte ou chicanière des mesures de contrôle sanitaire et de quarantaine : la limite est difficile, voire impossible parfois, à tracer entre une mesure rigoureusement ou arbitrairement appliquée. La pratique suivie de 1914 à nos jours a montré que peu d’incidents s’étaient produits.
66La réalisation de la troisième condition ne pose aucun problème particulier en temps de paix. En cas de conflit armé, nous avons vu que, en pratique, seuls les navires jugés inoffensifs par les Etats-Unis auront accès au canal, de sorte que la possibilité de commettre un acte d’hostilité est déniée en raison de l’interdiction d’accès.
67La dernière condition fait allusion à l’alinéa 1, lettres d et e, de l’article 111 du traité. La lettre d oblige les navires à fournir des garanties financières dans l’hypothèse où un dommage serait causé durant la traversée. La lettre e se réfère au droit des navires de guerre et navires auxiliaires de toutes les nations de ne pas être soumis à inspection, enquête ou surveillance, de franchir le canal indépendamment de leur aménagement intérieur, mode de propulsion, origine, armement ou destination. Ils peuvent se contenter de produire un certificat attestant qu’ils ont satisfait aux règlements sanitaires et aux dispositions relatives à la quarantaine. Ces navires ont en outre le droit de refuser de révéler leur aménagement intérieur, leur origine, leur armement, leur cargaison ou leur destination. Nous remarquons que la nature de la cargaison, si elle ne doit pas être révélée, peut toutefois constituer un obstacle au libre transit des navires ne battant pas le pavillon des Etats-Unis, de leurs alliés ou du Panama : cette restriction a été introduite afin d’éviter qu’un navire battant le pavillon d’un Etat non allié des Etats-Unis et transportant par exemple une cargaison nucléaire pût franchir le canal. Même si la nature de la cargaison ne doit pas être révélée, il est relativement aisé de déterminer si un navire transporte une cargaison nucléaire et d’en refuser le transit, en invoquant la nécessité d’assurer la sécurité des installations et du canal. S’il s’agit d’un navire ami, cette même cargaison ne mettrait pas en cause la sécurité du canal. Une telle pratique violerait l’interdiction de discrimination inscrite dans le traité. Les lettres d et e constituent une exception au principe d’égalité, vu que les navires de commerce sont soumis à tous les contrôles. Cette exception a été insérée pour des motifs tenant au caractère public des navires concernés et n’est pas déraisonnable : l’inégalité des situations justifie en l’espèce l’apparente inégalité de traitement.
68En pratique, des violations grossières de l’égalité de traitement sont hautement improbables. Des contrôles approfondis, des inspections minutieuses ou autres légères tracasseries seront mis sur le compte des impératifs de la sécurité des installations du canal ou de la prophylaxie sanitaire. Ils pourront également être niés et assimilés à des pratiques usuelles, comme ce fut le cas dans le passé. Il n’est donc pas nécessaire de peindre le diable sur la muraille et d’échafauder les pires hypothèses : l’égalité de traitement sera accordée dans les mêmes conditions que précédemment.
2. L’égalité au regard des droits de péage
69En vertu de l’article II du traité de neutralité, le canal doit rester ouvert et sûr au transit pacifique des navires de toutes les nations « sur un pied d’entière égalité, de telle sorte qu’il n’y aura aucune discrimination au préjudice de quelque nation que ce soit comme de ses citoyens ou sujets en ce qui concerne les conditions ou les charges de transit, ou pour toute autre raison. » De son côté, l’article III, alinéa 1, lettre c, ajoute que les droits de péage pour le transit et les services complémentaires « seront justes, raisonnables, équitables et compatibles avec les principes du droit international. » Enfin, une déclaration interprétative fut adoptée à l’initiative du Sénateur Long afin d’éviter que les droits de péage soient trop élevés au siècle prochain80. Cette déclaration stipule que tout ajustement des droits de péage doit tenir compte préalablement de son effet sur les caractéristiques du commerce des deux Parties et prendre en considération les éléments suivants : les coûts de fonctionnement et d’entretien du canal, la position compétitive du canal par rapport à d’autres moyens de transport, l’intérêt des deux Parties au maintien de leur flotte marchande, l’impact de l’ajustement des droits de péage sur les diverses zones géographiques de chaque Partie, l’intérêt de chaque Partie à développer au maximum son commerce international ; dans ce but, les deux Parties coopéreront et échangeront les informations nécessaires à la prise en compte de ces facteurs.
70L’article II interdit toute discrimination au préjudice de quelque nation que ce soit, ce qui exclut une discrimination fondée sur le pavillon. Toutefois, lors de l’adoption du Panama Canal Act, il fut proposé de faire supporter aux autres nations les frais de constitution d’un capital nouveau en vue de l’amélioration des installations, motif pris de ce que les Etats-Unis avaient suffisamment investi dans l’opération et pouvaient désormais mettre cette charge sur le compte des autres usagers81 ; de l’avis de son auteur, cette proposition n’était pas contraire à l’interdiction de discrimination, quoiqu’aucune justification ne fût avancée à l’appui de cette étrange assertion. Seule la ferme position du Sénat, persuadé de l’illégalité de cette clause82, permit d’éviter l’adoption de cette disposition. De façon générale, il faut faire observer que toute formule établissant les droits de péage est discriminatoire. Ainsi, la législation en vigueur fixe des taux différents selon qu’il s’agit de navires en charge, en ballast ou de navires de guerre83. Une autre forme de discrimination consiste en ce que l’unité de base servant à calculer le montant des péages – la tonne du canal de Panama – est une unité de volume et non de poids : de ce fait, le passage d’une tonne (1 000 kg) de blé coûte 85 cents tandis que le même poids de bananes coûte 3,58 dollars ; de même, une tonne d’aluminium coûte 82 cents contre 13,20 dollars pour les automobiles. Un tel système peut conduire à pénaliser l’économie d’un seul pays, comme ce fut le cas pour la production de bananes de l’Equateur84. Ces diverses formes de discrimination sont autorisées : seuls des taux différents fondés sur le pavillon tomberaient sous le coup de la prohibition de l’article II.
71L’article III exige que les péages soient justes, raisonnables, équitables et compatibles avec les principes du droit international. Le traité Hay-Pauncefote prévoyait que les droits de péage seraient justes et équitables ; le nouveau traité ajoute le qualificatif raisonnable : cette adjonction est superfétatoire, sauf si l’on prétend que des droits de péage justes et équitables ne sont pas nécessairement raisonnables, ce qui nous paraît déraisonnable. L’exigence de la conformité aux principes du droit international a suscité maintes questions : quels sont ces principes du droit international ? Ces principes autorisent-ils le Panama à augmenter librement les droits de péage ? Habilitent-ils le Panama à retirer un bénéfice de l’exploitation du canal ?
72Avant de répondre à ces questions, il sied de tracer brièvement l’évolution des taux des droits de péage. Après une longue période de stabilité, une hausse de 20 % eut lieu le 8 juillet 1974, suivie d’une hausse de 19,4 % le 18 novembre 1976 ; dans l’intervalle, le mode de calcul de la « tonne du canal de Panama » fut modifié, de sorte que l’augmentation effective fut de 50 % en 28 mois. En prévision de l’entrée en vigueur des traités, les droits de péage furent majorés de 29,3 % le premier octobre 1979, établissant le tarif de base à 1,66 dollar par tonne et entraînant une majoration d’environ 85 % en un peu plus de cinq ans85.
73On a prétendu que l’exigence de conformité aux principes du droit international constitue un accroissement de la protection accordée aux usagers, une assurance d’une meilleure objectivité : en cas de différend, il serait loisible de tenir compte des précédents, en particulier de la pratique suivie par les gérants d’autres canaux maritimes86. Une comparaison avec le canal de Suez est inappropriée du fait qu’il s’agit d’un canal à niveau dont l’entretien et le fonctionnement sont moins onéreux. D’ailleurs, les droits de péage perçus y sont plus élevés que ceux en vigueur au Panama87. Les précédents de Suez et de Kiel sont peu clairs et n’ont pas dégagé de règles générales ; au surplus, le mode de fixation des taux appliqués à ces canaux n’a jamais été considéré comme faisant partie des principes du droit international.
74Dans cette quête des principes du droit international, on s’est également dirigé vers les règles du nouvel ordre économique, redoutant que le Panama s’en inspire pour fixer des droits de péage plus élevés pour les navires des pays développés88. Une telle démarche violerait l’égalité de traitement, quoique le Panama puisse soutenir l’absence de discrimination en raison de l’inégalité des situations. De même, le Panama pourrait prétendre que le canal constitue sa principale ressource naturelle et qu’il est donc en droit de pratiquer une politique de prix semblable à celle adoptée par les pays en développement. Il faut cependant insister sur le fait que le canal ne peut être comparé à une matière première ou à une ressource naturelle dont la caractéristique est l’épuisement au terme de l’exploitation : la position géographique du Panama a dicté la construction du canal, mais celui-ci ne peut être considéré comme une ressource naturelle89.
75D’autres tentatives de formulation des principes n’eurent pas plus de succès90. Nous pensons plus utile d’examiner la pratique des Etats-Unis des origines à 1979 et, surtout, de l’entrée en vigueur des nouveaux traités à l’an 2000. Partant du postulat que les Etats-Unis ont entendu se conformer en tout point aux exigences posées par le droit conventionnel, nous dégagerons les règles que le Panama pourra ou devra appliquer au siècle prochain.
76Les premières décennies offrent peu d’enseignements concluants, si ce n’est que les Etats-Unis décidèrent de ne pas recouvrer, au moyen des droits de péage, les frais de construction du canal. La façon de mesurer les navires, jusqu’en 1938, était parfois fantaisiste, conduisant à des absurdités91. En outre, jusqu’en 1950, on ne distinguait pas entre les frais d’exploitation du canal, le budget de la voie ferrée, l’administration du Gouvernement de la Zone : les droits de péage finançaient toutes ces activités. Après 1950, les comptes de la Compagnie du canal et du Gouvernement de la Zone furent séparés, ce qui n’empêchait pas que les droits de péage dussent couvrir les frais de gestion, d’entretien et d’amélioration du canal ; les salaires des employés ; les services d’enseignement ; les frais du Gouvernement de la Zone ; les intérêts versés au Trésor sur la part non amortie du capital investi ; l’amortissement du coût des terrains et de l’annuité versée au Panama92. Relevons que l’intérêt versé sur la part non amortie du capital investi a une origine curieuse et procède d’une méthode comptable peu orthodoxe93 : il s’agissait d’absorber les bénéfices provenant de l’usage intensif du canal pendant la guerre de Corée. Lorsque la Compagnie enregistra un déficit, on omit de supprimer ce poste budgétaire alors que sa justification avait disparu, voulant sans doute montrer qu’effectivement la gestion du canal ne produisait pas de bénéfice94. Une conclusion qui se dégage de l’examen de la rentabilité du canal est que l’exploitation du canal fut une source de profit pour le gérant95. Les Etats-Unis ont décidé de subventionner leur commerce maritime pour des motifs qui leur étaient propres : le Panama ne sera pas obligé au siècle prochain d’adopter la même ligne de conduite. Une autre conclusion est que les droits de péage servaient à financer certaines dépenses sans rapport avec la gestion et la défense du canal : tel est le cas d’une partie des frais de stationnement des forces armées et des dépenses de fonctionnement du Gouvernement de la Zone.
77L’examen de la législation adoptée en 1979 n’aboutit pas à des conclusions différentes. Selon le Panama Canal Act96, les droits de péage doivent couvrir les éléments suivants : les frais d’entretien et de fonctionnement du canal ; le coût d’amélioration des installations ; l’amortissement des installations ; l’intérêt de la part non amortie du capital ; les paiements au Panama prévus à l’article XIII, alinéa 4, lettres a et b, et à l’article III, alinéa 5, du traité relatif au canal de Panama. Les droits de péage ne doivent cependant pas couvrir le paiement au Panama prévu à l’article XIII, alinéa 4, lettre c. Au surplus, ils seront conformes au traité Hay-Pauncefote, au traité conclu avec la Colombie en 1914 et au traité de neutralité. Une objection peut être faite au regard de l’intérêt de la part non amortie du capital dont le fondement légal est douteux : ce poste ne fut maintenu dans la formule de calcul que parce qu’il s’agissait du seul bénéfice que les Etats-Unis étaient assurés de retirer de la gestion du canal jusqu’en l’an 200097 ; si ce poste avait été abandonné, la hausse survenue en 1979 aurait pu être réduite de moitié98. Les Etats-Unis ont sans doute estimé que leur attitude était conforme aux principes du droit international, ce qui servira de précédent utile au Panama. Une autre objection a trait aux frais d’entretien et de fonctionnement du canal : ainsi, les frais de mise à la retraite anticipée du personnel furent inclus dans les dépenses de la Commission par la Chambre des Représentants99 qui ne ménaga pas sa peine pour alléger au maximum la charge financière des Etats-Unis100. La seule conclusion à laquelle nous pouvons souscrire est que les principes économiques appliqués par les Etats-Unis jusqu’en l’an 2000 ne sont pas des principes du droit international et ne lient pas en tout point le Panama lorsqu’il sera en droit de décider de la mesure des droits de péage. La référence aux principes du droit international n’a aucune signification précise, si ce n’est que les Etats-Unis et le Panama doivent respecter le principe d’égalité, pratiquer une politique non discriminatoire, exigences déjà insérées dans le traité. En l’espèce, cette référence ressemble fort à un bel ornement superflu.
78Il reste cependant à déterminer la liberté de manœuvre du Panama au siècle prochain. Il est notoire que les Etats-Unis et le Panama n’ont pas la même conception sur les principes devant régir l’exploitation du canal101. Le Panama a déclaré que, en tant que souverain et administrateur exclusif du canal, il prendra les décisions jugées les plus appropriées pour le fonctionnement du canal et sa rentabilité maximale102, prenant en compte le fait que le canal est en compétition avec d’autres modes de transport103. Au siècle prochain, les droits de péage devront couvrir les frais d’entretien et de fonctionnement du canal, les frais de gestion de la Commission et des divers organes subsidiaires que le Panama jugera bon de créer104, les réserves en vue de l’amélioration ou de la réfection périodique des installations. Les droits de péage pourront en outre couvrir les 30 cents par tonne versés au Panama, l’annuité de 10 millions et le paiement conditionnel de 10 millions que les Etats-Unis ont choisi de ne pas verser au Panama jusqu’en l’an 2000, sauf bénéfice imprévu105 : ces rubriques sont prévues par le traité et sont censées être conformes aux principes du droit international106. Les montants alloués au Panama peuvent être utilisés par ce dernier comme bon lui semble : il n’est pas tenu de les réinvestir dans la gestion et le fonctionnement du canal. On peut se demander si le Panama peut aller plus loin et augmenter sa part de bénéfice. Une réponse positive est difficilement acceptable, compte tenu des éléments suivants : le Panama obtient de l’exploitation du canal des bénéfices indirects qui peuvent le dispenser, voire le dissuader, d’une hausse excessive. Les bénéfices directs que le Panama tire de l’exploitation du canal ne sont pas négligeables et ne cesseront de croître, du moins en valeur nominale. Leur montant est raisonnable : tout accroissement substantiel affecterait défavorablement le trafic par le canal. Les usagers sont censés acquitter des droits de péage correspondant aux frais effectifs que représente la traversée ; cette affirmation est certes contredite par la pratique antérieure admettant que les Etats-Unis et le Panama avaient droit à un bénéfice résultant de l’exploitation du canal, mais on ne saurait aller au-delà d’une marge bénéficiaire considérée comme étant équitable et acceptable pour les tiers. Enfin et surtout, les prévisions relatives à la hausse du trafic et à l’impact d’une augmentation des droits de péage sont nombreuses et contradictoires107 : la sensibilité du trafic à une hausse des droits de péage est un frein pour le Panama. Des contraintes économiques sérieuses existent et n’autorisent qu’une marge de manœuvre très restreinte dans la fixation des droits de péage108. L’établissement de lignes directrices relatives à la fixation des droits de péage est une entreprise malaisée. Le risque existe que le Panama applique une politique d’augmentation des taux de façon à obtenir des avantages financiers importants sans relation avec le fonctionnement du canal ; le traité n’a pas réussi à surmonter complètement cette difficulté109. La fixation d’un taux maximum eût été illusoire en raison des facteurs largement imprévisibles pouvant conduire à une modification radicale des taux. L’idée d’établir un pourcentage maximum au-dessus des coûts de fonctionnement et d’amélioration eût été judicieuse, cette marge entre les coûts de fonctionnement et d’amélioration et le montant total des redevances perçues constituant le bénéfice jugé équitable dont pourrait jouir le Panama. Une possibilité de se prémunir contre des taux démesurés aurait été de prévoir un mécanisme obligatoire de règlement des différends : nous verrons que rien de tel n’a été institué.
79Un autre problème relatif aux droits de péage consiste à déterminer si, après l’an 2000, les Etats-Unis auront encore un droit de regard sur la fixation des taux. Nous avons relevé que la déclaration interprétative du Sénateur Long avait pour but de tracer un garde-fou dans ce domaine en voulant éviter que le Panama ait la tentation de hausser démesurément les droits de péage. La même crainte avait été exprimée en 1956 au sujet du canal de Suez, crainte qui se révéla sans fondement. Le Panama a estimé que la déclaration était raisonnable, tout en répétant qu’il avait l’intention de rentabiliser au maximum l’exploitation du canal. La déclaration en question n’est pas un modèle de clarté. Par exemple, l’intérêt de chaque Partie à développer au maximum son commerce international peut se révéler différent : si celui du Panama diverge de celui des Etats-Unis, lequel devra prévaloir ? De même, l’intérêt de chaque Partie au maintien de sa flotte marchande n’est pas forcément le même et les moyens appropriés pour atteindre cet objectif peuvent varier : quel intérêt sera prépondérant ? Le Panama devra-t-il toujours donner la priorité aux intérêts des Etats-Unis ou pourra-t-il prétendre que son intérêt l’emporte et que son interprétation ne viole pas le traité ? Même en supposant que ces obstacles seront aisément surmontés, il n’en découle pas que les Etats-Unis ont un droit de décision sur la fixation des droits de péage : selon la déclaration, les Parties doivent coopérer et échanger des informations, mais la décision finale appartient au Panama110. Les Etats-Unis ont également adopté une réserve à l’article III du traité de neutralité ayant la teneur suivante : afin de mettre en œuvre les objectifs de l’article III du traité de neutralité – assurer la sécurité, l’efficacité et l’entretien adéquat du canal – les Etats-Unis et le Panama, durant leur période respective de responsabilité du fonctionnement et de l’entretien du canal n’utiliseront les revenus du canal que pour des objectifs conformes aux buts de l’article III, à moins que le montant des revenus d’exploitation n’excède le montant nécessaire à la mise en œuvre des objectifs dudit article111. L’auteur de cette réserve envisageait surtout la situation après l’an 2000, craignant que le Panama, confronté à une situation économique critique, ne consacre les revenus du canal à des objectifs étrangers aux buts de l’article III. Cette réserve, qui est plutôt une déclaration interprétative, n’empêche pas le Panama d’utiliser librement l’excédent des recettes, mais seulement après avoir rempli ses obligations conventionnelles112 ; en particulier, elle autorise le Panama à percevoir les bénéfices directs prémentionnés sans les affecter au fonctionnement du canal. Le Panama n’a pas fait de commentaire particulier à cette réserve, estimant que l’article III était suffisamment explicite113. Cette réserve ne donne pas aux Etats-Unis un droit de regard sur la fixation des droits de péage mais confirme un droit d’examen de l’utilisation des revenus. Même sans elle, les Etats-Unis auraient eu la faculté de faire observer au Panama que l’utilisation des revenus n’était pas conforme à une bonne administration du canal et portait atteinte au régime de neutralité du canal, vu qu’elle aurait mis en danger la sécurité et la liberté de transit114. Etant donné que les Etats-Unis sont aussi les garants du régime de neutralité, on a craint que cette situation leur donne un droit permanent d’intervention dans la fixation des droits de péage, empêchant le Panama de tirer profit de l’exploitation du canal et le forçant à suivre la politique pratiquée depuis 1914115. Ce droit n’existe pas sous une forme aussi directe, quoique les Etats-Unis bénéficient de moyens de pression ou de contrôle qui ne sont pas dénués d’efficacité : ils peuvent estimer qu’une hausse n’est pas juste, raisonnable, équitable et conforme aux principes du droit international ou que l’utilisation des revenus est contraire à la réserve attachée au traité ; comme ces mesures seraient, à leur avis, contraires au régime de neutralité, ils auraient le devoir de faire respecter le traité dont ils sont les garants. Par conséquent, ils s’estimeraient libres dans le choix des mesures à adopter pour mettre en œuvre la garantie, même contre le gré du Panama.
80Une dernière question consiste à déterminer si les Etats tiers ont un droit à la stabilité des droits de péage. Vu qu’il fut déclaré à maintes reprises que les tiers n’avaient aucun droit découlant des traités, la réponse semblerait être négative116 ; en réalité, les tiers ont droit à des droits de péage non discriminatoires, sans pouvoir revendiquer une hypothétique stabilité. D’ailleurs, que signifie la stabilité des droits de péage ? S’agit-il de l’absence de hausse durant 60 ans, de 1914 à 1974, ou d’une hausse ne dépassant pas 50 % en 28 mois ou n’excédant pas 85 % en un peu plus de 5 ans ? Pour les Etats tiers, la seule garantie contre des hausses excessives est constituée par les lois économiques de la concurrence. De leur côté, les Etats-Unis jouissent de garanties plus efficaces. Il faut cependant relever que les parlementaires américains sont partis de l’hypothèse que le Panama, au siècle prochain, mettra tout en œuvre pour retirer des bénéfices accrus du canal au détriment du bon fonctionnement de la voie d’eau : négocier et adopter un traité avec une telle orientation de pensée témoigne du degré de défiance existant à l’égard du partenaire et illustre les difficultés présidant à l’établissement de relations nouvelles entre les Parties.
3. Les exceptions à l’égalité de traitement
a) Le droit de transit expéditif
81L’article VI, alinéa 1, du traité de neutralité prévoit que les navires de guerre et les navires auxiliaires des deux Etats auront le droit, en tout temps, de franchir rapidement (expeditiously) le canal, quels que soient leur aménagement intérieur, leur mode de propulsion, leur armement ou leur cargaison. Cette disposition fut ultérieurement précisée par Carter et Torrijos, dans leur Statement of Understanding du 14 octobre 1977, comme signifiant que le transit de ces navires à travers le canal se fera aussi rapidement que possible, sans entrave, avec des formalités accélérées et, en cas de besoin ou d’urgence, ces navires auront le droit de passer en tête de la colonne afin de franchir rapidement le canal ; cette interprétation fut insérée comme amendement à l’article VI du traité, sur proposition des chefs de la majorité et de la minorité117. Des propositions d’amendement furent avancées au cours des débats, sans succès118. Finalement, lors de l’examen de la résolution de ratification, le Sénat approuva une déclaration interprétative ayant la teneur suivante : le besoin ou l’urgence nécessitant le passage en tête de la colonne sera déterminé par l’Etat opérant le navire119.
82Ces dispositions, en dépit de leur clarté, furent diversement interprétées par les Parties. On a déclaré, du côté américain, que les Etats-Unis auront un droit prioritaire en période de guerre, alors qu’en temps de paix leurs navires pourront franchir le canal aussi rapidement que possible120. On a soutenu que la priorité existait à l’égard de tous les navires, sauf envers ceux du Panama121 : lorsqu’on connaît l’envergure de la marine de guerre panaméenne, on mesure toute la saveur du propos122. Afin d’élucider la querelle sémantique, on a affirmé qu’expéditions ne signifiait pas préférentiel, mais aussi rapidement que possible123. Le Panama a tenté de contester l’existence d’un droit prioritaire accordé aux Etats-Unis : les Etats-Unis auraient voulu un droit prioritaire en tout temps, ce que le Panama refusa ; ils restreignirent ensuite leur demande au temps de guerre ; le Panama s’opposa à l’octroi d’un droit prioritaire et l’on se contenta du terme “expeditions”, censé signifier aussi rapidement que possible ; le Panama affirme donc son intention d’accorder un transit aussi rapide que possible à tous les navires de guerre de tous les Etats124. Le Panama ne modifia pas son interprétation après l’adoption des traités. Il affirma même que c’était le problème des Etats-Unis de s’arranger avec les autres navires pour passer en tête de la colonne125. Cette dernière argumentation est insoutenable : le Panama a contracté un engagement et doit l’exécuter ; il ne peut se décharger sur les Etats-Unis du soin de mettre en œuvre cette obligation.
83En dépit de ces interprétations contradictoires, le texte du traité et de ses modifications ne laisse planer aucun doute sur l’existence d’un droit de transit prioritaire accordé aux Etats-Unis. Ce droit prioritaire est une exception à l’égalité de traitement126 : le Panama l’a acceptée et ne peut prétendre que priorité sera accordée à tous les navires, vidant ainsi l’exception de son sens. Le droit de transit expéditif dont jouissent les navires de guerre et les navires auxiliaires s’applique en temps de paix et de guerre127 : en ce dernier cas, ou plutôt en cas de besoin ou d’urgence, le transit en tête de colonne devra être accordé par le Panama aux Etats-Unis si ces derniers le réclament. Le Panama n’a aucune possibilité de nier l’existence d’une urgence ou d’un besoin, vu qu’il a accepté à l’avance que cette détermination soit effectuée discrétionnairement par l’Etat opérant le navire128.
84Remarquons ici que, sous l’ancien régime, le transit des navires de guerre d’un belligérant devait s’effectuer dans le plus bref délai possible ; l’obligation pesait sur le navire, tandis que maintenant elle est à la charge du riverain et ne concerne que les navires de deux Etats. La convention des Nations Unies sur le droit de la mer utilise aussi le terme “expeditions” pour le passage en transit par les détroits, mais il s’agit d’une obligation imposée aux navires et, de surcroît, il ne signifie pas « prioritaire »129. Même en admettant que l’obligation du transit rapide subsiste toujours pour les navires de guerre des belligérants, le fait demeure que le Panama devra accorder le transit prioritaire aux navires de guerre et aux navires auxiliaires des Etats-Unis, si ces derniers en font la demande.
85Cette exception à l’égalité de traitement est sérieuse : on peut se demander dans quelle mesure elle était nécessaire. En cas de guerre ou d’urgence, les exemples du passé ont montré que les Etats-Unis avaient les moyens de bloquer les entrées du canal et d’utiliser en priorité la voie d’eau. A l’avenir, la même possibilité leur est offerte, avec ou sans traité. Comme l’a déclaré sans ambage un général, « en cas de crise, nous passons les premiers et nous invoquons ensuite la force majeure »130. Cette exception est en outre incompatible avec les règles de la neutralité : si les Etats-Unis sont en guerre et que le Panama demeure neutre, le riverain devra se départir de son obligation d’impartialité en faveur des Etats-Unis131. Cette hypothèse est pour l’instant théorique vu le déséquilibre des forces, mais elle trace les limites d’une éventuelle neutralité du Panama.
b) Les traités de Monteria et de San José
86L’alinéa 2 de l’article VI du traité de neutralité autorise les Etats-Unis à accorder à la Colombie l’exonération des droits de péage pour le transit des troupes, munitions et navires de guerre, comme c’était le cas auparavant en vertu du traité du 6 avril 1914 entré en vigueur en 1922. Après que le Panama aura assumé la responsabilité du canal, il pourra accorder ce privilège non seulement à la Colombie mais également au Costa Rica. Il fut soutenu qu’il s’agissait d’une violation du traité Hay-Pauncefote de 1901132. Il est vrai que l’extension de ce privilège au Costa Rica constitue un élément nouveau : vu que la Grande-Bretagne a admis la conformité du nouveau traité au traité Hay-Pauncefote, le problème est résolu133.
87Le 22 août 1979 fut signé le traité de Monteria entre la Colombie et le Panama par lequel celui-ci prend l’engagement d’accorder à celle-là les droits octroyés par le traité de 1914134. Le traité fut approuvé par l’Assemblée nationale du Panama réunie en session extraordinaire et solidement gardée par les forces militaires135. Une déclaration interprétative fut ajoutée selon laquelle les droits et privilèges en question ne sont accordés à la Colombie que pour l’usage du canal actuel et non pour celui d’un autre canal qui pourrait être ultérieurement construit136.
88Des objections surgirent quant à la légalité du processus constitutionnel de ratification, motif pris de ce que le traité aurait dû être soumis au plébiscite, tout comme le furent les traités de 1977. Dans un arrêt du 20 juin 1980137, la Cour suprême déclara qu’un tel plébiscite n’était pas nécessaire en invoquant les arguments suivants : l’article 274 de la Constitution ne visait que les traités conclus entre les Etats-Unis et le Panama ; le traité de Monteria était de nature fiscale ; ce traité avait été implicitement approuvé par le peuple panaméen, vu que sa conclusion était envisagée par l’article VI du traité de neutralité. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur la pertinence de ces arguments. En revanche, cet épisode permet d’affirmer qu’un recours à la Cour suprême demandant la tenue d’un second plébiscite pour approuver les modifications aux traités de 1977 aurait eu des chances de succès très limitées.
89Un accord semblable fut conclu à San José avec le Costa Rica, accord dont la durée est limitée à 25 ans. Le principe de cet accord avait été admis dès 1975 par le Panama, en échange du soutien des pays d’Amérique centrale138 ; il fut renouvelé le 31 juillet 1978 par un accord signé entre la Colombie, le Panama et le Costa Rica. A ce jour, la procédure constitutionnelle d’approbation du traité de San José n’a pas été mise en œuvre.
90Ces traités laissent dans l’ombre de nombreuses questions, en particulier celle du sort du droit de transit en cas de conflit armé opposant les Parties. Les réponses ne varient guère de celles apportées à l’examen du traité de neutralité. Dans l’hypothèse où un canal à niveau sera construit, les accords de Monteria et de San José auront une portée très réduite puisqu’ils ne concernent que le canal à écluses.
C. La sécurité du canal
91En vertu de l’article V du traité de neutralité, le Panama aura seul le droit de maintenir des forces militaires, des sites de défense et des installations militaires sur son territoire à partir de l’an 2000. Cette disposition impose une obligation à chacune des Parties.
92Les Etats-Unis ont le devoir d’évacuer leurs forces armées à la fin du siècle. Cette obligation fut soumise à de rudes attaques par certains sénateurs désireux de prolonger, voire de perpétuer, la présence des troupes des Etats-Unis sur sol panaméen. Les amendements suivants furent vainement présentés : les forces armées des Etats-Unis pourront stationner au Panama jusqu’en l’an 2019 si le Président le juge nécessaire ou estime que le Gouvernement panaméen est communiste ou sous la domination d’une puissance étrangère139. Si les Etats-Unis sont en guerre en l’an 2000, ils pourront maintenir leur présence militaire pour une durée n’excédant pas 60 jours après la fin des hostilités140. La présence militaire jusqu’en l’an 2019 sera possible si un sabotage entrave ou menace d’entraver le libre transit141. Le Panama doit autoriser les Etats-Unis à utiliser la base de Galeta après l’an 2000, vu que cette base est partie intégrante de la défense nationale142. Si un accord relatif au maintien des troupes après l’an 2000 n’est pas intervenu à cette date, les forces armées des Etats-Unis pourront continuer à utiliser les sites et installations en leur possession jusqu’en l’an 2010143.
93Finalement, un amendement fut accepté selon lequel rien n’empêchera la conclusion d’accords autorisant la présence militaire des Etats-Unis après l’an 2000144. Cet amendement fut qualifié d’absurde145 : en fait, il autorise les Etats-Unis à conclure un accord sur le statut des forces par le biais d’un accord exécutif, sans modification du traité, donc sans intervention du Sénat. En revanche, on peut se demander si le Panama devrait soumettre un tel accord à la voie du plébiscite : les textes constitutionnels semblent autoriser une réponse positive, quoique le précédent du traité de Monteria laisse place à de sérieux doutes. L’amendement en question, qualifié de réserve au cours des débats et de condition dans la résolution de ratification, n’oblige pas le Panama à négocier un tel accord et encore moins à le conclure : il a été adopté pour des motifs tenant à la procédure d’approbation des traités et ne modifie pas, pour l’instant, la substance de l’article V du traité. On peut aussi soutenir que cet amendement vise à avertir les tiers, spécialement les Etats accédant au protocole, de la possibilité d’une présence militaire des Etats-Unis au Panama après l’an 2000 : ces Etats ne pourront invoquer une violation de l’article V, vu qu’ils ont connaissance, dès maintenant, d’une telle éventualité146.
94L’obligation imposée au Panama consiste à ne pas autoriser le stationnement de forces armées étrangères sur son territoire. Sous l’ancien régime, le Panama aurait pu inviter des troupes étrangères sur son territoire, à l’extérieur de la Zone du canal : la présence des forces armées des Etats-Unis sur les rives du canal rendait cette possibilité illusoire. La même faculté est octroyée au Panama jusqu’en l’an 2000. Le Panama n’a d’ailleurs pas l’intention de remplacer les troupes des Etats-Unis par d’autres, ou d’avoir simultanément des forces armées de plusieurs pays sur son sol. Son objectif était d’être libéré de la présence militaire des Etats-Unis ; pour ce faire, il a dû accepter que le vide causé par le départ des Etats-Unis ne soit pas comblé par d’autres forces jugées inamicales par Washington. Vu l’amendement apporté à l’article V, le Panama ne peut avoir sur son territoire que ses propres troupes et, si un accord intervient, celles des Etats-Unis.
95Le fait demeure que, pour la première fois, le stationnement de forces armées étrangères au Panama est interdit par voie conventionnelle147 : cette interdiction est sans précédent dans l’histoire contemporaine. Les Etats-Unis ont atteint leur objectif, soit éviter que le contrôle et la défense du canal ne tombent sous la domination d’une puissance étrangère148. On admet toutefois que le système établi par l’article V modifié n’empêche pas le stationnement temporaire de troupes étrangères, si c’est sous le commandement nominal des autorités militaires panaméennes149. De même, des manœuvres temporaires conduites sur sol panaméen ne contreviendraient pas à l’article V, dans la mesure où ces exercices temporaires ne se transformeraient pas en habitude. De toute évidence, la couleur politique des forces invitées au Panama revêtirait une importance décisive : le Département de la Défense ne serait pas mis en alerte si les gardes pontificaux étaient invités à faire miroiter leurs hallebardes dans les eaux paisibles du canal.
96Il est illusoire de tenter de prévoir l’état des relations entre le Panama et les Etats-Unis à la fin du siècle, de même que la situation politique au Panama. La présence militaire des Etats-Unis sera peut-être maintenue après l’an 2000 et rien ne sera changé. En particulier, des considérations d’ordre économique pourront militer en faveur du maintien des bases américaines en territoire panaméen. Si l’on s’en tient à l’article V du traité, la défense et la protection du canal seront en principe assurées exclusivement par le riverain. Il s’agit de ce que l’on peut appeler la sécurité ordinaire du canal, celle envisagée pour le temps de paix ou, plus justement, pour les périodes de stabilité politique. La Garde nationale panaméenne a la tâche de maintenir l’ordre public dans la République, y compris aux abords du canal : ses effectifs réduits et ses moyens limités ne lui permettent pas de faire face à des situations exceptionnelles ; elle ne peut assurer que la police du canal.
97Si une situation exceptionnelle survient, le traité de neutralité n’accorde pas de possibilité de choix au Panama qui devra souscrire au retour momentané des forces armées des Etats-Unis. Les Etats-Unis et le Panama se sont engagés, à l’article IV du traité, à maintenir le régime de neutralité. Nous verrons que ce système de garantie autorise les Etats-Unis à protéger et à défendre le canal en réponse à un appel à l’aide du Panama, en l’absence de cet appel, ou même en dépit d’une opposition du Panama.
D. Le champ d’application spatial
1. Le futur canal à niveau
98L’article premier du traité de neutralité applique le régime de neutralité à tout autre canal qui pourrait être construit partiellement ou entièrement dans le territoire de la République. Manifestement, ce membre de phrase fait référence au projet de percement d’un canal à niveau. Si ce canal doit être creusé, il le sera certainement entièrement en territoire panaméen ; la conclusion d’un nouveau traité serait sans doute nécessaire à cet effet, mais le cadre conventionnel général serait préétabli : l’interprétation donnée par les Etats-Unis au traité de neutralité et la pratique subséquente devraient être des facteurs importants dictant l’acceptation ou le refus par le Panama d’un tel canal. L’expérience indique que les Etats-Unis seraient peu disposés à construire un canal pour en confier exclusivement la gestion au Panama. De même, les Etats-Unis ne sauraient se désintéresser de la sécurité de l’œuvre. Par conséquent, l’article premier du traité de neutralité est, pour les Etats-Unis, une assurance sur le futur car la construction d’un tel canal ne serait pas entreprise dans un vide juridique.
99Si d’aventure le canal n’était que partiellement construit en territoire panaméen, la situation serait différente : rien n’obligerait le troisième Etat à souscrire à un tel régime. Cette disposition de l’article premier est cependant symptomatique d’une tradition plus que séculaire, celle de légiférer pour des Etats tiers en traçant un cadre normatif à l’intérieur duquel devra s’insérer un Etat non partie au traité originel.
2. La mer territoriale
100Le traité de neutralité déclare que le canal sera perpétuellement neutre et, en son article III, alinéa 2, spécifie que le terme « canal » aura l’acception attribuée par l’Annexe A audit traité. L’annexe définit le canal comme étant le canal actuel, ses accès et les eaux territoriales adjacentes de la République de Panama, telles que délimitées dans la carte annexée. Cette carte englobe une étendue de mer territoriale d’une largeur d’environ 3 milles.
101La largeur définie par la carte ne correspond pas à celle des eaux territoriales du Panama. En effet, le 18 décembre 1958, le Panama étendit à 12 milles la limite de sa mer territoriale150, ce à quoi firent objection les Etats-Unis qui précisèrent que cette extension n’affectait pas leurs droits relatifs au canal, conformément à l’article XXIV du traité de 1903151. Cette loi prévoyait toutefois qu’elle serait appliquée conformément aux traités en vigueur, de sorte qu’aucun problème n’était à craindre152. Une nouvelle extension porta cette limite à 200 milles le 2 février 1967153. Dans ces conditions, on doit se demander quel est le régime applicable entre la zone des 3 milles couverte par le traité et la limite de la haute mer : pour les Etats-Unis, la liberté de la haute mer régit cet espace, tandis que pour le Panama il s’agit de la règle du passage inoffensif. Nous avons vu que ce passage peut être temporairement suspendu, de sorte que le libre transit par le canal pourrait être affecté par une mesure prise par le Panama.
102Cette hypothèse n’a pas échappé à l’attention et, au cours d’un hearing, il fut proposé qu’il conviendrait plutôt d’appliquer le régime du traité de la limite de la haute mer dans l’Atlantique à celle de la haute mer dans le Pacifique154. Il est vrai que cette solution eût été, à première vue, préférable, le Panama se trouvant ainsi dans l’impossibilité de suspendre le droit de passage inoffensif. Le fait que la limite de la mer territoriale soit fixée à 12 ou 200 milles et ne soit pas reconnue par les Etats-Unis ou d’autres Etats n’aurait alors eu aucune importance. A la réflexion, il n’est pas certain qu’une telle suggestion soit heureuse. Le Panama peut certes appliquer la règle du passage inoffensif avec possibilité de suspension dans la zone comprise entre 3 et 200 milles ; toutefois, il doit encore posséder les moyens de faire respecter sa législation : avec une marine de guerre s’apparentant plus à une flottille de pirogues qu’à une escadre de cuirassés, le Panama serait dans l’impossibilité matérielle de suspendre efficacement le passage inoffensif dans toute la zone des 200 milles. En outre, l’adoption d’une telle disposition aurait obligé les Etats-Unis à garantir le régime de neutralité jusqu’à la limite des 200 milles, ce qui aurait constitué une tâche onéreuse en période de conflit armé. Vu que l’extension de la mer territoriale à 200 milles par le Panama n’est pas opposable aux Etats-Unis, ces derniers peuvent se contenter de garantir le régime à l’intérieur de la zone des 3 milles. Hors de cette zone, les navires ennemis n’auront aucune protection, tandis que le Panama élèvera de vigoureuses protestations diplomatiques auprès des Etats-Unis en raison de la violation de sa souveraineté. Le Panama est tenu de respecter le traité et d’accorder le libre transit ; il est libre d’adopter les mesures de son choix hors de la zone couverte par le traité, à condition de ne pas violer ses engagements internationaux : ces derniers l’obligent à accorder le libre transit une fois qu’un navire entre dans la zone couverte par le traité155.
103Les Etats-Unis peuvent toutefois se fier à l’intérêt économique du Panama pour s’attendre à ce que ce dernier n’applique pas, dans la zone de mer territoriale non couverte par le traité, des mesures vexatoires ou gênantes à l’égard des navires désireux de franchir le canal. Même si la règle du passage inoffensif s’applique au-delà de la zone couverte par le traité, les modalités d’octroi de ce passage ne doivent pas compromettre l’accès au canal, du moins en temps de paix, rendant ainsi illusoire le droit de transit prévu par le traité. En temps de guerre, la législation panaméenne, quelle qu’elle soit, ne pourrait être mise en œuvre vu que les Etats-Unis ne concèdent l’accès qu’aux navires agréés par eux.
3. L’isthme de Panama
104Dans l’article II du traité de neutralité, le Panama déclare la neutralité du canal afin que « le canal, et par conséquent l’isthme de Panama, ne soit pas l’objet de représailles dans tout conflit armé entre d’autres nations du monde. » Ce libellé appelle quelques commentaires.
105Selon les Panaméens, les Etats-Unis auraient voulu que le Panama déclarât qu’il s’en tiendrait à la neutralité en toutes circonstances. Le Panama affirma que c’était impossible en cas de désordres internes ou d’attaque du canal par un tiers Etat, ce à quoi les Etats-Unis auraient souscrit, voulant éviter qu’un article du traité dise que le Panama n’était pas tenu de respecter le régime de neutralité en cas de troubles internes156. Cette argumentation est quelque peu confuse et spécieuse : en effet, elle confond le régime de neutralité du canal et la politique de neutralité qu’adopterait le Panama au cours d’un conflit armé international. Le canal est neutre en tout temps, dans les conditions prévues par le traité, quelle que soit la situation politique interne du Panama : si des troubles internes, une révolution ou des émeutes surviennent au Panama, le régime de neutralité du canal n’en est pas affecté ; le libre transit doit être assuré. En revanche, si un conflit armé survient – ce conflit serait international vu le libellé du traité – plusieurs situations doivent être distinguées. La première est celle où le conflit armé oppose des Etats autres que le Panama et les Etats-Unis. En ce cas, le Panama serait neutre et ce statut lui permettrait de faciliter une mise en œuvre effective du régime de neutralité du canal, dans la mesure où les Etats-Unis eux-mêmes seraient neutres. La deuxième situation, également couverte par le traité, est celle où les Etats-Unis sont engagés dans un conflit armé et où le Panama demeure à l’écart des hostilités : le régime de neutralité du canal s’applique théoriquement, car l’expression « autres nations » inclut les Etats-Unis. Ce régime ne sera cependant respecté que par les Parties au traité de neutralité et au protocole. Toutefois, si les Etats-Unis interviennent au Panama pour protéger le canal, comme le traité les y autorise, le Panama aura quelque peine à faire admettre la crédibilité de sa propre neutralité dans le conflit opposant les Etats-Unis à un tiers. Enfin, si le Panama est attaqué par un autre Etat, le Panama affirme à bon droit qu’il ne peut plus être neutre, ce qui est évident ; mais il semble prétendre aussi qu’il n’est plus tenu de respecter le régime de neutralité du canal : cette prétention est grave et mérite d’être sérieusement examinée.
106Si le Panama est engagé dans un conflit armé, l’article II in fine du traité de neutralité ne couvre pas cette hypothèse et nous pourrions conclure que le régime de neutralité du canal ne s’applique pas. Le Panama serait en droit de repousser une attaque extérieure par les moyens de son choix et serait habilité, par exemple, à refuser le transit aux navires ennemis, voire à clore le canal. Une telle solution n’était certes pas envisagée par les négociateurs, mais elle ne contredit pas la règle posée à l’article II selon laquelle le canal est sûr et ouvert en temps de paix comme en temps de guerre au transit pacifique des navires. De plus, nous verrons dans l’examen du système de garantie que les Etats-Unis ont le droit, voire le devoir, d’aider le Panama s’il est attaqué par un tiers Etat, attaque qui mettrait en péril la sécurité du transit.
107Enfin, si le Panama est en guerre avec les Etats-Unis, la situation est pour le moins confuse : le Panama ne serait pas tenu par le traité de neutralité tandis que les Etats-Unis devraient veiller à ne pas faire du canal un objet de représailles : cette solution contradictoire est illogique. En réalité, le traité de neutralité est fondé sur l’hypothèse de la persistance de relations normales – une coexistence pacifique plutôt qu’une coopération fraternelle – entre les deux Etats. Si tel n’est pas le cas, on pourrait conclure que le traité de neutralité est suspendu ou ne s’applique pas. En fait, les Etats-Unis pourraient toujours se fonder sur le traité pour préserver le libre transit contre la volonté du Panama : la disproportion des forces en présence ne laisse subsister aucun doute sur l’issue du débat et du combat. Le Panama arguerait certes de la violation du traité en raison des mesures adoptées par les Etats-Unis pour assurer le libre transit ou prendrait appui sur son droit au maintien de son existence en tant qu’Etat pour justifier la fermeture du canal. La seule conclusion est que le traité ne prévoit pas l’éventualité d’une guerre entre les Parties contractantes, ce qui est pour le moins étrange pour un traité de neutralité : le traité Clayton-Bulwer de 1850, à cet égard, avait au moins le mérite d’envisager cette hypothèse, ce qui était aisé du fait que la neutralité en question s’appliquait à un territoire qu’aucune des deux Parties à l’accord ne possédait. Cette conclusion démontre aussi que les Parties ont à nouveau succombé au piège des mots, la neutralité du canal n’étant qu’un leurre, sciemment ou inconsciemment apposé sur les yeux des Parties et des tiers : une protection déguisée en neutralité ne peut éviter les conséquences attachées à la relation entre le protecteur et le protégé, celui-ci ne pouvant que faire cause commune avec celui-là, quel que soit le qualificatif dont est assortie leur relation.
108Une deuxième observation a trait à l’usage du terme « représailles ». Les représailles sont « des mesures de contrainte, dérogatoires aux règles ordinaires du droit des gens, prises par un Etat à la suite d’actes illicites commis à son préjudice par un autre Etat et ayant pour but d’imposer à celui-ci, au moyen d’un dommage, le respect du droit. »157 L’exercice de représailles, armées en l’espèce, suppose la commission d’un acte illicite par le Panama, ce qui n’est pas envisagé par le traité qui fait référence à un conflit armé entre d’autres nations du monde. Le terme est donc particulièrement mal choisi et on voulait sans doute dire que le canal, et par conséquent l’isthme de Panama, ne devait pas être l’objet d’attaques.
109Enfin et surtout, ce n’est pas seulement le canal qui ne peut être l’objet d’attaques mais, indirectement, l’isthme de Panama tout entier. Le Panama a prétendu que la neutralité ne s’applique pas seulement au canal, mais à la République de Panama, contrairement aux vœux des Etats-Unis158. Cette affirmation est à première vue surprenante dans la mesure où le traité ne mentionne pas spécifiquement la République de Panama, mais l’isthme. Il faut se souvenir cependant que, déjà lors de la conclusion du traité Bidlack-Mallarino de 1846, l’isthme de Panama se confondait avec les limites territoriales de la province panaméenne qui devint ensuite indépendante : géographiquement, l’isthme de Panama est la République. Le fait que seul l’isthme soit mentionné obéit à une préoccupation particulière : la neutralisation est appliquée à un territoire et non à un Etat ; un changement dans la situation politique de l’Etat – annexion ou fusion – ne devrait pas modifier le statut de l’isthme.
110Cet effet indirect de la neutralisation d’une voie d’eau internationale sur le statut de l’Etat riverain suscite la réflexion sur les rapports entre une neutralisation territoriale partielle et celle d’un Etat tout entier. La neutralisation d’une voie d’eau est singulièrement dénuée de signification si l’Etat riverain est en guerre ou prend des mesures de légitime défense. Il serait contraire au bon sens élémentaire et à la logique juridique d’escompter qu’un Etat s’abstiendrait de prendre des mesures à l’égard du canal s’il est l’objet d’une attaque, malgré l’existence d’un traité international neutralisant le canal. La neutralité permanente d’un canal n’est possible que si l’Etat riverain lui-même est neutre au cours d’un conflit armé international. Cette neutralité permanente du canal est en outre crédible et possède les meilleures chances de respect si l’Etat riverain s’engage, à l’avance, à ne pas prendre part à des hostilités : la neutralisation permanente de l’Etat territorial est le plus sûr moyen d’atteindre ce résultat. La question est donc de savoir si le Panama peut prétendre à bon droit que le traité produit un tel effet. Selon le Panama, il est évident que la neutralité du canal sera surtout effective en période de guerre ; toutefois, en la déclarant permanente, on évite que l’isthme de Panama soit l’objet d’attaques et cette neutralité permanente de la République devient une bénédiction, à l’exemple du statut de la Suisse, alors qu’auparavant ce statut était un tourment159. Certains sénateurs eux-mêmes ont émis des propos analogues : en acceptant de ne pas avoir de troupes étrangères sur son sol, le Panama se neutralise entièrement160 ; de même, une attaque dirigée contre le canal serait une attaque contre une nation neutre161.
111Le souhait d’une neutralisation permanente du Panama n’est pas nouveau162. En même temps, se pose la question du conflit entre cette neutralisation désirée et le fait que, par sa situation géographique, le Panama – ou à tout le moins le canal – existe surtout pour le bénéfice économique, militaire et politique des Etats-Unis. Une première étape consisterait pour le Panama à déclarer sa neutralité permanente : cette déclaration unilatérale serait insuffisante pour créer un régime de neutralisation permanente. Dans une seconde phase, la déclaration devrait être acceptée par la communauté internationale, au moins par les membres permanents du Conseil de Sécurité et, si possible, par les pays de l’hémisphère occidental ; ces pays accepteraient la déclaration panaméenne et s’engageraient à respecter ledit régime. Un tel régime entraînerait notamment les droits et devoirs suivants : le Panama ne pourrait conclure d’alliance militaire avec un Etat étranger, même dans le but limité de protéger le libre transit par le canal ; le Panama ne serait pas autorisé à permettre le maintien de bases militaires étrangères sur son sol ; le Panama n’accepterait une aide militaire des Nations Unies ou d’autres Etats que pour préserver sa neutralité ; une garantie du régime de neutralité devrait être multilatérale et non être assurée par la protection accordée par un seul Etat ; seul le Panama serait en droit de décider s’il faut faire appel ou non à l’aide des garants ; le Panama ne perdrait pas la faculté d’exercer son droit de légitime défense, quoique la possibilité d’exercer ce droit serait plus rare dans la mesure où les Etats tiers respecteraient leur engagement.
112Il est manifeste que le traité actuel n’aboutit pas à neutraliser le Panama. Certes, le fait de ne pas porter d’attaques contre le canal a pour conséquence de mettre indirectement le Panama à l’abri d’une guerre, mais cette protection est insuffisante : on peut concevoir une attaque dirigée contre le Panama et qui ne porterait pas atteinte au libre transit ; en outre, si les Etats-Unis sont belligérants, les adversaires feront peu de cas d’une neutralité du canal qui procure un avantage militaire important aux Etats-Unis. Par conséquent, l’engagement préalable du Panama de demeurer neutre et la reconnaissance de cet engagement par la communauté internationale seraient les possibilités pour le Panama d’atteindre son objectif-rêve.
113La situation actuelle ne permet pas d’envisager une neutralisation du Panama, à tout le moins jusqu’au siècle prochain : comment prendre au sérieux la neutralité permanente d’un pays où séjournent près de 10 000 hommes en armes d’une puissance étrangère ? Où la principale voie de communication du pays est administrée par une agence d’un pays étranger ? Où cette voie est d’un intérêt stratégique important, voire vital, pour ce même Etat étranger ? Où cette voie serait ouverte, en cas de guerre, aux navires d’un seul groupe d’Etats ? Où les navires de guerre d’un Etat étranger auraient une priorité de transit ? Cette neutralité très bienveillante est inacceptable.
114Une modification est-elle envisageable au siècle prochain ? Le Panama gérera seul le canal et les forces armées étrangères auront quitté son sol ; néanmoins, le droit de transit prioritaire subsistera, de même que l’importance stratégique du canal pour les Etats-Unis ; en outre, nous verrons que le système de garantie est incompatible avec un régime de neutralité permanente digne de ce nom163. Nous reviendrons dans nos conclusions sur cette question : pour l’heure, contentons-nous de relever qu’au siècle prochain le Panama pourra tout juste se borner à rester neutre dans un conflit armé auquel prendraient part les Etats-Unis, et encore les Etats-Unis ont-ils la possibilité d’intervenir au Panama ; les Parties au protocole d’accession respecteront leur engagement, dans la mesure où ils estimeront que les Parties au traité se conforment à sa teneur. Au surplus, le Panama serait impuissant à détourner des attaques du canal, attaques qui seraient dirigées contre une position stratégique des Etats-Unis. La neutralité permanente doit être établie dans l’intérêt général, et cet intérêt général fait défaut en l’espèce. Il faut en outre que les tiers aient confiance dans la crédibilité de la neutralité, élément qui n’existe pas non plus dans notre cas. Le but recherché par la déclaration panaméenne dans l’article II du traité de neutralité n’a pas été atteint : il s’agit d’un vœu pie et il ne pouvait en être autrement.
E. Le règlement des différends
115Sous l’ancien régime, le Panama s’était plaint à de multiples reprises de l’absence de clauses relatives au règlement pacifique des différends. Nous avons vu que le traité relatif au canal de Panama contient un article dévolu à cette question164 ; il n’en va pas de même du traité de neutralité qui est muet à ce propos.
116La raison en est que l’attention a surtout porté sur la garantie du régime de neutralité et le droit de recours unilatéral à la force des Etats-Unis en cas d’atteinte au régime. Comme ledit régime comprend tout le traité, toute violation du traité serait en même temps une violation du régime et serait « réparée » par la mise en œuvre du système de garantie, rendant superflu tout mode de règlement pacifique des différends. Ainsi, aucune distinction n’est établie entre la violation du traité et l’atteinte au régime, ni entre les atteintes portées à ce régime par les Etats tiers et par le Panama ou par les Etats-Unis : partant de l’hypothèse que, des deux Parties au traité, seul le Panama pourrait en violer les dispositions, le recours à la force par les Etats-Unis était suffisant.
117Une telle argumentation n’est pas satisfaisante. En effet, elle ne distingue pas entre, d’une part, les atteintes portées au régime de neutralité par les Etats tiers, situations où le système de garantie s’applique, et, d’autre part, les questions d’interprétation de dispositions litigieuses du traité et les cas de violation réelle ou présumée du traité par les Parties. Il est vrai que les problèmes les plus épineux surgiront au regard du maintien du régime : une attaque dirigée contre le canal par un Etat tiers appelle la mise en œuvre du système de garantie. Une atteinte au régime de neutralité par le Panama ou les Etats-Unis n’entraîne pas obligatoirement le recours à la force : encore faut-il déterminer si cette atteinte existe réellement ; en ce cas, un différend relatif à l’interprétation du traité existe et doit être préalablement tranché. L’hypothèse n’est pas académique : si les Etats-Unis utilisent la force contre le gré du Panama pour protéger la neutralité du canal et que l’Etat territorial prétend que cet usage est contraire au traité, le différend existe. La croyance généralisée que seul le Panama violera le traité est une fiction fermement ancrée, mais n’est qu’une fiction : dans le passé, la seule fois où le trafic fut perturbé fut lors d’une grève des employés de la Compagnie en 1976, grève à laquelle ne participèrent pas les employés panaméens165. Un sénateur a certes prétendu en 1977 que le Panama avait violé onze fois le traité en deux ans166, sans apporter cependant le début d’une preuve. On peut envisager une violation du régime de neutralité par les Etats-Unis, rendant inefficace le recours au système de garantie et nécessaire la mise en place d’un mécanisme de règlement pacifique des différends.
118Il est vrai que les Etats-Unis estimaient, et estiment toujours, que le canal de Panama est d’un intérêt vital pour leur sécurité nationale ; de ce fait, tout différend à son propos n’est pas justiciable. De son côté, le Panama ne semble pas avoir insisté pour obtenir l’insertion de dispositions relatives au règlement pacifique des différends. Néanmoins, des divergences d’interprétation existent dès maintenant et ne peuvent être résolues par les armes. Si au siècle prochain le Panama hausse les droits de péage et que les Etats-Unis jugent que l’augmentation n’est pas juste, équitable et conforme aux principes du droit international, l’intervention armée n’est pas un remède. De même, le refus du droit de transit en certaines circonstances, une controverse sur le sens du droit de transit expéditif ou du droit d’intervention doivent être résolus pacifiquement : la politique de la canonnière n’est pas un remède adéquat et acceptable. Même si toute violation du traité par une Partie constitue une violation du régime de neutralité, le fait est que la question de savoir si la violation est réelle ou n’existe que dans l’esprit d’une des Parties doit être résolue pacifiquement.
119Il fut suggéré, au cours des débats du Sénat, de réintroduire dans le traité une clause relative au règlement des différends qui avait été acceptée en 1975 par le Panama167. Cette clause avait la teneur suivante : « Dans l’hypothèse d’une menace à la neutralité ou à la sécurité du canal, les Parties se consulteront au sujet des efforts communs et individuels en vue d’assurer le respect de la neutralité et de la sécurité du canal, par de moyens diplomatiques, par la conciliation, la médiation, l’arbitrage, la Cour internationale de Justice ou tout autre moyen pacifique. Si de tels efforts sont inadéquats ou se révèlent tels, chaque Partie prendra toute mesure diplomatique, économique ou militaire jugée nécessaire, conformément à sa procédure constitutionnelle. » Selon l’ancien Secrétaire-adjoint à la Défense, cette clause donnait aux Etats-Unis un droit unilatéral d’intervention sans contestation possible et sans les incertitudes créées par le traité actuel168. L’auteur de ce commentaire estimait sans doute que seule la seconde phrase du projet d’article était relevante et que les moyens pacifiques étaient, a priori, jugés inadéquats. Relevons que ce projet d’article ne faisait pas la distinction entre la violation du régime – par les Parties ou un Etat tiers – et les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application du traité par les Parties.
120La proposition de 1975 fut reprise au cours des débats du Sénat mais fut écartée. Le motif de rejet fut que la protection des intérêts américains était mal assurée par un recours aux modes pacifiques qui ne feraient que retarder l’adoption de mesures plus énergiques169.
121On s’inquiéta également de l’absence de clause relative au règlement pacifique des différends à l’occasion d’un amendement tendant à faire prévaloir le texte anglais sur le texte espagnol en cas de divergences170, amendement écarté pour deux raisons : en cas de conflit d’interprétation, l’opinion de la Partie la plus forte prévaut, de sorte que les Etats-Unis n’ont rien à craindre ; il serait déraisonnable de se soumettre à l’arbitrage obligatoire d’un tiers alors que les moyens d’imposer son point de vue existent171. Le second motif est que le traité relatif au canal de Panama, en son article XIV, institue un mécanisme de règlement pacifique pour les différends s’élevant au sujet du traité du canal de Panama et des accords y relatifs, cette dernière expression englobant à n’en point douter le traité de neutralité qui est le frère siamois du traité relatif au canal de Panama : par conséquent, l’article XIV s’applique aussi au traité de neutralité172.
122Laissons de côté le premier argument qui n’a pas place dans une discussion juridique. Le second argument est en revanche intéressant par les erreurs qu’il contient : tout d’abord, l’article XIV n’existe que dans un traité et non dans deux ; si les Parties avaient entendu prévoir un mode de règlement pacifique pour le traité de neutralité, elles auraient inséré une clause expresse à cet égard. Ensuite, les accords y relatifs auxquels fait allusion l’article XIV se réfèrent aux accords complémentaires au traité relatif au canal de Panama, en particulier les accords d’exécution des articles III et IV et leurs annexes ainsi que les divers échanges de notes. Enfin, le traité relatif au canal de Panama prend fin en 1999, de sorte que, même en acceptant ce second argument, il n’y aurait plus de mode de règlement pacifique au siècle prochain173.
123Après avoir pris connaissance de l’interprétation donnée par le Panama aux diverses modifications apportées par le Sénat au traité de neutralité, un sénateur mit l’accent sur l’inconvénient résultant de l’absence de clause relative au règlement pacifique des différends : à son avis, vu que le Panama sera souverain, il décidera librement de l’interprétation à donner au traité. Si le Panama viole le traité, les Etats-Unis ne pourront utiliser la force, étant donné que le mouvement de troupes en territoire étranger serait une affaire intérieure du Panama, tout comme l’interprétation du traité. La seule possibilité serait le recours à un moyen pacifique, auquel le Panama ne serait pas tenu d’accéder. Selon ce même sénateur, l’interprétation d’un traité est toujours une affaire interne lorsqu’elle affecte la souveraineté territoriale et les autres Etats ne peuvent que se plier à l’interprétation donnée par le souverain174. Sans doute n’est-il pas nécessaire d’insister sur certaines faiblesses de l’argumentation ; néanmoins, ce commentaire met en lumière le fait que l’interprétation et l’application du traité par les Parties peuvent engendrer des divergences qui nécessiteront une solution pacifique. Il ne suffit pas d’affirmer, comme le fait le Panama, que ces différends feront l’objet de négociations diplomatiques175 : en cas de crise entre les Etats-Unis et le Panama, il est à craindre que ces négociations prennent place après un règlement non pacifique du différend.
124Dans les circonstances actuelles, tout recours à la CIJ semble exclu176. Le Panama a accepté la juridiction de la Cour sans formuler de réserves, tandis que les Etats-Unis ont adopté la réserve Connally177 : même si l’application du traité de neutralité ne saurait être considérée comme une affaire intérieure des Etats-Unis178, il est patent que la réserve Connally permet toutes les interprétations, même les plus audacieuses179. La saisine de la Cour par voie de requête unilatérale demeure toutefois possible : ce serait à tout le moins un moyen d’attirer l’attention sur l’existence du différend et de manifester le souci de vouloir régler le différend par des moyens pacifiques. Ajoutons que le recours à l’arbitrage obligatoire aurait pu être prévu dans le traité180, ce mode de règlement se révélant actuellement plus attractif que le recours à la CIJ et permettant une plus grande souplesse de manœuvre.
125En conclusion, un mode de règlement pacifique, quel qu’il fût, aurait dû être incorporé dans le traité de neutralité. Certes, les Parties restent soumises à l’article 2, chiffre 3, de la Charte des Nations Unies par lequel les membres « règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger. » L’histoire des relations internationales révèle qu’il est plus judicieux de prévoir un mécanisme de règlement pacifique avant la survenance d’un différend plutôt que de négocier un compromis après l’ouverture du différend. Une telle solution aurait présenté des avantages pour les deux Parties et il est à souhaiter que les Etats-Unis et le Panama comblent cette lacune.
F. Conclusion
126A ce stade de l’étude, les conclusions ne peuvent être que fragmentaires et sectorielles. En effet, le régime de neutralité du canal ne peut être dissocié de sa garantie qui en est la pierre angulaire, lui donne sa véritable signification et en fixe les limites.
127Des appréciations ont été faites lors de l’examen de chaque particularité du contenu du régime et suscitent quelques réflexions générales.
128On a dit que le régime de neutralité se définissait par le fait de garder le canal ouvert, sûr, accessible et efficace, conformément au traité181. Il est nécessaire d’ajouter que ce régime sera mis en œuvre non seulement conformément au traité, mais surtout conformément aux diverses modifications apportées au traité, modifications que l’on doit interpréter en tenant compte de la pratique suivie des origines à 1979. Ainsi, lorsqu’il est dit que le canal sera ouvert en temps de paix et en temps de guerre aux navires de commerce et de guerre de toutes les nations, l’extension de la liberté de transit par le canal est purement théorique : cette extension n’en est pas une, du fait que les Etats-Unis ont les moyens de contrôler les accès au canal ; de ce fait, le régime de neutralité ne garantit pas l’accès au canal. La liberté d’accès à une portée essentiellement technique : les abords du canal et le chenal doivent être soigneusement entretenus afin qu’aucun obstacle géographique ne soit posé aux navires désireux d’emprunter la voie d’eau.
129La liberté de transit en temps de guerre n’existe pas de manière généralisée. Si les Etats-Unis sont en guerre, le même refus sera signifié aux navires ennemis que lors des deux premières guerres mondiales ; le Panama est certes le souverain du canal et doit, selon le traité, assurer la liberté de transit, mais il sera empêché de remplir son obligation. En effet, si le Panama est en guerre contre un Etat tiers, le traité en dit trop et pas assez ; il en dit trop en maintenant l’obligation d’octroyer le droit de transit à tous les navires, ce qui est irréaliste ; il n’en dit pas assez en omettant de préciser que le Panama est habilité à prendre les mesures appropriées à sa défense. Enfin, si les Etats-Unis et le Panama sont en guerre, hypothèse où par excellence le régime de neutralité devrait sortir tous ses effets, le traité est muet.
130Il a été prétendu que les principes d’égalité et de non-discrimination n’ont pas subi d’altérations182. Cette affirmation est sujette à caution. Il est vrai que ces principes ont été maintenus, mais avec des exceptions plus sérieuses que sous l’ancien régime ; en particulier, le droit de transit prioritaire accordé aux navires de guerre des Etats-Unis et du Panama est une exception dont l’utilité est contestable.
131La souveraineté et le contrôle exclusifs du Panama ne sont exclusifs qu’en apparence. Les Etats-Unis seront en mesure, ou ont l’espoir, d’exercer de multiples contrôles sur l’avenir de la voie d’eau : contrôle du montant des taux des droits de péage ; contrôle de l’utilisation des revenus de l’exploitation du canal ; contrôle des éléments à prendre en considération dans la fixation des taux. Le Panama peut certes déclarer qu’il n’a pas eu, et n’aura pas, voix au chapitre pour fixer les taux jusqu’en l’an 2000 et qu’après cette date il n’autorisera personne à avoir voix au chapitre183 ; encore faut-il que les Etats-Unis accèdent à une telle interprétation du traité.
132Les divergences d’interprétation entre le Panama et les Etats-Unis sont nombreuses : à chaque réserve ou amendement adopté par le Sénat, le Panama déclarait que rien n’était modifié au traité, ce qui suscita le commentaire que le Panama se moquait des travaux du Sénat184. A ces divergences s’ajoutent les silences du traité sur certains points cruciaux : clôture du canal en cas de non-rentabilité ; droit du Panama d’adopter des mesures de légitime défense ; compétences du Panama à l’intérieur de sa zone de mer territoriale ; sort du traité en cas de conflit armé entre le Panama et les Etats-Unis. L’absence de clause expresse relative au règlement pacifique des différends est une faiblesse du traité, faiblesse caractéristique des relations entre les deux pays.
133L’ambiguïté est constante, soit dans le traité par l’usage de termes impropres ou imprécis, soit dans les déclarations des Parties qui ont donné chacune une interprétation particulière du traité. Ce n’est pas sans raison qu’un sénateur a déclaré : « la rédaction du traité eût été meilleure si elle avait été confiée à un étudiant de deuxième année d’un établissement, et je ne fais pas allusion à un établissement psychiatrique185. » Cette ambiguïté volontaire est source d’espoirs mal fondés pour le Panama et de satisfaction pour les Etats-Unis : espoirs mal fondés au regard d’un changement profond du régime antérieur et d’une neutralisation de l’isthme ; satisfaction pour les Etats-Unis de n’avoir sacrifié qu’un symbole et préservé les intérêts de la sécurité nationale, tout en espérant qu’ils ne seront plus considérés comme une puissance coloniale.
134Au-delà de ces divergences et contradictions, que devient la neutralité du canal ? Les Parties se sont entendues, a-t-on déclaré, pour ne pas neutraliser entièrement le canal et s’accorder quelques avantages réciproques186. La politique du passé a été consolidée dans les relations entre les deux Etats et a abouti au maintien de ce régime bizarre où la neutralité n’est qu’un leurre, un paravent et un abus de langage.
135L’usage du terme « neutralité » n’est qu’un leurre parce que le traité est conçu pour l’hypothèse de relations normales entre les Parties : de façon très significative, il fut proposé d’obliger le Panama à respecter la doctrine Monroe, voulant éviter que le Panama aide une puissance européenne ou un de ses satellites à étendre sa sphère d’influence en Amérique latine187. Si une portion de territoire est neutralisée, cela signifie que les Parties à l’accord s’abstiennent de tout acte hostile dans cette aire géographique au cas où elles prendraient les armes l’une contre l’autre : cette dernière hypothèse, que l’on ne peut exclure à tout jamais, est passée sous silence dans le traité.
136L’usage du terme « neutralité » n’est ensuite qu’un paravent du fait que le régime est établi essentiellement pour le bénéfice d’une seule Partie. En effet, la neutralité a été détournée de son sens car tout le système est finalement dirigé contre le riverain : on a voulu se prémunir de toute surprise désagréable de la part du Panama. En général, un régime de neutralisation est établi et garanti contre un danger extérieur, ce régime existant dans l’intérêt du souverain territorial et de la communauté internationale. Dans notre cas, le régime est certes défendu contre l’extérieur, mais aussi contre le souverain et en faveur de l’autre Partie au traité.
137Enfin, l’emploi du terme « neutralité » n’est qu’un abus de langage : nous verrons au chapitre suivant que le régime de neutralité présente des analogies avec un traité de garantie, d’alliance ou de protection, dans ses parties relatives à la défense contre une attaque extérieure. Il présente aussi des caractéristiques uniques du fait qu’il est également un traité de sauvegarde des intérêts d’une Partie contre les atteintes portées à ces intérêts par l’autre Partie à l’accord. Les intérêts du commerce international n’ont pas pesé d’un grand poids dans la mise en place d’un système de garantie : il fallait préserver les intérêts économiques et militaires d’une des Parties, en tout temps. Cette circonstance explique que la neutralité du canal de Panama ne peut être que bilatérale dans sa définition et son acceptation, et, en cas de controverse, unilatérale dans sa mise en œuvre.
Notes de bas de page
1 Voir par exemple Hearings before the Com. on For. Rel., part. 4, p. 81.
2 Cf. Smith, R., “Beyond the Treaties: Limitations on Neutrality in the Panama Canal”, Yale Studies in World Public Order, vol. 4, 1977, pp. 1-37, spéc. p. 4.
3 Il est d’ailleurs révélateur que toutes ces propositions octroyaient aux Etats-Unis la responsabilité principale d’assurer la sécurité du canal.
4 Voir ci-dessous, pp. 176-177.
5 Report, p. 74.
6 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 1, pp. 217 et 248 ; ibid., part. 4, p. 79.
7 Voir ci-dessous, pp. 173-176.
8 Voir ci-dessus, p. 90, notes 165 et 166.
9 Voir en particulier Rubin, A., “The Panama Canal Treaties: Locks on the Barn Door”, The Year Book of World Affairs, vol. 35, 1981, pp. 181-193. Voir aussi Werchan, op. cit., pp. 310-311.
10 Discours du 19 août 1977 de l’Ambassadeur Bethancourt à l’Assemblée nationale : Proposed Panama Canal Treaties, Hearings, p. 565.
11 Voir les auteurs cités par Rousseau, Ch., Droit international public, tome I : Introduction et sources, Paris, Sirey, 1970, p. 416 ; voir aussi Rubin, A., “The International Legal Effects of Unilateral Declarations”, AJIL, vol. 71, 1977, pp. 1-30 ; Sicault, J.-D., « Du caractère obligatoire des engagements unilatéraux en droit international public », RGDIP, vol. 83, 1979, pp. 633-688 ; Venturini, G., « La portée et les effets juridiques des attitudes et des actes unilatéraux des Etats », RCADI 1964 (II), vol. 112, pp. 364-467.
12 CPJI, Série A/B N° 53, affaire du Groënland oriental ; CIJ Recueil 1974, p. 253, Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt du 20 décembre 1974.
13 La déclaration Ihlen était plutôt une réponse à une demande danoise et ne fut pas considérée par la CPJI comme une source d’obligations, mais simplement comme une preuve, parmi d’autres, de la reconnaissance par la Norvège de la souveraineté danoise sur le Groenland oriental.
14 Le passage pertinent de l’arrêt de la Cour est le suivant : « Il est reconnu que des déclarations revêtant la forme d’actes unilatéraux et concernant des situations de droit ou de fait peuvent avoir pour effet de créer des obligations juridiques. Des déclarations de cette nature peuvent avoir et ont souvent un objet très précis. Quand l’Etat auteur de la déclaration entend être lié conformément à ses termes, cette intention confère à sa prise de position le caractère d’un engagement juridique, l’Etat intéressé étant désormais tenu en droit de suivre une ligne de conduite conforme à sa déclaration. Un engagement de cette nature, exprimé publiquement et dans l’intention de se lier, même hors du cadre de négociations internationales, a un effet obligatoire. Dans ces conditions, aucune contrepartie n’est nécessaire pour que la déclaration prenne effet, non plus qu’une acceptation ultérieure ni même une réplique ou une réaction d’autres Etats, car cela serait incompatible avec la nature strictement unilatérale de l’acte juridique par lequel l’Etat s’est prononcé. » CIJ Recueil 1974, p. 267.
15 Voir Bollecker-Stern, B., « L’affaire des essais nucléaires français devant la Cour internationale de Justice », AFDI, 1974, pp. 299-333 ; Elkind, J., “Footnote to the Nuclear Test Cases : Abuse of Right – A Blind Alley for Environmentalists”, Vanderbilt Journal of Transnational Law, vol. 8, 1976, pp. 57-98 ; Frank, T., “World Made Law: The Decision of the ICJ in the Nuclear Test Cases”, AJIL, vol. 69, 1975, pp. 612-620 ; Lellouche, P., “The Nuclear Test Cases: Judicial Silence v. Atomic Blasts”, Harvard International Law Journal, vol. 16, 1975, pp. 614-620 ; Sur, S., « Les affaires des essais nucléaires (Australie c. France, Nouvelle-Zélande c. France, CIJ – Arrêts du 20 décembre 1974) », RGDIP, vol. 79, 1975, pp. 972-1027.
16 Suy, E., Les actes juridiques unilatéraux en droit international public, Paris, LGDJ, 1962, pp. 110 et 111.
17 Voir à ce propos Hamlin, op. cit., p. 292.
18 Voir De la Rosa, D., “Further Comments”, The View From Panama, Morray (éd.), The Institute for Theoretical History, Monmouth, 1978, p. 86. Voir aussi Werchan, op. cit., p. 311.
19 Pour le texte, voir Mensbrugghe, Les garanties de la liberté de navigation dans le canal de Suez, pp. 397-399.
20 En ce sens, voir Molina, op. cit., p. 209.
21 Voir par exemple Hearings before the Com. on For. Rel., part. 4, p. 80.
22 Voir notamment Report, pp. 73 et 75.
23 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 1156.
24 Voir surtout le discours du 30 septembre 1977 du négociateur Lopez Guevara, Hearings before the Com. on For. Rel., part. 2, pp. 232-233.
25 Déclaration mentionnée sous note 10 ci-dessus, p. 565.
26 Voir ci-dessous, pp. 258 et ss.
27 Voir Hamlin, op. cit., p. 291, note 71.
28 Voir en particulier Fischer, Les Etats-Unis et le canal de Panama, p. 177.
29 Voir en particulier ci-dessous, note 73.
30 Voir ci-dessous, chapitre iii. Afin de bien comprendre la complexité de certains problèmes analysés dans ce chapitre, il est utile de donner un bref aperçu du système de garantie mis en place. Les deux Etats prennent en commun l’engagement de maintenir le régime de neutralité. Toutefois, chacune des Parties a le droit de prendre unilatéralement les mesures de son choix pour défendre le régime contre toute attaque ou menace qui lui serait portée, quelle que soit l’origine de l’attaque ou de la menace. Vu les modifications introduites par le Sénat et acceptées par le Panama, les Etats-Unis ont reçu le droit d’user de la force au Panama afin de maintenir le canal ouvert, neutre, sûr et accessible, recours à la force qui ne saurait être considéré comme un droit d’intervention dans les affaires intérieures du Panama ou une atteinte à son indépendance politique ou à son intégrité souveraine. Enfin, le système de garantie est complété par un protocole auquel peuvent accéder tous les Etats ; ce faisant, les Etats acceptent d’observer le régime de neutralité, sans que leur soit accordé un droit de regard sur la mise en œuvre du régime de neutralité qui demeure bilatérale.
31 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 3, p. 560.
32 Ibid., part. 1, p. 67 ; New Panama Canal Treaty, Hearing, p. 56.
33 Doc. on Am. For. Rel., 1974, pp. 51-52.
34 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 4, p. 79.
35 Voir aussi l’article iii, alinéa 1, lettre a, du traité de neutralité.
36 Proposed Panama Canal Treaties, Hearings, p. 565, déclaration du 19 août 1977 de l’Ambassadeur Bethancourt.
37 Recueil des Traités des Nations Unies, vol. 119, p. 3.
38 Ibid., vol. 21, p. 77.
39 Nous examinons ici la possibilité de fermer le canal et non seulement celle de l’interdire aux navires de certaines nations.
40 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 675, commentaire du Département d’Etat.
41 Voir l’exposé de la pratique chez Rousseau, Ch., Droit international public, tome IV : Les relations internationales, Paris, Sirey, 1980, pp. 565 et ss.
42 Le Secrétaire à la Défense rappela à ce propos la pratique suivie à l’aube de la seconde guerre mondiale : Proposed Panama Canal Treaties, Hearings, p. 248.
43 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 1, p. 4 ; Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 681-683 et 3882-3883.
44 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 1, pp. 34-35.
45 Compendium, p. 356.
46 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 2389-2390 et 2406.
47 Ibid., p. 2866. On suggéra aussi de refuser le passage aux navires ennemis non seulement en cas de guerre déclarée entre les Etats-Unis ou le Panama et un autre Etat, mais également en cas de belligérance, ce qui fut rejeté : voir ibid., pp. 3053, 3079 et ss, et 3132.
48 Ibid., p. 3154.
49 Ibid., p. 3130.
50 Ibid., pp. 3115, 3152-3153.
51 Voir ci-dessous, pp. 258 et ss.
52 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 1, pp. 25 et 137 ; Proposed Panama Canal Treaties, Hearings, p. 59 ; Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 1475 et 1577.
53 Proposed Panama Canal Treaties, Hearings, pp. 409-410 ; Panama Canal Treaty (Disposition of United States Territory), Hearing, part. 3, p. 101 ; au cours du même hearing, part. 3, p. 271, on reconnut cependant que les Etats-Unis avaient le droit d’interdire le transit des navires ennemis, alors qu’ils ne l’ont plus désormais.
54 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 3, p. 528.
55 Proposed Panama Canal Treaties, Hearings, p. 249.
56 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 1, p. 159.
57 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 2284 et 2360.
58 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 2, p. 71.
59 Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, document A/CONF.62/122, 7 octobre 1982, articles 3 et ss.
60 Voir à ce propos Panama Canal Trealies, US Senate Debate, p. 3129, ainsi que ci-dessus p. 99.
61 Panama Canal Regulations, § 131.13.
62 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 3, p. 676.
63 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 2270.
64 Cette solution n’est pas valable jusqu’à la fin de ce siècle en raison de la majorité des Etats-Unis au sein de la Commission du canal de Panama.
65 “El Embajador Mundt anotó que EUA necesitará estipulaciones adecuadas para el uso del canal por las naves de guerra de EUA y la exclusión del uso del canal por los enemigos de EUA en tiempo de guerra…
El Embajador de la Ossa reconoció la naturaleza sensitiva del asunto y observó que se reque-riria un lenguaje cuidadoso.” “Nuestra Luclia por la Soberanía”, Revista Lotería, nos 266-267, Panama, 1978, p. 145.
66 Voir Kiss, A.-C., Répertoire de la pratique française en matière de droit international public, vol. 4, Paris, 1962, pp. 160 et ss.
67 Article 16, alinéa 3, de la Convention de 1958 sur la mer territoriale ; voir aussi la loi panaméenne n° 42 du 3 octobre 1979 “por la cual se régula el tránsito de buques extranjeros por el mar territorial panameño”, Gaceta Oficial n° 18.935 du 26 octobre 1979.
68 Voir les articles 17 et ss de la convention mentionnée en note 59 ci-dessus.
69 Rousseau, Ch., Droit international public, tome IV : Les relations internationales, Paris, Sirey, 1980, pp. 402-421.
70 Voir ci-dessus, pp. 14-15 ; voir aussi Rousseau, op. cit. supra, pp. 482 et ss, ainsi que Reuter P., Droit international public, 5e éd., Paris, 1976, p. 313.
71 Voir note 22 ci-dessus et Klein, E., Statusvertràge im Volkerrecht. Rechtsfragen territorialer Sonderregime, Berlin, Heidelberg, New York, 1980, p. 220.
72 “Nuestra Lucha por la Soberania”, Revista Loteria nos 266-267, Panama, 1978, p. 126.
73 Voir par exemple l’exposé du délégué panaméen, M. Ozores, lors de la trentième session de l’Assemblée générale de l’ONU : « Bien que ce ne soit pas un détroit naturel, mais une voie d’eau fluviale, nous sommes conscients du rôle qu’il [le canal] joue dans les échanges pacifiques et le progrès de l’humanité et nous nous proposons, en vue de permettre un transit rapide et sûr de tous les navires du monde, un régime de grande liberté dépourvu de toute discrimination en même temps qu’un régime de neutralité permanente garanti par la communauté internationale…
Il ne fait aucun doute que, conformément au droit international, le canal de Panama, de même que le canal de Suez et le canal de Kiel, doit être subordonné à un corps général de normes d’application communes à cette catégorie de voies maritimes internationales, tout en relevant de la compétence des eaux territoriales traversées. En d’autres termes, le régime applicable à l’utilisation de ces voies, selon les opinions les plus autorisées, n’a pas pour objectif de soustraire le canal à la compétence de l’Etat riverain, mais d’imposer à ce dernier certaines obligations destinées à faciliter, sans discrimination aucune, le passage des navires marchands et de guerre de toutes les nationalités, en temps de paix comme en temps de guerre. » Procès-Verbaux de la 30e Session de l’Assemblée générale de l’ONU, A/PV.2373, pp. 31 et ss.
74 Baxter, The Law of International Waterways, pp. 251-259.
75 Compilation of Executive Documents, p. 1402.
76 Voir 35 CFR 61, 103, 113, 121 et 135.
77 Les navires de guerre ne sont pas soumis à cette obligation.
78 Ajoutons que l’égalité de traitement ne signifie pas que la priorité d’arrivée accorde une priorité de transit ; en particulier, les navires effectuant le transport régulier de passagers auront la priorité : 35 CFR 103.8.
79 Voir ci-dessus, Partie I, note 174 du chapitre ii.
80 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 3639.
81 En chiffres, les navires des Etats-Unis auraient acquitté un droit de péage de 1,34 dollar par tonne et les autres usagers 1,81 dollar, au lieu d’un tarif uniforme de 1,66 dollar : Cong. Rec. du 20 juin 1979, H 4821.
82 Le projet de loi de la Chambre des Représentants contenait un article imposant une surtaxe aux navires ne se dirigeant pas vers un port des Etats-Unis ou du Panama ou n’en provenant pas : US Code, Congressional and Administrative News, 96th Congress, Ist Session, 1979, Legislative History, vol. 2, p. 1145.
83 35 CFR 133.1 ; voir aussi 93 Stat. 452, § 1602, lettre a.
84 International Research Associates, Panama Canal Traffic and Revenue Study 1978-2000, Palo Alto, Californie, 1978, pp. III-5 et IV-10.
85 Cette hausse fut condamnée par l’OEA par seize voix contre une : Cong. Rec. du 1er novembre 1979, H 10.066.
86 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 4, p. 80.
87 Pour les chiffres, voir Compendium, p. 210.
88 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 3480.
89 Voir à ce sujet la Déclaration de Panama du 24 mars 1975 adoptée par les chefs d’Etat du Panama, de la Colombie, du Costa Rica et du Venezuela : The Caribbean Yearbook of International Relations, 1975, pp. 554-556.
90 Par exemple, le Sénateur Long estimait que sa déclaration interprétative explicitait le sens à attribuer à l’expression « principes du droit international », ce qui n’est pas évident. La déclaration fait surtout référence aux intérêts économiques des deux Parties ou seulement des Etats-Unis, intérêts particuliers qu’on ne saurait élever au rang de principes du droit international ; voir l’anama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 3640 et 3723.
91 Voir surtout Mack, op. cit., pp. 556 et ss ; voir aussi Berrios Herrera, op. cit., pp. 309 et ss.
92 L’amortissement de l’annuité versée au Panama représentait 500 000 dollars par an : Panama Canal Company, Canal Zone Government. Annual Reports, 1978, p. 29. Les frais du Gouvernement de la Zone variaient entre 21 et 23 millions de dollars par an : ibid., 1978, p. 138 ; ibid., 1977, p. 168 ; ibid., 1976, p. 136 ; ibid., 1975, p. 144. L’intérêt de l’investissement non amorti était de 18 à 20 millions de dollars par an : ibid., 1978, p. 29.
93 Affirmation du Sous-Secrétaire au Trésor, Solomon : Hearings before the Com. on For. Rel, part. 1, p. 399.
94 Lorsqu’un déficit de 8,2 millions fut enregistré en 1975, il était le résultat d’une modification du mode de calcul de la dépréciation de certaines installations entraînant un surplus de dépenses de 8,4 millions ; les bénéfices de 1977 et une partie de ceux de 1978 furent versés au Trésor afin de combler le déficit de 1976 : Panama Canal Company, Canal Zone Government. Annual Reports, 1975, pp. 25 et 34 ; ibid., 1977, p. 25 ; ibid., 1978, p. 25.
95 Contra : Ryan, op. cit., p. 79; Markup, p. 44.
96 93 Stat. 452, section 1602, lettre b.
97 Cong. Rec. du 21 mai 1979, H 3486.
98 Canal Operation, Hearings, pp. 389-390, 457, 911 et ss, 1386 et ss.
99 Cong. Rec. du 20 juin 1979, H 4816 et du 19 septembre 1979, S 12984.
100 On tenta par exemple de faire supporter au Panama ou d’inclure dans la formule de calcul des droits de péage les coûts de mise en œuvre des traités : une telle suggestion, qui violait le traité, ne fut repoussée par la Chambre des Représentants que par un écart de trois voix. Précisons que l’acquittement de ces coûts par le Panama aurait représenté près de 100 millions de dollars par an, soit une somme supérieure au total des bénéfices directs attribués au Panama par le traité. Voir Cong. Rec. du 21 juin 1979, H 4890 et 4892, du 20 juin 1979, H 4831-4849, du 21 mai 1979, H 3487 et du 11 juillet 1979, E 3518-3519 ; voir aussi Markup, pp. 14-18.
101 Report, pp. 193-194. Ces divergences existaient déjà lors des pourparlers préalables à la rédaction des projets de traités de 1967.
102 Nos italiques.
103 Communiqué du 25 avril 1978, Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 5952.
104 Actuellement, les dépenses des divers comités sont couvertes par les droits de péage, sauf celles de la commission conjointe de l’environnement et du comité consultatif du canal de Panama : Canal Operation, Hearings, p. 607.
105 Cette décision fut prise contre l’avis du Panama : ibid., p. 855.
106 On pourrait aussi prétendre que les bénéfices versés au Panama jusqu’en l’an 2000 sont une compensation pour les droits accordés par le Panama aux Etats-Unis et que ces sommes devront être exclues du calcul des droits de péage au siècle prochain, vu que le Panama sera le seul gérant. Il est vrai que l’article 14 du traité Hay-Bunau-Varilla envisageait l’annuité comme une compensation pour les privilèges accordés aux Etats-Unis ; néanmoins, tel n’est plus le cas sous l’empire des nouveaux traités : les versements sont effectués au Panama en raison de la mise à disposition du commerce international, par le Panama, de ses ressources nationales, mise à disposition qui est permanente, quel que soit le gérant.
107 Une étude entreprise en 1978 par International Research Associates montra que des augmentations des droits de péage de 20 % et 40 % provoqueraient des baisses de trafic de 4 % et de 9 % ; le Département du Commerce jugea ces chiffres excessifs, vu la dépréciation du dollar, l’accroissement de l’inflation et la hausse du coût du carburant. De nouvelles études furent effectuées et aboutirent aux résultats suivants : une hausse des droits de péage de 15 % entraînerait une baisse de trafic de 2 % et un accroissement des revenus de 13 % ; une hausse de 50 % entraînerait une baisse du trafic de 11,8 % et un accroissement des revenus de 33 %. Selon ces études, la hausse pourrait même être de 100 % sans porter atteinte à la compétitivité du canal. Voir surtout l’ouvrage cité en note 84 ci-dessus et Canal Operation, Hearings, pp. 526, 574, 575 et 1505. Voir aussi Economies Research Associates : Summary: Projections of Panama Canal Commodity Flows, Transits and Tolls through FY 1990, décembre 1980 (document fourni par la Panama Canal Commission).
108 On croit communément qu’une hausse est économiquement possible tant que le passage par le canal sera moins onéreux que celui par une autre route ; la réalité est différente et bien plus complexe : pour une excellente analyse, voir l’ouvrage cité en note 84 ci-dessus, pp. IV-1 à IV-10.
109 A l’opposé de tous ces calculs sur le taux maximum, il sied de se demander ce qui se passerait dans l’hypothèse où la gestion du canal révèlerait un déficit. Le Panama a le droit de prélever des droits de péage pour éviter tout déficit ; si une telle opération rend le canal non compétitif, nous ne discernons aucune obligation à la charge du Panama de subventionner le canal : la voie d’eau aurait prouvé désormais son manque d’utilité et le Panama serait en droit de la fermer. Il a été prétendu que si le canal n’est plus rentable, les Etats-Unis devront le subventionner jusqu’en l’an 2000, puis les Panaméens devront le faire : les Etats-Unis sont certes libres de subventionner le canal, tout comme le Panama, mais il n’y a aucune obligation ; de l’avis de l’Ambassadeur Linowitz, cette question du droit de fermeture en cas de déficit fut laissée hors du traité. Si la possibilité d’une fermeture du canal devait être sérieusement envisagée par le Panama, les intérêts stratégiques des Etats-Unis commanderaient peut-être que ces derniers accordassent au Panama, de façon directe ou indirecte, les moyens d’assurer l’ouverture permanente du canal. Sur cette question, voir Compendium, pp. 92 et 171 ; Canal Operation, Hearings, p. 880.
110 Voir cependant les craintes exprimées par Molina, La neutralidad en los tratados Torrijos-Carter, pp. 220 et 222 ; Sammartin, Tratado concerniente à la neutralidad permanente del Canal y al funcionamiento del Canal de Panama, p. 113. Selon l’auteur de la déclaration interprétative, si le Panama fixe des droits de péage auxquels les Etats-Unis ne veulent souscrire, ces derniers auront toujours le loisir, en dernier recours, de creuser un autre canal et d’y fixer les droits de péage de leur choix : Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 3721.
111 Compendium, pp. 406-407.
112 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 3808-3810.
113 Ibid., p. 5952, communiqué du 25 avril 1978.
114 On a prétendu que, par cette déclaration, les Etats-Unis ont voulu montrer leur volonté de contrôler à perpétuité la gestion du canal : Fischer, Les Etats-Unis et le canal de Panama, p. 157. Il est plus exact de reconnaître que cette déclaration n’a pas accordé de droits nouveaux aux Etats-Unis : comme ils sont les garants d’un régime de neutralité permanente, il est inévitable qu’ils possèdent une forme de contrôle permanent, au même titre que tout autre garant d’un régime de neutralité.
115 Villalobos, M., “A Treaty for Them”, The View from Panama, Morray (éd.), The Institute for Theoretical History, Monmouth, 1978, p. 63.
116 Contra : Hamlin, W., “Panama Canal. Legal Issues Involved in the Transfer of the Canal to Panama”, Harvard International Law Journal, vol. 19, 1978, p. 301, note 109, et p. 306.
117 Report, pp. 5-8 ; Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 3437.
118 On proposa que seuls les Etats-Unis décideraient de l’urgence : l’amendement fut écarté sous prétexte qu’un tel droit était implicitement contenu dans le traité. Une autre suggestion, plus modérée, n’eut pas plus de succès : chaque chef d’Etat aurait eu le droit de déterminer l’existence d’une urgence. Voir Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 3404, 3426, 3427 et 3435 ; Report, p. 7.
119 Compendium, p. 413 ; Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 3817.
120 Défense, Maintenance and Operation of the Panama Canal, Hearings, pp. 173-174.
121 Proposed Panama Canal Treaties, Hearings, p. 266.
122 Renchérissant sur cette dernière interprétation, on a affirmé imperturbablement que le droit de transit accéléré accordé au Panama était une concession consentie pour obtenir la réciprocité : Hearings before the Com. on For. Rel., part. 1, pp. 129-130. Voir aussi Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 3183.
123 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 1, p. 322.
124 Proposed Panama Canal Treaties, Hearings, p. 566, déclaration de l’Ambassadeur Bethancourt.
125 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 5949 et 5953. Le Panama a déclaré que son principal souci est que les navires de guerre quittent le plus rapidement possible son territoire afin qu’il ne soit pas l’objet d’attaques mettant en péril sa sécurité nationale ; en outre, il n’est pas désireux de supporter les conséquences sociales négatives provoquées par la présence des forces armées, comme ce fut le cas durant la seconde guerre mondiale ; voir ibid., p. 2832. L’assertion selon laquelle les Etats-Unis devaient s’arranger avec les autres navires pour pouvoir passer en tête de colonne fut contredite par l’Ambassadeur Linowitz, prétendant qu’elle ne reflétait pas l’opinion officielle du Panama et que des assurances avaient été données à cet égard au Département d’Etat : aucune preuve de l’octroi de ces assurances ne fut fournie ; voir Proposed Panama Canal Treaties, Hearings, p. 282 et Hearings before the Com. on For. Rel., part. 1, p. 57.
126 Voir aussi l’avis de Fischer, Les Etats-Unis et le canal de Panama, p. 176, selon lequel il s’agit d’une violation du principe d’égalité.
127 Proposed Panama Canal Treaties, Hearings, p. 38. Lors de leur transit accéléré, les navires de guerre et les navires auxiliaires des Etats-Unis (et du Panama) ont le droit de faire transiter n’importe quelle cargaison, notamment nucléaire, ce qui n’est pas le cas pour les navires des autres Etats ; ces derniers peuvent se voir interdire le transit d’une telle cargaison, dans la mesure où la sécurité du canal pourrait être affectée. Cette exception ne contredit pas l’accord d’exécution de l’article IV du traité relatif au canal de Panama qui, en son article IV, alinéa 6, interdit aux Etats-Unis de placer des armements nucléaires en territoire panaméen : le transit n’est pas assimilé à une installation durable sur le sol du Panama ; voir Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 624-625. Sur la question de la compatibilité du transit d’armes nucléaires au regard des dispositions du traité de Tlatelolco, voir Gross Espiell, H., “Los tratados sobre el canal de Panama y la Zona libre de armas nucleares en la America latina”, Estudios de derecho internacional, Homenaje al Profesor Miaja de la Muela, tome I, Madrid, Editorial Tecnos, 1979, pp. 669-686.
128 Ce droit de transit prioritaire peut facilement être mis en échec par des grèves, des lenteurs administratives, etc. Le seul remède pour les Etats-Unis consisterait à reprendre en main le fonctionnement du canal après avoir eu recours à la force ; voir Defense, Maintenance and Operation of the Panama Canal, Hearings, pp. 173-174.
129 Article 38, alinéa 2, de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer mentionnée ci-dessus en note 59.
130 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 3, p. 67.
131 Voir Sammartin, op. cit. sous note 110, pp. 126 et 153 ; Molina, ibid., pp. 254-255 et 277.
132 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 3088.
133 Un sénateur proposa de mettre les Etats-Unis au bénéfice du même privilège, ce qui fut refusé en raison de l’atteinte portée à l’interdiction de discrimination : ibid., pp. 3449 et 3455.
134 Les dispositions pertinentes de l’accord ont la teneur suivante : Article I : “A partir del mediodia, hora de Panama, del 31 de diciembre de 1999, la República de Panama otorgarà a la República de Colombia los siguientes beneficios :
1. El tránsito por el Canal de Panama de los productos naturales e industriales de Colombia, asi como de sus correos, libre de todo gravamen o derecho, salvo aquellos que en términos de igualdad se apliquen o pudieran aplicarse a los productos y correos de la República de Panama.
2. Los nacionales colombianos que transiten por la ruta interoceánica panamena, lo harân libres de la imposición de peajes, impuestos o contribuciones que no sean aplicables a los nacionales panameños, siempre que presenten prueba fehaciente de su nacionalidad.
3. El Gobierno de la República de Colombia podrá en todo tiempo transportar por el Canal de Panama sus tropas, sus naves y materiales de guerra, sin pagar peajes alguno.”
Article II : “La República de Panama permitirá a partir de la fecha de entrada en vigor del présente Tratado, siempre que esté interrumpido el tráfico por el Canal o cuando por cualquier otra causa sea necesario, el uso del ferrocarril entre las ciudades de Panamá y Colon, para el transporte por dicha vía o por cualquier otro ferrocarril que lo sustituya, de los agentes y empleados del Gobierno de Colombia, asi como de los correos y los productos colombianos, pagando los fletes y tarifas establecidos en las disposiciones internas en ese país.”
135 L’Assemblée nationale étant réticente à l’approbation du traité, l’Etat-Major de la Garde nationale réunit les membres de l’Assemblée pour les éclairer sur la nécessité d’approuver l’accord. La session ordinaire se termina le 11 novembre 1979 sans que le traité fût discuté : un ordre exécutif du même jour réunit l’Assemblée en session extraordinaire et le traité fut approuvé le 12 novembre par les membres réunis en « conclave ». La Colombie approuva l’accord le 9 décembre 1980.
136 Loi n° 2 du 25 novembre 1980, Gaceta Oficial n° 19211 du 5 décembre 1980. Pour une analyse du traité, voir Alfaro, R., El nationalismo panameño ante el reto de las negociaciones, Panama, 1977, pp. 33-35.
137 Gaceta Oficial n° 19153 du 11 septembre 1980.
138 Voir la Déclaration de Panama du 24 mars 1975 citée ci-dessus en note 89.
139 Compendium, p. 354 ; Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 1540-1541, 1573, 1756-1758, 1846-1854, 1948, 2014, 2025-2092.
140 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 2312.
141 Compendium, p. 358. Voir aussi la proposition de garder trois bases jusqu’en 2004 afin de se prémunir contre des attaques de terroristes panaméens : Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 2142-2143.
142 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 2980-3051.
143 Compendium, pp. 370-371. Cette suggestion était considérée comme un encouragement, adressé aux Panaméens, à conclure un tel accord : Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 3350.
144 Ibid., p. 3708. Cet amendement avait été écarté en un premier temps : Compendium, p. 372.
145 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 3510-3511.
146 Ces Etats ne pourraient de toute façon pas le faire puisque, comme nous le verrons, le protocole ne leur confère aucun droit supplémentaire ; voir ci-dessous, pp. 258 et ss.
147 Compendium, p. 24.
148 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 1, p. 700. Voir aussi Défense, Maintenance and Operation of the Panama Canal, Hearings, p. 253.
149 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 3841-3843.
150 Loi n° 58 du 18 décembre 1958.
151 Doc. on Am. For. Rel., 1959, pp. 510-511. Le Japon et la Grande-Bretagne protestèrent également contre cette mesure : Liss, op. cit., p. 59. Pour la réponse du Panama, du 21 janvier 1959, à la protestation américaine, voir Anuario de derecho, 1959-1960, n° 4, Panama, pp. 286-287.
152 Voir Baxter, The Law of International Waterways, p. 173.
153 Loi n° 31 du 2 février 1967, Gaceta Oficial n° 15803 du 14 février 1967. Cette extension ne porte pas atteinte au droit de passage inoffensif : Zacklin, R., “Latin America and the Development of the Law of the Sea: An Overview”, The Changing Law of the Sea. Western Hémisphère Perspectives, Zacklin, R. (éd.), Leiden, Sijthoff, 1974, p. 63.
154 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 4, p. 91.
155 Ces préoccupations ressurgirent lors de l’examen de la législation d’application : on estima qu’avec une extension probable de la limite de la mer territoriale à 12 milles et des garanties de navigation dans la zone économique de 200 milles, aucun problème majeur ne se posera. De fait, la situation ne sera guère modifiée, vu que le régime de neutralité ne couvrira toujours que la zone délimitée dans l’annexe A et les cartes ; voir Canal Operation, Hearings, p. 1621.
156 Proposal Panama Canal Treaties, Hearings, p. 566, déclaration du 19 août 1977 de l’Ambassadeur Bethancourt. Voir aussi Sammartin, op. cit. sous note 110, p. 114.
157 Ann IDI, 1934, p. 708.
158 Voir note 156 ci-dessus.
159 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 2, p. 233, discours du 30 septembre 1977 de l’Ambassadeur Lopez Guevara. Voir aussi nos observations relatives à la situation juridique qui résulterait de l’adoption de la Convention sur le droit de la mer.
160 Ibid., part. 2, p. 77.
161 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 2390.
162 Voir Castillero, P., “Significado y alcance de la neutralización de Panamá”, Panamá y los Estados Unidos de America ante el problema del Canal, Panama, 1966, pp. 383-388.
163 Voir ci-dessous, pp. 195 et ss.
164 Voir ci-dessus, pp. 141 et ss.
165 Ryan, op. cit., p. 90 ; Lafeber, op. cit., p. 212 ; Compendium, p. 32 ; US Interest in the Panama Canal, Hearings, p. 336.
166 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 92.
167 Ibid., p. 3270.
168 Defense, Maintenance and Operation of the Panama Canal, Hearings, p. 209.
169 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 3289, 3291-3292 et 3471.
170 Ibid., pp. 2103 et ss.
171 Ibid., pp. 2129-2130 et 2132.
172 Ibid., p. 2130.
173 Une autre proposition visait à introduire dans le traité une solution analogue à celle préconisée au sein de la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, à savoir soumettre à juridiction obligatoire les questions relatives au transit des navires de commerce et exclure celles ayant trait à la défense du canal. Cette « approche de l’art du possible » présente cependant quelques risques d’inefficacité, vu que les divergences essentielles seront précisément celles relatives à la défense du canal. Cette proposition fut présentée au cours d’un Hearing et reprise par un sénateur au cours des débats, mais sans succès : voir Hearings before the Com. on For. Rel., part. 4, p. 93 ; Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 2130, 3270-3292.
174 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 5863.
175 Fischer, G., « Le canal de Panama : passé, présent, avenir », AFDI 1977, pp. 745-790, spéc. p. 788.
176 Pitty Velasquez, op. cit. sous note 200 du chapitre i, p. 73 ; voir aussi Linares, J., Del recurso de nulidad de la convención del canal ístmico ante la Corte internacional de Justicia, Panama, 1975.
177 Annuaire des Nations Unies, 1946-1947, pp. 611-612.
178 Rappelons à cet égard que le Sénat a encouragé naguère la soumission à la CIJ des différends portant sur l’interprétation des traités, par la résolution S. 75 du 20 mai 1974 ; une résolution S. 74 du même jour précisait cependant qu’il ne fallait soumettre à la Cour que les différends n’affectant pas la sécurité nationale ou les intérêts vitaux des Etats-Unis. La soumission à la CIJ des différends eût pu être envisagée, vu que l’article 36, alinéa 2, lettre a, du Statut de la Cour reconnaît la juridiction de cet organe sur les différends ayant pour objet l’interprétation d’un traité ; toutefois, étant donné que les Etats-Unis considèrent le canal comme un élément de leur sécurité nationale, il est patent qu’une clause accordant juridiction obligatoire à la CIJ n’eût pas trouvé grâce. Pour le texte des résolutions, voir AJIL, vol. 69, 1975, pp. 246-247, avec un commentaire de Sohn, L., “Senate Resolutions Relating to the International Court of Justice”, ibid., pp. 92-96.
179 Voir à ce propos Crawford, J., “The Legal Effect of Automatic Reservations to the Jurisdiction of the International Court”, BYBIL, vol. 50, 1979, pp. 63-86.
180 Cette lacune pourrait être comblée par l’adoption d’un protocole, quoique l’opposition des Etats-Unis à toute forme obligatoire de règlement pacifique des différends soit difficile à surmonter dans le cas d’espèce.
181 Voir ci-dessus, note 32.
182 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 4, p. 79.
183 Ibid., part. 2, p. 233, discours du 30 septembre 1977 de l’Ambassadeur Lopez Guevara.
184 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, p. 5854.
185 Compendium, p. 193.
186 Hearings before the Com. on For. Rel., part. 1, p. 172.
187 Panama Canal Treaties, US Senate Debate, pp. 2507-2536.
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