2. Les architectes de l’utopie
p. 14-34
Texte intégral
1Il ne manque jamais d’auteurs et d’observateurs pour estimer que la grande révolution d’octobre 1917 avait brutalement interrompu et brisé pour un siècle le processus de démocratisation et de modernisation de la Russie. C’est la vision notamment d’un Soljénitsyne qui, sans pour autant ménager l’incompétence des tsars et autres seigneurs de la Russie, attribue le mal russe aux révolutionnaires et aux libéraux de tout acabit, aux bolchéviks en premier lieu1.
2Un auteur moins connu, décédé, Victor Léontovitch, avait écrit de son côté une Histoire du libéralisme en Russie2, faisant ressortir le progrès laborieux mais prometteur du libéralisme, avec une timide ébauche de société civile, jusqu’à la veille de la Première guerre mondiale. Soljénitsyne, qui en avait écrit la préface, jugeait « particulièrement instructive pour nous la distinction méthodiquement établie par l’auteur entre libéralisme et radicalisme », ce dernier l’ayant emporté sur le premier « pour le plus grand malheur de notre développement ».
3Des sons de cloche différents ne font pas défaut. Nicolas Berdiaiev déjà attribuait les malheurs de son pays au caractère « oriental » du communisme russe, conforme par ailleurs au caractère oriental de la Russie et à son malheur d’avoir manqué sa Renaissance.
4Nous reviendrons sur ce débat sans fin dans le chapitre suivant. Retenons ici que deux écoles s’affrontent mais que ni l’une ni l’autre ne nie le « retard russe » par rapport à l’Occident (même si certains constatent l’apparition d’une société civile) ; tous sont unanimes à constater, à des degrés divers, la responsabilité des bolchéviks pour ce qui est de la destruction de ladite société. Une destruction, ajoutons-le, qui n’avait pas respecté l’adage selon lequel on ne détruit pas impunément sans opérer un remplacement… Or le bolchévisme, dès l’époque de Lénine, n’a rien proposé pour remplacer les structures sociales, politiques et culturelles détruites, sinon l’organisation sociale ersatz du totalitarisme.
5Par conséquent, même en admettant la thèse d’une Russie « orientale », « asiatique » (dixit Lénine lui-même) et retardataire –, nous tenterons de nuancer nos propos au chapitre suivant –, la révolution bolchévique et son prolongement stalinien se sont révélés le principal artisan du démantèlement total de la société civile plus ou moins développée (selon les avis) avant 1917. A propos de ce constat, il est impossible de ne pas chercher à savoir si et dans quelle mesure la doctrine marxiste porte, elle aussi, une part de responsabilité.
6Cela dit, il n’est pas question d’intenter ici le procès du marxisme, mais seulement d’explorer les lignes de faille sur lesquelles, en raison de la rencontre malencontreuse d’une utopie de libération avec une stratégie volontariste, le glissement vers la négation de la liberté s’est produit.
7Dans la cinquantaine de volumes de Marx et Engels, on trouve sans doute de nombreux développements et affirmations permettant des interprétations diverses. Le Goulag n’y figure certainement pas, même si le lecteur pourrait être tenté, au vu de la fascination qu’exerce la terreur révolutionnaire sur Marx, de tracer une ligne de continuité. Le marxisme n’en reste pas moins dans son essence une doctrine de libération via l’émancipation du plus grand nombre, la suppression de l’aliénation des producteurs et la construction de la société sans classes, sans exploitation de l’homme par l’homme. Propos élémentaires qui n’ont pas manqué de susciter l’enthousiasme de plusieurs générations de révolutionnaires en quête d’un monde où règne la justice sociale grâce à l’exploitation et la distribution rationnelles des ressources et à l’organisation judicieuse de la société et de l’Etat.
8Un Etat, – tout le monde connaît le mot d’Engels – « qui n’en est pas un ». L’on connaît également divers développements de cette formule qui a fait couler beaucoup d’encre depuis la polémique de Marx avec Bakounine au sujet de l’Etat jusqu’à l’Etat et la révolution de Lénine et les interprétations auxquelles cet opuscule de 1917 avait donné lieu. En fait, deux utopies – et pas tout à fait contradictoires – s’étaient heurtées de plein fouet. Pas tout à fait contradictoires, disions-nous, parce qu’elles se rencontrent dans le projet nébuleux d’un autogouvernement de la société, un système universel, sans frontières, sans autorité ni contraintes autres que les règles de la civilisation. C’est cela qui amena Engels à considérer que l’évolution plusieurs fois centenaire de l’Europe occidentale et centrale « préparait le seul terrain où serait possible un jour la revendication de l’égalité humaine, des droits de l’homme ».3
9Tandis que chez Marx et Engels « le saut dans la liberté », tant sur le plan politique qu’économique, ne pouvait se produire qu’à l’issue d’une longue période de transition incluant la dictature du prolétariat, dans la vision de Bakounine il devait se réaliser dans l’immédiat, par une sorte de destruction universelle du pouvoir par la révolution. Chez les premiers l’Etat meurt de mort lente, il « dépérit » ; chez Bakounine il est « aboli » et cède sa place, comme chez Proudhon, à la fédération des communes autonomes. Le seul moment de rapprochement entre les deux conceptions est celui de la Commune de Paris. Mais il s’évanouit rapidement. Un an après, au Congrès de La Haye de 1872, Marx préfère laisser mourir l’Internationale en l’exilant aux Etats-Unis que de céder à la pression des tendances, notamment blanquiste, grandies dans l’expérience parisienne.
10La divergence se traduit également dans la conception opposée des frères ennemis au sujet de l’organisation du mouvement ouvrier à l’époque de la Première Internationale. Tandis que pour Bakounine, chaque section ou « cellule » du mouvement devait garder son entière liberté d’action, pour Marx la garantie de la victoire du combat révolutionnaire résidait dans l’unité d’action, de programme et de forme d’organisation. Quoique ce grand débat n’entre pas directement dans notre sujet, il présente deux aspects importants pour l’évolution future. L’un concerne les perspectives du « parti », l’autre celles du pouvoir étatique du prolétariat victorieux, post-révolutionnaire4.
11Quant au parti, concept encore vague pour l’usage international (“Unsere Partei”, dans l’esprit de Marx, désignait les gens du même bord, sans plus, mais en perspective il devait prendre une forme d’organisation cohérente), il connut son essor sous sa forme social-démocrate, en dehors du cadre de l’Internationale moribonde. Marx, et Engels davantage, parce que témoin du succès fulgurant du Parti social-démocrate allemand, ont misé sur sa marche triomphale vers le socialisme plus que sur une internationale révolutionnaire chimérique, et davantage aussi sur son caractère de masse que sur son caractère d’élite, sur son pouvoir d’attraction que sur sa puissance de frappe grâce à l’action d’une avant-garde de révolutionnaires professionnels.
12Le lien entre le concept – rapidement mis en pratique – du parti léninien, ce parti fer de lance, et le concept du parti des pères fondateurs se révèle par conséquent ténu. L’on décèle certes chez Marx une tendance à l’autoritarisme et à l’intolérance (que Bakounine et ses condisciples ne manquent pas de lui reprocher), ainsi que la vague idée d’une organisation ouvrière à direction centralisée entre les mains de son état-major, un état major bien tenu par Marx lui-même jusqu’à la désintégration de l’Association après la chute de la Commune. Une sorte de « centralisme démocratique » avait donc bel et bien effleuré l’esprit de Marx, mais l’échec de son entreprise et la montée simultanée du principe d’organisation social-démocrate y avaient mis fin. Il n’en sera pas question jusqu’à l’apparition de Lénine avec son projet d’organisation de parti d’avant-garde, développé dans Que faire ?
13Malgré quelques références à Marx et Engels, dont un long passage de ce dernier sur la supériorité théorique des ouvriers allemands par rapport aux autres, Lénine déclare fièrement et sans ambages qu’il puise ses principes dans la tradition révolutionnaire russe. Par ailleurs, il connaissait très peu l’activité de ses maîtres à penser allemands sur le terrain de la pratique. La plupart des textes sur l’Internationale (et même sur la révolution de 1848) n’étaient pas publiés. Donc, contrairement à des auteurs de nos jours qui publient des pavés sur Marx sans rien savoir de l’homme d’action, Lénine ne pouvait pas le connaître. Toutefois, l’eût-il mieux connu, il est permis de croire que sa source d’inspiration serait restée le sol russe et notamment Tchernychevski à qui il emprunta délibérément le titre de son opuscule. Aussi ne récuse-t-il l’accusation de suivre la trace des “narodovoltsy” (ceux de la Narodnaïa Volia, organisation terroriste et conspiratrice comptant son frère parmi ses membres) que pour corriger l’imprécision de ses accusateurs, tout en déclarant que pareille accusation n’avait « rien que de flatteur pour nous ». En fait, déclare-t-il, « l’excellente organisation que possédaient les révolutionnaires de 1870-1880 et qui devrait nous servir de modèle à tous (souligné par nous) » avait été créée avant la scission de deux tendances, ce qui n’empêche cependant que « toute tendance révolutionnaire, si elle vise sérieusement à la lutte, ne peut se passer d’une organisation de ce genre.5 » Et Lénine de justifier aussi le caractère conspiratif, tout compte fait non démocratique de son organisation. Ce qui est possible en Allemagne ne l’est pas, dit-il, pour un parti clandestin comme le russe ; secret, sélection rigoureuse des membres, discipline, absence de publicité – tout se justifie aux yeux de Lénine par l’impératif révolutionnaire.
14Si, à propos du parti, instrument privilégié de la prise du pouvoir, Lénine semble plus proche de Blanqui que de Marx, sa conception du rapport entre Etat et société le rapproche en revanche davantage de Bakounine… En tout cas en apparence, et seulement jusqu’à la révolution d’Octobre. Ce rapprochement avait été fait par de nombreux auteurs sur la base de l’ouvrage théorique principal de Lénine à ce sujet, à savoir L’Etat et la Révolution. Après d’innombrables interprétations de cette brochure rédigée à la veille de la révolution bolchévique, nous n’avons nullement la prétention d’apporter des éclairages nouveaux, mais seulement de nous en servir comme point de repère pour quelques réflexions sur la société civile.
15Plus que jamais avant ou après, Lénine renoue dans cet écrit avec l’héritage anti-étatique de Marx et Engels. Ou, plus précisément, avec leur théorie de l’Etat qui permet deux lectures contradictoires ; la première mettant l’accent sur le dépérissement de l’Etat comme condition nécessaire à (ou épiphénomène de – la question n’est pas tranchée) la transformation de la société de classes en société sans classes ; la seconde, soulignant la nécessité de la célèbre phase « intermédiaire » de la dictature du prolétariat. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, du point de vue purement théorique il n’y a pas là de véritable contradiction parce que l’Etat prolétarien transitoire amorce déjà le futur, il n’est pas un Etat comme les autres… Il n’empêche que du temps du conflit avec Bakounine et de celui de Lénine, puis jusqu’à nos jours, le caractère de « transition » a provoqué plus de heurts que son hypothétique dépérissement dans un avenir incertain.
16Et cela bien évidemment parce que le postulat théorique ne repose que sur le “wishful thinking”, selon lequel la disparition du capitalisme et, avec lui, de l’exploitation de l’homme par l’homme finira par rendre inutile le maintien de cet appareil coercitif et bureaucratique qu’est l’Etat.
17Ceci s’avère aussi nécessaire pour mettre fin à la division entre gouvernants (comme classe politique) et gouvernés (comme société « civile ») et permettre à tout un chacun de s’épanouir.
18Outre le doute jeté sur ce projet légitimement considéré comme utopique par ses détracteurs, d’autres motifs nourrissent également la polémique autour de la théorie marxienne de l’Etat. Car, même si cet Etat était transitoire et de nature différente de l’Etat bourgeois, il devrait revêtir un caractère centralisateur par excellence. Hostiles au fédéralisme ainsi qu’à toute sorte de particularisme, Marx et Engels s’imaginaient l’Etat de la dictature formé d’un seul bloc, pour des raisons à la fois d’efficacité et de visées prométhéennes, c’est-à-dire comme le creuset de la société auto-gouvernée et de l’homme nouveau.
19Le raisonnement présente une certaine logique. Dans l’hypothèse où, pour s’émanciper de toutes les entraves à la liberté, l’humanité passe nécessairement par celle du prolétariat, la dictature transitoire passe, elle, par un Etat à son image… ou la fiction de son image. L’Etat prolétarien préfigure le non-Etat où toutes les fonctions sont exercées, non par une classe de fonctionnaires, mais par personne (là où les mœurs garantissent la cohabitation pacifique) et par tout le monde (là où des fonctions purement administratives et d’harmonisation demeurent inévitables). Supprimer la division politique entre gouvernants et gouvernés revient à supprimer du même coup la division du travail plusieurs fois millénaire entre ceux qui dominent et ceux qui sont dominés. Le fédéralisme ne saurait alors que freiner cette mutation prométhéenne et perpétuer les particularismes nationaux, religieux, ethniques, culturels ou autres.
20Or, cet Etat unitaire, et uniforme quant à ses objectifs, ne manque pas de peindre sur la muraille, à l’intention de ses opposants, le spectre d’un nouveau despotisme exercé par une « bureaucratie rouge » (Bakounine dixit) et ses chefs de file. Donc, lorsque Lénine se réfère à la théorie de l’Etat qui se meurt, il se réfère en fait à une conception beaucoup plus complexe que ne serait la simple vision de la société communiste sans classes et sans Etat.
21Il n’empêche que la cible principale de l’opuscule L’Etat et la révolution était avant tout les « opportunistes » sociaux-démocrates, Kautsky en particulier, préconisant « l’acquisition » du pouvoir d’Etat par le prolétariat ou, en d’autres termes, la conquête du pouvoir étatique et non pas sa destruction. Les anarchistes ne sont visés par Lénine qu’en second lieu à cause de leur revendication de l’abolition immédiate du pouvoir.
22C’est cela qui avait donné lieu à l’interprétation excessive de la brochure de Lénine qui s’y serait montré un tantinet bakouniniste ou anarchisant ; cet opuscule, répétons-le, a été rédigé à la veille de la révolution bolchévique, à savoir en août-septembre 1917.
23Le fait est que Lénine s’appuie fortement sur les passages de Marx et Engels concernant le dépérissement de l’Etat et ses conséquences. Outre les extraits connus se référant aux enseignements de la Commune de Paris, Lénine cite aussi des passages moins connus tels que, par exemple, un écrit d’Engels mettant le modèle américain de l’autonomie communale au-dessus du modèle suisse. « Ainsi donc, écrit Engels, République unitaire… Mais pas dans le sens de la République française d’aujourd’hui qui n’est autre chose que l’Empire sans empereur fondé en 1798… » C’est au contraire le modèle américain qui montre comment organiser cette autonomie [celle de la Révolution] et comment on peut se passer de la bureaucratie… « Une semblable autonomie provinciale et communale comporte beaucoup plus de liberté que le fédéralisme suisse… »6
24Et Lénine d’ajouter que « la république centralisée vraiment démocratique offrait plus de liberté que la république fédérative ». La conclusion principale de Lénine réside sans doute dans la réaffirmation de son anti-fédéralisme (qui sera mise à l’épreuve dans la difficile gestation de la Constitution fédérative de 1922-1924 et qui connaît les débordements que l’on sait sous Mikhail Gorbatchev) ; néanmoins, le choix du passage cité d’Engels ainsi que l’accent mis dans toute la brochure de Lénine permettent cette lecture « anti-étatique », excessive, à quoi nous avons fait référence.
25Lecture excessive et interprétation erronée parce que même le corps central du texte de Lénine montre son aversion pour la démocratie et l’Etat pluraliste. Il a beau insister, dans le sillage de Marx, qu’il « ne faut au prolétariat qu’un Etat en voie d’extinction »7 et que, sur cette base, « l’immense majorité des fonctions du vieux “pouvoir d’Etat” se sont tellement simplifiées, et peuvent être réduites à de si simples opérations d’enregistrement, d’inscription, de contrôle, qu’elles seront parfaitement à la portée de toute personne pourvue d’une instruction primaire, qu’elles pourront parfaitement être exercées moyennant un simple “salaire ouvrier”... »8, remplies « par tout le monde à tour de rôle, pour ensuite devenir une habitude et disparaître enfin en tant que fonctions spéciales d’une catégorie spéciale d’individus »9 – tout cela n’est qu’un aspect de la vision de Lénine. L’autre aspect, qui n’est en rien anti-étatique, se trouve dans sa polémique contre les « opportunistes » en raison de leur programme préconisant la transformation du pouvoir étatique à la fois par la voie de la démocratie parlementaire et par l’institution d’un gouvernement majoritaire et d’un système politique et économique pluraliste10.
26Et s’il fallait encore un dessin pour rendre son idée principale plus claire, Lénine n’a pas manqué de le faire… après coup. Après la révolution d’octobre. Le lecteur ne s’en aperçoit qu’en lisant la petite note en bas de page du chapitre ii, point 3, intitulé « Comment Marx posait la question en 1852 ». D’ailleurs, ajouté dans la seconde édition de la brochure en décembre 1918, ce paragraphe 3 précise que « celui-là seul est un marxiste qui étend la reconnaissance de la lutte des classes jusqu’à la reconnaissance de la dictature du prolétariat »11.
27La réponse de Marx de 1852 s’appliquait, en effet, à la question qui intéressait, avant toute chose, le Lénine de 1918, chef incontesté de la révolution bolchévique. Les dates ont leur importance. Dans le texte de 1852 de Marx, cité par Lénine, le théoricien du communisme déclare, à la fois modeste et triomphal, que ce qu’il « fit de nouveau » n’était pas la découverte de la lutte des classes, mais 1) le lien entre les classes et les « phases du développement historique de la production », 2) l’aboutissement nécessaire de cette lutte « à la dictature du prolétariat » et enfin, 3) que cette dictature elle-même « ne constitue que la transition à l’abolition de toutes les classes et à une société sans classes »… (mots soulignés par Marx). La doctrine marxiste allait encore connaître des développements importants, mais ce résumé extrait d’une lettre de Marx à son ami Weydemeyer, en constitue déjà le message politique principal. Son auteur ne s’en départira plus jamais.
28Quant au Lénine de 1918, théoricien sans envergure mais stratège génial de l’action révolutionnaire, cette thèse, dans sa brièveté, est une aubaine pour lui. Elle justifie le pouvoir absolu, placé au-dessus de toute loi (Lénine dixit) du groupe politique agissant pour le prolétariat au nom de l’Histoire écrite avec un grand H. Lénine ne demande rien de plus pour légitimer son action si ce n’est le caractère universel de cette légitimation, à savoir la préparation de la révolution mondiale.
29Ce bref aller-retour d’un texte à l’autre ne révèle rien qui n’ait déjà été dit cent fois par les historiens. Il était néanmoins utile de le rappeler pour mémoire, et pour partir à la recherche de ce qui n’avait pas été dit à ces occasions ni par Marx ni par Lénine. En effet, il est question dans ces textes d’Etat, de pouvoir, de dictature, de classes et aussi de société sans classes comme aboutissement du processus. Mais à la question de savoir ce qu’il adviendra de la société tout court, il n’y a pas de réponse. La société civile est le non-dit du projet millénariste. Quelles seront ses places, destinées et droits dans la maison construite par les architectes de l’utopie ? L’unique réponse fournie par l’histoire était l’inversion de la formule « il sera une fois une société sans classes » en « il sera une fois un Etat sans société ». Voilà la question que Marx n’avait pas posée en 1852, ni par la suite d’ailleurs. La société civile se trouve simplement évacuée tout d’abord de la pensée puis, par la suite, du socialisme réel, révolutionnaire et post révolutionnaire. Et cela à un point tel qu’elle ne pose pas problème pour les architectes, ils n’en parlent pas, ils l’ignorent jusque dans son existence. Presque innocemment dirait-on, tant la question paraît à leurs yeux incongrue, sans substance. En ce qui concerne Lénine, l’on peut même supposer qu’il n’en avait jamais entendu parler… Chez Marx, il n’aurait pas pu trouver ce terme et nous verrons pourquoi. Chez Rousseau, s’il l’avait cherché, il l’aurait certainement trouvé, mais l’aurait éliminé aussitôt de son horizon intellectuel, pour des raisons que nous essaierons également d’élucider. Quant à ses successeurs, tant russes que polonais, hongrois ou bulgares, ils pouvaient se dire, si jamais ils se livraient à ce genre de réflexion qu’on ne leur avait parlé de rien de semblable…
30Force est de constater par conséquent que, à la recherche de la société civile « perdue en route », il faut bien remonter une fois encore à Marx. Qu’en aura-t-il fait ?
31Après les interminables arguties sur le thème du marxisme et de l’Etat dans des centaines de livres marxistes, il nous paraît nécessaire de rappeler quelques points clairs et simples du débat. Car Marx, lecteur assidu des philosophes, n’ignorait rien du problème et, s’il l’a pour ainsi dire laissé tomber, cela doit tenir à des raisons essentielles de sa doctrine et non à des considérations peut-être « sophistiquées » mais marginales dans quelques écrits de jeunesse. Dans le marxisme de Marx et Engels arrivé à maturation (qu’on date généralement du Manifeste du parti communiste), il n’existe pas une conception explicite de société civile. Elle n’est pas une catégorie autonome de leur système de pensée, mais un ensemble, souvent difficilement saisissable, de concepts plus vastes tels que société, Etat, ou encore l’homme en tant que membre de l’espèce (Gattung) humaine. D’autre part pour désigner la société civile, Marx parle de « société bourgeoise » (Bürgerliche Gesellschaft). Les traductions françaises sont ainsi souvent trompeuses : il arrive qu’on trouve dans la même phrase « société civile » et « société bourgeoise » alternativement, tandis que Marx écrivait invariablement Bürgerliche Gesellschaft. A tel point que, même en parlant explicitement de la « vieille société », caractérisée par un mot, celui de « féodalité », Marx continue à utiliser le même vocabulaire : « L’ancienne société bourgeoise avait directement un caractère politique… » (Die alte bürgerliche Gesellschaft hatte unmittelbar einen politischen Charakter…)12. Mais le problème n’est pas seulement linguistique, loin de là.
32La société que Marx avait rencontrée était à ses yeux une société certes post-révolutionnaire, en France et en Angleterre, (non pas en Allemagne), mais en même temps celle d’une révolution partielle ou inachevée en raison de son caractère exclusivement politique. Elle avait constitué l’Etat politique, mais supprima dans le même mouvement le caractère politique de la société bourgeoise. Elle fit éclater cette dernière « en ses éléments constitutifs simples, d’un côté les individus, de l’autre les éléments matériels et spirituels qui constituent la substance vitale de la situation civique/bürgerliche Situation : ici, donc, civique ou civile/de ces individus »13.
33La révolution aurait, par conséquent, réussi l’émancipation politique et créé le citoyen tout en séparant celui-ci de sa nature générique individuelle. Le citoyen est la (nouvelle) personne morale tandis que l’individu, lui, demeure l’individu égoïste et indépendant, « l’homme non-politique », Marx dit même « l’homme naturel ». Or, la véritable émancipation humaine ne sera accomplie que lorsque cet homme individuel « aura reconnu et organisé ses “forces propres” [en français dans le texte allemand] comme forces sociales », c’est-à-dire lorsqu’il n’y aura plus de séparation entre le social et le politique14.
34Marx trouvera plus tard les idées directrices qui, par la lutte des classes et une autre révolution, conduiraient l’humanité vers l’accomplissement de son émancipation intégrale. Mais d’ores et déjà (les lignes citées de la Question juive datent de 1843), il ébauche la critique de la Révolution française et des Déclarations des droits de l’homme. « Le projet autour duquel tourne son esprit, écrit François Furet, est d’imaginer une nouvelle révolution, allemande celle-là, qui aurait pour fonction historique d’aller au-delà de l’émancipation française… La première [la révolution française] était celle du citoyen, la seconde [allemande] sera celle de l’homme »15.
35Cela vient aussi du fait, pensons-nous, que Marx, tout en citant Rousseau avec vénération, n’ait pas fondé sa critique et encore moins son ébauche de projet sur le Contrat social, ni d’ailleurs évidemment sur la critique libérale de Rousseau (Benjamin Constant notamment).
36Car le Rousseau du Contrat social, tout en admettant la nécessité d’une administration, un gouvernement dans lequel se trouvent les forces intermédiaires « du souverain à l’Etat », imagine un contrat social à l’intérieur d’un seul corps à savoir le corps de tous les citoyens. Ce qu’il cherche, c’est « une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant »16. On voit, écrit-il plus loin, que « l’acte d’association renferme un engagement réciproque du public avec les particuliers, et que chaque individu, contractant pour ainsi dire avec lui-même, se trouve engagé sous un double rapport ; savoir, comme membre du souverain envers les particuliers et comme membre de l’Etat envers le souverain »17.
37Les membres restent donc indissociables du tout.
38Selon Bertrand de Jouvenel, la grande innovation de Rousseau consistait à supprimer la personne ou l’institution à qui les droits de l’individu sont transférés, puisque le peuple crée « le droit total, la Souveraineté… sans la donner » et en reste « perpétuellement investit »18.
39On n’est pas loin de l’interprétation de J.L. Talmon qui, de son côté, veut démontrer que l’idée de la souveraineté une et indivise comme incarnation de la volonté générale « aboutit à la dictature d’une petite fraction de la nation »19.
40Quoiqu’il en soit, nous ne trouvons chez Rousseau ni le principe de la délégation du pouvoir du peuple à un corps politique particulier qui consacrerait la séparation entre société civile et société politique/Etat ni non plus, d’ailleurs, l’idée d’une ligne de séparation pratiquement invisible au sein d’un seul et même homme en tant qu’individu « générique » d’une part et citoyen de l’autre. Idée qui ne pouvait germer, chez Marx ou quiconque, qu’après l’expérience de la Révolution française. Et c’est cette expérience et son interprétation dualiste qui séparent Marx de Rousseau, quoique la réunification de l’homme, déchiré entre sa nature générique et sa citoyenneté, soit fortement présente dans l’utopie de la société sans classe de Marx.
41Cependant, pour les réunifier dans l’avenir (dans la société sans classes), il fallait d’abord montrer où résidait la séparation. Marx a fait cette démonstration plus d’une fois dans ses écrits d’avant 1848 notamment en ce qui concerne la division susmentionnée entre l’homme « générique » ou « naturel », individu égoïste de la société bourgeoise d’une part et, de l’autre, le citoyen né de l’émancipation politique. La séparation de la bourgeoisie de la communauté politique avait déjà commencé sous l’ancien régime20, mais « c’est seulement la Révolution française qui a achevé la transformation des ordres politiques en ordres sociaux » en changeant ces derniers « en différences de la vie privée, insignifiantes dans la vie politique. La séparation de la vie politique et de la société bourgeoise devint ainsi définitive »21.
42Dans le même écrit sur la critique du droit d’Etat de Hegel, il procède à nouveau à cette démonstration à propos de la Constitution qui ne serait rien d’autre qu’un arrangement (eine Akkomodation) « entre l’Etat politique et l’Etat non-politique » (zwischen dem politischen und unpolitischen Staat)22.
43L’Etat « non-politique » demeure dans la société civile (bourgeoise ou pré-bourgeoise), autrement dit dans la sphère privée composée d’individus égoïstes, tandis que l’Etat politique, lui, s’envole dans le monde des illusions. Selon l’interprétation de Furet de cet aspect de la Révolution chez Marx, « celle-ci représente l’apogée de l’esprit politique, c’est-à-dire de l’illusion caractéristique du politique : celui-ci croit pouvoir transformer la situation de la société civile, alors qu’il en est au contraire l’expression mystificatrice… La “nature anti-sociale” de la société civile est très exactement sa condition d’existence… »23
44Cet Etat politique annonce déjà, sans être identique, l’Etat de classe puisque, comme l’écrit Marx un peu plus tard en 1843, dans la Critique de la philosophie du droit de Hegel, la révolution politique, cette révolution partielle, émancipe seulement une partie de la société bourgeoise (à savoir la bourgeoisie elle-même) et celle-ci « parvient à la suprématie générale ». Parvenir à l’émancipation de tous, « à la reconquête totale de l’homme » sera la tâche d’une autre classe, celle du prolétariat24. Nous y reviendrons.
45L’on trouve chez plusieurs auteurs l’affirmation que Marx aurait trouvé le concept de la séparation de l’Etat politique d’avec la société civile chez Hegel qui l’aurait « découvert », pour la première fois en 1821, dans sa Philosophie du droit. Assertion basée notamment sur les écrits de Manfred Riedel déclarant que “in the classical world of the old politics” le politique et le civil “meant one and the same thing” –“communitas civilis sive politicae, as Thomas Aquinas or ‘civil or political society’, as John Locke put it”25.
46L’argument basé sur la terminologie ne nous paraît pas convaincant, mais il n’en reste pas moins vrai que Hegel avait établi une “conscious and explicit distinction between civil society and the state, and began using the former term systematically”, comme l’écrit Pelczynski26. Quant au “former term”, il s’agit bel et bien de la société bourgeoise équivalent pour l’auteur à société civile, comme la plupart du temps pour les traducteurs français de Hegel et de Marx. Cette pratique est discutable parce qu’elle livre à l’arbitraire du traducteur le choix de l’interprétation de l’expression „bürgerliche Gesellschaft“, soit dans son sens propre soit dans celui de société civile, mais admissible ne serait-ce qu’avec regret, pour rendre au lecteur non allemand la connotation « cachée » du terme.
47Hegel, lit-on plus loin dans le même ouvrage, avait donné en outre un sens éthique au concept d’Etat, considérant ce dernier comme une « communauté organique éthique » au sein de laquelle une classe spéciale de gouvernants (classe politique dominante) serait chargée du maintien de l’indépendance et de l’intégrité du tout éthique ainsi que de sa santé spirituelle. La société civile se trouve ainsi refoulée dans la sphère privée des intérêts individuels qui n’auraient de prépondérance qu’au détriment du principe éthique incarné dans l’Etat. « Chez Marx, écrit à ce propos François Furet, c’est l’inverse, par l’effet du retournement feuerbachien. Il existe une priorité de la société civile sur l’Etat, et c’est même cette priorité qui constitue par excellence la modernité. Car le réel, dans la civilisation moderne caractérisée par la dissociation société-Etat, c’est l’individu livré à ses besoins et à ses intérêts, c’est l’homme du marché »27.
48Pelczynski ne dit pas autre chose. “While retaining the state/society distinction, Marx rejected the view that the state was an all-inclusive political community with a distinct ethical character, and denied its primacy in social and historical life. He reversed the Hegelian relation of the two and made civil (or rather bourgeois) society the ground of political life and the source of political change”. Le troisième point de différence résumé par Pelczynski mérite d’être aussi cité car, comme il l’écrit, Marx avait en plus décomposé la très complexe société civile Hégélienne en la réduisant virtuellement à la sphère économique du travail, de la production et de l’échange28.
49On assiste donc chez Marx à un « renversement feuerbachien », un renversement qui annonce déjà la définition de l’Etat comme superstructure de la production capitaliste et en même temps comme le « reflet » de cette dernière et son instrument de domination. Dans le 18-Brumaire de Louis Bonaparte de Marx, l’avènement de Napoléon III semble, à première vue, faire exception à la règle théorique.
50Avec le coup d’Etat du 2 décembre 1851, « au lieu que la société elle même se soit donné un nouveau contenu, c’est l’Etat qui paraît seulement être revenu à sa forme primitive, à la simple domination insolente du sabre et du goupillon », écrit Marx29. Grâce à l’abdication des « bourgeois et épiciers », la conquête de « l’immense édifice d’Etat » devint, sous la République parlementaire, « la principale proie du vainqueur ». Depuis plus d’un demi-siècle, « toutes les révolutions politiques [c’est nous qui soulignons] n’ont fait que perfectionner cette machine, au lieu de la briser. Les partis qui luttèrent à tour de rôle pour le pouvoir considérèrent la conquête de cet immense édifice d’Etat comme la principale proie du vainqueur… » Mais, poursuit Marx, « ce n’est que sous le second Bonaparte que l’Etat semble être devenu complètement indépendant de la société ». Si bien que la France « ne semble avoir échappé au despotisme d’une classe que pour retomber sous le despotisme d’un individu ».
51Marx apporte cependant les précisions nécessaires (sont-elles également suffisantes ?), à son analyse. « Le pouvoir d’Etat ne plane pas dans les airs. Bonaparte représente une classe bien déterminée, et même la classe la plus nombreuse de la société française, à savoir les paysans parcellaires »30. L’Etat se trouve donc, pour ainsi dire, remis à sa place dans le système politique moderne tel qu’il est lu par Marx. Quant à l’autre terme de l’équation, la société civile, le « renversement » opéré par Marx l’avait mise à sa place, place qu’elle ne quittera plus jamais dans la doctrine. Elle est précisément l’infrastructure sur laquelle reposent notamment les institutions politiques. « ... Les rapports juridiques – ainsi que les formes de l’Etat – ne peuvent être compris ni par eux-mêmes ni par la prétendue évolution générale de l’esprit humain [le Weltgeist de Hegel], mais ils prennent au contraire leurs racines dans les conditions d’existence matérielle dont Hegel, à l’exemple des Anglais et des Français du xviiie siècle, comprend l’ensemble sous le nom de “société civile” [Bürgerliche Gesellschaft], et que l’anatomie de la société civile [également Bürgerliche Gesellschaft dans le texte] doit être cherchée à son tour dans l’économie politique », lit-on dans la brève, mais très célèbre préface de Marx à la critique de l’économie politique31, préface où l’auteur développe en toute clarté sa conception matérialiste de l’histoire.
52La notion de société civile de Marx diffère donc sur deux points importants des concepts antérieurs. Elle désigne un « ensemble » (Gesamtheit), défini par une vague référence à Hegel et à « des Anglais et des Français », dont l’anatomie se trouve dans la sphère économique par excellence. D’autre part l’expression garde, nolens volens, son sens de société bourgeoise.
53Nous reprendrons encore, ne serait-ce que brièvement, la question du sort qui lui est réservé dans l’édifice doctrinal marxiste. Retenons ici pour l’instant que, réduite à sa fonction économique, la société civile perd la fonction plus large que lui avait attribuée la pensée politique d’avant Marx et, plus particulièrement, la pensée libérale en tant que contrepartie du pouvoir étatique. Certes, Marx maintient la dualité (ou la séparation) Etat/société civile, mais il la maintient sur un autre plan que ses prédécesseurs en philosophie politique. A propos de ces derniers, je voudrais citer Claude Lefort qui écrit ceci : « L’on méconnaît le sens d’une mutation qui est à l’origine de la démocratie moderne : l’instauration d’un pouvoir de droit limité, de telle sorte qu’en dehors de l’espace politique (au sens étroit, conventionnel du terme) se circonscrivent des espaces économique, juridique, culturel, scientifique, esthétique, dont chacun obéit à ses propres normes. Evénement dont la portée dernière n’est rien moins que la séparation de la société civile d’avec l’Etat »32.
54Mais déjà chez Rousseau, comme l’écrit Pierre Manent, « la liberté devient pour ainsi dire immédiate à l’individu, comme sentiment, à la fois expérience et exigence, de l’autonomie ». Et si, comme il l’écrit, « le fondement du libéralisme… c’est la distinction entre la société civile et l’Etat », son principe est à plus forte raison développé dans la pensée libérale, notamment par Benjamin Constant. Quelle que soit sa nature, « il y a des choses que le pouvoir n’a en aucun cas le droit de faire » – selon le résumé que fait Manent de l’idée de base de Constant. Et l’auteur de le citer : « ... en même temps qu’on reconnaît les droits de cette volonté [générale], c’est-à-dire la souveraineté du peuple, il est nécessaire, il est urgent d’en bien concevoir la nature et d’en bien déterminer l’étendue. Sans une définition exacte et précise, le triomphe de la théorie pourrait devenir une calamité dans l’application »33.
55« Les dépositaires de l’autorité, écrivait Benjamin Constant en 1819 à propos “de la liberté chez les modernes” ... sont si disposés à nous épargner toute espèce de peine, excepté celle d’obéir et de payer. Ils nous diront : “Quel est au fond le but de tous vos efforts, le motif de tous vos travaux, l’objet de vos espérances ? N’est-ce pas le bonheur ? Eh bien, ce bonheur, laissez-nous faire, et nous vous le donnerons”. Non, Messieurs, ne laissons pas faire. Quelque touchant que soit un intérêt si tendre, prions l’autorité de rester dans ses limites. Qu’elle se borne à être juste ; nous nous chargerons d’être heureux »34. Polémiquant avec Rousseau, s’inspirant de Montesquieu, s’intéressant à Hobbes, c’est ainsi que s’exprimait dans une de ses formulations heureuses celui qui entrevoyait parmi les premiers toute la complexité de la liberté « chez les modernes ». Chez les modernes qui, contrairement aux « anciens », ne pouvaient plus délibérer collectivement sur l’agora des affaires publiques et devaient par conséquent aliéner une partie de leur liberté à une espèce de « dépositaire de l’autorité ». Rousseau qui croyait pouvoir éviter ce danger en déclarant que « la souveraineté ne pouvait être ni aliénée, ni déléguée, ni représentée » s’est trompé selon Constant. « C’était déclarer en d’autres termes qu’elle ne pouvait être exercée »35. « Avec beaucoup d’amour pour la liberté, écrit Constant, Rousseau a toujours été cité par ceux qui ont voulu établir le despotisme… Il y a deux dogmes également dangereux, l’un le droit divin, l’autre la souveraineté illimitée du peuple »36. « Il n’est pas vrai qu’on ne se donne à personne ; on se donne au contraire à ceux qui agissent au nom de tous »37.
56Et, pour le citer une dernière fois, Constant développe ses principes également dans les relations inter-étatiques fustigeant la conquête « qui poursuit les vaincus dans l’intérieur de leur existence »38. Dans les rapports de l’individu avec sa propre émanation qui est « l’universalité des citoyens », le souverain, il refuse que « l’universalité des citoyens, ou ceux qui par elle sont investis de la souveraineté puissent disposer souverainement de l’existence de l’individu. Il y a au contraire une partie de l’existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante, et qui est de droit hors de toute compétence sociale »39.
57Il ne s’agit pas là, chez Constant, de nier ou ignorer l’intégralité de la liberté. Certes, la liberté individuelle est la plus précieuse à ses yeux. La liberté politique « n’en est que la garantie ». Mais « ce n’est point à la liberté politique que je veux renoncer : c’est la liberté civile que je réclame avec d’autres formes de la liberté politique »40.
58Il était important de nous arrêter plus longuement sur ces passages parce qu’ils expriment la maturation de la pensée politique libérale moderne qui, à travers Tocqueville et d’autres penseurs, pose les fondements de la démocratie moderne. Le « pouvoir qui arrête le pouvoir » de Montesquieu trouve sa réalisation, tout au moins au niveau de la pensée, dans cet autre partage – au-delà de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire – entre les compétences du pouvoir étatique, serait-il le peuple souverain lui-même, et les « compétences » inaliénables de la personne humaine. A propos des penseurs qui se penchent sur cette liberté, Pierre Manent parle avec beaucoup de finesse de « second libéralisme » séparé du premier par Rousseau et la Révolution française. Phénomène qui coïncide avec « l’historisation » de la pensée politique abandonnant plus ou moins le terrain de « l’état de nature », et avec le surgissement des religions politiques laïques41.
59Parmi les « religions séculières », il faut sans doute réserver une place de choix à la doctrine marxiste. Il n’en demeure pas moins que, en ce qui concerne la société civile en tout cas, le marxisme ignore délibérément tout un pan de la pensée politique de son siècle. Délibérément disions-nous, et non pas par ignorance, pas plus que pour la raison linguistique déjà évoquée. Si Marx avait eu l’intention de développer sa doctrine dans le sillage des philosophes et des libéraux du xixe siècle, s’il avait voulu suivre Rousseau dans le sens de la souveraineté du peuple et du « pacte social » en tant que « forme d’association » qui « défend et protège la personne et les biens de chaque associé », ou Benjamin Constant défenseur de la liberté de la personne humaine contre l’autorité, ou encore Tocqueville, admirateur de la démocratie américaine rendant possible « l’action lente et tranquille de la société sur elle-même »42…, il aurait certainement trouvé les mots pour développer sa conception de la société civile.
60En fait, Marx avait agi en deux temps pour en arriver à sa conception d’Etat et de société. En deux temps qui se chevauchent. En ce qui concerne la société bourgeoise en tant que société de classe dominée par la bourgeoisie (et non pas en tant qu’expression ayant la connotation de société civile), il avait plus ou moins adopté l’idée de deux sphères, l’idée de la séparation de l’Etat d’avec la société. Une société considérée toutefois sous deux aspects, le premier étant la présence de la société bourgeoise dans l’Etat par pouvoir politique et militaire interposé (comme dans le cas de Napoléon III), et le second son existence autonome, essentiellement économique.
61La révolution politique – ainsi que la proclamation des droits inaliénables de l’homme et du citoyen n’ont fait, – nous avons déjà cité ses propos – que libérer « l’individu égoïste et indépendant » et le séparer du citoyen, « personne morale », abstraite. C’est ainsi que « La perfection de l’idéalisme de l’Etat fut en même temps la perfection du matérialisme de la société bourgeoise ». Le monde « des besoins, du travail, des intérêts privés, du droit privé » est en quelque sorte la base naturelle de la révolution politique. Cette conception annonce déjà les développements futurs de la conception de Marx. « Aucun des prétendus droits de l’homme ne dépasse donc l’homme égoïste, l’homme en tant que membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé ».
62Il apparaît même que cet homme est encore plus séparé de la communauté que celui de l’ancienne société dans laquelle « la propriété, ou la famille, ou le mode de travail, étaient sous forme de la seigneurie, de la caste, de la corporation, devenus des éléments de la vie de l’Etat » ayant déterminé « le rapport de l’individu isolé à l’ensemble de l’Etat »… Marx ajoute certes que, ce faisant, l’ancienne société avait créé des cloisonnements sociaux et « des sociétés particulières dans la société » mais, dans l’optique qui nous intéresse ici, la révolution qui finit par briser ces cloisonnements, ces « états, corporations, jurandes, privilèges » n’avaient toujours pas libéré… l’homme43.
63Par conséquent, la doctrine de cette autre libération ne pouvait pas être construite sur la séparation entre le politique et le social, entre le pouvoir d’Etat et l’homme, pas plus que sur le divorce entre l’individu membre de la société civile et le citoyen, ce dernier tenu pour un être abstrait, une « personne morale ».
64Bien au contraire. La critique de la révolution politique (la Révolution française) par le jeune Marx annonce ce que nous avons appelé « le deuxième temps » de sa réflexion sur l’Etat, la société et l’émancipation de l’homme. Ce deuxième temps est le projet – encore purement théorique – de la réunification de tous ces éléments dispersés. L’Etat et la société civile feront un seul tout (et dans ce sens Marx reste proche de Rousseau), de même que s’uniront les deux « parties » déchirées de l’individu homme et citoyen, ainsi que le travailleur aliéné des instruments de production que la bourgeoisie capitaliste s’était appropriée.
65La révolution prolétarienne qui accomplira cette refonte démiurgique rendra obsolètes toutes les catégories anciennes de la pensée politique qui avait soutenu l’idée de la liberté conçue en termes de droits de l’homme et de citoyen, de contrat social, de protection de l’individu contre l’arbitraire du pouvoir, par l’Etat de droit. Caduque aussi, par conséquent, la notion de société civile, car dans la mesure (très faible aux yeux de Marx) où elle pourrait avoir un caractère distinct de la société bourgeoise, elle ferait un tout avec la « base » économique désormais socialiste et la « superstructure » institutionnelle prolétarienne.
66Quant à la société civile en tant que société bourgeoise (qui remplissait par ailleurs une fonction protectrice en défendant la propriété, la libre entreprise et l’exploitation…), elle devait tomber prolétarien et, par là même, émancipatrice de l’homme jusqu’alors aliéné.
67Précisons toutefois que la distinction entre deux aspects, – l’un plus général, l’autre strictement société de classe – de la Bürgerliche Gesellschaft de Marx, ne figure pas dans le texte de ce dernier, elle relève de notre interprétation. Cette interprétation, est certes discutable, mais elle se trouve implicitement dans les traductions déjà mentionnées, utilisant tantôt le terme de société civile, tantôt celui de société bourgeoise. L’on trouve la même ambiguïté dans d’innombrables études et commentaires sur Marx, sans aucune explication de cette double interprétation. Or, s’il y a ambiguïté dans les interprétations, c’est que l’équivoque vient de Marx lui-même. Equivoque peut-être voulue parce que, au « deuxième temps » de sa réflexion où il s’agit déjà de dessiner les contours de son projet de société communiste, la distinction entre les sociétés civile et bourgeoise paraît surperflue : elles doivent tomber ensemble pour céder la place à une autre entité, à une autre Gesamtheit qui sera vraiment une et indivisible : la maison de l’homme total, réalisant l’unité indissociable de ses caractères, fonctions et facultés. Exit donc la société civile dans toutes les acceptions du terme.
68La théorie de la dictature du prolétariat viendra parachever cette réflexion, du fait que la société des producteurs émancipés se trouve néanmoins confrontée au problème de l’administration et du pouvoir étatiques. Plus que cela, « ... le premier pas des ouvriers dans la révolution, lit-on dans le Manifeste (section II), c’est le prolétariat s’érigeant en classe dominante, la conquête de la démocratie ». C’est cette domination qui sera utilisée pour l’accomplissement d’une dizaine de mesures économiques, fiscales, juridiques, administratives, éducatives, destinées à ce qu’à la « vieille société bourgeoise avec ses classes et ses oppositions de classes se substitue une association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous »44.
69« La conquête du pouvoir politique par le prolétariat » fixée comme un but dans le Manifeste est déjà – en 1847, donc – une formulation incomplète de la dictature du prolétariat que, une décennie plus tard, Marx désignera dans sa lettre citée à Weydemeyer, comme sa contribution personnelle la plus importante. Une autre rectification importante interviendra plus tard encore, à savoir en 1872, dans la Préface des deux auteurs à la nouvelle édition allemande du Manifeste. Tout en réaffirmant la justesse de leur manifeste 25 ans après sa parution, Marx et Engels déclarent que le passage sur les mesures révolutionnaires auxquelles nous avons fait allusion, « serait aujourd’hui rédigé autrement ». « En particulier, la Commune [de Paris] a apporté la preuve que “la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l’Etat et de la faire fonctionner pour ses propres fins” ». Il s’agit là précisément d’une des leçons tirées de la Commune qui aurait été la réalisation de la dictature du prolétariat.
70De fil en aiguille, le concept de la dictature, concept s’appuyant depuis 1871 sur une interprétation de la Commune par les auteurs du Manifeste de 1847, devint la clé de voûte de toute la théorie de la révolution prolétarienne et, partant, de la théorie de l’Etat et de la société dans l’immédiat après-révolutionnaire. Or, du moment que l’ancienne société civile bourgeoise devait sombrer dans la révolution et la « machine d’Etat » détruite pour être remplacée par la dictature, ne serait-ce que provisoire, du prolétariat, il n’y a plus d’espace pour elle et personne n’a jamais imaginé son retour avec un contenu de classe différent, qui serait prolétarien bien sûr. Ceci dans l’hypothèse où la nouvelle société, dite sans classes, n’aurait besoin pour vivre d’aucun contenu social humain fait d’unité et de diversité, d’intérêts solidaires et conflictuels, d’affinités et de divergences, sans parler du besoin collectif de protection contre l’ingérence des pouvoirs… Car, de pouvoirs… il n’y en aurait pas. Le projet de société de Marx et/ou inspiré de sa théorie ne connaîtrait pas d’antagonisme, de conflit possible ni même de distinction nécessaire entre la société sans classe d’un côté et des vestiges de la « machine » étatique et l’autre. Certes Antonio Gramsci, dont la pensée mériterait un détour dans un ouvrage autrement ciblé que celui-ci et qui avait conçu l’idée d’une période de combat social pour l’hégémonie, réintroduisit la société civile, mais cela sans résonance chez les architectes de l’utopie marxo-léninienne de la société communiste45. Il en avait cependant laissé la marque dans certains sillons de l’idéologie du Parti communiste italien.
71Pour ce qui est de l’héritage de Marx dans la pensée et l’action du communisme russe et, par la suite, est-européen, la grande question qui se pose à ce propos est celle de la démocratie. Certes, quoique Marx eût qualifié la conquête du pouvoir ouvrier de « conquête de la démocratie », il n’a laissé aucun doute (et ses successeurs encore moins) sur le fait qu’il ne s’agissait pas là de démocratie tout court. Et bien que Lénine eût préconisé, de son côté, une sorte de « dictature démocratique » à la suite de la révolution russe de 1905, lui non plus n’avait pas laissé subsister de doute quant à l’impossibilité d’appliquer sa conception de la démocratie… à ceux qu’il fallait précisément liquider comme classe par le moyen de la dictature.
72C’est cela qui nous a amené à la constatation que le marxisme était passé à côté de la modernité, véritable révolution du xixe siècle, à savoir la lente installation et le processus d’évolution de la démocratie tant dans l’Etat que dans la société, tant au niveau des libertés politiques qu’à celui des libertés civiles dans le sens de Benjamin Constant ou de Tocqueville, jusqu’à une Hannah Arendt et un Raymond Aron. Au fond, le « marxisme-léninisme » n’avait fait que tirer les conclusions radicales du vide laissé par Marx en ce qui concerne d’une part la société politique et ses institutions et d’autre part la société civile, tout simplement évacuée.
73Nous ne nous proposons pas ici de faire la description du système ainsi constitué sous Lénine et perfectionné sous Staline avec ses cohortes de fusillades, d’emprisonnements, de déportations, la négation de l’Etat de droit et d’une justice quelconque digne de ce nom. Nous les verrons à l’œuvre plus loin dans cet essai à propos de l’application du modèle aux démocraties populaires. Le but de ces pages était simplement de faire ressortir qu’avant même que les sbires ne se missent à l’œuvre, les architectes de la cité communiste l’avaient déjà vidée de son habitacle pour les hommes.
Notes de bas de page
1 Voir entre autres le premier tome de son grand roman historique La roue rouge. Premier nœud : Août 14, Paris, Fayard, 1972-1983.
2 Paris, Fayard, 1986.
3 Friedrich Engels, Anti-Dühring (M.E. Dühring bouleverse la science), Paris, Editions Sociales, 1963, p. 122 (édition de 1969, p. 136).
4 Dans la vaste littérature concernant les divers aspects du sujet, nous recommandons la lecture d’un article de Jacques Rougerie, « Karl Marx, l’Etat et la Commune », Preuves, n° 212, novembre 1968, et n° 213, décembre 1968. Pour les textes de base, voir avant tout La guerre civile en France, 1871 de Marx, ainsi que Etatisme et Anarchie de Bakounine (Archives Bakounine, Leiden, E.J. Brill, 1967, par les soins d’Arthur Lehning). Sur la Première Internationale, voir aussi Miklόs Molnár, Le déclin de la Première Internationale. La Conférence de Londres de 1871, Genève, Droz, 1963. Quant à l’expression « post-révolutionnaire », nous l’entendons dans le sens restrictif de période suivant le conflit armé de classes.
5 Lénine, Œuvres choisies, t. I, Moscou, Editions en langues étrangères, pp. 285-286.
6 L’Etat et la Révolution, Moscou, Editions en langues étrangères, [s.d.] p. 87.
7 Ibid., p. 29.
8 Ibid., p. 52.
9 Ibid., p. 59.
10 Ibid., p. 129.
11 Ibid., p. 40.
12 Karl Marx, Friedrich Engels, Werke, „Zur Judenfrage“, Dietz Verlag, 1961, Band I, p. 367-368 (ci-après : MEW).
13 Ibid., p. 368.
14 La phrase entière dans la traduction de l’édition 10/18 se lit comme suit : « L’émancipation humaine n’est réalisée que lorsque l’homme a reconnu et organisé ses forces propres comme force sociale et ne sépare donc plus de lui la force sociale sous la forme de la force politique », Karl Marx, La question juive, Paris, Union générale d’éditions, 1968, p. 45.
15 François Furet, Marx et la Révolution française, Paris, Flammarion, 1986, pp. 13-14, 16, passim.
16 Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, livre premier, chap. vi, Du pacte social.
17 Ibid., chap. vii, Du souverain.
18 Bertrand de Jouvenel, Du Pouvoir, Paris, Hachette /Pluriel, 1972, pp. 74-75.
19 J.L. Talmon, Les origines de la démocratie totalitaire, Paris, Calmann-Lévy, 1966, p. 62.
20 Cf. François Furet, Marx et la Révolution française, op. cit., p. 16.
21 MEW, t. 1, p. 284.
22 Ibid.
23 F. Furet, op. cit., p. 26.
24 MEW, t. I, pp. 378-391.
25 Cité par Z.A. Pelczynski, The State and Civil Society. Studies in Hegel’s Political Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press 1984, p. 4.
26 Ibid., p. 7.
27 F. Furet, op. cit., p. 23.
28 Pelczynski, op. cit., p. 2.
29 Karl Marx, Friedrich Engels, Oeuvres choisies, Moscou, Editions du Progrès, (S.d.) t. I, p. 254.
30 Ibid., pp. 343-345.
31 Ibid., pp. 376-377.
32 Claude Lefort, L’invention démocratique. Les limites de la domination totalitaire, Paris, Fayard, 1981, p. 92.
33 Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, Paris, Calmann-Lévy/Pluriel, 1987, pp. 169, 145, 184-185.
34 Benjamin Constant, De la liberté chez les modernes. Ecrits politiques, Textes choisis, présentés et annotés par Marcel Gauchet, Paris, Livre de poche, 1980, p. 513.
35 Ibid., p. 273.
36 Ibid., p. 649.
37 Ibid., p. 272.
38 Ibid., p. 151.
39 Ibid., p. 271.
40 Ibid., pp. 509-510.
41 Pierre Manent, op. cit., p. 173. L’auteur développe aussi l’aspect proprement religieux du phénomène.
42 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, 1951, t. I, pp. 412-414. Pour Tocqueville, cette action est « ce qu’on entend par république aux Etats-Unis ».
43 Karl Marx, La question juive, Paris, 10/18, 1968, pp. 39-45.
44 Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste, Paris, Aubier-Montaigne, 1971, édition bilingue, pp. 127-129.
45 Voir à ce propos Antonio Gramsci, Cahiers de prison, cahiers 6-13, Paris, Gallimard, 1978-1983 ; Norberto Bobbio, Gramsci e la concezione della società civile, Milano, Feltrinelli, 1976. Nous y avons consacré un très bref aperçu dans l’article « Système communiste et société civile » dans la revue Communisme, 8/1985, op. cit., et y reviendrons dans une étude en préparation.
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