Chapitre VII. A la recherche d’une éthique des relations internationales
p. 245-285
Texte intégral
1Les propositions des épiscopats en matière de « promotion de la paix » ne sont pas sans lien avec leur attitude à l’égard des théories alternatives de la défense et avec la conception de l’Etat et de la démocratie qui se laisse percevoir à travers leurs documents. A la recherche d’une éthique des relations internationales qui permette de sortir de l’impasse de la dissuasion, les évêques s’orientent dans deux directions : d’une part la définition des conditions de la détente entre les blocs, de l’autre la construction de l’ordre international sur la base d’une éthique et d’une organisation communes. Dans la première direction, qui relève du domaine politique, on retrouve la même attitude prudente et réservée que l’on a pu noter dans la discussion de la non-violence. Dans la seconde au contraire, qui met en jeu le monde des valeurs, les propositions épiscopales sont beaucoup plus ambitieuses. Ce contraste ne peut manquer de susciter une interrogation : les évêques ne font-ils pas de l’éthique et du politique deux domaines séparés, alors qu’il conviendrait de définir une éthique qui pénètre au sein même du politique afin de le transformer ? Cette question sera étudiée à partir de l’analyse du concept de « dialogue », repris du discours pontifical dans les trois documents épiscopaux, puis de l’application qu’ils en font aux relations Est-Ouest. Bien sûr, les divergences entre conférences épiscopales trouvent ici encore leur retentissement, qu’il faudra mettre en lumière. L’élucidation du concept de « dialogue » constituera un préalable à l’évaluation de leurs propositions.
I. Les présupposés du dialogue
2Les fondements du dialogue auquel se réfèrent les évêques ne sont pas définis dans les lettres pastorales. Toutefois, dans la mesure où les trois textes s’appuient largement sur le discours pontifical, il est possible d’en dégager les présupposés communs. Pour Jean-Paul II, le dialogue est ancré dans un donné ontologique, dont se déduit une philosophie nettement optimiste. De son incompatibilité radicale avec la violence, il ne faudrait cependant pas conclure que toute forme de lutte en soit absente.
1. Présupposés ontologiques
3Ces présupposés, qui ne sont pas une nouveauté dans le discours catholique, sont explicités avec une clarté toute particulière dans le message pontifical pour la journée de la paix 1983. Jean-Paul II affirme que la possibilité d’un « dialogue pour la paix » repose sur « la considération de la nature profonde de l’homme ». Nul besoin pour cela d’une référence de foi particulière, même si elle peut constituer un point d’appui supplémentaire. « La confiance dans l’homme, dans sa capacité d’être raisonnable, dans son sens du bien, de la justice, de l’équité, dans sa possibilité d’amour fraternel et d’espérance, jamais totalement pervertis » permettent de miser sur le recours au dialogue ou sur sa reprise s’il a été interrompu1. Une certaine vision de l’homme, qui va au-delà de l’universalité de la raison, explique que puisse s’établir l’intersubjectivité qui permet l’éclosion du dialogue. La nature sociale de l’homme2 fait que le dialogue est un élément constitutif de son existence.
4L’anthropologie de Jean-Paul II ne remet pas en cause les postulats classiques de la loi naturelle, sur lesquels, selon la vision catholique, doit continuer à se baser l’organisation juridique et politique de la société. « Dans la variété et la mutabilité des conditions historiques », le droit naturel assure aux systèmes juridiques – nous pourrions ajouter politiques – « leur valeur éthique, leur perfectibilité continue et leur communicabilité croissante en vue d’une civilisation s’étendant toujours plus jusqu’à la civilisation universelle »3, affirme-t-il. Dans son esprit, ces valeurs communes sur lesquelles pourrait reposer la civilisation universelle, sont très semblables aux principes édictés par la Déclaration des droits de l’homme de 1948 et les pactes subséquents4.
2. Une philosophie optimiste
5La référence à une loi naturelle permet en premier lieu de stipuler que, malgré l’existence de « tensions, oppositions et conflits », quelque chose « reste commun aux hommes »5. C’est pourquoi, même en présence des difficultés apparemment les plus infranchissables, il ne faut pas renoncer au dialogue. Dans un discours repris par les lettres pastorales française et américaine, le pape va très loin dans ce sens en préconisant un « dialogue lucide », même « lorsque les situations politiques apparaissent les plus bloquées, lorsque la communication devient presque impossible de pays à pays et de bloc à bloc, lorsque les institutions internationales sont paralysées avec la menace constante d’une accélération de la course aux armements »6. Le dialogue est « un pari sur la sociabilité des hommes, sur leur vocation à cheminer ensemble, avec continuité, par une rencontre convergente des intelligences, des volontés, des cœurs, vers le but que le Créateur leur a fixé : rendre la terre habitable pour tous et digne de tous »7.
6Dans le dialogue pour la paix, l’idée de l’existence d’une « famille humaine » joue un rôle important. Sur la base de ce postulat d’origine à la fois théologique et philosophique, Jean-Paul II n’a de cesse de rappeler l’existence d’un « bien commun international »8. C’est autour de ce « bien commun universel », déjà longuement évoqué dans “Gaudium et Spes” et “Pacem in Terris”9, que pourront et devront se concentrer les efforts de dialogue pour la paix. Paix, dialogue, droits de l’homme sont les trois composantes essentielles autour desquelles se structure la pensée de Jean-Paul II sur les relations internationales.
3. Dialogue et violence
7Par définition, le dialogue exige « l’ouverture » et « l’accueil de l’autre »10. Il suppose le droit de l’autre à être reconnu comme interlocuteur valable, porteur d’idées, d’aspirations, d’espérances, qu’il doit pouvoir exprimer pour advenir à sa liberté11. Tout rejet du dialogue porte en lui les prémisses d’une violation des droits de l’homme car il refuse à l’autre cette reconnaissance. Il est en même temps rupture d’une fraternité et donc rupture de la paix12.
8Mais si le dialogue est véritablement un donné ontologique,
la violence est un mensonge car elle va à rencontre de la vérité… de notre humanité. La violence détruit ce qu’elle prétend défendre : la dignité, la vie, la liberté des êtres humains. La violence est un crime contre l’humanité, car elle détruit le tissu même de la société13.
9De leur côté, les évêques allemands affirment : « Le respect du droit du prochain reste une exigence minima de l’amour » (GsF, p. 583). Et dans un développement qui réunit un certain nombre de considérations anthropologiques préalables à la discussion de la politique de sécurité, ils précisent :
Il n’est pas indifférent de savoir comment l’autre homme, l’autre peuple, l’autre Etat est considéré. Quiconque est en mesure de voir en autrui, même dans l’adversaire, un homme égal à lui, un être humain responsable sur le plan moral, ne cessera jamais d’aller au-devant de l’autre, d’être attentif à ses conceptions et intentions. Il orientera également sa propre politique vers la « règle d’or » du Sermon sur la Montagne. « Ainsi tout ce que vous vouiez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-même pour eux » (Mt 7,12). Une telle politique de paix, qui se laisse guider par les exigences de Jésus, accorde à autrui, et même à l’adversaire, des possibilités de se convertir et d’apprendre ensemble (GsF, p. 582).
10Cette attitude oblige à opérer une distinction entre l’ennemi en tant qu’interlocuteur mû par des prétentions, des aspirations, des sentiments humains, et le système politique ou idéologique qu’il incarne. Quel que soit le jugement que l’on porte sur ce dernier, les individus qui en sont les représentants – et peut-être les victimes – ne doivent pas cesser d’être considérés comme des êtres humains. Ici, l’objectif est similaire à celui de la politique qui, tout en cherchant à conduire l’adversaire à réviser son attitude, préserve son droit absolu d’exister14. Gandhi utilisait dans ce contexte le concept d’“ahimsa”, qui désigne non seulement une volonté de respect de la personne de l’ennemi, mais une attitude positive à son égard, qui doit l’amener à changer de comportement15. Le rapport établi devait permettre à la « force de la vérité » ou “satyagraha” de s’imposer16. Ceci implique, certes, une disposition de l’adversaire à reconnaître ses torts, mais aussi, de la part des deux parties, une ouverture propre à autoriser le processus d’« apprentissage » que suppose la recherche de la vérité17.
11Cependant, le risque que l’une des parties s’arroge le monopole de la vérité, tendance qui fut reprochée à Gandhi, reste constamment présent. Pour éviter cette dérive fatale, il est nécessaire de prendre conscience du fait que
tout dialogue n’est pas à deux, mais à trois termes, car en plus des partenaires, il implique une commune référence aux valeurs. En effet si le dialogue aboutissait à la victoire d’une pensée sur une autre, il n’échapperait pas à la catégorie de la violence. Il faut donc que les dialoguants reconnaissent explicitement ou implicitement une vérité et une justice qui leur sont à la fois transcendantes et virtuellement immanentes, qui peuvent transformer leur moi du dedans, tout en promouvant leur personne18.
12Cette constatation du philosophe personnaliste Jean Lacroix est développée avec une clarté toute particulière dans les réflexions de Paul Ricoeur sur le comportement éthique19.
13Plutôt que : de partir d’impératifs a priori – impératif formel kantien ou corps de règles relevant du droit naturel –, Ricoeur constate à l’origine l’existence du désir humain, qui est d’abord désir de liberté. Mais la liberté du sujet, du « je », n’est pas immédiate, sauf peut-être dans sa forme négative, comme l’expérience de l’inadéquation qu’elle perçoit entre son désir d’être et sa réalisation effective. Sous sa forme positive, elle doit toujours être attestée par un acte qui témoigne du « je peux ». Dans l’ordre de l’action, le « je » est situé face à un « tu » dont il reconnaît le désir de liberté comme condition de sa propre liberté, mais qui s’affronte en même temps à son propre désir de liberté. Entre le « je » et le « tu » un troisième terme est nécessaire : c’est le « il », qui constitue la « règle ». Remarquons que ce « il » n’est pas totalement neuf, il n’est pas le produit d’une pure intersubjectivité, car toute situation de communication est déjà moralement marquée. Il repose plutôt sur une sédimentation, résultat de la totalité des événements antérieurs, qui trouvent leur résonance dans des valeurs. Dans un certain sens, le « il » correspond à ce que Hegel appelait l’« esprit objectif »20.
14Sa fonction éthique est de faire émerger un « valable » qui soit différent de chacun des « désirables » particuliers du « je » et du « tu ». Ce « valable » ne doit pas être réduit au plus petit dénominateur commun des deux « désirables » antagoniques. Il ne relève pas du compromis, mais représente des exigences intangibles que seul le « il », le tiers aura pu faire apparaître21. Alors que le « désirable » renfermerait chacun dans sa propre singularité, le « valable » permet la communication. Il implique la reconnaissance de l’autre. Ainsi, les valeurs apparaissent-elles comme quasi objectives, transcendantes à la fois par rapport aux subjectivités particulières du « je » et du « tu » et à leur intersubjectivité22.
15Par rapport à l’essentialisme ou au nihilisme moral, la théorie de Ricoeur possède des qualités non négligeables : 1) Elle ne postule pas une séparation entre la subjectivité du désir et l’objectivité d’une loi naturelle ou d’un impératif formel qui lui serait opposé. Au contraire, chez lui c’est le désir qui, confronté à un autre désir, s’objective en « valable » intersubjectif. Ricoeur ancre l’acte éthique dans l’ontologie humaine, sans postuler d’obligation a priori. Le désir du « je » ne saurait être absolu, sous peine de mener à sa destruction totale. Comme l’affirmait Hegel : « Je suis un être pour soi qui n’est pour soi que par un autre »23. L’établissement du dialogue suppose l’acceptation préalable de ce postulat. 2) La théorie ricoeurienne montre qu’il n’y a pas d’éthique, qu’il n’y a pas de valeurs définies hors de l’action. L’éthique est avant tout une “praxis”, qui naît de l’intercommunicabilité entre les hommes, à partir de la confrontation de leurs désirs sur un objet concret, matériel ou immatériel.
16Quel rôle le concept d’« amour de l’ennemi », fréquemment utilisé dans les milieux chrétiens au cours du débat des années 1980-83 sur les armements, peut-il jouer dans ce contexte ? Sans adhérer à une non-violence de type gandhien, nombre d’auteurs reconnaissent que « l’amour de l’ennemi, dans la mesure où il évite que surgissent des situations de ressentiment profond entre adversaires, constitue la disposition optimale pour l’apprentissage cognitif »24. Toutefois, ce terme, que les évêques allemands ont repris probablement sous la pression des mouvements de paix, est ambigu. Parler d’« amour de l’ennemi » ne peut être que l’expression d’une affirmation de foi25, du moins si on le comprend comme un renoncement à toute exigence à l’égard de l’adversaire, « ce qui retire de fait à celui-ci toute possibilité d’imposer ses droits en tant qu’ennemi »26. Cette vision semble peu compatible avec l’approche ricoeurienne qui, loin de préconiser de la part du « je » l’abandon de son « désirable » devant les exigences de l’autre, suppose une sublimation des deux « désirables » en un « valable » qui leur est supérieur.
17Tout comme le moraliste Wilhelm Korff, les évêques ne peuvent cautionner une telle transposition politique de l’« amour de l’ennemi ». L’ensemble de leur développement, au premier rang duquel le jugement sur la dissuasion nucléaire, montre qu’ils n’entendent pas renoncer à toute prétention de droit. D’autre part, ils ont tenu à se distancer dès le début de leur texte d’une pure « éthique de conviction » appuyée sur la lettre de l’Evangile. Dès leur entrée en matière, ils mettent en garde leurs lecteurs contre une interprétation littérale de la Bible qui ferait fi de l’expérience historique (GsF, pp. 569, 570). Par la suite, ils affirment que
Ce serait donc une méprise que de vouloir organiser et ordonner la vie socio-politique directement selon les principes du Sermon sur la Montagne… C’est pourquoi l’Eglise ne peut présenter les enseignements du Sermon sur la Montagne comme des normes suffisantes pour l’action politique, qui seraient obligatoires par elles-mêmes, sans considération des circonstances et des biens à assurer… Les enseignements du Sermon sur la Montagne ne sont justement pas des lois qui peuvent être appliquées de façon schématique (ibid., p. 573).
18Pourtant, ils n’en déclarent pas moins que
pour les chrétiens, l’impératif des enseignements de Jésus est valable aux divers niveaux de la vie sociale, et jusque dans les conséquences politiques (ibid.).
19La clé est un recours à l’esprit du Sermon sur la Montagne plutôt qu’à sa lettre (ibid.). Il s’agit non pas d’énoncer « les conditions idéales d’un avenir lointain » en élaborant le schéma d’un monde utopique dont aurait disparu toute violence, mais d’influer sur les conduites politiques en montrant que le Sermon sur la Montagne peut commencer à agir « ici et maintenant » (ibid.). Cependant, dans la pratique, l’usage que font les évêques allemands du concept d’« amour de l’ennemi » reste flou. S’il se réduit à un refus d’anathématiser l’adversaire, ou même s’il indique une simple ouverture d’esprit, il n’a rien de spécifiquement évangélique.
20Certains analystes politiques ont fait remarquer à ce propos que le précepte évangélique de l’amour de l’ennemi (Mt 5,44 ; Lc 6,27) concernait non pas les ennemis politiques mais seulement les ennemis personnels ou privés. Ainsi, une traduction correcte du texte biblique exigerait-elle une distinction entre les termes latins d’“inimicos” (ennemi personnel) et “hostes” (adversaire politique), le précepte évangélique se rapportant seulement au premier27. Il serait donc faux de vouloir appliquer des normes éthiques identiques aux comportements personnels et aux comportements politiques. Mais les évêques ne pouvaient le concéder ouvertement sans paraître remettre en cause le discours catholique traditionnel sur l’unicité de l’éthique28.
21Les réflexions de certains chercheurs sur la défense non-violente qui, de plus en plus, renoncent à se référer directement aux principes évangéliques, peuvent fournir un embryon de solution.
4. Dialogue et conflit
22Pour le chercheur britannique W.R. Miller, il serait erroné de confondre l’attitude non-violente avec l’amour du prochain. Si celui-ci peut en être une motivation, elle ne lui est pas identique. La non-violence est « une manière de mener un conflit social qui est compatible avec l’amour »29. Jean-Marie Muller souligne que si l’amour de l’ennemi se manifeste, c’est plutôt négativement – ne pas porter atteinte à l’ennemi dans sa dignité d’homme – que positivement30. La non-violence n’abolit pas le conflit, elle est bien plutôt une manière de le gérer. De même, le dialogue, en ce qu’il s’efforce d’établir un rapport non-violent avec l’adversaire, ne supprime pas l’antagonisme. Paradoxalement, la philosophie sous-jacente à la non-violence « politique » se rapproche davantage de celle de Hegel, pour qui la communication et le respect entre les hommes procéderont toujours d’une lutte permanente pour la reconnaissance, que de celle de Kant, pour lequel cette communication et ce respect naîtront d’un « accord volontaire des libertés », d’une „Hospitalität“ mutuelle31. Le détour hégélien permet de mettre en lumière certains aspects du conflit qui n’apparaissent pas directement dans l’approche de Ricoeur. « Toute liberté ne peut exister que dans sa relation avec d’autres libertés »32, tel est le postulat de base des théories aussi bien hégélienne que ricoeurienne. Le désir d’être reconnu, qui préside à la liberté du « je », entre en conflit avec le désir concurrent du « tu », et c’est de là que naît la lutte.
23Sur le plan de la pratique politique, l’articulation du dialogue au sens strict, de la parole, et de la contrainte, devient alors particulièrement délicate. Dans une situation de conflit exacerbé, le dialogue qui vise à la persuasion de l’adversaire n’est plus suffisant. La vérité seule ne fait pas cesser le mal. Ainsi, pour Jean-Marie Muller, à un certain degré de confrontation, une forme de contrainte devient nécessaire33 :
Il ne s’agit pas seulement de faire appel à la conscience de l’adversaire, afin qu’il se convertisse, il s’agit aussi de le contraindre soit à ce qu’il ne fasse pas ce qu’il veut faire, soit à ce qu’il fasse ce qu’il ne veut pas faire, et cependant il s’agit bien de le contraindre sans violence. Il s’agit non seulement de tenter de le convaincre mais aussi de le vaincre, c’est-à-dire d’établir un rapport de forces en notre faveur qui l’oblige à céder34.
24Poursuivant cette réflexion, les auteurs de l’étude française La dissuasion civile affirment :
L’action non-violente recherche l’efficacité par la force ; elle se situe donc bien dans le registre de la lutte politique. Ce serait un contresens que de la réduire à une « protestation symbolique » ou à un « témoignage prophétique ». La stratégie de l’action non-violente vise à mettre en œuvre une force de contrainte qui oblige l’adversaire à renoncer à toute tentative d’agression ou de domination. Contrairement à ce que laissent entendre les caricatures qui en sont présentées, l’action non-violente ne cherche pas à convaincre l’adversaire mais à le contraindre35.
25Dans son étude sur le soulèvement non-violent („Gewaltfreier Aufstand“), Theodor Ebert fait remarquer à juste titre que les deux éléments de « conversion » et de « coercition » sont présents dans toute action de lutte politique non-violente, mais alors que les artisans du soulèvement ou de la résistance insistent plutôt sur le premier, c’est le second que mettent en avant les titulaires du pouvoir en place, chacun cherchant à justifier sa position. Pour Ebert, les deux aspects sont essentiels au succès d’une stratégie d’action non-violente36. C’est encore aux auteurs de La dissuasion civile qu’il revient de résumer la nature de l’action politique non-violente :
L’action non-violente est… bien une lutte. Là encore, il serait illusoire de ne miser que sur le dialogue pour obtenir justice. Ce qui caractérise une situation d’injustice, c’est précisément l’impossibilité du dialogue entre les opprimés et les oppresseurs : c’est parce que le dialogue n’est pas possible que la lutte est nécessaire. Dans un tel conflit, la lutte doit créer les conditions du dialogue en obligeant l’autre à me reconnaître comme un interlocuteur nécessaire sinon valable. S’il est souhaitable que tout conflit s’achève par des négociations, celles-ci ne peuvent permettre une solution juste que si la lutte a permis de changer le rapport de forces entre les deux parties37.
26Mais alors, dira-t-on, la différence qui demeure entre l’action non-violente et l’action violente est-elle significative ? Que devient le respect des droits de l’autre ? Hannah Arendt fait objection aux théories de la coercition non-violente en remarquant que si le droit à la vie de l’adversaire est respecté, c’est à l’exclusion de tous ses autres droits38. Jean-Marie Muller admet qu’il existe une parenté étroite entre la violence et la non-violence et que la seconde ne peut jamais abolir totalement la première, même si elle peut la réduire considérablement39. Pourtant, il existe une différence qualitative entre les deux termes, dont Paul Ricoeur nous fournit le critère distinctif : « La visée de la violence, le terme qu’elle poursuit implicitement ou explicitement, directement ou indirectement, c’est la mort de l’autre – au moins sa mort ou quelque chose de pire que la mort », qui est l’avilissement de l’autre, la destruction de ce qui, au-delà de sa vie, fait sa dignité d’être humain40. Au contraire, la lutte non-violente renonce à toute destruction de l’autre.
27Comme chez Hegel, le processus est une dialectique, dans laquelle la lutte et la reconnaissance sont deux moments successifs d’un mouvement permanent qui permet une réorientation constante de la relation entre les deux adversaires. Plutôt que de s’exclure, ces deux moments sont indispensables l’un à l’autre. Chez les partisans de la défense non-violente, l’élément essentiel tient à ce que la contrainte, si elle peut être nécessaire à l’origine, n’est pas l’objectif visé mais le moyen d’amener l’adversaire au dialogue. Dans la mesure où ce dernier reste reconnu dans sa dignité d’être humain, même si la communication est objectivement inexistante à un moment donné, elle est toujours hypothétiquement possible, parce que le droit de l’autre conserve une validité intangible.
28Au-delà de leur valeur heuristique, les termes de ce débat peuvent-ils avoir une application dans la pratique politique ? Les rapports entre communautés politiques semblent marqués plus souvent par le moment de la lutte que par celui de la reconnaissance. La volonté de puissance, la méfiance réciproque ne sont-elles pas des obstacles insurmontables qui donneront éternellement raison à Calliclès sur Socrate, la reconnaissance ne pouvant alors qu’être l’acceptation par le plus faible du « diktat » du plus fort ?41
29Les buts politiques du « dialogue » ne devraient-ils pas se limiter à une simple gestion des épiphénomènes de la confrontation entre les deux principaux adversaires, au premier rang desquels une course aux armements qui acquiert des proportions démentielles, et ceci, sans que la nature du conflit en soit changée ? Ou au contraire, la reconnaissance doit-elle aller jusqu’à une nouvelle synthèse des besoins, des intérêts, des aspirations des adversaires qui entraînerait une modification radicale du système des relations internationales ?
II. Le dialogue politique : détente ou changements structurels ?
30Très souvent, on assimile le terme de « dialogue » à celui de « détente » dans le cadre du conflit Est-Ouest, alors même que tous deux sont dotés d’une grande variété de définitions. Adoptée comme politique officielle de l’OTAN dans le Rapport Harmel de 196742, la « détente » s’est vu attribuer depuis lors des priorités et des contenus différents dans la politique des pays de l’Alliance atlantique, sans parler des divergences qui existent à son sujet entre les blocs. Pour l’Occident, il s’agissait d’abord d’éliminer les excès les plus dangereux de la course aux armements, alors que, pour le camp socialiste, la priorité était l’établissement d’un dialogue politique sur l’ensemble des questions de paix et sécurité en Europe43, une exigence soulevée sans répit depuis les années 1950. Dans ce cadre, la question des frontières issues de la guerre et plus spécifiquement, la « question allemande » jouaient un rôle primordial. Jusqu’au début des années 1970, la discussion sur la détente s’articulait autour de trois pôles : les traités de paix, qui devaient résoudre définitivement la question des suites politiques de la guerre, le problème de la réunification de l’Allemagne et la question de l’armement. La signature des traités de renonciation à l’usage de la force entre l’Allemagne fédérale et l’URSS (12 août 1970) d’une part, la Pologne d’autre part (18 novembre 1970), la conclusion de l’accord des quatre puissances sur Berlin (3 septembre 1971) qui permit aux deux Allemagne de signer à leur tour un accord sur le transit vers et en provenance de Berlin, et enfin le „Grundvertrag“ (21 décembre 1971) entérinant l’existence et la reconnaissance mutuelle des deux Etats dans leurs frontières issues de la guerre, modifièrent sensiblement les données du problème. Il devenait possible de parler de détente en Europe sans que soit remis en cause le statu quo territorial. Cependant, ceci ne permettait pas de décider a priori si la détente devait se limiter aux facteurs militaires ou au contraire inclure une discussion beaucoup plus radicale sur la divergence des systèmes politiques de l’Est et l’Ouest.
A. Les objectifs du dialogue
31Lorsque l’OTAN décida en 1967 de faire de la détente la « seconde fonction » de la politique de l’Alliance, elle ne précisa pas comment celle-ci allait s’agencer avec son premier objectif, celui du maintien d’une politique de sécurité basée sur les moyens militaires de la dissuasion. La détente se voyait assigner le but de « progresser vers l’établissement de relations plus stables qui permettront de résoudre les problèmes politiques fondamentaux »44. Projet ambitieux, que la pratique devait réduire à des dimensions beaucoup plus modestes, du moins si l’on constate la persistance des divergences entre les modèles économiques et sociaux.
1. Les buts politiques
32Sur le même mot d’ordre du couplage entre la détente et la dissuasion furent menées des politiques sensiblement différentes selon les coalitions en place. Donnons-en un bref aperçu avant de revenir à la question de compatibilité de manière plus théorique.
a. La variété des conceptions
33Dans le cadre Est-Ouest, « l’Ostpolitik » du SPD fut certainement la tentative la plus poussée pour faire de la détente la priorité incontestable de la politique de sécurité. Elle prenait le contre-pied de toute la politique de lien entre la détente et le règlement de la question allemande, activement pratiquée par la CDU dans les années 1955-58, puis 1963-6745. Reposant sur l’acceptation du statu quo territorial, elle faisait des « deux piliers » de la détente et de la dissuasion les bases de la politique de sécurité46.
34Dans ce cadre émergèrent deux concepts spécifiques. Le premier est celui de „Sicherheitspartnerschaft“ (« partenariat de sécurité »), qui postule une indivisibilité de la sécurité entre l’Ouest et l’Est ou, selon une interprétation plus restrictive, la possibilité de mesures qui, en accroissant la sécurité d’une des parties, ne diminuent pas celle de l’autre. Ce concept avait un sens en particulier dans le contexte européen dans la mesure où il aurait permis d’envisager une certaine indépendance de la sécurité européenne vis-à-vis de l’action des deux grandes puissances47. Le second concept, celui de „Wandel durch Annäherung“ (« changement par le rapprochement ») introduit par Egon Bahr en 196348 impliquait une transformation à long terme, par doses quasi homéopathiques, des structures sociales, politiques, économiques et idéologiques de l’Est et de l’Ouest. Le caractère progressif de l’évolution permettrait d’éviter de susciter une réaction brusque de la part d’une Union soviétique qui, à l’inverse, risquerait de se sentir menacée par des changements violents.
35Toute politique qui se fixe pour objectif une transformation forcée du système de l’adversaire, que ce soit par des moyens militaires ou des pressions économiques, est en effet vouée à l’échec49. Plutôt que d’accroître la sécurité mutuelle par réduction de la menace, elle risque d’inciter l’adversaire à renforcer la fermeture de son système politique et à répondre éventuellement par l’accroissement d’un potentiel militaire déjà sur-valorisé en tant qu’élément de la politique de sécurité. Lorsque la détente devient politique de « subversion », elle n’assure plus la sécurité d’aucun des deux adversaires ; elle les met au contraire en danger50.
36C’est pourtant en ces termes que les gouvernements occidentaux avaient compris la politique de détente dans les années 1963-6751 et c’est pour partie ainsi que continuait à l’interpréter la CDU en 1983. Dans la mesure où l’entière responsabilité des tensions est imputée au bloc socialiste, seul un changement en profondeur de celui-ci pourra amener la fin de la confrontation52. Inversement, les concepts de „Wandel durch Annäherung“ et de „Sicherheitspartnerschaft“ sont très contestés à droite. S’il est vrai, comme le déclare Theodor Waigel, que les Allemands de l’Ouest vivent « sur la ligne où se font face la liberté et l’absence de liberté », tout compromis est impossible. « Toute solution intermédiaire serait au désavantage de notre ordre de valeurs, et c’est fondamentalement ce qui rend le concept de „Wandel durch Annäherung“ du collègue Bahr irréaliste et dangereux »53. D’autre part, s’il s’avère que « l’URSS pense… exclusivement dans les termes agressifs de son propre besoin de sécurité, qui ne recherche pas l’équilibre mais la domination », qu’elle déclare sa sécurité comme « le sanctuaire, le saint des saints », un réel « partenariat de sécurité » avec Moscou est impossible54. De la même manière, Alois Mertes dénonce les tentatives d’utilisation d’une formule jusque-là réservée aux relations entre membres de l’Alliance atlantique pour caractériser les rapports entre deux systèmes radicalement différents. La tentation du « neutralisme politique » qu’elle renferme serait un grand danger pour l’avenir de l’Allemagne55. Au concept social-démocrate de « partenariat de sécurité », la CDU oppose celui de « sécurité égale » qui, dans la configuration militaire du début des années 1980, signifie le rétablissement, grâce aux euromissiles occidentaux, de l’« équilibre » rompu par le stationnement des SS 2056.
37Mais c’est bien aussi au nom de sa politique des « deux piliers » que le SPD avait entérinée en 1979 la « double décision » de l’OTAN : offre de négociations d’une part, résolution à ne pas sacrifier sa propre sécurité de l’autre57. La critique a fait remarquer la contradiction de cette attitude, qui pose la question de compatibilité logique et politique entre armement et détente58.
b. Détente et dissuasion
38Dans une perspective diachronique, la relation entre les deux termes peut apparaître sous trois approches différentes. Dans la première, politique de sécurité militaire au plan interne et politique de détente au plan international sont vues comme deux orientations à long terme, la nature du conflit entre les deux antagonistes n’étant remise en cause ni par l’une ni par l’autre. La détente ne pourrait donc aboutir qu’à une stabilisation des effets du conflit, sans impact sur ses causes. Selon la seconde, leur simultanéité serait réduite à une phase initiale qui servirait à tester la solidité de la détente, sans renoncer dès l’origine à une garantie militaire. A mesure que la confiance entre les deux adversaires se renforcerait, la politique de sécurité militaire devrait peu à peu céder le pas à un élargissement du champ de leurs relations au-delà du strict domaine de l’équilibre des armements. La troisième approche, qui pousserait à terme ce processus, verrait une simultanéité temporaire et strictement limitée de la détente et de la dissuasion comme un épisode intermédiaire qui permettrait une restructuration totale du système de la course aux armements vers un ordre de paix démilitarisé59.
39La première approche donne en fait à la détente un contenu très proche de la conception soviétique de la « coexistence pacifique », pour laquelle il n’a jamais été question d’aplanir les différences entre deux systèmes sociaux et politiques. Au contraire, il ne s’est jamais agi pour l’URSS d’autre chose que d’une
double stratégie ouvertement déclarée, selon laquelle la renonciation à la violence dans les relations interétatiques et une coopération dans des domaines particuliers vont main dans la main avec l’élargissement de sa sphère d’influence sociale, c’est-à-dire le soutien aux mouvements révolutionnaires indépendantistes et de libération accompagné d’un renforcement de la lutte idéologique60.
40Lorsque le gouvernement allemand cherche à limiter la détente aux relations entre Etats et à l’exclure entre systèmes de sociétés, à la réduire à un modus vivendi61, ses objectifs ne diffèrent guère de ceux des dirigeants soviétiques. Il faudrait peut-être cependant, comme le préconise Johan Galtung, faire la distinction entre une coexistence positive, qui implique un certain degré de coopération, surtout dans les domaines économiques et culturels, et une coexistence passive ou négative qui se limite à une ignorance mutuelle62. Dans le premier cas, on ne peut exclure dans un horizon lointain un élargissement de la zone de travail en commun, alors que dans le second, toute évolution devra être précédée du laborieux processus d’établissement du dialogue.
41C’est dans la perspective d’un élargissement du concept de sécurité au-delà de la seule composante militaire que le SPD a tenté dans les années 1970 d’orienter sa politique selon la seconde conception. Tout en proclamant son attachement à l’Alliance, il a toujours refusé de s’assigner pour unique objectif la stabilisation de l’équilibre militaire. Une réduction réelle des potentiels, qui entraînerait éventuellement, à terme, une modification des relations entre les blocs, est constamment demeurée à son programme63. Qu’il ne soit pas parvenu, dans la pratique, à des solutions aussi radicales que l’aurait souhaité la gauche du parti est autant un signe du manque de cohésion social-démocrate sur la politique de défense – qui n’a cessé de s’accroître après la « double décision » de l’OTAN – que de 1’étroitesse de la marge de manœuvre de la politique étrangère allemande, prise entre la fidélité à l’Alliance atlantique et le désir d’apaiser les tensions sur la frontière de l’Est.
42La politique de détente menée de concert par l’Est et l’Ouest pendant la première moitié des années 1970 n’est pas restée totalement sans résultats. Ses répercussions furent considérables, en particulier pour l’Allemagne, dans les domaines économiques et humains. Sur le plan strictement militaire, on s’entendit pour éviter les débordements les plus dangereux grâce à la maîtrise des armements. Mais la compétition armée n’en fut pas endiguée pour autant. Elle reprit dès le milieu des années 1970 avec l’accélération de la politique d’armement nucléaire soviétique et s’exacerba avec l’accroissement des tensions en 1979-80. Les accords passés au cours des années 1970 dans un secteur marginal, aussi bien géographiquement (l’Europe), qu’en termes de domaines concernés (économiques, relations humaines, armes nucléaires stratégiques) restèrent sans incidence sur la configuration des relations entre les deux blocs. Il aurait d’ailleurs été surprenant qu’il en fût autrement, dans la mesure où ils reposaient sur la consécration du statu quo territorial issu de la seconde guerre mondiale, qui entérinait la séparation des deux modèles politiques et sociaux64. Plutôt que de rapprocher les deux systèmes, ils transférèrent leur confrontation hors du champ européen vers d’autres régions du monde.
43La définition d’une stratégie qui, des mesures limitées de réduction des tensions dues à la course aux armements, permette de passer à une révision des relations entre l’Ouest et l’Est, nécessiterait un élargissement du concept de sécurité bien au-delà des seuls facteurs militaires. Elle exigerait également que l’on s’attaque aux causes profondes du conflit plutôt que de tenter d’en apaiser les conséquences les plus dangereuses au coup par coup.
2. Détente et changements structurels
44A titre de préalable à leur analyse des propositions de l’épiscopat américain pour sortir de l’engrenage de la dissuasion, les chercheurs de la HSFK distinguent deux conceptions de la politique de maîtrise des armements. La première, qui a prévalu dans la pratique, « se fixe exclusivement pour but la stabilisation d’un système de dissuasion dont on est en train de perdre le contrôle ». Dans ce cas, « la limitation des armements reste soumise à la logique de la planification militaire ; elle doit simplement éliminer les excroissances de la dissuasion ». La seconde « va au-delà, dans la mesure où elle voit la maîtrise des armements comme une première étape sur la voie de leur réduction et finalement, du désarmement. La maîtrise des armements a alors pour objectif l’établissement d’un système de sécurité basé sur la coopération, qui doit fournir progressivement l’équivalent fonctionnel des mesures militaires ». Selon cette seconde conception, « la dissuasion militaire doit être subordonnée à la politique de limitation des armements et de détente »65.
45On retrouve ici les deux premières des trois approches de la détente évoquées plus haut. Les trois critères d’acceptabilité de la dissuasion énoncés par les conférences épiscopales : rejet des armes déstabilisantes, de la recherche d’une supériorité militaire, compatibilité avec le désarmement, vont très nettement dans le sens de la seconde interprétation, qui fait de la détente non pas seulement un moyen, mais un objectif à long terme. La question du passage du premier au deuxième niveau reste cependant posée sur un plan pratique. La détente, entendue comme élimination des risques majeurs d’usage de la force peut-elle étendre ses conséquences jusqu’à la guérison des causes profondes du conflit ou est-elle vouée à ne rester qu’un palliatif ?
46La réponse à cette question nécessite une analyse plus approfondie de la nature du conflit Est-Ouest que la plupart des chercheurs, et plus encore, des politiciens, ne la font habituellement. C’est seulement à partir d’une typologie des niveaux du conflit qu’il sera possible d’établir une hiérarchie des solutions selon les objectifs recherchés.
a. Les niveaux du conflit
47En vue d’une réévaluation de la « double décision » de l’OTAN dans le contexte global des rapports Est-Ouest, le chercheur allemand Ernst-Otto Czempiel propose d’analyser le conflit entre les blocs comme un système pyramidal à quatre degrés. Son approche structurelle n’est pas destinée à avoir seulement valeur heuristique ; elle correspond aussi aux étapes d’un développement historique66. Selon son schéma, le bas de la pyramide, qui constitue le premier degré, représente le conflit originaire entre les deux systèmes ; il résulte d’une divergence fondamentale des conceptions de l’ordre social, économique et politique. Sur ce premier niveau se greffe une préoccupation de sécurité, qui se traduit concrètement par la crainte constante d’une attaque militaire de la part de l’adversaire. Cette préoccupation, et le conflit qui en résulte, n’existaient pas à l’origine : leur émergence date de la formation des deux blocs après la seconde guerre mondiale67. Le troisième niveau, apparu à peu près à la même période, mais distinct du précédent, correspond à la concurrence sans merci que se livrent les deux grandes puissances pour accroître leur influence dans le reste du monde. Le quatrième niveau, qui est aussi le plus récent, est celui par lequel se manifeste la course aux armements. Il n’est pas originaire mais dérivé, principalement à partir du second niveau. Bien que ses racines soient les moins profondes, c’est lui qui produit les tensions les plus sérieuses, contrairement aux conflits sous-jacents, dont les conséquences immédiates restent généralement peu sensibles68.
48Si le conflit est défini comme une « différence des positions » entre les deux antagonistes69, son intensité est d’autant plus grande que l’on descend du haut vers le bas de la pyramide, où les divergences sont les plus importantes. Inversement, il sera plus facile d’agir au niveau des manifestations ou des dérivations du conflit, en l’occurence, la course aux armements, qu’au niveau de ses causes profondes70. En conséquence, il est essentiel de ne pas confondre détente et éradication du conflit, comme ce fut souvent le cas dans les débats, en particulier aux Etats-Unis durant les années 197071. La détente, telle qu’elle a été mise en œuvre – et telle que l’auteur la conçoit à l’origine72 –, doit être prise dans sa signification très limitée de réduction de la tentation d’usage de la force, qui caractérise généralement l’émergence des tensions.
49Sur le théâtre européen, l’auteur fait remarquer que le conflit n’eut jamais pour objet, depuis Yalta, une domination territoriale, la plus susceptible de conduire à l’utilisation de la force militaire, mais plutôt la lutte entre deux systèmes économiques, politiques et sociaux différents. Il n’était donc nullement nécessaire qu’il acquît la forme d’une compétition armée. En conséquence, aucun obstacle ne s’oppose, logiquement, à la réduction de sa dimension militaire73. La première urgence est la redécouverte de sa dimension fondamentale, au-delà de toutes les excroissances qui ont pu s’y greffer74.
b. Les priorités
50La redécouverte de la nature profonde du conflit passe en premier lieu par une redéfinition du concept de puissance („Macht“) dans les relations internationales. Trop souvent, celui-ci a été associé à la capacité de mise en œuvre de la force militaire75. Deux déformations en ont résulté : d’une part, la tentation d’associer puissance et capacité d’agression, de l’autre, celle de réduire le concept de sécurité à sa dimension militaire. Pour corriger la première distorsion, Czempiel propose de remplacer le concept de puissance par celui de „Nient-Anpassung“ (que l’on peut traduire par « non-soumission »)76, qu’il définit comme le fait de « renoncer à imposer sa propre volonté à son entourage et au contraire, de limiter son effort à ne pas subir la domination d’une volonté étrangère ». Alors la composante traditionnelle, offensive, de la puissance, disparaît, sans porter préjudice à sa composante défensive77.
51La résolution à ne pas perdre du terrain devant l’adversaire, tout en s’abstenant de le menacer, ouvre la possibilité d’une conception plus large de la sécurité qui incluerait aussi des facteurs idéologiques, sociaux et économiques78. Dans ces domaines, l’Ouest possède une supériorité incontestée. S’il les incluait dans le calcul de sa puissance, il n’aurait aucune raison de s’inquiéter devant un déséquilibre partiel à ses dépens dans certains secteurs de l’armement. Par ailleurs, du fait qu’il bénéficie du système le plus flexible, c’est à lui que revient la charge d’initier un processus de changement pour endiguer l’inutile course aux armements et ramener la préoccupation de sécurité à sa vraie dimension79.
c. La stratégie proposée
52La stratégie que propose Czempiel est celle du « gradualisme », qui doit enclencher dans les relations entre les deux adversaires un processus de désescalade parallèle, mais de sens inverse à celui qui a permis la course aux armements. L’auteur en adopte une interprétation restrictive80, qui distingue nettement ses propositions de celles du désarmement unilatéral. Le processus commence, certes, par un geste à sens unique de la part du pays A, qui doit signaler à son adversaire B le sérieux de son intention de désarmer. En cas de réponse positive, c’est-à-dire d’une initiative correspondante de la part de B, A ferait un nouveau pas en avant pour inciter B à répondre à son tour, et ainsi de suite. En cas de réponse négative, A répondrait au contraire au refus de B en augmentant son niveau d’armement ou en renversant sa mesure de désarmement, montrant ainsi qu’il ne s’agit nullement pour lui d’une attitude de faiblesse81. Dans cette perspective, Czempiel considère la « double décision » de l’OTAN comme un progrès, dans la mesure où elle repose sur ce double mouvement de la menace et de la promesse82. Mais elle reste à ses yeux ancrée dans l’ancienne logique qui l’empêche déjouer le rôle de catalyseur du changement, essentiel au démarrage d’un processus de désarmement graduel83. Ce qui lui manque, c’est la capacité d’introduire des « changements structurels » („Systemwandel“), vers lesquels doit être orientée toute la stratégie du gradualisme.
d. La logique du changement
53Dans la construction de Czempiel, le « système » est considéré à la fois dans sa composante interne et internationale. La stratégie proposée repose sur la valeur de « l’exemple », non pas par moralisme, mais au sens où l’action entreprise par l’initiateur démontrerait à l’adversaire que lui aussi a un intérêt à évoluer dans une direction parallèle, en l’occurrence, à dépasser une définition uniquement militaire de sa sécurité84. La rivalité entre les deux parties pourrait ainsi se déployer au niveau qui lui revient : celui de la compétition des systèmes politiques et sociaux, sans prendre nécessairement la forme d’une confrontation armée. L’intérêt à faire valoir aux yeux de l’adversaire serait avant tout de nature économique, la renonciation au surarmement permettant d’accroître le niveau de vie à l’Est sans restreindre sa puissance, simplement en la faisant changer de registre85. Il deviendrait alors évident qu’un accroissement de la sécurité pour les deux parties pourrait résulter d’une politique de désarmement et de détente.
54Un des présupposés du modèle de Czempiel est l’existence d’une dépendance étroite entre la structure des systèmes internes et celle des relations internationales86. Il y aurait évolution des structures politico-économiques à l’Ouest et à l’Est, en même temps que transformation des relations entre les blocs, le mouvement étant lancé unilatéralement du côté occidental. L’auteur admet que les changements seraient plus faciles et plus rapides à l’Ouest, mais il se refuse à renoncer à toute possibilité d’évolution du côté du bloc socialiste – en quoi la politique de “glasnost” inaugurée par M. Gorbatchev lui donne raison. D’évidence, une telle construction s’exclut d’emblée si l’on considère au contraire le système soviétique comme essentiellement basé sur la propension à l’agressivité et à la domination87. Dans ce cas, les relations économiques avec l’Est ne peuvent qu’être vues comme un instrument de récompense ou inversement, de punition, sanctionnant la politique mondiale de l’URSS ou son attitude dans les négociations sur les armements88. A l’inverse d’une telle approche, Czempiel se refuse à considérer son modèle comme « interventionniste »89.
55Dans ce sens, on peut avancer les arguments suivants : 1) il envisage un processus de changement sans violence ; 2) il ne cherche pas à imposer à l’adversaire un modèle de société mais à lui démontrer son intérêt à évoluer de sa propre initiative ; 3) il ne gomme pas l’existence d’un conflit de fond entre les deux systèmes, mais au contraire définit les conditions d’un traitement sérieux des différends en éliminant les excroissances qui en dissimulent la nature réelle et en augmentent le danger de manière exponentielle. L’objectif est clairement, par la brèche ouverte dans l’incommunicabilité des systèmes grâce au jeu des intérêts, de permettre à terme un débat pacifique à propos de leur hiérarchie de valeurs. Czempiel n’entre pas lui-même dans cette problématique, mais son analyse présuppose qu’une solution durable du conflit Est-Ouest devra nécessairement se situer sur ce plan90. C’est ce qu’espérait le chancelier Brandt lorsqu’il lança sa « politique à l’Est » au début des années 197091 et c’est aussi ce que suggèrent les évêques en matière de promotion de la paix.
B. La position des évêques
56Le modèle de Czempiel nous fournira une clé pour l’analyse des propositions épiscopales en vue du dialogue et du désarmement. Bien que les différents niveaux du conflit soient potentiellement pris en compte dans les lettres pastorales, on peut regretter l’absence d’une articulation entre eux, qui aurait permis d’envisager ensuite des solutions adaptées à chaque échelon de la confrontation.
1. L’analyse de situation
57Dans les trois documents, le conflit de base entre systèmes idéologiques et politiques est mentionné, quoique son rôle dans l’antagonisme entre les adversaires soit envisagé de manière très différente. Chez les évêques français, l’agressivité et la propension expansionniste de l’idéologie marxiste-léniniste apparaissent comme la cause essentielle du conflit et des tensions qui en résultent. Les questions de la sécurité et de la course aux armements n’en sont pas distinctes ; elles n’interviennent pas avec leurs causes propres, partiellement détachables du conflit originel (GP, p. 6). Dans certaines parties de leur texte, les évêques allemands présentent une analyse voisine. Ainsi, si l’introduction essaie d’imputer le conflit à un fait objectif, à une incompatibilité entre deux systèmes, il est clair dès l’origine que l’un d’eux porte une responsabilité supérieure92.
58Par la suite, le jugement devient plus nuancé. A côté des éléments idéologiques, l’épiscopat allemand admet que le conflit Est-Ouest est aussi le fait d’autres facteurs qui seraient à classer au registre de la sécurité selon le modèle de Czempiel : « les aspirations hégémoniques, la tradition russe de méfiance craintive, les expériences historiques, les retards en matière de modernisation, les mécanismes de pouvoir parmi les dirigeants, la crainte pour la stabilité du système dans le cadre des peuples qui lui sont soumis » (ibid., p. 578). Il fait apparaître en conséquence la nécessité d’une prise en compte des besoins de l’adversaire, de ses « expériences », de ses « craintes », de ses « intérêts », de ses « reconnaissances » et de ses « évaluations » en matière de sécurité (ibid., pp. 585, 588), une attitude qui est présentée tantôt comme un résultat de l’application politique de l’éthique du Sermon sur la Montagne (ibid., p. 585), tantôt comme un frein aux aspirations hégémoniques contraires à « la volonté de Dieu et [aux] intérêts de la survie d’une humanité qui ne peut plus résoudre ses problèmes que dans la coopération et la solidarité » (ibid., p. 588). Quant à l’idéologie, si le marxisme-léninisme apparaît encore comme la cause majeure de conflit, la lettre demande à plusieurs reprises une discussion sérieuse, intellectuelle et politique, de ses bases et de ses prétentions (ibid, pp. 578, 585). Il n’est question nulle part de « partenariat de sécurité », mais un dialogue semble possible, autant au niveau idéologique de celui des intérêts93.
59Dans le texte américain prévaut clairement la volonté de conciliation, ou plutôt d’équilibrage, malgré une accentuation progressive des domaines de contentieux au fil des versions. La divergence idéologique est vue comme un facteur conflictuel, sans que soit imputée à une source particulière la responsabilité des tensions (CoP, p. 751). L’existence d’un expansionnisme soviétique est mentionnée mais les évêques renoncent à trancher sur ses causes : idéologie ou volonté de puissance, attitude agressive ou volonté défensive ? (ibid.). Cependant, dans la mesure où le danger principal est attribué à la menace nucléaire réciproque (ibid., p. 752), il est beaucoup plus facile de définir un terrain commun, qui est celui du non-emploi des armes nucléaires (ibid.). La conception de la détente qui se dégage du document épiscopal est très proche de celle de certains « observateurs européens », comme l’avouent eux-mêmes ses auteurs (ibid.). En clair, il s’agit d’aboutir à un modus vivendi qui rendrait la coopération possible dans certains domaines politiques, économiques et idéologiques, mais ne résoudrait pas les « différences de position » – pour reprendre la définition de Czempiel – sous-jacentes (ibid.). Sur ce point, les évêques sont fidèles aux conclusions de leur lettre de 1980 sur le marxisme-léninisme. De leur point de vue :
La doctrine catholique entend éviter d’exacerber l’opposition idéologique et met l’accent sur deux problèmes qui exigent des efforts communs au-delà de la ligne de séparation idéologique : maintenir la paix et donner un pouvoir aux pauvres94.
60Les ambitions du dialogue tel qu’il est préconisé par la lettre pastorale américaine sont donc plus limitées que celles du texte allemand. Cette limitation a plusieurs causes. Alors que les évêques allemands, poussés par les mouvements de paix et influencés par les théories de la recherche sur la paix tendaient à définir les contours extérieurs du dialogue, leurs confrères avaient à se défendre de prôner une philosophie conciliatrice qui les aurait fait soupçonner de défaitisme. La volonté de limiter le dialogue aux « intérêts » communs correspond aussi davantage à une culture qui a fait de la tolérance le principe de base de la cohésion sociale95. Pour les évêques américains, sa transposition au niveau des relations internationales ne semble pas être une impossibilité.
61Chez les uns et les autres, cependant, les propositions de dialogue se heurtent à un certain nombre de limites tenant à leur réserve, à leur imprécision ou à l’étroitesse de l’approche.
2. Des propositions timides
62A la suite de nombreuses déclarations pontificales, les trois documents s’appliquent à demander la poursuite des efforts de négociation sur la limitation des armements et, éventuellement, le désarmement. Dans ce domaine, une fois de plus, les évêques américains font les propositions les plus hardies, ce qui ne signifie pas qu’elles soient les plus aptes à résoudre les problèmes de fond.
a. Le document américain
63Outre une série de mesures bilatérales qui rejoignent les exigences d’une partie de la classe politique (CoP, pp. 743-44)96, ils cherchent à imposer une retenue volontaire dans certains domaines afin de diminuer la menace potentielle envers l’adversaire, qui accroîtrait le danger réciproque (ibid., p. 743). La perspective est bien celle du désarmement nucléaire total, de la progression « vers un monde libéré de la dépendance de la dissuasion nucléaire » (CoP, p. 743). C’est ce qui apparaît dans « le soutien de négociations en vue d’importantes réductions bilatérales dans les arsenaux des deux superpuissances » (ibid., p. 744) et dans l’encouragement au « travail accéléré pour le contrôle, la réduction des armes et le désarmement » (Section III, A, 1). La logique qu’ils suggèrent à ce niveau répond sans la nommer à celle du gradualisme, tel qu’il est exposé par Czempiel. Il ne s’agit pas de désarmer unilatéralement, mais de « faire les premiers pas », de prendre des « initiatives indépendantes pour réduire certains des plus graves dangers afin d’encourager une réponse soviétique constructive » (CoP, p. 745). Ces « pas en avant » devraient être « limités et soigneusement choisis », réduits à « une période déterminée » au cours de laquelle on chercherait à obtenir une réponse correspondante de l’adversaire. « Si une réponse appropriée ne vient pas, les Etats-Unis ne seraient plus liés par ces pas en avant » (ibid.). Les évêques soulignent que de tels pas ont déjà été faits par les deux superpuissances dans le passé, mais ne font aucune suggestion pour la poursuite d’une politique identique (ibid., p. 746).
64Les limites auxquelles se heurte leur approche sont de deux types. La première est due à l’étroitesse de la philosophie sous-jacente. L’immense majorité de leurs propositions est orientée vers la réduction du danger dont est porteuse la course aux armements, assimilée le plus souvent au danger de conflit nucléaire (CoP, pp. 746, 752). Certes, il est question d’encourager les « négociations » visant à limiter les forces conventionnelles et à instaurer la confiance entre d’éventuels adversaires, surtout dans des régions où des affrontements militaires sont possibles, celles qui ont pour but de « réduire les tensions politiques qui motivent la fabrication des armes », ainsi que d’avoir « le souci constant d’établir un maximum de contacts politiques avec les gouvernements des adversaires éventuels »97, en « prévoyant des discussions et des négociations systématiques et répétées sur les domaines litigieux » (ibid., p. 746). Mais telles qu’elles sont formulées, ces exigences relèvent davantage du pragmatisme politique que d’une volonté systématique d’examiner les causes sous-jacentes et à long terme de la rivalité entre les deux blocs.
65Cette constatation nous mène au deuxième type de limitation. Malgré l’ampleur « horizontale » du dialogue prôné, la dimension « verticale » lui manque. Les évêques ne disent pas si, et comment, ce dialogue doit conduire, à échéance, à une modification des « positions » respectives des deux superpuissances. En d’autres termes, la notion de „Systemwandel“, présente chez Czempiel, est absente. La possibilité d’un changement du système des relations entre les blocs est évoquée, mais elle se place dans le cadre de l’eschatologie plutôt que dans celui d’une construction politique progressive98. De même, la description du devoir-être de l’ordre international n’est pas accompagnée d’une indication des modalités de passage de l’actuel au souhaitable99. Les mesures envisagées afin de réduire les tensions sont sans incidence sur la structure du système.
66Deux hypothèses centrales du modèle de Czempiel sont absentes de la lettre pastorale. La première a trait au caractère concret, pratique, de la stratégie de gradualisme. Comme le fait remarquer cet auteur, il serait vain d’attendre une évolution simplement « par le biais d’échanges de notes et de points de vue au sein de conférences internationales » ; le changement ne peut advenir que « sur le terrain des comportements concrets »100. En clair, cela signifie qu’insister sur le dialogue pour le dialogue, comme ont tendance à le faire les évêques101, est insuffisant. Il est vrai que toutes les négociations sur la limitation des armements n’ont rien changé à la structure des relations entre les adversaires. On peut au contraire se demander si elles ne servent pas plutôt à leur donner la légitimité leur permettant de se perpétuer102. Le dialogue en soi risque de rester statique. Ce qui est nécessaire, c’est une pensée créatrice qui permette, par le geste, de briser le cercle des arguments et des contre-arguments. Les évêques ne s’engagent pas dans cette direction. On pourra concéder que cette ligne de réflexion dépasse le champ de leurs compétences et qu’il leur suffit – comme ils le font d’ailleurs – d’encourager le développement des recherches sur la paix et la résolution des conflits (CoP, p. 749). Cependant, même s’il ne leur appartient pas de désigner des solutions concrètes, ils n’auraient pas, à notre avis, outrepassé leurs attributions en suggérant des formes de dialogue qui débordent les buts immédiats d’une réduction de la course aux armements.
67La deuxième hypothèse manquante touche à la compréhension qu’ont les évêques du gradualisme. Czempiel insiste lourdement sur la nécessité, pour tout pays cherchant à influencer la conduite de son adversaire, de « ne pas agir unilatéralement, mais d’adopter un comportement tel que celui de l’autre également en soit changé »103. Il ne s’agit pas de prendre n’importe quelles mesures unilatérales, simplement comme geste de bonne volonté, mais d’adopter des initiatives qui fassent apparaître à l’adversaire la possibilité d’une évolution de la situation plus attractive que la poursuite de sa politique actuelle, c’est-à-dire une non-diminution de sa sécurité et une réduction du danger mutuel104. Les gestes dont fait état la lettre pastorale n’entrent que très partiellement dans ce schéma105, dans la mesure où la négociation apparaît plutôt comme un effet secondaire, certes souhaitable, mais non pas partie intégrante de la proposition initiale. Dans des circonstances moins favorables, de telles initiatives risqueraient de demeurer purement unilatérales et de n’avoir aucune répercussion sur les rapports entre les deux adversaires.
68Par ailleurs, on peut se demander si le renforcement de la défense conventionnelle que suggèrent les évêques américains n’irait pas radicalement à rencontre d’un des fondements de la stratégie gradualiste, à savoir la non-déstabilisation du système par des mesures que l’ennemi interpréterait comme une menace. Le risque d’une militarisation de la population, qui accroîtrait les problèmes de légitimité de l’Armée, le danger d’une déstabilisation du bloc de l’Est, en particulier si l’OTAN développait des stratégies de plus en plus sophistiquées de frappe en profondeur, ne sauraient être exclus. En même temps, Moscou exercerait très certainement des pressions pour un renforcement de la cohésion du bloc de l’Est et le Pacte de Varsovie pourrait se lancer dans une nouvelle course aux armements conventionnels en augmentant la composante offensive de sa stratégie106. Les auteurs qui expriment ces craintes sont également très critiques vis-à-vis des propositions de restructuration de la défense occidentale sur un mode purement défensif « à la Afheldt », a cause des déséquilibres internes à l’Alliance qu’elles pourraient causer, conduisant par contrecoup à une déstabilisation de l’ensemble du système des relations entre les deux blocs107. Cette conversion ne créant nullement une incitation à renoncer à un armement offensif pour le Pacte de Varsovie, elle diminuerait la sécurité des deux adversaires plutôt qu’elle ne la renforcerait. Notons que cette éventualité est justement celle à laquelle le premier critère d’acceptabilité de la dissuasion nucléaire énoncé dans les lettres pastorales a voulu parer. Les évêques qui, en matière nucléaire, insistent sur la nécessité d’une politique de suffisance et rejettent la recherche d’une supériorité afin d’éviter un déséquilibre du système, devraient appliquer la même logique à d’autres modes de défense. Mal interprété, le gradualisme risque d’accroître le danger plutôt que de le réduire.
b. Les évêques allemands
69Les réserves que l’on peut exprimer vis-à-vis du texte allemand sont de nature différente. Sans conteste, les évêques allemands saisissent plus profondément le nœud de l’antagonisme Est-Ouest ; ils restent cependant très timides lorsqu’il s’agit d’envisager concrètement la possibilité d’une évolution des relations entre les blocs. La perspective immédiate est celle du « contrôle des armements », plutôt que celle du désarmement (GsF, p. 587). Celui-ci demeure l’objectif ultime, mais les voies qui peuvent y conduire ne sont évoquées que dans des termes extrêmement vagues. Qu’est-ce qu’une « vraie stratégie du désarmement » ? Comment instaure-t-on des « relations de coopération à tous les niveaux où celles-ci sont possibles : diplomatique, économique, politique et psychologique » ? Comment aboutit-on à la « clarté des conceptions » et à la « crédibilité des personnes des deux côtés, afin que, par-delà la prévisibilité réciproque du comportement, puisse naître une confiance justifiée » ? (ibid.)
70En toute logique, les propositions gradualistes devraient pouvoir s’intégrer sans difficulté dans l’approche de l’épiscopat allemand, en particulier dans le cadre d’une mise en pratique politique du Sermon sur la Montagne. L’hypothèse d’une « politique de paix qui accorde à autrui, et même à l’adversaire, des possibilités de se convertir et d’apprendre ensemble »(GsF, p. 582) n’est pas sans similarité avec l’idée de „Systemwandel“ qui préside au gradualisme, abstraction faite des motivations religieuses108. Il ne s’agit pas d’une simple éthique de conviction. « Au-delà de sa valeur générale de signe, l’amour de l’ennemi acquiert une puissance de changement des structures et devient le facteur d’une éthique sociale réelle » affirme Wilhelm Korff109. Les évêques allemands partagent implicitement ce point de vue, allant même jusqu’à affirmer que
quiconque ne fait pas les démarches possibles et donc nécessaires vers la paix, quiconque ne sonde pas les chances de coopération et dénie aux autres gouvernements et aux autres peuples par principe toute capacité de s’ouvrir en direction d’une solution pacifique des conflits, ne laisse pas seulement passer une occasion de diminuer la violence ; il se rend également coupable envers l’avenir des vivants et des générations futures, compte tenu de la situation menaçante dans laquelle se trouve notre monde (ibid., p. 589).
71Pourtant, la timidité du document est patente lorsque vient le moment d’aborder des problèmes concrets. Des « initiatives », qui ne sont qualifiées ni d’indépendantes ni d’unilatérales110, sont envisagées, « dans la mesure où elles ne mettent pas en péril la sécurité et les propres intérêts légitimes » (GsF, pp. 588-89). Les évêques font écho à l’incitation de Jean-Paul II, qui encourage « les hommes politiques responsables » à « faire tous les pas, même les plus petits, qui rendent possible un dialogue raisonnable dans ce domaine capital »111. Mais l’objectif reste limité : le texte ne mentionne d’autre but que de « renforcer la confiance dans les relations internationales » (GsF, p. 587). Il est certain qu’il souhaite éviter toute proposition susceptible de remettre en discussion la question controversée du statu quo territorial et politique en Europe. Mais il est tout de même remarquable que nulle part ne soit évoquée la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe et ses « mesures de confiance », qui apparaissent pourtant comme un élément essentiel à l’instauration d’un véritable dialogue entre l’Est et l’Ouest. Les évêques ont-ils poussé à l’extrême la volonté de ne pas s’engager sur des terrains concrets ? Ont-ils craint des résistances de la part d’une frange des catholiques112 ? Ont-ils eu peur de voir assimiler leurs propositions à celles d’une partie de la social-démocratie, voire à certains courants du mouvement de paix ? Le concept d’« amour de l’ennemi » est sans aucun doute une concession à ces derniers. Le concrétiser davantage aurait accru le danger d’une théologie politique et risqué de provoquer d’inextricables contradictions avec le jugement porté sur la dissuasion.
c. Les évêques français
72Les évêques français, une fois de plus à cause de l’extrême rapidité de rédaction de leur document, n’ont pas une vision claire des implications du dialogue. D’un côté, ils l’envisagent dans le cadre des négociations sur le désarmement, citant Jean-Paul II. Dans ce cas, ses objectifs restent limités au freinage de la course aux armements, les termes utilisés (réciprocité, dialogue raisonnable) (GP, p. 12) suggérant ici une grande prudence.
73Dans un passage ultérieur, le document semble aller beaucoup plus loin. Il fait entièrement sienne la conception de Jean-Paul II qui admet la possibilité d’un « dialogue de détresse » pour une « situation de détresse » (ibid.). Cette attitude est aussi celle que prônait Karl Jaspers dans sa célèbre réflexion sur les conséquences de l’événement atomique pour l’avenir de l’humanité, affirmant que
Personne n’est en droit de rompre politiquement les rapports qu’établit le dialogue, quand bien même l’adversaire n’use pas de sa parole pour faire part de son désir d’une rencontre ouverte et franche. Toute conversation entre hommes renferme encore la possibilité qu’on se rencontre malgré tout finalement dans la vérité113
74A partir du moment où s’ébauche le dialogue, l’impérialisme de l’entendement („Verstand“) peut toujours être brisé et laisser place à la communication entre deux raisons („Vernunft“) rivales114. Le règne du totalitarisme de la pensée peut être rompu parce qu’existe un espace entre la raison et la rationalité humaines115. En conséquence, la pensée critique peut toujours être réveillée ; elle ne peut être anéantie qu’avec la disparition de l’homme lui-même. Pour sortir de l’impasse, Jaspers propose de susciter un renouvellement de la pensée116, en soi unilatéral, qui n’est pas sans rappeler la logique du changement des structures envisagée par la théorie gradualiste.
75Sans reprendre à leur compte cette articulation, les évêques français suggèrent que le dialogue doit aller au-delà du simple apaisement ponctuel des tensions (GP, p. 13). La mention – bien que très rapide – du processus d’Helsinki dans ce contexte donne une indication concrète des moyens envisagés. En faisant suivre leur encouragement au dialogue de leurs propositions en matière de promotion de la paix, ils mettent en lumière davantage que leurs homologues allemands et américains le lien à la fois théorique et pratique entre dialogue et construction de la paix.
76Dans l’ensemble, la formulation des objectifs concrets du dialogue politique et militaire reste donc limitée dans les trois lettres pastorales. Alors que les conférences épiscopales sont prêtes – à la suite des papes – à concéder qu’une véritable paix ne pourra survenir qu’avec des changements structurels dans les relations politiques et économiques entre monde industrialisé et pays en voie de développement (CoP, p. 753 ; GP, p. 14)117, elles évitent une problématique identique dans les rapports Est-Ouest. Elles préfèrent définir une « éthique commune » permettant de s’acheminer vers l’idéal d’une « paix véritable » qui irait bien au-delà d’une simple élimination des excès les plus dangereux de la course aux armements, et même de l’acceptation d’un statu quo figeant les relations entre les blocs dans l’attitude de deux chiens de faïence. L’objectif est ambitieux. Le développement de l’organisation internationale et du droit international en fournirait les moyens. Mais la formation du consensus sur les valeurs qu’il présuppose ne se heurte-t-elle pas à des obstacles politico-idéologiques insurmontables, qui n’auraient pas entravé la réalisation de buts politiques plus modestes ?
III. A la recherche d’une éthique commune
77Avant d’envisager les moyens de cette éthique : développement du droit et structuration des rapports internationaux, il est nécessaire d’énoncer un certain nombre de présupposés qui président à sa définition et de mettre en évidence les obstacles qui surgissent à partir des conditions dont elle est assortie dans la doctrine catholique.
A. Les conditions d’une éthique commune
78L’encyclique “Pacem in Terris” du pape Jean XXIII considérait la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 comme « un pas vers l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté mondiale »118. Par la suite, les papes ont repris le leitmotiv des droits de l’homme en le détachant partiellement de ses fondements de droit naturel mais en conservant le lien entre l’éthique commune dont ils constituent la base et la construction juridique qui doit en garantir le respect. L’insistance du magistère catholique sur les droits de l’homme présente plusieurs difficultés dans le cadre d’une réflexion sur la construction de la paix. Celles-ci tiennent à la manière dont est définie l’articulation entre les deux termes, au jugement porté sur la capacité de l’adversaire à accéder aux normes ainsi définies et à la compréhension dernière de la nature de la paix. Malgré ces obstacles, il semble possible de définir l’embryon d’une éthique commune.
1. L’articulation paix-droits de l’homme
79On trouve dans l’argumentation épiscopale et pontificale un thème récurrent du discours politique occidental sur les relations entre les blocs : une véritable paix ne pourra s’instaurer que sur la base du respect des droits de l’homme, entendus en premier lieu au sens des droits civils et politiques119.
80Nous avons vu que toutes les philosophies de la « reconnaissance », qu’elles soient d’inspiration religieuse ou séculière, font de l’acceptation de l’autre comme « personne libre, comme sujet de “droits” » un signe du refus de la violence à son égard et donc une condition de la paix. Les philosophies de la raison („Vernunft“) y ajoutent l’intersubjectivité qui permet la reconnaissance de l’autre comme sujet capable de penser et d’agir sur la base de jugements motivés. En conséquence, le respect de la liberté de pensée et d’expression qui caractérise la démocratie serait une condition de pénétration de la raison dans le peuple tout entier, qui lui permettrait de prendre en mains sa destinée et d’échapper à la guerre120. D’une manière plus pragmatique, on peut affirmer qu’une plus grande liberté d’expression à l’Est permettrait une discussion publique de la politique de défense et une remise en cause de ses aspects les plus offensifs121.
81La plupart des auteurs s’accordent en outre à constater, sur la base de l’expérience historique, qu’il est beaucoup plus facile de mobiliser une société « totalitaire » pour des objectifs d’agression extérieure qu’un système démocratique où la majorité des citoyens n’ont aucune revendication fondamentale à l’égard de la direction politique122. Sans succomber à l’optimisme des penseurs du xviiie siècle qui crurent mettre définitivement fin à la guerre par l’avènement universel de la démocratie, il faut admettre que la tentation de la « fuite en avant » et de la mobilisation des énergies sur la menace externe, afin de détourner la population des difficultés intérieures, sont un risque constant dans les régimes incapables de satisfaire les exigences essentielles de leur société civile.
82Le problème qui se pose alors est celui de l’évaluation du système politique auquel on a à faire face. Plus l’on insistera sur son caractère totalitaire, moins l’on sera prêt à concéder la possibilité d’un dialogue, autant du point de vue politique que philosophique. Au contraire, plus l’on mettra en évidence les aspects positifs de la différence, plus il sera possible de dégager les bases d’une éthique commune allant au-delà du seul impératif de survie physique.
2. Dialogue et totalitarisme
83Si l’adversaire est considéré comme puissance totalitaire, tout dialogue avec lui ne peut qu’être déclaré impossible, le totalitarisme reposant justement sur l’aliénation de l’homme en tant qu’être pensant et responsable123. Le mensonge qui en résulte ne peut qu’être à l’origine de rapports violents, car il bloque le processus de recherche de la vérité qui s’appuie sur l’échange ininterrompu entre les deux partenaires. Inversement, le dialogue ne peut qu’apparaître comme un danger pour le totalitarisme car il menace de détruire le mensonge qui en constitue le fondement124. Le dilemme est identique à celui auquel se heurtent les partisans de la défense non-violente, dans la mesure où ils font du dialogue avec l’adversaire un élément central de leur stratégie125. Les sceptiques ne manquent pas de soulever la question de l’adéquation de la lutte non-violente à la résistance contre le totalitarisme126. Gandhi lui-même en percevait toute la difficulté, mais il n’a jamais renoncé à la considérer comme la moins mauvaise solution, quelles que soient les circonstances127. Les partisans les plus enthousiastes de la défense civile non-violente, de leur côté, poussent leur effort de recherche historique pour montrer que, dans la pratique, la non-violence fut davantage le fait de sociétés régies par des régimes totalitaires que démocratiques128.
84Mais il reste à savoir si l’adversaire est véritablement « totalitaire » au sens le plus étroit129, ou s’il laisse encore un espace de liberté qui n’interdirait pas entièrement le développement de la pensée et de la critique.
85C’est pourtant le terme de « totalitarisme » ou des métaphores équivalentes qu’utilisent les trois lettres pastorales pour caractériser le système dominant à l’Est. Les évêques allemands dénoncent comme un des principaux dangers « la menace sur la liberté des nations et de leurs citoyens émanant des systèmes totalitaires, qui méprisent dans leur domaine de souveraineté les droits de l’homme les plus élémentaires, et qui pourraient être tentés d’utiliser leur puissance pour leur expansion ou à des fins d’influence politique et de chantage » (GsF, p. 585). Leurs collègues français ne recourent pas à ce qualificatif ; mais par leur référence au nazisme et leur dénonciation du « caractère dominateur et agressif du marxisme-léninisme » (GP, p. 6), ils n’en portent pas un jugement moins tranché. « Le défi de la paix », tout en mettant en garde contre un antisoviétisme primaire (CoP, p. 752), associe le terme « totalitaire » à celui de « tyrannique », pour mettre en évidence la distance entre un système occidental qui reconnaît l’existence de droits fondamentaux et un système socialiste qui les nie ou les bafoue systématiquement (ibid., p. 751)130.
86A quelques années de distance, l’expérience du gorbatchévisme conduirait certainement les évêques à réviser leur jugement, laissant a posteriori apparaître leur formulation de 1983 comme une surenchère participant de la démonisation de l’adversaire. Celle-ci n’était certes pas nécessaire pour justifier d’une défense occidentale solide. Les ouvertures de M. Gorbatchev autant le domaine du respect des droits de l’homme à l’intérieur qu’en politique étrangère131 devraient amener à davantage de circonspection : la brèche ainsi marquée dans le totalitarisme ne constitue-t-elle pas l’incise par laquelle peut s’engager le dialogue ?
3. Paix et vérité
87Si, comme l’affirme Wilhelm Korff dans le « manuel de l’éthique de paix chrétienne », la question de la paix est, en dernière analyse, la question de la vérité sur l’homme, sa réalisation ne peut tolérer aucun compromis132. La seule issue possible est l’élimination de l’adversaire, qui s’impose comme une obligation morale, puisqu’il est perçu comme faisant obstacle à la vérité. La logique qui entraîna au Moyen Age l’Inquisition, puis les guerres de religion, structure-t-elle aujourd’hui le conflit Est-Ouest ? Si l’antagonisme ne se résout plus en confrontation militaire, ce n’est pas parce que les convictions se sont rapprochées, mais parce que les capacités de destruction aux mains des deux parties leur interdisent de régler leurs différends par les moyens de la violence, sous peine d’éradication non plus unilatérale, mais mutuelle133.
88La relation entre vérité et paix dans la doctrine catholique est particulièrement mise en évidence dans l’Encyclique “Pacem in Terris” du pape Jean XXIII, qui fait reposer l’« ordre », aussi bien dans les relations interindividuelles qu’à l’intérieur des communautés politiques et dans les rapports inter-étatiques sur les quatre piliers de la vérité, la justice, la charité et la liberté134. C’est par l’accomplissement d’un ordre de droit naturel fondé sur ces valeurs, voulu par Dieu, qu’adviendra la paix135. La vérité, toujours citée en premier, apparaît comme une condition de réalisation de l’ensemble des valeurs.
89Parmi les trois conférences épiscopales, seuls les évêques français reprennent systématiquement l’approche du pape Jean XXIII dans leurs propositions visant la construction de la paix (GP, p. 13). Leurs confrères américains y font brièvement allusion par deux fois (CoP, pp. 726-27, 749) tout en évitant d’insister trop lourdement sur le sujet lorsqu’ils tentent de définir les conditions d’une coexistence entre les blocs (CoP, pp. 750-52), au contraire des évêques allemands (GsF, pp. 573, 582, 583, 585, 592). Dans un effort de déplacement d’une éthique de droit naturel vers une éthique plus évangélique, ces derniers ne se réfèrent pas à Jean XXIII mais prennent constamment appui sur Jean-Paul II, qui a repris et amplifié le lien établi par son prédécesseur (Cf. Chap. ii). De ce fait même, ils accroissent le risque toujours présent dans le discours catholique d’une confusion entre différents niveaux.
90Dans son argumentation sur les possibilités d’un dialogue avec les pays qui se réclament du marxisme-léninisme, l’Eglise, puissance à la fois spirituelle et temporelle, superpose constamment trois dimensions : la dimension politique, qui définit les conditions de prévention de la confrontation armée entre les blocs, la dimension anthropologique, qui vise le respect des droits de l’homme, et enfin, la dimension religieuse, qui pose le problème de l’athéisme. Sur ce dernier terrain, il ne peut s’agir que d’une lutte à mort, car l’Eglise ne peut qu’en vouloir l’éradication136. Mais si l’on pose la liberté religieuse comme premier droit de l’homme et fondement de toutes les autres libertés137 et si l’on fait par la suite du respect des droits de l’homme tels qu’on les a définis une condition sine qua non de la paix138, la confrontation spirituelle ne reste pas isolée ; elle rebondit sur le champ politique par approche anthropologique interposée. La question fondamentale est alors de savoir si l’athéisme est le trait central et déterminant de l’idéologie marxiste-léniniste. Si c’est le cas, comme semblent le supposer certains observateurs romains139, aucun rapprochement entre marxisme et christianisme n’est possible, de même qu’entre systèmes de société marxiste et occidental – en admettant que la référence à une transcendance est un élément fondamental dans la hiérarchie des valeurs de ce dernier140. Si, au contraire, l’athéisme n’est qu’une modalité historique parmi d’autres des régimes socialistes, une recherche commune de la vérité reste possible.
4. Les bases d’une éthique commune
91Les fondements d’une éthique commune sont contenus dans la doctrine traditionnelle de l’Eglise. La loi naturelle en renferme les éléments indispensables – à condition que soient révisées les déviations auxquelles elle a pu donner lieu dans l’histoire.
92Tablant sur la possibilité d’une approche historique de la loi naturelle, Robert Bosc affirme qu’elle « permet le contact entre des philosophies traditionnelles, même religieuses, et des philosophies modernes, même aussi résolument athées que le marxisme »141. Bosc s’appuie ici sur une citation de l’auteur soviétique Chichkine qui, dans son traité d’éthique, admet que « les fondateurs du marxisme-léninisme reconnaissent l’existence de valeurs morales éternelles », entendant par là, « non point des lois et des règles de morale extra-historique, mais des règles élémentaires de la vie en société élaborées par les hommes au cours de leur histoire, et indispensables à leur vie en commun »142. Tout en concédant le danger qu’une approche comme celle de Chichkine évolue vers une « morale de situation » où l’éthique n’est plus qu’une émanation de l’arbitraire de la volonté humaine, abusivement identifiée à la raison, Bosc, utilisant l’approche théorique du jésuite Pierre Antoine, admet la possibilité de convergence vers une éthique commune. A son avis, une compréhension différente de loi naturelle au sein du catholicisme est possible :
L’existence de la loi naturelle signifie la possibilité d’une compréhension, d’un dialogue, d’une collaboration entre les cultures les plus diverses, parce qu’elle est à la fois sens universel de la culture et critique universelle des cultures. Mais le véritable consensus moral n’est pas à rechercher du côté de je ne sais quelle primitivité antérieure aux différenciations culturelles. Il est bien plutôt, comme d’ailleurs tout l’ordre moral, « à faire » dans l’unification progressive de l’humanité et dans l’humanisation du monde – dans une unité qui ne sera pas pour autant exclusive de la diversité des particularités, parce que l’unité est d’un autre ordre que ce qu’elle unit. Reconnaître la loi naturelle, c’est reconnaître que cette volonté de rendre l’humanité effective a un sens et qu’elle s’impose143.
93La reconnaissance de l’historicité de la loi naturelle permet l’acceptation d’une praxis éthique telle que la définit Paul Ricoeur. Elle implique l’acceptation du caractère « procédural » de la vérité144 dans la mesure où elle suppose l’abandon d’une définition a priori de règles éternellement immuables. Dans la théorie ricoeurienne, comme dans celle des épistémologues de l’Ecole de Francfort145, la vérité apparaît comme le résultat – jamais terminal – d’une évaluation opérée dans une situation concrète. Elle repose sur un échange jamais définitif d’arguments et de contre-arguments, de jugements sans cesse remis en cause.
94Mais encore faut-il que les deux parties en présence soient prêtes à accepter cette règle du jeu. La définition soviétique de la « coexistence pacifique » laisse planer des doutes à ce sujet. Ainsi, un article paru en 1985 dans la revue communiste Science et Religion vient fort à propos rappeler la différence des conceptions en analysant l’engagement de l’Eglise pour la paix :
L’expérience tout entière des contacts entre pays socialistes et capitalistes montre que la coexistence pacifique est liée aux rapports des gouvernements entre eux et ne se répercute pas dans la sphère idéologique, dans la lutte entre le marxisme-léninisme et la variété des conceptions du monde bourgeois et post-bourgeoises… Entre des gouvernements qui ont des régimes sociaux différents, il est impossible d’éviter de profondes oppositions, mais la lutte entre les idéologies communiste et bourgeoise n’exclut pas la possibilité de faire appel à la collaboration en vue du soutien de la paix, de la compréhension et de la confiance mutuelles, dans la condamnation de l’hystérie militaire, des dangers et de la violence militaires, des manifestations d’hostilité nationale, de la discrimination raciale et de la haine de l’humanité146.
95Les conséquences d’une telle analyse, que le magistère catholique garde sans doute à l’esprit lorsqu’il exprime ses positions sur les relations entre les blocs, sont résumées de la manière suivante par le théologien René Coste. Les dirigeants soviétiques appliquent une politique « réaliste » gouvernée par trois principes directeurs sur le plan international : 1 ) Il faut éviter à tout prix une guerre nucléaire, dont les conséquences seraient catastrophiques pour l’ensemble de la planète ; 2) La technologie occidentale est indispensable au développement de l’économie soviétique ; 3) Des liens peuvent se créer entre des hommes qui « ne sont pas des saints » mais ont le sens de la politique internationale147, ces liens ayant l’avantage de démontrer aux uns et aux autres que l’adversaire n’est pas satanique et qu’il existe un fondement humain commun. A la suite de cette analyse, René Coste préconise une « politique des petits pas », qui est aussi celle que recommande Jean-Paul II. Cette politique passe par le développement du droit et de l’organisation internationale.
B. Stratégie des moyens : le développement du droit et de l’organisation internationale
96L’idée d’un « bien commun universel » ou « bien commun de l’humanité », qui constituait le noyau dur de l’argumentation de “Pacem in Terris”148 reste à la racine de l’encouragement inlassable que prodigue l’Eglise depuis Pie XII149 au développement des organisations internationales, et plus précisément, des organisations onusiennes. Si, dans certains cas, ce « bien commun » semble se limiter à assurer une justice distributive et à gérer des intérêts concurrents entre entités étatiques150, le plus souvent l’organisation internationale apparaît comme le lieu de concrétisation et de promotion des valeurs communes151, le développement du droit international étant un des moyens de leur mise en œuvre152.
97Sur cette base unique, chacune des conférences épiscopales accorde à l’organisation et au droit internationaux une place et un rôle différents dans sa stratégie de construction de la paix.
1. L’attitude des épiscopats
98a. Les évêques américains sont les plus affirmatifs. L’encouragement qu’ils apportent à l’intégration du système international repose sur les justifications habituellement avancées par les papes : postulat théologique de l’« unité de la famille humaine », constatation empirique d’une interdépendance croissante entre les nations, qui donne à un grand nombre de problèmes une ampleur, une gravité et une complexité telles que leur résolution échappe à toute entité politique isolée (CoP, pp. 749-50). Sur le plan pratique, cette conviction se traduit par un soutien répété à l’ONU, d’autant plus accentué que se manifestaient alors aux Etats-Unis des tendances très fortes en faveur d’un retrait de participation financière (ibid., pp. 731, 750, 753-54). Du point de vue théorique, le texte s’appuie sur une réinterprétation de “Pacem in Terris”. Constatant que l’encyclique accorde une « valeur morale relative » aux Etats souverains « parce que les limites de l’Etat souverain ne suppriment pas les rapports plus profonds de responsabilité dans la communauté humaine » (ibid., p. 750), il reprend l’exigence posée par celle-ci de la constitution d’une « autorité publique de compétence universelle »153.
99Les évêques regrettent qu’une telle autorité « capable de structurer notre interdépendance matérielle dans la direction de l’interdépendance morale [fasse] défaut à l’ordre mondial actuel » (ibid., p. 750). Pour eux l’évolution est inéluctable. Elle est le fruit d’un processus historique :
De même que l’Etat-Nation a été une étape importante dans l’évolution des gouvernements à une époque où le commerce en développement et de nouvelles technologies appliquées aux armes ont rendu le système féodal impropre à résoudre les conflits et à assurer la sécurité, de même nous entrons maintenant dans une ère nouvelle où les interdépendances globales exigent des systèmes globaux de gouvernement pour résoudre les conflits et assurer notre sécurité commune (ibid.).
100Il ne resterait aux Etats-Nations qu’à prendre conscience de cette nécessité.
101Non seulement l’autorité mondiale n’apparaît pas comme une simple option, mais elle est présentée comme la solution « définitive et complète » au problème de la paix154 dans un passage significatif à cause de sa situation en conclusion du document. L’emploi du terme « internationale » plutôt que « supranationale » ne doit pas faire illusion : c’est bien un organisme supranational qu’ont en vue les évêques155. Toutefois, dans ce dernier passage, on constate un rétrécissement du propos par rapport à l’approche adoptée antérieurement. Il n’est plus question que d’un organisme destiné à conduire la négociation en vue d’une diminution des énormes potentiels d’armement (CoP, p. 761 ). Ici les deux exigences essentielles des évêques américains en matière de construction de la paix : négociations pour la réduction des armements, constitution d’une autorité supranationale, se télescopent en une seule proposition. Mais il semble que le rétrécissement du propos soit dû davantage à la vision étroite du danger, qui prédomine dans l’ensemble du document, qu’à un retrait sur l’idée d’autorité internationale.
102b. Les évêques français, tout en rejoignant leurs confrères sur certaines affirmations, n’en tirent pas des conclusions aussi tranchées. Leur argumentation reste caractérisée par une certaine imprécision. Bien qu’ils citent une des propositions les plus radicales de “Gaudium et Spes”, demandant l’« institution d’une autorité publique universelle » comme moyen d’interdire la guerre156, ils en concluent simplement qu’« il faut renforcer les organismes internationaux » tout en se montrant relativement pessimistes à cet égard (GP, p. 12).
103Au-delà du domaine étroit des armements, l’ « organisation de la communauté humaine » est prônée « pour promouvoir un véritable bien commun » (ibid., p. 14). Cependant, ce qu’il faut entendre par « communauté humaine » reste imprécis. Tantôt l’expression prend une signification sociologique, tantôt elle est employée dans un sens plutôt juridico-politique, comme synonyme de « communauté internationale ». Le recours au texte du Concile ne clarifie pas les choses : il semble envisager les institutions internationales comme une première étape vers la construction d’une autorité mondiale chargée de résoudre les problèmes communs à toute l’humanité. Les évêques ne tirent pas eux-mêmes explicitement cette conclusion157.
104Le concept allemand d’« ordre de paix mondial » („Weltfriedensord-nung“) (GsF, p. 584) pourrait aisément se prêter à des objections identiques s’il ne prenait pas par la suite une connotation nettement juridique. A la base de son imprécision, on peut reconnaître le double souci de ne pas s’engager sur des terrains concrets et de prendre de la distance vis-à-vis des théories du droit naturel utilisées dans “Pacem in Terris”.
105c. Les évêques allemands, contrairement à leurs collègues d’outre-Atlantique, se montrent assez réservés vis-à-vis des propositions de “Gaudium et Spes” et “Pacem in Terris”. Lorsqu’ils évoquent l’idée d’une autorité mondiale, ils ne le font qu’accessoirement (GsF, p. 580) ou pour constater qu’« il n’existe pas de monopole d’une force internationale ayant le pouvoir de sanctionner », ce qui justifie en contrepartie le recours de l’Etat à la légitime défense (ibid., p. 582).
106Quand ils abordent ensuite le thème de la « construction de la paix », le développement d’un « ordre mondial de paix » ne vient qu’en troisième position (ibid., pp. 584-85), après le respect des droits de l’homme – qui suppose la protection de l’Etat de droit démocratique – (ibid., p. 583) et la promotion de la justice internationale (ibid., pp. 583-84). Cet « ordre de paix », malgré l’absence d’une définition, peut être saisi par certaines de ses caractéristiques. 1) Le respect du droit, dont la force, « fondatrice de la paix », joue un rôle essentiel (ibid., p. 584). Le développement antérieur sur les droits de l’homme est ici élargi à l’ensemble du droit international, et en particulier aux principes de la Charte des Nations Unies (ibid., pp. 584-85). Ce droit ne doit pas reposer sur des garanties uniquement politiques mais bénéficier également d’une assise juridique, par la création d’une « Cour Suprême mondiale dont les décisions seraient obligatoires et pourraient être appliquées avec un pouvoir de sanction correspondant » (ibid., p. 585). 2). La prudence est un trait marquant de leur document. Loin d’exprimer un soutien sans condition à l’ONU, ils remarquent, à la suite de Jean-Paul II, que « les organisations internationales ont trop souvent fait l’objet de tentatives de manipulations de la part de nations désireuses d’exploiter de telles instances »158.
107Sans réclamer leur abandon pur et simple, ils émettent un certain nombre de réserves, qui tranchent avec l’analyse des évêques américains. Ils soulignent l’importance de garder comme principe directeur la règle de « subsidiarité », selon laquelle toute fonction pouvant être assurée de manière satisfaisante à un niveau inférieur ne devrait pas être prise en charge par une autorité supérieure. « Une… autorité mondiale apte à protéger la liberté et la paix ne doit… pas être conçue à l’exemple d’un Etat unitaire centralisé », déclarent les évêques allemands (ibid, p. 585), concédant qu’« inversement, les Etats doivent être disposés à abandonner quelques-uns de leurs droits de souveraineté » (ibid.) ; mais ils ne précisent pas lesquels.
108Leur attitude est proche des déclarations pontificales, parfois même en retrait par rapport à certaines d’entre elles. Dans son allocution à la CIJ en 1985, Jean-Paul II affirmait qu’une organisation de la paix mondiale était devenue techniquement possible et qu’il suffisait d’une volonté politique pour la mettre en œuvre ; il évoquait également le « besoin de développer un système législatif mondial » et laissait supposer, par ses encouragements au développement d’une « autorité judiciaire totalement efficace » qu’un organisme exécutif chargé d’appliquer les jugements passés par la Cour deviendrait nécessaire159. Le cardinal Casaroli, pour sa part, dans un discours prononcé à l’occasion de l’anniversaire des encycliques “Pacem in Terris” et “Populorum Progressio”, adopte une approche dialectique qui repose sur un équilibre très délicat entre un exposé « neutre » de leurs propositions (reprises par Jean-Paul II) et leur défense prudente contre les accusations d’utopisme auxquelles elles ont donné lieu160.
109Le caractère quasi contraignant qui marquait nombre de documents des années 1960 et qui reste présent dans le texte américain a disparu du message romain. Il est aussi absent de la lettre pastorale allemande, qui évite ainsi de supposer que tous les problèmes seront automatiquement résolus avec la constitution d’une autorité supranationale chargée de régler les conflits. En contrepartie de son encouragement au développement d’une autorité supranationale, le pape n’a de cesse d’insister sur le rôle irremplaçable que joue la nation, organisée sur le mode de l’Etat, pour la promotion du bien commun des individus161. C’est bien ainsi que l’entendent les évêques allemands lorsqu’ils proclament leur attachement à l’Etat de droit démocratique comme garant du « bien commun » des citoyens (ibid., pp. 569-70, 582, 583).
110Jean-Paul II pense pouvoir résoudre la contradiction par le concept d’« harmonie de la famille des Nations »162, qui suppose une complémentarité entre les différentes entités étatiques nationales et un accord entre elles sur une plateforme de valeurs communes.
2. La place de l’éthique dans les relations internationales
111Les évêques américains envisagent au niveau universel le déroulement d’un processus historique identique à celui qui a abouti à la construction de l’Etat-nation. Sans doute font-ils preuve d’un trop grand optimisme en négligeant certains obstacles qui, dans le champ des relations internationales, empêchent la « reconnaissance » qui préside à l’établissement de la paix. Dans la pratique politique interne, le schéma hégélien accordait une place essentielle au droit, l’Etat ayant pour fonction d’en promouvoir le développement, afin de permettre une reconnaissance mutuelle de plus en plus poussée des libertés163. Cependant, si Hegel voyait dans le développement de l’Etat la réalisation de l’Histoire universelle, il constatait aussi que les relations des Etats entre eux restaient déterminées par un « état de nature » caractérisé par l’absence d’une volonté universelle qui aurait pu s’imposer à la diversité et à l’antagonisme des volontés particulières. Le développement du droit international – qu’il appelle « droit universel » – qui permettrait une paix éternelle sur le modèle kantien, demeure pour lui du domaine du « devoir-être » et donc une impossibilité historique164. Pourtant il affirme que, même dans la guerre, la situation de reconnaissance entre les Etats n’est pas remise en cause165. Sans sombrer dans l’utopie kantienne, le principe de la reconnaissance ne peut-il pas permettre la modération des conflits entre entités étatiques au-delà de ce que prévoyait Hegel ? C’est ainsi qu’on peut lire les théoriciens de la défense non-violente. En cherchant à évacuer la catégorie de l’“inimicos” du processus politique pour ne reconnaître que celle de l’“hostes”, ils excluent l’éradication de l’ennemi comme but de la lutte. De ce fait, l’autre conserve son droit d’exister, même si c’est en tant qu’adversaire.
112Sur le plan philosophique, les concepts hégéliens peuvent aider à définir les conditions d’une reconnaissance entre Etats. C’est ce que tente le philosophe français Claude Bruaire après une réfutation partielle du schéma hégélien. Bruaire pose le politique comme « intermédiaire entre la nature et la liberté »166. Il est ce qui permet aux rapports sociaux de prendre forme, d’exister. Il est le « tiers » qui, par le droit qu’il édicte, permet à l’identique liberté de chacun de s’exprimer167. Pour Bruaire, comme pour Ricoeur, l’idée de « reconnaissance réciproque », qui résulterait de la dialectique exclusive du « je » et du « tu », n’a pas de sens. Bruaire applique ici au niveau politique la constatation de Paul Ricoeur à propos de l’éthique individuelle. La relation entre le Moi et l’Autre étant toujours, nécessairement, antagonique, l’Etat et ses institutions sont ce qui permet d’éviter le rapport d’immédiateté. Si l’Etat devient l’Autre, perd sa neutralité, la garantie d’une reconnaissance pacifique disparaît car il n’y a plus d’intermédiaire entre le « je » et le « tu »168.
113A partir de ces postulats, il devient possible de préciser la relation toujours difficile à saisir entre droit, éthique et politique.
Le politique a effectivement une exigence éthique immanente : c’est de garantir, par la force dont il dispose, le droit, droit dont l’essence consiste dans l’instauration d’un espace social de (et pour) la liberté, de telle manière que cette dernière puisse s’accomplir dans sa propre dynamique de solidarité et de communion169.
114En d’autres termes, « le politique est une condition de réalisation de l’éthique », mais il ne l’épuise pas. Inversement, l’éthique « mobilise [les sujets] au service de la politique dans sa tâche de transformation des forces en droit », mais elle ne dispose pas du pouvoir nécessaire pour donner consistance sociale aux valeurs ainsi définies170. Le pouvoir politique, grâce au droit qu’il édicte, joue donc un rôle « d’intermédiaire entre la force et la valeur »171, l’hypothèse étant que le droit n’est pas arbitraire mais résulte d’un échange constant entre pouvoir et corps social, duquel émanent ces valeurs. L’existence d’un impératif supra-politique n’implique pas un désintérêt pour la chose politique. Au contraire, il donne sens à l’action politique172
115Qu’en est-il dans le domaine des relations internationales ? Est-il possible d’imaginer une entité politique capable d’énoncer un droit qui permettrait à la liberté de tous les membres de la communauté internationale de se concrétiser ? Ou bien leurs relations sont-elles vouées à se déployer selon des principes qui auraient, certes, un rôle d’orientation éthique, mais auxquels il manquerait la garantie nécessaire pour devenir vraiment efficace ? Une éthique des relations internationales peut-elle prendre consistance sans le développement de la nation mondiale qui apparaît à la fois comme un danger et une utopie ?
116Au vu de leurs développements sur les organisations internationales et supranationales, les trois conférences épiscopales apporteraient sans doute des réponses différentes à cette question. L’épiscopat américain place ses espérances dans un changement structurel qui entraînerait une évolution des attitudes et des mentalités. Ses homologues allemand et français, tout comme Jean-Paul II, raisonnent d’abord en termes de valeurs avant de passer au domaine du droit, puis en troisième lieu, à celui des institutions173. Mais tous mettent également l’accent sur le développement du droit international. Ce dernier apparaît comme le « tiers » qui, sans être une entité extérieure aux deux parties, comme le veut le schéma de Bruaire, impose cependant à l’une et à l’autre des obligations nécessaires à leur interférence pacifique. Tout en se différenciant de l’une et l’autre, il est le produit d’une évolution née de l’interaction séculaire entre elles et avec leur environnement. Plutôt que d’être un donné arbitraire imposé de l’extérieur, ce droit apparaît comme le résultat d’une évolution constante des rapports entre collectivités étatiques, issu de l’expérience de leur intérêt commun à la pacification du système international et à la gestion collective de certaines activités. L’idée de reconnaissance y joue un rôle essentiel à plusieurs niveaux. Sur un plan général, la reconnaissance politique entre Etats est la condition même de la mise en œuvre de ce droit entre deux collectivités174. Au niveau du droit particulier, le concept de reconnaissance est particulièrement important dans le développement d’une théorie des droits de l’homme (Cf. ci-dessus).
117La théorie catholique semble de plus en plus prête à faire de ceux-ci la cristallisation d’une certaine mesure de la « valeur » – pour parler en termes ricoeuriens – qui jouerait le rôle de tiers pour l’ensemble des nations de la planète et fournirait une base toujours plus large à la reconnaissance mutuelle175. Les droits de l’homme, tels qu’ils apparaissent dans la déclaration de 1948 et dans les textes subséquents n’étant dotés d’autre fondement que le consensus176, ils répondent à l’exigence ricoeurienne du refus d’une mesure a priori et fournissent l’embryon d’une éthique commune.
118Mais en se situant à ce niveau, les évêques font l’hypothèse d’un conflit de base de nature idéologique, qui pourrait être résolu ou du moins modéré, par un rapprochement en termes de valeurs entre les systèmes. Cette analyse serait satisfaisante si l’on supposait que les Etats agissent suivant une rationalité basée sur des valeurs („wertrational“) pour reprendre la terminologie wébérienne. Or, pour Max Weber, les relations entre Etats s’établissent essentiellement selon un modèle construit sur l’hypothèse d’une rationalité exprimée en termes de finalités („zweckrational“)177. Il est possible de modérer certains traits de leur antagonisme, mais non pas d’en modifier le principe directeur.
119C’est à ce niveau qu’apparaît l’une des limites des documents épiscopaux. Les évêques définissent les conditions d’une éthique commune, mais cette éthique demeure au niveau de l’idéal, lorsqu’elle n’est pas légaliste. Le politique, au coeur duquel se prend la décision éthique, en est exclu. Comme le souligne Bernard Sutor (confirmant Ricoeur),
Une éthique du politique ne doit pas planer comme une super-structure morale au-dessus des situations et des problèmes qu’elles impliquent, mais elle doit les habiter178.
120En définissant la paix non pas comme un donné mais comme une procédure, les évêques reconnaissent qu’elle n’est pas l’absence de conflit, mais le règlement pacifique des conflits179. Pourtant, ce postulat n’est pas exploité dans leurs documents, dont les analyses politiques demeurent attachées à un concept statique de la paix. Or, une éthique de la paix qui se veut utile
ne peut pas se contenter de délimiter le champ de l’action politique ; bien davantage, elle doit refléter cette action elle-même, qui est en premier lieu gestion du conflit et du pouvoir180.
121En limitant leur compétence au jugement éthique extérieur, les évêques allemands (et, de fait, français) excluent d’emblée cette attitude, qui est condition de définition d’une véritable éthique politique. Le conflit – caractéristique du politique –, trop souvent assimilé à la violence dans les documents catholiques181, suscite une certaine crainte qui ne permet pas aux évêques d’aller jusqu’à la définition d’une morale pratique. Les principes supra-politiques qu’ils énoncent sont insuffisamment relayés par des propositions concrètes permettant d’introduire un « changement du système ».
Notes de bas de page
1 JEAN-PAUL II. Message pour le 1er janvier 1983, op. cit., § 5.
2 JEAN-PAUL II, RH § 13, 14. Audience générale du 14 novembre 1979, op. cit., § 2, 3.
3 JEAN-PAUL II, Discours à la Conférence nationale de l’Union des juristes catholiques italiens, 6 déc. 1980, in Le thème de la violence. Textes de Jean-Paul II (oct. 1978-oct. 1985), présentés par le Dr. Geogio Fillibeck, Commission pontificale “Iustitia et pax”, Cité du Vatican, 1985, § 4, p. 44 (Enseignement social de Jean-Paul II, Nr. 11) (ci-après, JEAN-PAUL II, « Discours aux juristes italiens »).
4 JEAN-PAUL II, Discours à l’ONU, 2 oct. 1979, op. cit., § 13.
5 JEAN-PAUL II, Message pour la journée de la paix 1983, op.cit., § 6.
6 Ibid., § 7. Jean-Paul II mentionne : « le mensonge tactique et délibéré, qui abuse du langage, recourt aux techniques les plus sophistiquées de la propagande, piège le dialogue et exaspère l’agressivité », ainsi que les « idéologies qui. malgré leurs déclarations, s’opposent à la dignité de la personne humaine, à ses justes aspirations, selon les saints principes de la raison, de la loi naturelle et éternelle, d’idéologies qui voient dans la lutte le moteur de l’histoire, dans la force la source du droit, dans le discernement de l’ennemi l’ABC de la politique », [si bien que le dialogue devient] « figé et stérile ou, s’il existe encore, il est en réalité superficiel et faussé ». Voir aussi CoP, p. 752 ; GP, p. 12.
7 Ibid., § 6.
8 JEAN-PAUL II, ibid., Allocution aux Pèlerins polonais, 16 mai 1979, in L’individu, la nation, l’Etat, pp. 34-35 ; Allocution au Corps diplomatique, 12 janv. 1979, ibid., p. 34 ; Allocution au Président Carter, 6 oct. 1979, ibid. ; Message pour la journée de la paix 1983, op. cit., § 9, 10 ; Message au Président de la 40e Assemblée générale de l’ONU, 18 oct. 1985, § 2, 4, DC, Nr.1906, 1985, pp. 1052-53 ; encyclique “Sollicitudo rei socialis”, § 10, 42, 30 déc. 1987, DC, Nr.1957, 1988, pp. 237, 252.
9 GS § 3.2, 5.3, 9.3, 24, 30-2, 42, 55.1, 69.1, 71.5, 75.4, 84.1, 3, 92.1, 3 ; PT § 7, 98-100, 121, 124-25, 129-32, 135, 137-40, 144, 146, 155, 167.
10 JEAN-PAUL II, Message pour le 1er janvier 1983, op.cit., §6.
11 Sur le lien entre « dignité de la personne » et dialogue, voir aussi JEAN-PAUL II, « Le droit à la liberté religieuse », Discours aux membres d’un colloque international, 10 mars 1984, DC, Nr. 1874, 1984, p. 510, § 2.
12 BOSC, Evangile, violence et paix, pp. 106-7 ; également, JEAN-PAUL II. Discours aux juristes italiens, 6 déc. 1980, op.cit.
13 JEAN-PAUL II, Homélie à Drogheda, 29 sept. 1979, § 9, DC, Nr.1772, 1979, p. 854.
14 EBERT, Theodor, „Bürgerinitiativen und gewaltfreie Konfliktaustragung“, in EBERT, Theodor, Gewaltfreie Aktion und Bürgerinitiativen, pp. 17-18. Voir aussi, KORFF, Wilhelm, „Grundsätze einer christlichen Friedensethik“, Handbuch der christlichen Friedensethik, Bd. 3, Freiburg/Basel/Wien, Herder/Gütersloher Verlagshaus, Gerd Mohn, 1982, p. 501 ; GANDHI, op. cit., p. 158.
15 BROCK, op. cit., pp. 73-74 ; GANDHI, op. cit., pp. 153-88.
16 BROCK, ibid. ; GANDHI, op. cit., pp. 157-58.
17 BROCK, ibid., p. 72.
18 LACROIX, Jean, « La société mondiale de culture », Le Monde, 29 avril 1964.
19 RICOEUR, Paul, « Avant la loi morale, l’éthique », Symposium « Les enjeux », Supplément à l’Encyclopedia Universalis, Paris, 1985, pp. 42-45.
20 Ibid., p. 43.
21 Certes, il y a toujours un moment où la « règle » apparaît comme l’interdiction, mais cette interdiction est nécessaire pour assurer la continuité de la personne morale et pour mettre les valeurs à l’abri de l’ambition de chacun, ibid., p. 45. C’est là que la distinction kantienne entre „Wille“ et „Willkür“ prend toute sa signification.
22 La valeur est un « mixte entre d’une part, la capacité de préférence et d’évaluation liée à la requête de liberté, prolongée par la capacité de reconnaissance qui me fait dire que ta volonté vaut autant que la mienne et d’autre part, un ordre social déjà éthiquement marqué », ibid., p. 44.
23 Cité par LACROIX, op. cit.
24 CZEMPIEL, Schwerpunkte und Ziele der Friedensforschung, p. 109. Czempiel s’appuie ici sur LUHMANN, Niklas, in Die Weltgesellschaftliche Archiv für Rechts- und Sozialphilosophie, LVII/2, 1971, pp. lss, 16s. Voir également KORFF, op. cit., p. 500.
25 KORFF, op. cit., p. 500.
26 Ibid. (Traduction CG).
27 SCHMITT, op. cit., p. 17 ; FREUND, L’essence du politique, pp. 391-93.
28 Voir PT § 7, 80.
29 MILLER, W.R., Nonviolence: A Christian Interpretation, London, Allen & Unwinn, p. 177, cité par MULLER, Stratégie de l’action non-violente, p. 45.
30 MULLER, ibid., p. 52.
31 L’opposition entre les deux systèmes est mise en évidence par BOSC, Evangile, violence et paix, p. 24.
32 LACROIX, op. cit.
33 MULLER, Stratégie de l’action non-violente, pp. 40-41, 44.
34 Ibid., p. 45. Pour une application particulière de ce principe à la lutte non-violente contre les régimes totalitaires, voir EBERT, „Bürgerninitativen“, op. cit., p. 18.
35 La dissuasion civile, p. 24.
36 EBERT, Gewaltfreier Aufstand, pp. 80-82.
37 La dissuasion civile, p. 26.
38 ARENDT, Hannah, On Violence, London, Allen Lane, The Penguin Press, 1969, p. 71.
39 MULLER, Stratégie de l’action non-violente, pp. 56-60.
40 RICOEUR, Paul, Histoire et vérité, Paris, Seuil, 1955, p. 236.
41 Voir le commentaire de Julien Freund sur le dialogue entre Socrate et Calliclès ; FREUND, L’essence du politique, pp. 146-51. Freund prend position en faveur de Calliclès qui, à son avis, fait preuve d’une beaucoup plus grande lucidité historique.
42 « Rapport sur les tâches futures de l’Alliance », Annexe au communiqué final de la réunion ministérielle de l’OTAN, Bruxelles, déc. 1967, Revue de l’OTAN, vol. 16, Nr. l, janv. 1968, p. 26.
43 „Kann Europa abrüsten ?“, Bericht einer Studiengruppe unter Mitarbeit von Ulrich Albrecht, Johan Galtung, Pertti Joenniemi, Dieter Senghaas, Sergui Verona, in Kann Europa abrüsten ?, Friedenspolitische Optionen für die siebziger Jahre, Hrsg Johan Galtung, Dieter Senghaas, München, Carl Hanser, 1973, pp. 174-75.
44 « Rapport sur les tâches futures de l’Alliance », op. cit.
45 KÖRNER, Klaus, „Die Wiedervereinigungspolitik“, Handbuch der deutschen Aussenpolitik, Hrsg Hans- Peter Schwarz, München/Zürich, Piper & Co, 1975, pp. 587-616 ; „Die innerdeutschen Beziehungen“, in ibid., pp. 625-27.
46 Zur Sicherheit der Bundesrepublik Deutschland und zur Entwicklung der Bundeswehr, Weissbuch 1971/1972, Bonn, Presse- und Informationsamt der Bundesregierung, § 1, § 5. Tout en proclamant la fidélité de l’Allemagne à l’Alliance et l’importance d’un maintien de l’équilibre des forces en Europe, le « livre blanc » de 1971/1972 prenait soin de ne pas remettre en cause la politique soviétique et proclamait son désir de garder de bonnes relations avec Moscou, ibid., § 20-38.
47 Voir, BRANDT, Willy, „Friedenspolitik in unserer Zeit“, Vortrag anlässlich der Verleihung des Friedens- Nobelpreises 1971, 11 Dez 1971, in Sicherheilspolitik der Bundesrepublik Deutschland, pp. 556-7, 560.
48 BAHR, Egon, „Wandel durch Annäherung“, Rede vor der evangelischen Akademie Tutzing, 15 Juli 1963, in ibid., pp. 550-53.
49 Ibid. ; BRANDT, op. cit., pp. 563, 565.
50 MUTZ, Reinhard, Sicherheilspolitik und demokratische Öffentlichkeit in der Bundesrepublik, Probleme der Analyse, Kritik und Kontrolle militärischer Macht, München/Wien, Oldenburg, 1978, p. 122.
51 KÖRNER, „Die Wiedervereinigungspolitik“, op. cit., p. 605.
52 MERTES, Alois, „Friedenserhaltung-Friedensgestaltung, Zur diskussion über ‘Sicherheitspartnerschaft’“, in Argumente für Frieden und Freiheit, pp. 97-103.
53 WAIGEL, op. cit., p. 82 (Traduction CG).
54 Ibid., p. 80.
55 MERTES, op. cit., pp. 99-101.
56 „Der Antrag der Koalition von CDU/CSU und FDP“, in Die Nachrüstung im Bundestag, pp. 272-74. Il est intéressant à cet égard de comparer les « livres blancs » sur la défense du début des années 1970 et de 1983. Alors que le livre blanc de 1971/72 faisait de la paix l’objectif primordial (§ 1), celui de 1983 place au premier rang le maintien de la démocratie libérale et le respect des droits de l’homme (§ 1). Il insiste à nouveau sur ce point (§ 3, § 16), ainsi que sur la réunification (§ 5, § 14) et la responsabilité ouest-allemande pour la population de la République démocratique (§ 5), ensemble de thèmes qui avaient disparu des livres blancs du gouvernement social-démocrate. L’évaluation de la politique soviétique est l’élément qui distingue le plus nettement les deux approches.
57 SCHMIDT, Rede zum deutschen Bundestag, op. cit., p. 96.
58 BREDOW, Wilfried von, THIELEN, J.H. Helmut, „Kritik der Sicherheitspolitik der BRD“, in Ein Anti-Weissbuch, Materialen für eine alternative Militärpolitik, Hrsg Freimut Duve, Hamburg, Rohwolt, 1974, pp. 20-23.
59 MUTZ, op. cit., p. 147.
60 JACOBSEN, Hans-Adolf, „Bedingungsfaktoren realistischer Entspannungspolitik“, Zur Entspannungspolitik in Europa, (DGFK Jahrbuch 1979/80), Baden-Baden, Nomos Verlag, 1980, pp. 73-74 ; également p. 67.
61 Bundesminister der Verteidigung, Zur Sicherheit der Bundesrepublik Deutschland und zur Entwicklung der Bundeswehr, Weissbuch 1975/76, Bonn, 1976, § 128, p. 70, cité par MUTZ, op. cit., p. 148.
62 GALTUNG, Johan, „Europa-bipolar, bizentrisch oder kooperativ“, in Kann Europa abrüsten ?, pp. 54-55.
63 MUTZ, op. cit., p. 149. Alors même qu’à cette époque Henry Kissinger définissait les objectifs d’une politique de détente comme le partage des influences entre les grandes puissances dans un contexte militaire aussi peu dangereux que possible ; JACOBSEN, op. cit., p. 69.
64 C’est l’une des raisons de la détérioration des rapports entre Allemagne et Etats-Unis après 1963. A cause de la détente américano-soviétique, des concessions devenaient possibles pour l’Ouest dans le domaine de la sécurité alors qu’Adenauer avait toujours cherché à lier celles-ci au règlement de la question allemande ; HARTMANN, Jürgen, « L’Allié américain », Documents, Sept. 1983, pp. 25-37.
65 KRELL, RISSE-KAPPEN, SCHMIDT, op. cit., p. 57 (Traduclion CG).
66 CZEMPIEL, Ernst-Otto, „Nachrüstung und Systemwandel. Ein Beitrag zur Diskussion um den Doppel-beschluss der NATO“, Aus Politik und Zeitgeschichte, Bd. 5, 1982, pp. 22-46.
67 Ibid., p. 26.
68 Ibid., pp. 25, 27.
69 Ibid., pp. 28, 30.
70 Ibid., p. 30.
71 Ibid., p. 25.
72 Ibid., p. 28. L’auteur admet que sa définition est proche du concept soviétique de « coexistence pacifique », ibid., p. 25. Toutefois, ses propositions ne s’arrêteront pas à ce niveau.
73 Ibid., pp. 28-29.
74 Ibid., p. 30.
75 Ibid, pp. 33-34.
76 Le concept est extrait des théories de Karl Deutsch : DEUTSCH, Karl, The Nerves of Government, Models of Political Communication and Control, New York/London, McMillan/The Free Press, 1966, pp. 247-48, cité par CZEMPIEL, ibid., p. 34.
77 CZEMPIEL, ibid., p. 34.
78 Ibid., p. 35. On remarque la similitude de logique entre le schéma de Czempiel et les propositions des groupes de défense non-violente, telles qu’elles sont exposées dans La défense civile par exemple, pp. 125- 81.
79 Ibid., p. 36.
80 En comparaison avec la description qui en est donnée par la prise de position du BDKJ du 24 août 1982. Celle-ci prévoit la poursuite des mesures unilatérales de désarmement après un certain délai, quelle que soit la réaction de l’adversaire, tout en émettant l’hypothèse qu’« aucun pays ou système d’alliance ne peut à long terme se soustraire à un changement clairement signalé des positions de l’adversaire », BDKJ-Bundesvorstand, Positionspapier zur Sicherheits- und Abrüstungspolitik, pp. 14-15 (Traduction CG).
81 CZEMPIEL, „Nachrüstung“, op. cit., p. 39.
82 C’est d’ailleurs comme offre de négociation visant à une diminution des armements qu’elle a été présentée.
83 Ibid., pp. 43-46. A son avis, la « double décision » n’est pas capable d’inciter Moscou à renoncer au stationnement de ses SS-20 et au développement de la nouvelle gamme de missiles SS-21 et SS-22 car elle ne fait pas apparaître à ses yeux l’avantage décisif qu’aurait un tel geste. A titre expérimental, Czempiel suggère une renonciation occidentale au stationnement des euromissiles au cas où Moscou accepterait le simple remplacement de ses SS-4 et SS-5 par le même nombre de tètes de SS-20. Le risque impliqué pour la défense de l’Europe occidentale ne serait pas sensiblement majoré, du fait qu’elle a renoncé à l’équilibre eurostratégique depuis les années 1970 dans un contexte où la supériorité stratégique globale américaine avait déjà disparu, ibid., p. 44.
84 Ibid., p. 42. Dans le même sens, voir l’idée de „gewinnfreie Werbung“ dans, CZEMPIEL, Schwerpunkte und Ziele der Friedensforschung, pp. 95-97.
85 CZEMPIEL, „Nachrüstung“, op. cit., pp. 40-41.
86 Ibid., pp. 23-24.
87 Comme le font la plupart des intervenants dans la discussion de la politique soviétique au Symposium organisé par la Fondation Konrad-Adenauer du 18 au 21 novembre 1982 à Bad Godesberg, „Wohin entwickelt sich die sowjetische Politik ?“ in Die Zukunft der Deutsch-amerikanischen Beziehungen, Hrsg Hans- Joachim Veen, Melle, Ernst Knoth, pp. 140-55 (Konrad-Adenaucr Stiftung, Forschungsbericht Nr.23).
88 „Wirtschaftsstrategie gegenüber dem Osten“, (aus amerikanischer Sicht und aus deutscher Sicht) in ibid., pp. 154-67.
89 CZEMPIEL, op. cit., p. 37.
90 Czempiel va donc plus loin que Galtung dans son étude des conditions d’un rapprochement Est-Ouest du début des années 1970. Galtung garde une vision purement structurelle des problèmes en ce qu’il exclut tout rapprochement mutuel des systèmes vers un milieu commun, ainsi que toute « conversion », même partielle, de l’un aux valeurs de l’autre. Il pense solutionner leur antagonisme par la création d’organismes de gestion commune des divers domaines de leur activité ; GALTUNG, „Europa, bipolar, bizentrisch oder kooperativ“, op. cit.
91 Brandt proclame son attachement à un certain nombre de valeurs qu’il pose comme universelles et qui devront être concrétisées dans le dialogue Est-Ouest : souveraineté, intégrité territoriale, non-violence, droit à l’autodétermination, respect des droits de l’homme : BRANDT, op. cit., p. 564.
92 « En ce qui concerne le conflit Est-Ouest, l’un des principaux motifs réside dans la tension entre l’exigence idéologique du système communiste, qui est orienté vers la lutte des classes et la révolution mondiale, et les conceptions de l’homme qui, à l’inverse, exigent un régime juridique et social de liberté comme fondement de la coexistence des hommes » (GsF, p. 568).
93 Dans le même sens, voir l’interview accordée par le cardinal Ratzinger à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, sous le titre „Auch ein Feind hat legitime Interessen“, Nr.19, 1983, pp. 122-30.
94 « Foi chrétienne et marxisme », DC, Nr.1808, 1981, p. 500, cité par CoP, p. 751.
95 Comme le fait remarquer Robert Wolf, la tolérance repose sur l’interprétation des exigences de l’adversaire comme l’expression de ses intérêts et non de ses valeurs. Si, en effet, je juge ses exigences comme des erreurs morales, ma propre position équivaut à la tolérance du mal, ce qui est inacceptable. Inversement, j’augmente mes chances de faire valoir mes propres exigences, que je sais être moralement erronées, si je les présente comme des intérêts ; WOLF, Robert, “Beyond Tolerance”, in MARCUSE, Herbert, MOORE, Barington, WOLF, Robert, A Critique of Pure Tolérance, Boston, Beacon Press, 1965, p. 21.
96 On rappelle qu’à la même époque, une résolution sur le gel des armes nucléaires était en discussion au Congrès, que la « Commission Scowcroft » venait de rendre public son rapport qui conseillait, entre autres, le remplacement des missiles à têtes multiples très vulnérables à une première frappe par des missiles à tête simple. Les évêques se retrouvaient aussi parmi les partisans d’un traité sur l’interdiction des essais nucléaires.
97 Traduction Pax Christi, op. cit., p. 111.
98 Les évêques affirment : « Croire que nous sommes simplement condamnés à l’avenir à revivre ce qu’ont été dans le passé les relations Etats-Unis-Union soviétique revient à sous-estimer à la fois notre possibilité humaine de diplomatie créatrice et l’action de Dieu parmi nous, qui peut conduire à des changements difficilement imaginables. Nous ne devons pas renforcer l’idée illusoire qu’à l’avenir les relations entre les superpuissances seront dépourvues de tensions ou qu’il sera facile de parvenir à la paix. Mais ce contre quoi nous mettons en garde, c’est la “dureté du coeur” qui peut nous fermer, nous ou les autres, aux changements nécessaires pour construire un avenir différent du passé », CoP, p. 752.
99 Sur ce point, voir ci-dessous, III.
100 CZEMPIEL, „Nachrüstung“, op. cit., p. 37.
101 En reprenant l’argumentation de Jean-Paul II dans son message pour la journée de la paix 1983, CoP, p. 752.
102 „Kann Europa abrüsten ?“, op. cit., pp. 138-47, 149-50. On retrouve ici la difficulté soulevée à propos du troisième critère d’acceptation de la dissuasion nucléaire dans les lettres pastorales. La poursuite des négociations sur le désarmement ou la limitation des armements ne garantit en aucune manière la disparition de la dissuasion.
103 CZEMPIEL, „Nachrüstung“, op. cit., p. 45 (Traduction CG).
104 REUTER, Hans-Richard, „Aufruf zur politischen Vernunft“, in Zur Debatte, Themen der katholischen Akademie in Bayern, 12. Jg, Nr. 1, Jan./Feb. 1982, p. 6. En 1988, on peut se demander si la politique d’ouverture menée par M. Gorbatchev ne signifie pas la reconnaissance implicite de ce principe. Certes, ses initiatives unilatérales sont d’un type spécial, mais elles ne relèvent pas moins d’une décision autonome, indépendante de toute pression extérieure.
105 Il s’agit du moratoire unilatéral sur les essais nucléaires déclaré par Kennedy en 1963, qui a conduit de fil en aiguille au traité d’interdiction partielle de ces essais, et à un retrait de 10 000 hommes de troupes d’Europe centrale de chaque côté, sans que soient précisées l’origine et la signification de l’initiative.
106 KRELL, RISSE-KAPPEN, SCHMIDT, op. cit., pp. 45-49.
107 Ibid., pp. 49-50. Le chercheur allemand Theodor Ebert tente de pallier ce risque de déséquilibre en définissant des moyens de défense contre l’ennemi extérieur qui soient semblables aux moyens de lutte contre l’ennemi intérieur ou l’ancien « ami » ; EBERT, Gewaltfreier Aufstand, pp. 33-53.
108 Le processus envisagé rappelle aussi l’“ahimsa” gandhien. Cf. supra.
109 KORFF, op. cit., p. 501 (Traduction CG).
110 Le terme allemand est „Vorleistungen“. Plus que le terme français « initiatives », il contient l’idée d’unilatéralisme. L’expression qu’utilise la traduction suisse, « prestations préalables », op. cit., p. 54, paraît plus adéquate.
111 JEAN-PAUL II, Message pour le 1er janvier 1983, op. cit., p. 70, cité par GsF, p. 589.
112 Voir les jugements plutôt sévères du ZdK à propos de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe : ZdK, „Erklärung zum zweiten Folgetreffen der Konferenz über Sicherheit und Zusammenarbeit in Europa“, 8 Okt. 1980, ZdK/Berichte und Dokumente, Nr.43, Bonn, Feb. 1981, pp. 43-45 ; MAIER, Hans, „Bericht zur Lage“, vor der Vollversammlung des ZdKs, 14 Nov. 1980, ibid., pp. 53-54.
113 JASPERS, op. cit., p. 271.
114 Pour des précisions au sujet du sens de ces deux termes chez Jaspers, voir ARON, Raymond, « Karl Jaspers et la politique », in « Raymond Aron 1905-1983. Histoire et Politique », Commentaire, vol. 8, Nr.28-29, 1985, pp. 530-38.
115 JASPERS, op. cit., pp. 391-409.
116 Concept dont l’illustration occupe toute la troisième partie de son ouvrage intitulée « éclairement de la situation de l’homme dans l’englobant », ibid., pp. 335-692.
117 Les évêques américains citent JEAN-PAUL II, RH, § 16 ; Homélie au Yankee Stadium de New York, 2 oct. 1979, DC, Nr.1772, 1979, p. 881 ; cité par CoP, p. 753. Dans cette homélie, s’adressant aux catholiques américains, le pape déclarait : « Dans le cadre de vos institutions nationales et en collaboration avec tous vos compatriotes, vous devez chercher les raisons structurelles qui alimentent ou engendrent les différentes formes de pauvreté dans le monde et dans votre pays, afin d’y apporter les remèdes nécessaires ». Les évêques français citent l’encyclique “Populorum Progressio” de Paul VI pour appeler à « l’apprentissage de nouveaux modes de vie internationale », GP, p. 14. On pourrait rappeler aussi dans ce contexte les changements radicaux réclamés par “Pacem in Terris” en matière d’organisation de la communauté internationale, PT, § 130-45.
118 PT § 144.
119 „Das Grösste Problem liegt hinter dem eisernen Vorhang“, Militärbischof Francis Roque zur aktuellen Friedensdiskussion, KNA, Nr.50, 11 Nov. 1983 ; CDU-Bundesgeschäftsstelle, „Kein Frieden ohne Freiheit“, Berliner Rundschau, 22 Sept. 1983.
120 JASPERS, op. cit., pp. 577-78.
121 ORLOV, Yuri, Conférence sous les auspices d’Amnesty International et du Comité « Yuri Orlov » du CERN, Genève, 8 nov. 1986 (notes de l’auteur).
122 CZEMPIEL, Schwerpunkte und Ziele der Friedensforschung, pp. 51ss.
123 JASPERS, op. cit., pp. 205-211. Jaspers s’appuie ici sur l’étude de Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, New York, 1951.
124 Sur le rapport entre violence et mensonge, voir BOSC, Evangile, violence et paix, p. 102. Bosc reprend ici les conclusions d’un article de Pierre Hassner paru dans la Revue française de science politique, déc. 1973, pp. 1300-1303.
125 BDKJ-Bundesvorstand, „Weiterer Rüstung entgegenwirken“, op. cit., pp. 56, 57 ; KOSCHEL, Angsar, „Gewaltfreie Aktionen in diesem Herbst“, Brief an die Mitglieder von Pax Christi, in Probleme des Friedens, Heft3/1983, pp. 60-61 ; RAWLS, op. cit., p. 406 ; MULLER, Stratégie de l’action non-violente, pp. 203-11 ; etc.
126 ARENDT, On Violence, p. 53. De même les évoques français se demandent « ce qui serait arrivé si Gandhi, au lieu d’avoir pour partenaire lord Louis Mountbatten, avait eu un des bourreaux célèbres de l’Europe », GP, p. 8 (note Nr.9).
127 A son avis, la violence ne serait pas plus efficace dans la résistance à un Etat totalitaire, sans compter que ses conséquences seraient, dans la majorité des cas. bien plus tragiques que celles du recours à la non-violence. BROCK, op. cit., pp. 97-98. Pour une argumentation similaire, voir aussi MULLER, Stratégie de l’action non-violente, pp. 51-52. Cependant. Gandhi lui-même n’a pas contesté la décision des Alliés de résister à Hitler par la force militaire, La dissuasion civile, p. 31. Il affirmait également : « Je préférerais mille fois prendre le risque de recourir à la violence plutôt que de voir émasculer toute une race... Je ne peux que préférer la violence à l’attitude de celui qui s’enfuit par lâcheté » ; GANDHI, op. cit., p. 179.
128 Ainsi Theodor Ebert en étudiant la résistance des instituteurs norvégiens au nazisme, la révolte de 1953 en Allemagne de l’Est, les événements de 1956 en Hongrie et ceux de 1968 en Tchécoslovaquie : EBERT, Theodor, “Nonviolent résistance against communist régimes?”, in The Strategy of Civilian Defense, pp. 173-74 ; „Gewaltloser Widerstand gegen Stalinistische Regime? Der Juni- Aufstand in der DDR 1953“, „Der ziviler Widerstand in der Tschechoslowakei – Eine Analyse seiner Bedingungen und Kampftechniken“, etc. in EBERT, Soziale Verteidigung, Bd. 1, 200 p. Un effort qui reste peu probant aux yeux de nombreux observateurs ; voir par exemple, SCHMID, Alex P., « Quand les Russes arrivent : la défense civile et la puissance militaire soviétique », in Les stratégies civiles de défense, pp. 169-97.
129 Les définitions du totalitarisme sont multiples. Pour une approche synthétique de la littérature existante, voir FERRY, Luc, PISIER-KOUCHNER, Evelyne, « Théorie du totalitarisme », in Traité de Science Politique, vol. 2, publié sous la direction de Madeleine Grawitz et Jean Leca, Paris, PUF, 1985, pp. 115-59.
130 Le passage en question, absent des deux premières moutures, résulte dans la version finale du transfert d’un argument apparu au titre de la « justice comparative » dans la série des critères de la guerre juste (CoP 3, p. 707). Selon sa formulation primitive, ce critère était particulièrement discutable car il tendait à verser dans un cautionnement a priori de la juste cause, par une sorte de retournement de la prétention traditionnelle de la doctrine marxiste-léniniste : certain d’être en possession d’un vérité plus haute, l’Occident serait automatiquement justifié à s’imposer au système socialiste.
131 Voir notamment les thèses adoptées par la Conférence nationale du PCUS au début de l’été 1988 ; Le Monde, 25 mai, 29 juin, 2, 3-4 juil. 1988.
132 Pour cet auteur, la définition théologique classique de la paix comme « oeuvre de la justice » laisserait une marge de manoeuvre beaucoup plus grande car elle équivaudrait avant tout à la « résolution équitable de conflits d’intérêts », KORFF, op. cit., p. 489. Il serait à notre avis erroné de réduire le terme de « justice » à cette seule dimension dans les déclarations pontificales ou dans les lettres épiscopales sur la paix.
133 KORFF, op. cit., pp. 495-96.
134 PT, § 35-37, 80, 86-90, 114, 149, 163, 167.
135 PT, § 37-38, 47, 85.
136 JOBLIN, Joseph, « Jean-Paul II et les socialismes ; l’arrière-plan de l’éthique de la décision », Nouvelle Revue Théologique, Nr.108, 1986, p. 60.
137 JEAN-PAUL II. Message aux Nations Unies pour le 30e anniversaire de la déclaration des droits de l’homme, 2 déc. 1978, DC, Nr. 1755, 1979, p. 2 ; Discours à la 36e Assemblée générale des Nations Unies, 20 oct. 1979, op. cit., § 14-16, § 20 ; « La liberté religieuse », message aux chefs d’Etats signataires de l’Acte final d’Helsinki, 1er sept. 1980, DC, Nr 1789, 1980, pp. 172-75. Message paour le 1er janv. 1981, op. cit., § 6 ; Discours au colloque international d’études juridiques, Rome, 8-10 mars 1984, DC, Nr 1874, pp. 510-11.
138 JEAN-PAUL II. Discours à la 36e Assemblée générale des Nations Unies, 20 oct. 1979, op. cit., § 7, 11-12 ; Discours à l’UNESCO, 2 juin 1981, op. cit., § 22 ; Message pour le 1er janv. 1981, op. cit. ; Message pour le 1er janv. 1984, op. cit., § 2-3 ; Discours au corps diplomatique, 11 janv. 1986, § 9, DC, Nr. 1912, 1986, p. 202.
139 « L’un des objectifs des régimes totalitaires marxistes est de briser l’Eglise », JOBLIN, op. cit., p. 242.
140 Parmi les trois pays qui nous concernent, cela nous semble au moins être le cas aux Etats-Unis où la Déclaration d’indépendance, texte de base autour duquel s’est constituée l’identité de la nation, invoque « le Dieu créateur » et les « Lois de la Nature » octroyées par celui-ci, et en Allemagne fédérale où les Eglises jouissent d’une protection contractuelle.
141 BOSC, Sociologie de la paix, p. 160.
142 CHICHKINE, A., Ethique, Moscou, 1972, pp. 317-18, cité par BOSC, ibid., p. 161.
143 ANTOINE, op. cit., p. 176.
144 KORFF, op. cit., pp. 496-97.
145 En particulier, HABERMAS, Jürgen, “Towards a Theory of Communicative Competence”, Inquiry, vol. 13, 1970, pp. 360-75.
146 DANILOV, A., « Une analyse soviétique de l’engagement de l’Eglise pour la paix », Naouka i Religija, 9 sept. 1985, traduit par la DC, Nr. 1912, 1986, p. 215.
147 COSTE, René, Interview du 4 juin 1985, notes de l’auteur. René Coste fait mention du modèle de relations qui s’était établi entre l’administration Nixon et les dirigeants du Kremlin, telles que les décrit Henry Kissinger dans ses mémoires ; KISSINGER, Henry, A la Maison Blanche 1968-73, Paris, Fayard, 1979, pp. 131-36.
148 PT, § 7, 98-100, 124-25, 132, 135, 137-40, 146, 155, 167. Le pape Jean XXIII utilisait généralement le terme de « bien commun universel ». Jean-Paul II lui préfère celui de « bien commun de l’humanité », plus proche du vocabulaire onusien.
149 PIE XII, Message de Noël 1944, op. cit.
150 JEAN-PAUL II, Allocution au corps diplomatique, 12 janv. 1979, op. cit.
151 JEAN-PAUL II, Allocution aux Nations Unies, 2 oct. 1979, op. cit. ; « La paix et les jeunes marchent ensemble », Message pour la journée de la paix 1985, § 6-8, DC, Nr.1888, 1985, pp. 86-87 ; Message au Président de la 40e Assemblée générale de l’ONU, 18 oct. 1985, op. cit., pp. 1051-53 ; Discours au corps diplomatique, 11 janv. 1986, op. cit., § 9.
152 JEAN-PAUL II, Discours aux juristes italiens, 6 déc. 1980, op. cit. ; Allocution à la Cour Internationale de Justice, 13 mai 1985, DC, Nr. 1898, 1985, pp. 634-37 ; Message au Président de la 40e Assemblée générale de l’ONU, 18 oct. 1985, op. cit., § 4.
153 PT § 137, cité par CoP, p. 750.
154 Une partie de la force de cette affirmation est perdue par la traduction française qui emploie le pluriel « des solutions » (ibid., p. 761) là où l’original emploie le singulier « a solution ».
155 « Il doit être doté par toutes les nations du pouvoir d’imposer ses commandements à chacune d’elles ». Cependant, le texte ajoute immédiatement : « Il doit être constitué de telle sorte qu’il ne menace aucune souveraineté nationale », CoP, p. 761. La question de compatibilité entre les deux affirmations n’est pas abordée.
156 GS § 82,1, cité par GP, pp. 11-12. Alors que les évêques américains ne citent que GS § 79.3, moins hardie dans ses exigences.
157 Le passage du texte conciliaire cité est le suivant : « Les institutions internationales déjà existantes, tant mondiales que régionales... apparaissent comme les premières esquisses des bases internationales de la communauté humaine tout entière pour résoudre les questions les plus importantes de notre époque : promouvoir le progrès en tout lieu de la terre et prévenir la guerre sous toutes ses formes ». GS § 84.3, cité par GP, p. 14.
158 JEAN-PAUL II, Message pour la journée de la paix 1983, op. cit., p. 70, cité par GsF, p. 584.
159 JEAN-PAUL II, Allocution à la Cour Internationale de Justice, 13 mai 1985, op. cit., § 2,4.
160 CASAROLI, Cardinal Agostino, Discours au congrès « Le développement des peuples, nouveau nom de la paix », 7-9 avril 1983, DC, Nr.1853, 1983, p. 553. S’il faut constater des variations du discours selon les circonstances et le public visé, l’attitude du Secrétaire d’Etat traduit bien la tonalité générale des positions du Vatican sur « l’autorité universelle » au début des années 1980 : reprise prudente de l’argumentation des prédécesseurs sans qu’il y ait jamais d’appropriation totale.
161 Voir les textes réunis dans L’individu, la nation, l’Etat, Section 3, pp. 15-24 ; Section 4, pp. 26-30.
162 JEAN-PAUL II, Allocution au Bureau du Parlement européen, 5 avril 1979, in ibid., pp. 33-34 ; également, Message pour le 1er janvier 1986, op. cit., § 4.
163 HEGEL, Principes de la Philosophie du droit, Paris, Gallimard, 1940, § 258-260.
164 Ibid., § 333.
165 Ibid., § 338.
166 BRUAIRE, op. cit., p. 115.
167 Ibid., p. 35.
168 Ibid., pp. 29-31.
169 HERR, Edouard, « De la dissuasion au désarmement par la politique », Revue théologique de Louvain, Nr.15, 1984, pp. 428-29.
170 Ibid. ; également, BRUAIRE, op. cit., p. 190.
171 HERR, op. cit., pp. 419-20,430. Les concepts de « force » et de « valeur » chez Herr semblent correspondre à ceux de « nature » et « liberté » chez Bruaire, dont il s’inspire d’ailleurs.
172 ANTOINE, op. cit., pp. 236-37.
173 JEAN-PAUL II, Discours aux juristes italiens, 6 déc. 1980, op. cit., p. 43 ; Discours au Président de la 40e Assemblée générale de l’ONU, 1985, op. cit., § 3,4.
174 COMBACAU, Jean, « L’Etat », in Droit International Public, par Jean Combacau, Hubert Thierry, Serge Sur, Charles Vallée, Paris, Montchrestien, 1984, pp. 211-15.
175 Sur ce point, MARITAIN, Jacques, Christianisme et démocratie, p. 43.
176 FERRY, Luc, PISIER KOUCHNER, Evelyne, « Les fondements des droits de l’homme », Encyclopedia Universalis, Supplément « Les enjeux », Paris, 1984, pp. 52-57.
177 WEBER, op. cit., pp. 219-20. Pour le détail des différents types de rationalité chez Weber, ibid., pp. 22- 23.
178 SUTOR, „Das Politische in den Friedenserklärungen“, op. cit., p. 473 (Traduction CG).
179 Ibid., p. 468 (GP, p. 13 ; CoP, pp. 425-26 ; GsF, p. 573).
180 Ibid., p. 469 (Traduction CG).
181 A titre d’exception, voir JEAN-PAUL II, Discours aux juristes italiens, op. cit., p. 44. Jean-Paul II esquisse ici une distinction entre violence et force, qui est « de la justice au concret ».

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