Chapitre V. Le jugement éthique de la dissuasion nucléaire : limites théologiques et politiques
p. 161-196
Texte intégral
1L’objectif de tout jugement éthique – du moins dans une tradition thomiste et aristotélicienne – étant de trouver une articulation entre les valeurs d’un côté et les actes de la vie sociale de l’autre1 afin de définir la praxis subséquente, un va-et-vient constant entre les deux pôles de la théorie morale et de l’analyse de situation s’imposa aux évêques. L’argument de théologie morale ne peut jamais faire abstraction des réalités empiriques. Celles-ci sont partie intégrante du donné sur lequel s’exerce la raison pour aboutir au jugement moral. L’exercice est périlleux car il exige le maintien d’un équilibre constant entre les deux pôles. Il est facile de tomber dans une morale « déontologique », insensible aux particularités de l’enjeu, ou à l’inverse, dans une pure « morale de situation », les principes de jugement n’intervenant plus alors que comme une justification a posteriori d’une conclusion déjà tirée. La rigidité de la première méthode ne permet pas d’inclure les impératifs de flexibilité de toute action politique ; la seconde tend à ignorer l’éthique au profit d’une pure tactique.
2Les évêques n’étaient pas à l’abri de l’un et l’autre danger. Tentée par une approche déontologique, la conférence épiscopale américaine dut à de multiples reprises modifier son raisonnement sous la force des pressions extérieures, laissant surgir des doutes quant à la validité de sa méthode. Tout en demeurant réticents à s’exprimer sur telle ou telle décision particulière, ses homologues allemande et française restèrent beaucoup plus proches de la réalité politique, démontrant une dépendance en sens inverse, mais non moins forte que celle des évêques américains à l’égard des conditions du débat national sur la défense.
3Au lien avec des contextes nationaux spécifiques, il faut ajouter un ensemble de considérations de « politique d’Eglise » portant à la fois sur des questions doctrinales au sein de l’institution et idéologiques dans le cadre des relations Est-Ouest pour expliquer la diversité des accents des lettres pastorales et les fluctuations intervenues au fil des versions du document américain. Les limites ainsi posées de l’extérieur au jugement moral nous amèneront à nous interroger sur le sens de l’affirmation du caractère transitoire de la dissuasion nucléaire.
I. Les évêques américains sont-ils « conséquentialistes » ?
4Accusés après la rédaction des deux premières moutures de leur document d’obéir à une philosophie utilitariste, les évêques américains ont tenu à démontrer leur attachement à un principe classique de la théologie catholique :
C’est un mal que d’avoir l’intention de faire le mal.
5L’objection de « conséquentialisme » qu’on leur opposait a pesé lourd dans leur raisonnement, alors que de semblables difficultés n’ont été soulevées ni en France ni en Allemagne fédérale. Un détour par la théologie morale classique est nécessaire pour comprendre les enjeux de cette discussion.
1. La théologie morale classique
6Le terme « conséquentialisme » fut utilisé par certains moralistes conservateurs de l’école « déontologiste » pour critiquer le courant que nous appellerons « proportionnaliste », de plus en plus répandu parmi les théologiens catholiques2. L’école « proportionnaliste » dont le représentant le plus connu aux Etats-Unis est certainement Richard McCormick, est accusée de prôner une théologie utilitariste et relativiste, répondant à l’adage « qui veut la fin veut les moyens ». Son principal adversaire est le Révérend Harry Flynn, qui écrit sous le pseudonyme de Germain Grisez3. Il faut rappeler que l’utilitarisme a toujours eu très mauvaise presse dans le catholicisme, qui a généralement préféré procéder par des impératifs absolus, ou tout du moins, donner l’impression qu’il procédait ainsi, ce qui garantissait l’intangibilité des normes énoncées4. Les évêques pouvaient craindre en particulier qu’une position interprétée comme relativiste sur la dissuasion nucléaire n’élargît la brèche déjà largement ouverte dans l’enseignement catholique sur la contraception et l’avortement, à propos duquel s’était justement développé le conflit entre proportionnalistes et déontologistes5.
7Dans la lettre pastorale, le reproche de conséquentialisme visait le jugement de « tolérance » émis par le cardinal Krol devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat en 1979. La possession des armes nucléaires dans un but dissuasif y était « tolérée » comme le moindre entre deux maux6. Les théologiens – toutes écoles confondues – firent remarquer que l’utilisation du concept de tolérance dans cette acception était nouvelle. Traditionnellement, ce concept est relatif au principe dit du « double effet » d’un acte. En schématisant, ce dernier principe part de la constatation simple qu’un acte unique peut avoir simultanément des conséquences positives et négatives. Un acte accompli pour une fin louable peut en particulier avoir des retombées négatives. C’est sur la prise en compte de ces retombées dans le jugement moral que porte la controverse. Selon la théologie classique, l’acte n’est pas moralement mauvais si son accomplissement répond aux quatre conditions suivantes : 1) L’action n’est pas moralement mauvaise en elle-même, ses conséquences néfastes mises à part ; 2) L’agent agit avec une intention droite, c’est-à-dire que le mal causé ne fait pas partie de son intention ; 3) Le mal causé n’est pas un moyen du bien recherché : pour ceci les deux effets doivent être simultanés dans la série des causes, ou du moins, le mal ne doit pas être logiquement antérieur ; 4) Il existe une raison proportionnellement sérieuse d’autoriser la commission du mal ; en particulier, aucune alternative ne doit être disponible7. Lorsque ces quatre conditions sont simultanément remplies, il est possible de « tolérer » le mal résultant de l’accomplissement de l’acte sans que ce dernier soit considéré comme moralement mauvais. Sans entrer ici dans les détails de l’interprétation des quatre critères8, il faut signaler que des difficultés d’application sont intervenues en particulier à propos du troisième d’entre eux.
2. Application à la lettre pastorale
8S’interrogeant sur la capacité de la dissuasion nucléaire à satisfaire cette condition, Francis Winters décrit l’effet positif comme le maintien de la stabilité internationale et d’un environnement favorable à la limitation des armements, l’effet négatif étant « la possibilité résiduelle que l’arme soit mise à feu, en violation d’une politique nationale qui aurait renoncé à la guerre nucléaire »9. Winters demeurant attaché à son hypothèse d’une dissuasion « existentielle » qui aurait banni l’intention d’employer les armes nucléaires, il n’a pas besoin de stipuler que l’efficacité de cette dissuasion serait dépendante d’un moyen mauvais en soi : l’intention d’employer l’arsenal nucléaire10.
9Germain Grisez, pour qui la volonté d’emploi demeure la condition de crédibilité de la dissuasion, aboutit à une conclusion différente. Il fait remarquer que l’usage du concept de « tolérance », tel qu’il était employé par les évêques dans les deux premières moutures de la lettre pastorale, impliquait l’acceptation d’un acte mauvais dont on serait soi-même l’auteur. Aux Etats-Unis, société démocratique, les citoyens sont tenus pour responsables de la politique menée par le gouvernement, et donc des menaces qui pourraient être exercées par celui-ci. Dans ce cas, le mal contenu dans l’acte n’est plus extérieur à la volonté qui tolère. Il devient un moyen indispensable à l’accomplissement de la fin sur laquelle porte la volonté11. Grisez en déduit l’inacceptabilité morale d’une dissuasion nucléaire reposant sur la menace d’une frappe elle-même moralement inacceptable12. Les doutes exprimés par le projet de lettre pastorale sur la possibilité d’un emploi moral des armes ont conduit les évêques dans leur deuxième mouture à décrire la course aux armements et son élément central, la dissuasion, comme une « situation de péché » (CoP 2, pp. 311, 312, 317). La tolérer serait donc tolérer son propre mal moral, solution qui ne pourrait être que condamnable. La dissuasion existentielle ou le « bluff » étant exclus, la seule conclusion éthique serait l’obligation de renoncer aux moyens destinés à assurer la dissuasion nucléaire. Craignant de devoir aboutir à une position unilatéraliste en matière de désarmement nucléaire, les évêques américains jugèrent plus prudent d’abandonner leur concept de « tolérance »13 et de se ranger à une forme de dissuasion n’excluant pas un emploi moral des armes.
10Pourtant, leurs confrères allemands recourent eux aussi à ce terme sans que son utilisation se soit apparemment heurtée chez eux à des difficultés particulières. Il semble qu’ils se soient situés dans ce domaine plus près de l’analyse proportionnaliste.
3. L’approche proportionnaliste
11Leur raisonnement s’explique si l’on fait appel à la distinction entre les notions de mal « physique » (ou « ontique » ou « prémoral ») et de mal « moral », qui est celle à laquelle se réfère habituellement la théorie proportionnaliste14. Selon cette théorie, il n’existe pas d’acte moralement mauvais en tant que tel (ex objecto). Il est impossible de donner une qualification morale à une action simplement d’après son contenu matériel ou, en d’autres termes, indépendamment des circonstances dans lesquelles elle s’inscrit15. En ce sens, il n’y a plus d’acte « absolument mauvais », à moins de qualifier d’acte une proposition qui décrit déjà le résultat d’un jugement moral, qui désigne déjà en elle-même une « valeur ». Ainsi, comme le fait remarquer McCormick, le principe de discrimination des populations civiles n’est pas la simple description d’un acte matériel, mais le résultat d’un raisonnement de type téléologique prenant en compte les circonstances – la caractérisation des populations comme « innocentes », de l’attaque comme « directe », la définition des objectifs poursuivis – pour aboutir au fait que, une fois tous les éléments positifs et négatifs pesés les uns contre les autres, ces derniers dominent finalement dans tous les cas16. L’acte matériel reste toujours du domaine prémoral. Ceci ne signifie pas que le bien ou le mal ontique en jeu soit moralement indifférent17. Il est possible, comme le suggèrent les protagonistes de la théorie proportionnaliste, de sortir de la rigidité et de l’artificialité de l’approche déontologique classique sans tomber dans le relativisme. Il ne s’agit pas de porter un coup mortel à la moralité, mais au contraire de lui redonner tout son sens en la reliant au “telos” de l’accomplissement humain. La téléologie telle qu’elle est prônée par une frange des moralistes catholiques ne se réduit pas à un pur calcul utilitariste des pertes et gains18. Elle exige au contraire une approche large dont le pivot peut être constitué par le concept d’« épanouissement humain » (“human flourishing”) ou de “beneficientia”, qui suppose l’existence d’une « association de valeurs fondamentales » (“association of basic goods”) interdépendantes19. Toute action qui contribuera à cet épanouissement sera considérée comme moralement bonne, alors que celle qui l’entravera sera jugée moralement mauvaise. Il se peut que l’on découvre que certains actes constituent dans tous les cas une atteinte à la dignité de l’homme, en ce qu’ils seraient toujours « contre-productifs » par rapport au but que l’on s’est fixé20. Mais leur interdiction ne découlerait pas d’un principe posé a priori ; elle serait le résultat d’un jugement de proportionnalité21.
12Il faut remarquer que, selon cette théorie, l’équivalence morale entre l’acte et l’intention n’est pas remise en cause : il reste toujours immoral d’avoir l’intention de perpétrer un acte immoral. La fin ne justifie pas les moyens22. Seulement, l’immoralité de l’acte n’est pas donnée d’emblée, par simple description ; elle est le résultat d’une évaluation globale tenant compte de tous les éléments en jeu. McCormick n’hésite pas dans ce cas à affirmer que « les fins justifient les moyens »23. Transposée dans notre domaine d’étude, cette distinction entraîne la disparition du critère de discrimination en tant qu’absolu a priori. Le jugement se réduit à une question de proportionnalité. En conséquence, il devient impossible de rejeter la dissuasion au motif qu’elle comprend l’intention de perpétrer des actes mauvais en soi24.
4. Application aux lettres pastorales française et allemande
13Dans la mesure où les évêques allemands ne s’appuient pas sur un principe absolu de discrimination mais retiennent plutôt l’impératif de proportionnalité, ils peuvent beaucoup plus aisément que leurs collègues américains envisager la possibilité d’une dissuasion morale, même au cas où ils retiendraient l’équivalence entre intention et emploi. « La justice crée la paix » présente l’acceptabilité conditionnelle de la dissuasion comme le résultat d’un choix entre deux maux : d’une part la menace totalitaire et la perte des libertés, de l’autre les destructions monstrueuses qu’entraînerait l’emploi des armes. McCormick fait remarquer que ces deux maux ne sont pas de même nature25. Dans le premier cas, il s’agit d’un mal extérieur, physique, qui ne dépend pas de notre propre action ou volonté. Dans l’autre, c’est notre propre intention de faire le mal qui est en jeu. En effet, en décrivant comme « une perspective moralement insoutenable » « une extermination massive, qu’on n’a jamais le droit d’exécuter » (GsF, p. 587), les évêques allemands caractérisent, selon McCormick, explicitement comme un mal moral une intention d’utilisation des armes nucléaires qui entraînerait des destructions massives. Le théologien ne voit plus alors qu’une issue à ce dilemme : supposer qu’un usage moral (donc limité) des armes nucléaires est possible26. Celui-ci n’incluerait pas alors l’intention de faire le mal, qui dans la théologie catholique équivaut à la commission du mal lui-même. L’ambiguïté relevée plus haut à propos de la contrôlabilité de la guerre nucléaire (Cf. Chap. iv) est peut-être destinée à maintenir cette soupape de sécurité, dont dépend l’acceptabilité conditionnelle de la dissuasion27.
14Cependant, même si la critique de McCormick est justifiée, il ne semble pas que les évêques allemands aient tenu ce type de raisonnement. Leur jugement relève effectivement d’une forme de proportionnalisme, mais d’une nature différente. Bien que leur analyse ait pour base l’existence de deux maux, elle consiste moins à peser ces deux maux l’un contre l’autre qu’à vérifier l’adéquation des moyens (la dissuasion) au but (la prévention de la guerre), une forme de proportionnalisme que McCormick lui-même ne désavouerait pas28. On peut toutefois la concevoir comme une comparaison entre les deux maux que représentent la poursuite de la dissuasion et un désarmement nucléaire unilatéral. Mais même si l’on retient cette interprétation, leur approche constitue un déplacement important vis-à-vis du raisonnement américain. Dans celui-ci, les armements étaient considérés comme moyens par rapport à la limitation de la guerre29, même si l’objectif proclamé restait sa prévention. Dans le texte allemand, les moyens restent les mêmes, mais c’est la fin qui a changé pour donner un nouvel éclairage aux moyens. En soi, les moyens n’ont pas de sens ou, plus exactement, ne peuvent représenter qu’un mal « prémoral »30. Ils ne valent que par rapport à la fin qu’ils visent. On est ici aux antipodes d’une conception déontologique de la fin et des moyens.
15Il ne fait pas l’ombre d’un doute que ce déplacement est imputable à une différence de perceptions politiques. Pour les évêques américains, l’objectif est le maintien d’une guerre éventuelle dans le périmètre des critères de discrimination et de proportionnalité, ce qui implique l’examen de l’adéquation des moyens militaires à l’impératif de limitation du conflit. Au contraire, pour les évêques allemands, les moyens sont examinés d’abord selon leur capacité à répondre à l’objectif de prévention de la guerre, qui conditionne l’angle sous lequel aura lieu l’analyse de proportionnalité. Selon cette approche, les moyens ne sont pas ignorés, mais ils sont relégués à l’arrière-plan. Plus la « foi » en la capacité de la dissuasion d’assurer la sécurité sera grande, moins leur examen sera nécessaire. Le raisonnement des évêques allemands aboutit ainsi à en faire presque totalement abstraction, malgré la tension morale insoutenable qui en résulte. La conclusion n’a pas de quoi satisfaire, ce que traduit bien la formule de « l’éthique de détresse ». Mais aucune autre solution n’est possible si l’on se donne pour priorité de ne pas mettre en danger l’équilibre dissuasif.
16Les évêques français ont eux aussi recours à la formule de « l’éthique de détresse »31. En guise d’explication de leur méthode de jugement, ils font longuement référence à une déclaration de Mgr Beck, archevêque de Liverpool, lors de la discussion du « Schéma XIII » au Concile. En reprenant à leur compte cette argumentation, qui décrit la dissuasion comme « une occasion de péché grave » (GP, p. 10), ils ne vont pas tout à fait jusqu’à la caractériser de « situation de péché », comme l’avaient fait leurs confrères américains. Ils évitent de justesse le piège de la « tolérance » du mal moral. Malgré tout, il est douteux que ces considérations soient entrées dans leur raisonnement. L’échappatoire qui pouvait encore être offerte aux évêques allemands leur permettant de stipuler que tout emploi des armes nucléaires ne serait pas nécessairement immoral est ici exclue, étant donné le rôle central de la frappe anti-cités dans la dissuasion française. Le jugement moral ne peut dissimuler la contradiction fondamentale qu’implique la profération d’une menace dont on ne peut jamais assumer la mise en œuvre. Là encore, la conclusion ne s’explique que par l’adoption d’une forme de proportionnalisme semblable à celle qu’ont retenue les évêques allemands. La proportionnalité n’est pas à évaluer par rapport aux conséquences d’un échec de la dissuasion, mais par rapport à l’objectif de celle-ci, qui est d’empêcher la guerre.
17En guise de conclusion provisoire de ce débat, mentionnons les propositions auxquelles aboutit un échange informel qui eut lieu à Washington en mars 1985 entre théologiens et stratèges allemands et américains associés à la rédaction des documents pastoraux deux ans plus tôt32. Selon le consensus obtenu dans ce groupe de réflexion, pour être morale, une stratégie de dissuasion doit être « proportionnée » de deux manières différentes : 1) en tant que moyen par rapport au but recherché, qui est la prévention de la guerre ; ceci implique que l’on tienne compte de l’existence éventuelle de moyens plus satisfaisants ; 2) la mise en œuvre militaire des instruments de dissuasion doit permettre de rester dans la limite de dommages proportionnés par rapport au bien que l’on espère tirer de l’engagement des armes. Sur ce second point l’on observe qu’étant donné la diversité des expertises, il est impossible de savoir a priori si les dommages causés par la menace que l’on profère seront proportionnés ou non. Certes, on peut affirmer que certains moyens ne seront jamais proportionnés, mais on ne peut pas définir les conditions dans lesquelles d’autres le seront éventuellement. Or, c’est justement sur cette impossibilité que repose l’efficacité de la dissuasion33. Le jugement sur sa moralité est donc virtuellement reporté au moment même où les armes seront mises en œuvre. Mais cet instant peut se réduire à quelques minutes, voire quelques secondes, un délai totalement inapproprié aux évaluations nécessaires, d’autant plus que l’on se trouverait dans une période de crise imposant de sévères contraintes à la psychologie humaine. A ces éléments s’ajoute la brièveté des délais de mise à feu des armes modernes, qui contribue à faire du facteur temps un élément essentiel du jugement moral. Hans Langendörfer propose de l’intégrer sous la forme d’un calcul de probabilité effectué a priori : s’il existe une très grande probabilité („höchst Wahrscheinlichkeit“) que le critère de proportionnalité ne soit pas respecté en cas d’échec de la dissuasion, alors celle-ci ne serait pas moralement acceptable34.
18Ces conclusions, qui restent provisoires35, nous paraissent signaler une évolution significative de part et d’autre de l’Atlantique. Il n’est plus question d’un critère absolu de discrimination, mais seulement d’un jugement de proportionnalité. C’est une concession importante du côté américain. De plus, l’admission du fait que la proportionnalité doit être évaluée aussi sous l’angle de l’adéquation des moyens au but de prévention de la guerre constitue la prise en compte d’un aspect largement négligé dans « Le défi de la paix ». Inversement, la partie allemande reconnaît expressément que les conditions d’emploi des armes ne peuvent être exclues du jugement moral, une exigence qu’elle n’avait jamais niée, mais devant laquelle elle s’était dérobée dans la pratique.
19Mais il est plus aisé de construire un modèle “in abstracto” au sein d’un petit groupe d’experts, abrité des pressions extérieures, que lors de la discussion publique de textes destinés à devenir documents d’Eglise. Les considérations politiques au sein de l’Eglise et dans le processus d’interaction avec l’environnement extérieur pesèrent au moins autant que les considérations théologiques dans l’élaboration des lettres pastorales. Nous examinerons en premier lieu l’influence du Vatican sur l’évolution des conclusions des évêques américains avant de mettre en évidence le rôle de l’ancrage dans les milieux politiques et culturels nationaux dans l’explication des divergences entre conférences épiscopales.
II. Les évêques américains, le Vatican et la dissuasion nucléaire
20Contrairement à un certain nombre d’analyses qui imputent à l’intervention vaticane le « retournement » des évêques américains après la seconde mouture de la lettre pastorale, Francis Winters affirme que leur choix en matière de dissuasion était antérieur à la délivrance du message aux Nations Unies et à la rencontre de Rome36. Nous lui donnerons raison sur cette conclusion, tout en maintenant nos réserves quant à son argumentation.
1. Les présupposés
21Il est vrai que la première mouture de la lettre pastorale ne condamnait pas la dissuasion nucléaire, ni même tout emploi de l’arme nucléaire. Sur le premier point, elle reprenait l’argumentation de la lettre “To Live in Christ Jésus” de 1976 et la déposition du cardinal Krol de 1979 qui prononçait un jugement de « tolérance » (CoP l, pp. 28-38). Sur le second, elle envisageait expressément un emploi discriminé en deuxième frappe (ibid., p. 30), proposition qui fut abandonnée par la suite. Le jugement de tolérance était motivé par la considération des conséquences d’un désarmement unilatéral : risque de perte des libertés et diminution de l’incitation à négocier de la part de l’adversaire37. Jusqu’ici le raisonnement était en parfaite concordance avec l’analyse du Vatican et des évêques européens. Il était clair dès le départ que la conférence épiscopale n’aurait pas pu prôner un désarmement unilatéral, même si quelques voix isolées le souhaitaient38. Cette conclusion aurait été inacceptable pour certains membres du Comité – Mgr O’Connor certainement, NNSS. Bernardin, Reilly et Fulcher probablement – pour la majorité des évêques, pour un grand nombre de catholiques américains et pour les catholiques européens. Plutôt que d’encourager également les employés des industries d’armement et les militaires de carrière qui décidaient pour des raisons morales de quitter leur emploi et ceux qui souhaitaient au contraire le conserver, les évêques auraient dû appeler tous les catholiques actifs dans les forces nucléaires et l’industrie de défense à proposer leur démission39. Un appel qui n’aurait très probablement réussi qu’à leur aliéner une grande masse de leurs fidèles, sans aucun bénéfice en contrepartie40, d’autant plus que les catholiques proches des milieux militaires sont aussi les plus susceptibles d’apporter un soutien à la hiérarchie sur les questions de moralité individuelle où leur autorité est mise à mal. Les évêques, comme tout groupe en position décisionnelle, quel que soit par ailleurs son mode de désignation, ont à tenir compte des vœux et demandes de leur public : la légitimité ne se maintient que dans les limites d’un certain usage de l’autorité. Faire fi de l’avis de « l’opinion » aurait été par trop contradictoire avec la méthode de rédaction ouverte qu’ils avaient choisie.
22L’hypothèse du rejet du désarmement nucléaire unilatéral, et donc de l’acceptation d’une certaine forme de dissuasion ne fut jamais remise en cause. Mais le choix de l’attitude à adopter le long du spectre possession-menace-intention-utilisation des armes nucléaires ne fut pas clair dès l’origine41. La difficulté provint de la nécessité d’harmoniser l’option retenue en matière de dissuasion avec leur choix méthodologique d’une part, avec le message pontifical d’autre part. L’articulation du raisonnement sur la théorie de la guerre juste, qui supposait l’assimilation entre acte et intention d’emploi dans un but dissuasif, les conduisit aux difficultés dont nous avons fait état, à partir du moment où ils s’aperçurent qu’un jugement de tolérance n’était pas théologiquement acceptable. C’est ce qui motiva leur choix de ne pas prononcer de condamnation contre tout emploi de l’arme nucléaire (Cf. supra), afin de conserver une crédibilité à la dissuasion.
23Malgré leur présupposé originel, qui les retenait de cette condamnation, la méthode vers laquelle ils s’orientèrent à partir des critères de discrimination et de proportionnalité les éloignait visiblement de cette hypothèse. Face aux contraintes nées de la dynamique interne de leur raisonnement, quel fut le rôle du Vatican dans leur décision de ne pas condamner toute forme de dissuasion nucléaire ?
2. L’attitude du Vatican
24L’hypothèse d’une « dissuasion existentielle » ou d’un « bluff », envisagée un moment par les évêques américains, aurait-elle pu être acceptable pour le Vatican ? Les discours du cardinal Casaroli, tout autant que ceux du pape lui-même, sont ambigus à ce sujet. Dans son adresse de 1979 aux Nations Unies, Jean-Paul II constatait :
Les préparatifs de guerre continuels que manifeste en divers pays la production d’armes toujours plus nombreuses, plus puissantes et plus sophistiquées, montrent qu’on veut être prêt à la guerre, et être prêt veut dire en mesure de la provoquer. Cela veut dire aussi courir le risque que, à tout moment, en tout lieu, de toute manière, quelqu’un puisse mettre en mouvement le terrible mécanisme de destruction générale42.
25Le pape n’affirme pas que la dissuasion repose sur ce risque ; celui-ci peut rester seulement un artéfact indésirable, sans objet direct sur l’efficacité de la dissuasion. Mais plusieurs textes du cardinal Casaroli donnent à penser qu’il n’est pas dans l’intention du Saint-Siège de séparer usage des armes et dissuasion. Il est vrai que son exposé de Rome, lors de la réunion inter-épiscopats de janvier 1983, semblait traduire la plus grande indécision. Il affirmait alors :
Bien évidemment… on doit appliquer au problème de la dissuasion… des principes moraux généraux qui sont intimement liés à ceux qui concernent l’utilisation des armes nucléaires, dans la mesure où la dissuasion consiste en fin de compte essentiellement dans la menace (ou dans l’intention déclarée) de recourir éventuellement, en dernier recours, à l’usage des armes nucléaires sous une forme ou sous une autre,... ou bien dans la simple possession des armes elles-mêmes, avec en conséquence la possibilité de s’en servir43.
26Les deux alternatives restent ouvertes sans qu’aucune clé soit fournie pour fonder le choix de l’une ou l’autre.
27La conférence de presse qu’il prononça à New York le 11 juin 1982 semblait faire un pas de plus dans la dissociation entre dissuasion et emploi. Selon le compte-rendu établi par le Département de l’Information des Nations Unies, il déclarait à la fois que : 1) « les arsenaux nucléaires [sont] inacceptables en eux-mêmes, de même que le [sont] toutes les armes de destruction massive » ; 2) « toutefois, si un Etat nucléaire “[menace] d’en détruire” un autre, la dissuasion nucléaire [peut] être envisagée »44. Les deux affirmations ne sont compatibles que si la première fait référence à l’utilisation, sinon la seconde, qu’elle fasse reposer la dissuasion sur la seule possession ou sur la menace effective, ne serait pas tenable.
28Mais dans un discours tenu à San Francisco en novembre 1983 le cardinal paraît avoir fait un choix inverse. En affirmant :
... compte tenu d’une réalité qui semble malheureusement loin de pouvoir encore être changée, ils [l’Eglise et les papes] reconnaissent que l’on ne peut condamner le recours à une dissuasion non indiscriminée, comme moyen pour défendre la sécurité et résister à d’injustes agressions…45,
29il suppose implicitement une étroite association entre mode dissuasif et usage effectif des armes. Pour formuler sa déclaration de manière différente : on ne pourrait condamner une dissuasion qui reposerait sur une frappe capable d’épargner les populations civiles. Pourtant, dans le même exposé, le cardinal ne déclarait-il pas :
Les effets et les conséquences d’une guerre nucléaire sont tels, dans tous les cas, qu’ils représentent en réalité une sorte de massacre-suicide collectif, malgré les efforts déployés pour tenter de circonscrire les dommages et les conséquences, en rendant les armes nucléaires plus précises et leurs effets plus limités46 ?
30D’un côté l’on cherche à élaborer les critères d’une dissuasion qui, si elle venait à échouer, permettrait cependant un emploi moral des armes ; de l’autre on affirme que toute guerre nucléaire équivaudrait à un « massacre-suicide collectif ». La seule conclusion logique serait que ces critères ne peuvent jamais être remplis. Or le Vatican continue de déclarer la dissuasion comme « encore moralement acceptable » … Mais le message de Jean-Paul II aux Nations Unies n’aborde pas l’épineuse question de la relation entre menace et emploi. En aucune circonstance, il n’entre dans les arcanes des modèles militaires sur lesquels peut reposer une stratégie de dissuasion. Il évite ainsi l’écueil dans lequel tombèrent les évêques américains, qui consiste à dire que la dissuasion implique l’intention de faire ce qui est mal. Il ne pèse pas non plus l’un contre l’autre le mal et le bien obtenus par tel ou tel type de comportement.
31A ce niveau, il est possible de faire intervenir plusieurs facteurs explicatifs. D’une part, les formulations contournées du cardinal Casaroli démontrent la gêne du Saint-Siège dans un domaine où appréciations techniques, politiques et éthiques sont inextricablement liées. En second lieu, les circonstances dans lesquelles est prononcé tel ou tel discours ne sont pas à négliger. Il est possible qu’à San Francisco, le cardinal Casaroli, s’adressant à un auditoire purement américain, relativement réduit et après la publication du « Défi de la paix », ait jugé utile de faire quelques concessions aux évêques américains, du moins en matière de mode de jugement de la dissuasion nucléaire, dans la mesure où le résultat – l’acceptation conditionnelle – était acquis.
32Les circonstances dans lesquelles il délivra le message de Jean-Paul II aux Nations Unies en 1982 étaient tout autres. L’agitation fébrile qui se développait parmi les évêques américains laissait augurer de la direction que prendrait le document collectif alors en gestation. Quand les gouvernements européens se sentaient submergés par le raz-de-marée pacifiste, les évêques américains ne venaient-ils pas grossir encore la vague ? On a certainement craint à Rome et plus généralement en Europe qu’ils ne viennent à mettre sérieusement en danger l’équilibre Est-Ouest en condamnant la dissuasion. En prononçant la « petite phrase » du pape à la tribune des Nations Unies à New York, le cardinal Casaroli avait choisi ses destinataires directs : les évêques américains, ses témoins : le monde entier, et son heure : les débuts de la rédaction du document épiscopal. En termes stratégiques, on pourrait parler de « frappe préemptive »… Dès sa conception, cette petite phrase était destinée à un grand avenir.
3. Conséquence pour la lettre pastorale américaine
33D’un point de vue purement logique et a posteriori, il semble que cette petite phrase n’ait pas été vraiment nécessaire. Le raisonnement des évêques américains eux-mêmes les aurait conduits à une acceptabilité conditionnelle de la dissuasion, non pas à cause de leur méthodologie, mais étant donné leur hypothèse initiale de refus du désarmement nucléaire unilatéral. Cependant, elle n’était pas dépourvue de sens politiquement. Il s’agissait moins de dicter à l’épiscopat des Etats-Unis la manière de porter un jugement moral sur la dissuasion que de lui rappeler quelles déterminations géo-politiques motivaient le choix d’une telle stratégie. Les variations du discours du cardinal Casaroli, ainsi que l’absence de justifications théologiques qui caractérise le message du pape, sont des indices du peu de valeur qu’attribue le Vatican à la casuistique traditionnelle pour juger de la dissuasion nucléaire. Au centre du jugement se trouve l’évaluation comparative des deux dangers, telle qu’elle a été rappelée par le Secrétaire d’Etat à Rome47. La crainte de la Curie a pu être éveillée plus spécifiquement par le rejet de l’emploi en premier de l’arme nucléaire, affirmé dès la première mouture du document américain (CoP 1, pp. 26-27). Cette option apparaissait déjà comme un affaiblissement considérable de la dissuasion, en particulier dans sa version étendue, affectée à la défense de l’Europe. On a pu redouter à Rome et plus largement en Europe que la condamnation de tout emploi de l’arme nucléaire n’en achevât l’érosion. C’est donc une approche globale de type politique, qu’adopte le Vatican – de même que les évêques français et allemands – pour déterminer les caractéristiques éthiques de la dissuasion nucléaire.
34Qualifier la « petite phrase » de Jean-Paul II de « principe d’enseignement moral catholique », comme l’ont fait par exemple les évêques irlandais48 paraît alors quelque peu exagéré49. Il s’agit d’une conclusion obtenue par une méthode possible du raisonnement moral qui, de plus, ne cherche même pas à ancrer ses fondements dans la tradition catholique comme l’a fait l’épiscopat américain. Sans doute les experts de la Curie étaient-ils conscients du risque de se heurter aux mêmes difficultés. Pourquoi le Vatican, qui jouit par définition du prestige de l’autorité, aurait-il dû se créer des obstacles inutiles ? Il n’en était pas de même pour les évêques américains qui, se trouvant en position d’accusés, avaient à prouver leur bonne foi.
35Deux événements, l’un affectant directement la rédaction de la lettre pastorale américaine, l’autre lui étant extérieur, démontrent que le Vatican n’aurait pas vu d’un très bon œil une condamnation radicale de tout emploi des armes nucléaires, quel que soit par ailleurs le mode de raisonnement retenu en matière de dissuasion. Le premier est rapporté par Jim Castelli. De retour de Rome après la rencontre de janvier et des discussions privées avec plusieurs membres de la Curie, le cardinal Bernardin fit savoir que « le Comité ne pouvait pas engager l’enseignement de l’Eglise à condamner tout emploi possible des armes nucléaires parce que l’Eglise ne l’avait pas encore fait »50. Le second a trait à la rédaction du document pastoral néerlandais sur la guerre et la paix, qui fut publié quelques jours après la lettre pastorale américaine. Divisés entre eux sur la question du rejet inconditionnel de l’emploi de l’arme nucléaire – avec une majorité favorable à une condamnation radicale –, les évêques néerlandais prirent la décision de consulter Rome. Ils en rapportèrent une conclusion identique à celle du cardinal Bernardin : il n’était pas possible d’aller au-delà de ce qu’avait dit le Concile, même en limitant la portée de la déclaration à la situation particulière d’un pays. L’emploi des armes nucléaires était condamné dans la mesure où il aurait pour conséquence la destruction indiscriminée des centres de population, et seulement dans cette limite51. Ce qui valait pour les évêques néerlandais valait a fortiori pour leurs confrères américains, dont les conclusions étaient d’une portée bien supérieure pour la défense de l’Europe.
36Que conclure de ces développements ? Tout d’abord, il est certain que le Vatican a éprouvé des inquiétudes vis-à-vis d’une évolution possible du projet de lettre pastorale américaine et a exprimé en conséquence une série de mises en garde dès le premier stade d’élaboration du document. Ces réserves ont servi de cadre au Comité de rédaction, fixant les limites à ne pas franchir. Il est en tout cas hors de question de prétendre que Rome ait « dicté » aux évêques telle ou telle conclusion. Il n’est d’ailleurs pas sûr que le cadre imposé de l’extérieur ait été plus étroit que celui que les évêques avaient eux-mêmes choisi d’emblée ou auraient été conduits à définir sous la pression conjuguée de leur mode de raisonnement, des divergences d’opinion au sein de la conférence épiscopale et des contraintes émanant de leur public potentiel aux Etats-Unis. De fait, leur raisonnement sur la base des principes de la guerre juste n’a de déductif que l’apparence. Les ajustements auxquels ils ont dû procéder sous la triple poussée de leurs propres hypothèses – le non au désarmement unilatéral –, des interventions politiques de toutes origines et de la « petite phrase » de Jean-Paul II ont considérablement altéré la pureté de leur logique originelle. Il reste que le jugement de la dissuasion contenu dans le message de Jean-Paul II s’intègre très mal dans leur mode de raisonnement, dans la mesure où l’axiome de départ concernant la relation entre usage des armes et dissuasion est radicalement différent de part et d’autre. Mais on peut se demander si, en dernière analyse, la « petite phrase » du pape ne leur a pas fourni la bouée de sauvetage inespérée pour sortir de la casuistique de la guerre juste. Objectivement, l’alternative n’aurait pu être que le silence, une position difficilement acceptable au vu des objectifs de leur entreprise. Une condamnation sans appel de la dissuasion nucléaire les aurait placés devant la situation impossible de devoir définir dans l’immédiat d’autres solutions de défense. Les difficultés éprouvées à propos du “no first use” étaient suffisamment importantes pour ne pas envisager de penser une alternative à l’ensemble de la défense occidentale.
37Face à ce dilemme, le message de Jean-Paul II offrait une conclusion ecclésialement « autorisée » et politiquement acceptable qui pouvait être intégrée au document pastoral au prix de quelques entorses discrètes au raisonnement. Les évêques américains ont dû déployer une grande habileté pour apparaître à la fois conséquents avec eux-mêmes, politiquement réalistes et en accord avec les positions officielles de l’Eglise. Dans cette lutte, le postulat de l’acceptabilité conditionnelle de la dissuasion a constitué un dénominateur commun à toutes les déclarations épiscopales. Sa flexibilité a permis de trouver un terrain d’entente entre des options très différentes, parfois a priori incompatibles. En effet, la diversité des situations géopolitiques avait pour conséquence que des solutions moralement acceptables d’un côté de l’Atlantique pouvaient paraître totalement immorales de l’autre et vice-versa. Nous avons choisi de l’illustrer par l’étude des divergences sur l’« emploi en premier » et la défense conventionnelle.
III. Les divergences de vues entre les conférences épiscopales
38Du point de vue politique, il est possible de déceler trois domaines principaux de contentieux entre les évêques américains et leurs confrères européens qui – on ne sera pas surpris de le constater – constituent aussi le nœud des controverses entre les « experts » de part et d’autre de l’Atlantique. Ces trois domaines sont étroitement dépendants les uns des autres et s’organisent autour de l’axe central du « couplage » entre les défenses américaine et européenne. Les deux premiers sont relatifs à la question des moyens : la guerre conventionnelle et l’« emploi en premier » des armes nucléaires. Le troisième, qui conditionne les précédents, ouvre un débat plus philosophique sur les dangers auxquels on est confronté : menace totalitaire d’un côté, risque de destruction totale par la bombe de l’autre.
1. Guerre conventionnelle et “No First Use”
39Les évêques américains se sont inscrits dans le mouvement de protestation libéral porté par la campagne pour le gel nucléaire et les opposants à l’« emploi en premier » de l’arme nucléaire. Les querelles autour du “no first use” et du stationnement des fusées à moyenne portée en Europe, qui constituèrent le cadre de rédaction des documents pastoraux, sont une manifestation certes plus aiguë, mais dans sa substance non différente des précédentes tensions euro-américaines sur la question du « couplage » entre défense de l’Ancien et du Nouveau Mondes. Comme dans les années 1960, le problème de la garantie nucléaire américaine offerte à l’Europe est à l’origine des « malentendus transatlantiques »52. Ces malentendus, qui existent au niveau politique, se reproduisent presque intégralement dans les milieux ecclésiaux. Devant le risque d’un « découplage » qui se profilait à travers les propositions américaines, évêques et politiciens européens unirent leur effort pour tenter d’endiguer le mouvement.
a. Les évêques américains et le problème stratégique
40Si les Etats-Unis se sont bien laissés convaincre, non sans quelques réticences originelles53, d’installer des fusées à moyenne portée en Europe pour répondre au stationnement des SS-20 soviétiques, nombre de développements stratégiques de la fin des années 1970 et du début des années 1980 semblent prendre la direction opposée54 : l’insistance américaine sur l’accroissement de l’effort de défense conventionnelle européen55, les plans de modernisation de la défense grâce aux « technologies émergentes » (FoFa et Airland Battle), le vaste mouvement d’opinion aux Etats-Unis en faveur du “no first use”, auxquels il faudrait encore ajouter l’initiative de défense stratégique du Président Reagan, dont le statut pour d’Europe était loin d’être clair, sont autant de signes de la perméabilité du « parapluie » américain. Pour Pierre Lellouche, celui-ci « s’il conserve une valeur politique encore importante, a perdu sa signification stratégique. L’Amérique se battra sans doute pour l’Europe –, mais elle se battra avec des armes classiques, sans risquer une escalade incontrôlable au niveau nucléaire »56. Cet auteur en conclut que l’Alliance se trouve déjà de facto « dans une situation de non-emploi en premier de l’arme nucléaire américaine »57.
41Si les responsables de l’OTAN ne sont pas allés aussi loin, le général Rogers, alors commandant suprême des forces alliées en Europe, s’est déclaré lui-même favorable à une stratégie de “no early use” de l’arme nucléaire, qu’il souhaite en particulier mettre en œuvre grâce aux armes « intelligentes »58. Stratèges et mouvement de paix (dans sa branche favorable au “no first use”) se rejoignent donc pour prôner un désengagement américain vis-à-vis de l’Europe, du moins dans sa composante nucléaire59. Henry Kissinger ne déclarait-il pas en 1979 que « les Européens doivent cesser de demander aux Etats-Unis des garanties qu’ils ne peuvent plus donner »60 ?
42Les évêques américains ne font pas exception à cette tendance61. Leur jugement extrêmement défavorable à l’égard de la dissuasion nucléaire, ainsi que leur option en faveur du “no first use” les placent devant l’obligation de devoir envisager une accentuation de l’effort de défense conventionnelle (CoP, p. 747). Prétendre qu’ils ont « lancé un nouvel appel à l’armement » comme le fait Francis Winters62 est certainement exagéré, mais constater qu’ils ont voulu redonner à la guerre sa place dans les rapports interétatiques63 n’est peut-être pas inexact. Les nombreuses interprétations « pacifistes » de la lettre pastorale américaine refuseraient probablement d’admettre cette conclusion. Cependant, elle ne semble pas être le résultat d’un glissement qui se serait opéré à l’insu de ses auteurs. Si les évêques n’envisagent évidemment pas de gaieté de cœur la perspective d’un engagement armé, quelle que soit sa nature, ils soulignent dès leur première mouture que « le refus de certaines formes de dissuasion nucléaire pourrait donc éventuellement exiger qu’on accepte de payer des coûts plus élevés pour développer des forces conventionnelles » (CoP 1, p. 41), une affirmation qui défiera vents et tempêtes de la critique pour se retrouver inchangée dans le texte final (CoP, p. 747). L’éventualité d’un rétablissement de la conscription, explicitement envisagée par la première version (CoP l, pp. 41-42) fut ensuite abandonnée, probablement à cause de son impopularité aux Etats-Unis et parce que seulement quelques années auparavant, le Bureau administratif de l’USCC s’était prononcé contre cette mesure prise en temps de paix64. Mais la constatation que « les responsables et les peuples d’autres nations devraient sans doute aussi accepter de payer un coût plus élevé pour leur propre défense, si la menace d’employer en premier les armes nucléaires disparaissait », demeure une constante de toutes les moutures et précise à partir de la troisième que cette obligation s’imposerait « particulièrement en Europe occidentale » (CoP 3, p. 717 ; CoP, p. 747). De plus en plus au cours de la rédaction de leur lettre, les évêques se sont donc identifiés sur ce point à l’opinion dominante aux Etats-Unis qui, depuis plusieurs décennies, cherche à faire porter aux Européens une plus grande responsabilité dans leur propre défense.
43Certes, ils essaient de désamorcer les inquiétudes en se défendant d’« encourager l’idée de “permettre au monde de mener des guerres conventionnelles en toute sécurité” » (CoP, p. 747), en souhaitant qu’un désarmement conventionnel puisse aller « de pair avec une dépendance moins grande de la dissuasion nucléaire » (ibid.), en déclarant leur conviction « qu’il existe de grandes possibilités qui, si elles sont exploitées énergiquement, pourraient apporter des garanties pour que la réduction des armements nucléaires n’ait pas pour contrepartie le renforcement des armes conventionnelles » (ibid.)65. Mais ces assurances ne peuvent manquer d’apparaître artificielles. La guerre nucléaire reste par nature à leurs yeux différente du conflit conventionnel (CoP, p. 739). La conclusion à laquelle ils aboutissent pour des raisons morales est identique à celle que d’autres tirent pour des raisons politiques et stratégiques : dans le cadre de l’Alliance Atlantique, le nucléaire ne dissuade que du nucléaire66. Pour McGeorge Bundy, les évêques américains ne croient pas à la version étendue de la dissuasion nucléaire (“extended deterrence”)67.
44Pourtant, la majorité des Européens reste persuadée de la viabilité à long terme de cette forme de dissuasion, en justifiant son option par les coûts prohibitifs d’une défense exclusivement ou essentiellement conventionnelle. Les quatre auteurs allemands qui ont répondu à l’article de Foreign Affairs en faveur du “no first use” interprètent comme une profession d’irréalisme les propositions de renforcement du dispositif conventionnel qui accompagneraient son adoption. Quel que soit l’effort de défense de l’Europe – et ils soulignent que cet effort est économiquement limité – elle ne parviendra jamais à opposer une dissuasion crédible à l’énorme potentiel militaire soviétique. Si « l’équilibre », voire même la supériorité de l’Occident existe au niveau global, l’Ouest demeure dramatiquement inférieur à son adversaire sur le théâtre européen et ce rapport de force n’est pas près de changer, ne serait-ce que pour des raisons géo-politiques68. Pour les Allemands, stratèges ou évêques, le nucléaire doit dissuader non seulement d’une attaque nucléaire, mais aussi et surtout d’une attaque conventionnelle69. Le raisonnement est a fortiori valable pour la France, dont c’est la raison d’être de sa force de dissuasion.
45Les chercheurs de la HSFK qui ont fait l’analyse de la lettre pastorale américaine partagent entièrement ces conclusions. Après avoir envisagé plusieurs options possibles de renforcement du potentiel conventionnel, ils concluent par la négative pour des raisons économiques, mais surtout politiques : outre l’ébranlement de la cohésion interne de l’Alliance qui en résulterait, une telle évolution serait néfaste à la politique de détente (« Ostpolitik ») menée par l’Allemagne fédérale depuis le début des années 1970 et risquerait par répercussion d’entraîner une déstabilisation interne du bloc socialiste, qui accroîtrait l’éventualité d’une guerre70. De plus, l’orientation progressive de la dissuasion vers une stratégie d’interdiction (“deterrence by denial”) depuis la fin des années 1970 implique la nécessité d’une adéquation de plus en plus étroite du potentiel nucléaire de chaque partie à celui de son adversaire71, les déséquilibres régionaux prenant une signification croissante. Il serait donc extrêmement dangereux de négliger l’immense effort d’armement nucléaire à moyenne portée accompli par l’Union soviétique dans la seconde moitié des années 1970.
46Mais, alors que les uns – en Allemagne surtout – voient dans l’adoption d’une posture de “no first use” et le renforcement de la défense conventionnelle une réponse inadaptée, voire dangereusement déstabilisante, aux dilemmes de la dissuasion, d’autres applaudissent les évêques américains pour l’ingéniosité de leur raisonnement72 ou le « réalisme » de leurs propositions73. Pour Bruce Russett, « même si les opinions des experts militaires sont divergentes quant à la faisabilité réelle d’une défense non-nucléaire de l’Europe occidentale, il existe de nombreux arguments cohérents et bien étayés en faveur de sa possibilité. Les véritables obstacles sont de nature politique, plutôt qu’économique ou militaire… »74. C’est aussi sur des facteurs de nature politique que s’appuient les chercheurs de la HSFK. Mais leur optique est tout à fait différente, ce qui explique qu’ils aient abouti à des conclusions exactement inverses : pour eux, l’enjeu est le délicat équilibre politique Est-Ouest ; pour Russett, ainsi que pour l’ensemble du mouvement américain en faveur du “no first use”, il s’agit avant tout de l’équilibre des relations au sein de l’Alliance.
47Si certains Américains partagent les craintes européennes75, vu d’Europe, ils paraissent bien impuissants à enrayer une tendance menaçante pour la sécurité du vieux continent. C’est pourquoi une réaction vigoureuse s’imposait. Nous nous limiterons à son analyse dans les milieux catholiques.
b. La réponse des catholiques européens
48La critique la plus catégorique du catholicisme allemand à l’encontre des positions américaines est certainement celle de Alois Mertes et Georg Leber, parue dans la Frankfurter Rundschau en avril 198376. Leber et Mertes attaquent le projet de lettre pastorale (il s’agit de la seconde mouture) pour « sa vision américaine des choses, incompatible avec les perspectives non moins légitimes d’autres Américains, d’autres nations et d’autres branches de notre Eglise universelle »77. Ils lui reprochent en particulier son ignorance de la réalité politique européenne, où la présence soviétique n’est pas seulement une abstraction, mais une donnée qui doit être incluse dans le calcul politique et moral quotidien. Une défense purement conventionnelle de l’Europe est jugée impossible et son instauration potentiellement dangereuse. Enfin, la méthode elle-même du jugement moral, basée sur l’hypothèse d’un échec de la dissuasion, est rejetée comme la preuve d’une profonde incompréhension des objectifs et mécanismes de la dissuasion78.
49Comme on l’a mis en évidence (Cf. Chap. iii & iv), les évêques allemands ne se prononcent pas directement en faveur de telle ou telle stratégie. Ils se contentent d’insister à de multiples reprises sur l’impératif de prévention de la guerre, quelle que soit sa nature. Leurs deuxième et quatrième projets faisaient allusion au non-emploi en premier des armes nucléaires. Le sujet fut débattu lors de l’assemblée de Trêves (février 1983), qui décida de ne pas en faire mention. Très vraisemblablement, les auteurs pressentaient-ils que leur raisonnement mené à son terme n’aurait pu les conduire qu’à tirer des conclusions inverses à celles de l’épiscopat américain, ce qu’ils souhaitaient à tout prix éviter79.
50Quelques affirmations habilement introduites ne peuvent laisser de doutes quant à leurs réticences devant les propositions avancées par « Le défi de la paix ». Ainsi,
il convient de ne pas juger isolément les armes ou systèmes particuliers en dehors du contexte global de la stratégie à laquelle ils se réfèrent. Si la dissuasion a pour objectif de conférer aux armes un sens politique dans le cadre de la prévention de la guerre, alors il faut juger ces armes et ces systèmes sous cet angle (GsF, p. 586).
51L’emploi en premier des armes nucléaires, tel qu’il a été abordé par la lettre pastorale américaine, tombe sans aucun doute sous le coup de cette règle d’usage. Ceci ressort du commentaire envoyé par la conférence épiscopale allemande sur le premier projet des évêques américains80. Pour l’épiscopat allemand, il est impératif de « peser l’un par rapport à l’autre le risque du caractère de plus en plus incontrôlable de l’emploi du nucléaire » – qui motive le rejet américain de l’emploi en premier – et la « probabilité croissante d’une guerre conventionnelle » (GsF, p. 587). Le rappel de la logique politique selon laquelle doit s’apprécier la dissuasion (GsF, pp. 585-86) exprime une conviction de la part des évêques allemands, aussi bien qu’une mise en garde adressée à leurs confrères.
52Le risque d’escalade, que garantit l’hypothèse de l’emploi en premier de l’arme nucléaire, constitue le fondement de la dissuasion (ibid., p. 587) – et du couplage de la défense européenne à la défense américaine. Supprimer cette éventualité, c’est rendre de nouveau la guerre possible, au niveau infra-nucléaire, certes, mais qui ne serait pas moins inadmissible pour les Allemands.
53Un indice supplémentaire, révélé ultérieurement, vient confirmer qu’il existait une réelle inquiétude chez les évêques allemands vis-à-vis des positions américaines, au centre desquelles se trouvait le non-emploi en premier. Au début de 1985, le Service d’information de l’AGP („Arbeitsgemeinschaft von Priester und Solidaritätsgruppen“) reproduisait une lettre confidentielle du cardinal Höffner à Alois Mertes, en date du 26 avril 1983, dans laquelle le prélat exprimait sa gratitude pour l’intervention des deux membres du ZdK auprès de ses collègues d’outre-Atlantique en espérant que « cette prise de position de deux éminents représentants des deux grands partis politiques n’avait pas manqué d’avoir son effet »81. L’aura traditionnelle de l’archevêque de Cologne au sein de la conférence épiscopale allemande permet de penser que cette opinion n’était pas seulement celle de son auteur, mais qu’elle faisait l’objet d’un large consensus parmi les évêques.
54La question de l’emploi en premier des armes nucléaires fut longuement débattue à Rome. Elle fut l’occasion pour le cardinal Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, de soulever une distinction doctrinale importante. Selon ses propos, une conférence épiscopale en tant que telle n’a pas de “mandatum docendi”, c’est-à-dire le pouvoir d’effectuer des développements doctrinaux, celui-ci n’étant « conféré qu’aux évêques, pris individuellement, ou au collège des évêques avec le pape »82. Cette distinction, contestable sur le plan du droit canon83 avait une visée directement politique. En premier lieu, le Vatican a pu se sentir menacé d’être progressivement dépossédé de son rôle de gardien de la doctrine par l’engagement de plus en plus poussé de certaines conférences épiscopales qui prennent peu à peu conscience de la puissance que leur confère l’effort de collégialité84. Mais surtout, il souhaitait satisfaire ceux des catholiques qui contestaient la compétence à la fois technique et dogmatique des évêques à s’exprimer sur des points concrets du débat stratégique85. La relativisation des conclusions de l’épiscopat américain semble avoir été une préoccupation importante à la fois du Vatican et des épiscopats européens. C’est sur elle que le Père Schotte, représentant de la Commission pontificale Justice et Paix, fait porter tout le poids de son intervention au colloque « Episcopats catholiques sur le thème de la paix », qui réunit en décembre 1983 à Bonn des personnes associées à la rédaction des lettres pastorales européennes et américaine86. Déjà le rapport de janvier 1983 soulignait l’ambiguïté de la proposition américaine : jugement moral définitif ou solution contingente ? S’appuyant sur l’absence de consensus sur ce point entre les experts, il exprimait sa préférence pour la seconde option, demandant aux évêques de réviser en conséquence le statut de leur affirmation87. Avec davantage encore de vigueur, son allocution trace une ligne de séparation entre l’activité des évêques, qui doivent se limiter à leur fonction pastorale et celle des laïcs, qui peuvent à juste titre prendre des positions politiques concrètes au nom de leur foi :
Aucune action ni aucun enseignement contraire aux principes établis par “Lumen Gentium” ne peut être justifié, aussi urgents qu’ils pussent paraître sur le moment à une personne individuelle, parce que si un tel enseignement ou une telle action était en contradiction avec le rôle qu’est appelé à jouer l’évêque, il compromettrait fondamentalement l’identité de la charge pour laquelle il a été ordonné et qui lui a été confiée pour le bien de l’Eglise88,
55affirme-t-il. Et plus loin,
... les évêques devraient se garder d’entrer trop profondément dans les détails techniques ou pratiques qui pourraient servir soit à distraire des principes qu’ils essaient d’introduire dans le débat, soit à placer des opinions prudentielles contingentes sur le même niveau que les principes de la morale chrétienne. Un tel danger existe pour une série de raisons : confusion des principes et des jugements contingents, affaiblissement possible de l’autorité morale des évêques en tant qu’enseignants de la foi, refus opposé aux laïcs d’un rôle qui est proprement le leur par le biais d’une nouvelle forme de cléricalisme89.
56Mais il exprime aussi un des présupposés de la réunion de Rome qui n’est pas explicitement mentionné dans le rapport officiel :
Plusieurs conférences épiscopales… ont exprimé leur préoccupation devant les implications possibles de certaines des positions prises par le projet [des évêques américains]90.
57Dans ce domaine « la fraternité collégiale et les réalités du problème lui-même » devraient inciter toute conférence épiscopale qui souhaite s’exprimer sur un sujet spécifique à « considérer les implications de son attitude et de son influence au-delà de sa propre juridiction, en particulier s’il s’agit d’une question internationale ou ayant un impact au-delà de son pays »91.
58Il ne fait pas de doute que l’emploi en premier était l’une des principales pommes de discorde entre les conférences épiscopales – de même qu’il l’était au sein du Comité de préparation de la lettre pastorale américaine (Cf. Chap. iii) – et qu’une partie des mises en garde était destinée à relativiser les conclusions des évêques américains en la matière.
59Il faut souligner que les évêques français étaient préoccupés tout autant, sinon davantage, que leurs collègues allemands par la prise de position américaine. Le commentaire qu’ils adressèrent au Comité de préparation de la conférence épiscopale américaine sur son premier projet de lettre pastorale faisait de l’emploi en premier un point essentiel d’argumentation. Il soulignait le danger d’accélération de la course aux armements conventionnels qui pourrait s’ensuivre, disait son inquiétude devant le risque d’un pacifisme nucléaire américain qui risquait de priver l’Europe de ses moyens de négociation en cas de crise et invitait les évêques américains à « peser les conséquences internationales d’une telle position »92. Les déclarations ultérieures du Père Defois corroborent cette crainte. Dans le texte qui, semble-t-il, servit de base à la délégation française à Rome, il constate que, pour la France,
la menace de l’usage en premier des armes nucléaires tactiques est un argument essentiel de la dissuasion du « faible au fort »... Refuser cette menace conduirait la France et l’Europe à se lancer dans une impossible course aux armements conventionnels, afin de rétablir l’équilibre si dangereusement compromis, ou à nous abandonner au bon vouloir des envahisseurs, perdant alors notre identité et notre liberté nationales93.
60De cette déclaration découlent plusieurs conséquences. Tout d’abord, il est entendu que le non-emploi en premier ne peut ni ne doit être adopté par la France. Deuxièmement, le refus de cette option s’applique non seulement à celle-ci, mais à l’Europe entière. L’argumentation, d’abord centrée sur un seul pays, s’élargit à un domaine géographiquement et politiquement beaucoup plus vaste, qui ne peut laisser douter que l’auteur ait eu d’abord pour intention de répondre aux propositions américaines. Dans son entretien controversé avec le journal Le Matin, en mars 1983, le Père Defois faisait aux évêques américains une objection semblable à celle que l’on pouvait lire en filigrane à travers le document allemand. Mentionnant entre autres le premier emploi, il leur reprochait d’isoler le fait nucléaire en prenant en considération son seul aspect militaire aux dépens des composantes politiques94. Enfin, il n’est pas exclu que les évêques français, tirant la même conclusion que les stratèges, aient vu dans le plaidoyer américain en faveur du “no first use” une raison supplémentaire d’insister sur la nécessité d’une défense nucléaire française autonome. En 1980, encore plus qu’en 1960, les partisans de la dissuasion nucléaire française pouvaient affirmer que la vision du général de Gaulle s’était avérée juste95.
61En conséquence de la critique, une certaine modération intervint effectivement dans la troisième mouture. La formule de rejet radical de la seconde version fut remplacée par un passage plus modéré introduisant la notion d’une période transitoire entre la situation actuelle et le moment où une politique de “no first use” pourrait devenir effective (Cf. Chap. iii), cependant que le texte final revenait à la formule tranchée de la seconde mouture96, tout en conservant parallèlement l’idée d’une période transitoire. Mais il accompagnait ce passage d’une note précisant :
Nos conclusions et nos jugements moraux dans ce domaine, bien que fondés sur une étude et une réflexion approfondies de l’application des principes moraux, n’ont pas, bien évidemment, la même force que les principes eux-mêmes et permettent donc des avis différents… (CoP, p. 738).
62Notons que, tout en acceptant de remodeler leur document et de distinguer plus nettement les différents niveaux de leurs propositions (CoP 3, pp. 700-701 ; CoP, pp. 719-21), les évêques américains ont systématiquement réfuté, dès leur première mouture, « les critiques de ceux qui reprochent à l’Eglise de s’occuper de ces questions, en arguant “qu’elle ne doit pas se mêler de politique” » (CoP l, p. 47 ; CoP 2, p. 322 ; CoP 3, p. 722 ; CoP, p. 755). La dimension politique du sujet n’exclut pas un apport moral à sa discussion, conformément à la ligne tracée par “Gaudium et Spes”. Si les questions de guerre et de paix sont véritablement des « questions de vie et de mort » (ibid.), il appartient à l’Eglise de porter un jugement moral car « les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent » (GS § 76.5).
63Mais si aucune conférence épiscopale ne niera l’importance de l’enjeu ni ne se déclarera incompétente en matière de guerre et de paix, toutes sont loin d’établir la même échelle des priorités. La perception du danger qui menace les valeurs fondamentales sur lesquelles toutes, pourtant, s’accordent, est un paramètre essentiel de leurs choix stratégiques.
2. La perception du danger
64Du point de vue philosophique, la question que posent les évêques français et allemands est la même que celle que formule le philosophe André Glucksmann : comment rejeter en même temps Auschwitz et Hiroshima97 ? On n’est plus en présence, comme c’était peut-être encore le cas au début du siècle, d’un seul, mais de deux « impératifs catégoriques »98. La critique que le philosophe français adresse aux « pacifistes » et aux évêques américains n’est pas sans rappeler le refus des thèses proportionnalistes par les déontologistes que sont Paul Ramsey et Germain Grisez. Etablir une hiérarchie entre les différents maux est impossible « car les maux extrêmes sont précisément extrêmes, donc incommensurables »99. De plus, le calcul des évêques américains ou des « pacifistes » est vicié à l’origine car, selon leurs critiques, la fin ainsi posée place au sommet de la hiérarchie la survie biologique. Les « valeurs » à protéger, en particulier la liberté, en sont soustraites ou rabaissées à un niveau secondaire. Pour Glucksmann, l’acceptation du phénomène totalitaire, de sa perpétuation et de son extension, menace la survie de l’Occident dans le sens le plus profond. En d’autres termes, accepter d’être « rouge », c’est aussi accepter d’être « mort ». Refuser la « première mort », la mort physique, c’est accepter une « seconde mort » encore plus funeste que la première, puisqu’elle prive l’homme de sa « première mort », de la manifestation ultime de sa liberté qui va jusqu’à la possibilité de se donner lui-même la mort100. La question du « moindre mal » ne se pose donc pas en prenant pour réfèrent l’intention d’utiliser les armes nucléaires, mais l’inaction occidentale face au phénomène totalitaire. En refusant de réagir, l’Ouest sacrifie ses propres valeurs au but aléatoire de la survie biologique. La réponse qu’apporte Glucksmann : l’acceptation du « vertige » de la dissuasion, n’est pas différente de celle qu’imaginèrent, à l’origine, les premiers penseurs de cette stratégie101.
65Comme le courant conservateur aux Etats-Unis, le philosophe français reproche aux évêques américains de n’avoir pas posé la question de la relation entre le « danger de vitrification et celui du goulag », tel que la soulevait le cardinal Casaroli à Rome102. Il est vrai que les auteurs du projet, excepté Mgr O’Connor, n’ont modifié leur texte qu’avec beaucoup de réticence pour y inclure une description de la « menace » soviétique. Dans la troisième version, l’existence d’un « impérialisme » soviétique était clairement dénoncée, mais l’on ne prenait pas parti sur le caractère agressif ou défensif de ses œuvres (CoP 3, p. 721). S’appuyant sur le message de Jean-Paul II pour la journée de la paix 1983103, le texte faisait une analyse de la menace idéologique soviétique, sans en tirer les conséquences dans le domaine de la sécurité en général et de la sécurité européenne en particulier (CoP 3, p. 721 ; CoP, pp. 751-52).
66Pour les évêques américains, le premier danger pour la sécurité, c’est Hiroshima. L’affirmation répétée de la primauté de la menace nucléaire (CoP, pp. 718, 726, 731-32, 736-38, 761), la priorité accordée à la prévention de celle-ci dans les buts à poursuivre (CoP, p. 736), ne laissent aucun doute à ce sujet. Ceci n’est pas sans contradiction avec leur reprise du discours pontifical qui fixe la liberté et le respect des droits au sommet de la hiérarchie des valeurs à rechercher. Après avoir présenté la paix comme condition de la liberté104, ils reprennent le message de Jean-Paul II pour le 1er janvier 1982 :
Le respect inconditionnel et effectif des droits imprescriptibles et inaliénables de chacun est la condition sine qua non pour que la paix règne dans une société. Par rapport à ces droits fondamentaux, tous les autres sont en quelque sorte dérivés et seconds105.
67La contradiction est apparemment résolue en postulant qu’une véritable paix ne peut s’appuyer que sur le respect de la liberté et des droits de l’homme (ibid.). Mais le jeu sur la diversité des sens du terme « paix » est évident. Alors qu’au départ on voulait signifier la simple absence de guerre, on a ici en vue un concept beaucoup plus global de la paix, chargé d’un contenu positif. Dans la pratique, autant le problème de la hiérarchie des valeurs que celui des moyens de la garantir reste entier.
68Chez les évêques allemands et français au contraire, la priorité accordée à la justice en termes de préservation des libertés clarifie d’emblée les enjeux et les objectifs. Mais il faut aussi ajouter que les visions de l’Apocalypse sont différentes. Pour les Américains, quelle que soit l’école stratégique à laquelle ils se rattachent, l’Apocalypse, c’est la frappe stratégique. Pour certains d’entre eux – tels les évêques – tout engagement nucléaire, aussi limité soit-il à l’origine, y conduit quasi automatiquement. Le seul moyen de la prévenir est alors de rendre de nouveau possible la guerre conventionnelle. Au contraire, pour les autres, faire des prévisions en vue de celle-ci est le meilleur moyen de conduire à la catastrophe que l’on veut éviter. Les évêques français mettent en garde contre la tentation de « minimiser les guerres “conventionnelles” modernes », rappelant que les bombardements massifs de Tokyo, Dresde ou Hambourg ont fait plus de morts que ceux de Hiroshima ou Nagasaki et soulignant qu’une guerre classique pourrait bien être le détonateur menant à un conflit nucléaire (GP, pp. 5, 6). Leurs confrères allemands sont à deux doigts de caractériser les deux guerres mondiales de guerres de destruction massive, mettant l’accent sur leur parenté avec le conflit atomique106. Pour les conférences épiscopales européennes, Apocalypse et goulag se confondent. Il n’y a plus alors qu’à accepter le « vertige » de la dissuasion pour éviter l’un et l’autre. Mgr Jullien, le principal rédacteur du document pastoral français, ne cache pas son admiration pour André Glucksmann, dont on retrouve aussi la mention sous la plume du Père Defois107.
69L’argument du vertige est ambigu. Résultant théoriquement de la volonté de placer les deux maux sur un pied d’égalité, il ne peut éviter d’apparaître a contrario comme une hiérarchisation des préférences. Il faut permettre Hiroshima pour éviter Auschwitz. Glucksmann réfuterait sans doute cette interprétation, mais elle nous paraît inévitable. Cependant, prendre le risque d’Hiroshima, n’est-ce pas aussi sacrifier ses propres valeurs, non pas seulement potentiellement, mais déjà actuellement ? N’est-ce pas accepter un totalitarisme au quotidien qui dépossède l’être humain de sa liberté et de sa dignité en le conditionnant à répondre à l’agression par la destruction totale de son adversaire ?108 Les analyses psychologiques de la dissuasion nucléaire ont démontré la logique auto-destructrice de ce mécanisme.
Depuis que la guerre n’autorise plus l’illusion de sauver l’ami en détruisant l’ennemi, c’est-à-dire ne permet plus d’imaginer la survie de l’objet d’amour mais seulement la destruction de toute vie, elle offre finalement aux hommes la possibilité de ne plus voir dans la guerre elle-même qu’une incitation réciproque à la mort109.
70L’équation à laquelle l’homme se trouve confronté du fait du péril atomique n’est plus alors l’ancienne formule « ta mort, c’est ma vie » (ou inversement, « ta vie, c’est ma mort »), mais « ta mort, c’est ma mort »110. Cette logique destructrice ne pourra être remplacée par la proposition corollaire « ta vie, c’est ma vie » que par la renonciation à la violence111.
71Le Père Defois lui-même, co-rédacteur de la lettre pastorale française, n’hésite pas à dénoncer la perversion éthique sur laquelle repose la dissuasion :
des mentalités individualistes ou protectionnistes, il apparaît légitime de recourir à l’emploi de l’arme nucléaire pour protéger son refuge et pour que soit maintenu un bonheur individuel et immédiat. Il n’est pas étonnant alors que les gouvernements, à l’Est comme l’Ouest, utilisent cette angoisse latente, cette indifférence fondamentale des populations pour légitimer un armement nucléaire qui assure idéologiquement ou théoriquement une sécurité112.
72A ces considérations éthiques, il faut ajouter la constatation technique selon laquelle, excepté dans l’optique de la dissuasion française, les développements de la stratégie nucléaire au début des années 1980 s’éloignent de la statique du « vertige » (Cf. supra). En prévoyant des guerres nucléaires limitées, l’administration américaine refuse le vertige dissuasif qui réside dans une paralysie mutuelle des deux antagonistes. Si une guerre nucléaire « devient pensable, plausible, intégrable même dans une stratégie »113, le discours de la bombe n’a plus de sens. Hiroshima redevient aussi probable et aussi tragique qu’Auschwitz. C’est ce que veut dire le mouvement de paix en refusant le silence devant l’ampleur du risque de destruction :
Autrefois nous n’avons pas ouvert la bouche à temps devant l’extermination… Cette fois nous ne pouvons pas nous taire ! Pas cette fois114,
73affirment ses porte-paroles, issus en grand nombre des rangs chrétiens. La mémoire collective qui empêche les évêques allemands de faire l’hypothèse d’une guerre juste est aussi celle qui pousse leurs critiques à dénoncer leur silence devant le danger nucléaire115. Le postulat de rationalité sur lequel repose le « vertige » nucléaire ne saurait être une garantie suffisante.
74En se déterminant d’abord par rapport au but de la dissuasion, qui met en avant l’impératif de stabilité, les conférences épiscopales allemande et française entrent nécessairement en contradiction avec le troisième critère d’acceptabilité conditionnelle de la dissuasion, qui lui confère un caractère purement transitoire. Dans quelle mesure ce postulat est-il crédible et compatible avec l’ensemble de leurs propositions stratégiques ? Ce sera l’objet de notre conclusion à l’étude de la dissuasion dans les lettres pastorales.
IV. L’acceptabilite morale de la dissuasion : un jugement transitoire
1. La notion de délai
75Dans son message aux Nations Unies, Jean-Paul II introduisait comme première limite d’acceptabilité de la dissuasion l’exigence qu’elle ne devienne pas une « fin en soi ». Certains ont vu dans cette proposition une évidence116. Mais peut-être y a-t-il ici davantage. En posant cette condition, et en demandant que des négociations soient menées simultanément en vue du désarmement, le pape reprend et précise la notion de délai introduite par “Gaudium et Spes”. Le texte conciliaire déclarait en effet que la dissuasion « ne constitue pas une voie sûre pour le maintien de la paix » (GS § 81.2) et demandait que nous « [mettions] à profit le délai dont nous jouissons et qui nous a été concédé d’en haut pour que, plus conscients de nos responsabilités personnelles, nous trouvions les méthodes qui nous permettent de régler nos différends d’une manière plus digne de l’homme » (GS § 81.4). La question qui se pose alors est de savoir si, dans son message aux Nations Unies, Jean-Paul II dit réellement quelque chose de nouveau par rapport à ce qu’avait affirmé le Concile, ou s’il ne fait que répéter sous une forme différente ce qui avait déjà été proclamé vingt ans plus tôt – allongeant ainsi le délai – ou encore si son affirmation traduit une régression sur les positions antérieures de l’Eglise117.
76La notion même de délai est ambiguë. Karlheinz Koppe, membre du Comité directeur de Pax Christi-Allemagne, souligne que ce terme est employé inconsidérément avec deux significations différentes. Dans un premier sens, il s’agit « du délai que Dieu laisse encore aux hommes (“qui nous a été concédé d’en haut”) pour qu’advienne enfin le règne de la raison ». Dans une seconde acception, on vise « le délai que nous aurions dû nous-même nous fixer depuis longtemps pour abolir un système qui menace d’annihiler toute vie et toute civilisation encore digne de ce nom »118. La première forme de délai n’a de limite que la volonté de Dieu elle-même : aussi longtemps que le monde d’ici-bas existera, Dieu laissera aux hommes la chance d’agir raisonnablement. C’est un postulat classique de la philosophie catholique. Il ne s’agit pas ici d’un délai temporel. En d’autres termes, le délai dont parle Jean-Paul II, et que reprennent à leur compte les évêques français (GP, p. 9) et allemands (GsF, p. 36) est un délai au sens conditionnel du terme, les conditions elles-mêmes n’étant pas limitées dans le temps. Ceci a pour conséquence, ainsi que le souligne Hans Langendörfer, que même si l’on devait conclure à l’immoralité de la dissuasion nucléaire actuelle, on ne peut exclure l’émergence future d’une forme de dissuasion qui serait de nouveau morale119.
77Au contraire, la seconde forme du délai, qu’essaient d’accréditer les mouvements de paix catholiques, place au centre du concept le facteur temps. La déclaration de Neustadt (30 octobre 1983) de l’assemblée des délégués allemands de Pax Christi stipulait :
… aujourd’hui déjà cette dissuasion a perdu sa légitimation. A nos yeux, le délai est déjà écoulé120,
78et un an plus tard, la même assemblée priait les évêques de « se poser sérieusement la question de savoir combien de temps, dans les circonstances actuelles, ils pourront considérer que le délai court encore »121. La branche américaine du mouvement agissait également sur la base de l’idée d’une expiration prochaine du « délai » quand elle proposait, en octobre 1983, de mettre sur pied un comité chargé d’examiner la conformité de la politique gouvernementale avec les exigences posées par « Le défi de la paix » en matière de dissuasion122. A la même date, les commissions européennes « Justice et Paix », si elles admettaient que des réflexions restent nécessaires pour préciser la notion de « délai », caractérisaient celui-ci comme un « temps limité dont on a besoin pour une réévaluation du système », en soulignant que « si la durée n’est pas limitée ou déterminée, le délai peut être reconduit et renforcer le statu quo »123.
2. Le délai dans les lettres pastorales
79Parmi les conférences épiscopales, les évêques américains sont les seuls à ne pas faire appel à la notion de délai. Cette omission peut être interprétée de diverses manières. Une approche sévère affirmera que la rigidité de leur méthode – l’utilisation casuistique de la théorie de la guerre juste – les empêche de donner un caractère dynamique à leur jugement. Pourtant, aucun texte ne met aussi nettement en demeure les instances gouvernementales de modifier leur politique. Sans détour ils déclarent :
Toute extension éventuelle de notre système stratégique ou tout changement dans la doctrine stratégique doit être évalué précisément à la lumière de la question suivante : cela rend-il plus ou moins probables les étapes vers le désarmement progressif ? (CoP, p. 743).
80Et, en novembre 1985, un groupe d’évêques présentait à la conférence épiscopale une motion demandant, au vu des développements militaires récents, de « se rendre publiquement à l’évidence que les conditions d’acceptabilité morale de la dissuasion ne sont pas remplies »124. Sans aller jusqu’à reprendre à son compte cette conclusion, la Conférence épiscopale a accepté de mettre sur pied un « Comité Ad Hoc pour l’Evaluation morale de la dissuasion », dont la tâche est celle d’une « [évaluation] de tous les principes factuels et moraux pertinents, nécessaires pour présenter aux membres de la Conférence épiscopale un jugement sur le statut éthique de la dissuasion »125. Les conclusions tirées dans la lettre pastorale sont donc sujettes à l’avenir à réévaluation.
81Les évêques français et allemands ne sont pas allés aussi loin. Les premiers ont bien conscience du fossé qui sépare Européens et Américains :
... les évêques américains ont lancé un cri d’alarme au monde : « Le défi de la Paix ». Cependant, la situation n’a pas évolué au point de rendre caduc le jugement pratique du Concile126.
82Il est vrai que par rapport à des déclarations antérieures, les prélats américains ont modéré leurs exigences. La lettre pastorale ne reprend pas l’avertissement du cardinal Krol devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat en 1979, qui menaçait de condamner en bloc usage et possession des armes nucléaires si l’espoir de négociations en vue de la réduction des arsenaux et de l’abolition ultime de la stratégie de dissuasion disparaissait127. L’explication est double. D’une part cette admonestation est liée au jugement controversé des textes de 1976 et 1979. Mais surtout, la notion de « délai » qu’elle présuppose serait très difficilement compatible avec celle qu’implique le jugement pontifical. Les évêques allemands eux aussi ont renoncé à rendre leurs exigences plus contraignantes, comme ils l’avaient envisagé à une certaine étape de leurs travaux128.
83Mais en concluant, encore plus nettement qu’il y a vingt ans, que la dissuasion est « encore moralement acceptable », l’Eglise ne risque-t-elle pas de conforter le statu quo et d’empêcher justement que se mette en route la dynamique de changement qu’elle voulait insuffler ? Les restrictions dont s’accompagne cette acceptation – dissuasion comme moyen et non comme fin, équilibre, efforts de désarmement – sont trop imprécises et trop dépendantes d’une appréciation subjective pour constituer un frein sérieux à la volonté des décideurs politiques et militaires.
84Prenons l’exemple de la lettre pastorale allemande. En l’absence de référence à des stratégies ou systèmes d’armes particuliers et en l’absence de spécification du délai, chacun a pu y trouver de quoi conforter ses propres thèses. Il est douteux que les avertissements des évêques aient eu un effet quelconque sur la conduite de la politique de défense. Les réactions émanant de groupes ou d’individus directement liés à la mise en œuvre de cette politique en témoignent129.
85Pour le théologien Rupert Feneberg, la séparation établie au début du document pastoral entre « maintien de la paix », qui serait de la compétence du pouvoir politique et « promotion de la paix », de la responsabilité du corps social et en particulier de l’Eglise (GsF, pp. 8-9), est à la racine de son inefficacité sur le plan politico-militaire. Cette séparation porte en germe une séparation irrémédiable entre « éthique de responsabilité » et « éthique de conviction ». L’Eglise se reconnaît effectivement une compétence dans le deuxième domaine, mais elle ne soumet le premier qu’à un jugement éthique extérieur, laissant l’entière responsabilité des choix concrets en matière de défense au pouvoir politique et militaire130. La tentation de la résignation, voire de l’échappatoire, est très forte chez les évêques allemands. La recherche de « solutions provisoires pour sauvegarder la paix » risque d’apparaître comme un pis-aller durable si elle doit se prolonger jusqu’au jour où seront réunies les conditions de structuration de l’ordre international, aucune indication n’étant donnée sur les délais de réalisation de celui-ci (GsF, pp. 584-85). Dans le jugement général de la dissuasion, alors qu’ils sont conscients d’aboutir à une impasse, plutôt que de préciser leur pensée au moyen d’exemples concrets, les évêques déclarent :
Nous désirons nous orienter vers la parole de Dieu qui nous promet cette paix que ce monde ne peut pas nous donner par lui-même. C’est la tension entre la promesse et la réalité des faits qui nous porte à conseiller un ordre de détresse, mais nous guide simultanément aussi au-delà de ce qui est possible maintenant. En effet, nous croyons que « pour Dieu, tout est possible » (GsF, pp. 588).
86Peut-être le chrétien angoissé peut-il trouver dans cette affirmation l’apaisement de ses craintes, mais elle est de peu d’utilité pour la conduite d’une politique de défense. Pax Christi, Rupert Feneberg et plus généralement, les groupes et individus se situant dans la mouvance des mouvements de paix auraient préféré que les évêques tirent eux-mêmes les conclusions claires découlant des principes qu’ils avaient énoncés, conclusions qui auraient dû au minimum les amener à rejeter le stationnement des Pershing II sur le sol allemand et éventuellement à condamner l’évolution de la stratégie de l’Alliance intervenue au début des années 1980131.
87Cependant, les évêques n’étaient pas prêts à cette issue. Plusieurs indices révélés postérieurement à la publication du document épiscopal donnent à penser que les artisans de la « double-décision » de l’OTAN avaient davantage de raisons de s’estimer confortés dans leurs options que ses opposants. Les premiers ont trait à l’attitude personnelle du cardinal Höffner, président de la conférence épiscopale. Dans son discours d’ouverture de l’assemblée générale d’automne 1983, il déclarait en effet :
Lorsque l’on discute de la dissuasion comme moyen de prévention de la guerre, il s’agit d’une question au sujet de laquelle avec une égale sincérité les chrétiens peuvent aboutir à des jugements différents132,
88et dans son allocution de clôture de la même assemblée, il précisait qu’en matière de stationnement des nouvelles armes eurostratégiques,
ce qui est en jeu, ce n’est pas la loi morale, mais la question de savoir quelle est la meilleure manière de préserver la paix133.
89Autrement dit, il s’agit d’une pure décision technique… Mais déjà en 1981, ne déclarait-il pas dans des circonstances similaires :
Dans le domaine du maintien de la paix, il est des questions à propos desquelles les chrétiens, « avec une égale sincérité », peuvent aboutir à des jugements différents,
90citant à titre d’exemples le stationnement des nouvelles armes à moyenne portée et les exportations d’armes134 ?
91Pourtant, la lettre pastorale semblait avoir des implications beaucoup plus contraignantes lorsqu’elle prônait la mise en œuvre du Sermon sur la montagne jusque dans le jugement moral des options stratégiques :
Ce dont il s’agit ici, ce n’est pas seulement d’une attitude intellectuelle pacifique, mais du comportement dont émane la paix. C’est donc dans l’esprit du Sermon sur la montagne que nous nous posons concrètement la question de savoir si le fait de se donner, ou de ne pas se donner certains moyens contribue à sauvegarder ou à mettre en péril la paix et les justes conditions qui la garantissent (GsF, p. 582).
92Il ne s’agit pas ici de renvoyer l’appréciation à la compétence des techniciens, comme tend à le faire le cardinal Höffner lorsqu’il aborde l’actualité concrète. On peut supposer que le préjugé favorable du Président de la conférence épiscopale à l’égard de la mesure de stationnement a conduit les évêques à s’abstenir de tirer des conclusions politiques qui auraient paru trop contradictoires avec l’esprit du document pastoral135.
93Un second indice de l’orientation générale dans laquelle se situait la conférence épiscopale est donné par le contenu du « guide » élaboré par le « Comité catholique pour l’éducation des adultes » (KBE), dont la publication n’aurait pu être autorisée sans le feu vert des évêques136. A partir de citations extraites du texte des évêques, ce « guide » s’applique à réfuter point par point les arguments et les revendications des mouvements de paix. Abordant plus particulièrement la politique de défense occidentale, il nie qu’elle affiche quelque volonté de mener des guerres nucléaires limitées137, met en garde contre des mesures de désarmement unilatéral qui risqueraient de compromettre l’équilibre des forces138, développe une série d’arguments en faveur du stationnement des Pershing II139 et réfute tout « droit à la résistance » à l’encontre de cette mesure140. Bien qu’il ne se prononce pas définitivement en faveur de la politique de défense de l’OTAN, ce document, que beaucoup considèrent comme une interprétation « authentique » de la lettre pastorale, apparaît comme un désaveu formel de toutes les thèses du mouvement de paix. Visiblement, les évêques ont choisi leur « camp », ce qui remet sérieusement en doute leur capacité critique à l’égard de la politique de défense officielle. Le « délai » entre la situation actuelle et l’idéal visé risque de s’allonger pour une durée indéterminée.
94Une réflexion analogue pourrait s’appliquer au document français. Pas plus que leurs confrères allemands, les évêques de l’Hexagone ne précisent les conséquences de leur jugement éthique. Ils se défendent en disant ne pas vouloir entrer « dans les débats techniques des spécialistes sur la crédibilité de notre défense, sur l’échelonnement de nos moyens classiques, nucléaires, tactiques et stratégiques, et leur articulation avec des systèmes d’alliance » et renvoient à ce sujet à la « vertu de prudence » (GP, p. 8). Celle-ci est certes nécessaire, mais elle demeure un principe trop abstrait pour servir utilement de guide à l’action, même si elle est précisée négativement par deux remarques :
Il faut se garder de deux excès : 1) L’évacuation du jugement éthique comme si l’on devait abandonner des choses aussi lourdes de signification humaine à la seule logique technique ; 2) Les jugements péremptoires de type déductif, qui feraient bon marché des composantes techniques (GP, p. 8).
95Peut-on porter un jugement éthique pertinent si l’on se refuse à examiner la portée concrète des techniques en jeu ? Peut-on juger de la fin sans en même temps analyser les moyens ? Les évêques français n’ignoraient pas les incertitudes demeurant sur des questions aussi essentielles que la fonction des armes tactiques ou la définition du « sanctuaire » que doit protéger la force de dissuasion, mais ils en ont fait totale abstraction dans leur jugement éthique. Quelques critères auraient sans doute été utiles à une époque où l’on parle de plus en plus de « bataille de l’avant » et où l’on s’éloigne de la dissuasion « minimale » sur laquelle s’appuie la force de frappe française. C’est sur une « conception dépassée de la dissuasion nucléaire »141 que s’appuient les évêques pour porter leur jugement moral, alors même que le bouillonnement des débats stratégiques autour d’eux témoigne d’une remise en cause de cette forme de dissuasion à la fois par la classe militaire et les partisans de moyens de défense dits « alternatifs ». De plus, la tendance des évêques français à se reconnaître dans une philosophie comme celle d’André Glucksmann (Cf. ci-dessus) met sérieusement en doute la validité de leur argument sur le délai. Hans Langendörfer a bien montré qu’une telle philosophie est incompatible avec l’idée d’une dissuasion comme période transitoire parce qu’elle fait de la bombe le révélateur ultime et le messager de la vérité sur l’homme142.
3. Conclusion
96Malgré son approche casuistique, le document américain semble finalement le plus à même de rendre crédible le plaidoyer catholique en faveur d’un dépassement du système de sécurité basé sur la dissuasion nucléaire. Il ne doit pas cette efficacité à la méthode adoptée, qui inclinerait au contraire à la confirmation du statu quo, mais au choix délibéré d’aborder des questions aussi concrètes que les systèmes d’armement et les stratégies de défense. On pourra objecter que les évêques américains dans leur précipitation, vont trop loin, réduisant le « délai » à une portion si congrue qu’il devient inexistant. La qualité dynamique du jugement serait alors télescopée en une série d’affirmations qui ne traduiraient rien d’autre qu’une pure éthique de conviction. La tâche la plus ardue est certainement la définition des étapes intermédiaires entre une situation actuelle insatisfaisante et une situation future où le concept de paix exposé dans les lettres pastorales pourra se concrétiser.
97La difficulté du passage est illustrée par une déclaration du cardinal Casaroli devant l’Agence Internationale de l’Energie en mars 1986, qui contient en quelques mots tout le paradoxe du jugement d’acceptation transitoire. S’exprimant sur les positions de l’Eglise à l’égard de la dissuasion, il suggérait :
On peut estimer qu’un moindre mal serait que les parties, tant qu’elles restent enfermées dans la perspective de la dissuasion, appliquent au concept même de dissuasion quelques critères éthiques clairs et mutuellement acceptés. Ainsi le consensus qui existe sur le caractère inacceptable de l’emploi effectif des armes nucléaires devrait-il logiquement s’étendre à la menace d’y recourir143.
98L’intérêt de cette proposition, acclamée par certains catholiques comme un pas de plus de la part d’une voix « autorisée » du Vatican vers le désaveu de la dissuasion nucléaire, n’a d’équivalent que son ambiguïté. Comment peut-on envisager que les parties « tant qu’elles restent enfermées dans la perspective de la dissuasion », trouvent un terrain d’accord sur des valeurs qui en consacreraient l’inanité ? Le discours dissuasif n’est-il pas par essence celui de la méfiance, qui maintient les adversaires à distance ? Tout en faisant leur la formule pontificale, les évêques irlandais ne remarquent-ils pas que « la dissuasion… est basée sur la menace ; par conséquent, elle a un effet exactement inverse à la construction de la confiance nécessaire à la paix »144 ? Sans doute le cardinal envisage-t-il l’hypothèse où la dissuasion ne reposerait plus que sur la simple possession – dépourvue de menace d’utilisation – des armes nucléaires. Mais les difficultés apparues à propos de la lettre pastorale américaine témoignent éloquemment de l’ambiguïté d’un tel postulat. Le cas de figure serait celui d’une extinction de la dissuasion par une sorte de désuétude, comme le résultat du développement d’une coutume de droit international. Peut-être encore faut-il interpréter la proposition dans un sens à la fois plus restrictif et plus « politique », comme un appel lancé aux adversaires à reconnaître simplement qu’ils n’ont pas de véritable raison de se menacer ? Cependant, la question du « pourquoi » reste entière. Comme le rappelle Dieter Senghaas,
Si la politique de menace a aussi pour but de maximaliser l’intérêt commun des adversaires, c’est-à-dire de ne pas transformer la menace en une action réelle, pourquoi n’est-il alors pas possible d’éviter d’emblée cette politique de menace et de concrétiser l’intérêt commun d’une manière qui ne ressemble pas à un jeu irrationnel avec la mort145 ?
Notes de bas de page
1 DUMONT, Louis, Essais sur l’individualisme, Paris, Seuil (Esprit), 1983, p. 45.
2 Il n’existe pas une définition unique des termes de « proportionnalisme », « conséquentialisme », « déontologie » ; voir SOWLE-CAHILL, Lisa, “Theology. Utilitarianism and Christian Ethics”, Theological Studies, 42(1981), pp. 602-4. Une classification possible est celle de Charles Curran : CURRAN, Charles, “Utilitarianism and Contemporary Moral Theology: Situating the Debates”, Louvain Studies, 6(1977), pp. 239-55.
3 GRISEZ, Germain, Abortion, the Myths, the Realities and the Arguments, Washington, Corpus Books, 1970, 559 p. ; “Toward a Consistent Natural Law Ethics of Killing”, American Journal of Jurisprudence, Nr. 15, 1970, pp. 64-96 (Ci-après, “Toward a Consistent Ethics”) ; également, GRISEZ, Germain, SHAW, Russell, A Grisez Reader for “Beyond the New Morality”, ed. Joseph Casey, Washington DC, University Press of America, 1972. Paul Ramsey est aussi très critique vis-à-vis du proportionnalisme ; voir RAMSEY, Paul, “Incommensurability and Indeterminability in Moral Choice”, in Doing Evil to Achieve Good, ed. Richard McCormick & Paul Ramsey, Chicago, Loyola University Press, 1978, pp. 69-144 (ci-après, “Incommensurability”).
4 Bruno Schüller a démontré que la théologie catholique avait beaucoup plus souvent qu’on ne le pensait tenu un raisonnement téléologique, SCHÜLLER, Bruno, Die Begründung sittlicher Urleile, Düsseldorf, Patmos, 2te Aufl., 1980, 213 p. Dans un récent discours à un congrès international de théologie morale, le pape Jean-Paul II affirmait : « Il existe des normes morales qui ont leur contenu, précis, immmuable et inconditionnel... Nier qu’il existe des normes ayant une telle valeur, seul peut le faire celui qui nie qu’il existe une vérité de la personne, une nature immuable de l’homme, fondée en dernière analyse sur cette Sagesse créatrice qui donne la mesure de toute réalité » ; JEAN-PAUL II, « Réflexion éthique et fidélité au Magistère et à la Tradition », 10 avril 1986, DC, Nr. 1918, 1986, p. 484. Le pape avait en vue ici plus précisément les questions de la contraception et de l’avortement.
5 Les évêques américains s’efforcèrent constamment de lier leur position à l’égard de l’armement nucléaire à celle qu’ils avaient prise dans le débat sur l’avortement, ainsi que sur l’euthanasie et la peine capitale, au nom d’une même éthique de la vie. Voir par exemple, BERNARDIN, Joseph, A Consistent Ethic of Life: An American Catholic Dialogue, Gannon Lecture, Fordham University, Dec. 6, 1983, ronéotypé, 10 p. (Traduction française : DC, Nr. 1872, 1984, pp. 44, 3-47) ; A Consistent Ethic of Life: Continuing the Dialogue, The William Wade Lecture Series, St Louis University, March 11, 1984, ronéotypé, 9 p. Pour la thèse d’une double éthique, individuelle d’une part (surtout sexuelle), sociale d’autre part, voir OVERBERG, Kenneth, An Inconsistent Ethics?, Teaching of the American Catholic Bishops, Lanham (MD), University Press of America, 1980, 210 p.
6 KROL, “Testimony to the Senate”, op. cit., p. 128.
7 McCORMICK, “Ambiguity”, op. cit., p. 7 ; GRISEZ, “Toward a Consistent Ethics”, op. cit., p. 78 ; également, CONNER Y., John, “Catholic Ethics: Has the Norm for Rule-Making Changed?”, Theological Studies, 48(1981), pp. 240-43.
8 L’interprétation du principe du « double-effet » a donné lieu à une littérature très abondante depuis le début des années 1970. Le collectif Doing Evil to Achieve Good lui est entièrement consacré. Pour une présentation synthétique des différentes conceptions, voir SOWLE-CAHILL, op. cit..
9 WINTERS, “Did the Bishops Ban the Bomb?”, op. cit., p. 107.
10 Winters souligne que la rectitude de l’intention est conservée au cas où un responsable politique ou militaire agirait à l’encontre de la politique officielle de non emploi ; ibid. ; également, WINTERS, “Bishops and Scholars”, op. cit., p. 41.
11 GRISEZ, Germain, “The Moral Implications of a Nuclear Deterrent”, op. cit., p. 18 ; voir également McCORMICK, “Notes on Moral Theology”, Theological Studies, 45(1984), p. 127 (Ci-après, « Notes », 1984) ; CURRAN, Charles, “A Complex Document for a ‘Big Church’”, in “The Bishops and the Bomb – Nine Responses”, Commonweal, Aug. 13, 1982, 109(14), p. 439.
12 Son argumentation est très proche de celle que les deux auteurs allemands Robert Spaemann et Ernst-Wolfgang Böckenförde utilisaient en 1960 ; BÖCKENFÖRDE, SPAEMANN, op. cit.
13 Dans la version finale, le concept de « situation de péché » a disparu du passage relatif au jugement moral de la dissuasion, bien qu’il demeure sous une forme des plus équivoques dans la partie introduisant à l’examen des questions de la « guerre et la paix dans le monde moderne » ; « La question morale en jeu engage le sens du péché dans ses dimensions les plus visibles », CoP, p. 734.
14 A ce sujet les articles de McCormick et Schüller dans Doing Evil to Achieve Good, pp. 7-53, 165-92, 193-267, et la critique de Ramsey sur ces notions, ibid., pp. 69-144.
15 McCORMICK, “Notes”, 1984, op. cit., p. 88 ; également, le commentaire de McCormick sur les théories de Peter Knauer, William van der Marek, Cornelius van der Poel et sa propre synthèse, “Ambiguity”, op. cit., pp. 9-21, 35-50.
16 McCORMICK, “Notes”, 1984, op. cit., p. 89 ; “Ambiguity”, pp. 31-32, 43-44 ; “Commentary on the Commentaries”, in Doing Evil to Achieve Good, pp. 238, 251-54 (ci-après “Commentary”) ; également, BÖCKLE, Fundamentalmoral, München, Kösel, 1981, pp. 311-12.
17 On peut par exemple se référer à l’existence de devoirs et obligations “prima facie” dont le respect serait contraignant sauf intervention d’une raison exceptionnelle validement fondée qui vienne en empêcher l’accomplissement. Voir SCHÜLLER, Bruno, “The Double Effect in Catholic Thought: A Reevaluation”, in Doing Evil to Achieve Good, pp. 181-82. Pour une application à la problématique de la guerre, CHILDRESS, James F., “Just War Theory”, Theological Studies 39(1978), pp. 427-45 ; “Just War Criteria”, in War or Peace?, ed. Thomas A. Shannon, New York, Maryknoll, 1980, pp. 40-58.
18 McCORMICK, “Ambiguity”, op. cit., pp. 45-50 ; plus généralement, “Commentary”, op. cit., pp. 193-267 ; BÖCKLE, Fundamentalmoral, pp. 212-13.
19 Le terme “beneficientia” est retenu par McCormick. “Ambiguity”, op. cit., pp. 47ss. ; “Commentary”, op. cit., pp. 249ss. McCormick utilise dans le même sens le concept d’“ordo bonorum” emprunté à Schüller. L’idée d’“association of basic goods” a été développée par FINNIS, John, Natural Law and Natural Rights, Oxford, Clarendon Press, 1980. Voir sur ce point, HOLLENBACH, Nuclear Ethics, p. 21 ; McCORMICK, “Commentary”, op. cit., p. 229 ; SOWLE-CAHILL, op. cit., p. 619.
20 McCormick considère que c’est le cas de l’attaque directe des non-combattants, McCORMICK, “Ambi-guity”, op. cit., pp. 31-32, 43-44 ; “Commentary”, op. cit., pp. 237-38. Il qualifie alors ce principe de “virtually exceptionless norm”.
21 En supposant l’existence d’une “association of basic goods” qui seraient tellement interdépendants que la violation de l’un entraînerait nécessairement la violation des autres, on résout, ou du moins, on diminue fortement l’acuité des conflits de valeurs ; voir McCORMICK, “Commentary”, op. cit., p. 262.
22 Contrairement à ce qu’affirme la critique des déontologistes à l’égard des proportionnalistes. McCORMICK, “Notes”, 1984, op. cit., p. 88.
23 McCORMICK, “Ambiguity”, op. cit., p. 44 ; Ramsey qualifie cette théorie de “multivalue consequentialism”, RAMSEY, “Incommensurability”, op. cit., p. 121.
24 LANGENDÖRFER, „Abschreckung und Sittlichkeit“, op. cit., p. 168.
25 McCORMICK, “Notes”, 1984, op. cit., pp. 131-32.
26 ibid., p. 132.
27 Rupert Feneberg aboutit implicitement à cette conclusion, op. cit., pp. 136-37.
28 McCormick semble suggérer à propos de l’avortement thérapeutique un calcul du même type lorsqu’il déclare : “What is being weighed, commensurated. proportioned here is not one life against the other, the value of the mother’s life versus the value of the child’s. What is being weighed is the relationship of a killing intervention (abortion) to the end sought”, McCORMICK, “Commentary”, op. cit., p. 224. Ne pourrait-on pas traduire, dans le cas de la dissuasion en disant que ce que l’on doit peser l’un contre l’autre, ce ne sont pas d’un côté les vies des innocents sacrifiés, de l’autre la perte des libertés, mais l’adéquation de la dissuasion à la fin recherchée – la prévention de la guerre ? Mais ceci supposerait que le meurtre des non-combattants puisse être moralement pris en compte, même par un calcul téléologique. ce que McCormick semble exclure.
29 Ainsi, quand le texte affirme, « ... nous disons que les bonnes intentions (défendre son pays en protégeant la liberté, etc.) ne peuvent justifier des méthodes immorales (l’emploi d’armes qui tuent sans discrimination et menacent la société tout entière) », CoP, p. 761.
30 Sur ce point, voir LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, p. 95.
31 En note infrapaginale seulement, GP, Nr.20, p. 10, (Cf. Chap. iii).
32 Informations rapportées par Hans Langendörfer lors d’une conversation avec l’auteur, Bonn, 26 mars 1985.
33 On n’est pas loin ici de l’argumentation de Ramsey qui fait reposer l’efficacité – et la moralité – de la dissuasion sur l’impossibilité pour l’adversaire de savoir a priori si notre emploi des armes contre ses objectifs militaires entraînerait en même temps la destruction de ses centres de population ; RAMSEY, The Just War, pp. 248-58, 391-424.
34 LANGENDÖRFER, Interview du 26 mars 1985. Egalement, LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, pp. 158-64. Il faut distinguer ce calcul de probabilité du raisonnement pascalien qu’ont proposé certains auteurs pour analyser la dissuasion. Dans ce dernier cas, le calcul de probabilité porte sur les chances que la dissuasion continue à fonctionner ou au contraire échoue ; GLUCKSMANN, op. cit., pp. 155-200 ; GORAND, op. cit. On note ici la différence entre l’argumentation de Langendörfer et celle de Ramsey. Pour ce dernier, l’impossibilité de savoir a priori si tout emploi des armes nucléaires serait immoral exclut la condamnation de la politique de dissuasion nucléaire. RAMSEY, “A Political Ethics Context for Strategie Thinking”, op. cit., pp. 130-47. Sa conclusion rejoint alors celle des proportionnalistes, bien qu’il se réclame d’une approche déontologiste. Langendörfer essaie de définir une position médiane en introduisant au contraire des éléments déontologistes dans une approche à la base proportionnaliste, selon un raisonnement qui n’est pas sans rappeler celui de McCormick sur l’immunité des populations civiles.
35 Une seconde réunion a eu lieu à Bonn en septembre 1986. Elle n’a pas fourni d’élément nouveau déterminant sur ce point.
36 WINTERS, “Bishops and Scholars”, op. cit., p. 39.
37 ibid., pp. 40-41.
38 GUMBLETON, Bishop Thomas, Interview du 7 octobre 1983 ; RUSSETT, Bruce, Interview du 21 décembre 1983.
39 Rappelons que la proportion de catholiques engagés dans l’Armée est supérieure à leur proportion par rapport à la population américaine totale : 35 % environ contre 25 % environ (Francis Winters donne le chiffre de 40 % dans son article de la revue Eludes de juillet 1982, p. 17).
40 Les déboires de Mgr Matthiesen en sont la preuve. Il dut renoncer à appeler les catholiques travaillant à l’usine d’assemblage nucléaire Pantex à quitter leur emploi sous les menaces de retrait de financement d’organisations chapeautées par le diocèse, The New York Times, March 23, 1982, p. 32.
41 RUSSETT, Bruce M., Second Draft outline of Possible Pastoral Letter taking into account comments on the first draft at our January 27 meeting, Feb. 12, 1982, p. 3 (non publié).
42 JEAN-PAUL II, Adresse aux Nations Unies, 2 oct. 1979, op. cit., § 10.
43 In SCHOTTE, « Mémorandum », op. cit., p. 714.
44 Press Conference by Secretary of State of Holy See, 11 June 1982, New York, United Nations Department of Information, p. 2 (non publiée) (Traduction CG).
45 CASAROLI, Cardinal Agostino, « Le St-Siège, le désarmement et la paix », discours à l’Université de San Francisco, 18 nov. 1983, DC, Nr. 1867, 1984, pp. 156-57.
46 ibid., p. 152.
47 SCHOTTE, “Mémorandum”, op. cit., p. 714.
48 Irish Bishops Conference, The Storm that Threatens, Catholic Press and Information Office, Dublin, July 28, 1983, p. 10.
49 McCORMICK, “Notes”, p. 133. Voir également la critique de Jean-Marie Muller, « La petite phrase de Jean-Paul II », Le Monde, 7 mai 1983.
50 CASTELLI, op. cit., p. 136 (Traduction CG) ; NOVAK, Michael, “The Bishops speak out”, op. cit., p. 680.
51 Le projet néerlandais s’énonçait à l’origine de la manière suivante : « A notre avis, la responsabilité des risques que représente l’emploi des armes nucléaires pour la création et l’humanité ne peut se justifier ». Après consultation de Rome, il était devenu : « A cause des conséquences qui en résulteraient, la responsabilité des risques que représente un emploi effectif des armes nucléaires qui causerait la destruction de villes et de régions entières avec leurs habitants ne peut se justifier », le pronom « qui » ayant ici une valeur limitative. L’ambiguïté de la formulation du document néerlandais rendait toutefois possible l’interprétation contraire, dans le sens d’une condamnation totale de l’emploi des armes atomiques. Voir à ce propos, NEUMAN, H.J., „De bom en de moraal- een case study : Rome“, in Te beginnen bij Nederland, Amsterdam, Van Vornhof, 1983, pp. 171-80.
52 Titre d’un ouvrage de Henry Kissinger (Paris, Denoël, 1965, 288 p. ; traduit de l’anglais, The Troubled Partnership, A reappraisal of the Atlantic Alliance, New York, Mc Graw-Hill, 1965, 266 p.).
53 KLEIN, op. cit., pp. 253-62 ; LELLOUCHE, op. cit., pp. 74-75 ; NAGEL, „Der Doppelbeschluss“, op. cit.
54 LELLOUCHE, ibid., pp. 73-90 ; également, KAISER, Karl, “Domestic and Security Concerns in Europe”, Programme for Strategic and International Security Studies, Seminar on International Security, Genève, July 15, 1986 (notes personnelles) ; Ramsès, 1983-84, pp. 46-56, 66-68.
55 En particulier sous la pression du lobby conduit par le Sénateur Sam Nunn. L’engagement d’une augmentation annuelle de 3 % des dépenses de défense pris en 1978 a rarement été tenu par les pays européens ; voir ASHBIRE, David, « La défense classique de l’OTAN : une stratégie des ressources est nécessaire », Revue de l’OTAN, Nr.5, oct. 1984, pp. 8-13.
56 LELLOUCHE, op. cit., p. 88.
57 ibid.
58 ROGERS, Bernard, “The Atlantic Alliance: Prescriptions for a Difficult Decade”, Foreign Affairs, Summer 1982, 60(5), pp. 1146-56 ; “NATO Debate shifts to Conventional Weapons”, International Herald Tribune, Oct. 6, 1982.
59 LELLOUCHE, op. cit., pp. 73-90, 159-64.
60 Cité par LELLOUCHE, ibid., p. 47.
61 GORAND, op. cit., p. 379.
62 WINTERS, “Bishops and Scholars”, op. cit., p. 39.
63 ibid, p. 36.
64 USCC Administrative Board, “Registration and the Draft”, Feb. 12-14, 1980, Origins 9(38), 1980, pp. 606-8. Le passage du texte concerné était le suivant : “1. Registration: We acknowledge the right of the state to register citizens for the purpose of military conscription, both in peacetime and in times of national emergency. Therefore we find no objection in principle to this action by the government. However, we believe it necessary to present convincing reasons for this at any particular time. 2. Military conscription: We are opposed to any re-institution of military conscription except in the case of a national defense emergency”, ibid., p. 607.
65 Il s’agit d’une « croyance » plus que d’une certitude. Qui le prouvera, au vu, par exemple, des résultats décevants des négociations MBFR qui se sont éternisées pendant plus de quinze ans ?
66 BUNDY, op. cit., p. 6. C’est aussi la thèse sur laquelle le général Copel base toute son argumentation ; COPEL, op. cit.
67 BUNDY, ibid.
68 KAISER u.a., op. cit., pp. 1162-65.
69 Ceci apparaît clairement dans les interventions des membres du gouvernement allemand devant le Bundestag lors du débat sur les euromissiles de l’automne 1983 ; KOHL, Helmut, Bundeskanzler, Rede zum deutschen Bundestag, 21 Nov. 1983, in Die Nachrüstung im Bundestag, p. 13 ; GENSCHER, Hans-Dietrich, Bundesminister für Auswärtige Politik, Rede zum deutschen Bundestag, 21 Nov. 1983, in ibid., p. 72.
70 KRELL, RISSE-KAPPEN, SCHMIDT, op. cit., pp. 45-50.
71 ibid.
72 WINTERS, “A fair hearing for the Bishops”, in “From the University; American Catholics and the Peace Debate”, The Washington Quarterly, 5(1982), p. 137.
73 RUSSETT, op. cit., p. 55. Dans le même sens, McNAMARA, Blundering..., pp. 119-24.
74 ibid., (Traduction CG).
75 TUCKER, “The Nuclear Debate”, op. cit.
76 LEBER, MERTES, op. cit.
77 ibid. (Traduction CG).
78 ibid.
79 Christine Zauzich rapporte qu’au moins un évêque aurait menacé de refuser d’approuver le document s’il contenait une phrase à propos du “no first use” ; ZAUZICH, Christine, „Abschreckung ist eine Notlösung“, Rheinischer Merkur, 8 Mai 1983, p. 20. Cette menace ne serait pas restée sans implications, au vu de la décision d’adopter le document par consensus.
80 Un des thèmes centraux de ce commentaire portait sur la nécessité d’une distinction entre les principes moraux généraux et leurs implications politiques. Il en faisait application en particulier à la question de l’emploi en premier ; German Bishops Conference, Response to the First Draft of Proposed Pastoral Letter bythe NCCB Ad hoc Committee on War and Peace, Aug. 18, 1982 (non publiée).
81 „Höffner lässt die ‘Katze aus dem Sack’“, SOG-Papiere, Informationsdienst der AGP. 85/2, 15 mars 1985, p. 11 (Traduction CG).
82 SCHOTTE, « Mémorandum », op. cit., p. 711.
83 DULLES, Avery, “The Teaching Authority of Bishops’ Conferences”, America, 148(23), June 11, 1983, p. 453.
84 MALONE, Archbishop James, « Au carrefour de l’opinion publique et de la politique », Discours d’ouverture à l’Assemblée plénière de la Conférence épiscopale, 11 nov. 1984, DC, Nr. 1889, 1985, p. 188.
85 NOVAK, “Moral Clarity”, op. cit. ; MURPHY, op. cit. ; SWEENY, E.J., “The Bishops and National Security Policy”, The Wanderer, Feb. 10, 1983.
86 SCHOTTE, Mgr Jan, „Der Apostolische Stuhl und die Bischofskonferenzen im Bereich der Soziallehre“, Vortrag vor dem Symposium „Katholische Bischofskonferenzen zum Thema ‘Frieden’“, des Instituts für Theologie und Frieden, Barsbüttel, und der Wissenschaftlichen Kommission des KAEF, Bad-Godesberg, 8-10, Dez, 1983, in Militärseelsorge, 26 Jg., 1984, pp. 309-30 (Römische Dokumente zum Frieden I (26 Juni 1972 – 14 Jan. 1984)).
87 SCHOTTE, « Mémorandum », op. cit., p. 713.
88 SCHOTTE, „Der Apostolische Stuhl“, op. cit., p. 317 (Traduction CG) ; également, p. 319.
89 ibid., p. 328 (Traduction CG). Voir aussi pp. 322, 325.
90 ibid., p. 327 (Traduction CG).
91 ibid., p. 328 (Traduction CG).
92 Conférence épiscopale française, Response to the First Draft of Proposed Pastoral Letter on War and Peace by the NCCB Ad hoc Committee on War and Peace, op. cit..
93 DEFOIS, Gérard, “Armements modernes”, op. cit., pp. 591-92.
94 op. cit. ; les autres domaines mentionnés étaient la guerre nucléaire limitée, la stratégie anti-cités et le « gel nucléaire », sur lequel portèrent les polémiques.
95 LELLOUCHE, op. cit., p. 83.
96 « Nous n’entrevoyons aucune situation où le déclenchement délibéré d’une guerre nucléaire, quelque restreinte qu’elle soit, puisse moralement se justifier. On doit répondre par un autre moyen que le nucléaire aux attaques non nucléaires d’un autre Etat » (CoP, p. 738).
97 GLUCKSMANN, André, La force du vertige, Paris, Grasset, 1983, pp. 138-47.
98 ibid., p. 135.
99 ibid, p. 163.
100 ibid., pp. 188-99, 215-18.
101 “Deterrence theory was worked out at the height of the cold war between the United States and the Soviet Union... Underlying the American doctrine, there seemed to lurk some version of the slogan ‘better dead than Red’. Now that is not really a believable slogan; it is hard to imagine that a nuclear holocaust was really thought preferable to expansion of Soviet power. What made deterrence attractive was that it seemed capable of avoiding both”, WALZER, op. cit., p. 273.
102 Ibid., pp. 210-12.
103 JEAN-PAUL II, Message du 1er janvier 1983, op. cit., p. 69, cité par CoP 3, p. 721.
104 « La paix est le cadre dans lequel le choix moral peut s’exercer le plus efficacement. Comment pouvons-nous progresser vers cette paix, qui est indispensable à la vraie liberté humaine ? », CoP, p. 726.
105 JEAN-PAUL II, Message pour la journée de la paix 1982, op. cit., § 9, cité par CoP, p. 727.
106 « Les deux guerres mondiales ne peuvent plus être définies avec la notion jusque là en vigueur de conflits militaires – toujours conçus comme limités et limitables. Avec ces formes de guerres, il n’y a plus depuis longtemps déjà d’objectifs limités, mais l’on voit se profiler la menace de l’anéantissement de la vie de peuples et d’Etats entiers », GsF, pp. 578-79.
107 JULLIEN, Mgr Jacques, « Problématique de l’éthique et de la mystique », La Vie spirituelle, mars-avril 1984, pp. 192-210 ; « Hiroshima-Kampuchea », Prêtres diocésains, mars 1984, pp. 107-15 ; DEFOIS, Gérard, « L’Eglise et la dissuasion », Revue de l’OTAN, Nr.3, juin 1984, pp. 15-20. On a soupçonné Mgr Jullien d’avoir rédigé son texte en s’inspirant des thèses de Glucksmann, ce qu’il nous a personnellement démenti en assurant qu’il avait lu cet ouvrage ultérieurement, tout en y trouvant une ample coïncidence avec ses propres vues ; Interview du 5 juil. 1985.
108 SEMELIN, Jacques, Interview accordée à Non violence politique, avril 1983, pp. 12-13.
109 FORNARI, F., Psychanalyse de la situation atomique, Paris, Gallimard, 1969, p. 73, cité par SEMELIN, Pour sortir de la violence, p. 70.
110 SEMELIN, ibid., pp. 68-72. Sémelin s’appuie sur les travaux de Fornari.
111 Ibid., pp. 70-71.
112 DEFOIS, « Armements modernes », op. cit., p. 590.
113 LUYCKX, Marc, Postface à l’édition française de la lettre pastorale américaine publiée par Pax Christi, op. cit., p. 200.
114 „Diesmal wollen wir nicht schweigen“, Spiegel, 29 Aug. 1983, p. 24.
115 Selon Rupert Feneberg, l’absence d’auto-critique du catholicisme sur son attitude dans les années 1930 est un des obstacles majeurs à une prise de position réelle et sincère sur la question de la paix ; FENEBERG, op .cit., pp. 80-100, 177-91.
116 MULLER, Jean-Marie, « La petite phrase de Jean-Paul II », op. cit.
117 C’est l’avis de Jean-Marie Muller, ibid.
118 KOPPE, Karlheinz, „Die Politik geht andere Wege“, Pax Christi, 1/85, 37 Jg., p. 18. Egalement KOPPE, Interview du 4 avril 1985.
119 LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, pp. 177-80. La conclusion serait également valable pour le document de l’Eglise évangélique „Frieden wahren, fördern und erneuen“, op. cit.
120 Pax Christi, Delegiertenversammlung, Abschreckung schon heute ohne Legitimation, Hrsg. Pax Christi, Deutsches Sekretariat. Frankfurt, 30 Okt. 1983, p. 1 (Traduction CG).
121 Pax Christi, Delegiertenversammlung, 26, bis 28, Okt. 1984, décision reproduite sous le titre „Bitte an die Bischöfe“. Pax Christi, 1/85, 37 Jg., p. 16 (Traduction CG). A la suite du cardinal Höffner (Conference de presse présentant la lettre pastorale), Pax Christi parle de „Galgenfrist“, littéralement : le délai de grâce.
122 Pax Christi General Assembly, Oct. 7-9, 1983, Cincinnati, (notes personnelles).
123 Commissions Justice et Paix d’Europe, « Exigences éthiques et dissuasion nucléaire », Paris, 14-16 oct. 1983, DC, Nr. 1874, 1984, p. 536.
124 Origins, Nr. 15, 1984-85, pp. 339-40 (Traduction CG).
125 BERNARDIN, Cardinal Joseph, Report of the Ad Hoc Committee for the Moral Evaluation of Deterrence, op. cit., p. 425.
126 GP, p. 9. Le texte poursuit en citant le message de Jean-Paul II aux Nations Unies, ce qui laisse supposer que les évêques français voient celui-ci comme une reprise pure et simple des positions de “Gaudium et Spes”.
127 KROL, “Testimony to the Senate”, op. cit., p. 128.
128 La troisième mouture entérinait en effet l’affirmation suivante : « Cette tolérance de la dissuasion, à laquelle il est admis que l’on ne pourrait renoncer immédiatement et sans solution alternative en vue d’un maintien de la sécurité sur le chemin éprouvant du désarmement, est liée à des conditions très restrictives, qui doivent devenir d’autant plus restrictives à mesure que diminue le délai qui nous est octroyé » ; cité par FENEBERG, op. cit., p. 132 (Traduction CG).
129 Voir par exemple, Heiner GEISSLER, Secrétaire général de la CDU, in „Gerechtigkeit schafft Frieden“, Zum Wort der DBK, Bonn, Deutschland- Union-Dienst, 27 April 1983, Pressespiegel zum Wort der DBK, p. 241 ; Alois MERTES, Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères, in KNA, 391/IV/83 FS, Nr.18, 28 April 1983 ; Theodor WAIGEL, Porte-parole de la CDU, Rede zum Deutschen Bundestag, 21 Nov. 1983, in Die Nachrüstung im Bundestag, p. 87.
130 FENEBERG, op. cit., pp. 52-54, 104-114.
131 Pax Christi, „Bitte an die Bischöfe“, op. cit. ; FENEBERG, op. cit., pp. 120-31, pp. 154-64 („Die Nachrüstungswaffen sind ethisch nicht zu rechtfertigen“) ; Angehörige des Philosophischen Instituts der Freien Universität Berlin, Offener Antwortbrief auf das Hirtenwort „Gerechtigkeit schafft Frieden“, Berlin, 26 Mai 1983, 5 p., in Pressespiegel zum Wort der DBK, pp. 263-67.
132 Herder Korrespondenz, 37 Jg., Heft 10/1983, p. 485.
133 Cité par FENEBERG, op. cit., p. 155.
134 HÖFFNER, « Le problème de la paix », op. cit., p. 1121. Le cardinal renvoie à l’article 43 de la Constitution pastorale “Gaudium et Spes”. Nous avons substitué notre propre traduction à celle de la DC que nous jugeons insatisfaisante. En effet, celle-ci rendait le terme „Friedenssicherung“ par « édification de la paix », „Nachrüstung“ par « armement » et déformait la citation de “Gaudium et Spes” en traduisant „bei gleicher Gewissenhaftigkeit“ par « selon leur conscience préalablement formée ».
135 Du moins, c’est ce que l’on peut déduire de la publication partielle d’un échange de lettres entre le théologien Heinrich Spaemann et le cardinal ; SPAEMANN, Heinrich, Ehe es zu spät ist, München, Kösel, 2te erw, Aufl., 1984, p. 38.
136 Frieden schaffen, Hrsg. Katholische Bundesarbeitsgemeinschaft für Erwachsenenbildung (KBE), Bonn, non daté, 32 p.
137 ibid., p. 12.
138 Ibid., pp. 12-13.
139 Ibid., p. 15.
140 Ibid., pp. 20-31. Sur le « droit à la résistance », voir chap. vi.
141 Titre d’un article de Christian Mellon dans L’Actualité Religieuse dans le Monde, Nr.7, 15 déc. 1983, pp. 46-47.
142 LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, pp. 171-74.
143 CASAROLI, Discours à l’AIEA, op. cit., p. 413.
144 Irish Bishops Conference, op. cit., p. 11.
145 SENGHAAS, Abschreckung und Frieden, p. 132.

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