Chapitre II. Points de repère historiques
p. 39-78
Texte intégral
1Les prises de position épiscopales dans le débat sur les armements des années 1980-83, si elles apparaissent comme une nouveauté à cause de l’engagement politique concret qu’elles traduisent, n’ont pas pris naissance dans un vide historique. Elles se situent sur un fond millénaire de débats entre l’Eglise et le pouvoir et de réflexions théologiques sur les questions de la guerre et de la paix. Il est donc indispensable de rappeler les principaux éléments de l’attitude de l’Eglise en la matière, longtemps marquée par sa fidélité au concept de la « guerre juste » avant de mettre l’accent sur l’évolution amorcée par Pie XII et développée plus complètement par le pape Jean XXIII et le Concile Vatican II. Il faudra aussi examiner comment, sur la base d’une communauté de principes, les catholiques de France, d’Allemagne fédérale et des Etats-Unis se sont situés en pratique dans les discussions sur la paix et les armements affectant leur propre nation. On pourra observer que dans les trois cas, le comportement de la majorité d’entre eux est étroitement dépendant des relations qu’entretiennent les institutions Eglise et Etat.
I. L’approche traditionnelle : la guerre juste
2Il n’est pas question de retracer ici l’ensemble des développements auxquels a donné lieu le concept de la guerre juste, qui a constitué la base du jugement de l’Eglise sur la guerre et la paix au cours des siècles1. Nous rappellerons simplement ses origines et les difficultés auxquelles elle s’est trouvée confrontée avec l’avènement de l’arme nucléaire.
1. Bref survol historique
3St Augustin (354-430) comme Thomas d’Aquin, traditionnellement considérés comme les deux pères de la pensée catholique sur la guerre juste, n’ont jamais envisagé la guerre que comme une solution de « moindre mal ». Chez Augustin, l’idée de l’inévitabilité des guerres est étroitement liée à une conception de l’homme qui est d’abord considéré comme pécheur. La perfection auquel tout être humain aspire est inaccessible dans la « Cité des hommes »2, ce qui rend parfois nécessaire le recours à la force pour prévenir l’injustice. Augustin, qui s’était élevé de manière véhémente contre la cruauté de la guerre3 a dû prendre en compte les circonstances historiques et notamment les accusations adressées aux chrétiens d’être responsables de la chute de Rome (410) à cause de leur philosophie de non-résistance4. Toutefois, il se garde de développer une théorie générale de la guerre et se limite à en énoncer trois critères qui sont conditions de son acceptabilité : cause juste, intention droite, compétence de l’autorité qui la déclare.
4Thomas d’Aquin reprendra ces trois critères dans une systématisation qui restera la base aussi bien juridique que théologique de la théorie classique5. Plus encore qu’Augustin, il part d’une présomption contre la guerre. Il en traite en effet à partir de la question « Faire la guerre est-il toujours un péché ? »6. Il est encore plus significatif qu’il traite des conditions de la guerre sous l’intitulé « De la Charité ». Il souligne par là la composante téléologique de son approche : la guerre ne peut être autorisée pour poursuivre n’importe quel but. Elle est le moyen de veiller à ce que justice soit faite et que soient préservées les valeurs fondamentales. Clairement, il y a chez lui une hiérarchisation des valeurs qui fait de la justice un impératif supérieur à celui de l’absence de violence. La théologie catholique ne s’est jamais fait le porte-parole d’un pacifisme « fondamentaliste » basé sur l’axiome de non-violence contenu dans l’Evangile. Dans les siècles qui suivront, l’idéal érasmien de paix universelle se développera en grande partie en opposition à elle.
5Pourtant, le recours à la violence apparaît par trop contradictoire avec l’idéal de paix et de fraternité évangélique. C’est pourquoi Thomas d’Aquin reprend l’énoncé des critères ayant pour objectif de limiter les hypothèses de recours à la guerre. La cause juste exige que la guerre soit entreprise pour venger une injustice ou exiger réparation d’une offense avec, généralement, l’idée sous-jacente de punition du coupable7. L’intention droite doit assurer que les objectifs du prince qui recourt à la guerre demeurent dans les limites de la cause juste et en particulier ne visent pas l’annihilation totale de l’ennemi ; une certaine proportionnalité doit donc exister entre l’importance de l’injustice que l’on veut corriger (ou les buts de guerre) et les moyens mis en œuvre pour atteindre ce résultat La compétence de l’autorité qui déclare la guerre est également un élément essentiel à une époque de querelles constantes entre seigneurs et princes féodaux ; elle vise à ce que la guerre ne soit entreprise que par les princes au-dessus desquels n’existe aucune autorité supérieure capable de trancher le différend par des moyens pacifiques. Enfin la guerre doit rester un dernier recours, auquel on ne se résout que lorsque tous les moyens pacifiques de règlement des différends ont été épuisés8.
6Outre cette série de critères, l’Eglise a développé dans la pratique plusieurs mécanismes comme l’interdiction du combat certains jours ou périodes de l’année (« Trêve de Dieu »), la condamnation de l’usage d’armes particulièrement meurtrières (l’arbalète au Concile du Latran de 1139), l’instauration de franchises pour certaines couches de la population ou certains lieux (« Paix de Dieu »), ou l’offre de bons offices pour régler les différends entre souverains.
7La théorie de la guerre juste fut reprise, complétée et réinterprétée par la scolastique espagnole des xvi-xviie siècles. Sous l’influence de Vitoria (1480-1546), elle devait prendre une connotation de plus en plus juridique et se détacher de son fondement initial – la nécessité de recourir à la violence, qui fait problème à la conscience chrétienne – pour devenir de plus en plus une justification au service de la volonté de puissance des princes. Vitoria préparait ainsi la réception de la théorie par les premiers penseurs du « droit des gens ». Il développa davantage que ne l’avait fait Thomas d’Aquin l’idée de proportionnalité entre injustice subie et dommages prévisibles du fait de la guerre et pressentit aussi la possibilité d’harmonisation politique de l’univers par l’intermédiaire du droit, avec, en conséquence, la prérogative de l’Etat d’agir par substitution fonctionnelle pour rétablir la paix tant que la société internationale resterait inorganisée9. Suarez (1548-1617) de son côté développa le critère de « certitude suffisante (ou raisonnable) de la victoire ». Forme du principe de proportionnalité dans le “jus ad bellum”, ce critère devait veiller à ce qu’un Etat ou un prince n’entreprît pas une guerre où les destructions seraient purement gratuites puisque l’issue – négative – du combat serait connue d’avance.
8Avec l’éclatement de la chrétienté et le juridisme croissant du concept de guerre juste, il apparut de plus en plus que la « justice » de la cause pouvait être revendiquée par les deux adversaires. Positivement, cette évolution contribua à une modération du “jus in bello” et à une humanisation de la guerre. Mais inversement la prérogative de l’Etat de recourir à la guerre (“jus ad bellum”) en tant qu’instrument essentiel de l’exercice de son autorité, n’était pratiquement plus remise en cause. La théorie devint progressivement un catalogue formel de critères permettant de conclure à la licéité ou à l’illicéité de la guerre10. En théorie demeurait le droit de l’individu de refuser sa participation à une guerre qu’il estimait injuste, en conséquence de la primauté de la conscience individuelle (Cf. Chap. I)11. Mais dès lors que l’enjeu devenait l’expression publique et pratique de cette primauté de la conscience, l’Eglise se montra beaucoup plus réticente. L’accent mis sur l’autorité de l’Etat rendit généralement le principe ineffectif. Aux xviiie et xixe siècles les critères de la guerre juste demeurèrent stériles et n’eurent aucune prise sur les conflits de nationalités12. On doit cependant remarquer au tournant du xxe siècle une contradiction entre l’attitude des catholiques, souvent pressés de prouver leur loyauté aux régimes en place et les discours pontificaux, résolument opposés au système des armées permanentes comme à celui du service militaire obligatoire13.
9Il fallut attendre la première guerre mondiale et la prise de conscience des destructions qu’elle avait causées pour que les catholiques se posent à nouveau la question de la légitimité de la guerre. Cependant, ce renouveau se situant dans la mouvance du droit humanitaire naissant (Conférences de La Haye de 1889 et 1907) devait entériner la réorientation du discours sur la guerre de la discussion sur les fins vers l’argumentation sur les moyens qui avait été amorcée dès le xvie siècle. Les critères de « proportionnalité » et de « discrimination » devinrent alors des éléments essentiels de la théologie de la guerre juste. Une série d’ouvrages publiés à partir des années 1920 témoigne de cette redécouverte14, en même temps que se développaient des tendances pacifistes dans le cadre des mouvements d’action catholique de jeunesse en Italie (avec Don Sturzo), en Allemagne (avec Fransiskus Stratmann)15 et en France (avec Marc Sangnier). Certains allèrent jusqu’à déclarer l’impossibilité d’une juste guerre16, alors que la grande majorité restait attachée à l’idée de justice d’une guerre défensive tout en condamnant éventuellement la guerre d’agression17.
10Avec la répétition à une plus grande échelle des ravages causés par la guerre généralisée, et surtout avec l’avènement des armes nucléaires, se posa plus radicalement encore la question de l’adaptabilité – ou même de l’adéquation – de la guerre juste comme cadre d’appréhension des conflits modernes.
2. La guerre juste à l’époque nucléaire
11A l’image de la plupart des contemporains, l’Eglise catholique ne vit pas dans les explosions nucléaires de Hiroshima et Nagasaki un phénomène qualitativement nouveau qui exigeait un bouleversement radical de son discours sur la guerre. Les quelques voix qui s’élevèrent pour clamer qu’il s’agissait d’un phénomène sui generis, auquel les principes traditionnels de la guerre juste n’étaient plus applicables, restèrent sans écho, même lorsqu’elles venaient de membres respectés de la Curie elle-même18. Pour la majorité des théologiens, l’arme nucléaire et l’avènement de la « guerre totale » rendaient d’autant plus pressante l’insistance sur les critères de proportionnalité et de discrimination.
a. Pie XII et la « guerre juste »
12Premier pape à se trouver confronté au phénomène nucléaire, Pie XII (qui occupa ses fonctions de 1939 à 1958) y vit une incitation à renforcer les barrières destinées à empêcher la guerre. D’abord il introduit une limitation nouvelle au domaine de la juste cause. La guerre d’agression est clairement condamnée comme « un péché, un délit et un attentat contre la majesté de Dieu, créateur et ordonnateur du monde »19. Notons cependant que la notion d’agression demeure aussi indéterminée dans la théologie catholique qu’elle l’était dans le droit international de l’époque20. D’autre part, devant la permanence des conflits et l’absence de moyen supranational de règlement des différends, la guerre défensive demeure un droit et même une obligation pour les Etats21. Le critère déterminant est alors celui de proportionnalité. En 1953, Pie XII n’hésite pas à affirmer : « Lorsque les dommages entraînés par la guerre ne sont pas comparables à ceux de l’injustice tolérée, on peut avoir l’obligation de subir l’injustice »22. L’année suivante, parlant de la guerre ABC (Atomique, Bactériologique et Chimique) qu’il assimile à la « guerre totale moderne », il précise : « Quand toutefois la mise en œuvre de ce moyen entraîne une extension telle du mal qu’il échappe entièrement au contrôle de l’homme, son utilisation doit être rejetée comme immorale. Ici il ne s’agit plus de défense contre l’injustice et de la sauvegarde nécessaire de possessions légitimes, mais de l’annihilation pure et simple de toute vie à l’intérieur de son rayon d’action Cela n’est permis à aucun titre »23. Le souci de discrimination des populations civiles était alors une de ses préoccupations majeures. Cependant Pie XII refuse de réduire la proportionnalité à sa composante purement matérielle : « Ni la seule considération des douleurs et des maux dérivants de la guerre, ni le dosage soigné de l’action et de l’avantage ne sont finalement capables de déterminer s’il est moralement licite ou même, en telles ou telles circonstances concrètes, obligatoire… de repousser l’agresseur par la force ». Se limiter à ces considérations serait céder à un « sentiment empreint d’eudémonisme et d’utilitarisme d’origine matérialiste [auquel] manque la solide base d’une obligation étroite et inconditionnelle »24. L’intention de se démarquer d’un courant pacifiste souvent dénigré est ici évidente. Mais une proportionnalité rapportée au seul critère de la juste cause pose davantage de problèmes qu’elle n’en résout car elle risque de faire disparaître les règles du “jus in bello” au profit du “jus ad bellum”. Faut-il en conclure, comme l’a fait le Père Gundlach – un des proches conseillers de Pie XII – que : « Même au cas où le seul succès serait une manifestation de la majesté de Dieu et de l’Ordre qu’il a institué et dont nous lui sommes redevables en tant qu’humains, le droit et le devoir de défense des valeurs les plus élevées demeurent concevables. En vérité même si le monde devait être anéanti, cela ne constituerait pas un argument valable contre notre raisonnement »25 ?
13Pousser la logique jusqu’à de telles aberrations est certes un cas extrême. Mais la conclusion n’est pas totalement fortuite26. Elle est le type même des excès auxquels a pu conduire l’interprétation restrictive de la loi naturelle telle que la dénonce E.-W. Böckenförde27. L’« éthique de détresse » à laquelle on aboutit ne permet en aucun cas de poser les conditions d’un ordre international plus stable ou plus pacifique car elle n’intervient qu’au moment où le bien que l’on veut protéger est déjà virtuellement détruit. Cette carence fait apparaître la théorie de la guerre juste de plus en plus inadaptée au développement des armes nucléaires qui remettent en cause la nature même du phénomène appelé « guerre ». N’y a-t-il pas un hiatus insurmontable entre l’objectif de la guerre – le rétablissement de la justice – et le moyen que l’on se propose d’utiliser pour y parvenir ? En d’autres termes, n’y a-t-il pas contradiction fondamentale entre la fin et les moyens ? De plus, le développement de la stratégie de dissuasion nucléaire place le moraliste devant une série de questions nouvelles. Peut-on utiliser les mêmes critères pour juger de l’emploi des armes nucléaires et de leur affectation à un but dissuasif (reposant sur la menace ou la simple possession) ? Pie XII avait jugé les armes nucléaires sans apporter de modification à la théorie classique28. Il les considérait encore en priorité comme des instruments militaires, bien qu’il semble les avoir perçues vers la fin de son pontificat comme des moyens politiques. Cependant, à partir du moment où la dissuasion devint bilatérale et fut consacrée comme modalité du rapport politique entre les superpuissances, la méthode du jugement moral dut s’adapter aux mutations du cadre stratégique.
b. Guerre juste et dissuasion nucléaire
14Le jugement éthique de la dissuasion nucléaire, qu’il soit le fait des théologiens, des scientifiques ou des stratèges, s’est traditionnellement – c’est-à-dire dans les années 1957-65 environ – orienté à partir de l’interrogation : « dans quelles conditions une guerre menée avec des armes nucléaires peut-elle être juste ? », ce qui renvoyait immédiatement aux deux critères du “jus in bello”, proportionnalité et discrimination. Question stratégique et éthique étaient liées. A la fois l’impératif de crédibilité et l’impératif moral poussaient les stratèges à tenter de définir une forme de dissuasion qui, en cas d’échec, permette d’échapper au tout ou rien des « représailles massives » (“massive retaliation”)29. Le débat sur la nature des armes fut peu à peu remplacé par un débat sur la distinction des cibles30.
15L’examen des critères de proportionnalité et discrimination renvoie immédiatement à la question pratique de la contrôlabilité de l’usage de l’arme nucléaire. Les théologiens tout comme les stratèges31 ou les scientifiques ont abouti à des conclusions diverses à ce sujet. Le théologien catholique John Courtney Murray, s’appuyant sur les déclarations de Pie XII en matière de guerre ABC conclut que « puisqu’une guerre nucléaire peut devenir une nécessité, elle doit devenir une possibilité. Il faut créer cette possibilité », ce qui suppose, entre autres, la « construction d’une sorte de “modèle” de la guerre limitée »32. En Allemagne, où la discussion dans les milieux catholiques s’est développée plus directement à partir des déclarations pontificales, d’âpres débats eurent lieu sur la signification de l’élément de contrôlabilité, auquel le message de Pie XII à l’Association Médicale Mondiale attribuait un rôle central (Cf. supra). Pour le Père Gundlach. cette condition ne s’appliquait pas à la qualité technique des armes, mais à un facteur humain, du fait que la « mécanisation de la guerre, une fois déclenchée, échappe à la conscience des détenteurs du pouvoir »33. A l’encontre de cette interprétation, qui a en fait pour conséquence de « banaliser » les armes nucléaires, s’élève la majorité des commentateurs, pour qui la condition de contrôlabilité doit être comprise d’abord dans un sens technique. C’est le cas dans les écrits de Johannes Hirschmann34, dans la « déclaration des sept théologiens » – dont Hirschmann – qui avait connu un certain retentissement à l’époque, dans la réplique de Böckenförde et Spaemann, ou encore chez des auteurs de tendance pacifiste. Alors que les « sept théologiens » concluent que « selon l’opinion de spécialistes consciencieux, il n’est pas exact que les effets des armes atomiques échappent entièrement à ce contrôle »35, laissant ouverte la possibilité d’un usage légitime de ces armes, Böckenförde et Spaemann rejettent la thèse de Gundlach selon laquelle les armes ne seraient qu’un instrument dépourvu d’intentionnalité36. Les adversaires de l’armement nucléaire de leur côté excluent tout emploi effectif d’armes qu’ils affirment n’être plus techniquement contrôlables37.
16Aux Etats-Unis la question de contrôlabilité a rejailli sur la discussion de validité du critère de discrimination des populations civiles. La problématique générale est mise en évidence par Paul Ramsey lorsqu’il examine les affirmations du Concile Vatican II. Ramsey rejette la distinction établie à ce propos par certains auteurs entre « intention directe » et « intention indirecte » d’utilisation des armes contre les populations civiles38 au profit d’une articulation entre « intention » et « conséquences prévisibles », ces dernières étant soustraites du domaine de l’intention. Il reporte donc le débat au niveau du couple conséquences intentionnées – conséquences inintentionnées. Il peut alors considérer une frappe nucléaire contre-forces comme moralement acceptable, malgré les retombées possibles sur la population civile, pourvu que celles-ci demeurent dans les limites de ce qu’exige le critère de proportionnalité. L’objectif de Ramsey est de définir une stratégie de dissuasion nucléaire qui soit à la fois crédible et moralement légitime. Selon son hypothèse, « une dissuasion légitime est l’effet indirect des effets indirects inévitables (les dommages collatéraux infligés aux populations civiles) d’un emploi des armes nucléaires dont les cibles seraient définies de manière appropriée et qui serait donc juste dans ses intentions et dans sa conduite »39. Mais comme le fait remarquer Robert Tucker dans son commentaire, si l’on sait que, de l’usage des armes s’ensuivra inévitablement un « double effet », d’une part la destruction des forces ou du potentiel économique de soutien ennemi – intentionnée –, d’autre part la destruction de sa population civile – non intentionnée –, quel critère permet de juger de l’intention, sinon le résultat quantitatif de l’acte40 ? Walter Stein résume ainsi l’ambiguïté majeure du raisonnement de Ramsey : « L’erreur décisive dans l’argumentation de Ramsey tient à la dépendance de sa soi-disant, dissuasion collatérale, (collateral deterrence) par rapport à des effets essentiels aux objectifs de la stratégie, directement indispensables, profondément souhaitables, et qui doivent cependant être sanctionnés comme effets collatéraux »41. Ainsi, le souci de Ramsey de définir une stratégie qui laisserait sauf le principe de discrimination des populations civiles semble-t-il conduire à sa négation même. La stratégie de “counterforce plus avoidance” qu’il préconise paraît peu apte à résoudre le problème moral de la dissuasion nucléaire.
17Le dilemme est fondamentalement le suivant : pour que la dissuasion nucléaire soit crédible et par là même, efficace, ne doit-elle pas menacer l’adversaire potentiel d’un risque incalculable ? Cette incalculabilité du risque qui est un de ses éléments essentiels, est liée en particulier à la possibilité d’« escalade » du conflit. Il s’ensuit que la dissuasion qui paraît la plus sûre est aussi celle qui menace de la destruction la plus grande ou qui porte le plus haut risque d’escalade à partir d’une guerre conventionnelle42. Une dissuasion qui reposerait sur la simple possession des armes nucléaires serait-elle envisageable ? Paul Ramsey avait initialement considéré la possibilité d’un « bluff » nucléaire, mais il s’est ensuite distancé de cette solution qui lui paraissait à la fois peu crédible, irréaliste et moralement insatisfaisante43.
18Certains auteurs ont voulu réagir à la tendance de plus en plus nette de la théologie de la guerre juste à s’identifier au critère de discrimination. C’est le cas en particulier du juriste catholique William O’Brien qui, en cherchant à réhabiliter la réflexion sur le “jus ad bellum”, met en même temps l’accent sur le critère de proportionnalité44. En effet, les moyens employés ne trouvent leur signification ou leur limitation qu’en fonction des objectifs que l’on se fixe. O’Brien cherche à replacer au cœur des débats la préoccupation de justice, de plus en plus marginalisée au cours des siècles. Cependant ses efforts, davantage encore que ceux de Ramsey, restent centrés sur la définition d’une stratégie qui se donnerait les moyens de mener une guerre limitée et donc morale. Ainsi ne parvient-il pas réellement à sortir du cadre du “jus in bello”.
19Dans l’ensemble de ces discussions, l’accent mis sur les critères de discrimination et de proportionnalité dans la conduite de la guerre tend à faire oublier une des composantes essentielles de la dissuasion, qui est son aspect politique. L’objectif de la dissuasion est avant tout d’instaurer un certain rapport de force entre des puissances antagonistes dont aucune n’est capable d’imposer définitivement sa volonté à l’autre. La construction d’un arsenal nucléaire, malgré les dangers qu’il comporte, a pour but d’éviter un mal estimé supérieur, en l’occurrence l’occupation armée venant de l’extérieur et l’imposition de valeurs étrangères. La détention d’armes nucléaires est alors considérée comme le moindre entre les deux maux que représentent leur probabilité d’emploi modulée par leur puissance de destruction d’une part, les conséquences désastreuses de leur abandon unilatéral d’autre part. Cette seconde approche, qui repose sur l’évaluation comparative de deux situations politico-militaires jugées insatisfaisantes, fait abstraction de la destination opérationnelle des armes et permet de faire l’économie de critères absolus comme celui de discrimination des populations civiles. Elle a cependant l’inconvénient de séparer artificiellement les fins recherchées par la dissuasion et les moyens que l’on se propose d’utiliser pour y parvenir. D’une certaine manière, « la fin justifie les moyens ».
20Si certains penseurs commencèrent à traiter de l’aspect politique des armements nucléaires au tournant des décennies 1950-6045, cette composante fut largement laissée sous silence dans toute la première phase de discussion éthique à leur sujet dans les milieux catholiques – aussi bien que protestants. Bien que sous-jacente, elle n’était pas thématisée en tant que telle.
21Les traits dominants des premiers débats sur les armes nucléaires restent donc les suivants : 1) l’utilisation d’une méthode de jugement de la dissuasion identique à celle du jugement de l’emploi des armes ; 2) l’accent mis sur le critère de discrimination et sur un concept de proportionnalité généralement limité aux dommages matériels de la guerre ; 3) la définition de stratégies dites « morales » qui seraient basées essentiellement sur la contrôlabilité technique de l’arme nucléaire. A ces constatations, on peut avancer quatre types d’explications : 1) l’incertitude et les tâtonnements des stratèges à la recherche d’un concept de dissuasion nucléaire crédible ; 2) leur recherche d’une alternative à la doctrine des « représailles massives » sous la forme d’une guerre limitée ; et plus précisément dans les milieux catholiques ; 3) l’influence des textes pontificaux mettant l’accent sur la condition de contrôlabilité ; 4) la tendance générale à isoler le discours sur la guerre juste de l’appréciation des systèmes politiques dans leur globalité.
22L’insuffisance de la théologie classique lorsqu’il s’agit de juger de la dissuasion nucléaire a été clairement perçue par le Concile dont les déclarations en la matière se caractérisent par une extrême prudence. En même temps, il apparut nécessaire de dépasser cette approche essentiellement négative par une vision plus positive de l’ordre international capable de maintenir la paix.
II. Vatican II sur la guerre et la paix
1. Vatican II et la guerre
23Le document conciliaire traite de la guerre dans son chapitre v (GS § 79-82), dont nous nous bornerons à rappeler les innovations par rapport à l’approche classique. La singularité de “Gaudium et Spes”, en comparaison avec les discussions antérieures, est d’avoir dissocié les questions d’usage des armes et de dissuasion nucléaire.
241) L’affirmation la plus souvent citée en ce qui concerne l’emploi de la force armée est certainement la suivante :
Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation (GS § 80.4).
25Cette formule appelle deux types de commentaires. En premier lieu, elle doit être rapportée à l’appréciation traditionnelle du “jus in bello”. Certains auteurs y ont vu une réaffirmation inconditionnelle du principe de discrimination prononcée avec une vigueur sans précédent46, alors que d’autres la situaient dans la logique d’un principe de proportionnalité47. Le contexte mentionne les « actes belliqueux » qui « lorsque l’on emploie de telles armes, peuvent en effet causer d’énormes destructions, faites sans discrimination, qui, du coup, vont très au-delà des limites d’une “légitime défense” » (GS § 80.1). Le critère déterminant paraît ici être la proportionnalité, mais en réalité, la discrimination en est posée comme l’une des conditions48. A l’affirmation traditionnelle de l’inviolabilité des vies innocentes, il faut ajouter que l’Eglise ne peut guère se situer en-deçà des règles du droit international en vigueur, qui prohibent les destructions massives de populations civiles en cas de conflit49. En même temps, elle n’a jamais posé la préservation de la vie physique comme un absolu50 et l’intégration du critère de discrimination dans la « tradition » de la guerre juste est disputée à cause de son origine récente et de son caractère de droit positif51. Préalablement à l’application du principe se pose toute une série de questions définitionnelles portant sur l’« intentionnalité directe » de l’attaque, la qualité de « non-combattants » des personnes et d’« objectifs non-militaires » des installations visées52. Paul Ramsey a vigoureusement souligné le besoin d’une distinction entre les deux concepts, toute destruction indiscriminée n’étant pas nécessairement disproportionnée et une destruction pouvant être disproportionnée sans être nécessairement indiscriminée53. La modulation de l’impératif de discrimination par le critère de proportionnalité rend son utilisation très délicate. Nous n’entrerons pas ici dans des discussions détaillées à propos de l’articulation des deux critères54. Il suffit pour l’instant d’indiquer que les adversaires de l’arme nucléaire tendent à absolutiser le principe de discrimination, alors que ses partisans ont recours de préférence à un examen de proportionnalité.
26Le Concile pour sa part – et c’est sa seconde caractéristique – se refuse à faire un cas particulier des armes nucléaires, contrairement à ce qu’auraient souhaité certaines tendances au sein de l’Eglise55. Il condamne un type de guerre, à cause de ses effets, et non pas une arme singularisée56.
272) La dissuasion n’est pas traitée conjointement avec la guerre mais avec la course aux armements57. Elle fait l’objet d’une définition très générale qui renvoie à une « capacité foudroyante d’exercer des représailles » et à une « accumulation d’armes » (GS § 81.1) destinée à empêcher la guerre, sans que l’on sache très bien par quel mécanisme. Le Concile se situe d’abord en prudent observateur de la dissuasion. Il constate que :
Beaucoup pensent que c’est là le plus efficace des moyens susceptibles d’assurer aujourd’hui une certaine paix entre les nations (GS § 81.1)58.
28Mais il s’enhardit ensuite en déclarant :
Quoi qu’il en soit de ce procédé de dissuasion, on doit néanmoins se convaincre que la course aux armements,... ne constitue pas une voie sûre pour le ferme maintien de la paix et que le soi-disant équilibre qui en résulte n’est ni une paix stable, ni une paix véritable (CY § 81.2).
29Affirmer que la dissuasion ne constitue par une « paix stable » relève encore du registre de la constatation, mais souligner qu’elle n’est pas une « paix véritable » et qu’elle « ne constitue pas une voie sûre » pour une solution durable du problème de la paix est déjà l’embryon d’un jugement moral. La déclaration conciliaire introduit, quelques alinéas plus bas et sans la lier directement au concept de dissuasion, une notion de délai (GS § 81.4), qui sera reprise plus tard par Jean-Paul II (Cf. infra). Elle se refuse cependant à porter un jugement définitif sur la dissuasion nucléaire59. Temporairement, l’arme nucléaire, dans la mesure où elle peut contribuer à la dissuasion, ne peut être bannie. Seul son usage indiscriminé le serait. “Gaudium et Spes” sous-entend la bonne volonté des Etats de ne pas utiliser les armes qu’ils accumulent à des fins de dissuasion, alors que l’encyclique “Pacem in Terris”, publiée à l’époque des premières discussions du Concile, leur faisait explicitement crédit sur ce point60. Parallèlement, la prérogative étatique du recours à la défense armée est rappelée (GS § 79.4), mais sans être assortie de la traditionnelle « présomption de droit » de l’Etat.
303) Cette omission est à rapprocher d’une des innovations fondamentales du Concile : la reconnaissance de la légitimité de l’objection de conscience au service militaire. Le texte ne se limitait pas seulement à autoriser une objection sélective, découlant du principe classique de la primauté de la conscience, mais il prévoyait la possibilité d’une objection générale, toutefois modulée par l’exigence de la poursuite du bien commun61. Celle-ci fait pendant à l’éloge de la non-violence, qui est considérée comme un moyen de défense légitime. Cette affirmation ne faisait sans doute pas l’unanimité parmi les Pères conciliaires62. Cependant, on voit par là se dessiner une évolution cherchant à briser le cercle vicieux auquel a conduit le raisonnement casuistique traditionnel. Ainsi, Vatican II préconise-t-il de « considérer la guerre dans un esprit entièrement nouveau » (GS § 80.2). Ceci implique en premier lieu de rétablir un lien entre les discours sur la guerre et la paix, depuis longtemps séparés et en même temps, de renouveler la discussion sur les fins, évacuée au cours des siècles au profit de l’argumentation sur les moyens.
2. Vatican II et le contexte politique de la guerre
31Les Pères du Concile, en disant leur espoir qu’un jour la guerre « pourra être absolument interdite », déclarent que :
Ceci, assurément, requiert l’institution d’une autorité publique universelle, reconnue par tous, qui jouisse d’une puissance efficace, susceptible d’assurer la paix à tous, la sécurité, le respect de la justice et la garantie des droits (GS § 82.1).
32Avant d’examiner le sens de cette affirmation, revenons brièvement sur ses fondements.
a. Les fondements
33L’affirmation de l’existence d’une « famille humaine » (GS § 24, § 75.4), est depuis longtemps l’un des postulats du droit naturel. Elle superpose à la tradition stoïcienne de « société commune du genre humain », fondée sur l’universalité de la raison, l’idée chrétienne de fraternité des hommes, tous même Père63 ayant même origine et même fin. La base sur laquelle l’Eglise assoit son hypothèse de structuration progressive de la société internationale est très proche de celle qui conduisit au xvie siècle au développement du droit des gens. L’idée de droit naturel, commun à tous les hommes, en est un élément essentiel64. La rupture de la communauté humaine – qui est aussi rupture avec Dieu – du fait du péché, doit être dépassée dans un processus de « reconnaissance » mutuelle auquel Hegel donnait pour fondement l’amour préconisé par le message chrétien65. De ce fait, la réconciliation entre les hommes sera aussi réconciliation avec Dieu.
34Dans la pratique, après l’extinction du mythe de l’unité et de la paix universelle apporté par l’Empire chrétien, il fallut attendre le xvie siècle pour que réapparût l’idée d’une « unité politique de l’univers », en lien avec les premières ébauches du droit des gens. Mais elle était vouée à demeurer en tension permanente avec l’assertion de la souveraineté des Etats naissants. Le premier, Vitoria a senti que ce conflit n’était pas sans conséquences sur la théologie de la guerre. Il en tirait la conclusion :
Puisqu’un Etat est une partie de l’ensemble de l’Univers, si une guerre est utile à un Etat, mais au détriment de l’Univers, je pense que de ce fait, la guerre est injuste66.
35Mais ce généreux postulat fut battu en brèche tout au long des siècles suivants, qui virent l’affirmation des Etats souverains et le développement des nationalités, alors que de son côté, l’Eglise s’identifiait au pouvoir politique ou au contraire, rejetait toute forme de responsabilité dans la sphère publique67.
36Pourtant, au début du xxe siècle, l’Eglise ne sut pas reconnaître dans la Société des Nations la traduction concrète des principes qu’elle proclamait en théorie. Elle y vit une sorte d’internationale laïque qui prétendait ériger une communauté des peuples sur la base de principes qu’elle n’avait cessé de condamner68. L’accueil réservé par Pie XII à l’Organisation des Nations Unies fut beaucoup plus enthousiaste. Avant même la fin de la guerre, il exprimait son soutien au nouveau projet d’organisation de la communauté internationale, tout en affirmant que « l’avenir de la paix dépend de la reconnaissance [du] principe » selon lequel « l’ordre absolu des décrets divins que Nous avons maintes fois recommandés inclut aussi une exigence morale et, comme couronnement du développement social, l’unité du genre humain et de la famille des peuples »69. La vision d’un monde mu par des principes chrétiens, conformes au droit naturel, marque l’ensemble des proclamations de Pie XII sur la communauté internationale, de même que sur la construction européenne70. Ainsi le pape va-t-il jusqu’à déclarer :
Si l’humanité, se conformant à la volonté divine, applique ce moyen sûr de salut qu’est le parfait ordre chrétien dans le monde, elle verra bien vite s’évanouir pratiquement jusqu’à la possibilité de guerre, même juste, qui n’aura plus aucune raison d’être du moment que sera garantie l’activité de la Société des Etats comme véritable organisation pour la paix71.
37Pourtant, à la même époque, l’Eglise n’a de cesse de réaffirmer le principe de souveraineté de l’Etat, en particulier sous la forme de sa prérogative la plus essentielle : le recours à la force pour des besoins de légitime défense72. On croit pouvoir résoudre la difficulté de compatibilité entre les, deux thèses par un recours au principe de « subsidiante » qui, de même qu’il s’applique dans les rapports de la société civile à l’Etat, serait également valable dans les relations de l’Etat à une éventuelle autorité internationale73. Toutefois Pie XII reste prudent : il n’emploie pas directement ce terme74.
b. Le concept d’ordre international dans “Gaudium et Spes”
38Sur la base du tournant déjà amorcé par Pie XII, Jean XXIII fut le premier pape à réclamer la « constitution d’une autorité publique de compétence universelle » au nom de « l’ordre moral » dans son encyclique “Pacem in Terris”75.
39On lui a alors reproché d’ignorer les phénomènes de pouvoir et de faire fi du « réalisme » dont se targue traditionnellement l’Eglise. Le Concile a pris acte de ces critiques, si bien qu’il reste plus circonspect dans sa mention de « l’autorité publique universelle » comme moyen d’abolir la guerre et met immédiatement l’accent sur le désarmement, dévolu aux institutions internationales existantes (GS § 82.1). Il intègre par contre largement la rhétorique onusienne de l’interdépendance lorsqu’il vient à traiter des matières économiques (GS § 83-87). Les injustices économiques sont décrites comme une des premières « causes des discordes entre les hommes » et de là, l’une des principales causes de guerre (C75 § 83.1). Il convient donc de les éliminer si l’on veut construire une communauté internationale pacifique. Ici apparaît l’un des thèmes qui feront école dans la littérature aussi bien religieuse que profane à partir des années 1960 : l’affirmation d’un lien entre le sous-développement et les conflits, – et en corollaire, entre le développement et le désarmement – sans que soient toujours détaillées leurs multiples composantes et ramifications, ou prises en compte les données politiques en jeu.
40La principale critique que l’on peut adresser à la vision conciliaire de l’ordre international est analogue à celle que le juriste allemand Hans Barion dirigeait contre la théorie de l’Etat proposée par “Gaudium et Spes”76. Les Pères du Concile – tout comme Jean XXIII – n’essaient pas d’expliquer par quel mécanisme les communautés politiques, organisées en Etats, pourraient s’agréger pour déférer le pouvoir à une autorité internationale. L’existence de celle-ci n’est supposée que sur la base d’un postulat théologique : l’unicité de la famille humaine, et plus timidement, sur la base de la constatation empirique d’une interdépendance entre les nations77. Mais il manque un fondement philosophique pratique qui puisse faire le lien entre le passage de la souveraineté étatique à une souveraineté (totale ou partielle) internationale, au-delà du simple agrégat des individus isolés. L’Eglise tend à céder à la double tentation du mythe de la fraternité universelle, qui déplace l’eschatologie au niveau du monde concret, et de la rationalité organisatrice universelle, propre aux théories fonctionnalistes du politique78. L’hypothèse d’une souveraineté internationale qui ferait du droit la solution universelle de tous les conflits, conduirait à une négation du politique et de la nécessité de négociation permanente qu’il implique. Elle serait une utopie ou risquerait de dégénérer en despotisme79. Rien ne garantit que l’usage de la force serait rejeté en cas d’existence d’une autorité internationale, comme semble le supposer le texte conciliaire (GS § 79.4, 82.1). Cette autorité aurait toujours un pouvoir de coercition, incluant l’usage éventuel de la violence armée. La guerre ne disparaîtrait pas en tant que telle, à moins que l’on puisse prouver qu’elle montrerait nécessairement plus de modération, plus de sagesse dans l’emploi de la force que l’Etat lui-même. Il faudrait au préalable redonner au « droit des gens » la primauté qui lui a peu à peu échappé au profit du droit des Etats, ce qui demanderait une réflexion sur les bases sociologiques d’une communauté politique à l’échelon universel80.
41La seconde fonction d’une éventuelle autorité universelle, l’instauration d’une plus grande justice entre les nations (GS § 83-84), qui limiterait ou éliminerait les causes de la guerre, paraît plus réaliste. Il faut remarquer que le Concile ne lie pas directement la question de l’injustice internationale à celle de la rivalité entre grandes puissances – sur laquelle il reste étonnamment discret –, semblant ainsi vouloir souligner une certaine indépendance entre les dimensions Est-Ouest et Nord-Sud des relations internationales81. Mais il demeure très proche du postulat optimiste des années 1960, selon lequel la coopération internationale permettrait de résoudre à courte échéance le problème du sous-développement et d’éliminer les conflits interétatiques82.
c. Renouveau du discours sur la paix
42Avec Pie XII et plus encore avec Jean XXIII et le Concile, le discours politique de l’Eglise sur la guerre et la paix connaît un profond renouveau. Alors que le discours sur la guerre était toujours resté politique, le discours sur la paix avait eu tendance à se réduire peu à peu à une dimension spirituelle par soustraction au jugement éthique d’une grande part de la décision de l’autorité politique. Ainsi, la notion augustinienne de la paix comme « tranquillité de l’ordre »83 a-t-elle plus souvent servi dans l’histoire à ratifier le conservatisme politique existant qu’à promouvoir une transformation des structures.
43A l’époque contemporaine, l’Eglise tente de se démarquer de 1’« éthique pour cas limites » de la scolastique et de la néo-scolastique pour revenir au concept thomiste de la paix comme « œuvre de la justice ». Sans doute cette réorientation se trouve-t-elle en accord avec les grands courants de la pensée moderne. Peu à peu on se rend compte, surtout à partir du début des années 1960, que l’absence de guerre n’équivaut pas à la paix. La prise de conscience de la persistance, voire de l’accroissement des inégalités entre mondes riche et pauvre prend une place déterminante dans l’analyse des réalités internationales. Si les termes de « violence structurelle », de « paix positive »84 ne sont pas encore définis, les idées qu’ils véhiculent sont déjà présentes dans le débat éthico-politique.
44Dans le milieu catholique, la réorientation de la réflexion sur la paix a été préparée par de nombreux penseurs depuis 194585. Au cours des années 1960 et 1970, l’idée de paix comme « œuvre de la justice », véhiculée par de nombreux documents ecclésiaux86 n’a eu aucune difficulté à s’intégrer aux revendications pour une plus grande justice internationale alors formulées dans de multiples forums internationaux87. Plus tard, à partir du milieu de la décennie 1970, alors que l’attention générale se tourne vers la cause des droits de l’homme, l’Eglise participe également de cette réorientation. L’élection d’un pape originaire d’un pays socialiste n’y est certainement pas étrangère. Le processus d’Helsinki, aussi bien que la dégradation du climat international en 1979-80, trouvent leur résonance dans le discours catholique.
45Il faut remarquer que l’évolution du contenu n’entraîne pas nécessairement un changement du discours. A tout moment, il est possible de revenir à la paix comme “tranquilitas ordinis” en définissant l’« ordre » comme toute organisation des rapports politiques et sociaux qui assure la justice entre ses membres ou le respect des droits de l’homme. Ainsi, une certaine philosophie du droit naturel qui dit rarement son nom continue-t-elle à nouer le discours du Concile, comme celui des papes qui l’ont suivi. Pour le premier,
La paix est le fruit d’un ordre inscrit dans la société humaine par son divin fondateur et qui doit être réalisé par des hommes qui ne cessent d’aspirer à une justice plus parfaite (GS § 78.1).
46Pour Jean-Paul II, reprenant une affirmation de Paul VI,
La paix ne se réduit pas à l’absence de guerre, fruit de l’équilibre toujours précaire des forces. Elle se construit jour après jour, dans la poursuite d’un ordre voulu de Dieu, qui comporte une justice parfaite entre les hommes88.
47Les concepts de base demeurent, mais la réalité qu’ils recouvrent a profondément changé.
48Le discours contemporain de l’Eglise sur la paix est très marqué par la philosophie des droits de l’homme de Jean-Paul II. Le pape des années 1980 part d’une anthropologie biblique pour définir la place de l’homme et le sens de son activité dans l’univers (Cf. Chap. i). Il s’appuie pour cela sur l’idée de l’homme « image de Dieu », centrale au texte conciliaire “Gaudium et Spes”89. Conformément à la tradition, le pape postule que la paix totale est inaccessible sur cette terre à cause du péché qui a rompu l’unité de l’homme avec Dieu, unité fondatrice de l’intégrité de l’homme dans la vérité90. Cependant, la réconciliation apportée par le Christ offre la possibilité de surmonter cet état de rupture. Donc la paix est possible – c’était le leitmotiv des discours de Paul VI –, la guerre n’est pas une fatalité91. De plus, le salut chrétien s’adressant à l’homme dans sa totalité, la paix n’a pas seulement une dimension spirituelle :
Elle résulte du dynamisme des volontés libres, guidées par la raison vers le bien commun à atteindre dans la vérité, la justice et l’amour. Cet ordre rationnel et moral s’appuie précisément sur la décision de la conscience des êtres humains à la recherche de l’harmonie dans leurs rapports réciproques, dans le respect de la justice pour tous, et donc des droits humains fondamentaux inhérents à chaque personne92.
49L’approche de Jean-Paul II, qui fait ultimement reposer la paix sur l’accès à la vérité dans sa dimension transcendante, semble donc essentiellement spirituelle et, par certains aspects, plutôt individuelle, en comparaison de l’élargissement qu’avait voulu opérer le Concile. Cependant les implications politiques en sont évidentes dans la mesure où l’exigence du respect de la liberté de conscience et de la liberté religieuse en sont un corollaire immédiat. Le pape lui-même n’hésite pas à les formuler dans des circonstances où son discours aura la plus large audience. Le thème de la « vérité, source de paix » et, en conséquence, le rejet des idéologies qui déforment cette vérité ou en interdisent l’accès est récurrent dans ses « messages pour la journée de la paix »93. Parmi ces idéologies, il dénonce en particulier celles qui répandent l’idée que « l’homme et l’humanité entière réalisent leur progrès par la lutte violente » et ont « cru pouvoir le vérifier dans l’histoire »94. Bien qu’il se garde de toute condamnation spécifique, l’inflexion de son discours sur les droits de l’homme ne pourra manquer d’avoir des répercussions sur ses propres prises de position et sur celles de l’Eglise tout entière sur la paix dans les relations Est-Ouest.
50Ces évolutions théoriques générales se traduisent de manière différente à chaque niveau national, lorsqu’il s’agit de juger concrètement de la prérogative étatique de recourir à la force ou d’en menacer pour faire valoir sa souveraineté. Un rappel historique succinct des attitudes catholiques à l’égard des questions de la guerre, de la paix et de l’armement permettra de situer le terrain sur lequel ont pris naissance les déclarations épiscopales de 1983 dans les trois pays considérés.
III. Panoramas nationaux
51L’attitude des catholiques à l’égard des problèmes concrets de la guerre et de la paix ne peut être séparée du contexte global des relations Eglise-Etat dans chaque pays. Celles-ci ayant connu une évolution spécifique dont les dates charnières sont différentes dans chaque cas, nous renonçons à fixer pour notre survol un point de départ unique. L’unité de l’approche sera reconstituée par l’accent mis sur la période la plus récente.
1. L’Allemagne
52Pour l’Allemagne, le tournant historique, c’est bien sûr 1945 : tout est à repenser après la débâcle hitlérienne, de l’organisation économique au régime politique, en passant par les rapports sociaux, les fondements idéologiques, l’éducation et les buts collectifs. Dans cette phase de reconstruction, les Eglises jouent un rôle important pour plusieurs raisons. Elles sont les seuls groupements à être sortis quasi indemnes de la tempête, l’Eglise catholique encore davantage que son homologue protestante car elle jouissait des garanties que lui apportait le Concordat passé avec le régime en 193395. Elles bénéficient d’une mesure de crédibilité assez élevée aux yeux d’une majorité de la population à cause de la participation d’un nombre non négligeable de leurs fidèles et de certains de leurs prélats à la résistance contre le régime hitlérien96. Enfin elles apparaissent à beaucoup comme le seul asile spirituel – même si le phénomène fut très limité dans le temps – après la dérive idéologique du nazisme. Pendant la période 1945-49, les Eglises furent donc les seules forces sociales constituées pouvant servir à la fois de pôle de rassemblement et de porte-paroles chargés de faire valoir les revendications de la population auprès des puissances occupantes97.
53Ainsi la conjoncture incitait-elle l’Eglise catholique à penser qu’un rôle particulier lui incombait dans la reconstruction du pays. Elle était décidée à se donner les moyens de mener à bien cette mission. Certains acquis ne pouvaient être remis en cause, comme la collaboration entre catholiques et protestants qui s’était développée pendant la guerre pour lutter contre le régime nazi. Aussi jugea-t-elle plus judicieux d’encourager la création d’un parti biconfessionnel, plutôt que d’essayer de ressusciter l’ancien „Zentrum“ qui avait fait la preuve de son impuissance devant la montée du totalitarisme98. En même temps, elle chercha à rassembler ses troupes sous la bannière de l’Action Catholique afin d’éviter la fragmentation dont avait été victime le catholicisme sous la République de Weimar à cause de la toute puissance des « ligues » („Verbände“) qui avait interdit la constitution d’un front commun face à l’hitlérisme. Cette initiative n’ayant pas connu le succès escompté à cause de son caractère artificiel par rapport aux structures sociales, il parut préférable de coordonner l’ensemble des organisations laïques catholiques dans un organisme qui regrouperait pour moitié des représentants des diocèses et pour moitié des représentants des „Verbände“99. Ce fut fait par l’intermédiaire de la recréation du Comité Central des Catholiques Allemands (Zentralkomitee der deutschen Katholiken) en 1952, qui sous l’impulsion du Père Böhler, une des figures marquantes du catholicisme allemand de l’après-guerre100, fut amené à jouer un rôle essentiel dans l’expression politique des catholiques. A l’initiative de Böhler fut également créé dès 1949 un „Katholisches Büro“, organisé sur le plan fédéral et des Länder afin d’assurer un processus de consultations continues entre hiérarchie catholique et instances gouvernementales, alors que le „Kirchenpolitisches Gremium“ et le „Katholischer Klub“ permettaient des contacts plus informels101. Notons pour terminer la création de l’agence de presse KNA (Katholische Nachrichtendienst Agentur) qui fournit un instrument de communication et de rayonnement puissant à l’Eglise catholique à partir de 1952.
54L’objectif des évêques dans les années de reconstruction était à la fois d’obtenir la garantie d’un certain nombre de droits pour l’Eglise, droits qui, malgré le Concordat, avaient été grignotés peu à peu par le régime, et d’assurer à l’Allemagne une constitution démocratique qui excluerait à jamais une retombée dans la barbarie nazie. Pour de nombreux prélats, ces deux buts ne faisaient qu’un dans la mesure où ils voulaient fonder la Constitution fédérale („Grundgesetz“) sur les postulats du droit naturel chrétien102 qui, comme s’était empressé de le déclarer Pie XII en 1944, constituaient les garanties les plus irréprochables du respect de la démocratie et des libertés103. Bien que n’ayant pas obtenu satisfaction sur le premier objectif, les évêques décidèrent de donner leur aval à la Loi Fondamentale104. A partir de là put se développer une coopération étroite entre hiérarchie catholique et pouvoir politique.
55Même si la CDU, sous la direction d’Adenauer, prit soin de garder constamment une certaine distance vis-à-vis de l’épiscopat105, il n’en reste pas moins que le parti confessionnel apparaissait comme le garant le plus sûr de la concrétisation des valeurs chrétiennes dans le domaine politique106, ainsi que le plus solide rempart contre la menace communiste, très vivement ressentie à partir de 1948. Le soutien apporté à la politique d’Adenauer apparut très nettement à l’occasion du débat sur le réarmement107. D’une majorité hostile au réarmement de l’Allemagne en 1948108, les catholiques se transformèrent en quelques années en supporters convaincus d’une participation allemande à sa défense armée109. Bien que le développement de la guerre froide ait pu modifier les convictions de plus d’un, il semble que l’épiscopat ait joué un rôle moteur dans ce retournement. La prédication du Cardinal Frings en juillet 1950, reprenant et concrétisant le message diffusé par Pie XII pour Noël 1948110, mit en mouvement une cascade de ralliements parmi les associations et la presse catholiques, si bien que la nécessité d’une armée allemande n’était plus rejetée que par une frange marginale du catholicisme à la fin de l’année 1952111. A partir de cette date, la discussion s’orienta vers la définition des principes de l’„Inneres Gefüge“ (ou „Innere Führung“) qui visaient à énoncer les conditions dans lesquelles l’armée – dont la constitution n’était pas encore formellement décidée – pourrait à la fois autoriser un maximum de libertés à ses soldats et ne pas constituer un danger pour la démocratie112. L’acceptation du réarmement allemand par de nombreux catholiques avait été motivée par la promesse, qui en était aussi une condition, de l’intégration de la future armée à une structure atlantique (selon le plan américain discuté à la réunion des Ministres des Affaires Etrangères des trois puissances occidentales occupantes du 12 au 26 septembre 1950) ou européenne (selon le plan Pleven, présenté le 24 octobre 1950) dans laquelle elle ne serait qu’un contingent dépourvu de commandement autonome. L’idée d’intégration européenne, alors très fortement encouragée par les déclarations pontificales, exerçait une attraction certaine sur un grand nombre de catholiques. La question de sa compatibilité avec l’objectif de réunification de l’Allemagne fut consciemment ou inconsciemment rejetée par une partie de l’opinion qui voulait croire que les deux étaient encore possibles simultanément113. Il est évident que pour la CDU, l’intégration au bloc occidental et la reconnaissance de l’Allemagne comme nation démocratique au sein de celui-ci avait la priorité sur la réunification. L’épiscopat tendait à s’associer à cette vision des choses à cause de sa crainte du communisme114 et parce qu’il partageait la méfiance toute rhénane d’Adenauer envers une culture prussienne étrangère au catholicisme depuis bien avant le „Kulturkampf“. Cette tendance prévalut au sein de l’Eglise catholique, si bien que le principe du réarmement et de l’intégration au bloc occidental fut retenu, même en l’absence de concrétisation de l’idée européenne115.
56Les années qui suivirent confirmèrent la participation pleine et entière des catholiques à la vie politique et sociale de la nation116 et l’intérêt qu’ils portaient à la défense des valeurs constitutionnelles à l’intérieur et à leur affirmation vis-à-vis de l’extérieur. Dans le débat sur les armements nucléaires des années 1958-60, déjà évoqué, seul un petit noyau parmi les catholiques, le même qui s’était déjà opposé au réarmement allemand, semble avoir pris radicalement position contre l’équipement de la Bundeswehr en moyens atomiques117. Contrairement aux protestants qui harcelèrent le gouvernement d’interrogations éthiques, les catholiques restèrent dans leur ensemble étrangement silencieux à ce stade de la discussion118. La « déclaration des sept théologiens » (Cf. supra) put être interprétée comme un aval semi-officiel donné par la hiérarchie catholique à la politique de défense gouvernementale119. Elle venait à point pour soutenir le combat des politiciens en exercice contre « l’intrusion » des moralistes120. Par la suite, les catholiques remirent rarement en cause les politiques extérieure et de défense de leur pays121. Leur préoccupation semble être allée davantage dans le sens d’une « réconciliation » avec les peuples voisins, dont le mouvement Pax Christi s’est fait le plus ardent avocat122. Par ailleurs, nombre d’entre eux ont préféré mettre l’accent sur l’aide au développement, dans la foulée des déclarations pontificales et épiscopales de la fin des années 1960 et du début des années 1970123. La question de la défense à proprement parler ne fut abordée que par l’intermédiaire des discussions sur l’objection de conscience qui soulevèrent parfois des controverses acerbes124. Les évêques ne prirent pas directement position dans ce débat. Ils laissèrent au Synode général des évêchés allemands, qui se déroula de 1971 à 1975, le soin d’en tirer les conclusions. Bien que le service armé y soit reconnu et valorisé comme « service pour la paix », le document du Synode se montre particulièrement favorable aux doléances des objecteurs de conscience : il réclame une réforme libérale des modalités de reconnaissance de l’objection ainsi qu’un élargissement matériel des possibilités d’accomplir un service civil et retient la thèse d’une complémentarité parfaitement symétrique des deux services125.
2. Les Etats-Unis
57Comme celle de leurs corréligionnaires allemands, l’attitude des catholiques américains à l’égard de la politique extérieure et de l’engagement armé de leur gouvernement fut étroitement dépendante de la place qu’ils occupaient dans la nation. Seulement, celle-ci était fondamentalement différente. Jusqu’au milieu du xxe siècle, ils se sont rarement distingués par des prises de position originales nées de leur appartenance à une communauté religieuse spécifique. Ils préféraient se consacrer au maintien de leur identité religieuse dans un environnement le plus souvent hostile, tout en travaillant d’arrache-pied à leur intégration à la nation américaine. Que ces deux buts n’aient pas été nécessairement compatibles fut largement prouvé au cours de l’histoire : certains groupes mirent l’accent sur la première option ; d’autres accordèrent priorité à la seconde. Le conflit entre les deux tendances atteignit son paroxysme à la fin du xixe siècle, au moment de la querelle entre ceux que l’on appela les « américanistes » – les partisans d’une adhésion pleine et entière aux principes fondateurs de la nation américaine – et ceux que l’on nomma, a contrario, les « anti-américanistes », pour qui l’acceptation de ces principes aurait entraîné la disparition de leur identité religieuse126. Malgré la condamnation pontificale en 1889 de « l’américanisme », faussement interprété comme un prélude à la contestation « moderniste » qui allait ébranler les certitudes théologiques européennes au début du siècle suivant127, la tendance à l’intégration comme fait social se développa de plus en plus largement. De fait, l’aspiration des catholiques à se débarrasser de leur image de « citoyens de deuxième classe » passait avant tout par leur promotion économique dans un système où la libre entreprise était devenue le credo commun. Aussi firent-ils porter leur effort dans cette direction, tout en prenant soin d’affirmer leur soutien à l’Etat dans sa politique extérieure. Ils appuyèrent la politique de neutralité américaine, puis l’engagement du pays dans la première guerre mondiale, développant un service particulièrement actif de secours aux blessés et d’encadrement civil de l’effort de guerre grâce à la création du “National Catholic War Council” (NCWC)128. Le NCWC, devenu “National Catholic Welfare Conference” en 1922 suscita un engagement très poussé des catholiques dans le domaine social entre les deux guerres sous l’impulsion d’hommes comme l’abbé John Ryan129. Cependant, les évêques évitèrent toute prise de position en matière de politique étrangère qui aurait pu les rendre suspects aux yeux de leurs concitoyens130.
58Lors du second conflit mondial, la loyauté prévalut encore parmi les catholiques lorsque fut prise la décision d’abandonner le traditionnel isolationnisme après l’attaque de Pearl Harbour, quoique leur anticommunisme ait nécessité une intervention de l’administration Roosevelt auprès du Vatican pour aider à surmonter les réticences à l’idée d’une alliance avec l’Union soviétique131. La “Catholic Association for International Peace” (CAIP), créée en 1928 par John Ryan, resta fidèle aux principes de la guerre juste. Une infime minorité de catholiques, pour la plupart issus du “Catholic Worker”132 de tendance pacifiste, essayèrent de faire valoir leur droit à l’objection de conscience ; ils ne rencontrèrent pas d’opposition de la part de la hiérarchie, ni non plus de soutien dans une situation difficile, dans la mesure où la loi n’envisageait pas qu’un catholique pût être objecteur de conscience133. Les évêques pour leur part restèrent dans leur majorité silencieux à l’égard des bombardements massifs de populations civiles (excepté dans le cas du bombardement de Rome en 1943) et après les événements de Hiroshima et Nagasaki, contrairement à certains théologiens et à une partie de la presse catholique134. Toutefois on note une plus grande réticence parmi les catholiques que dans l’ensemble de la population à l’égard de ces pratiques indiscriminées ainsi que de l’exigence de reddition inconditionnelle de l’Axe décidée à Casablanca en janvier 1943135.
59Après la seconde guerre mondiale, la CAIP appuya la politique gouvernementale de soutien à l’ONU et à la sécurité collective, ainsi que la décision de poursuivre le programme atomique, seul moyen de faire face à la menace que l’on pressentait du côté de l’Union soviétique à cause des persécutions croissantes dont étaient victimes les catholiques dans l’ensemble du bloc socialiste136. Un certain nombre de membres de ses comités consultatifs occupaient d’ailleurs des postes de responsabilité au sein des universités, du Département d’Etat, de l’Armée137. Contrairement à l’Allemagne, où les discussions sur la moralité des armes nucléaires s’appuyèrent sur les déclarations pontificales en la matière, le débat semble avoir été très limité et coupé de cette base aux Etats-Unis138. La tradition de la guerre juste était largement méconnue du catholicisme américain qui ne la découvrit que progressivement au cours des années 1960, en particulier à travers la réinterprétation qu’en fit Paul Ramsey139. Une exception pourtant à cette règle fut fournie par le jésuite John Courtney Murray, dont les écrits sur la guerre juste servirent d’interprétation quasi officielle de la doctrine catholique avant 1960140. Sa position à l’égard de la guerre nucléaire était entièrement cohérente avec son attitude envers le système politique américain. Murray est sans doute le théologien qui a fourni les justifications les plus poussées à l’intégration des catholiques dans le moule américain et à leur acceptation de ses principes fondateurs141. Ceci impliquait, entre autres, une non remise en cause des postulats de la politique extérieure, par laquelle s’affirmaient avec une particulière netteté les idéaux constitutifs de la nation. Murray fournissait ainsi le terrain sur lequel la défense des valeurs catholiques pouvait être assimilée au messianisme américain142. Bien sûr, cette tendance majoritaire avait ses dissidents, mais leur impact resta très limité, du moins jusqu’à la fin des années 1950. L’intervention américaine dans la guerre de Corée rencontra peu de résistances de la part des catholiques comme du reste de la population. Dans la première partie de la décennie, l’action du principal mouvement de paix catholique, le “Catholic Worker”, se résuma à la lutte contre l’anticommunisme virulent qui infiltrait alors l’ensemble de la société. C’est à partir de 1955 qu’il commença à développer les tactiques de résistance non-violente qui allaient connaître un grand succès quelques années plus tard avec le mouvement pour les droits civils et la protestation contre la guerre du Vietnam143. Le refus de l’entraînement de la population à la défense civile en cas d’attaque nucléaire marqua l’entrée du mouvement de paix catholique dans la protestation antinucléaire. Il mobilisa ses rangs jusqu’au moment où la préoccupation principale devint le refus de la conscription contre la guerre du Vietnam (1964)144.
60L’attitude des évêques américains dans les années 1960 fut déterminée par une référence abstraite à la théorie de la guerre juste, qui ne connut qu’une inflexion tardive dans son application pratique. Ainsi l’Etat a-t-il le droit de mener une guerre s’il s’estime en situation de légitime défense – ou pour assister un Etat allié qui l’appelle au secours – mais, conformément à la théorie traditionnelle, le catholique en tant qu’individu conserve la possibilité de refuser de lui apporter son concours en s’appuyant sur ce que lui dicte sa propre conscience145. En fait, la « présomption de droit » de l’Etat fut régulièrement invoquée pour justifier un refus de l’objection de conscience. Tel était par exemple le sens de l’intervention du Cardinal Spellman lors des discussions au Concile146. Le même Cardinal est également connu pour la motion qu’il rédigea contre la partie du document conciliaire traitant de l’arme atomique, motion dans laquelle il interprétait le texte comme une condamnation absolue de l’armement nucléaire et y faisait objection147. C’est cette attitude « dure » que l’on a retenue comme caractéristique des positions de l’épiscopat américain au Concile148. L’échec de la circulaire Spellman et surtout la reconnaissance de la légitimité de l’objection de conscience hors du cadre de la guerre juste furent considérés comme des victoires par les groupes et individus qui avaient exercé des pressions très fortes pendant toute la durée du Concile pour demander l’abandon de la théorie traditionnelle et la reconnaissance de l’option non-violente en référence directe à l’Evangile149.
61L’écart se creusa encore davantage entre une base de plus en plus engagée dans des mouvements de protestation contre la guerre du Vietnam et une hiérarchie le plus souvent effacée derrière quelques voix puissantes justifiant et appuyant la politique gouvernementale. L’action du “Catholic Worker” s’élargit à partir des années 1964-65 où elle se conjugua avec celle d’autres mouvements catholiques comme “Pax” et la “Catholic Peace Fellowship” pour organiser des actes de protestation et un réseau de soutien actif aux objecteurs de conscience. En 1966 fut fondé le mouvement “Clergy Concerned about Vietnam”150 à partir duquel se développa l’action de la “Catholic Left” qui connut son point culminant avec le procès des frères Berrigan en 1971-72151. Face à ces initiatives qui renouaient avec la tradition la plus radicale de la résistance civile américaine, les déclarations de l’épiscopat paraissaient bien timides152.
62Le 18 novembre 1966 une déclaration de l’Assemblée Plénière de l’Episcopat considérait comme justifiée la présence américaine au Vietnam, sans toutefois vouloir faire de ce jugement une règle obligatoire pour tout catholique, et demandait que soient recherchés d’autres moyens que la violence pour résoudre le conflit153. Un mois plus tard, les fruits de cette circonspection étaient réduits à néant par un discours prononcé à Saigon par le Cardinal Spellman. Le cardinal avait voulu apporter personnellement son soutien à ceux qui combattaient « pour la défense de la civilisation » et exprimait l’espoir « que la victoire nous soit bientôt acquise, cette victoire que nous appelons de tous nos vœux, au Vietnam et dans le reste du monde »154. L’ensemble des évêques préféra cependant poursuivre une politique de prudence qui le mettait à l’abri des accusations de déloyauté à l’égard de la patrie, tout en autorisant certaines concessions en faveur des opposants à la guerre, en particulier des objecteurs de conscience, de plus en plus nombreux. Le 15 novembre 1968 la lettre pastorale “Human Life in Our Day” demandait une modification du “Selective Service Act” afin d’autoriser l’objection de conscience sélective155. Un document de l’USCC156 faisait un pas de plus en mars 1971 en demandant la suppression du service militaire obligatoire après une période transitoire157. Ces exigences étaient reprises à leur compte par les évêques en octobre 1971158. Il fallut attendre la fin de la même année pour que la Conférence épiscopale se résolût à porter un jugement d’ensemble sur la guerre du Vietnam et à répondre négativement à la question de proportionnalité qu’elle s’était posée en 1968 :
Au point où nous en sommes, il nous paraît évident que tout le bien que nous pouvons espérer tirer de la poursuite de notre engagement dans cette guerre est aujourd’hui dépassé par la destruction des vies humaines et des valeurs morales qu’il occasionne159.
63Le retard avec lequel les évêques aboutirent à cette conclusion, en comparaison avec les dénonciations précoces de l’immoralité de la guerre par les pacifistes catholiques radicaux, devait enclencher au sein de l’épiscopat américain un processus de prise de conscience qui marquerait profondément son engagement sur les questions de paix et d’armement dans les années ultérieures.
64En 1976, la conférence catholique sur la justice rassemblant des délégués de tous les diocèses et de la plupart des organisations catholiques lançait un « Appel à l’Action » et à l’engagement, à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance américaine. En matière d’armes nucléaires, elle recommandait :
La condamnation par la communauté catholique de la « production, la possession, la prolifération et la menace d’utilisation des armes nucléaires et de toutes les autres armes à effet indiscriminé, même dans le cadre d’une politique de dissuasion » ;
L’adoption de la part des évêques d’un rôle de leadership dans la « défense de la vie, amenant le peuple des Etats-Unis à prendre conscience des questions morales relatives à la production et à l’utilisation de ces armes » ;
Le développement de « programmes d’éducation pour la paix » mettant l’accent sur « les dangers et le mal intrinsèques à la course aux armements et à une position militaire agressive du fait de la menace qu’elles représentent pour l’humanité »160.
65La même année, les évêques américains commencèrent à développer un enseignement original sur la guerre moderne et la dissuasion. En janvier, Mgr. Gerety, archevêque de Newark, présentait au nom de l’USCC une déposition devant le Comité des Affaires Etrangères du Sénat, dans laquelle il rappelait une fois de plus la condamnation de l’usage des armes nucléaires contre les centres de population – en conséquence de Vatican II. Quant à la dissuasion, il laissait ouverte la possibilité de sa légitimité comme le moindre entre deux maux, cette légitimité ne pouvant être que temporaire et conditionnée par la qualité des efforts pour promouvoir la limitation et la réduction des armements161. En novembre de la même année, la conférence épiscopale adoptait une lettre pastorale sur les « valeurs morales » contenant une affirmation marginale sur la dissuasion, dont on ne saisit pas toutes les implications à l’époque :
En tant que possesseurs d’un vaste arsenal nucléaire, nous devons également prendre conscience que non seulement c’est un mal que d’attaquer les populations civiles, mais même de menacer de les attaquer, dans le cadre d’une stratégie de dissuasion162.
66Cette proposition fut reprise et commentée par le cardinal Krol, archevêque de Philadelphie, dans une déposition faite au nom de l’USCC devant le Comité des Affaires Etrangères du Sénat en septembre 1979 pour soutenir la ratification du traité SALT II163. Le cardinal insistait sur l’importance de poursuivre des négociations sur la limitation des armements et ajoutait :
Si cet espoir venait à disparaître, il serait pratiquement inévitable que l’attitude morale de l’Eglise catholique évolue vers une condamnation sans compromis à la fois de l’usage et de la possession des armes nucléaires164.
67La volonté de la hiérarchie catholique de ne pas rester à l’écart de la discussion sur la dissuasion nucléaire devenait de plus en plus claire. Déjà, en novembre 1978, le Bureau administratif de l’USCC avait publié une déclaration enjoignant aux catholiques de prendre leurs responsabilités dans le débat public en matière de défense165.
3. La France
68A l’inverse de leurs homologues américains, les évêques français des années 1950-1970 donnent l’impression d’une beaucoup plus grande réticence à l’égard de l’institution militaire et de l’usage de la force armée. Une certaine méfiance réciproque avait caractérisé au xixe siècle les rapports mutuels entre l’Eglise et le corps des officiers, foyer traditionnel d’anticléricalisme. Le rapprochement qui s’était effectué à l’occasion de l’affaire Boulanger fut renforcé lors de l’affaire Dreyfus qui conforta l’alliance entre l’Eglise et l’Armée166. La première guerre mondiale, puis davantage encore la seconde, cimentèrent cette union, bien que les traces d’internationalisme « papiste » d’un côté, de républicanisme athée de l’autre ne permissent pas une coexistence sans heurts. L’ambiguïté de la relation Eglise-Armée ne faisait que refléter avec peut-être un peu plus d’intensité la difficulté des rapports de l’Eglise catholique avec le pouvoir politique. La querelle qui l’opposait à l’Etat républicain depuis sa naissance lors de la Révolution française avait été momentanément apaisée mais non pas totalement évacuée avec la Loi de Séparation de 1905. Au contraire, elle s’enflamma davantage pendant plusieurs années avant qu’une amélioration notable puisse se dessiner à partir des années 1920167. Malgré tout, une distance réservée resta de règle pendant plusieurs décennies. Contrairement à l’Allemagne, les politiciens chrétiens-démocrates n’ont jamais été assez nombreux, ni n’ont occupé des postes gouvernementaux pendant une durée assez longue pour que la hiérarchie catholique puisse songer à prendre appui sur eux pour promouvoir ses intérêts168. De plus, une suspicion latente régnait dans l’ensemble du monde catholique à l’égard de la démocratie chrétienne, accusée à droite d’un trop grand progressisme, à gauche d’une trop grande promptitude au compromis avec l’idéologie libérale. La réconciliation avec la démocratie devait se faire plutôt par le biais du développement de l’Action Catholique. Née dans l’entre deux-guerres, elle connut un regain de vigueur sous l’impulsion de penseurs comme Jacques Maritain169, et d’une presse active170. En même temps, le catholicisme français semble avoir profité de son indépendance à l’égard du pouvoir politique pour se diversifier très largement. Les années 1950 sont celles du développement d’un « catholicisme de gauche » autour des revues Témoignage Chrétien, Vie Nouvelle, Esprit171, de l’expérience des prêtres-ouvriers puis de la crise de ce mouvement en même temps que celle de l’Action Catholique172. Alors que la majorité des catholiques restait de tendance plutôt modérée et mettait l’accent sur le renouveau spirituel, se développait également à droite un courant intégriste nourri d’un anticommunisme virulent qui trouva des adeptes parmi les anciens officiers de la guerre du Vietnam173 et ne resta pas sans impact pendant la guerre d’Algérie.
69Les deux questions concrètes auxquelles se trouvaient confrontés les évêques étaient d’une part, les guerres coloniales, d’autre part, et plus tardivement, le développement d’une force nucléaire française indépendante. L’épiscopat français qui avait adopté très tôt une attitude de principe ouverte en matière de décolonisation174 est resté très discret quand il fallut en venir aux problèmes concrets. Contrairement aux vicaires apostoliques vietnamiens, qui prirent position dès 1945 en faveur de l’indépendance du territoire, la hiérarchie métropolitaine garda le silence sur ce sujet175. Le respect traditionnel de la décision de l’autorité politique, la séparation stricte des deux pouvoirs, et surtout le contexte international de la guerre froide sont des facteurs d’explication possibles. Peut-être le Vietnam était-il aussi considéré comme une préoccupation secondaire, une cause perdue, à laquelle il ne fallait pas s’attacher exagérément : mieux valait concentrer son énergie sur la reconstruction de la France métropolitaine et son intégration à une Europe qui promettait de se constituer sur des bases chrétiennes.
70La guerre d’Algérie, parce qu’elle se déroulait sur un terrain beaucoup plus proche, parce qu’on en connaissait mieux les particularités et les enjeux, et parce que sa légitimité fut beaucoup plus contestée dans l’opinion française, poussa l’épiscopat à sortir de son mutisme. Sur la politique à mener à l’égard de l’Algérie, les évêques semblent avoir suivi prudemment le cheminement tortueux du Général de Gaulle, en se contentant longtemps de répéter le voeu utopique d’une possibilité de cohabitation des deux communautés sur un même territoire, avant d’accepter l’inévitabilité de la rupture176. Dans l’ensemble, ils ont été beaucoup plus sensibles à l’utilisation de la violence par les deux parties au conflit qu’à la justification de la cause de chacune d’elle. Ainsi « l’insurrection » algérienne n’est-elle pas déclarée illégitime177, de même que le refus de combattre des catholiques n’est accepté que du bout des lèvres tant que l’Armée reste loyale envers le pouvoir politique178. Si le rappel du devoir de soumission du chrétien à l’autorité légitime est une constante, les évêques insistent également sur le respect des règles d’humanité dans la guerre. Cependant, leur refus de prendre position sur des questions concrètes leur permet d’ignorer que ces deux principes ne sont pas forcément compatibles179. De plus, l’objection de conscience bénéficiait d’une audience croissante au sein de couches de plus en plus larges du catholicisme et les évêques ne pouvaient ignorer l’impulsion donnée à sa reconnaissance par d’éminents théologiens français180.
71La tourmente de la guerre d’Algérie a fait passer au second plan la décision prise par la IVe République, puis mise en œuvre par le Général de Gaulle, de développer une « force de frappe » indépendante181. Au début des années 1950 les évêques avaient affirmé leur condamnation totale des bombardements massifs à l’aide de l’arme nucléaire182. Mais dans un contexte où l’on ne connaissait pas d’autre usage du feu nucléaire, leur prise de position apparaissait davantage comme un rejet radical de cette arme, assez similaire aux slogans véhiculés à l’époque par le « Mouvement de la paix »183. Le sentiment antinucléaire était d’ailleurs assez répandu dans l’ensemble de la population française à l’époque et y demeura majoritaire jusqu’au milieu des années 1960. En contradiction avec la politique qu’ils avaient menée sous la Vie République, les socialistes, notamment sous l’impulsion de Jules Moch menèrent campagne contre la « bombinette ». Les communistes, de leur côté, maintinrent avec constance leur opposition à la bombe atomique au cours des années 1950-60. Le ralliement du centre et des indépendants ne se produisit que progressivement au cours de cette seconde décennie, en même temps qu’ils étaient peu à peu intégrés à une majorité parlementaire de plus en plus large184. Les critiques s’appuyaient globalement sur trois motifs : 1) le coût de la bombe, trop élevé pour permettre à la France de se doter d’un arsenal suffisant ; 2) la non-crédibilité du dispositif français face à la supériorité massive de l’ennemi, notamment soviétique185 ; 3) la rupture avec l’Alliance Atlantique que constituerait la création d’un arsenal nucléaire français indépendant186.
72Il ne semble pas qu’il y ait eu une attitude spécifiquement catholique à l’égard de la bombe nucléaire française. Des théologiens comme le Père Dubarle discutèrent avec beaucoup de nuances à la fois de l’opportunité politique et des implications éthiques de la décision de se doter d’un arsenal atomique187. Un évêque et trentaine de prêtres signèrent l’appel diffusé par l’Humanité le 2 décembre 1959 pour demander au gouvernement de renoncer à tout essai nucléaire et de répondre favorablement à une demande de la Croix-Rouge pour l’abolition de toutes les armes nucléaires188. Les catholiques en particulier étaient sensibles à un certain nationalisme gaullien risquant de couper la France de l’Alliance Atlantique et d’entraver les efforts de construction européenne189.
73Dans la première moitié des années 1960, plusieurs évêques prirent individuellement position contre le développement de l’arme atomique française190. Ils s’illustrèrent aussi au Concile par leurs interventions en faveur d’un renforcement des propositions visant à élever des barrières contre la guerre191 et par leurs prises de position en faveur de l’objection de conscience ou de la non-violence192. Ils firent ainsi figure de « pacifistes » face au bellicisme apparent des évêques américains, même s’ils restaient, en tout état de cause, une minorité. Cette image fut renforcée par leur vive réaction aux déclarations du Cardinal Spellman au sujet de la guerre du Vietnam193 et par certains jugements acerbes portés sur la politique américaine en Asie du Sud-Est194.
74D’autre part, la méfiance qui marquait de nouveau les rapports entre l’Eglise et l’Armée depuis la guerre d’Algérie195 s’exacerba dans les années 1969-74, après que cette dernière eût terminé sa reconversion pour passer de l’armée de lutte contre-révolutionnaire qu’elle était encore au moment du conflit algérien à une armée occidentale moderne196. La détérioration eut pour origine plusieurs prises de position de prélats catholiques en faveur de certains de leurs fidèles – souvent des ecclésiastiques – qui avaient renvoyé leurs livrets militaires pour protester contre le développement de la force atomique française197. Le conflit culmina en juillet 1973 avec une polémique entre Mgr. Riobé et l’Amiral de Joybert198, qui défraya la chronique au moment où se multipliaient les mouvements de protestation contre les essais nucléaires français dans le Pacifique et où se renforçait la résistance des paysans aveyronnais contre l’extension du camp militaire du plateau du Larzac199. Le mouvement Pax Christi lui-même, jusqu’alors assez modéré à l’égard de l’arme nucléaire, condamna en bloc « l’équilibre de la terreur » et tout ce qui pouvait conduire à l’instaurer200 ; il avait déjà exprimé sa désapprobation de la politique française de ventes d’armes en 1970201. C’est aussi à la même époque que fut publiée conjointement par le Conseil permanent de l’Episcopat français et le Conseil de la Fédération protestante de France une « Note de Réflexion sur le commerce des armes » qui émettait un jugement plutôt sévère sur les ventes françaises d’armement et par contrecoup, sur la politique de défense qui les rendait économiquement nécessaires. Ce document allait jusqu’à envisager la renonciation à un « appareil militaire moderne doté de moyens nucléaires au profit d’un autre système de défense », qui pouvait être « l’organisation de la nation armée » ou même « des moyens non-violents »202. Les controverses auxquelles ce texte donna lieu pendant et après sa rédaction203 montrent la profondeur des divergences de vues qui existaient au sein du catholicisme français sur le rôle de l’Armée, de l’objection de conscience et l’utilité de l’armement atomique.
75Sans que les options se soient rapprochées au cours des années suivantes, on assiste à une certaine « dépolarisation » du débat. Les officiers chrétiens, sous l’impulsion du Général Dominique Chavanat, ont beaucoup contribué à améliorer l’atmosphère des relations entre Armée et épiscopat204. Le signe du « réchauffement » fut donné par la participation de Mgr. Riobé, dénoncé comme l’instigateur de la querelle des années précédentes, à la session de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale en 1975205. Comme la majorité de la population française, l’épiscopat effectuait sa « conversion » progressive à la défense nucléaire. Le seul point sur lequel il exprimait ouvertement son désaccord avec la politique gouvernementale était la question des ventes d’armes. Une prise de position du cardinal Marty, archevêque de Paris, le 11 janvier 1976, qui regrettait que « par nécessité économique mal comprise, [la France] se [permette] d’équilibrer sa balance des paiements en développant le commerce des armes » et demandait aux chrétiens « d’élever la voix » à rencontre de cette pratique, fit grand bruit dans les milieux politiques. Elle donna lieu à la publication d’une étude spéciale de la revue du Mouvement des Cadres Catholiques (MCC), qui visait à remettre les choses au point en confrontant les approches206. Il faut signaler en outre qu’un grand nombre d’évêques était prêt, depuis la guerre d’Algérie et conformément aux voeux du Concile, à défendre l’objection de conscience face à une législation particulièrement restrictive.
76C’est dans ce décor plutôt diversifié malgré une unité de principes de base, qu’émergèrent les lettres pastorales. Œuvre des évêques certes, mais non pas d’eux seuls. Chaque prise de position est une réponse à une situation politiquement et culturellement marquée. Même si la question matérielle était identique – l’armement nucléaire à moyenne portée en Europe –, les enjeux et, en conséquence, les réponses diffèrent en fonction de liens politico-stratégiques et historiques. La description du processus de rédaction des documents pastoraux nous permettra de percevoir intuitivement l’existence de ces liens que la suite de notre développement tentera de porter au grand jour.
Notes de bas de page
1 La littérature sur le sujet est très vaste. On pourra se référer par exemple aux ouvrages et articles suivants : COSTE, René, Le problème du droit de la guerre dans la pensée de Pie XII, Paris, Aubier-Montaigne, 1962, 522 p. ; JOHNSON, James T., Just War Tradition and the Restraint of War, A Moral and Social Inquiry, Princeton, Princeton University Press, 1981, 380 p. ; HERR, Edouard, Violence, guerre et paix, Etude éthique et théologique, Dissertation présentée en vue de l’obtention du grade de docteur en théologie, Université Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, 1987, Partie II : « Guerre et paix. Une lecture historique et systématique de la tradition catholique », pp. 131-482 ; CHENU, Marie-Dominique, « L’évolution de la théologie de la guerre juste », Lumière et Vie, vol. VII, Nr.38, juil. 1958, pp. 76-97.
2 AUGUSTIN, La Cité de Dieu, livre XIX, 12 (vol. 37, pp. 99-109).
3 ibid., livre [II, 16-29 (Vol.33, pp. 449-517), livre IV, 3 (Vol.33, pp. 534-41), livre XV. 4 (Vol.36, pp. 45-47). livre XIX. 7 (Vol.37. pp. 87-89).
4 FORTIN, Ernest L.. « Christianity and the Just War Theory ». Orbis, 27(3), Fall 1983, pp. 529-30.
5 ST, II. II. q 40. a 1, q 64.
6 ST, II, II, q 40.
7 Dans le contexte d’un univers chrétien, il peut s’agir d’offenses faites à la religion. Cependant Thomas d’Aquin sera plus prudent dans ce domaine que certains de ses successeurs ; GsF, pp. 575-76.
8 ST, II, II, q 40, a 1.
9 PERRIER, Jacques, Ce que l’Eglise catholique dit sur la guerre moderne, 1939-80, Positions et opinions, Etude préparée pour l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, Paris, 1979-80, pp. 14-15 ; COSTE, op. cit., pp. 90-91. CHENU, op.cit., pp. 90-95.
10 On peut se demander si l’utilisation commune des termes de « théorie » ou de « doctrine » de la guerre juste n’est pas un indice du formalisme croissant des principes et de l’interprétation valorisante du recours à la violence qui a peu à peu supplanté la présomption initiale à rencontre de l’utilisation de la force armée.
11 La théologie de la guerre juste a donc toujours permis une objection de conscience « sélective » – selon le terme usité aux Etats-Unis –, contrairement à un pacifisme absolu qui postulerait le rejet de l’usage de la force dans toutes les circonstances.
12 Au xixe siècle seul le juriste Taparelli d’Azeglio fit exception à « l’oubli » général de la théologie de la guerre juste avec son monumental Essai théorique de droit naturel (Tournai, Casterman, 1857).
13 Nous avons déjà rappelé quelle fut l’attitude des catholiques français et allemands pendant la première guerre mondiale (Cf. Chap. i). De son côté, le pape Léon XIII affirmait en 1889 : « La multiplication menaçante des armées est plus propre à exciter qu’à supprimer les rivalités et les soupçons : elle trouble les esprits par l’attente inquiète des événements à venir, et offre ce réel inconvénient qu’elle fait peser sur les peuples des charges telles qu’on est en doute de savoir si elles sont plus tolérables que la guerre ». LEON XIII, Allocution au Consistoire secret, 11 févr. 1889, in UTZ, op.cit., XXIX, Nr.3.
14 Citons entre autres, VANDERPOL, Alfred, La doctrine scolastique du droit de la guerre, Paris, 1925 ; STRATMANN, Fransiskus, Weltkirche und Weltfriede, Augsburg, 1924 ; STURZO, Luigi, La communauté internationale et le droit de la guerre, Paris, 1931 ; R.P. REGOUT, La doctrine de la guerre juste de St Augustin à nos jours, Paris, 1935.
15 Un résumé de l’action du mouvement de paix dans les milieux catholiques en Allemagne entre les deux guerres est donné par FENEBERG, op.cit., pp. 75-79.
16 Par exemple le texte signé par six théologiens, dont Don Sturzo et F.M. Stratmann, déclarant la guerre moderne illégitime à cause de l’ampleur de ses destructions et de l’impossibilité de distinguer agresseur et agressé. Ce document préconisait l’objection de conscience pour tout chrétien ; COMBLIN, Joseph, Théologie de la Paix, Paris, Ed. universitaires, 1960, vol. 2, p. 46.
17 C’est le cas du « Manifeste des théologiens de Fribourg » (octobre 1931) qui était une sorte de « remise en ordre » en réaction aux tendances pacifistes ; COMBLIN, ibid. ; PERRIER, op.cit., p. 19.
18 Il faut citer ici le très conservateur cardinal Ottaviani qui écrivait en 1947 dans ses Institutiones iuris publici ecclesiastici (Rome, 3e éd.) : “The war of their treaties is not the war of our experience... Principles derive from the very nature of things: the difference between war as it was and war as we know it is precisely one of nature... modern war can never fulfill the conditions which govern, theoretically, a just and lawful war. Moreover, no conceivable cause could ever be sufficient justification for the evils, the slaughter, the moral and religious upheavals which war today entails”, cité par Thomas Merton dans Thomas Merton, The Nonviolent Alternative, Revised ed. of Thomas Merton on Peace, edited and with an Introduction by Gordon C. Zahn, New York, Farrar/Strauss/Giroux, 1980, p. 86. Voir également, FENEBERG, op. cit., pp. 101-102. Un commentaire du même passage se trouve dans Herder Korrespondenz, Heft 3/1948, pp. 122-23. Ce dernier article souligne que le cardinal reste ambigu sur la légitime défense en cas d’agression armée.
19 PIE XII, Message de Noël 1948, DC, Nr. 1034, 1949, col. 72. Il s’agit alors d’une guerre d’agression « contre ces biens que l’ordonnance divine de la paix oblige sans condition à respecter et à garantir », ibid. S’agit-il d’une condamnation de toute guerre d’agression ? Certains auteurs, s’appuyant sur la distinction traditionnelle entre trois types de « causes justes » : “ad vindicandas offensiones” (pour obtenir réparation d’une offense), “ad repetendas res” (pour se réapproprier une chose subtilisée), “ad repellendas iniurias” (pour repousser une agression armée) ont interprété les déclarations de Pie XII comme excluant les deux premiers cas de figure pour n’autoriser que la guerre de légitime défense au titre de la juste cause. MURRAY, John C., “Remarks on the Moral Problem of War”, Theological Studies, 20(1), March 1959, pp. 40-61. D’autres attribuent ce tournant radical au pape Jean XXIII : « C’est pourquoi il devient humainement impossible de penser que la guerre soit, en notre ère atomique, le moyen adéquat pour obtenir justice d’une violation de droits », PT 127. Pie XII avait demandé dès 1944 que soit fait « tout ce qui est possible pour proscrire et bannir une fois pour toutes la guerre d’agression comme solution légitime pour les controverses internationales et comme moyen de réalisation des aspirations nationales ». Radio-Message de Noël 1944, « Points fondamentaux de la doctrine sur la vraie démocratie », in UTZ-GRONER, op.cit., vol. 2, Nr.3610-53, pp. 1722-38.
20 Certains ont suggéré qu’elle désignait l’introduction de « l’ordre de violence », ce qui ne fait que repousser la question à un niveau supérieur dans la mesure où on ne définit pas le terme « violence » ; COMBLIN, op.cit., vol. 2, p. 356.
21 Ceci est affirmé très nettement dans le message de Noël 1948 : « Le précepte de la paix est de droit divin. Sa fin est de protéger les biens de l’humanité en tant que biens du créateur. Or parmi ces biens, il en est de tant d’importance pour la communauté humaine que leur défense est sans aucun doute pleinement justifiée », DC, Nr. 1034, 1949, col. 73. Dans le même sens, le message de Noël 1956, DC, Nr. 1242, 1957, col. 19. Rappelons que les contextes de ces deux déclarations étaient respectivement le début de la guerre froide et l’intervention soviétique en Hongrie doublée de la menace soviétique d’utiliser les armes nucléaires contre la France et la Grande-Bretagne dans l’affaire de Suez.
22 PIE XII, Allocution à l’Office International de Documentation de Médecine Militaire, 19 oct.1953, DC, Nr.1160, 1953, col. 1409-18.
23 PIE XII, Allocution à la VIIIe Assemblée de l’Association Médicale Mondiale, 30 oct. 1954, DC, Nr. 1184, 1954, col. 1284. On voit apparaître ici le lien du critère de proportionnalité à la question de contrôlabilité, qui alimentera la controverse de la théologie morale, surtout allemande, dans les années suivantes (voir ci-dessous). Sur la limitation des moyens utilisables dans la guerre, voir aussi, PIE XII, Allocution au IVe Congrès international de droit pénal, 3 oct. 1953, DC, Nr.1159, col. 1351-54.
24 PIE XII, Message de Noël 1948, op. cit, col. 72-73.
25 GUNDLACH, Gustav, „Die Lehre Pius XII vom modernen Krieg“, Stimmen der Zeit, April 1959, vol. 164, p. 13 (Traduction CG).
26 Raisonnant sur la base du principe de proportionnalité. Albert de Soras, pourtant connu comme l’un des premiers et plus vigoureux critiques de l’idée de guerre juste, écrit : « L’injustice, autrement inévitable, contre laquelle de tels moyens de défense seraient utilisés, devrait être une injustice d’une gravité telle qu’elle équivaudrait à détruire les fondements mêmes de l’ordre international » ; De SORAS, Morale internationale, Paris, Fayard, 1961, p. 89. La proportionnalité autoriserait-elle des destructions en retour de même ampleur que cette injustice ?
27 BÖCKENFÖRDE, Ernst-Wolfgang, „Kirchliches Naturrecht und politisches Handeln“, op. cit., pp. 114- 15. E.-W. Böckenforde et le théologien Robert Spaemann réagirent aux affirmations de Gundlach dans un article très remarqué publié dans le journal de l’aumônerie militaire. BÖCKENFÖRDE, Ernst W., SPAEMANN, Robert, „Christliche Moral und atomare Kampfmittel“, Militärseelsorge, 1961, pp. 267-301 (reproduit dans BÖCKENFÖRDE, Kirchlicher Auftrag und politische Entscheidung, pp. 123-55).
28 Ce qui ne veut pas dire qu’il n’ait accordé aucune attention à la construction d’un ordre international plus pacifique. Sur ce sujet, voir COSTE, op.cit., pp. 379-497.
29 Pour un survol historique des discussions aux Etats-Unis et en Allemagne, voir DELBRÜCK, Jost, „Die Anwendung der Atomwaffen als ethisch-rechtliches Problem. Die Auseinandersetzungen über das ethische Problem der atomaren Kriegsführung in den Vereinigten Staaten und der Bundesrepublik Deutschland“, Abschreckung und Entspannung, 50 Jahre Sicherheitspolitik zw ischen bipolarer Konfrontation und begrenzter Kooperation, Berlin, Duncker & Humblot, 1976, pp. 95-147. Delbrück relève une nette séparation entre discussion éthique et politique en Allemagne, ce qui ne fut pas le cas aux Etats-Unis. Dans le contexte français, les positions de base sont explicitées dans un dossier très documenté confectionné par Pax Christi ; L’Atome pour ou contre l’homme, Paris, Pax Christi, 1958, 356 p. Les approches théologiques présentées dans cet ouvrage traitent de la fabrication, des essais et de l’emploi de l’arme atomique. Elles s’appuient pour la plupart sur les positions pontificales des années 1950.
30 WALZER, op. cit., p. 281.
31 Parmi les ouvrages stratégiques, citons : la remise en cause de la doctrine des représailles massives par le général Maxwell Taylor. The Uncertain Trumpet, New York, NY, Harper, 1960, 203 p. ; Henry Kissinger, Nuclear Weapons and Foreign Policy, New York, Harper, 1957, 455 p. ; The Necessity for Choice, Prospect on American Foreign Policy, New York, Harper, 1961, 372 p. ; les tentatives de contrôle de l’« escalade » dans l’emploi des moyens militaires par Herman Kahn, On Thermonuclear War, Princeton, Princeton University Press, 1960, 651 p. ; Thinking about the Unthinkable, New York, Horizon Press, 1962, 254 p. Egalement TUCKER, Robert, The Just War, Baltimore (Md), The Johns Hopkins Press, 1960, 207 p. ; OSGOOD, Robert E., Limited War: The Challenge to American Strategy, Chicago, Chicago University Press, 1957, 315 p.
32 MURRAY, “Remarks on the Moral Problem of War”, op. cit., p. 58 (Traduction CG). Murray mentionne alors l’ouvrage de Kissinger (Nuclear Weapons and foreign Policy) comme la tentative la plus avancée dans ce sens, tout en soulignant l’interdépendance entre moralité et doctrine stratégique.
33 GUNDLACH, op. cit., p. 4 (Traduction CG).
34 HIRSCHMANN, Johannes, „Kann atomare Verteidigung gerechtfertigt sein ?“, Stimmen der Zeit, 1957-58, vol. 162, p. 295.
35 AUER, Alfons & al., „Ein katholisches Wort zur atomaren Rüstung“, Herder Korrespondenz, Heft 12/1957-58, p. 397 (Traduction DC, Nr. 1279, 1958, col. 713-18). Cette déclaration fut publiée à l’origine dans le Bulletin, organe de presse officiel du gouvernement. Celui-ci entendait l’utiliser pour appuyer sa politique de défense à l’encontre des nombreux groupes qui, sur la base d’arguments éthiques, rejetaient le stationnement d’armes nucléaires sur le sol allemand. La déclaration des théologiens était de fait une réponse à la « Déclaration de Göttingen » publiée par un groupe de 18 scientifiques de renom le 12 avril 1957 qui pressaient le gouvernement de renoncer à l’armement atomique ; Appell von 18 Atomwissenschaftlern für den Verzicht der BRD auf Atomwaffen vom 12, April 1957, Sicherheitspolitik der Bundesrepublik Deutschland, Dokumente 1945-1977, Teil 2, Hrsg. und eingeleitet von Klaus von Schubert, Köln, Berend von Nottbeck, Verlag Wissenschaft und Politik, 1979, pp. 182-83. Cette déclaration fut longuement commentée par Karl Jaspers : La bombe atomique et l’avenir de l’homme, Paris, Buchet/Chastel, 1963, pp. 357-75.
36 Selon ces auteurs, un objet façonné par l’homme peut être de par sa nature, destiné à un usage immoral. „Eine Waffe, die vom Hersteller von vornherein als Massen vernichtungsmittel geplant und konstruirt ist, wird nicht dadurch erlaubt, dass der. der sie anwenden muss, es an sich nur auf militärische Ziele abgesehen hat. Herstellung und Anwendung sind ein einheitlicher Prozess“. BÖCKENFÖRDE, SPAEMANN, op. cit., p. 141.
37 Par exemple, SCHMIDTHUES, Wort und Wahrheit, Heft 6/1958 ; NELLEN, Gewerkschaftliehe Monatshefte, Bd. 9, 1958, pp. 531 ss, cités par DELBRÜCK, op.cit., pp. 129-30 ; DIRKS, Walter, „Die Gefahr der Gleichschaltung“, Frankfurter Hefte, Nr. 13, 1958, pp. 379-91 ; Dirks remet surtout en question la compétence des théologiens dans un tel jugement de fait.
38 RAMSEY, Paul, “Tucker’s bellum contra bellum iustum”, Just War and Vatican Council II, A Critique, New York, Council on Religion and International Affairs, 1966, pp. 73-79, 87-90 (reproduit dans The Just War, pp. 391-424, ouvrage qui reprend l’ensemble de ses thèses publiées de 1960 à 1968) ; Peace, the Churches and the Bomb, New York, Council on Religion and International Affairs, 1965, pp. 46-47 (The Just War, pp. 285-313). L’audience de Ramsey, moraliste protestant, fut telle dans ce domaine que nous ne pouvons pas ne pas le mentionner dans ce contexte.
39 RAMSEY, Paul, “More unsollicitcd advice to Vatican Council II”, in The Just War, p. 294 (Traduction CG).
40 TUCKER, Robert, Just War and Vatican Council II, pp. 28-29.
41 STEIN, Walter, “The Limits of Nuclear War: Isa Just Deterrence Strategy Possible?”, Peace, the Churches and the Bomb, p. 81 (Traduction CG) ; également, WALZER, op.cit., p. 280.
42 BÖCKLE, Franz, „Ethische Prinzipien der Sicherheitspolitik“, in Politik und Ethik der Abschreckung, p. 22.
43 RAMSEY, Paul, “A Political Ethics Context for Strategic Thinking”, Strategic Thinking and its Moral Implications, Ed. Morton A. Kaplan, Chicago, University of Chicago Center for Policy Study, 1973, p. 142.
44 Ses thèses sont regroupées dans l’ouvrage The Conduct of Just and Limited War (1981), qui marque l’aboutissement de réflexions menées depuis le début des années 1960.
45 KISSINGER, op.cit. ; ARON, Raymond, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calman-Lévy, 1962, 800 p. ; également SCHELLING, The Strategy of Conflict, Cambridge, Harward University Press, 1960, 309 p.
46 RAMSEY, “Tucker’s bellum”, op. cit., pp. 71-73 ; “A Political Ethics Context”, op. cit., p. 134.
47 TUCKER, Just War and Vatican Council II, pp. 43-50.
48 Sur la volonté des Pères de condamner toute destruction indiscriminée de populations civiles, qu’elle soit directement voulue ou conséquence d’actes de guerre autrement légitimes, voir l’exégèse de Edouard Herr, qui semble mettre un point final aux débats sur le sujet ; HERR, Violence, guerre et paix, pp. 374-90.
49 BARREA, Jean, L’utopie ou la guerre, D’Erasme à la crise des euromissiles, Louvain-la-Neuve, Ciaco, 1984, pp. 310-13.
50 ST, II, II, q 64, a 6, s 3.
51 O’BRIEN, The Conduct of Just and Limited War, pp. 42-45.
52 ibid., p. 46.
53 RAMSEY, “A Political Ethics Context”, op. cit., pp. 132-33.
54 Nous y reviendrons dans le cadre de l’étude de la lettre pastorale américaine (Chap. iv et v).
55 Des représentants de divers groupements catholiques « pacifistes », parmi lesquels quelques français et de nombreux américains, s’étaient réunis à Rome pour faire pression sur les Pères du Concile en vue d’une condamnation radicale des armes nucléaires.
56 Pour une interprétation « authentique » du texte, voir la réponse de NNSS. Garrone et Schroeffer à la circulaire du cardinal Spellman, DC, Nr. 1465, 1966, col. 367-68 ; HERR, Violence, guerre et paix, pp. 401-2.
57 Là encore, le Concile ne parle pas de la dissuasion nucléaire en particulier, mais de l’accumulation des « armes scientifiques » dans le but de prévenir la guerre (GS § 81.1).
58 Le pronom « c’ » , en latin “quod”, se rapporte à l’ensemble de la situation de dissuasion et non pas exclusivement à la capacité foudroyante d’exercer des représailles ou à l’accumulation des armes.
59 Sur la décision de laisser en suspens le jugement moral, voir DUBARLE, Dominique, « La sauvegarde de la paix et la construction de la communauté des nations », L’Eglise dans le monde de ce temps, Vatican II, Publié sous la direction de Yves Congar et M. Peuchmard, Paris, Le Cerf (Unam Sanctam), 1967, vol. 2, pp. 571-630. Voir également, pour un exposé détaillé, HERR, op.cit., pp. 406-15.
60 PT, § 128.
61 « Il semble en outre équitable que des lois pourvoient avec humanité au cas de ceux qui, pour des motifs de conscience, refusent l’emploi des armes, pourvu qu’ils acceptent cependant de servir sous une autre forme la communauté humaine » (GS § 79.3). Dans son message de Noël 1956, Pie XII déclarait encore « Si donc une représentation populaire et un gouvernement élus au suffrage libre, dans une nécessité extrême, avec les moyens légitimes de politique extérieure et intérieure, établissent des mesures de défense et exécutent les dispositions qu’ils jugent nécessaires, ils se comportent également d’une manière qui n’est pas immorale, en sorte qu’un citoyen catholique ne peut faire appel à sa propre conscience pour refuser de prêter les services et de remplir les devoirs fixés par la loi ». DC, Nr.1242, 1957, col. 19.
62 La formulation tortueuse de la phrase en témoigne : « Nous ne pouvons pas ne pas louer ceux qui, renonçant à l’action violente pour la sauvegarde des droits, recourent à des moyens de défense qui, par ailleurs, sont à la portée même des plus faibles, pourvu que cela puisse se faire sans nuire aux droits et aux devoirs des autres ou de la communauté » (GS § 78.5). Sur la discussion de cette affirmation, HIRSCHMANN. Johannes B., „Dienst am Frieden, Die Aussagen des zweiten vatikanischen Konzils“, Stimmen der Zeit, 178(8), 1966, pp. 118-19 ; HERR, Violence, guerre et paix, pp. 352-54.
63 CHENU, op.cit., pp. 83-86. Dans son encyclique “Summi Pontificatus”, Pie XII affirmait : « Le genre humain, en effet, bien qu’en vertu de l’ordre naturel établi par Dieu, se divise en groupes sociaux, nations ou Etats, indépendants les uns des autres pour ce qui regarde la façon de s’organiser et de régler leur vie interne, est uni cependant par des liens mutuels, moraux et juridiques, en une grande communauté... » in UTZ-GRONER, op.cit., Nr.53, p. 26.
64 SUAREZ, De Legibus, II, 19, 9, cité par BOSC, Robert, Evangile, violence et paix, Paris, Centurion (« Croire et comprendre »), 1975, p. 52.
65 BOSC, Evangile, violence et paix, pp. 61-62.
66 De VITORIA, Francisco, De Potestate Civili, q 13, cité par CHENU, op.cit., p. 95.
67 Cette attitude, souvent en réaction à la première, marqua le rejet radical de toute forme d’organisation du pouvoir politique basée sur les postulats rationalistes du xviiie siècle. Le rejet de l’Etat libéral fut particulièrement net en France à cause de l’héritage révolutionnaire et influença durablement les prises de position pontificales à son encontre. A ce sujet, LATREILLE, André, REMOND, René, Histoire du Catholicisme en France, vol. 3, Paris, Spes, 1962, pp. 35-37, 307-8, 390.
68 OSSIPOW, William, La transformation du discours politique de l’Eglise, Lausanne, L’Age d’Homme, 1979, pp. 143-45. La méfiance vaticane à l’égard de la SDN, qui s’exprima en particulier dans l’Encyclique “Ubi arcano”, était aussi motivée par le fait que celle-ci était fondée sur le principe des nationalités, dénoncé depuis Pie IX comme facteur de guerre ; PIE XI, “Ubi Arcano”, 23 déc.1923, in UTZ, op.cit., XXIII, Nr.27-93.
69 PIE XII, Message de Noël 1944, op.cit.
70 Les encouragements de Pie XII à l’Europe sont particulièrement évidents dans le message de Noël 1956, op.cit., col. 17-21 ; Discours au participants du Congrès de l’Europe, 13 juin 1957, DC, Nr.1255, 1957, col. 847-50 ; Audience aux parlementaires de la CECA, 4 nov. 1957, DC, Nr. 1265, 1957, col. 1497-1500. Voir également MAYEUR, Jean-Marie, « Pie XII et l’Europe », in Les Eglises chrétiennes et les relations internationales au xxe siècle, Genève, 1981, pp. 413-25 (Annales de Relations Internationales, Nr.27).
71 PIE XII, Message de Noël 1951, DC, Nr. 1 112, 1952, col. 7.
72 Cf. les messages de Noël 1948 et 1956, op.cit.
73 De SORAS, op.cit., pp. 47-51.
74 Cependant, s’exprimant sur les plans visant à « réaliser une organisation politique efficace du monde », Pie XII déclare le 6 avril 1951 : « Rien n’est plus conforme à la doctrine traditionnelle de l’Eglise », DC, Nr. 1093, 1951, col. 449. Pie XII se référait alors au programme du Mouvement Universel pour une Confédération Mondiale.
75 PT, § 137.
76 BARION, Hans, „Weltgeschichtliche Machtform ? Eine Studie zur politischen Theologie des zweiten vatikanischen Konzils“, Epirrhosis, Festgabe für Carl Schmitt, Berlin, Duncker & Humblot, Bd. 1, pp. 13-59.
77 Voir aussi, JEAN-PAUL II, « Pour parvenir à la paix, éduquer à la paix », Message pour la journée de la paix 1979, DC, Nr. 1 755, 1979, § 11 ; « La paix est une valeur sans frontières », Message pour la journée de la paix 1986, § 4, DC, Nr.1909, 1986, p. 3.
78 BRUAIRE, op. cit., p. 79.
79 Pour une critique de la tendance à vouloir faire du droit un substitut du politique, voir FREUND, op. cit., pp. 240-42, 722-27. En relation avec l’organisation internationale, ibid., pp. 456-80. Egalement, JASPERS, op. cit., pp. 188-203.
80 Dans ce sens, voir De SORAS, op.cit., pp. 47-50. On peut à la limite envisager une communauté des nations sur la base de la culture, mais une communauté des Etats est difficile a concevoir, dans la mesure où l’Etal est justement une institutionnalisation du « nous » contre le « eux ». La réflexion moderne sur les droits de l’homme et les droits des peuples nous paraît s’orienter dans la première direction.
81 En comparaison, l’encyclique “Populorum Progressio” du pape Paul VI qui affirme « le développement est le nouveau nom de la paix » est apparue beaucoup plus ambiguë, op.cit., § 76-80. Le Synode des évéques de 1971 affirme aussi nettement le lien entre le développement et la paix, « La Justice dans le Monde », DC, Nr. 1600, 1972, pp. 12-18, de même que le fait l’encyclique de Jean-Paul II du 30 décembre 1987, “Solliciludo rei socialis”, DC, Nr.1957, 1988, § 20, 23, pp. 240-41.
82 Le pontificat de Jean XXIII (1959-67) fut marqué en outre par un dégel des relations entre le Vatican et les pays socialistes à la faveur de la période khrouchtchévienne ; STEHLE, Hansjakob, Die Ostpolitik des Vatikans, München, Piper, 1975, pp. 316-48.
83 AUGUSTIN, La Cité de Dieu, Livre XIX, 13 (vol. 37, p. 111).
84 Voir, GALTUNG, Johan, “Violence, Peace and Peace Research”, Essays in Peace Research, Copenhagen, Christian Ejlers, 1975, vol. 1, pp. 109-34. Egalement ses nombreux articles publiés dans le Journal of Peace Research.
85 Notamment Jacques Maritain, le Père J.T. Delos, Mgr Bruno de Solages, Albert de Soras, le Père Heckel, etc. auxquels il faut ajouter plus spécifiquement en France les forums que constituaient les Semaines Sociales tenues dans la plupart des grandes villes.
86 PT, § 80-129 ; GS § 82-85 ; « La justice dans le monde », op. cit.
87 « Programme d’Action adopté par l’Assemblée générale de l’ONU le 1er mai 1974 », (Résolution 3202), in Nouvel Ordre International et Non Alignement, Bandoung/Badgad, 1955-1982, Recueil de documents, Paris, Ed. du Monde Arabe, 1982, pp. 502-22 ; « Charte des Droits et Devoirs Economiques des Etats » adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 12 déc. 1974 (Résolution 3281) in ibid., pp. 523-35.
88 PAUL VI, “Populorum Progressio”, op.cit., § 76, cité par JEAN-PAUL II, « Développement et solidarité : deux clés pour la paix », Message pour la journée de la paix 1987, § 9, DC, Nr. 1931, 1987, p. 18.
89 Cette idée est développée dans le chapitre i du document (GS § 12-22), qui constitue le pilier des affirmations subséquentes sur les questions politiques et sociales.
90 JEAN-PAUL II, « La paix, don de Dieu confié aux hommes », Message du 1er janv. 1982, § 11-12, DC, Nr.1832, 1982, pp. 67-73.
91 JEAN-PAUL II, ibid ; Discours à Hiroshima, 25 févr. 1981, DC, Nr.1805, 1981, p. 332 ; Message du 1er janv. 1979, op.cit., p. 12. Egalement, PAUL VI, Message du 1er janv. 1970, DC, Nr.1555, 1970, pp. 55-56 ; Message du 1er janv. 1973, DC, Nr.1623, 1973, pp. 1-4 ; Message du 1er janv. 1974, DC, Nr.1645, 1974, pp. 1-3.
92 JEAN-PAUL II, Message du 1er janv. 1982, op.cit., § 4.
93 Voir en particulier, JEAN-PAUL II, « La vérité, force de paix », Message du 1er janv. 1980, DC, Nr. 1777, 1980, pp. 1-4 ; « pour servir la paix, respecte la liberté ». Message du 1er janv. 1981, DC, Nr.1799, 1981, pp. 1-4 : « Le dialogue pour la paix, un défi pour notre temps ». Message du ler janv. 1983, DC, Nr. 1844, 1983, pp. 67-71.
94 JEAN-PAUL II, Message du 1er janv. 1980, op.cit., § 2.
95 Ce Concordat, très controversé par la suite, couronnait les efforts entrepris dès le début des années 1920 par le futur Pie XII, alors Nonce à Berlin, pour fournir à l’Eglise certaines garanties contre les abus du pouvoir étatique. Le premier but était d’éviter un nouveau „Kulturkamp“ identique à celui qu’elle avait enduré pendant les années 1870-80. Sur le Concordat, voir MARGIOTTA BROGLIO, Francesco, « La politique concordataire du Vatican vis-à-vis des Etats totalitaires », Annales de Relations Internationales, Genève, 1981, pp. 319-42 ; VOLK, Ludwig, „Nationalsozialismus“, Der Soziale und Politische Katholizismus, Entwicklungslinien in Deutschland, 1803-1963, Bd. l, Hrsg. Anton Rauscher, München/Mainz, Günter Olzog, 1981, pp. 165-208.
96 La réaction unanime des évêques catholiques lors de l’avènement de Hitler, dont nous avons fait mention, fit place par la suite à une diversification. Trois évêques en particulier sont célèbres pour leurs interventions contre le régime : Mgr von Preysing (Berlin), von Galen (Münster) et Faulhaber (Munich). L’Eglise protestante jouissait d’une réputation beaucoup plus mitigée. Une partie de ses membres s’était profondément compromise avec le régime hitlérien alors qu’une autre partie, sous l’impulsion de Karl Barth et de « l’Eglise confessante » lui avait opposé une résistance ferme depuis 1934 („Barmer Erklärung“). La « déclaration de culpabilité » („Stuttgarter Erklärung“) adoptée rapidement après la défaite (18 octobre 1945) contribua certainement beaucoup à la réhabilitation des protestants auprès de leurs concitoyens.
97 Les partis politiques se constituèrent (Parti Chrétien Démocrate) ou se reconstituèrent (Parti Socialiste, Parti Libéral) peu à peu, mais leur développement jusqu’ à 1949 fut entravé par les sévères restrictions imposées par les puissances occupantes. Sur le rôle d’intermédiaire joué par les Eglises, voir l’excellente description fournie par SPOTTS, Frederic, Kirchen und Politik in Deutschland, Stuttgart, Deutsche Verlags- Anstalt, 1973, pp. 45-102.
98 De nombreux prélats catholiques auraient discrètement mais efficacement fait pression sur leurs fidèles pour qu’ils apportent leur soutien à la CDU plutôt qu’au Zentrum dans les années 1945-50. SPOTTS, op.cit., pp. 130-37. Pour une analyse différente, FORSTER, Karl, „Neue Ansätze der gesellschaftlichen Präsenz von Kirche und Katholizismus nach 1945“, Kirche und Katholizismus, 1945-49, Hrsg. Anton Rauscher, Paderborn, Schöningh, 1977, pp. 109-33.
99 FORSTER, op.cit.
100 Le Père Böhler était le principal conseiller du Cardinal Frings, archevêque de Cologne et Président de la Conférence épiscopale de 1945 à 1965. Sur ces deux personnages importants du catholicisme allemand de l’après guerre : FRINGS, Joseph, Für die Menschen bestellt, Erinnerungen, Köln, Bachem, 1973, 317 p. ; In Memoriam Wilhelm Böhler, Erinnerungen und Begegnungen, Hrsg. Bernhard Bergmann, Josef Steinberg, Köln, Bachem, 1965, 175 p.
101 Sur ces diverses instances : NIEMEYER, Johannes, „Institutionalisierte Kontakte zwischen Kirche und staatliche-politischen Instanzen“, Kirche und Staat in der BRD, 1949-63, Hrsg. Anton Rauscher, Paderborn, Schöningh, 1979, pp. 69-94 ; WÖSTE, Wilhelm, „Verbindungstellen zwischen Staat und Kirchen, Die katholische Kirche“, Handbuch des Staatskirchenrechts der BRD, Berlin, Duncker & Humblot, Bd. 2, 1975, pp. 285-97.
102 Pour un exposé des attitudes catholiques lors de la discussion sur les fondements de la constitution, voir Katholizismus, Rechtsethik und Demokratiediskussion, 1945-63, Hrsg. Anton Rauscher, Paderborn/München, Schöningh, 1981, 181 p.
103 PIE XII, Message de Noël 1944, op.cit., pp. 5-13 ; Pour une critique de ce « ralliement » tardif, voir OSSIPOW, William, op.cit., pp. 141-42 ; « Pouvoir et Vérité : la transformation du discours politique dans l’Eglise », Pouvoir et Vérité, Paris, Cerf, 1981, p. 244.
104 „Hirtenwort der deutschen Bischöfe zum Grundgesetz der BRD“, Kirchlicher Anzeiger für die Erzdiözese Köln, Heft 13/1949, pp. 221-29. Les évêques avaient cherché à faire inclure dans la Constitution une liste de droits qui devaient être garantis au citoyen et au croyant selon les principes de la loi naturelle ; voir „Hirtenwort der deutschen Bischöfe zur bevorstehenden Wahl zum Bundestag“, ibid., Heft 17/1949, pp. 293-99. Apres leur échec sur certains points, en particulier le droit des parents de faire éduquer leurs enfants dans les établissements de leur choix, ils menacèrent de refuser leur aval à la Constitution. Il ne fallut pas moins de toute l’énergie de Böhler, qui avait acquis l’appui du Cardinal Frings, pour les convaincre que ce rejet aurait été un très grave danger pour la démocratie allemande en général et pour la CDU en particulier.
105 SPOTTS, op.cit., pp. 249-77 ; MORSEY, Rudolf, „Katholizismus und Unionsparteien in der Ära Adenauer“, Katholizismus im politischen System der Bundesrepublik, 1949-63, Hrsg. Albrecht Langner, Paderborn, Schöningh, 1978, pp. 33-60.
106 La lettre pastorale précédant les élections législatives de 1949 constatait : „Wir müssen leider feststellen, dass Abgeordnete der sozialistischen und liberalistischen Weltanschauungen für wesentliche christliche Forderungen kein Verständnis gehabt haben“ et, après avoir évoqué la liberté d’enseignement comme pilier essentiel du système de valeurs morales chrétiennes, elle interrogeait : „Kann ein gläubiger Christ es mit seinem Gewissen vereinbaren, einem Kandidaten seine Stimme zu geben, der in entscheidenden Bildungsund Erziehungsfragen die Macht des Staates über die Freiheit des Gewissens stellt ?“, „Hirtenwort der deutschen Bischöfe zur bevorstehenden Wahl zum Bundestag“, op.cit., pp. 296-97. Les relations de l’Eglise et du parti socialiste (SPD) dont les fondements restaient ceux du programme de Gotha (1875), furent longtemps glaciales. Un réchauffement progressif se produisit à partir de l’abandon de ce programme pour celui de Bad Godesberg (1959). Toutefois il fallut attendre la « grande coalition » (1966-69) pour que les rapports deviennent vraiment cordiaux ; ARETZ, Jürgen, „Katholizismus und deutsche Sozialdemokratie, 1949-63“ in Katholizismus im politischen System der BRD, 1949-63, pp. 61-81. Les relations de l’Eglise avec le Parti Libéral (FDP) sont restées de tout temps tendues, des frictions sérieuses ayant encore lieu au début des années 1970. Sur le comportement des catholiques à l’égard des partis politiques sous Adenauer, voir GOTTO, Klaus, „Die deutschen Katholiken und die Wahlen in der Adenauer Ära“, in ibid., pp. 7-32. Cette étude démontre l’existence d’une forte corrélation entre la pratique religieuse des catholiques et le vote en faveur de la CDU. La diversification progressive du vote catholique à partir des années 1960 serait davantage une conséquence de la baisse de la pratique religieuse que du changement d’attitude politique des catholiques. Egalement, SCHMIDTCHEN, Gerhard, „Religiöse Legitimation im politischen Verhalten : Wandlungen und Motive im Wahlverhalten der Katholiken“, in Kirche, Politik, Parteien, Hrsg. Anton Rauscher, Köln, Bachem, 1974, pp. 57-103.
107 Nous empruntons la majorité des données sur ce débat à DOERING- MANTEUFFEL, Anselm, Katholizismus und Wiederbewaffnung, Die Haltung der deutschen Katholiken gegenüber der Wehrfrage, 1945-55, Mainz, Grünewald, 1981, 259 p. Pour une lecture différente, voir HÜRTEN, Hans, „Zur Haltung des deutschen Katholizismus gegenüber der Sichcrheits- und Bündnispolitik der BRD. 1948-60“ in Katholizismus im politischen System der BRD, 1949-63, pp. 83-102.
108 Un sondage publié par le journal Mann in der Zeil en novembre 1948 indiquait que 60 % des catholiques étaient opposés à toute forme de service militaire ; DOERING-MANTEUFFEL, op.cit., p. 69.
109 Peut-être un de leurs soucis était-il de ne pas prêter flanc à une certaine suspicion qui cherchait à imputer aux « pacifistes » la responsabilité de l’ascension d’Hitler. Le „Friedensbund deutscher Katholiken“, sous l’impulsion du Père Fransiskus Stratmann, avait avant la guerre compté jusqu’à 40 000 membres. Le Père Stratmann joua encore un rôle dans l’expression des idées pacifistes après 1945 : STRATMANN, Fransiskus, Krieg und Christentum heute, Trier, Paulinus, 1950, 192 p.
110 La reprise de ce message, qui postule l’existence d’un ordre divin que l’Etat a le droit et même le devoir de défendre s’il est menacé – ce qui implique l’inacceptabilité de l’objection de conscience – intervenait quelques semaines après le début de la guerre de Corée (elle fut renouvelée par la suite). Le fait que le Mann in der Zeit, journal catholique très proche de l’épiscopat, ait aussitôt modifié sa position à l’égard du réarmement, donne à penser que la majorité des évêques approuvait la position du Cardinal Frings ; DOERING-MANTEUFFEL, op.cit., pp. 85-91.
111 Il y eut certes des résistances, de la part de personnalités éminentes proches du catholicisme comme Rheinhold Schneider ou de la gauche catholique réunie autour des Frankfurter Hefte (Walter Dirks, Eugen Kogon) et des Werkhefte Katholischer Laien, très proches du mouvement de paix ; STANKOWSKI, Martin, Linkskatholizismus nach 1945, Köln, Pahl-Rügenstein, 1974, pp. 118-21, 160-64, 231-39. Il y eut également des défections parmi certains membres de la CDU (Helena Wessel) qui se joignirent à Heinemann, Ministre de l’Intérieur et Président du Conseil de l’Eglise évangélique, après sa démission fracassante du gouvernement (automne 1950) pour fonder le „Gesamtdeutsche Volkspartei“ en 1952. Au sein du „Bund der Deutschen Katholischen Jugend“ (BDKJ), fédération chapeautant l’ensemble des organisations de jeunesse catholiques, eut lieu une tentative de constitution d’un „Arbeitskreis katholischer Jugend gegen die Wiederaufrüstungspolitik“, mais il n’eut pas beaucoup de résonance dans l’ensemble du catholicisme. La tendance générale était au soutien de la politique d’Adenauer, marqué en particulier par le ralliement, en mars 1952, du congrès annuel du „Katholischer Arbeiter Bewegung“ (KAB) aux thèses de Theodore Blank, un de ses dirigeants et conseiller d’Adenauer en matière de sécurité et par la « Déclaration de Elmstein » du BDKJ (avril 1952) qui rejetait la neutralité et décrivait le réarmement comme une nécessité ; DOERING-MANTEUFFEL, op.cit., pp. 140-56. Sur l’opposition au réarmement au sein du catholicisme, ibid., pp. 157-85.
112 Pour les catholiques, il s’agissait en plus de déterminer les principes de comportement du soldat chrétien. Cette discussion connaît ses prolongements actuels dans une aumônerie militaire très active qui publie, entre autres, depuis 1958, la revue Militärseelsorge.
113 Au sein du catholicisme, il semble que cette tendance ait été très forte parmi les membres du BDKJ. Les protestants de leur côté étaient divisés. Si une minorité plutôt bruyante (Niemöller, Heinemann, Barth) accordait la priorité à la réunification, la majorité tendait à marquer son adhésion au camp occidental, la question de la réunification devenant secondaire. En novembre 1950 les instances dirigeantes de l’Eglise évangélique décidèrent de ne pas prendre position sur le réarmement.
114 La répression religieuse qui avait commencé à l’Est à partir de 1948 lui servait amplement de justificatif : STEHLE, op.cit, pp. 177-315.
115 Le document des évêques allemands de 1953 sur les « devoirs et les limites de la puissance publique », par ailleurs très riche en enseignements sur la conception catholique traditionnelle de l’Etat, reconnaît le droit de celui-ci « d’exiger de ses citoyens une participation à la défense de son existence, dans certaines circonstances jusqu’à la mise en jeu de leur propre vie. au cas où celui-ci serait menacé d’une agression injuste ». „Lehrs-chreiben der deutschen Bischöfe zur Aufgaben und Grenzen der Staatsgewalt“, in Die Katholiken vor der Politik, Hrsg. Gustav Kafka, Freiburg, Herder, 1958, p. 14 (Traduction CG).
116 Le Concordat fut reconduit par décision du Tribunal Constitutionnel (Bundesverfassungsgericht) du 26 mars 1957.
117 STANKOWSKI, op.cit., pp. 199-201.
118 DELBRÜCK, op.cit., pp. 121-47 ; FENEBERG, op.cit., p. 22.
119 STANKOWSKI, op.cit., p. 199.
120 DELBRÜCK, op.cit., pp. 141-45.
121 Il y eut toutefois des résistances à l’« Ostpolitik » du SPD au début des années 1970 de la part de la hiérarchie catholique, de la CDU et du ZdK. à rencontre du Vatican qui développait alors une politique très active de rapprochement avec l’Est sous l’impulsion du Cardinal Casaroli ; SPOTTS, op. cit., pp. 186-203. STEHLE, op. cit., pp 349-401.
122 Pax Christi fut créé en France au lendemain de la guerre pour travailler à la réconciliation des peuples français et allemand. Il s’étendit rapidement à l’Allemagne, puis à d’autres pays (sans qu’il faille exagérer son poids au sein de la population catholique). En Allemagne il lit porter son effort sur l’amélioration des relations avec la France et la Pologne. Son développement fut favorisé par l’épiscopat dans l’après-guerre à cause de son apolitisme, aux dépens de l’ancien „Friedensbund deutscher Katholiken“ qui fut dissous. FENEBERG, op. cit., pp. 195-96. Une diversification s’est fait jour dans les années récentes, marquées par des prises de position plus radicales de certaines branches du mouvement, dont nous aurons à reparler.
123 Cette réorientation était facilitée par l’existence d’un réseau d’organisations caritatives très puissantes (Missio, Adveniat, Misereor, etc.) qui agissent souvent en coordination avec les pouvoirs publics. Voir « L’aide au Tiers-Monde, la coopération avec l’Etat », dans « Les Eglises dans les deux Allemagne », Problèmes Politiques et Sociaux, La Documentation Française, Nr.452, déc. 1982, pp. 20-22.
124 Une âpre discussion eut lieu en 1972 autour de la déclaration du ZdK „Der Wehrdienst als Beitrag zum Frieden“ (14 April 1972, ZdK/Berichte und Dokumente, Nr. 16, Bonn, 1972, pp. 71-82). Le BDKJ exprima son opinion dissidente en publiant aussitôt après : Stellungnahme des Bundesvorstands des BDKJ zur Erklärung des Beirates für politische Fragen des Zentralkomitees der deutschen Katholiken ’Der Wehrdienst als Beitrag zum Frieden’, 24 Juli 1972, Ronéotypé, 2 p.
125 Gemeinsame Synode der Bistümer in der BRD, „Der Beitrag der katholischen Kirche in der BRD für Entwicklung und Frieden“, in Frieden und Sicherheit, Hrsg. Sekretariat der DBK, Bonn, 1981 (Arbe tshilfen Nr.21), pp. 32-36. La thèse de la complémentarité est très disputée. Alors que certains voudraient faire du service armé l’exception, d’autres veulent le conserver comme la règle. Voir les commentaires de E.-J. Nagel à propos de : BDKJ, „Dienste für den Frieden“ (12 déc. 1969) et „Frieden und Gerechtigkeit, Startpositionen“ (23 juin 1981) in, NAGEL, OBERHEM, op.cit., pp. 88-100. Nous reviendrons sur la question de complémentarité à propos de la lettre pastorale (Chapitre vi).
126 Les premiers étaient représentés surtout par les catholiques d’origine irlandaise, les seconds par les catholiques d’ascendance allemande ; ELLIS, John Tracy, American Catholicism, Chicago/London, The University of Chicago Press, 2d ed., 1969, pp. 110-23 ; O’BRIEN, David, The Renewal of American Catholicism, New York, etc. Paulist Press, 1972, pp. 94-108 ; HENNESEY, James, American Catholics, A History of the Roman Catholic Community in the United States, New York/Oxford, Oxford University Press, 1981, pp. 250-53, 263.
127 Cette condamnation intervint par l’Encyclique “Testent Benevolentiae”, du pape Léon XIII (22 janv. 1899). La condamnation de l’« américanisme » fut motivée par la traduction en français d’une biographie de Isaac Hecker. l’un des pères de la pensée sociale du catholicisme américain et fondateur de la congrégation des “Paulist Fathers”. Alors que le modernisme reposait sur une critique théologique et biblico-historique du catholicisme traditionnel, il semble qu’il faille voir l’américanisme comme une simple tentative d’adaptation du catholicisme aux conditions particulières de la société américaine, sans qu’intervienne à aucun moment la remise en cause du dogme ; HENNESEY, op.cit., pp. 196-7, 216-17.
128 HENNESEY, op.cit., pp. 226-28.
129 Le programme de reconstruction sociale publié en 1919 par la Conférence épiscopale s’inspirait profondément des idées de John Ryan. Il annonçait le New Deal presque quinze ans à l’avance ; “Program of Social Reconstruction” issued by the Administrative Committee of the National Catholic War Council, Feb. 12 1919, in Justice in the Marketplace, Collected Statements of the Vatican and the US Catholic Bishops on Economic Policy, 1891-1984, Washington DC, NCCB, 1985, pp. 367-83.
130 A titre d’exception, on peut signaler la lettre pastorale de 1926 à propos du Mexique. Les prélats auraient préféré une politique plus interventionniste de la part des USA pour mettre fin à la persécution religieuse qui sévit dans ce pays de 1926 à 1929 ; HENNESEY, op.cit., pp. 250-53, 263.
131 ibid., pp. 275-6.
132 Le “Catholic Worker”, créé en 1933 par Dorothy Day et Peter Maurin, mettait l’accent sur la conversion personnelle à l’action non-violente qui impliquait aussi une action pour la justice sociale « à la base ». Le mouvement s’est beaucoup inspiré du « satyagraha » gandhien et plus tard, de la pensée du moine Thomas Merton à partir desquels il a développé des tactiques de protestation et de résistance non-violentes : Thomas Merton, The Nonviolent Alternative ; MERTON, Thomas, Faith and Violence, Christian Teaching and Christian Practice, Notre Dame (In), University of Notre Dame Press, 1968, 291 p.
133 Ce « privilège » était réservé aux membres des Eglises historiquement pacifistes : Mennonites, Brethren, Quakers, qui avaient la charge d’établir des « camps de la paix » pour ceux de leurs membres qui refusaient le service armé. Les objecteurs de conscience catholiques furent généralement dispersés entre ces différents camps, bien que le “Catholic Worker” ait lui-même essayé d’établir des camps au début de la guerre. Patricia McNeal donne le chiffre de 223 objecteurs de conscience catholiques pendant la seconde guerre mondiale (alors qu’ils n’auraient été que 4 pendant la première) ; McNEAL, Patricia, The American Catholic Peace Movement. 1928-1972, New York, Arno Press, 1978, pp. 93-106 ; également, BROCK, Peter, Twentieth Century Pacifism, New York, Van Nostrand Reinhold, 1970, pp. 171-99 ; ZAHN, Gordon, War, Conscience and Dissent, London, Geoffroy Chapman, 1967, 317 p.
134 McNEAL, op.cit., pp. 108-12 ; HENNESEY, op. cit., pp. 281-2. L’immoralité des bombardements massifs de population civile fut dénoncée avec le plus de vigueur par le théologien John Ford. “The Morality of Obliteration Bombing”, Theological Studies, V(3), 1944, pp. 261-309. Ford condamna ultérieurement les bombardements de Hiroshima et Nagasaki, “The Hydrogen Bombing of Cities” in Morality and Modern Warfare, ed. William J. Nagle, Baltimore, Helicon Press, 1960, pp. 98-103.
135 HENNESEY, op. cit., p. 282.
136 ibid., pp. 289-90.
137 Soulignons à l’intérieur de la CAIP le rôle de l’“Arms Control Subcommittee” de l’“International Law and Juridical Institutions Committee” qui a largement contribué à définir les positions officielles de l’Eglise catholique aux Etats-Unis en matière de défense de 1958 à la fin du Concile Vatican II. Y siégeait entre autres le juriste William O’Brien, qui fut encore présent en marge de la rédaction de la lettre pastorale sur la guerre et la paix de 1983 ; McNEAL, op.cit., p. 172 ; ZAHN, War, Conscience and Dissent, pp. 15-16, 297-98.
138 DELBRÜCK, op.cit., pp. 109-13.
139 Paul Ramsey est, rappelons le, théologien protestant. Du côté catholique les travaux de William O’Brien jouèrent également un rôle important mais à une date un peu postérieure (après 1965). Mis à part son ouvrage récent The Conduct of Just and Limited War, citons : O’BRIEN, William V., Nuclear War. Deterrence and Morality, Glen Rock (N.J.), Newman Press, 1967, 120 p. ; War and-or Survival, New York, Doubleday, 1969, 289 p. ; „Strategie. Moralität und Recht in der Verteidigungsdoktrin der USA“, Jahrbuch für Internationales Recht, Institut für Internationales Recht an der Universität Kiel, Göttingen, Van den Hoeck & Ruprecht, 1965, pp. 42-74.
140 MURRAY, “Remarks on the moral Problem of War”, op. cit. Comme les déclarations pontificales, Murray base son raisonnement sur la question de contrôlabilité. Les armes nucléaires ne sont donc considérées que sous cet angle limité.
141 Murray a publié de nombreux articles dans ce sens dans le jounal Theological Studies dont il fut le rédacteur en chef pendant de longues années. Ses thèses principales sont reprises dans l’ouvrage, We hold these Truths (New York, Sheed and Ward, 1960, 336 p.). Il y démontre que les principes sur lesquels est basé le consensus constitutif de la nation américaine sont ceux-là mêmes que la doctrine catholique tire de la loi naturelle.
142 Toutefois il faut reconnaître que l’anticommunisme viscéral des catholiques aurait peut-être suffi à fonder leur soutien au gouvernement des Etats-Unis pendant les quinze ou vingt années de l’après-guerre. Sur leur altitude pendant la période maccarthyste, voir HENNESEY, op.cit., pp. 290-95.
143 Une retraite sur la protestation non-violente organisée par le moine Thomas Merton en novembre 1964 joua un rôle déterminant dans l’engagement de la « gauche catholique » contre la guerre du Vietnam de 1965 à 1971-72.
144 Parmi les personnes engagées dans les mouvements de paix, Gordon Zahn et Thomas Merton semblent être les seuls à avoir accordé une réflexion particulière à l’arme nucléaire ; MERTON, Thomas, “Christian Ethics and Nuclear War”. “Christianity and Defense in the Nuclear Age”, in Thomas Merton, The Non-violent Alternative, pp. 82-93 ; ZAHN, Gordon C., An Alternative to War, New York, Council on Religion and International Affairs, 1963, 32 p. La première action de destruction de livrets militaires à rencontre la guerre du Vietnam eut lieu à l’initiative de deux membres du “Catholic Worker”, Thomas Cornell et Christopher Kearns ; McNEAL, op.cit., p. 223.
145 John Courtnay Murray développa l’argumentation en faveur d’une objection de conscience sélective (dans la ligne thomiste) aux Etats-Unis ; McNEAL, op.cit., pp. 226-27.
146 Intervention du Cardinal Spellman, 132e Congrégation Générale, 21 sept. 1965, DC, Nr.1458, 1965, col. 1850-51.
147 Circulaire du Cardinal Spellman faisant objection au Schéma XIII sur la guerre, DC, Nr. 1465, 1966, col. 366-67. L’archevêque de New York avait obtenu pour cette intervention le soutien de trois autres prélats américains, NNSS Hannan (La Nouvelle Orléan), O’Bayle (Washington), Sheehan (Baltimore).
148 Il semble en fait que seuls les « faucons » se soient exprimés, alors que la majorité se protégeait par un inconfortable mutisme.
149 Un groupe du “Catholic Worker”, ainsi que du mouvement “pax”, qui lui était proche, allèrent à Rome pour faire pression sur les Pères du Concile dans le but d’obtenir la condamnation de l’arme nucléaire et la reconnaissance de l’objection de conscience ; McNEAL, op.cit., pp. 197-204.
150 Ensuite élargi aux laïcs pour devenir “Clergy and Laity Concerned About Vietnam” (CLCAV).
151 McNEAL, op.cit., pp. 241-98. Voir aussi pour un exposé de l’action des frères Berrigan, De CERTEAU, Michel, « Conscience chrétienne et conscience politique aux USA », Etudes, oct. 1971, pp. 353-70. Tous les membres du “Catholic Worker” n’approuvèrent pas l’action des frères Berrigan et d’autres militants de la “Catholic Left” – essentiellement des effractions ayant pour objet la destruction de fichiers de conscription – qui leur paraissait contrevenir à l’option non-violente qu’ils s’étaient fixée. Voir ZAHN, Gordon C., “Original Child Monk: An Appreciation”, in Thomas Merlon, The Non Violent Alternative, pp. X-XLI ; MERTON, Thomas, “Peace and Protest. A Statement”, ibid., pp. 67-69 ; “Note for Ave Maria”, ibid., pp. 231-33. Il y eut d’âpres discussions dans le mouvement pacifiste catholique à cette époque sur la signification de l’action non-violente et les limites de la désobéissance civile ; CORNELL, Thomas, Interview du 21 déc. 1983.
152 Un résumé de leurs positions est donné par McNEAL, op.cit., pp. 214-36.
153 NCCB, Déclaration sur la paix au Vietnam, 18 nov. 1966, DC, Nr.1485, 1966, col. 41-44. L’épiscopat reprenait à son compte la position énoncée par le Cardinal Sheehan dans sa lettre pastorale du 28 juin 1966 qui demandait aux catholiques de passer la guerre du Vietnam au crible des conditions de la guerre juste et rappelait la déclaration du Concile sur l’objection de conscience tout en réaffirmant sa confiance en la bonne foi du gouvernement à mener des négociations.
154 Déclaration du Cardinal Spellman à Saïgon, 24 déc. 1966, DC, Nr. 1487, 1967, col. 255-56.
155 Traduction dans DC, sous le titre « La vie humaine aujourd’hui », Nr.1537, 1969, pp. 331-38.
156 Sur le rôle de l’USCC (United States Catholic Conference), voir Appendix A, in BENESTAD, J. Brian, The Pursuit of a Just Social Order, Policy Statements of the US Catholic Bishops, Washington DC, Ethics and Public Policy Center, 1982, pp. 143-44.
157 “In context: The Bishops and War”, Origins, vol. 1, 1971, p. 214.
158 Déclaration des évêques américains sur l’objection de conscience générale ou sélective, 22 oct. 1971, DC, Nr. 1605, 1972, pp. 282-84
159 Résolution des évêques américains sur le Sud-Est asiatique, 19 nov. 1971, DC, Nr. 1605, 1972, pp. 281-82.
160 Justice Conference “A Call to Action”, Recommendations on Humankind, Oct. 21-23 1976, Origins, 6(21), 1976, p. 330 (Traduction CG).
161 USCC Administrative Board, “US Foreign Policy: A Critique from Catholic Tradition”, Testimony of Archbishop Peter L. Gerety before the Senate Foreign Relations Committee, Jan. 21 1976, Origins 5(33), 1976, pp. 520-28.
162 « Les valeurs morales », nov. 1976, DC, Nr. 1712, 1976, p. 70 (Titre original : “To live in Christ Jesus”).
163 KROL, Archbishop John, Testimony to the Senate Foreign Relations Committee, US Senate, The SALT II Treaty, Hearings on Ex.Y., 96.1, 1979, Part IV, pp. 116-31 (Ci-après, KROL, “Testimony to the Senate”).
164 ibid., p. 128.
165 « L’Evangile de la paix et le danger de la guerre », DC, Nr.1739, 1978, pp. 345-46.
166 REMOND, René, L’anticléricalisme en France de 1815 à nos jours, Bruxelles, Complexe (Les grandes études contemporaines), 1985, pp. 197-205.
167 Avec notamment la reprise des relations diplomatiques entre la France et le Vatican en 1921-22.
168 Le Mouvement Républicain Populaire (MRP), qui, bien que parti non confessionnel, était dirigé par une majorité de catholiques et recevait son soutien des votes catholiques, connut un succès électoral éclatant mais éphémère en 1949. Dès l’année suivante, il fut directement concurrencé par le Rassemblement du Peuple Français (RPF) du Général de Gaulle qui s’adressait à un électorat identique, si bien qu’il perdit rapidement toute chance d’exercer une influence sur la vie politique française.
169 L’audience de Maritain s’étendit bien au-delà des frontières françaises, notamment aux Etats-Unis où il séjourna pendant la guerre. Avant Murray, il chercha à prouver la compatibilité entre christianisme et démocratie à partir d’une vision humaniste basée sur les droits de l’homme : MARITAIN, Jacques, Du régime temporel et de la liberté, Paris, Desclée de Brouwer, 1933, 268 p. ; Christianisme et Démocratie, Paris, Hartmann, 1945, 93 p.
170 Par exemple le journal Sept publié par les Dominicains, ou L’Aube, dirigée par Georges Bidault.
171 Bien qu’excluant toute référence explicite au catholicisme, la revue Esprit, fondée par Emmanuel Mounier, était très proche de la sensibilité catholique.
172 Au sein de l’Action Catholique demeurait une tension constante entre d’une part, l’option de l’action sociale humanitaire, d’autre part, la lâche d’évangélisation. La crise qui toucha d’abord la JOC (Jeunesse Ouvrière Catholique) devant l’impossibilité de tenir simultanément les deux orientations rejaillit ensuite sur l’ensemble de l’ACJF (Association Catholique de la Jeunesse Française) en 1955. C’est la même année que fut condamnée par Rome l’expérience des prêtres-ouvriers, suspects d’une trop grande complaisance envers les mouvements socialistes et communistes, une condamnation que l’épiscopat français aurait souhaité éviter. Sur ces deux chapitres, voir LATREILLE, REMOND, op.cit., pp. 651-61. Notons qu’à cette époque les expériences des catholiques français eurent beaucoup d’impact sur le développement de la gauche catholique en Allemagne.
173 LATREILLE, REMOND, op.cit., pp. 637-39. Les auteurs mentionnent le mouvement « Cité Catholique ».
174 En particulier sous l’impulsion du cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, et de Mgr Chappoulie qui avait accompli toute sa carrière dans des postes relatifs aux questions missionnaires ; KEMPF, Françoise, « Les catholiques français », Les Eglises chrétiennes et la décolonisation, sous la direction de Marcel Merle, Paris, A. Colin, 1957, pp. 156-57 (Cahiers de la Fondation Nationale de Sciences Politiques, Nr. 151).
175 ibid.
176 Déclaration de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France, 7 mars 1958, DC, Nr. 1273, 1958, col. 340 ; 14 oct. 1960, DC, Nr. 1339, 1960, col. 1367-68. Egalement, KEMPF, op.cit., pp. 166-69, 174-79.
177 ANCEL, Mgr, « Le problème de la légitimité de l’insurrection en Algérie », mars 1958, DC, Nr. 1306, 1959, col. 311-12.
178 « Les apects moraux du drame algérien », Note théologique de la Commission Doctrinale de la Chronique Sociale de France, DC, Nr. 1343, 1961, col. 35-36. On peut supposer que cette note était en accord avec les vues de l’épiscopat.
179 Ceci est particulièrement évident dans les allocutions du Cardinal Feltin. Vicaire aux Armées ; FELTIN, op.cit. Egalement, Déclaration de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France, 14 oct. 1960, op.cit.
180 De SORAS, Albert, « L’objection de conscience et le cas du prophète », Revue de l’Action Populaire, avr. 1950, repris par DC, Nr.1067, 1950, pp. 537-42 ; LORSON, Pierre, Un Chrétien peut-il être objecteur de conscience ?, Paris, Seuil, 1950, 204 p. Egalement CONGAR, Yves, « La jeunesse, l’Armée et le service de la nation », Semaine Sociale de Reims, 11-16 juil. 1961, DC, Nr.1.159, 1961, col. 1109-34.
181 Sur les origines et le développement de la politique nucléaire française, voir RUEHL, Lothar, La politique militaire de la France, Paris, Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1976, 430 p, et, plus récemment, les actes du colloque organisé à Arc-sur-Senans les 27, 28, 29 sept. 1984 par l’Université de Franche-Comté et l’Institut Charles de Gaulle, qui clarifient bien des points restés obscurs dans la genèse de la politique nucléaire française, L’aventure de la bombe, De Gaulle et la dissuasion nucléaire (1958-69), Paris, Plon, 1985, 380 p. Pour un débat « en situation », voir Pour ou contre la force de trappe, Déclarations du Général de Gaulle, Opinions et commentaires, Paris, Ed. John Didier, 1963, 270 p.
182 Appel des Cardinaux et Archevêques de France, 14 juin 1950, DC, Nr. 1073, 1950, col. 907-8. Bien que se référant à Pie XII, leur déclaration allait plus loin et annonçait la condamnation que porterait Vatican II quinze ans plus tard.
183 Si les évêques avaient exprimé leur méfiance extrême à l’égard de l’Appel de Stockholm, ils n’avaient pas cru devoir interdire aux catholiques de le signer, vraisemblablement par égards à nombre de leurs fidèles engagés dans le mouvement ouvrier. Les réactions à l’appel de Stockholm dans les milieux catholiques sont résumées dans DC, Nr.1078, 1950, col. 1233-48 ; Nr. 1079, 1950, col. 1318-39.
184 Sur l’évolution de l’opinion française à l’égard de la bombe atomique, voir GALLOIS, Pierre-Marie, « La dissuasion du faible au fort », in L’aventure de la bombe, pp. 165-72 ; PLANCHAIS, Jean, « Les réactions de l’opinion à travers la presse et les sondages », ibid., pp. 243-54 ; De la GORCE, Paul-Marie, « Les réactions de l’Armée et des forces politiques », ibid., pp. 255-66 ; ENGAMMARE, Philippe, « Les partis politiques fiançais face à la bombe atomique : de la clandestinité au consensus », Défense nationale, févr. 1987, pp. 37-52.
185 Non crédibilité qui ignore justement la logique de la « dissuasion proportionnelle », décrite par le général Gallois comme la capacité d’infliger à l’adversaire un dommage supérieur à l’enjeu que constitue le dissuadeur : KLEIN, Jean, « La stratégie de dissuasion de la France et la stratégie des Etats-Unis dans l’Alliance Atlantique », in L’aventure de la bombe, p. 177 ; Le général Gallois attribue cette incompréhension à la nouveauté radicale du concept, qui tranche avec celui de la guerre classique, où la supériorité quantitative sur l’adversaire était un élément majeur ; GALLOIS, Pierre-Marie, « La dissuasion du faible au fort », in ibid., pp. 165-67.
186 ENGAMMARE, op.cit. ; De la GORCE, op.cit., pp. 260-65 ; GALLOIS, ibid. ; PLANCHAIS, op.cit., Le dernier argument était commun aux socialistes et à une partie de la droite (MRP, indépendants). Raymond Aron se fit le plus ardent partisan d’une force atomique française intégrée à la stratégie américaine de réponse flexible, en opposition au général Gallois, pour qui cette théorie vidait un arsenal atomique indépendant de sa raison d’être ; KLEIN, « La stratégie de dissuasion... », op.cit. ; PLANCHAIS, op.cit., pp. 244-47.
187 DUBARLE, Dominique, « L’atome, notre destin », La Nef, 1955 ; « La France et les armements nucléaires », La Vie intellectuelle, juin 1955, pp. 57-79 ; voir aussi dans son ouvrage La civilisation et l’atome, (Paris, Cerf, 1962) le chapitre vi : « La bombe atomique française », pp. 81-94. Personnellement opposé à la construction d’un arsenal atomique français pour des raisons d’opportunité politique et d’éthique internationale au sens de l’exemple que la France pourrait donner à la communauté des nations, le Père Dubarle n’en déduit pas l’immoralité de la décision gouvernementale, mais il affirme qu’elle ne saurait être prise sans débat public dûment argumenté.
188 PLANCHAIS, op.cit., p. 245.
189 KLEIN, Jean, Interview du 15 mai 1985.
190 GUERRY, Mgr, « La conscience chrétienne face à la bombe atomique française », DC, Nr. 1321, 1960, col. 159-64 ; « L’Eglise et la course aux armements », DC, Nr.1448, 1965, col. 913-28 ; GUILHEM, Mgr, « Le péril atomique », in Des évêques face au problème des armes, Dossier préparé par Pierre Toulat, Paris, Centurion, 1973, pp. 29-36 (Ci-après, TOULAT, Des évêques) (DC, Nr.1423, 1964, col. 578-82) ; également, GUYOT, Mgr, Interview à La Dépêche du Midi, 22 mai 1970, in ibid., pp. 56-59 (DC, Nr.1566, 1970, pp. 617-18).
191 GUILHEM, Mgr, Intervention à la 118e Congrégation Générale, 9 nov. 1964, DC, Nr.1438, 1960, col 1680 ; GARRONE, Mgr, Intervention à la 143e Congrégation Générale, 6 oct. 1965, DC, Nr. 1460, 1965, col. 2075-76 ; MARTIN, Cardinal, Intervention à la 144e Congrégation Générale, 7 oct. 1965, ibid., col. 2082 ; GOUYON, Mgr, ibid., col. 2084, Mgr Garrone joua un rôle essentiel dans la rédaction du chapitre v de GS où est traité le problème de la guerre.
192 BOILLON, Mgr, Intervention à la 145e Congrégation Générale, 8 oct. 1965, DC, Nr.1460, 1965, col. 2093-96.
193 Le Cardinal Schmitt, évêque de Metz, a dit avoir éprouvé un sentiment de « consternation » après la déclaration du Cardinal Spellman et a exprimé son inquiétude de voir toute l’Eglise engagée par de telles paroles : SCHMITT, Mgr Joseph, Lettre ouverte au Cardinal Spellman, in TOULAT, Des évêques, pp. 50-51, Le Cardinal Martin, Archevêque de Rouen, rejetait toute justification de la guerre moderne en s’appuyant sur le texte du Concile et déclarait qu’« on ne défend pas une civilisation, surtout la civilisation chrétienne, à coup de canons ». Il parlait également de la nécessité de créer un vaste mouvement contre la guerre. DC, Nt. 1487, 1966, col. 257-64.
194 GOUYON, Mgr, « Les bombardements américains au Nord Vietnam, un geste cruel et inutile ». DC, Nr.1510, 1968, col. 269-70.
195 De la MORANDAIS, op.cit.
196 L’acceptation de la force nucléaire ne fut pas immédiate dans tous les corps d’armée, à cause des bouleversements qu’elle impliquait autant dans la stratégie que dans les mentalités ; De la GORCE, op.cit., pp. 255-60.
197 Déposition de Mgr Riobé, évêque d’Orléans, au procès des abbés Desbois, Perrin et de M. Muller, 8 janv 1969, in TOULAT, Des évêques, pp. 52-54 (DC, Nr.1534, 1969, pp. 197-98) ; Interview de Mgr Ménager, évêque de Meaux, 14 nov. 1969, DC, Nr.1538, 1969, p. 374.
198 Les éléments principaux de cette discussion sont repris dans DC, Nr.1637, 1973, pp. 709-13 ; Nr.1640, 1973, pp. 871-73. Pour un exposé détaillé des controverses des années 1969-74, voir TOULAT, Des évêques.
199 Le mouvement de résistance du plateau du Larzac joua un grand rôle dans la vulgarisation des idées de défense et de résistance non-violente. A la même époque émergea le Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN), qui publie le magazine Non-violence Actualité. La revue Alternatives Non-violentes est également très proche de ce mouvement.
200 Pax Christi-France, Communiqué sur les essais nucléaires dans le Pacifique, DC, Nr. 1635, 1973, p. 646. Tout en soulignant la responsabilité spécifique de la France dans cet engrenage, Pax Christi faisait également appel aux autres puissances nucléaires pour un changement de politique.
201 Déclaration du 16 janvier 1970. DC, Nr.1556, 1970, p. 147.
202 Conseil permanent de l’Episcopat français, Conseil de la Fédération protestante de France, Note de réflexion sur le commerce des armes, 13 avril 1973, Paris, Centurion, 1973, pp. 23-24.
203 KLEIN, Jean, Interview du 15 mai 1985 ; CHAVANAT, Général Dominique, Interview du 28 nov. 1985.
204 La publication par l’Equipe nationale des groupes chrétiens d’officers des « Réflexions sur la Défense », qui se voulaient surtout un travail de conscientisation, a amorcé un réchauffement des relations. Ces réflexions sont publiées dans la Revue de Défense nationale, oct. 1973, pp. 17-46 et dans DC, Nr. 1640, 1973, pp. 357-70.
205 Les prises de position de Mgr Riobé ont fait l’objet d’exploitation du côté des mouvements de paix comme de celui des militaires. L’ambiguïté de ses déclarations y portait : 10 juil. 1973 « ... je me dois, dans ma conscience d’homme, de chrétien et d’évêque... de dire “non aux armes nucléaires”, et ceci indépendamment de toute considération d’ordre international. Aucun intérêt politique ou économique d’aucun peuple ne saurait justifier l’emploi de la bombe atomique. Prétendre que c’est une force de dissuasion, c’est supposer qu’on a l’intention de s’en servir si l’on est attaqué. On n’a pas le droit de nourrir pareil projet » ; 29 nov. 1975 : « les forces françaises de dissuasion, dans la situation actuelle mondiale, semblent nécessaires, et devraient même, à l’avenir, être perfectionnées pour devenir de plus en plus crédibles ». RIOBE, Guy-Marie, La Passion de l’Evangile, Ecrits et Paroles, Paris, Cerf, 1978, pp. 44, 62. Cette seconde affirmation n’était-elle qu’une concession de circonstances accordée à son auditoire (l’IHEDN) ?
206 « Que penser du commerce des armes », Responsables, Nr.85, mars 1977, 135 p. L’homélie de Mgr Marty et une interview subséquente sont reproduites pp. 46-47. Les réactions directes de la presse et des hommes politiques sont données pp. 47-51.

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