Chapitre I. Eglise, politique et Etat dans la tradition catholique
p. 19-36
Texte intégral
1Depuis les origines du christianisme, la relation entre Eglise et pouvoir politique est une question très discutée – et disputée. Tout l’éventail des modèles possibles, de la théocratie à la séparation la plus absolue entre religion et politique, qui réduit la foi à un champ purement privé, a été évoqué, sinon traduit dans la pratique1. L’évolution historique fut marquée par des moments aussi divers que la suspicion mutuelle au temps des premiers chrétiens, en passant par la christianisation de l’Empire, les querelles du Moyen Age pour la suprématie entre pouvoir politique et religieux, les diverses étapes de la sécularisation2 pour aboutir à la disparition de la puissance temporelle de l’Eglise à la fin du xixe siècle, disparition que le Saint Siège mit plusieurs décennies à accepter. En réalité cette acceptation n’aboutit pleinement qu’avec la « Déclaration sur la liberté religieuse » de Vatican II3. Il n’est pas de notre propos de retracer dans le détail les étapes de ce processus historique. Mais nous voudrions souligner par le rappel de quelques principes clés que l’évolution des rapports entre l’Eglise et l’Etat et, plus largement, de la foi au champ de l’action politique, est toujours en devenir.
2Au point de départ de l’analyse, il y a l’hypothèse catholique selon laquelle la foi ne pourra jamais être une affaire purement privée. Nous examinerons en premier lieu la logique fondatrice de cette position, développée par Vatican II et précisée par des textes subséquents. L’exposé des justifications sera suivi d’un début de réflexion sur les modes d’intervention de l’Eglise dans le domaine politique. Enfin, on complétera cette première approche par un rappel des éléments essentiels de la théorie catholique de l’Etat et du pouvoir politique, qui constituent une base essentielle à la compréhension des prises de position épiscopales sur les questions de défense nationale. Le recours éventuel à certains éléments de la théologie calviniste ou luthérienne aura pour but d’éclairer la spécificité du modèle catholique plutôt que de développer une véritable analyse comparative.
I. Les justifications d’une intervention
3« [L’Eglise] ne se dégage des intérêts de ce monde que pour mieux être en mesure de pénétrer la société… », déclarait Paul VI au corps diplomatique accrédité auprès du St Siège en 19664. C’est, en quelques mots, résumer toute la philosophie du document conciliaire “Gaudium et Spes” et des développements subséquents au sein de l’Eglise. Affirmer que la foi a une dimension sociale et politique pose le problème de sa relation à l’action politique, qui est le lieu où se manifeste l’éthique. Les diverses confessions religieuses apportent sur ce point des réponses sensiblement différentes, ce qui n’est pas sans conséquences sur la manière dont chacune appréciera sa relation à l’autorité politique. Au sein de l’Eglise catholique surgit en outre la nécessité d’une distinction entre les compétences du magistère et des laïcs, distinction qui, nous le verrons, ne fut pas aisée dans le débat sur les armements, en particulier aux Etats-Unis.
1. Les dimensions sociales et politiques de la foi
4Réfléchissant à la situation de l’Eglise dans le cadre politique d’un Etat pluraliste, les évêques allemands écrivaient en 1969 :
Parce que l’Eglise n’est pas du monde, mais se compose cependant d’êtres humains et ne peut exercer son action que dans le monde, elle n’a pu, depuis ses origines, échapper au dialogue avec la collectivité politique et avec la société dans lesquelles elle vit. Qu’elle le veuille ou non, elle se voit toujours placée dans un certain mode de relations par rapport aux Etats et confrontée aux valeurs sociales dominantes qui guident les efforts d’une communauté politique à un moment donné de son histoire5.
5L’Eglise n’est pas une entité abstraite ; elle est aussi une institution – et même un Etat – ce qui implique un certain nombre de contacts avec la société politique. De plus, ses membres ne sont pas isolés de la société dans laquelle ils évoluent : ils sont à la fois fidèles de l’Eglise et citoyens de leur Etat, une double allégeance qui n’est pas toujours sans poser problème.
6Si cette constatation d’ordre sociologique suffit déjà à expliquer certaines interventions de l’entité ecclésiale dans le domaine politique, elle est loin d’en épuiser tous les fondements. Il faut pour ceci avoir recours à une explication de nature théologique, dont les principes directeurs sont énoncés dans le document conciliaire “Gaudium et Spes”.
7La Constitution Pastorale “Gaudium et Spes” insiste dès ses premières lignes sur le fait que l’Eglise, « Peuple de Dieu », est « réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire » (CS § 1) et en dialogue constant avec la famille humaine (GS § 3.1). Exposant plus en détail le rôle de l’Eglise dans le monde, elle déclare : « Si la mission propre que le Christ a confiée à son Eglise n’est ni d’ordre politique, ni d’ordre économique ou social,... de cette mission religieuse découlent une fonction, des lumières et des forces qui peuvent servir à constituer et à affermir la communauté des hommes selon la loi divine » (GS § 42.2). Il n’y a pas de séparation entre l’activité temporelle des hommes et la construction du Royaume de Dieu :
l’attente de la nouvelle terre, loin d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller : le corps de la nouvelle famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque ébauche du siècle à venir. C’est pourquoi, s’il faut soigneusement distinguer le progrès terrestre de la croissance du règne du Christ, ce progrès a cependant beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où il peut contribuera une meilleure organisation de la société humaine (GS § 39.2)6.
8Même s’il n’atteint pas encore sa perfection, « le Royaume est déjà présent sur cette terre » (GS § 39.3), une affirmation qui donnera du fil à retordre aux évêques américains (Voir Chap. vi). En conséquence, « le message chrétien ne détourne pas les hommes de la construction du monde et ne les incite pas à se désintéresser du sort de leurs semblables : il leur en fait, au contraire, un devoir plus pressant » (GS § 34.5)7. D’une part, l’activité temporelle de l’homme acquiert un sens religieux, de l’autre, l’effort spirituel de l’Eglise contribue au développement humain. Il est donc possible au Concile d’affirmer qu’il existe une complémentarité et un soutien mutuel de l’Eglise et de la communauté humaine (GS § 11.3). L’Eglise apparaît comme « l’âme de la société humaine » (GS § 40.2), alors même qu’elle reconnaît positivement l’apport que peut lui fournir le monde profane (GS § 44)8. Dans cette perspective, l’activité politique s’inscrit dans la téléologie du salut avant même toute intervention de l’éthique.
9Jean-Paul II vient donner substance aux affirmations du Concile à partir d’une démarche qui lie étroitement sa vision religieuse et une anthropologie basée sur la notion de « dignité humaine ». Davantage encore que ses prédécesseurs9, il affirme que, par son incarnation et sa rédemption, le Christ a rendu à tout homme l’accès possible à la pleine dignité humaine. La doctrine de l’incarnation permet d’affirmer que le message de l’Evangile ne touche pas seulement l’homme abstrait, l’homme spirituel, mais l’être dans son unité même, dans ses dimensions à la fois matérielle et spirituelle10. Le christianisme est une religion éminemment historique11. La croyance en un Dieu qui se manifeste concrètement dans l’Histoire ne peut rester sans implications politiques.
10Ces implications deviendront d’autant plus réalité que l’Eglise affirme le caractère communautaire du salut (GS § 24-25, § 32). Chez Jean-Paul II, ce postulat d’une dimension sociale, communautaire, de la personne humaine se réalise sociologiquement par un lien organique entre la religion et la culture qui, selon lui, sont toutes deux, et de manière indissociable, constitutives de l’ontologie humaine12, jusqu’à la dimension de la transcendance13, si bien que la foi ne peut être étrangère au corps social dans lequel se manifeste la culture14. Le Christ étant venu sauver l’homme dans son intégralité, être concret, ayant accès à la transcendance, être unique n’ayant d’existence que par rapport à une communauté, l’Eglise ne peut se désintéresser de l’aspect temporel de l’activité humaine, ni éviter dans son discours la référence aux sphères sociales, culturelles et politiques de cette activité. Elle se présente alors comme le garant du respect des « droits de l’homme » au sens le plus compréhensif du terme, par quoi elle entend l’ensemble des conditions de l’épanouissement matériel et spirituel de l’être humain15.
2. Salut, éthique et politique
11Si la formulation a changé, une dominante de la tradition catholique demeure : royaume terrestre et royaume céleste sont deux domaines distincts, mais en compénétration permanente. La construction du premier contribue à l’avènement du second. La parole de l’Eglise sera donc à la fois spirituelle et éthique, comme le veut le Concile (GS § 33.2), sans qu’il y ait toujours possibilité de distinguer l’une et l’autre composantes. L’intervention de l’Eglise en politique relève surtout du discours éthique, mais la dimension spirituelle n’est pas totalement sans incidence sur ce domaine16.
12La position catholique se distingue d’une approche luthérienne qui tend à séparer totalement éthique et sanctification17. Elle est proche de l’éthique calvinienne, du moins dans son évolution récente, qui fait de l’action une conséquence directe de la foi18. Pour Luther, c’est la situation de l’homme « devant Dieu », dans laquelle il n’y a pas de libre-arbitre, qui détermine son accès au salut19. La volonté humaine peut, certes, s’exercer dans le domaine de l’éthique – qui est bonne et nécessaire –, mais face à Dieu, elle est sans incidence. Tenter de se justifier par l’éthique serait une entreprise vaine, motif de désespérance plutôt que d’espérance, car vouée à l’échec à cause du péché de l’homme. Chez Calvin, on trouve grâce au « troisième usage de la loi »20 une tentative plus poussée pour relier l’éthique et l’Evangile, ce dernier n’étant plus seulement expression du don de Dieu mais message éthique à usage didactique, destiné à conduire à l’obéissance des croyants.
13Un lien étroit entre Evangile et éthique se profile également dans la théologie catholique. Pour Thomas d’Aquin, qui reprend la tradition aristotélicienne, l’action humaine est déterminée par sa fin – l’objet de la volonté – cette fin étant la recherche du bien21. Ainsi que le résume Alain de la Morandais :
Toute action vise une fin, qui est d’abord la sienne propre et qui vise, par-delà les fins immédiates, une fin ultime, explicitement ou implicitement voulue. Cette fin ultime, en rassemblant la multiplicité de nos actes et la diversité de nos intentions particulières donne à [notre] existence une certaine unité propre et joue par rapport aux valeurs morales, qui restent des valeurs d’action, le rôle de suprême principe d’unification22.
14Selon Thomas d’Aquin, la fin ultime ne peut être que Dieu, car Dieu est le Souverain Bien23. L’homme, en réalisant sa nature ontologique, obéit par là même à la loi éternelle. La doctrine thomiste est donc une théologie basée sur une téléologie. Grâce divine et volonté de l’homme concourent à l’action éthique24 qui a un sens à la fois pour le développement humain et la réalisation du Royaume de Dieu.
15Nous laisserons à la théologie la poursuite de la réflexion sur le rapport entre éthique et sanctification. Néanmoins, il appartient à la science politique d’examiner le sens et les limites du discours éthique de l’Eglise qui, à partir du moment où elle ne se borne pas au champ de l’action individuelle, a immédiatement une portée dans le domaine politique.
16Si la parole que prononce l’Eglise sur des matières politiques se veut motivée par l’éthique, cela ne préjuge pas pour autant de sa nature et de son contenu concret. Doit-elle se limiter à un jugement négatif, un « tu ne dois pas » adressé au pouvoir politique, qui interviendrait soit a priori comme un balisage, soit a posteriori, comme une sanction ? Ou doit-elle aussi poser des impératifs positifs, avec le danger de céder à un pur légalisme ? Dans ce cas. comment faire droit à l’infini de l’exigence éthique, qui dépasse toute prescription ? Doit-elle fournir soutien et assistance aux responsables politiques dans leur tâche de gestion et de promotion du « bien commun », comme semble l’envisager le Concile (GS § 40-44, 73-76) ou doit-elle au contraire assumer un rôle de contestation prophétique sans nécessairement proposer de solution aux problèmes en cause ? Doit-elle se limiter à l’énoncé de principes généraux qui risquent de rester formels (« faire le bien », « éviter le mal ») ou lui appartient-il de se prononcer sur des propositions politiques concrètes ?
17A ces questions, qui accompagnent tout engagement politique d’une instance spirituelle, s’ajoute dans le contexte catholique la difficulté du partage des compétences entre laïcat et magistère, difficulté qui a acquis une acuité toute particulière dans le débat relatif aux prises de positions épiscopales sur la guerre et la paix.
3. Le partage des compétences
18Le Concile affirme qu’« aux laïcs reviennent en propre, quoique non exclusivement, les professions et les activités séculières… C’est à leur conscience, préalablement formée, qu’il revient d’inscrire la loi divine dans la cité terrestre ». Ils doivent attendre pour cela de la part des prêtres « lumières et forces spirituelles », sans penser pour autant que leurs pasteurs aient une compétence telle qu’ils puissent leur fournir « une solution concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se présente à eux » (GS § 43.2). Il reconnaît qu’il est possible d’opter pour différentes solutions à partir d’une même vision chrétienne des choses, autorisant un pluralisme politique dans l’Eglise, jusque-là considéré avec une extrême circonspection. En conséquence, « personne n’a le droit de revendiquer d’une manière exclusive pour son opinion l’autorité de l’Eglise » (GS § 43.3). En posant cette affirmation, le Concile a cherché à accroître l’autonomie du temporel et à limiter les formes de cléricalisme, trop fréquentes dans l’histoire de l’Eglise. Cette orientation est formulée encore plus clairement dans la lettre apostolique “Octogésima Adveniens” du pape Paul VI :
Face à des situations variées, il nous est difficile de prononcer une parole unique comme de proposer une solution qui ait valeur universelle. Telle n’est pas notre ambition, ni même notre mission. Il revient aux communautés chrétiennes d’analyser avec objectivité la situation propre de leur pays, de l’éclairer par la lumière des paroles inébranlables de l’Evangile, de puiser les principes de réflexion, des normes de jugement et des directives d’action dans l’enseignement social de l’Eglise…25.
19Il est donc essentiel que le magistère se limite aux fonctions qui lui sont réservées selon les stipulations du texte “Lumen Gentium”26 et se garde d’empiéter sur le domaine de compétence des laïcs.
20Cependant, cela n’implique pas une abstention totale de sa part sur les sujets relatifs au domaine politique. Le Concile revendique le droit de l’Eglise – qui apparaît comme droit du magistère – de « porter un jugement moral, même en des matières qui touchent le domaine politique, quand le droit fondamental de la personne ou le salut des âmes l’exigent », afin qu’elle « puisse accomplir sa mission parmi les hommes » (GS § 76.5). La difficulté sera de déterminer les bornes de cette prérogative, à la fois au sein de l’institution et vis-à-vis de l’ensemble de la communauté politique.
II. Modes d’intervention de l’Eglise dans le domaine politique
21La plupart des auteurs s’accordent à considérer que les sources de la morale catholique sont au nombre de deux : la Révélation et le droit naturel27. En termes de morale sociale, la seconde fut traditionnellement le mode d’interprétation dominant, entraînant une sclérose de la doctrine dont les effets se font encore sentir. En réaction, des pressions se manifestèrent pour un retour à une morale plus « évangélique ». Nous retracerons à grands traits les principes de la morale naturelle et leur évolution historique avant de mettre en évidence les problèmes que poserait une morale directement tirée de l’Evangile.
1. La loi naturelle
22La théorie du droit naturel repose sur un présupposé anthropologique : il existe une norme morale immanente à l’être humain qui correspond à « la structure de l’homme comme personne et comme être social » et qui doit être respectée pour que la vie en société soit possible « quelle que soit la forme particulière sous laquelle elle se réalise et permet à l’homme de se réaliser ». Ainsi que la résume Jean-Marie Aubert, « l’idée de droit naturel ne fait qu’exprimer l’ordre de choses exigé par la vie humaine en communauté sans laquelle l’homme n’est ni pensable ni possible »28. En conséquence, l’éthique sera l’expression de lois immanentes à l’agir humain. Mais contrairement à la philosophie du siècle des Lumières, développée en grande partie en réaction à son égard, la doctrine catholique ne postule pas une nature totalement appréhendable et dirigeable par le biais de la raison humaine. Au contraire, elle établit des liens indissolubles entre Nature et Révélation. Le développement de l’homme s’accomplit simultanément sur les plans spirituel et humain. La téléologie définie par Thomas d’Aquin n’a jamais été remise en question. Etant donné que le salut annoncé par l’Eglise est celui de l’homme concret, le droit naturel apparaît comme une « médiation entre la Révélation et la réalité humaine »29. Cette hypothèse a un corollaire important : il revient à l’Eglise, gardienne de la Révélation, et en particulier à son magistère, d’interpréter les lois régulatrices de la nature de l’homme et, en conséquence, de définir les normes éthiques capables de guider sa conduite.
23Historiquement, cette prétention a donné lieu à de nombreux abus, qui ont largement contribué à jeter le discrédit sur la théorie catholique du droit naturel. Aujourd’hui encore, même après une saine critique venue de l’intérieur comme de l’extérieur de l’Eglise, on hésite à y faire explicitement référence ; ce qui ne signifie par son abandon.
Le risque d’une interprétation réductrice de la loi naturelle
24L’interprétation réductrice de la morale naturelle est due à une confusion entre les deux termes de « droit naturel » et de « loi naturelle », souvent employés comme synonymes, ou comme sous-groupe l’un de l’autre, alors qu’il existe en réalité une différence qualitative entre eux30. Alors que le premier exprime une « participation matérielle au vouloir divin », comme telle ou telle inclination objective à assumer, ou tel ou tel acte à accomplir31, la seconde manifeste une participation formelle dont la raison se fait l’instrument en donnant à l’homme la capacité de « [percevoir] la nécessité morale qui relie à la fin de l’homme tel ou tel acte… comme moyen à fin »32. En d’autres termes, « la loi naturelle est la raison humaine à l’œuvre sur la réalité humaine globale (corps et âme) à régler ; le droit naturel est cette réalité elle-même, non pas définie une fois pour toutes, mais s’offrant à l’action régulatrice de la raison sous forme de tendances et d’inclinations »33. Jean-Marie Aubert insiste longuement sur l’idée de tendances, qui suppose une réalité humaine ouverte, évolutive au fil des circonstances historiques34. Dans la pratique, ce caractère empirique et existentiel35 du droit naturel a été évacué sous l’influence de l’interprétation réductrice de la scolastique des xvie et xviie siècles, renforcée d’un côté par le matérialisme, de l’autre par l’idéalisme des philosophies subséquentes. Il en est résulté une dichotomie insurmontable entre nature et liberté, absente de la théorie thomiste des origines36.
25Dans cette perspective, la nature est considérée non plus comme « un réel à l’état de tendances », sur lequel doit œuvrer la raison, mais comme un donné figé et immuable, détaché des aléas des circonstances historiques. La tendance volontariste, inaugurée par Dun Scot et transférée dans le domaine de la loi naturelle par Suarez37 conduisit en outre à considérer la loi comme un impératif extérieur à la nature, indépendante des conditions de l’épanouissement humain, obligatoire du seul fait qu’elle est imposée par l’autorité divine38. Ces deux tendances, alliées à la prétention du magistère à la primauté de l’interprétation de la volonté divine, introduisirent une vision restrictive de l’éthique dans la doctrine catholique. Des « principes primaires », inscrits dans la raison humaine, l’autorité ecclésiastique se crut autorisée à tirer par déduction le contenu des normes éthiques universelles directement applicables à l’action, alors que celui-ci aurait dû faire l’objet d’une évaluation spécifique dans chaque cas distinct39.
26Nul n’a mis en évidence avec plus de clarté les implications politiques de cette déformation historique que le juriste allemand Ernst-Wolfgang Bökkenförde. Böckenförde constate l’existence d’un hiatus profond entre la nature de la décision politique, par essence contingente, liée à une série de facteurs hétérogènes en association et en dissociation constantes, souvent résultat d’un compromis ou d’un choix entre diverses alternatives, et une attitude qui consiste à déduire à partir de principes généraux des normes simultanément universelles et intemporelles d’une part, immédiates et applicables à l’action d’autre part. Le danger est alors de « qualifier d’intangibles et inaliénables les domaines et contenus partiels du bien commun » – objet de l’action politique dans la théorie catholique, nous y reviendrons – « qui relèvent directement du droit naturel, y compris là où des évaluations comparatives et des compromis seraient nécessaires, et d’en faire le noyau (concret) du bien commun »40. On perd alors de vue le caractère global du bien commun et par suite, de l’action politique, au profit d’intérêts particuliers déclarés supérieurs à cause de leur relation immédiate au droit naturel. La conséquence de cette déviation est double :
D’une part on aboutit à une réduction de la morale naturelle à une « morale pour cas limite » („Grenzmoral“), « dans la mesure où les droits dits “naturels” ne sont plus définis par rapport à la Nature comme totalité, au sens du développement et de la réalisation totale du “telos” contenu en elle, mais par rapport à la Nature comme attribut élémentaire, minimum inaliénable, dont la perte ou la violation entrave ou remet en question la nature humaine dans son essence constitutive »41. Tout ce qui se situe en-deçà de cette limite, en particulier le mode d’organisation de la communauté politique, est considéré comme extérieur au champ d’application de la loi naturelle, pourvu que soient respectés un certain nombre de principes de base qui constituent un « cadre »42. On observe en résultat une tendance marquée des catholiques à définir leur attitude à l’égard de l’Etat et de la société à partir de leur situation en tant que fidèles de l’Eglise, gardienne des valeurs « essentielles », plutôt qu’en tant que citoyens de la communauté politique. La notion de « bien commun » est alors fréquemment assimilée à un intérêt particulier qui est la protection de l’Eglise et valeurs attachées (liberté de l’enseignement et liberté de culte essentiellement)43 ;
D’autre part, la volonté de faire découler, à partir des principes de la loi naturelle, des conclusions concrètes immédiatement applicables à l’action conduit à un positivisme de la théologie morale qui la rend très dépendante des idéologies et courants politiques qui traversent une société à un moment donné. L’impossibilité d’échapper au dilemme universalité-concrétude aboutit à « un remplissage au moyen de propositions et jugements contingents… qui ont un caractère d’évidence pour ceux à qui le droit naturel s’adresse en premier lieu… ce caractère d’évidence [servant] de preuve indirecte à leur faculté d’être universellement identifiés »44. Le danger de glissement est d’autant plus grand que la matière traitée est plus éloignée du domaine de réflexion de l’ontologie humaine : ainsi les règles de la morale individuelle peuvent-elles être extraites du droit naturel plus directement que les principes d’organisation de la communauté politique. Leur universalité est aussi moins discutable. C’est aussi pourquoi la morale sociale individuelle a traditionnellement fait l’objet d’un développement beaucoup plus élaboré que la morale sociale collective (la « doctrine sociale » de l’Eglise) et celle-ci à son tour que la morale politique à proprement parler. Les relations interétatiques en particulier ont été à peine abordées jusqu’à une date récente, hormis par le biais de la théologie de la « guerre juste », dont le caractère de „Grenzmoral“ est particulièrement marqué (Voir Chap. ii).
27Les avatars historiques de la « loi naturelle », l’inacceptabilité croissante de l’idée d’« ordre moral » dans un monde laïcisé et plus généralement, la lourde connotation idéologique du concept, conduisirent de nombreux catholiques non pas à remettre en cause le principe même d’existence d’une loi naturelle, mais à en relativiser le contenu et à chercher à revenir à une morale plus « authentiquement » chrétienne, basée sur l’Evangile, qui est longtemps restée l’apanage de quelques Eglises protestantes minoritaires.
2. Les difficultés d’une éthique évangélique
28Les commentaires du texte conciliaire “Gaudium et Spes” ont souligné la rupture que celui-ci introduisait avec la méthodologie traditionnelle de la morale naturelle45. Il est vrai que les termes de « loi naturelle » ou de « droit naturel » n’apparaissent plus guère dans les documents conciliaires, alors même que l’encyclique “Pacem in Terris”, publiée pendant le Concile, s’appuyait encore très largement sur ces concepts46. La volonté des Pères du Concile d’accorder une plus grande autonomie au monde temporel en est l’une des raisons. Cependant, la recherche d’une théologie biblique qui accompagne ce mouvement porte en elle le risque d’une interprétation fondamentaliste des textes évangéliques, inaugurant au sein du monde catholique une forme de théologie politique différente des anciennes formes de cléricalisme, certes, mais non moins inacceptable.
29Détaché des choses terrestres, l’Evangile retrouve sa force contestatrice, telle qu’elle apparaît dans la théorie luthérienne de la séparation des deux règnes47. Mais le danger réside alors dans la tentation de transformer ce pouvoir de contestation en programme politique positif n’autorisant aucune dérogation puisqu’il découlerait directement de la parole divine. Ce danger guette l’ensemble des mouvements de paix d’obédience chrétienne au début des années 1980, soulevant des débats passionnés à propos de l’interprétation à donner au « Sermon sur la Montagne » dans le cadre de la politique d’installation des euromissiles. En Allemagne en particulier, la discussion prit l’allure d’une véritable polémique à partir de la publication de l’opuscule du journaliste Franz Alt, membre de la CDU, Friede ist möglich, Die Politik der Bergpredigt48, et de la réponse que lui adressa Manfred Hättich49. Alors que pour le premier l’ensemble de l’enseignement de Jésus, contenu dans le Sermon sur la Montagne, est politique50, le second admet, comme déjà l’avait fait Luther, qu’il est impossible de gouverner selon l’Evangile. Ce serait le triomphe des méchants51.
30A cause de sa tradition de morale naturelle et parce que, historiquement, l’interprétation fondamentaliste fut surtout le fait de certains groupes protestants en réaction à l’attitude de l’institution catholique52, celle-ci reste très méfiante à l’égard de toute tentative d’application politique d’une éthique évangélique, comme nous le verrons en particulier chez les évêques allemands et français.
31La définition d’une éthique qui ne soit pas uniquement négative et n’empiète pas pour autant sur les prérogatives du pouvoir politique se heurte en outre dans le contexte catholique à une longue tradition de déférence vis-à-vis de l’autorité étatique, gardienne du « bien commun ». Un bref exposé de la conception catholique de l’Etat et de l’autorité politique est un préalable nécessaire à l’interprétation des prises de position épiscopales sur les politiques de défense.
III. Le pouvoir politique dans la tradition catholique
32L’appréhension du politique dans la doctrine catholique est marquée par deux traditions qui apparaissent à la fois complémentaires et contradictoires : la première est une théorie de l’autorité politique d’inspiration paulinienne et augustinienne ; la seconde est la théorie thomiste, d’origine aristotélicienne, sur le bien commun. La philosophie des droits, introduite dans le discours catholique par Jean XXIII, ainsi que la reconnaissance conciliaire de l’autonomie du politique ont apporté des modulations à ces deux tendances, sans toutefois les remettre entièrement en question, comme il apparaîtra dans l’analyse des déclarations épiscopales sur les politiques de défense.
1. L’autorité politique
33« Il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu » écrit St Paul dans la lettre aux Romains (Rom 13,1). Aucune affirmation des Ecritures n’a eu des conséquences aussi déterminantes dans l’histoire et la théorie des relations entre Eglise et pouvoir politique que cette proposition. C’est sur elle que s’appuya l’Eglise pour tenter d’asseoir son pouvoir temporel sur des princes particulièrement récalcitrants, en se présentant comme l’interprète privilégiée de la volonté divine53. Mais c’est aussi elle qui fournit un appui aux puissances temporelles pour conférer un caractère sacré à leur pouvoir absolu54.
34La théorie augustinienne, qui s’inspire directement de St Paul, fait de l’autorité politique un remède à la concupiscence et un moyen de coercition pour forcer l’homme pécheur à coopérer avec ses frères55. Dans le domaine temporel, le péché domine, même si la grâce est aussi présente56. Pour cette raison, Dieu a permis la création d’institutions, dont l’Etat, afin d’éviter que le méchant détruise ce qui est bon. Dans cette perspective, la loi édictée par le pouvoir politique acquiert un rôle positif qui s’inscrit dans le contexte de la providence divine ; en effet, en fixant les conditions de la coexistence entre les hommes grâce, au besoin, à la contrainte sur les méchants, elle permet aux justes de subsister57.
35L’interprétation catholique de la théorie augustinienne, en soulignant le rapport entre loi et sanctification, prédisposait à faire du pouvoir politique l’instrument du vouloir divin, cette fois-ci non plus seulement négativement, comme chez Luther, mais positivement, la garantie juridique offerte par le pouvoir devenant en même temps garantie d’accomplissement de la volonté divine58. Le risque de confusion entre les deux niveaux, inhérent à toute théorie du droit naturel, a jalonné toute l’histoire de l’Eglise jusqu’au Concile Vatican II.
36Si la souveraineté civile est « voulue par le Créateur… afin qu’elle réglât la vie sociale selon les prescriptions d’un ordre immuable dans ses principes universels »59, l’obéissance à l’autorité civile devient une norme de la morale et de la foi. Dans la pratique historique, cet impératif eut un impact plus grand en Europe qu’aux Etats-Unis. Léon XIII y recourut en 1892 pour inciter les catholiques français à se « rallier » à la République60. Les communautés catholiques française et allemande, chacune de leur côté, soutinrent la politique de guerre de leurs gouvernements pendant la première guerre mondiale et restèrent sourdes aux appels à l’arrêt des hostilités lancés par le pape Benoît XV61. Chacune cherchait sans doute à obtenir sa réhabilitation dans la collectivité nationale, après une dure période d’opposition au pouvoir civil62. L’effort de réintégration n’aurait pas été possible sans une grande confiance accordée à l’autorité politique. Mais cette confiance atteignit un point que l’on peut considérer comme dramatique en Allemagne avec la caution offerte à l’un des régimes les plus totalitaires qui ait jamais existé. Si les évêques allemands prirent peu à peu leurs distances vis-à-vis du pouvoir hitlérien, leur attitude en 1933 n’aurait pu montrer davantage d’enthousiasme aveugle63.
37Aux Etats-Unis, l’isolement des catholiques dans une population en majorité protestante ne permit pas l’adoption d’une attitude similaire. Non pas que les catholiques américains fussent moins prêts à soutenir les détenteurs du pouvoir – ils le devaient à cause des soupçons d’antipatriotisme qui pesaient sur eux – mais les circonstances historiques étaient autres (Voir Chap. ii). La tradition d’indépendance dont se réclament à l’heure actuelle les évêques américains est davantage une réalité de lointaine origine à l’égard de Rome que du gouvernement des Etats-Unis.
38L’expérience européenne a poussé l’Eglise à la prudence. Dans son encyclique “Pacem in Terris”, le pape Jean XXIII affirme encore que le principe de l’autorité politique relève de la loi divine64. Le Concile lui-même déclare quelques années plus tard que « la communauté politique et l’autorité publique trouvent leur fondement dans la nature humaine et relèvent par là d’un ordre fixé par Dieu » (GS § 74.3), introduisant la nature comme un intermédiaire nécessaire entre Dieu et l’organisation du monde, malgré sa réticence envers le concept de loi naturelle. L’admission du pluralisme politique au sein du catholicisme et l’acceptation de la liberté religieuse indiquent un changement profond de perspective. La relation qui demeure entre volonté divine et autorité politique n’implique plus que l’Eglise ait la primauté d’interprétation de cette volonté dans le domaine de l’activité politique concrète65. De plus, l’insistance nouvelle mise sur la légitimité du pouvoir à partir d’une philosophie des droits prend peu à peu le pas sur le thème de l’autorité dans les déclarations du magistère.
2. Le « bien commun »
39L’idée de l’Etat comme garant et promoteur du « bien commun », reprise par Thomas d’Aquin de la philosophie aristotélicienne, constitue le second pilier de l’appréhension catholique du pouvoir politique. Comme Aristote, le grand théologien catholique considère l’Etat comme la “societas perfecta” dans laquelle s’effectue le développement naturel de l’homme. Le Concile ne s’éloigne d’ailleurs pas totalement de cette assertion en présentant la communauté politique comme l’un des « liens sociaux nécessaires à l’essor de l’homme… [qui] correspondent plus immédiatement à sa nature humaine »66. Dans cette perspective, l’Etat est défini en fonction non plus de sa nature (l’autorité) ou de son origine (la volonté divine), mais de ses attributs : la promotion du « bien commun ». On s’oriente donc vers une définition fonctionnelle.
40La Constitution pastorale “Gaudium et Spes” définit le bien commun comme « l’ensemble des conditions de la vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles, et aux groupements de s’accomplir plus complètement et plus facilement » (GS § 74.1)67. La base sociale sur laquelle repose l’Etat (la société civile) est conçue de manière organique. On suppose une construction harmonieuse dans laquelle il y aurait accord entre l’ontologie humaine et sa réalisation sociale et politique, tous ces éléments étant ordonnés à une même origine, le Dieu créateur68.
41La conception de l’Etat comme garant du bien commun différencie nettement la doctrine catholique classique de toutes les théories contractuelles, qu’elles soient d’inspiration rousseauiste ou lockéenne, ainsi que de la théorie marxiste. Le rejet des théories contractuelles fut exprimé avec une vigueur toute particulière dans l’encyclique “Immortale Dei” de Léon XIII69. Pour l’Eglise, l’idée de l’existence d’une sphère politique qui s’établirait sur la base du seul arbitraire de la raison humaine, indépendamment de tout fondement divin, est en effet inconcevable70. Jean XXIII le réaffirme avec force dans son encyclique “Pacem in Terris”71.
42La théorie catholique est également très éloignée du modèle pluraliste tel qu’il s’est développé aux Etats-Unis – ce qui ne sera pas sans poser problème aux évêques américains. Alors que dans ce modèle, l’Etat apparaît comme un simple arbitre entre intérêts divergents des groupes sociaux72, elle lui accorde une fonction positive de promotion de ces intérêts, tout en restant fidèle au principe de « subsidianté » selon lequel toute fonction sociale devrait être exercée au niveau le plus bas dans la hiérarchie des groupes compétents sur un sujet donné73. Mais elle ne réfute pas moins toute théorie d’inspiration marxiste qui fait de l’Etat la simple expression des intérêts d’une classe dominante. Elle ne conçoit pas que l’Etat puisse être un « Etat de classe », ce qui pose un présupposé négatif à la remise en cause des décisions de l’autorité politique. En insistant sur le consensus autour du « bien commun », l’Eglise risque d’ignorer le moment du conflit, qui occupe une place centrale dans les théories pluralistes ou marxistes, et donc d’ignorer le moment de « la » politique. Le rattachement du « bien commun » à un ordre naturel et l’attribution d’un rôle central à l’autorité dans sa poursuite tendent à le faire apparaître comme un donné, non sujet à discussion. Ainsi, la variable consensuelle du politique acquiert-elle une prépondérance aux dépens de sa variable conflictuelle dans la doctrine catholique traditionnelle.
43Cette approche ne sera pas sans implications pour une théorie de la désobéissance (civile). En reconnaissant le principe de la primauté de la conscience individuelle74, la doctrine catholique a développé une théorie du refus d’obéissance à l’autorité au cas où celle-ci prendrait des dispositions manifestement contraires à l’ordre moral, ainsi qu’une théorie de la juste révolution pour renverser un pouvoir tyrannique. Thomas d’Aquin affirmait en effet que :
La loi humaine a raison de loi en tant qu’elle est conforme à la droite raison ; à ce titre, il est manifeste qu’elle découle de la loi éternelle. Mais dans la mesure où elle s’écarte de la raison, elle est déclarée une loi inique, et dès lors n’a plus raison de loi, elle est plutôt une violence75.
44Toutefois, ce droit de désobéissance à l’autorité, admis par la théorie, eut très peu d’applications reconnues dans la pratique. Pour Thomas d’Aquin lui-même, il n’était pas inconditionnel : « L’homme n’est pas obligé d’obéir à la loi, si sa résistance n’entraîne pas de scandale ou d’inconvénient majeur », précisait-il76. Généralement, on stipulait la responsabilité des dirigeants, de manière à ce que les subordonnés – qui n’en avaient pas la compétence – n’aient pas à refaire eux-mêmes l’examen de conformité de l’ordre donné à la loi morale77. L’intégration de la théorie de l’Etat à celle de la loi naturelle fit que la première fut le plus souvent victime des déboires de la seconde. Les conditions associées à la légitimité de l’Etat – essentiellement la poursuite du bien commun – furent généralement interprétées comme des hypothèses vérifiées, sur la base de ce qui peut apparaître comme un syllogisme : 1) selon la volonté divine, obéissance est due à l’autorité politique légitime ; 2) l’autorité politique est légitime si elle garantit le bien commun ; 3) or, l’autorité politique garantit, de par sa nature, le bien commun ; donc obéissance lui est due. On cède ainsi à la tentation de projeter un modèle sur le réel et d’en déclarer certains aspects déjà effectifs, sans tenir compte des pesanteurs historiques. Théorie augustinienne de l’autorité et théorie thomiste du bien commun se rejoignent par l’intermédiaire d’une vision positiviste du droit naturel.
45Depuis Jean XXIII on note dans les déclarations magistérielles une nouvelle insistance sur les conditions de légitimité de l’Etat. Cette réorientation, qui passe par l’affirmation des droits, est-elle à même de provoquer une révision de la théorie classique de l’autorité ? C’est sur ce dernier point que nous nous interrogerons afin de pouvoir par la suite étudier l’incidence de ces développements sur les documents pastoraux relatifs à la guerre et la paix.
3. Etat et philosophie des droits chez Jean-Paul II
46La doctrine des « droits de l’homme » inaugurée au sein du catholicisme par le pape Jean XXIII78 et diffusée par Jean-Paul II, reste d’inspiration thomiste, complétée chez ce dernier par une forte influence de la philosophie personnaliste.
47Pour Jean-Paul II, l’exigence du respect de la « dignité humaine » relève d’un ordre moral objectif. Le pape n’en spécifie pas le contenu, mais il accorde à la liberté de conscience et à la liberté religieuse une place primordiale dans cet ordre. Elles sont en effet la condition sine qua non de l’accomplissement humain, car le sens de l’action humaine se résout dans la recherche de la vérité. En conséquence, tout pouvoir, et donc tout pouvoir politique, n’aura de légitimité que s’il respecte l’ordre moral objectif79. L’Etat ne peut tirer son autorité que de la nation, qui est l’émanation de la culture80. Dès le moment où il n’est plus l’expression de celle-ci telle qu’elle a été façonnée à partir de la libre détermination des individus qui la composent, le pouvoir politique perd sa légitimité81.
48On remarque un certain flou dans le vocabulaire pontifical. Le Concile ne faisait pas de différence entre les concepts de « communauté civile » et de « communauté politique ». Jean-Paul II, pour sa part, opère une distinction nette entre l’Etat et la société civile82. Il identifie celle-ci avec la « nation » et parfois avec le « peuple »83. D’autre part, l’« Etat » et l’« autorité politique » apparaissent comme synonymes. Le concept de « communauté politique »84 leur est également assimilé, quoiqu’il soit difficile de dire si cette équation est générale ou désigne les cas où l’autorité étatique est effectivement résultat de l’auto-détermination de la nation. On a donc deux séries de deux termes équivalents : Etat – autorité politique, d’une part, nation – société civile – (peuple), d’autre part, avec la notion intermédiaire flottante de « communauté politique »85.
49La philosophie des droits, qui doit beaucoup au personnalisme chrétien, vise à faire réapparaître l’homme comme sujet « capable de décider lui-même et tendant à se réaliser lui-même »86. Elle permet ainsi le retour à une conception de la nature humaine comme être en devenir, que le rationalisme et le matérialisme du xviiie siècle avaient tenté d’occulter. Dans une perspective chrétienne, l’homme, être spirituel, n’aurait jamais dû être considéré comme un simple objet87. L’infinitude humaine est une condition de participation de l’homme au but téléologique de l’Histoire et, vu sous un angle spirituel, à la réalisation du Royaume de Dieu. Le recours à une anthropologie basée sur une philosophie des droits, telle que l’expose Jean-Paul II, implique de redonner primauté à la « loi naturelle » définie en termes de potentialité, de pouvoir de l’homme sur lui-même, sur le « droit naturel », défini comme une série d’attributs invariables. Elle s’accommode mal d’une vision de l’Etat où dominerait le principe d’obéissance inconditionnelle à l’autorité et d’un modèle de société politique où le contenu du bien commun serait déterminé une fois pour toutes.
50Lorsque l’Eglise s’interroge sur la dissuasion nucléaire et plus généralement sur toute question touchant à la distribution du pouvoir entre les hommes, on peut s’attendre à ce que son concept anthropologique de la personne humaine joue un rôle essentiel. Qu’en est-il dans les récentes déclarations sur la guerre et la paix ? L’analyse que font les évêques de la puissance étatique et de sa prérogative d’usage de la force est-elle cohérente avec la vision de l’homme qu’ils développent par ailleurs dans leurs documents ? Est-elle cohérente avec le modèle de relations internationales qu’ils ébauchent, et qui semble directement lié à leurs conceptions anthropologiques ? Ou une certaine inhibition par rapport au politique, que l’on peut partiellement imputer à la tradition catholique de respect de l’autorité étatique, ne les empêche-t-elle pas de tirer toutes les conséquences de leur vision chrétienne de la paix ?
Notes de bas de page
1 Sur l’éventail de ces modèles, voir l’introduction de De MURALT, André, « La structure de la philosophie politique moderne, D’Occam à Rousseau », in Souveraineté et Pouvoir, Genève/Lausanne/Neuchâtel, 1987 (Cahiers de la Revue de Théologie et de Philosophie, Nr.2), pp. 3-10.
2 Sur le déroulement historique du processus de sécularisation, voir BÖCKENFÖRDE, Ernst-Wolfgang, „Die Entstehung des Staates als Vorgang der Säkularisation“, in Säkularisation und Utopie, Erbracher Studien, Ernst Forsthoff zum 65, Geburtstag, Stuttgart, Kohlhammer, 1967, pp. 75-94.
3 „Dignitatis Humanae Personae“, Déclaration sur la Liberté Religieuse, DC, Nr. 1463, 1966, col. 97-110. Bien que celle-ci affirme que « la liberté religieuse... ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral de l’homme et des associations à l’égard de la vraie religion et de l’unique Eglise du Christ », un changement fondamental a été opéré du fait que le devoir de chercher la vérité n’apparaît plus comme une obligation juridique, qui reposerait sur une garantie offerte par le pouvoir politique, mais seulement comme une obligation morale : BÖCKENFÖRDE, Ernst-Wolfgang, „Religionsfreiheit als Aufgabe der Christen“, in BÖCKENFÖRDE, Kirchlicher Auftrag und politische Entscheidung, Freiburg, Rombach, 1973, pp. 172-90 ; „Die Konzilerklärung über die Religionsfreiheit“, in ibid., pp. 191-205 ; « Je crois à une nouvelle résurrection de l’Eglise », Interview du cardinal Pavan, La Croix, 22 nov. 1986, p. 18.
4 PAUL VI, Discours au corps diplomatique, 8 janv. 1966, DC, Nr. 1464, 1966, col.282.
5 DBK, Die Kirche in der pluralistischen Gesellschaft und im demokratischen Staat der Gegenwart, Hrsg. Sekretariat der DBK, Bonn, 1969, p. 4, (Hirtenschreiben der deutschen Bischöfe, Nr.2). (Traduction CG).
6 Egalement GS § 34.1.
7 Voir aussi GS § 43.1.
8 En termes prudents, certes, mais cette reconnaissance constitue un immense progrès par rapport à une longue tradition de dévalorisation du monde profane. Sur les rapports mutuels de l’Eglise et du monde, voir plus généralement GS § 40-44 ; appliqué à la communauté politique. GS § 76.
9 GS § 35, 64 ; JEAN XXIII, Encyclique “Pacem in Terris”, 11 avril 1963, § 152, Paris, Le Centurion, p. 102 (Ci-après, PT) ; PAUL VI, Encyclique “Populorum Progressio”, 16 avril 1967, DC, Nr. 1492, 1967, § 14, 43 (Ci-après, PP) : exhortation apostolique “Evangelii Nuntiandi”, 8 déc. 1975, DC, § 31, Nr.1689, 1976, pp. 6-7.
10 JEAN-PAUL II, Encyclique “Redemptor Hominis”, 4 mars 1979, DC, Nr.1761, 1979, § 13-15 (ci-après RH) ; Discours à la 36e Assemblée Générale des Nations Unies, 2 oct. 1979, DC, Nr.1772, 1979, § 7, 14.
11 « ... le christianisme n’est pas une révélation spéculative, mais historique. L’absolu ne se manifeste pas immédiatement, à chacun ou à la conscience universelle, mais dans l’histoire, dans sa particularité contingente. L’incarnation communique l’universel, le Verbe que pose éternellement la liberté divine par la médiation de l’histoire. Impossible, par conséquent, d’abstraire la raison des conditions de sa pratique, de délier son exercice des situations historiques » ; BRUAIRE, Claude, La raison politique, Paris ; Fayard, 1974, p. 226. Jean-Paul II affirme dans son encyclique “Redemptor Hominis” : « Jésus-Christ a universellement sensibilisé [les chrétiens] au problème de l’homme » ; RH § 15.
12 JEAN-PAUL II, Audience Générale du 14 nov. 1979, § 2-3, L’individu, la nation et l’Etat, Textes de Jean-Paul II (oct. 1978-janv. 1980), Commission Pontificale Justice et Paix, Cité du Vatican, 1981, pp. 9-10. Aussi GS § 12.4.
13 JEAN-PAUL II, Discours à l’UNESCO, 2 juin 1980, DC, Nr. 1788, 1980, § 8-9 ; RH § 11.
14 JEAN-PAUL II, Allocution sur la place de Varsovie, 2 juin 1979, DC, Nr. 1767, 1979, pp. 602-4 ; Allocution à la Conférence épiscopale polonaise, 5 juin 1979, ibid., pp 619-22.
15 GS § 41 : JEAN-PAUL II, Discours à Puebla, 28 janv. 1979, DC, Nr.1758, 1979, pp. 169-70 ; Audience à l’ambassadeur d’Italie auprès du St Siège, 25 juin 1979, DC, Nr. 1768, 1979, p. 681 ; Discours au Président Carter, 6 oct. 1979, L’individu, la nation et l’Etat, p. 41.
16 Dans ce sens, CALVEZ, La politique et Dieu, Paris, Cerf (Essais), 1985, 119 p.
17 ANSALDI, Jean, Ethique humaine et sanctification chrétienne, Genève, Labor et Fides, 1983, 200 p. (Le Champ Ethique Nr.9).
18 LEUBA, Jean-Louis, « La Loi chez les Réformateurs et dans le protestantisme actuel », Loi et Evangile, Héritages confessionnels et interpellations contemporaines, Genève, Labor et Fides, 1981, pp. 101, 107-8 (Le Champ Ethique, Nr.5).
19 ibid., p. 102.
20 Les deux premiers usages, communs au luthéranisme et au calvinisme sont l’usage dit « élenctique » : amener l’homme à reconnaître son péché et l’usage politique, qui a pour but de permettre la vie en société au milieu d’hommes brutaux et insoumis. Luther tend à accorder la priorité au premier, alors que Calvin mentionne initialement le second ; ibid., pp. 93-96.
21 THOMAS D’AQUIN, Somme Théologique (ST), I, II, q 1.2, 3, q 7.4, q 8. (Nous nous reportons à la nouvelle édition commentée de la Somme Théologique, Paris, Cerf, 1984-85, vol. 2, pp. 77-82).
22 De la MORANDAIS, Alain, La Torture pendant la Guerre d’Algérie, Thèse d’Histoire (Université Paris Sorbonne) et Théologie (Institut Catholique de Paris), ronéotypée, 1983, p. 667. Cette étude contient un excellent exposé des fondements de la loi naturelle, pp. 664-92.
23 ST, I, II, q 1.8.
24 Thomas d’Aquin reprend le principe aristotélicien de la causalité réciproque et totale de la volonté et de la fin pour l’appliquer au concours de la volonté divine et de la volonté humaine dans l’acte. La volonté divine crée la puissance humaine à agir, qui est d’ordre général : elle agit par une « motion prévenante » qui est particulière à chaque acte. Mais, ce faisant, elle meut la puissance à agir selon la propriété de sa nature, sans la violenter. Il va donc concours de deux causes totales, divine et humaine, dans l’accomplissement de l’acte ; De MURALT, André, Actualité de la Philosophie médiévale, cours donné au semestre d’été 1986 du Département de Philosophie de l’Université de Genève (notes de l’auteur).
25 PAUL VI, Lettre apostolique “Octogesima Adveniens”, DC, Nr. 1587, 1971, § 4.
26 Lumen Gentium, Vatican II, Constitution Dogmatique sur l’Eglise, 21 nov. 1964, Paris, Cerf (“Unam Sanctam”, Nr.51), 1965, 159 p.
27 AUBERT, Jean-Marie, « Pour une herméneutique du droit naturel », Recherches de Sciences Religieuses, Nr.59, 1971, p. 461.
28 ibid, p. 454.
29 ibid., p. 461.
30 ibid., p. 468.
31 ibid., p. 465 ; Aubert parle de « réalité naturelle, tendancielle, allant de l’instinct de conservation au besoin de communiquer avec ses semblables, au désir de connaître et aimer Dieu, en passant par la sexualité... ».
32 ibid.
33 ibid., p. 468.
34 ibid, pp. 466, 469, 478.
35 ibid., p. 479.
36 ibid., pp. 469-74.
37 ibid., p. 471 ; BÖCKLE, Franz, „Natürliches Gesetz als göttliches Gesetz“, in Naturrecht in der Kritik, Hrsg. Franz Böckle, Ernst-Wolfgang Böckenförde, Mainz, Grünewald, 1973, pp. 175-78. Böckle s’appuie ici sur les travaux de ARNTZ, J.-Th., „Die Entwicklung des naturrechtlichen Denkens innerhalb des Thomismus“, in Das Naturrecht im Disput, Hrsg. Franz Böckle, Düsseldorf, Patmos, 1966. Sur les fondements scotistes et l’interprétation suarezienne du droit naturel, dans la perspective d’une philosophie politique, voir De MURALT, « La structure de la philosophie politique moderne », op. cit., pp. 44-47, 60-63.
38 AUBERT, op. cit., p. 472.
39 Thomas d’Aquin précise « ...le principe premier de la raison pratique est celui qui se fonde sur la raison de bien, et qui est : “le bien est tout ce que les êtres désirent”. C’est donc le premier précepte de la loi qu’il faut faire et rechercher le bien, et éviter le mal. C’est sur cet axiome que se fondent tous les autres préceptes de la loi naturelle... » ST, I, II, q 94, a 2.3. Il ne parle pas d’un processus déductif des normes générales aux normes spéciales. Sur ce point, voir ANTOINE, Pierre, « Conscience et loi naturelle », Etudes, mai 1963, p. 174.
40 BÖCKENFÖRDE, „Kirchliches Naturrecht und politisches Handeln“, in Naturrecht in der Kritik, p. 101 (Traduction CG).
41 ibid., p. 107 (Traduction CG). Egalement AUBERT, op.cit., pp. 476-77.
42 C’est ce qui a permis à l’Eglise de proclamer de manière répétée son indifférence aux formes de régimes politiques, tout en se prévalant d’un certain nombre de droits considérés comme faisant partie du « minimum » découlant de la loi naturelle.
43 E.-W. Böckenförde en a fait la démonstration magistrale à propos de l’attitude des évêques allemands lors de la prise de pouvoir de Hitler ; BÖCKENFÖRDE, Ernst-W., „Kirchliches Amt und politische Entscheidung im Jahre 1933 und danach“ (réunion de trois articles publiés entre 1961 et 1966) in BÖCKENFÖRDE, Kirchlicher Auftrag und politische Entscheidung, pp. 30-122. Pour une thèse semblable quant à l’engagement politique des catholiques français, MADELIN, Henri, « Motivation des Chrétiens en matière politique », Etudes, juil. 1972, pp. 15-31.
44 BÖCKENFÖRDE, „Kirchliches Naturrecht“, op.cit., p. 109 (Traduction CG). Jean-Marie Aubert souligne le même risque, op.cit., p. 469. 476-77.
45 De RIEDMATTEN, Henri, « Histoire de la Constitution Pastorale », L’Eglise dans te Monde de ce Temps, Schéma XIII, Commentaires, Paris, Mame, 1967, pp. 42-92 : ALBERIGO, Guiseppe, « La Constitution dans le cadre général du Concile », L’Eglise dans le Monde de ce Temps, Etudes et commentaires autour de la Constitution Pastorale “Gaudium et Spes”, sous la direction de Guilherme Barauña, Bruges, Desclée de Brouwer, 1967, vol. 1, pp. 223-50 ; LYONNET, Stanislas, « A propos des fondements bibliques de la Constitution », ibid., pp. 253-70.
46 PT § 5-7, 9, 28, 30, 38, 51, 55, 79, 132-33, 157, 160. L’index de l’édition du Centurion précise sous l’entrée « droit naturel » : « Expliciter les exigences du droit naturel en vue de l’établissement de la paix entre les hommes, c’est l’objet de toute l’encyclique », ibid., p. 121.
47 Voir la conclusion de LEUBA, op.cit., pp. 107-9 en faveur d’une approche de type luthérien.
48 München/Zürich, Piper, 1983, 119 p. (En français sous le titre, Les Béatitudes, l’arme absolue, La Politique selon le Sermon sur la Montagne, Paris, Oeil, 1983, 157 p.).
49 Weltfrieden durch Friedfertigkeil, Eine Antwort auf Franz Alt, München, Gunter Olzog, 1983, 96 p.
50 ALT, op. cit., p. 28-29.
51 LUTHER, « De l’autorité temporelle et des limites de l’obéissance qu’on lui doit », Œuvres, vol. 4, Genève, Labor et Fides, 1959, pp. 19-21, cité par LEUBA, op. cit., pp. 104-5.
52 NUTTALL, Geoffrey F., Christian Pacifism in History, ed. World Without War Council, Berkeley, California, 1971, 84 p.
53 Historiquement, cette conception prévalut entre les xie et xiiie siècles, soit sous les pontificats de Grégoire VII à Boniface VIII.
54 On pense ici plus particulièrement à la Constitution de l’Eglise gallicane imposée à l’Eglise catholique de France par Louis XIV en 1664 ou au Joséphisme en Autriche.
55 BOSC, Robert, Sociologie de la paix, Paris, Spes, 1965, p. 167.
56 AUGUSTIN, La Cité de Dieu, Livre XII, 2-5, 20-22, Livre XIII, 3-6, Paris, Desclée de Brouwer, 1959, « Œuvres », (vol. 35, pp. 155-63, 217-29, 255-65). C’est cette perspective que reprendra Luther (Cf. supra).
57 ibid., Livre V, 11 (vol. 33, pp. 689-90), Livre XIX, 17, 19 (vol. 37, pp. 127-33, 135-37, 139-41).
58 Voir note 3.
59 PIE XII, Encyclique “Summi Pontificatus”, 20 oct. 1939, in Relations Humaines et Société Contemporaine, Synthèse chrétienne, Directives de SS, Pie XII, éd. Alain Savignal selon l’édition allemande de A. F. Utz et J. F. Groner, Fribourg/Paris, Ed. St Paul, 1956, vol. l, Nr.44, p. 22 (ci-après, UTZ-GRONER). Pie XII reprend ici les termes de l’Encyclique “Immortale Dei” de Léon XIII (1885).
60 LEON XIII, « Au milieu des sollicitudes », 16 févr. 1892, in La Doctrine Sociale de l’Eglise à travers les Siècles, Ed. Arthur Utz, Bâle/Rome/Paris, Beauchesne, XXIII, Nr. 177-207 (Ci-après, UTZ).
61 En particulier l’appel à la réconciliation du 1er août 1917. Sur l’attitude des catholiques allemands, voir FENEBERG, op.cit., pp. 41-42, 68-71. Pour les catholiques français, voir VAUSSARD, Maurice, Histoire de la démocratie chrétienne, vol. l, France, Belgique, Italie, Paris, Seuil, 1956, p. 84.
62 Le „Kulturkampf“ en Allemagne (environ 1870-80) : la querelle qui aboutit à la loi de Séparation de 1905 en France.
63 La lettre pastorale que publièrent les évêques allemands à l’occasion de l’avènement de Hitler en 1933 déclare en effet : « En plus d’un amour profond pour la patrie et pour le peuple, notre époque se caractérise par un remarquable accent mis sur l’autorité et par l’exigence d’une intégration organique complète de l’individu et des groupes dans l’ensemble étatique. Elle se fonde ainsi sur les postulats du droit naturel selon lesquels aucune communauté n’est possible sans autorité et selon lesquels l’adhésion volontaire au peuple et la soumission obéissante aux dirigeants légitimes de la nation sont une garantie de la puissance et de la grandeur du peuple... Il ne nous est donc pas difficile, à nous catholiques, d’adhérer à cette nouvelle insistance sur l’autorité à l’intérieur de l’Etat allemand et de nous y soumettre avec empressement, car elle n’est pas seulement une vertu naturelle mais bien plutôt surnaturelle et il nous est donné d’apercevoir dans toute autorité humaine un reflet de la puissance divine et une participation à l’autorité éternelle de Dieu » ; Cité par BÖCKENFÖRDE, Kirchlichcr Auftrag und polilische Entscheidung, 1973, pp. 39-40 (Traduction CG).
64 PT § 46.
65 CALVEZ, Jean-Yves, « L’Eglise a-t-elle changé dans son appréciation du politique ? », Revue Française de Science Politique, vol. 36, Nr.3, 1986, pp. 344-45. Notons qu’en cela l’Eglise catholique se rapproche de la perspective luthérienne.
66 GS § 25.2. L’autre lien social nécessaire étant la famille.
67 Dans l’Encyclique “Mater et Magistra” (1961), le bien commun était défini comme « l’ensemble des conditions sociales qui permettent et favorisent dans les hommes le développement intégral de leur personnalité » ; JEAN XXIII, Encyclique “Mater et Magistra”, 15 mai 1961, DC, Nr.1357, 1961, col. 956.
68 Le type même de cette vision est résumé dans PT § 47.
69 LEON XIII, “Immortale Dei”, 1er nov. 1885, in UTZ, op.cit., XXI, Nr.24-48.
70 PORTIER, Philippe, « La philosophie politique de l’Eglise catholique : changement ou permanence ? », Revue Française de Science Politique, vol. 36, Nr.3, 1986, pp. 344-45. André de Murait a bien montré que la théorie politique moderne n’avait pu se développer que sur la base d’une philosophie qui avait rompu avec le raisonnement thomiste ; De MURALT, « La structure de la philosophie politique moderne », op.cit.
71 « On ne peut, certes, admettre la théorie selon laquelle la seule volonté des hommes serait la source unique et première d’où naîtraient droits et devoirs des citoyens, et d’où dériveraient la force obligatoire des constitutions et l’autorité des pouvoirs publics », PT § 78. Notons cependant que l’Eglise ne réfute pas la thèse de la souveraineté du peuple, même si elle affirme que Dieu est le fondement de l’autorité.
72 Pour le détail de cette théorie, voir LASKI, Harold, The American Democracy, A Commentary and an Interpretation, New York, The Wiking Press, 1948, 785 p. ; TRUMAN, David, The Governmental Process, Political Interesls and Public Opinion, New York, A.A. Knopf, 1958, 544 p.
73 PT § 65-66 ; GS § 75.2.
74 ST, I, II, q 19, a 5-a 6.
75 ST, I, II, q 93, a 3, s 2. Sur le tyrannicide, voir ST, II, II, q 42, a 2, s 3.
76 ST, I, II, q 96, a 4, s 3.
77 Voir par exemple, FELTIN, Cardinal, « L’enseignement de l’Eglise sur le respect de la personne humaine », DC, Nr.1340, 1960, col. 1421-26.
78 PT § 27.
79 RH § 17 ; Discours au Président Carter, 6 oct. 1979, op.cit., pp. 28-29.
80 JEAN-PAUL II, Discours à l’UNESCO, 2 juin 1980, op.cit., p. 604.
81 JEAN-PAUL II, Allocution au corps diplomatique, 12 janv. 1979, L’individu, la nation et l’Etat, p. 26. Egalement, Allocution au corps diplomatique, 16 janv. 1982, DC, Nr. 1823, 1982, pp. 135-36.
82 Discours aux Nations Unies, 2 oct. 1979, op.cit., § 6.
83 Allocution au Corps diplomatique, 12 janv. 1979, op.cit.
84 Allocution au Président Carter, op.cit., p. 28 ; RH § 17.
85 A notre avis, l’imprécision du terme est à la fois cause et conséquence de l’ambiguïté du concept d’Etat défini d’un côté par le biais d’un principe extérieur d’origine divine, de l’autre par l’approche fonctionnelle du bien commun.
86 CALVEZ, « L’Eglise a-t-elle changé ? », op.cit., p. 347.
87 AUBERT, op.cit., p. 478.

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