Chapitre 2. Buts et tâches de l’État et de la société
p. 435-458
Texte intégral
§ 34 L’importance des buts de l’Etat
a) Pourquoi des buts propres à l’Etat ?
11 Depuis des siècles, les idéologues mais également les praticiens ne parviennent pas à s’entendre sur les tâches dont l’accomplissement incombe à l’Etat. L’éventail des opinions va de celles qui restreignent au maximum le pouvoir de l’Etat et ne concèdent à celui-ci que l’accomplissement de tâches de police, à celles qui prônent l’Etat total qui doit faire le bonheur des hommes, contre leur gré au besoin.
22 Durant longtemps, les théories allemandes de l’Etat ont peu analysé les buts de l’Etat. Un aperçu des constitutions contemporaines montre que celles-ci se bornent le plus souvent à décrire l’ordre qui est fondamental pour l’organisation de l’Etat ainsi que les libertés des hommes, mais qu’elles sont muettes au sujet des buts et des tâches de l’Etat. Dans l’étude des pays suivants, nous allons pourtant approfondir cette question pour un certain nombre de raisons :
33 1. A propos de récentes discussions relatives à la révision totale de la constitution fédérale de la Suisse, un avant-projet de 1977 contient un catalogue des tâches dévolues à l’Etat. Ces tâches ne sont pas seulement énumérées à l’article 2 de cet avant-projet, mais encore définies dans d’autres chapitres, par exemple dans ceux qui traitent des droits sociaux, de la propriété et de la politique économique. Des obligations de l’Etat qui doit accomplir certaines tâches et des responsabilités qu’il doit assumer découlent alors logiquement des règles de compétence nouvellement formulées ; ces normes ne se contentent pas de conférer de nouvelles attributions à la Confédération et aux cantons, mais encore les investissent de responsabilités.
4Le fait de reporter l’accomplissement de certaines tâches sur l’Etat n’est pas nouveau. On trouve déjà dans la constitution fédérale actuellement en vigueur des règles de compétence qui attribuent de véritables tâches à la Confédération par exemple dans le domaine de la protection de l’environnement (art. 24septies est.) ou dans celui des assurances sociales (art. 34quater est.). Le peuple qui doit adopter ou rejeter de telles modifications de la constitution ne s’est manifestement pas contenté de donner une certaine compétence à la Confédération, il a également voulu lui confier des tâches et infléchir ainsi l’action de l’Etat dans une direction bien précise.
54 2. La question de la finalité de l’Etat est le point de départ d’une analyse approfondie portant par exemple sur la conception marxiste et sur la conception libérale de l’Etat.
65 3. Les débats les plus récents au sujet du philosophe américain Rawls, qui est un « utilitariste », ont amené à discuter plus à fond du problème de la justice et, par conséquent, du bien commun. Cette notion très changeante à plus d’un égard et qu’on retrouve exprimée dans le domaine juridique par la formule « intérêt public » ou « intérêt général » mérite d’être précisée1.
76 4. L’aliénation progressive de l’homme par l’Etat a probablement pour cause principale une situation dans laquelle l’homme ne comprend plus l’Etat, parce qu’il y est toujours exclusivement question de choses abstraites telles que l’organisation, le parlement, l’administration et la bureaucratie. On a oublié qu’en fin de compte l’Etat est là pour les hommes et non pas le contraire. En revanche, on perçoit de mieux en mieux dans les tâches dont l’accomplissement incombe à l’Etat ce que l’individu peut attendre de l’Etat. Il est donc nécessaire et urgent d’instaurer aussi une réflexion théorique, afin d’être mieux au clair sur la finalité de l’Etat, c’est-à-dire sur ses buts et ses tâches.
87 5. Etant donné que l’activité de l’Etat dépend beaucoup du degré de division du travail et d’interdépendance au sein de la société, les tâches des pouvoirs publics se modifient avec l’évolution sociale. L’Etat n’est pas un organisme immuable.
b) A propos du débat sur les buts de l’Etat
98 En 1872 dans l’Allemagne d’alors, l’Etat utilisait 18,5 % du revenu national pour accomplir ses tâches. Un siècle plus tard (1972) cette part s’élevait à 39,8 %. En Suisse, la proportion est d’environ 30 %, en France de quelque 40 % et même de 50 % en Angleterre2. Cette formidable croissance des dépenses publiques en un siècle a relancé le débat sur la question de savoir quelles sont les tâches des pouvoirs publics et quelles sont celles dont l’accomplissement incombe aux particuliers.
109 Alors que durant bien longtemps, les philosophes et théoriciens de l’Etat, et notamment H. Krueger, ont banni de leurs recherches le thème des buts de l’Etat comme étant de nature purement politique, ce problème figure de nouveau au premier plan des préoccupations des théoriciens du droit et aussi des économistes3.
1110 Dans l’Antiquité, les buts de l’Etat étaient formulés dans la perspective d’un Etat idéal et juste, ayant pour finalité d’éduquer les hommes à la vertu (Platon et aussi Aristote sous une forme différente). Sur la base de cette tradition, la théorie médiévale de l’Etat dégagea le « bonum commune » (bien commun) comme étant la finalité des activités de l’Etat. Les temps modernes et plus particulièrement la philosophie des lumières ont donné un sens nouveau à ce débat et cette nouvelle dimension est, à plus d’un égard, déterminante pour notre époque. D’après Locke, l’Etat a pour tâche de protéger la liberté et la propriété. L’Etat est donc une institution protectrice à l’intérieur et une institution militaire à l’extérieur.
1211 La théorie d’un Etat restreint et minimaliste ayant pour seule tâche de sauvegarder la liberté et de protéger la propriété a été reprise il y a peu par Nozick. Pour lui, toute autre intervention de l’Etat, par exemple pour améliorer le niveau de vie ou dans l’intérêt d’une répartition plus équitable des biens, est injustifiée, car la juste répartition des biens ne peut résulter que du marché libre. L’Etat doit donc laisser à chaque individu le soin de chercher la prospérité et le bonheur et n’a pas le droit d’attenter à sa liberté.
1312 L’évolution jusqu’à l’Etat souverain et sécularisé, tel que l’a conçu la philosophie des lumières, a eu encore d’autres conséquences très importantes pour l’analyse de la finalité de l’Etat. Au sein de l’Etat médiéval et féodal, les hommes naissaient par destinée dans un rôle et une condition sociale bien déterminés. Dès lors, la question d’une équitable répartition des biens passait au second plan. Avec le tournant que représentent la sécularisation de l’Etat et sa souveraineté ainsi que la modification des conditions sociales et la naissance d’un Etat cherchant sa légitimité dans une société préexistante, atomisée, libre et égalitaire, il devenait possible de remettre en question la répartition des biens. Par conséquent, le débat sur la finalité de l’Etat ne tarda pas à être axé sur l’opportunité, voire la nécessité d’une intervention de l’Etat pour parvenir à une répartition plus équitable des biens.
1413 Sous l’influence d’Adam Smith, l’école libérale fut d’avis qu’une juste répartition des biens n’était réalisable qu’à la condition que l’Etat laisse à chacun la liberté de produire des biens, de les vendre, de les acheter et de les consommer. Puisque chacun use de sa liberté dans son intérêt subjectif, une « main invisible » fera naître l’équité et la prospérité publique dans le corps social. Cette force invisible guide les individus de telle manière qu’ils se mettent au service de l’intérêt général, indépendamment de leurs propres intérêts et qu’ils puissent ainsi accomplir au mieux le premier et les seconds.
1514 Les physiocrates admettaient aussi l’existence d’une main invisible veillant à ce que l’action subjective soit rationnelle et ordonnée au bien commun. Pour Francois Quesnay (1694-1774) c’est « l’ordre immuable » qui veille à coordonner les intérêts particuliers et à les ordonner au bien commun. Cela implique, toutefois, que toutes les personnes concernées reconnaissent cet « ordre immuable » et agissent de concert avec lui.
1615 « L’ordre immuable » et « la main invisible » se retrouvent également dans les réflexions de Leon Walras (1834-1910) et dans la théorie moderne de l’équilibre économique y compris dans « l’optimum » de Pareto. En effet, cette notion a beaucoup influé sur le choix actuel des buts assignés à l’Etat. Walras décrit un modèle économique reposant sur une concurrence sans restrictions et permettant de retrouver ainsi l’équilibre originel. Pour Pareto, le point de référence est « un optimum de bien-être » obtenu grâce à un état d’équilibre général. Cet optimum de Pareto est réputé atteint lorsqu’il n’est possible d’améliorer la satisfaction d’un individu sans diminuer celle d’un autre4.
1716 Cet optimum n’est toutefois atteignable que si toute une série de conditions sont remplies ; ce n’est qu’à ce moment que règne la concurrence parfaite, indispensable à l’accomplissement de l’optimum. Si, en tout temps et en tout lieu, il n’y avait que la libre concurrence, l’activité de l’Etat deviendrait superflue. Mais, puisque ce n’est point le cas, il faut l’Etat pour y parvenir. Voilà donc la tâche primordiale incombant à l’Etat. Les tâches concrètes des pouvoirs publics trouvent leur légitimité dans l’imperfection du marché. Ces réflexions reposent pourtant sur des modèles et des hypothèses dont la référence à la réalité est douteuse (grand nombre des acteurs sur le marché, petites parts du marché, transparence absolue, etc.).
1817 Outre la suppression des imperfections du marché, l’Etat a pour autre tâche d’empêcher les défaillances ou pannes de fonctionnement du marché. La libre concurrence absolue n’aboutit pas à un optimum lorsqu’existent des effets externes. Or, ces « externalités » naissent lorsque « les fonctions de production et de consommation des personnes morales ou physiques sont influencées par des facteurs pour lesquels aucun prix n’a été payé et qui sont placés sous le contrôle d’autres personnes physiques ou morales5. » De tels effets peuvent être atténués par des subventions des pouvoirs publics ou par la fiscalité. L’exemple suivant permettra de mieux comprendre ce phénomène : Une installation est à l’origine d’une forte pollution de l’air qui cause des nuisances considérables dans les environs et provoque des atteintes aux végétaux et à la santé de l’homme. Aussi longtemps que l’entreprise en question ne devra pas rendre des comptes, elle n’aura pas à répondre des dommages. Elle profite donc d’effets externes positifs. En percevant auprès de cette entreprise une redevance publique pour lutter contre la pollution de l’air, il est possible de réinternaliser dans les coûts ces avantages externes positifs. Inversement, des effets négatifs, par exemple la situation défavorable des paysans de montagne, peuvent être supprimés ou atténués par des subventions.
1918 Ces deux exemples montrent avec netteté combien il est difficile, voire impossible de calculer avec exactitude un niveau d’imposition fiscale ou de subventionnement qui permette d’atteindre « l’optimum de Pareto ». Etant donné que, de surcroît, il y a partout et toujours des effets externes, le fait de vouloir légitimer l’action et l’intervention des pouvoirs publics par des défaillances du marché conduit exactement à l’opposé du but visé, à savoir à l’Etat totalitaire6.
2019 Afin d’éviter d’en arriver à un tel extrême, certains économistes tentent d’opérer une distinction entre les actions judicieuses des pouvoirs publics et celles qui ne le sont pas dans l’optique d’une suppression des externalités. Selon ces auteurs, l’intervention de l’Etat est judicieuse lorsqu’elle permet de minimaliser d’autres inconvénients. En revanche, tant que l’intervention des pouvoirs publics entraîne des inconvénients plus grands que ceux occasionnés par l’activité privée, celle-ci doit primer. Il ne faut toutefois pas confondre ce critère avec le principe de subsidiarité7.
21Les accidents de la route occasionnent des frais très élevés. Le risque que représentent de tels frais doit-il être réparti entre tous les conducteurs sous forme d’une assurance responsabilité civile obligatoire ou convient-il d’y renoncer ? Si l’introduction de l’assurance RC obligatoire conduit à un gaspillage encore plus grand par le biais des compagnies d’assurance, l’avantage est alors minime du point de vue globalement économique. Selon ces économistes, on peut alors y renoncer en pareil cas.
2220 On trouve chez John Stuart Mill une conception libérale fondamentalement différente. En bon militariste, Mill se prononce en faveur du maximum de bien-être pour le plus grand nombre possible. Pourtant, à rencontre de Bentham, n’importe quel besoin subjectif n’est pas, à ses yeux, valable et à satisfaire.
2321 Pour Mill, la vraie finalité de l’homme n’est autre que le développement le plus poussé et le plus harmonieux de ses forces pour qu’il devienne un tout achevé et cohérent. Ce but, l’homme ne peut l’atteindre que dans un état de liberté. C’est pourquoi la règle du « laissez faire » est aussi applicable aux rapports entre l’Etat et l’économie. Le plus grand problème tient, selon Mill, au fait que, bien souvent, l’homme n’est pas en mesure de discerner ses propres intérêts, condition pourtant nécessaire à leur sauvegarde. De nombreux acheteurs ne sont pas en mesure d’estimer la valeur des produits. Le rôle de l’Etat consiste donc à éduquer l’homme immature.
c) Résumé
2422 On peut résumer la situation comme il suit : la théorie économique moderne et libérale part du principe d’une séparation entre l’Etat et l’économie. L’intervention des pouvoirs publics n’est justifiée que pour maintenir la stabilité du système économique, pour empêcher des évolutions néfastes et pour rétablir une authentique économie de concurrence. Etant donné qu’en fin de compte seuls des hommes sains et aptes au travail peuvent participer activement à la concurrence, l’Etat doit donc s’occuper de tous ceux qui ne sont plus « concurrentiels » pour des raisons de santé ou d’âge. C’est dans cette optique que le système des prestations sociales se justifie dans son ensemble comme une externalité fournie par les pouvoirs publics à titre de compensation. L’Etat devient ainsi la nouvelle « main invisible » qui assure une équitable répartition des biens dans un contexte général axé sur le « laissez faire ».
2523 La théorie marxiste prend le contre-pied. La domination de classe et l’exploitation ont faussé l’homme et la société ; le but visé est d’établir une nouvelle forme de société composée d’hommes libres et sociaux. Pour les libéraux, les êtres humains sont des demi-dieux qui suivent rationnellement les processus du marché et sont capables de porter un jugement. En revanche, pour les marxistes, les hommes sont des aliénés et des exploités qui ne pourront être libérés que par la dictature du prolétariat8.
2624 Aussi bien la conception marxiste que l’optique libérale considèrent l’activité de l’Etat sous le seul angle de la répartition des biens. L’unique question posée est alors de savoir si le système préconisé permet de répartir équitablement les biens.
2725 En revanche, d’autres perspectives sont possibles, notamment celles qui sont mentionnées dans le préambule du Pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques. On peut y lire notamment ce qui suit :
28« Reconnaissant que ces droits découlent de la dignité inhérente à la personne humaine,
29reconnaissant que conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’idéal de l’être humain libre, jouissant des libertés civiles et politiques et libéré de la crainte et de la misère, ne peut être réalisé que si des conditions permettent à chacun de jouir de ses droits civils et politiques, aussi bien que de ses droits économiques, sociaux et culturels, sont créées,
30prenant en considération le fait que l’individu a des devoirs envers autrui et envers la collectivité à laquelle il appartient et est tenu de s’efforcer de promouvoir et de respecter les droits reconnus dans le présent Pacte9... »
3126 Ainsi l’homme n’apparaît plus seulement comme un être qui, pesant sans cesse ou presque le pour et le contre de chacune de ses actions (analyse coût/bénéfice) cherche à accroître son propre bien10. C’est un être bien plus complexe, voire imprévisible, qui a son propre univers de sentiments, ses échelles de valeurs qui ne se rapportent pas exclusivement à sa personne mais à un ensemble ; l’être humain a donc une dimension transcendantale.
3227 Il me semble donc erroné de se borner à traiter le problème de la finalité de l’activité de l’Etat sur un plan théorique seulement. En effet, il importe aussi de discerner les buts admis et reconnus dans les pays occidentaux industrialisés. C’est pourquoi nous commencerons par nous tourner vers les buts de l’Etat qui sont codifiés dans le droit constitutionnel, afin d’examiner la finalité de l’Etat dans la perspective plus courante des rapports entre l’Etat et la société.
Bibliographie
a) Auteurs classiques
33Humboldt, W. de, Essai sur les limites de l’action de l’Etat, trad. H. Chrétien, Paris, Germer Baillière, 1867
b) Autres auteurs
34Bull, H. P., Die Staatsaufgaben nach dem Grundgesetz, Frankfurt a.M. 1973
35Del Vecchio, G., Ueber die Aufgaben und Zwecke des Staates, in : AöR 49 (1963), p. 249 ss.
36Falter, G., Staatsideale unserer Klassiker, Leipzig 1911
37Häberle, P., Oeffentliches Interesse als juristisches Problem, Bad Homburg 1970
38Hayek, F. A., The Political Order of a Free People, vol. 3 de la série “Law, Legislation and Liberty”, London 1979
39Hespe, K., Zur Entwicklung der Staatszwecklehre in der deutschen Staatsrechtswissenschaft des 19. Jahrhunderts, Köln 1964
40Hesse, G., Staatsaufgaben. Zur Theorie der Legitimation und Identifikation staatlicher Aufgaben, Baden-Baden 1979
41Hug, H., Die Theorien vom Staatszweck, thèse Zurich 1954
42Janssen, M., Hummler, K., Bundesverfassung und Verfassungsentwurf: Eine ökonomisch-rechtliche Analyse, Zurich 1979
43Kirchheimer, O., Funktionen des Staats und der Verfassung, Frankfurt a.M. 1972
44Krüger, H., Allgemeine Staatslehre, 2nde éd., Stuttgart 1966
45Nozick, R., Anarchy, State and Utopia, Oxford 1975
46Rosenthal, E., Ibn Khaldûns Gedanken über den Staat. Ein Beitrag zur Geschichte der mittelalterlichen Staatslehre, München 1932
47Scheuner, U., Staatszielbestimmungen, in : Festschrift fur E. Forsthoff, éd. R. Schnur, 2nde éd., München 1974
§ 35 L’Etat et ses tâches de protection
481 La mission de protection fait certainement partie des premières et plus anciennes tâches de la communauté étatique. Les hommes, les tribus ou les ethnies se rassemblent afin de se protéger mutuellement des attaques de l’ennemi commun, des forces de la nature, mais également des désordres et des querelles partisanes. La mission de protection constitue donc l’une des tâches de l’Etat qui sont pratiquement incontestées. Un philosophe célèbre pour son scepticisme, Arthur Schopenhauer (1788-1860) écrivait par exemple à ce sujet : « Si la justice gouvernait le monde, il suffirait d’avoir bâti sa maison, et l’on n’aurait pas besoin d’autre protection que de ce droit évident de propriété. Mais parce que l’injustice est à l’ordre du jour, il est nécessaire que celui qui a bâti la maison soit aussi en état de la protéger11. »
492 De son côté, Humboldt est encore plus clair lorsqu’il écrit : « Que l’Etat se dispense de tout soin pour le bien positif des citoyens ; qu’il n’agisse jamais plus qu’il n’est nécessaire pour leur procurer la sécurité entre eux et vis-à-vis des ennemis extérieurs ; qu’il ne restreigne jamais leur liberté en faveur d’un autre but12. »
503 L’article 2 de la constitution fédérale de la Suisse énonce de façon lapidaire la mission protectrice de l’Etat : « La Confédération a pour but d’assurer l’indépendance de la patrie contre l’étranger, de maintenir la tranquillité et l’ordre à l’intérieur, de protéger la liberté et les droits des confédérés et d’accroître leur prospérité commune. »
a) La protection extérieure
514 Alors qu’autrefois les rois et leurs armées s’attachaient à conquérir de nouveaux territoires, de nos jours, les relations extérieures des Etats modernes se limitent – à tout le moins selon les formules officielles – à la défense de la souveraineté propre. Il doit d’ailleurs en être ainsi puisque la Charte des Nations Unies (art. 2, 4e al. ; art. 51) n’autorise que la défense à l’aide de moyens militaires, mais ne permet pas l’attaque. Au premier plan on trouve, aujourd’hui, de plus en plus une panoplie de moyens d’action diplomatiques, économiques et politiques (influence exercée sur l’opinion publique) destinés à atteindre les buts de politique étrangère que se fixent les Etats.
525 Cependant, les buts eux-mêmes de la politique étrangère se sont également modifiés. Tandis que par le passé il importait d’abord de sauvegarder l’indépendance, à l’heure actuelle, les organes de l’Etat compétents pour la politique étrangère sont chargés par la constitution de mettre leurs activités dans le domaine des relations extérieures au service de la paix et de la solidarité. Cet objectif est précisé à l’article 24 de la loi fondamentale de Bonn. Cette règle de compétence est formulée de façon prudente : « Pour préserver la paix, l’Etat fédéral peut faire partie d’un système collectif de sécurité mutuelle mais, conformément au préambule... il devra, en tant que membre à part entière d’une Europe unie, servir la cause de la paix dans le monde13... » Cette idée fondamentale ressort plus nettement encore de l’article 29, 1er alinéa de la constitution irlandaise du 1er juillet 1937 : « L’Irlande nourrit son dévouement à l’idéal de la paix et de la coopération amicale entre les peuples aux sources de la justice et de la morale internationales14. »
536 On trouve encore des formulations semblables dans l’avant-projet de nouvelle constitution fédérale pour la Suisse (art. 2, 8e al. et préambule). Ce sont pourtant les Japonais qui ont tiré toutes les conséquences de ce devoir de préserver la paix puisque l’article 9 de leur constitution de 1949 énonce ce qui suit : « Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l’ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation ou à la menace, ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des différends internationaux.
54Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l’Etat n’est pas reconnu15. » Cela est toutefois lettre morte aujourd’hui, puisque le Japon reconstitue une armée restreinte, mais ultra-moderne.
557 Parallèlement à cette évidente modification des objectifs de la politique étrangère des Etats, une imbrication de ceux-ci et une interdépendance internationale se dessinent et se renforcent progressivement, dans le secteur économique avant tout. Les dépendances envers l’extérieur sont toujours plus fortes : approvisionnement en matières premières, fluctuations et perturbations monétaires, pays du tiers-monde toujours plus dépendants des nations industrialisées, Etats petits et moyens dans l’orbite des grandes puissances nucléaires, dépendance en matière de protection de l’environnement et dépendance de sociétés multinationales plus puissantes que certains petits pays, etc. Tout cela contraint les Etats à repenser leur rôle au sein de la communauté des nations16.
568 Certains Etats estiment que leur nouveau rôle consiste à faire mieux prendre conscience à la communauté des peuples des droits de l’homme et des droits démocratiques dont ils se prévalent dans leur constitution. Cependant, les jeunes pays en développement ne les ménagent pas en leur reprochant leur néocolonialisme. Quant aux Etats socialistes, ils luttent, armés d’une colombe dans une main et du marteau et de la faucille dans l’autre, pour l’accomplissement de leur idéal communiste et tentent d’imposer une pax sovietica au monde entier.
579 Quelques Etats africains ont fait de la liberté et de l’indépendance de l’Afrique le point de cristallisation de leur prise de conscience face à l’étranger et ils l’ont exprimé dans le préambule de leur constitution. Ainsi, le Sénégal proclame que l’unité politique, culturelle, économique et sociale est indispensable à l’affirmation du caractère africain et aux efforts de réunification de l’Afrique17.
5810 Pour les grandes nations industrielles, cette nouvelle formulation des objectifs de la politique étrangère est toutefois une arme à double tranchant puisque des Etats plus petits et surtout plus faibles peuvent l’interpréter et la concevoir comme une immixtion dans leurs affaires intérieures et, partant, comme une restriction de leur droit à l’autodétermination. Celui-ci occupe, dans la Charte des Nations Unies, un rang égal à l’interdiction du recours à la force ou à l’obligation de préserver la paix18.
5911 De surcroît, les Etats sont forcés de tenir compte des évolutions les plus récentes et d’apporter leur contribution au maintien de la paix dans le monde. Ce maintien ne peut pas reposer exclusivement sur des forces armées ni sur « l’équilibre de la terreur », mais doit avoir pour fondement un ordre international plus équitable. Si les Etats ne parviennent pas à trouver spontanément en temps utile le chemin d’une solidarité accrue, ils y seront contraints tôt ou tard. Actuellement, des interdépendances, et des tensions dans le domaine économique surtout, lient les Etats entre eux, tout comme l’étaient autrefois les ethnies. Si les Etats ne tentent pas, par leur propre initiative, de collaborer pour modeler ces interdépendances de telle façon qu’elles deviennent acceptables pour tous, une puissance s’en chargera à un moment ou à un culte elle sera en mesure de renforcer encore les dépendances à son profit et de vider l’indépendance des Etats de son contenu.
6012 Parmi les tâches extérieures que les organes de l’Etat doivent accomplir, il convient de mentionner notamment leur disposition à coopérer au sein des organisations internationales et le devoir qui est le leur de ne pas concevoir cette collaboration dans le seul but de préserver la souveraineté et l’autodétermination du pays, mais encore de travailler à l’édification de relations internationales plus justes. Dans ce contexte, il ne s’agit pas d’une tâche dont l’accomplissement va de soi, mais de la nécessité de développer une prise de conscience de la solidarité si l’on veut parvenir à consolider l’ordre international.
b) La protection intérieure
6113 La protection des citoyens contre les dangers intérieurs fait également partie des tâches les plus anciennes de l’Etat. En effet, il importe de protéger le citoyen contres les brigands, les voleurs et les autres malfaiteurs19. Alors qu’aujourd’hui le respect de l’ordre public est assuré par des forces de police qui utilisent si nécessaire, la contrainte dans l’Empire romain chaque fonctionnaire ou presque devait accomplir certaines tâches de police20.
6214 En Angleterre, cette tâche incombait autrefois au juge de paix du lieu. Seuls des hommes originaires de la région concernée et bien au courant des conditions locales pouvaient revêtir cette charge. Les juges de paix gagnèrent puis surent préserver une large indépendance face aux juges. Aujourd’hui, la police anglaise est organisée à l’échelle nationale, mais elle est toutefois fort décentralisée et très liée aux institutions locales. La police est certes placée sous le contrôle du gouvernement, mais c’est elle qui décide elle-même de l’opportunité, du moment et des autres modalités de son intervention. En réalité, la police est devenue un Etat dans l’Etat. Le fait que la police anglaise ne soit généralement pas armée est étroitement lié à cette tradition d’autonomie. Au cours des siècles, la police britannique a, en effet, acquis une telle autorité au sein de la population qu’elle est à même de s’opposer à la violence sans y recourir elle-même.
6315 L’indépendance de la police anglaise revêt la plus grande importance pour les conflits du travail. En effet, puisque le gouvernement est soit du côté des travailleurs (Labour) soit du côté de l’employeur (Tory), la police se doit de conserver en cas de grève une stricte neutralité face aux piquets de grève. Jusqu’à présent, elle y est remarquablement parvenue.
6416 Dans presque tous les autres pays, la police est malheureusement conçue moins comme la protectrice de la population que comme l’instrument et le bras armé du gouvernement qui se sert d’elle pour imposer ses lois et sa volonté au peuple ; de la sorte, les rapports de confiance avec la population sont le plus souvent détériorés.
6517 La nécessité d’une police qui soit familiarisée aux conditions locales est aujourd’hui perceptible dans d’autres Etats que l’Angleterre. Selon la structure des pouvoirs publics (fédéralisme ou centralisme), la police locale ou régionale parvient à affirmer plus ou moins bien sa position face au gouvernement central. Aux Etats-Unis, la police locale (le Shérif) s’est développée à partir de milices populaires privées. Elle avait alors pour tâche première de protéger les intérêts de la majorité de la population locale.
6618 Dans les pays où la police locale a un statut reconnu et une large autonomie, on trouve généralement à l’échelle nationale une police spéciale chargée de lutter contre la criminalité sur un plan interrégional. Le célèbre Federal Board of Investigation (FBI) aux Etats-Unis, Scotland Yard en Angleterre, le Ministère public fédéral en Suisse, le Bundeskriminalamt en Allemagne sont des organes de police du genre décrit ci-avant. Outre ces organes centraux de lutte contre la criminalité, il y a encore des troupes centralisées chargées du maintien de l’ordre intérieur, p. ex., la garde nationale aux Etats-Unis et les troupes de protection des frontières en RFA. La population est très méfiante envers ces forces de police centralisées ; preuve en est le peuple suisse qui a refusé jusqu’à présent la création d’une police fédérale, qui aurait dû être à la disposition du gouvernement fédéral aux fins du maintien de l’ordre et de la tranquillité dans le pays.
6719 Alors qu’on associe généralement le mot police à l’idée des forces de police chargées du maintien de l’ordre, de la police de la route, et de la police criminelle, les tâches de police à accomplir au sein d’un Etat englobent, selon la doctrine du droit public et administratif, toutes les autres tâches que l’Etat doit assumer dans sa mission de protection de la population, p. ex. la police des constructions, la police des denrées alimentaires, la police de la protection des eaux, la police des forêts, la police du commerce, etc. En RFA, on appelle ces polices des autorités ordonnatrices (Ordnungsbehörden). Ainsi donc, l’Etat moderne ne doit pas seulement, comme dans le passé, se contenter de protéger le citoyen des voleurs, des meurtriers et autres criminels ou malfaiteurs, il a encore sensiblement étendu le champ de sa protection. En effet, les dépendances et interactions toujours plus marquées ont conduit à intensifier les communications, mais également à accroître les périls auxquels l’homme s’expose. L’Etat est donc contraint d’assumer de nouvelles responsabilités en matière de protection et d’accomplir les tâches correspondantes. Cet accroissement continu des missions de police implique du même coup des restrictions aux libertés du citoyen. Lorsque, dans l’intérêt de la protection de l’environnement, les pouvoirs publics édictent des prescriptions sur le chauffage des maisons d’habitation ou délimitent des zones à bâtir dans l’intérêt de l’aménagement du territoire, ils restreignent considérablement entre autres la liberté du propriétaire foncier qui ne peut plus construire n’importe où, ni n’importe comment.
6820 Enfin, il y a encore une question importante, celle de savoir ce que les divers Etats considérent comme étant un bien à protéger par l’une ou l’autre mesure de police. On constate, dans le domaine de la police économique, de grandes différences entre les Etats dont l’économie est planifiée et ceux qui connaissent la libre économie de marché. Les premiers doivent s’assurer par des contrôles rigoureux que le marché noir ne se développe pas parallèlement au système économique officiel. Dès lors, leur police économique a pour tâche de protéger l’économie planifiée. Dans une économie de marché libre, la police du commerce a, en revanche, pour seule tâche d’empêcher les abus, par exemple la vente de produits alimentaires malsains.
6921 Dès qu’un Etat n’est plus en mesure de remplir ses missions de protection, celles-ci sont très vite accomplies par des particuliers qui, dans certaines circonstances, créent même des milices populaires d’autodéfense. Une telle évolution conduit rapidement à une destruction de la souveraineté de l’Etat par l’intérieur et donc à l’anarchie. A cet égard, un exemple tristement célèbre nous est donné par le Liban depuis plusieurs années. Bien avant la guerre civile, les réfugiés palestiniens contrôlaient déjà une bonne partie du pays, ce qui a provoqué la réaction des milices chrétiennes puis l’intervention des Syriens.
7022 Lorsqu’une population a perdu confiance en l’Etat, elle ne la retrouve pas facilement. C’est pourquoi les pouvoirs publics doivent veiller à ce que l’Etat soit seul compétent pour accomplir les diverses tâches de protection. Dans ce contexte, on utilise souvent l’expression de monopole de la force. En fin de compte, les pouvoirs publics n’ont le droit de recourir à la force contraignante que pour protéger la population et non pas pour leur bon plaisir. De surcroît, les évolutions, voire les révolutions montrent à l’évidence que le recours arbitraire à la force finit tôt ou tard par provoquer une vive résistance au sein de la population et donc une destruction interne de l’Etat et de son autorité. En outre, face à une opposition non-violente, le pouvoir est frappé d’impuissance, comme nous l’apprend l’exemple de Gandhi.
Bibliographie
a) Auteurs classiques
71Humboldt, W. de, Essai sur les limites de l’action de l’Etat, trad. H. Chrétien, Paris, Germer Baillière, 1867
72Schopenhauer, A., Ethique, Droit et Politique, trad. A. Dietrich, Paris, Alcan, 1909
b) Autres auteurs
73Kenyon, J. P., The Stuart Constitution, Cambridge 1966
74Lavroff, D.-G., La république du Sénégal, Coll. « Comment ils sont gouvernés », vol. 13, Paris 1966
75Mayer-Tasch, P. C., Die Verfassungen der nicht-kommunistischen Staaten Europas, 2nde éd., München 1975
76Mommsen, Th., Abriss des römischen Staatsrechts, réimpression de l’édition de 1907, Darmstadt 1974
77Robert, J., Le Japon, Coll. « Comment ils sont gouvernés », vol. 20, Paris 1970
78Schambeck, H., Vom Sinnwandel des Rechtsstaates, Berlin 1970
79Schaumann, W., Völkerrechtliches Gewaltverbot und Friedenssicherung, éd. Berichte einer Studientagung der Deutschen Gesellschaft fur Völkerrecht, Baden-Baden 1971
§ 36 L’Etat et ses tâches sociales
801 Le conformément à la Déclaration universelle soviétique de 1977 définit les tâches de l’Etat soviétique comme il suit : « Le but suprême de l’Etat soviétique est de construire une société communiste sans classes où se développera l’auto-administration sociale communiste. Les tâches essentielles de l’Etat socialiste du peuple entier sont les suivantes : créer la base matérielle et technique du communisme, perfectionner les rapports sociaux socialistes et les transformer en rapports communistes, former l’homme de la société communiste, élever le niveau de vie et de culture des travailleurs, garantir la sécurité du pays, contribuer au renforcement de la paix et au développement de la coopération internationale21. »
812 Ces buts généraux sont concrétisés sous forme d’objectifs figurant dans diverses dispositions constitutionnelles. Dans le domaine des tâches sociales, l’article 14 dispose notamment ce qui suit : « Le travail des Soviétiques, affranchi de l’exploitation, est la source de croissance de la richesse sociale, du niveau de vie du peuple et de chaque Soviétique. Conformément au principe du socialisme : “De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail”, l’Etat exerce le contrôle de la mesure du travail et de la consommation. Il définit le montant de l’impôt sur les revenus imposables. La situation de l’homme dans la société est fonction de l’utilité sociale de son travail et des résultats de celui-ci. L’Etat, en alliant les stimulants matériels et moraux, en encourageant les initiatives novatrices et l’attitude créatrice dans le travail, contribue à faire du travail le premier besoin vital de chaque Soviétique ». L’article 15 1er alinéa précise : « Le but suprême de la production sociale en régime socialiste est de satisfaire de la façon la plus complète les besoins matériels et culturels croissants des hommes22. »
823 Ce sont là les buts et objectifs constitutionnels qui confèrent à l’Etat totalitaire un pouvoir illimité, afin que ledit Etat soit en mesure de former et d’éduquer l’homme sur le plan économique, culturel, intellectuel, corporel et moral et puisse finalement le rendre heureux. L’Etat supprime les différences de classe (art. 19) ; il veille aux possibilités d’épanouissement de ses citoyens (art. 20), améliore les conditions de travail (art. 21), élève le niveau des salaires (art. 23), s’occupe de la santé, de l’assistance sociale, du ravitaillement collectif, de la culture physique des masses et du sport (art. 24) ; il assure une éducation communiste (art. 25), et un développement planifié de la science. Selon l’article 27, « L’Etat se préoccupe de préserver et de développer les valeurs culturelles de la société et de les mettre largement à profit pour la formation morale et esthétique des Soviétiques, pour élever leur niveau culturel. En URSS, on encourage par tous les moyens le développement des activités artistiques professionnelles et populaires23. »
834 Cette base constitutionnelle d’un Etat qui « programme » totalement l’être humain se trouve aux antipodes de la constitution suisse de 1874 où l’article 2 définit la finalité de l’Etat comme il suit : « La Confédération a pour but d’assurer l’indépendance de la patrie contre l’étranger, de maintenir la tranquillité et l’ordre à l’intérieur, de protéger la liberté et les droits des confédérés et d’accroître leur prospérité commune. » Toutefois, en Suisse, l’accomplissement de ces tâches sociales de l’Etat s’opère dans des limites bien précises puisque la confédération ne peut agir que dans le cadre des droits qui lui sont expressément délégués par la constitution (art. 3 cst.) et qu’elle ne peut, de surcroît, porter atteinte aux libertés économiques des citoyens. En effet, l’article 31 cst. a la teneur suivante : « La liberté du commerce et de l’industrie est garantie sur tout le territoire de la Confédération... »
845 On trouve une solution intermédiaire dans la constitution turque. Selon l’article 10, 2e alinéa, de cette loi fondamentale, l’Etat « doit supprimer tous les obstacles politiques, économiques et sociaux qui restreignent, d’une manière incompatible avec les principes de la sécurité personnelle, de la justice sociale et de l’Etat de droit, les droits fondamentaux et les libertés de la personne ; l’Etat doit créer les conditions nécessaires au développement de l’existence matérielle et immatérielle de l’être humain ». De surcroît, le citoyen a droit, selon l’article 48, à la sécurité sociale ; selon l’article 49, il jouit d’un droit à la santé et, selon l’article 50, d’un droit à la formation. L’article 42 précise : « travailler est un droit et un devoir pour chacun. » Mais cette constitution garantit aussi la liberté contractuelle et celle du travail (art. 40) ainsi qu’un droit limité à la propriété (art. 36 à 39)24.
856 Depuis les temps immémoriaux de la famille ou du clan vivant en autarcie, les tâches de l’Etat se sont énormément modifiées. Au sein de la société industrielle fondée sur la division du travail et pour ainsi dire atomisée, le citoyen contemporain dépend beaucoup plus fortement de la protection d’une communauté anonyme que les hommes d’autrefois. Il n’est donc pas étonnant que ce soit précisément la question de savoir quelles sont les tâches à faire accomplir par l’Etat, compte tenu de cette évolution, qui soit au cœur du débat politique actuel. Tandis que les Etats libéraux se bornent, en vertu du principe de subsidiarité, à n’accomplir que les tâches qui ne seraient exécutées par personne d’autre s’ils ne les faisaient pas eux-mêmes (p. ex. la construction des routes, les chemins de fer, les postes et téléphones, les écoles), les solutions marxistes tendent à confier aux pouvoirs publics toutes les tâches dont l’accomplissement est nécessaire pour assurer le bien-être général.
867 Le débat ne se limite toutefois pas uniquement à la question de savoir quelles sont les tâches que doit accomplir l’Etat car, bien souvent, les partis sont unis à vrai dire au sujet des buts assignés à l’Etat et à ses activités, mais divergent d’opinion sur les voies et moyens propres à les atteindre. Les uns plaident pour des solutions bureaucratiques et centralisatrices, les autres sont partisans de solutions plus ou moins privées (p. ex. la couverture de certains risques par des compagnies d’assurance). Dans cette dernière éventualité, l’Etat a une compétence limitée à l’atténuation d’inégalités criantes par le biais de subventions ou autres formes d’aide subsidiaire. Pour le reste, les pouvoirs publics devraient faire preuve de retenue.
878 Avant d’aborder la grande question « Etat-société » et « plus ou moins d’Etat », nous allons esquisser les diverses tâches sociales dont l’accomplissement incombe à l’Etat dans les pays occidentaux contemporains.
a) Mesures pour assurer l’existence des hommes
889 Aujourd’hui encore, la famille reste le fondement d’une existence digne d’un être humain. Par conséquent, parmi les tâches que l’Etat doit accomplir, la protection, le soutien et l’épanouissement de la famille occupent une place de choix. Dans le droit qui régit la famille, le droit du mariage et le régime matrimonial, le droit en matière d’adoption, la protection de la mère, les allocations familiales et pour enfants, etc., il s’agit toujours, en définitive, d’assurer l’existence de la famille. De nos jours, l’Etat se trouve aussi placé face aux problèmes que posent les familles coupées en deux par suite du divorce des parents, le concubinage sans lien formel et la protection des enfants contre l’abandon. Une bonne politique familiale, bien adaptée aux circonstances, cherche aussi à laisser aux familles le soin de résoudre maints problèmes et évite une intervention des pouvoirs publics à tout propos.
8910 Pour assurer l’existence, il faut également protéger les bases naturelles de la vie. En effet, l’homme ne peut vivre que dans un environnement sain ; aujourd’hui il faut hélas remplacer le mot vivre par survivre. La protection de l’eau, de l’air, du sol et la préservation de ressources naturelles pour les générations futures font donc partie des tâches importantes de et pour l’Etat moderne. Par un aménagement du territoire qui soit respectueux de la liberté, l’Etat peut promouvoir une politique raisonnable en matière d’urbanisation et veiller à ce que le sol disponible soit bien affecté et destiné à couvrir des besoins tels que l’habitat, l’industrie, l’artisanat, l’agriculture, les voies de communication ainsi que les zones de détente et de loisirs. Il va de soi que, dans ces domaines également et même précisément là, on ne saurait se contenter d’agir par des mesures coercitives et des atteintes diverses. Au contraire, les pouvoirs publics devraient avoir à coeur de gagner la population et les milieux économiques à la cause d’une coopération coordonnée et librement consentie.
9011 Un élément essentiel des bases de l’existence n’est autre que la protection contre les conséquences financières des accidents, de la maladie, de la vieillesse et de l’invalidité. Pour accomplir ces tâches, l’Etat dispose de divers moyens et mesures : il peut frapper toutes les personnes menacées dans leur existence d’un impôt négatif (negative income tax) ; il peut aussi créer un établissement public d’assurance. Enfin, il peut également encourager l’épargne et l’accession à la propriété par des allégements fiscaux et promouvoir ainsi « l’auto-prévoyance ».
9112 Selon les idées actuelles, font également partie des bases d’existence les institutions et mesures suivantes : assurance-chômage, protection des locataires, aide à la construction de logements, garantie d’un salaire minimum (le SMIG en France) et droit aux vacances payées. Parmi les mesures destinées à assurer des bases d’existence, on compte encore une politique efficace en matière de santé ; cette politique englobe la prévention, des équipements sanitaires et hospitaliers complexes ainsi que des mesures de réinsertion en faveur de catégories sociales marginales (p. ex. les toxicomanes, les alcooliques et les détenus).
9213 Alors qu’autrefois l’aide sociale se limitait aux pauvres, aujourd’hui, l’Etat a considérablement étendu son assistance. L’ancien Etat protecteur est devenu un Etat « assureur » qui a créé les bases légales et institutionnelles indispensables à la réalisation d’une communauté financière de solidarité. Dans le domaine social, une des tâches importantes dans l’activité des pouvoirs publics consiste à sauvegarder la liberté, la faculté d’épanouissement personnel et la sphère privée de l’être humain, malgré l’ampleur des interventions sociales. En effet, l’homme n’est pas destiné à être broyé par la bureaucratie des administrations sociales, par des fonctionnaires et assistants sociaux avides de pouvoir, inquisiteurs et oppresseurs au moyen de leurs formules, questionnaires, conditions et autres charges en matière de rentes et de subventions.
9314 Une question est disputée : celle de savoir jusqu’où les pouvoirs publics doivent aller dans leurs activités sociales. L’Etat doit-il se borner à ne garantir que le minimum vital ou doit-il veiller à ce que chaque citoyen dispose d’une base d’existence suffisante et convenable ou encore doit-il même aller jusqu’à faire sien le principe selon lequel il conviendrait de donner « à chacun selon ses besoins ». Si les pouvoirs publics vont trop loin, personne n’aura plus aucun intérêt à améliorer son niveau de vie par ses propres prestations. En revanche, si l’Etat se contente du minimum, de nombreux citoyens auront le sentiment d’être injustement traités et, découragés, ils se résigneront à leur sort. A mon avis, l’Etat a la délicate mission de trouver un juste milieu entre les solutions extrêmes et de veiller du même coup à ce que la prospérité économique permette d’assurer les nombreuses prestations sociales.
b) Possibilités d’épanouissement
9415 A l’époque où l’agriculture dominait encore l’Etat et où naissait le capitalisme, les pouvoirs publics se bornaient à assurer l’épanouissement de l’individu en lui garantissant la propriété de la maison et du domaine paternels. Puis avec l’atomisation croissante résultant d’une société fondée sur la division du travail, les libertés individuelles se sont étendues.
9516 Afin que l’Etat puisse protéger la liberté et la propriété, il lui fallut bientôt accomplir un certain nombre de tâches d’éducation et de formation. Le principe de l’école obligatoire est l’un des postulats essentiels de la philosophie des lumières et de la Révolution française. Vers le fin du xixe siècle et surtout au xxe siècle, l’Etat se chargea encore d’accomplir bon nombre d’autres tâches éducatives : il prit en charge l’école primaire, la formation professionnelle, la préparation aux études universitaires et il créa ses universités, alors que celles-ci avaient déjà été financées depuis fort longtemps par les rois. Cependant, le principe d’une formation universitaire accessible au plus grand nombre ne trouva à s’accomplir qu’au cours de la seconde moitié de ce siècle.
9617 Toutefois l’homme ne s’épanouit pas seulement par une formation universitaire ou professionnelle. En effet, le perfectionnement, la formation continue, le congé-formation et la formation des adultes sont des postulats auxquels l’Etat contemporain doit satisfaire. A cela s’ajoutent les tâches des pouvoirs publics dans les domaines de la recherche fondamentale et de la poursuite du développement de la science. De la sorte, les Etats ont été contraints de créer des instituts de recherche en nombre croissant car la recherche fondamentale ne pouvait plus être financée par les chercheurs eux-mêmes. De même, la recherche appliquée peut de moins en moins être effectuée et financée par les seules entreprises, surtout par les petites entreprises qui ne peuvent évidemment pas supporter des dépenses aussi considérables.
9718 En rapport avec l’épanouissement de l’individu, il y a encore lieu de mentionner la protection de la sphère privée qui constitue une tâche importante à accomplir par les pouvoirs publics. Aujourd’hui, les possibilités techniques en matière de traitement des données, d’électronique et de transfert d’informations sont telles que l’individu ne parvient plus à se défendre seul contre la curiosité excessive de la société et de l’Etat. Celui-ci doit donc trouver, dans le domaine de la protection des données et, de façon plus générale, dans ses efforts de protection de la personnalité, des voies et moyens propres à garantir efficacement la sphère privée de l’individu.
9819 Le besoin qu’ont les hommes de créer, de développer leur imagination et leurs violons d’Ingres trouve à s’exprimer dans le domaine culturel. De plus en plus, l’encouragement de la création artistique fait partie des tâches de l’Etat, car les manifestations culturelles sont souvent subordonnées à l’octroi d’une aide financière. Le rôle des mécènes d’autrefois, l’Etat doit, aujourd’hui, le faire sien.
9920 Pourtant, si l’Etat voulait accomplir toutes les tâches qui se présentent à lui en les confiant à une bureaucratie centralisée, il n’irait pas loin. C’est pourquoi il est très important d’appliquer le principe de subsidiarité selon lequel les pouvoirs publics n’accomplissent qu’une partie de ces tâches alors que le reste doit l’être avec l’appui d’organisations sociales privées et d’associations privées à but religieux, culturel ou autre.
c) Tâches dans le domaine communautaire
10021 Le fondement d’une tranquillité intérieure et d’un ordre établi n’est autre qu’un système juridique bien structuré, doublé d’un appareil judiciaire caractérisé par des procédures simples, rapides et correctes. Plus grande est la confiance que les citoyens placent dans l’ordre juridique, moins ils cherchent à le contourner ou à parer à une manoeuvre de contournement de l’autre partie contractante. En effet, les meilleures lois ne servent pas à grand-chose lorsque les parties au procès attendent un jugement durant des années ou doivent s’attendre à des frais d’avocat élevés pour toute procédure judiciaire. Dans de telles conditions, chacun cherchera alors à se débrouiller par ses propres moyens face à la partie adverse, par exemple le locataire vis-à-vis du propriétaire, le travailleur face à l’employeur, l’acheteur envers le vendeur, le mandant vis-à-vis du mandataire, l’un des conjoints face à l’autre, afin de faire prévaloir ses intérêts sans l’aide de l’Etat, ce qui aboutit à la loi du plus fort et non pas à la victoire de la partie qui est dans son bon droit.
10122 Les règles de forme, à savoir le droit de procédure, l’organisation judiciaire, la législation sur l’exécution forcée, la réglementation du barreau et l’organisation de l’assistance judiciaire pour les personnes nécessiteuses sont des aspects tout aussi importants pour une coexistence harmonieuse que le sont les règles de fond, par exemple le droit de la famille, le droit des contrats, le droit foncier, le droit du travail, le droit pénal et le droit social. Au sein d’une société fondée sur la division du travail, une coexistence harmonieuse ne peut s’accomplir qu’à la condition que les partenaires puissent avoir une confiance réciproque. Ce climat de confiance ne peut se développer que pour autant que l’Etat soit en mesure de protéger efficacement ceux dont on a abusé de la confiance.
10223 La protection contre les abus commis dans une certaine position de force fait aussi partie de la sauvegarde de la confiance. Ainsi, les mesures contre la concurrence déloyale, celles visant à protéger les consommateurs, les preneurs d’assurance et les clients de banques ainsi que celles qui sont destinées à protéger les travailleurs et les locataires constituent une part importante des tâches que l’Etat contemporain doit accomplir.
10324 De nos jours on attend, en outre, de l’Etat que celui-ci crée des conditions propices à une harmonieuse coexistence dans le domaine économique. Dans cette perspective, il y a lieu de réglementer la concurrence de telle manière à empêcher des situations débouchant sur des positions de force et des abus de pouvoir. Les Etats dont les buts s’inspirent de la doctrine du libéralisme économique axent donc leurs mesures sur l’idéal d’une neutralité de la concurrence, bien qu’un tel objectif soit irréaliste parce qu’inaccessible. Dans ce contexte, il convient de mentionner le droit des cartels qui est efficace.
10425 Coexister au sein de la société moderne n’est possible que parce que l’Etat met à disposition l’infrastructure nécessaire, c’est-à-dire des équipements collectifs en suffisance. Parmi ceux-ci, il y a les routes, les chemins de fer, le téléphone et la poste. L’infrastructure sert aussi et même surtout au développement de l’économie. Dans la mesure où ces installations ne peuvent être financées par le biais du marché, c’est-à-dire par les consommateurs, il incombe aux pouvoirs publics de prendre ces dépenses à leur charge.
10526 Une saine concurrence présuppose l’existence d’entreprises compétitives. En adoptant une politique structurelle donnée, l’Etat peut soutenir temporairement des branches économiques ou des régions menacées dans leur existence pour autant que son aide permette aux entreprises et aux régions touchées de redevenir pleinement concurrentielles après un certain temps. En période de crise économique, de telles interventions de l’Etat servent du même coup à sauvegarder les emplois en péril. En outre, un accroissement des commandes des pouvoirs publics dans le secteur de la construction a pour effet de maintenir plus ou moins le niveau de l’emploi dans ce secteur et d’aider les diverses branches à passer la période des vaches maigres sans trop de dommages.
10627 Il est fréquent que l’on prône le soutien de l’économie indigène parce que celle-ci ne peut concourir avec l’économie étrangère en raison des mesures de protectionnisme défensif et offensif prises par d’autre pays. En général, il n’est pas possible de surmonter durablement des difficultés de ce genre par un recours à la seule législation nationale. C’est pourquoi il est indispensable que les Etats coopèrent au sein d’organisations internationales telles que la communauté économique européenne (CEE), l’Association européenne de libre échange (AELE), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce).
10728 Un des domaines traditionnels, mais non point incontesté, où l’activité des pouvoirs publics vise à promouvoir une coexistence harmonieuse n’est autre que la redistribution de la fortune et des revenus. Dans quelle mesure l’Etat doit-il prendre des dispositions destinées à redistribuer la fortune et les revenus. Doit-il édicter des lois sur la formation du revenu et de la fortune, allouer directement des subventions aux membres du corps social qui sont économiquement faibles ou plutôt se contenter d’utiliser la progression fiscale pour préserver le revenu des contribuables les plus modestes et frapper celui des contribuables les plus riches ?
10829 Un Etat qui veut veiller au bien-être de sa population ne pourra accomplir cette tâche que si son économie est saine. C’est pourquoi l’Etat ne peut se dispenser de prendre aussi des mesures globales visant à accroître la prospérité économique générale. Il lui incombe de veiller à la stabilité des prix, de défendre le pouvoir d’achat de la monnaie tant à l’intérieur qu’à l’extérieur et d’exercer une influence régulatrice sur le crédit en menant une politique prudente en matière de taux d’intérêt. A cela s’ajoutent les mesures que bon nombre d’Etats prennent pour maintenir le plein emploi, pour soutenir la croissance économique et promouvoir l’approvisionnement énergétique. Des mesures de soutien par trop artificielles ou excessives ne sont pas sans danger, surtout en période de mutations structurelles.
10930 La lutte contre les crises constitue un important domaine de la politique économique des Etats. Les pouvoirs publics doivent combattre aussi bien la surchauffe conjoncturelle et l’inflation qui s’ensuit que la récession. A ces fins, ils prennent des mesures relevant de la politique fiscale, de la politique des taux d’intérêt, de la politique budgétaire et de leurs propres activités d’ordre économique.
11031 La raréfaction des matières premières et les goulets d’étranglement dans l’approvisionnement énergétique contraignent l’Etat à prendre lui-même des mesures propres à garantir l’approvisionnement du pays. A cela s’ajoute, dans la même perspective, une politique agricole judicieuse qui vise également d’autres objectifs, à savoir le maintien de la paysannerie, la protection des paysages et des sites et l’aide aux régions économiquement défavorisées. Ce large spectre des buts visés par la politique agricole implique forcément des atteintes notables à la liberté de l’agriculture et de ses productions, si l’on veut atteindre les objectifs précités. Ainsi, de plus en plus, les paysans se muent en employés d’Etat bénéficiant d’un statut de semi-autonomie, tandis que le marché libre est presque devenu une fiction dans le domaine de l’agriculture. Du contingentement de la production laitière à la réglementation du marché des œufs en passant par les subventions à la culture des céréales et matières fourragères et par le contingentement des importations de vins, tout ou presque est désormais réglé par l’Etat national et par des accords et règlements internationaux applicables aux pays de l’Europe verte.
d) Comment l’Etat se procure-t-il les moyens nécessaires à l’accomplissement de ses tâches ?
11132 Un autre domaine important pour l’activité des pouvoirs publics consiste, pour eux, à se procurer les moyens et ressources indispensables à l’accomplissement des tâches aussi variées que les leurs. En effet, l’Etat a besoin de personnel, de ressources financières, d’informations, d’installations et de moyens de production, afin qu’il puisse vraiment remplir ses fonctions.
11233 Le droit administratif et notamment le statut des fonctionnaires règlent les rapports de service du personnel de l’Etat, notamment les conditions d’engagement, de rémunération et de travail. L’Etat se procure ses ressources financières de diverses manières. En effet, sa politique traditionnelle en matière d’impôts et de droits de douane ne lui permet de financer qu’une partie seulement des dépenses occasionnées par l’accomplissement de ses tâches. Pour le solde du financement, les pouvoirs publics sont donc contraints d’avoir recours aux emprunts publics et doivent aussi compter sur les apports des régies d’Etat bénéficiant d’un monopole (p. ex. les postes et en partie les chemins de fer) et des entreprises publiques ou nationalisées qui oeuvrent dans les circuits de la concurrence (p. ex. L’ENI en Italie, la Régie Renault en France).
11334 Il incombe aux banques nationales ou nationalisées de mettre à disposition des pouvoirs publics les crédits dont ils ont besoin pour financer leurs infrastructures. En outre, ces banques peuvent influer considérablement sur l’économie par le biais de leur politique dans le domaine du crédit et donc privilégier les investissements qui sont les plus stimulants pour l’ensemble de l’économie.
11435 L’Etat peut aussi faire accomplir certaines tâches par des entreprises privées. En octroyant des concessions à des entreprises privées, il leur donne le droit de remplir certaines fonctions qui relèvent de son monopole et d’exiger des citoyens des taxes en contre-partie des prestations fournies.
11536 Afin que l’Etat soit à même d’accomplir ses tâches, il doit aussi disposer des moyens de production, des biens, des bâtiments et des installations nécessaires. Si l’Etat pratique une politique bien organisée en matière d’achat, il veillera à ce que ses acquisitions de biens divers, par exemple de papier fassent jouer la libre concurrence. Il en va de même pour l’attribution des mandats, notamment des adjudications de travaux de construction.
11637 De surcroît, une collaboration de l’Etat avec l’économie est possible sous forme d’une participation de l’Etat à des entreprises privées. Dans le domaine de l’approvisionnement en énergie, les entreprises et sociétés d’économie mixte peuvent jouer leur rôle spécifique aussi bien que des entreprises entièrement publiques ou complètement privées.
11738 Pour ce qui est de la nécessité de disposer d’informations, l’Etat ne peut plus s’attendre à ce que toutes les informations affluent vers lui. Il lui appartient donc de mettre sur pied des centres de documentation et des établissements publics de recherche, des offices de statistique ainsi que de désigner les autorités qui ont le droit de demander des renseignements aux particuliers.
e) Résumé
11839 Cet aperçu fort sommaire des tâches dont l’accomplissement incombe à l’Etat contemporain qui connaît un régime de libre économie de marché montre à l’évidence combien sont grandes les exigences auxquelles l’Etat doit satisfaire. Il n’est donc pas étonnant que l’on parle sans cesse d’une sollicitation excessive de l’Etat et que certains en appellent à une reprivatisation de certaines de ses activités. Si l’on songe pourtant à la diversité et à la densité du réseau des interdépendances entre l’Etat et la société, on comprend que l’opportunité et la réussite d’une certaine reprivatisation ne tiennent pas à quelques déclarations et décisions de principe.
11940 Le tissu serré des connexions actuelles entre l’Etat et la société résulte d’une lutte contre les abus du siècle dernier dans le domaine social, combinée avec trois autres facteurs, à savoir les deux guerres mondiales et leurs implications économiques, l’évolution industrielle et, enfin, l’internationalisation de l’économie. Si l’on défaisait ce tissu, de nouveaux besoins se feraient sentir aussitôt et de nouvelles dépendances ne tarderaient pas à se manifester.
Bibliographie
120Bruce, M., The coming of the welfare state, 2nde éd., London 1965
121Druitt, B., The growth of the Welfare State, London 1966
122Eppler, E., Masstäbe für eine humane Gesellschaft, Lebensstandard oder Lebensqualität, Stuttgart 1974
123Fidelsberger, H., Gegen den Wohlfahrtsstaat, Wien 1964
124Geiger, W., Nawroth, E., Neel-Breuning, O. von, Sozialer Rechtsstaat - Wohlfahrtsstaat - Versorgungsstaat, Paderborn 1963
125Mayer-Tasch, P. C., Die Verfassungen der nicht-kommunistischen Staaten Europas, 2nde éd., München 1975
126Meissner, B., Die neue Bundesverfassung der UdSSR, in : JöR 27 (1978), p. 321 ss.
127Rawls, J., A Theory of Justice, 3e éd., Oxford 1972
128Ritter, G. A. (éd.), Vom Wohlfahrtsausschuss zum Wohlfahrtsstaat, Köln 1973
129Salomon, K.-D., Der soziale Rechtsstaat als Verfassungsauftrag des Bonner Grundgesetzes, Köln 1965
130Streithofen, H. B. (éd.), Die Grenzen des Sozialstaatees, Stuttgart 1976
131Sumner, W. G., Folkways, Boston 1940
132Wilensky, H. L., The welfare state and equality, Berkely 1975
Notes de bas de page
1 cf. § 38/10 ss.
2 cf. à ce sujet G. Hesse, p. 11.
3 cf. H. P. Bull, p. 25.
4 G. Hesse, p. 309 s., cit. trad.
5 G. Hesse, p. 317 s., cit. trad.
6 G. Hesse, p. 318.
7 cf. § 38/41 ss.
8 cf. § 23/7 ss.
9 Documents Officiels de l’Assemblée générale des Nations Unies, 20e et 21e session, suppplément n° 16, (A/6316) p. 51.
10 cf. M. Janssen et K. Hummler, p. 20.
11 A. Schopenhauer, p. 79.
12 G. de Humboldt, p. 52.
13 Cit. trad.
14 Cit. trad. ; cf. également l’article 11 de la constitution italienne du 27 décembre 1947.
15 J. Robert, p. 288.
16 cf. § 18.
17 cf. D.-G. Lavroff, p. 94.
18 cf. à ce sujet W. Schaumann.
19 cf. The Book of Order of January 1631 de Charles 1er, cit. par J. P. Knyon, p. 497.
20 cf. Th. Mommsen, p. 174 ss.
21 Constitution de l’URSS, éd. du Progrès, Moscou 1977.
22 Constitution de l’URSS, éd. du Progès, Moscou 1977.
23 Constitution de l’URSS, éd. du Progrès, Moscou 1977.
24 cf. P.C. Mayer-Tasch, p. 730 ss.

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