Chapitre 3. À propos des théories sur l’organisation de l’État
p. 327-384
Texte intégral
§ 24 Critères d’organisation de l’Etat
11 Il convient de faire un retour à l’île de Robinson et de son compagnon Vendredi. Supposons qu’en outre trois naufragés se soient échoués sur cette île. Ces cinq personnes devront donc décider de la façon dont elles veulent organiser leur communauté. Elles commenceront certainement par réfléchir à ce qu’elles veulent décider et exécuter en commun, puis elles devront choisir celui qui aura à prendre les autres décisions valables pour eux tous ainsi que la procédure à respecter. La première question concerne le problème fondamental de la séparation entre l’Etat et la société. Nous le traiterons dans la partie suivante de cet ouvrage. En revanche, la seconde question pose immédiatement le problème de l’organisation de l’Etat.
a) Théories de l’“input” et de l’“output”
22 L’exemple précédent montre que la question de l’organisation ne se pose que lorsque la volonté de former une communauté existe bel et bien. La condition dont dépend l’existence d’une communauté n’est autre que le consensus par lequel s’exprime la volonté d’une destinée commune. Ce consentement légitime alors la communauté à structurer son organisation. De même, l’organisation de l’Etat présuppose donc le consensus des personnes concernées, c’est-à-dire des citoyens.
33 Selon quels critères cette communauté, encore informe, doit-elle cependant construire son organisation du pouvoir ? Les cinq insulaires peuvent partir de deux points de vue diamétralement opposés pour répondre à cette question. D’une part, ils ont la faculté de concevoir l’organisation de l’Etat de telle manière que chaque individu puisse y défendre ses intérêts. L’organisation choisie sera donc optimale si les habitants pris individuellement peuvent y sauvegarder autant que possible leurs intérêts et y faire valoir leur influence. Par conséquent, ce ne sont pas les prestations (l’output) qui sont déterminantes pour porter un jugement sur une organisation, mais au contraire les possibilités d’action des intéressés (l’input)1.
44 D’autre part, nos insulaires peuvent procéder tout différemment et faire dépendre la qualité de l’organisation des pouvoirs publics de leurs prestations, c’est-à-dire de “l’output”. Lorsqu’on mesure une organisation à ce critère, la question qui se pose alors est de savoir comment structurer l’organisation de l’Etat pour qu’elle soit la plus efficace possible ou qu’elle serve au mieux, dans l’intérêt du bien commun. La meilleure organisation sera donc celle qui permettra d’atteindre et de réaliser ce bien commun. Ce second point de départ a été à l’origine de bon nombre de théories de l’Etat. Platon croyait que le bien commun était mieux servi lorsque des philosophes dirigeaient l’Etat. Thomas d’Aquin était d’avis qu’en réalité seul pouvait atteindre le bien commun celui qui, en sa qualité de roi, était au-dessus des intérêts particuliers et n’avait plus d’intérêts privés à faire triompher. Enfin, la petite république de Rousseau repose sur la conviction qu’elle seule est en mesure de réaliser la volonté du peuple, c’est-à-dire la volonté générale.
b) Séparation de l’Etat et de la société
55 En plus de ces théories dites de l’input et de l’output, nous trouvons encore toute une série d’autres conceptions dans lesquelles la liberté de l’individu est le critère dont dépend la structure de l’organisation de l’Etat. Selon ce troisième critère, la meilleure organisation sera donc celle qui ménage la plus grande liberté possible à l’individu, c’est-à-dire qui donne le moins de compétences possible aux pouvoirs publics organisés.
c) Possiblités de résoudre les conflits
66 Enfin, un quatrième critère se fonde sur la question de savoir si, et le cas échéant dans quelle mesure, une organisation donnée est apte à résoudre des conflits sociaux présents ou futurs. De tels conflits trouvent-ils leur solution dans l’oppression des plus faibles, par une analyse rationnelle et une décision majoritaire ou grâce à la sagesse d’un jugement de Salomon, c’est selon que l’on a affaire alors à une tyrannie pure et simple, à une démocratie ou à un pouvoir élitaire.
d) Protection des minorités
77 On néglige souvent de poser une petite question insidieuse à propos de l’organisation de l’Etat : quel comportement adopter envers les minorités ? Pour chacun des quatre critères explicités ci-avant, il est rare que l’on donne à ce point l’importance qu’il mérite. La protection des minorités ainsi que le respect de leurs droits et de leur autonomie sont toutefois à examiner de près à titre de critère particulier2.
e) Faculté d’apprentissage et d’adaptation
88 Parmi les théoriciens de l’Etat, les cybernéticiens3 jugent l’organisation de l’Etat sous l’angle de la faculté d’apprentissage et d’adaptation et sous celui de l’information. Lorsque l’Etat peut s’adapter rapidement et judicieusement aux nouvelles données sociales, il est alors bien organisé. Si l’Etat est, au contraire, lent, obtus, inerte, inapte à apprendre et à informer, il faut alors le modifier dans le sens des théories cybernétiques.
f) Possibilités de participation
99 L’organisation de l’Etat pose cependant aussi un problème relatif au bon usage du droit de vote. A ce propos, la question n’est pas de savoir si l’output est juste, mais si les possibilités de participation qui sont offertes aux citoyens répondent aux critères de justice et d’égalité. Chacun dispose-t-il du même droit de vote (one man, one vote) ? A-t-il les mêmes chances d’arriver au pouvoir ? Peut-on refuser le droit de vote aux étrangers ? Ce sont là des questions qui doivent se poser lorsqu’on examine l’organisation de l’Etat sous l’angle de la justice.
g) Limitation des erreurs et défaillances humaines
1010 Celui qui s’inspire de la célèbre phrase de Lord Acton – “Power corrupts and absolute power corrupts absolutely” – donnera sans doute la préférence à un type d’organisation de l’Etat qui soit le mieux à même de réduire au minimum les comportements humains aberrants ou mauvais.
11Puisqu’il est capable d’apprendre, l’homme est en mesure de s’améliorer de façon décisive pour autant qu’il soit soumis à un contrôle rigoureux et permanent. En revanche, dès qu’il remarque qu’on ne le contrôle plus, l’homme a tendance à abuser de son pouvoir. C’est pourquoi il a besoin d’une forme d’organisation de l’Etat garantissant un contrôle réciproque des divers organes.
1211 L’Etat idéal est aussi utopique que l’homme idéal. C’est pourquoi la théorie des formes d’Etat devrait beaucoup moins s’interroger au sujet de l’Etat idéal, mais s’enquérir beaucoup plus de la forme d’Etat la mieux à même d’empêcher les erreurs et défaillances humaines. Qui ne connaît pas la célèbre boutade de Churchill qui disait avec pertinence que la démocratie était le pire des régimes à l’exception de tous les autres. Il était manifestement persuadé que c’est la démocratie qui permet d’empêcher le plus aisément et avec efficacité un trop plein de comportements aberrants et de prestations défaillantes, sans que ce genre de régime ne garantisse pour autant le meilleur des gouvernements possibles.
Bibliographie
13Deutsch, K. W., The Nerves of Government, Models of Political Communication and Control, 2nde éd., Toronto 1967
14Fleiner, Th., Die Stellung der Minderheiten im schweizerischen Staatsrecht, in : Menschenrechte, Föderalismus, Demokratie, Festschrift für W. Kägi, Zürich 1979, p. 115 ss.
15Lang, E., Zu einer kybernetischen Staatslehre, Salzburg 1970
§ 25 L’idée de la démocratie
a) Les fondements de la pensée démocratique
161 « La première espèce de démocratie est celle qui répond le plus strictement à l’idée d’égalité. La loi, en effet, dans cette sorte de démocratie, appelle égalité l’état de choses dans lequel les pauvres ont autant de droits que les riches, et où ni les uns ni les autres n’ont la conduite exclusive des affaires, mais où les deux classes sont placées l’une et l’autre sur le même plan. Car si la liberté, au jugement de certains, se rencontre principalement au sein d’une démocratie, et s’il en est de même pour l’égalité, liberté et égalité ne se réaliseront pleinement que si tous les citoyens, sans exception, participent pareillement et sans restrictions au gouvernement. Et puisque le petit peuple est en majorité, et que ce qui paraît bon à la majorité a force de loi, ce gouvernement est nécessairement une démocratie4. »
172 Depuis Aristote, la question n’a jamais cessé d’être disputée : la démocratie au sens de pouvoir du peuple est-elle la meilleure forme de gouvernement ? Même Rousseau, adepte de la souveraineté du peuple, fait preuve du plus grand scepticisme envers cette forme de gouvernement. Elle n’est possible que sur un tout petit territoire, à condition que le peuple puisse se rassembler régulièrement et durablement ; de surcroît, une telle forme de gouvernement n’est destinée qu’à un peuple qui serait exclusivement formé de dieux5. Cette affirmation de l’auteur du contrat social concerne toutefois le seul gouvernement au sens de l’exécutif, tandis que Rousseau est favorable à la participation à la législation et à la conclusion du contrat social.
183 En 1949, l’UNESCO a fait une enquête sur la démocratie auprès des scientifiques des différents pays membres des Nations Unies. Aucune des réponses n’était négative. Chacun était partisan de la démocratie comme étant le seul régime convenant à notre époque6. Pourtant les adeptes de la démocratie tombèrent aussi d’accord sur un second point : les opinions et les idées sur la nature de la démocratie divergeaient à l’extrême. Cela n’a guère changé aujourd’hui.
1. Le principe d’autodétermination
194 Au premier plan de la démocratie et de son développement, on trouve sans aucun doute le postulat de l’autodétermination, c’est-à-dire la liberté de chacun des membres d’une communauté de choisir ses liens en toute autonomie. La reconnaissance du principe de majorité n’a probablement pu commencer à s’étendre qu’à partir du moment où l’on a reconnu que, par les liens qu’elle noue elle-même et par les engagements qu’elle prend, toute personne ayant le droit de vote dispose en fait d’un droit de veto envers toutes les autres ; ce droit de veto devient insupportable lorsque les autres personnes dépendent d’une solution commune et que seul celui qui a mis son veto profite de l’inaction de l’Etat. A l’origine de la démocratie des Landsgemeinde, il fallait constamment insister sur l’obligation de la minorité de se plier à la décision de la majorité. Cela montre bien que le droit de la majorité de trancher impérieusement, pour la minorité également, ne s’est développé que progressivement.
205 En réalité, la démocratie en général, mais en Suisse surtout, est dominée, aujourd’hui encore, très fortement, par des tendances en faveur de décisions unanimes. En effet, plus la majorité est grande, plus important est le résultat du vote et plus considérables sont les conséquences dudit vote pour le gouvernement. Bien qu’en Suisse maints petits organes politiques de type collégial soient en mesure de prendre des décisions à la majorité de leurs membres, on ressent presque partout le besoin de parvenir à une décision aussi unanime que possible. D’une part, la structure fédéraliste permet de donner aux citoyens des cantons et des communes un droit de participation substantiel, mais à une échelle géographique restreinte. D’autre part, le système proportionnel, qui vise à permettre à toutes les classes et tendances d’être représentées au parlement, ainsi que la double majorité (peuple et cantons) indispensable pour modifier la constitution montrent très nettement qu’en Suisse, il y a la ferme volonté politique de garantir la participation du simple citoyen à tous les échelons et de tempérer le principe majoritaire pur et simple par une représentation des minorités qui soit aussi forte que possible.
2. La décision majoritaire comme élément de la découverte de la vérité
216 La décision prise par une majorité garantit-elle un résultat plus vrai ou plus juste que la décision prise par une seule personne ou par une minorité ? Afin de réunir une majorité par la voie démocratique, il est nécessaire de procéder à une analyse rationnelle, à un débat et de faire preuve de force de persuasion. Les arguments qui sont ensuite acceptés par la majorité obtenue sont en général les arguments qui entraînent la conviction. Sont-ils donc pour autant les plus justes ? « L’ensemble des citoyens ou leur multitude prépondérante – ce qui est à prendre pour une même chose – peut mieux discerner ce qui est à choisir ou à rejeter qu’une quelconque de ses parties prise à part » car « tous ou la plupart d’entre eux sont sains d’esprit et de raison et ont un juste désir de la société politique, de ce qui est nécessaire à son maintien, comme les lois et autres statuts ou coutumes... Si la multitude n’est pas trop vile, chacun de ses membres fera sans doute plus mauvais juge que ceux qui savent ; réunis tous ensemble, ils seront pourtant meilleurs juges, ou du moins ne seront pas plus mauvais7. » Lorsque l’analyse du problème à trancher et le débat se sont déroulés rationnellement, c’est-à-dire par la raison et non sous l’empire des passions, la décision sera d’autant plus équilibrée et plus juste puisque diverses opinions et conceptions auront enrichi les données de l’information ainsi que le débat et que la conclusion aura dû s’imposer au terme d’une argumentation rationnelle.
227 Dans ce contexte, il ne faut cependant jamais perdre de vue qu’il est fréquent de voir et d’entendre des discussions et des débats dénués de rationalité, voire de raison. En effet, des motifs d’ordre politique en rapport avec la personnalité, le parti, le prestige ou des mobiles purement égoïstes ou inspirés par la jalousie peuvent aussi peser sur une décision et l’emporter sur les arguments rationnels. En définitive, le recours à l’analyse et à la discussion rationnelles implique un minimum de solidarité entre ceux qui s’y prêtent. Les protagonistes doivent être d’emblée convaincus que leur analyse commune, marquée du sceau de l’honnêteté intellectuelle, les amènera à prendre la meilleure décision possible. Ils doivent être prêts à se soumettre au résultat de l’examen et du débat et accepter de prendre en considération, sous une forme ou une autre, tous les intérêts des personnes concernées. Lorsque ces conditions générales ne sont pas réunies, la décision d’une majorité ne permet certainement pas de trouver la solution la meilleure et la plus juste.
238 De surcroît, il est extrêmement difficile de défendre des intérêts à long terme lors d’un scrutin démocratique sur un objet précis. Cela rend plus difficile encore l’activité gouvernementale, spécialement de nos jours. Dans le domaine de l’énergie ou de la protection de l’environnement entre autres, ce sont le plus souvent des intérêts à long terme qui sont en jeu, ceux-là même que les citoyens percoivent difficilement alors que d’autres nécessités leur sont plus accessibles, par exemple l’aménagement de chemins pédestres et de sentiers. Les petits bourgeois et leur bon sens un peu borné jouent quelquefois des tours à la démocratie directe.
3. La décision majoritaire comme possibilité d’aplanir les conflits
249 Des siècles durant, les conflits entre les divers groupes d’une société se sont réglés par la force des armes. Celui qui dominait par la force armée, qui était prêt à courir le plus de risques, qui était supérieur à l’adversaire par la tactique suivie ou la stratégie adoptée, celui-là gagnait le combat. Il jouissait alors du droit du plus fort.
2510 Au cours de leurs efforts de pacification, les rois parvinrent à imposer progressivement leur autorité comme juges et arbitres suprêmes et à aplanir par leur puissance et leur force de persuasion des Conflits opposant des ethnies différentes. C’est ainsi que se développèrent les explications et les arrangements devant un tribunal comme l’une des possibilités de résoudre les conflits. Toutes les difficultés ne pouvaient toutefois être aplanies, notamment les conflits au sein de la noblesse qui échappaient souvent à l’emprise du roi. En pareil cas, il n’y avait et n’y a aujourd’hui encore guère de solution lorsque le pays est gouverné par un monarque autoritaire ou un dictateur. Ce détenteur du pouvoir absolu est réduit soit à réprimer les fauteurs de troubles, soit à se laisser déposer par les rebelles, soit encore à accepter la sécession d’une partie du territoire.
2611 En revanche, le débat démocratique permet d’aplanir les obstacles et de résoudre les conflits. En effet, les conflits d’intérêts qui ont une portée sociale fondamentale peuvent se résoudre par des explications et une discussion démocratiques. Cette manière de trouver une solution au conflit implique toutefois que les parties en présence puissent se mesurer pacifiquement à armes plus ou moins égales. Lorsque l’une des deux parties dispose de moyens financiers illimités et que l’autre peut à peine financer l’impression et la pose d’une affiche, c’est-à-dire qu’elle n’est guère en mesure de faire connaître son opinion aux citoyens, elle aura ensuite bien de la peine à accepter la décision de la majorité.
4. La loi d’airain de l’oligarchie
2712 Dans une démocratie comme dans toute autre forme d’Etat, il est fatal que certains milieux aient plus à dire que d’autres. Dès qu’une assemblée comprend un certain nombre de participants, il se manifeste aussitôt des personnes pour demander et prendre la parole et pour rallier à leur opinion une partie de l’assemblée ou faire changer celle-ci d’avis ; dans les deux cas ces personnes sont en mesure d’influencer les décisions. En fin de compte, l’assemblée accepte ou rejette une proposition et les nombreuses opinions divergentes doivent être canalisées et ramenées à l’alternative oui/non. La démocratie est donc soumise à ce qu’on appelle la loi d’airain de l’oligarchie (R. Michels). En effet, ceux qui sont capables d’influer de façon décisive sur une élection ou un vote disposent d’un pouvoir correspondant à l’ampleur de l’influence qu’ils exercent. Pour le bien de la démocratie, il importe cependant que ces groupements, dénommés aussi groupes de pression, soient connus eux-mêmes ainsi que les intérêts qu’ils recouvrent, afin que le peuple puisse les contrôler.
2813 La question de savoir quels sont les milieux qui appartiennent à l’oligarchie et de connaître la voie d’accès à cette oligarchie reste toutefois ouverte. Si l’oligarchie se réduit à quelques rares et puissants monopoles économiques, l’Etat perd son autonomie. Le plus souvent, les membres de l’oligarchie défendent des intérêts opposés (employeurs-travailleurs ; consommateurs-producteurs), tant et si bien que les organes de l’Etat peuvent, dans certaines limites, jouer le rôle d’arbitre indépendant lorsqu’il s’agit de peser les intérêts en présence.
2914 Une revendication se fait de plus en plus jour ; elle vise à intégrer aussi la consultation des experts et des milieux scientifiques dans le processus de décision (O. Hoeffe). Les commissions d’experts ont le mandat d’élaborer des conceptions à long terme en matière de transports, d’énergie, de moyens de communication de masse, etc., afin que les hommes politiques puissent en tirer les conclusions qui s’imposent. Il importe toutefois de délimiter strictement le pouvoir des experts. Certains parlent déjà d’experetocratie. En effet, les experts n’assument généralement aucune responsabilité dans les décisions à prendre. La vision de l’expert est forcément sectorielle, raison pour laquelle les expertises ne sauraient en aucun cas dispenser les hommes politiques d’assumer leurs propres responsabilités. A vrai dire, l’expert peut contribuer dans une très large mesure à fournir une meilleure information aux milieux politiques dans la phase de la prise des décisions, d’une part, parce que son optique de spécialiste est forcément limitée et, d’autre part, parce que les autres données dont doit tenir compte l’homme politique lui font défaut.
3015 Pour la structure démocratique d’un Etat, il importe énormément que les oligarchies soient largement ouvertes. Lorsqu’une personne a la possibilité d’accéder par ses prestations et ses mérites à l’oligarchie économique, syndicale, scientifique, politique ou encore à cette autre oligarchie qui se dessine dans les mass-media, alors on peut affirmer que l’Etat est démocratique. En revanche, si l’oligarchie se ferme et s’organise en clubs très fermés, en associations confidentielles ou pire encore en sociétés secrètes pour empêcher les possibilités d’ascension sociale et d’évolution dans la souplesse, la démocratie se dégrade.
b) La démocratie comme légitimation du pouvoir de l’Etat
3116 La victoire du régime démocratique n’est survenue qu’au xxe siècle. Au xixe siècle, on se disputait encore âprement pour savoir si la royauté par la grâce de Dieu n’était pas un régime de loin préférable à la démocratie. Cette dispute est aujourd’hui certainement périmée. Une question reste toutefois en suspens : comment convient-il de structurer la démocratie. Dans les pages qui suivent, nous tenterons d’examiner ce problème un peu plus à fond.
3217 Dans un régime démocratique, le peuple participe d’une manière ou d’une autre à la formation de la volonté de l’Etat en question. Cette participation peut toutefois revêtir des modalités très diverses. Il y a des régimes ou formes d’Etat qui ne voient dans le peuple que le fondement de leur légitimité, puis il y en a d’autres qui octroient des droits électoraux au peuple, sans compter, enfin, les systèmes où le peuple participe aux décisions à divers titres, notamment lorsqu’il s’agit de la constitution et des lois. Nous allons examiner ci-après ces différentes formes de démocratie.
1. Le principe de la souveraineté du peuple
3318 Avec la suppression de la monarchie de droit divin il fallut bien trouver un nouveau fondement pour légitimer le pouvoir de l’Etat. La seule solution de rechange à la légitimation divine fut le peuple. Diverses doctrines en rapport avec le contrat social partaient alors de l’idée qu’à l’origine et en réalité le peuple avait conclu un contrat avec le roi et lui avait délégué le pouvoir. Pour d’autres, le contrat social se réduit à une fiction. Rawls pense quant à lui qu’on ne devrait se fonder ni sur un passé réel ni sur une fiction ; en effet il serait plus facile de légitimer le pouvoir sur une base contractuelle, si l’on pouvait partir de l’idée qu’il se pourrait bien que le peuple soit au bénéfice d’un contrat social8.
3419 En tant qu’il est le fondement de la légitimité du pouvoir de l’Etat, le peuple est mentionné expréssement dans maintes constitutions. La doctrine de la souveraineté populaire découle naturellement de cette conviction. Une fois le pouvoir royal aboli par la Révolution française, il n’y eut pas d’autre solution que de légitimer le pouvoir de l’Etat par référence au peuple. Le droit des peuples à l’autodétermination découle également de l’idée de la souveraineté du peuple.
2. La souveraineté du peuple ne suffit pas à elle seule
3520 La démocratie au sens propre du terme ne gagne pas grand’chose lorsqu’elle restreint les droits du peuple à la légitimation du pouvoir. Avec son interprétation de Rousseau, Robespierre a montré où peut conduire la souveraineté du peuple : à rien d’autre qu’à la tyrannie la plus despotique et sanguinaire. Une fois les élections passées, toutes les décisions du gouvernement vont alors dans le sens de la volonté générale, c’est-à-dire pour le bien du peuple et il n’est dès lors plus question de les reconsidérer. Tout comme la légitimité religieuse, la légitimité populaire peut aboutir à la tyrannie.
3621 Une question reste en suspens ; celle de savoir si la majorité du peuple suffit à conférer la légitimité ou s’il faut pour cela une décision unanime. Rousseau pense à ce sujet qu’« il n’y a qu’une seule loi qui, par sa nature, exige un consentement unanime ; c’est le pacte social : car l’association civile est l’acte du monde le plus volontaire9... »
3. Restrictions au principe majoritaire
3722 En tant que domination de la majorité sur la minorité, la démocratie ne saurait pourtant s’entendre comme le règne systématique de la même majorité sur la même minorité, de telle sorte que celle-ci soit toujours contrainte d’abandonner ses propres intérêts. La règle de la majorité qui caractérise la démocratie implique que le rôle du minoritaire ne soit pas toujours tenu par les mêmes et qu’il y ait donc alternance de la majorité et de la minorité. En effet, le principe majoritaire n’autorise pas la majorité à tyranniser la minorité.
3823 Il va de soi que l’alternance de la majorité et de la minorité n’est possible que lorsque des décisions démocratiques sont prises périodiquement, par exemple à l’occasion des élections. En revanche, il n’y a qu’une seule décision, mais fondamentale lorsqu’il s’agit de l’exercice du droit d’un peuple à l’autodétermination. En pareil cas, est-il admissible que la majorité l’emporte définitivement sur la minorité ? De nombreuses constitutions prévoient donc qu’une majorité qualifiée est indispensable pour certaines décisions, notamment les modifications de la constitution. Dans des cas de ce genre, les constitutions s’éloignent du principe de la majorité pour se rapprocher de celui de l’unanimité. L’exigence d’une unanimité absolue n’est cependant pas réaliste, parce que de la sorte un seul membre de la communauté aurait la possibilité de plier à sa volonté l’immense majorité des citoyens. Or, tel n’est pas non plus le sens et le but de la démocratie. C’est pourquoi ceux qui n’acceptent pas la décision fondamentale et représentent une petite minorité n’ont plus qu’un seul droit : celui d’émigrer. En effet, puisqu’ils remettent en question les bases de la démocratie, il ne leur reste qu’à émigrer dans un autre Etat, à moins qu’ils ne se résignent à se soumettre à la décision de la majorité.
3924 Les solutions fédéralistes permettent cependant de relativiser le principe majoritaire. Au sein d’une Confédération, la majorité populaire est strictement limitée par l’autonomie des Etats membres. A leur tour, ceux-ci peuvent, toutefois, régler eux-mêmes des questions fondamentales par des décisions majoritaires prises dans le cadre de leur souveraineté ou de leur autonomie.
c) La démocratie semi-directe
1. La participation du peuple à la législation
4025 Pour Marsile de Padoue, il est indispensable que le peuple participe à la législation. Seule la majorité des citoyens peut, d’après lui, garantir que la loi édictée le soit dans l’intérêt général. Lorsque les citoyens approuvent des lois, ils les respectent ensuite. En outre, selon cet auteur, seules les lois adoptées par les citoyens offrent toute garantie de ne point servir à faire prévaloir des intérêts particuliers. « En effet, puisque tous les citoyens doivent être mesurés par la loi selon la proportion requise, et que personne ne se nuit à soi-même sciemment ni ne veut subir l’injustice, tous les citoyens ou la plupart d’entre eux veulent une loi qui corresponde à l’intérêt commun des citoyens10. »
4126 En plus de la doctrine de Marsile de Padoue, c’est avant tout le contrat social comme fondement de la légitimité de l’Etat qui a contribué à la démocratisation. Le peuple ne se contentait pas de servir de fondement à la légitimité ; il voulait pouvoir influer concrètement sur la politique de l’Etat. Sans être partisan de l’identité entre gouvernants et gouvernés (C. Schmitt) – même Rousseau admettait que cela n’était possible que pour un peuple de dieux – l’influence du peuple sur les destinées d’un Etat peut, à mon avis, aller bien au-delà d’un simple fondement de la légitimité.
4227 Par l’élection périodique de ses représentants au parlement ou encore par l’élection du gouvernement, le peuple peut faire valoir son influence, du moins à intervalles réguliers. Une question se pose alors : est-ce bien là l’idéal de la démocratie. Rousseau le nie catégoriquement : « Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien11. »
4328 Malgré ce rejet sans nuance de la démocratie représentative, l’idée de la ratification des lois par le peuple ne s’est imposée qu’en Suisse et dans certains Etats des Etats-Unis. Doit-on pour autant rejeter l’analyse de Rousseau ? Si nous comparons les différences entre, d’une part, la démocratie représentative comprenant un cabinet gouvernemental formé de deux ou trois grands partis et, d’autre part, la démocratie semi-directe, nous constaterons ce qui suit : dans le système de la démocratie représentative, le peuple choisit en votant pour le parti auquel il veut confier le gouvernement durant une certaine période. Le parti victorieux peut, par le biais de sa majorité au parlement, modifier les lois conformément à son programme, gouverner le pays et nommer les nouveaux fonctionnaires de l’administration. Par son activité législative, le parti en question exerce aussi une influence indirecte sur les juges dont la plupart sont désignés à vie, mais qui, tous, sont liés par les lois qu’ils appliquent.
4429 En revanche, la position du parti même victorieux est beaucoup plus faible dans une démocratie semi-directe. Ce parti ne peut que faire voter des lois qui, en définitive, seront soumises à l’approbation du peuple. Ledit parti est donc obligé de chercher à obtenir le consensus populaire au sujet de ses activités. Cette dépendance l’empêche de mettre en branle un vaste programme législatif conforme à ses options politiques. Les stimulations et les idées nouvelles proviennent moins de programmes politiques que d’initiatives constitutionnelles qui, même lorsqu’elles sont rejetées par le peuple, ne vont pas sans influer sur les activités législatives. Comparativement à la démocratie représentative, les influences réciproques sont minimes entre parti majoritaire et gouvernement d’un régime de démocratie semi-directe. Par exemple, le gouvernement suisse, à savoir le Conseil fédéral, n’a pas à appliquer un ou des programmes de parti, mais il lui incombe de chercher à obtenir le consensus du parlement d’une part et celui du peuple d’autre part, afin qu’il parvienne ainsi à faire accepter ses projets et propositions.
4530 Cette quête incessante d’un consensus, démarche à laquelle tous les groupements politiques importants sont contraints, contient en elle-même le reproche que l’on fait quelquefois à la démocratie semi-directe de concordance : le vrai débat politique entre les milieux directement intéressés a lieu dans les coulisses, à l’abri des regards du public. Dès lors, le peuple n’est plus à même de discerner quelle est la situation des intérêts respectifs qui se cachent derrière le compromis ; le débat relatif à certains intérêts est ainsi soustrait à l’influence populaire. Lors du scrutin, le peuple n’est finalement plus placé face à une véritable alternative ; il est plutôt contraint d’accepter un projet déterminé ou de supporter les conséquences de son refus ; c’est en quelque sorte « la carte forcée ».
4631 En réalité, la quête permanente d’un consensus contraint tous les organes de l’Etat y compris le gouvernement à pratiquer sans cesse une politique dite de compromis. A chaque échelon, grande est, en effet, la pression qui postule que l’on prenne en considération chaque parti, chaque langue et chaque confession. Tous les organes des pouvoirs publics qui exercent les prérogatives de la souveraineté de l’Etat devraient être un reflet du peuple. L’idée d’une domination pure et simple de la majorité est très étrangère à la démocratie semi-directe (cf. R. E. Germann).
4732 Par sa quête incessante d’un véritable compromis, le gouvernement s’efforce d’obtenir autant que possible une décision unanime ou presque. En soi, les compromis ne sont pas néfastes, car, bien souvent, des intérêts divergents ne sont contraires qu’en apparence. Par conséquent, les autorités politiques chargées de trancher devront alors trouver un dénominateur commun permettant de sauvegarder ce qui est essentiel aux yeux des divers groupes, sans pour autant amputer le projet d’éléments essentiels, voire le vider de son contenu. Dans ce contexte, il importe encore d’éviter qu’un groupement économique n’utilise sa puissance pour obtenir un pouvoir disproportionné, qui le rende encore plus puissant que ce qu’il pourrait atteindre par une campagne ouverte précédant les élections.
2. Avantages et inconvénients de la démocratie semi-directe
4833 La démocratie est-elle plus facilement réalisable lorsque le peuple peut choisir tous les quatre ans entre les différents programmes des partis ou les divers candidats à la présidence, ou au contraire, n’est-elle pas plus aisée à réaliser lorsqu’à chaque échelon les organes de l’Etat doivent constamment s’efforcer de trouver un consensus populaire ? Les deux systèmes ont leurs avantages et leurs inconvénients.
4934 Dans une démocratie semi-directe, le gouvernement est obligé d’élaborer des projets de lois qui soient de nature à susciter un large consensus dans la population. En Suisse, une procédure préalable, appelée procédure de consultation, est engagée auprès des cantons, des partis politiques et des organisations et associations concernées, pour tester la possibilité et les moyens de parvenir à un accord. Cette procédure est souvent critiquée parce qu’elle donne aux intéressés directs la faculté d’influer sur les futures lois et de faire respecter certains intérêts particuliers avant le début des débats parlementaires.
5035 La procédure de consultation permet par contre de mettre en évidence les connaissances des milieux concernés et leur expérience. Dès lors, certains projets de loi rédigés par des fonctionnaires quelque peu éloignés des réalités de la vie doivent ainsi subir ce premier examen sous l’angle de la réalité politique. Dans ce contexte et parmi d’innombrables exemples, les enseignants examineront si une loi scolaire est réaliste, tandis que les fonctionnaires communaux se demanderont si une prescription de protection de l’environnement est vraiment applicable à l’échelon communal ; quant aux partenaires sociaux, ils vérifieront si leurs intérêts sont suffisamment pris en compte dans une loi régissant un domaine des assurances sociales, et, enfin, les organisations de consommateurs se demanderont si une loi sur la protection des consommateurs sert vraiment leurs intérêts.
5136 Il est également sûr et certain que la procédure de consultation provoque le choc des intérêts contraires. Comme nous l’avons déjà relevé, ces contradictions sont souvent plus apparentes que réelles. En pareil cas, il incombe au gouvernement d’analyser les postulats exprimés et surtout l’argumentation qui les développe, bien que celle-ci soit rarement très explicite et exhaustive. En procédant de la sorte, on parvient fréquemment à concilier des postulats apparemment opposés, sans que leur contenu en souffre trop. En outre, les discussions révèlent souvent que certains postulats politiques reposent sur des malentendus. En revanche, l’exercice devient plus périlleux lorsque la législation doit tenter, en présence de postulats véritablement opposés, de trouver un dénominateur commun pour tenir de la sorte compte des intérêts de chacun des camps et parvenir finalement à une solution équitable. Rares sont les cas dans lesquels tout finit par un compromis qui n’est ni chair ni poisson et dans lequel les postulats exprimés se neutralisent réciproquement.
5237 Un gouvernement et un parlement qui doivent défendre un projet soumis au vote du peuple doivent absolument expliquer et démontrer que le projet en question est respectueux de trois valeurs politiques fondamentales : la nécessité, la liberté et l’équité, ce qui signifie que le projet répond à un besoin réel, qu’il sauvegarde les libertés dans toute la mesure du possible et qu’il est conçu dans un souci de justice. Le gouvernement et le parlement n’ont donc pas le choix : Il leur faut trouver des solutions permettant aux citoyens de se forger une conviction à la lumière des trois valeurs précitées. Faute d’y parvenir, le projet n’a guère de chance d’être accepté par le peuple, car tous les groupements d’opposition tenteront alors de mettre ses faiblesses en évidence lors de la campagne politique précédant le vote populaire. Par conséquent, seuls les projets minutieusement préparés et mis au point ensuite trouvent grâce devant le peuple. Dans le même ordre d’idées et par extension, il convient de relever que, dans une démocratie semi-directe comme la Suisse, les projets de loi sont soumis, à certaines conditions, au référendum populaire facultatif, ce qui oblige les rédacteurs des textes légaux à écrire dans une langue qui soit compréhensible pour le citoyen moyen. Les lois qui ne sont comprises que par les fonctionnaires chargés de leur application ou par un cercle restreint de juristes, n’ont, en général, guère de chance d’être adoptées. Lorsque les citoyens, qui sont les véritables destinataires des lois, ne se sentent pas concernés, ils rejettent tout simplement la loi en question.
5338 La longueur et la complexité de la procédure législative empêchent toutefois de prendre rapidement en considération certains intérêts particuliers qui vont à l’encontre des intérêts de la majorité, mais qui sont néanmoins justifiés dans une perspective d’équité. De même, les postulats dits sociaux occupent une position délicate. En effet, d’une part, un groupe d’intérêts ne parvient pas à faire triompher ses propres intérêts particuliers dans une loi qui est soumise au vote populaire ; d’autre part, le gouvernement ne réussit pas non plus à garantir par le biais de la législation les intérêts légitimes de catégories socialement défavorisées, puisque le peuple n’approuve une loi que lorsque la majorité des citoyens est convaincue de l’opportunité de sauvegarder ses intérêts par le biais d’une telle loi.
5439 Cette présentation ne doit cependant pas occulter le fait que la campagne précédant un scrutin populaire laisse facilement libre cours au développement d’arguments irrationnels. La mauvaise humeur envers l’Etat, des alliances contre nature pour combattre un projet équilibré mais qui va trop loin pour les uns et pas assez pour les autres, des oppositions mal digérées entre ville et campagne ou entre régions linguistiques, entre confessions différentes, des luttes de prestige, l’hostilité à l’égard des fonctionnaires ou encore bien d’autres réactions de défense, à l’état latent dans le peuple, tout cela peut être facilement exploité par les adversaires d’un projet pour le faire échouer. De même qu’au sein d’une Landsgemeinde, un orateur qui exprime sans excès mais avec conviction et fermeté des passions latentes peut faire changer l’ambiance d’un moment à l’autre et mobiliser ainsi les citoyens contre un projet de loi, il est facile aux tribuns actuels qui sont familiarisés avec la télévision notamment d’utiliser celle-ci pour échauffer les esprits au sujet d’un projet qu’ils combattent.
5540 Ces difficultés ont pour conséquence d’obliger un gouvernement ou un parlement à réfléchir plutôt deux fois qu’une avant de présenter un nouveau projet. A vrai dire, on se plaint beaucoup de l’inflation dite législative, c’est-à-dire de la surabondance de lois nouvelles ou modifiées. Pourtant, comparée à la situation dans d’autres pays, celle de la Suisse est encore relativement saine à cet égard. Il est fréquent de voir certaines questions se régler – au mépris de la procédure législative – par des instructions internes (p. ex. celles sur l’engagement des forces de police) ou par des ordonnances dont la légalité est fort douteuse (p. ex. l’ordonnance fédérale concernant la télévision par câble ou, dans le canton de Fribourg, l’ordonnance sur le cycle d’orientation.) De surcroît, bien des intérêts propres à des minorités politiquement faibles sont mis sous le boisseau ou sont systématiquement négligés.
5641 Dans les pays à régime et souveraineté parlementaires, la procédure est tout autre lorsque le groupe parlementaire de la majorité gouvernementale doit se prononcer sur un projet de loi. Dans un cas pareil, le gouvernement et l’administration doivent élaborer un projet qui soit compatible avec le programme du parti ou de la coalition au pouvoir. Dans cette optique, la question de l’équilibre, de l’applicabilité et du réalisme du projet revêt une importance secondaire. En revanche, il y a au premier plan tout l’intérêt que représente une nouvelle victoire aux prochaines élections. Il va donc de soi qu’une telle manière de procéder permet d’incorporer très aisément des intérêts particuliers à un projet de loi, pour autant que celui-ci soit en harmonie avec les vues du parti gouvernemental ou de la coalition au pouvoir.
5742 Dans les Etats dotés d’une démocratie semi-directe, il est fréquent que la politique donne une impression d’incohérence et d’inconstance. Dans les pays de démocratie parlementaire, le gouvernement a par contre la faculté d’infléchir la politique dans le sens d’une conception bien définie et il n’est pas tenu d’adapter constamment sa politique à de nouveaux impératifs imposés par le parlement ou par des initiatives constitutionnelles. C’est pourquoi, au sein d’une démocratie directe, tous les groupements dont les idées ne concordent pas forcément avec celles d’un parti politique et qui représentent des postulats essentiels ont beaucoup plus de chance de voir leurs postulats réalisés que ce ne serait le cas dans une démocratie parlementaire.
5843 Il ne fait aucun doute que les procédures propres à la démocratie directe présentent également l’avantage de pouvoir résoudre d’importants conflits de façon satisfaisante, car un vote populaire peut avoir un effet clarificateur. Lorsque le conflit se résout par un scrutin populaire et qu’une décision indiscutable est prise, la minorité battue accepte le verdict du peuple. Lorsque le résultat est très serré (p. ex. le vote sur l’énergie nucléaire en Suisse), la minorité n’est pas contrainte de recourir à la violence, car elle a toujours l’espoir d’atteindre son but en lançant une seconde initiative. De surcroît, en Suisse, la coutume veut qu’on tienne compte dans la législation autant que possible des préoccupations et des vœux exprimés par une minorité qui a succombé de justesse lors du vote populaire.
5944 Puisque les objets spécifiques des scrutins présentent fréquemment des aspects multiples et variés, de nombreux citoyens se sentent dépassés, s’abstiennent de voter ou disent systématiquement non parce qu’ils ne comprennent pas le projet de loi. Dans les campagnes précédant les votes, il est difficile de faire ressortir et comprendre les nuances et les différences. Les positions sont réduites à des oppositions sommaires. « On » est dès lors soit pour soit contre les hautes écoles, la formation professionnelle, l’aménagement du territoire, l’agriculture, etc., bien que, souvent, les problèmes fondamentaux ne soient pas du tout touchés par un projet de loi. Dans ces conditions, la lutte engagée autour de la campagne qui précède le scrutin dégénère en une véritable question de confiance.
6045 Un bon projet peut toutefois échouer à cause d’une disposition marginale et mineure qui suscite pourtant une forte opposition d’un groupe donné. Lorsque celui-ci demande le référendum à cause d’une telle disposition, d’autres groupes se joignent au premier afin d’empêcher qu’en cas d’aboutissement du référendum, ce groupe initial soit le seul à influer sur le sort ultérieur du projet en question.
6146 Le problème posé par l’abstentionnisme croissant a déjà été évoqué très brièvement. Lorsqu’un projet donne lieu à des débats politiques très animés, 50 à 70 % des citoyens sont disposés à se rendre aux urnes, tandis que la proportion tombe à 30 ou 40 % s’il s’agit d’un projet moins disputé ou très complexe. Lorsque la participation au scrutin est faible, il est beaucoup plus facile de faire échouer un projet que lorsque 80 % des citoyens vont voter. Des études récentes ont en outre révélé que la participation aux urnes dépend également de l’appartenance à l’une ou l’autre des classes sociales. En règle générale, les ouvriers votent moins souvent que les bourgeois des classes moyennes. On a de même constaté qu’il est plus difficile d’inciter les jeunes citoyens à voter que de convaincre les citoyens plus âgés de se rendre aux urnes.
6247 De surcroît, les enquêtes récentes ont révélé qu’un certain pourcentage des personnes qui votent ne comprennent pas du tout la question posée et disent non alors qu’elles désiraient exprimer leur oui ou l’inverse. La forte augmentation du nombre des scrutins sur des objets divers rend plus difficile l’accomplissement des tâches d’information des citoyens, surtout lorsque le scrutin du dimanche porte sur différentes questions à trancher aux trois échelons (Confédération, canton et commune).
6348 Un autre problème de la démocratie directe découle du fait qu’en général le peuple ne se prononce que sur un seul projet, à la rigueur sur un projet auquel le parlement oppose un contreprojet. Dans ces conditions, les questions spécifiques doivent être réduites à un petit nombre de contrastes essentiels. Cela donne aux adversaires des changements proposés diverses possibilités de faire échouer le projet. Ils peuvent, par exemple, soumettre un contre-projet dans le seul but de partager en deux le camp des partisans du changement et empêcher ainsi qu’aussi bien le projet que le contre-projet ne l’emporte sur ses adversaires. Quelques cantons tentent de lutter contre ce fléau en instaurant le vote dit éventuel ou en additionnant les votes positifs. Pourtant, cette procédure compliquée induit souvent le citoyen en erreur, alors que celui-ci désire avoir le choix entre deux solutions claires et nettes.
6449 Toutes les considérations qui précèdent montrent qu’il est difficile d’obtenir l’agrément du peuple même pour un bon projet, mais qu’en revanche un projet de loi objectivement injustifié n’a guère de chance d’être accepté. La démocratie directe aboutit donc à une plus grande liberté face aux interventions de l’Etat ; Aristote l’avait déjà compris et mentionné dans sa Politique. Ce régime ne permet guère d’abuser de l’Etat pour faire place à des intérêts manifestement particuliers. Il arrive par contre qu’un tel régime ne soit pas en mesure de sauvegarder les intérêts souvent légitimes des minorités, car il ne se trouve aucune majorité pour les défendre.
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§ 26 La démocratie représentative
a) Les problèmes de la représentation
1171 Lorsque les gouvernements, par exemple le président de la commune ou le maire lors de l’assemblée communale ou encore le Landammann lors de la Landsgemeinde, font directement face à l’assemblée populaire, ils sont en mesure de manipuler le peuple pour servir leurs propres intérêts et se faire plébisciter par lui ; de surcroît de telles assemblées sont quelquefois sujettes à prendre des décisions irréfléchies sous l’empire des passions. Le caractère plébiscitaire de la démocratie semi-directe est sensiblement atténué par les débats rationnels au parlement. Dans ces conditions, trois questions se posent aussi bien aux Etats dotés d’une démocratie semi-directe qu’à ceux qui ont opté pour la forme de la démocratie représentative : d’où les députés tirent-ils leur droit de décider sur le peuple ? Quels sont leurs rapports avec le peuple ? Ont-ils le droit de défendre des intérêts particuliers ?
1182 Le député ou parlementaire doit-il représenter les intérêts du peuple dans son ensemble ou défend-t-il les intérêts de son cercle électoral, de son groupe parlementaire, d’un groupe de pression déterminé ou tout simplement le bien commun ? Ce problème n’est pas seulement théorique, il a aussi des répercussions pratiques considérables. Par exemple, on se demandera si une constitution qui oblige les députés à représenter les intérêts du peuple tout entier est vraiment réaliste et quelle est dès lors l’importance qu’il faut donner à la règle selon laquelle le député doit voter selon sa conscience et non pas selon les intérêts de son groupe parlementaire12.
1193 La conception que l’on a de la représentation du peuple par le parlement influe aussi énormément sur le système électoral13. Si le parlementaire représente le peuple dans son ensemble, il devrait alors autant que possible être élu par le peuple dans son entier. S’il défend les intérêts d’une catégorie économique déterminée il devrait être choisi par cette catégorie, ce qui aurait alors pour conséquence d’imposer une composition du parlement caractérisée par la représentation des classes sociales. En revanche, si le député représente les intérêts majoritaires dans une région donnée, il doit alors être élu par la population de son cercle électoral, selon le principe majoritaire et selon le modèle anglais ou américain.
1204 Si le parlement doit refléter les opinions qui ont cours dans la population, les parlementaires seront forcément élus au système proportionnel puisque celui-ci est le seul qui permette de donner au parlement un reflet fidèle des intérêts et des idées du peuple. Par contre, si le parlement doit représenter les intérêts d’une majorité du peuple, c’est alors la représentation majoritaire d’après le modèle anglais qui s’impose. Veut-on, en plus de la défense des intérêts, promouvoir l’élection de personnalités indépendantes de premier plan, il faut alors combiner l’élection majoritaire et la proportionnelle, selon le modèle de la RFA.
1215 Le parlementaire est-il directement tenu de réaliser le bien commun, on doit alors lui laisser la liberté de trancher selon sa conscience. En revanche, si les différents intérêts existant dans la population doivent aboutir à un compromis viable devant le parlement, on peut se demander si le député n’est pas lié à la volonté de ses électeurs et que, par conséquent, sa liberté de décision se restreint à ce cadre. La discipline de groupe, c’est-à-dire l’obligation qu’a le parlementaire de voter avec la majorité de son groupe semble admissible dans le second cas.
1226 La question de la représentation a également des conséquences importantes pour la conception que chaque parlementaire a de son rôle. A-t-il par exemple le droit d’approuver un projet bien qu’il sache que ses électeurs le rejetteraient, alors qu’il est lui-même convaincu que ledit projet se justifie et contribue au bien commun ? Le député doit-il chercher le contact avec le peuple pour se laisser influencer par lui ou bien doit-il exercer envers lui une fonction de guide et persuader la population de la justesse de certaines décisions du gouvernement ?
1237 Il n’y a guère d’espoir de voir se clarifier une fois pour toutes ces questions qui sont très controversées depuis les débuts de la démocratie représentative. Notre ambition se borne à tenter de les présenter en les replaçant dans le contexte général de la théorie de l’Etat.
b) L’évolution de l’idée de représentation
1. L’importance de l’évolution du parlement anglais pour la démocratie
1.1. L’idée de représentation
1248 Lors de la première convocation du parlement déjà, le roi Edouard 1er avait renoncé à choisir ses conseillers selon le principe des états ou classes sociales de l’époque. Ses conseillers étaient plutôt les « représentants » du “Boroughs” dans son ensemble. Ils avaient pour mission de représenter leur cercle et non pas leur classe. Cela n’était guère compatible avec les principes de l’Etat féodal structuré de façon rigide en divers ordres. Le principe d’une représentation générale non restreinte par les barrières séparant les ordres favorisa donc la disparition progressive de l’Etat féodal en faveur d’un Etat représentatif des intérêts de l’ensemble du peuple.
1259 L’idée d’une représentation générale a également débouché sur une optique sensiblement différente au sujet de « l’intérêt public » ou intérêt de l’Etat. Au sein de l’Etat féodal, les intérêts des seigneurs féodaux avaient pour contre-partie leurs obligations d’assurer la protection de leurs sujets. Le seigneur féodal devait donc veiller sur ses protégés qui, de leur côté, devaient jurer fidélité à leur maître et seigneur et lui fournir sa subsistance. Le seigneur féodal était lui-même soumis à un seigneur plus puissant dans un rapport de vassal à suzerain, le premier devant fidélité au second qui lui assurait protection. Le rôle du roi se bornait donc à s’enquérir des intérêts de ceux de ses sujets qui dépendaient directement de lui, mais non point des intérêts du peuple tout entier.
12610 Les représentants d’Edouard 1er furent toutefois obligés de représenter devant le roi les intérêts de leur “Boroughs”. Cela provoqua, d’une part, une surenchère du pouvoir souverain de l’Etat puisque, désormais, seul l’intérêt public (bien commun) faisait face aux intérêts privés. Dans la philosophie d’Hegel, ce face-à-face se résout par l’absolutisation de l’intérêt public. D’autre part, cette opposition d’intérêts a toutefois créé des conditions propices à une évolution démocratique au terme de laquelle le peuple ou ses représentants décident en fin de compte ce qu’il faut entendre par intérêt public.
1.2. Le parlement comme législateur
12711 La conception médiévale selon laquelle le droit est préexistant et n’est pas modifiable dans son noyau a conduit le roi à attribuer au parlement une compétence surtout judiciaire. Ainsi celui-ci devait dire le droit, mais ne pouvait pas le créer. En 1529, sous le règne d’Henry VIII, le parlement conféra des attributions à la jeune Eglise anglicane prenant ainsi pour la première fois une décision politique et s’érigeant de la sorte, mais conjointement avec le roi, en autorité suprême, y compris dans les questions ecclésiastiques14.
12812 Le parlement anglais n’a exercé pour la première fois une activité proprement législative qu’à l’époque dite du “long parliament”. Enfin, une évolution progressive s’est achevée par l’attribution d’un caractère absolu à la souveraineté du parlement. A partir de ce moment, le rôle du parlement ne se limitait plus à aplanir les conflits, mais son pouvoir lui permettait de modifier la société, voire la religion et la morale. Compte tenu des vues de l’époque au sujet de la compétence du parlement, il était donc normal qu’en 1649, le long parliament se permette de supprimer par un décret spécial la royauté en Angleterre.
1.3. La domination de la majorité
12913 L’évolution rapide vers le bipartisme a conduit les Anglais à prendre conscience de la démocratie et à la concevoir comme un antagonisme ou un rapport de tension entre la majorité et la minorité. La manière dont Rousseau entendait la démocratie, c’est-à-dire la volonté générale qui ne laisse aucune place à une pensée partisane et, partant, à une minorité, est totalement étrangère aux Anglais15. La séparation très nette de la majorité et de la minorité fut, en Grande-Bretagne, la condition dont a dépendu l’exercice de la souveraineté d’un organe composé de plus de 600 députés. La décision périodique du peuple en faveur de l’un ou de l’autre parti permettait au parti vainqueur de gouverner le pays durant un temps limité. Cependant, le parti majoritaire savait fort bien qu’il ne pouvait pas représenter tous les intérêts de la nation. Le voie conduisant à la démocratie totalitaire lui était interdite.
13014 Le système dans lequel le parti majoritaire domine implique une nécessité ; en effet, ce parti se doit alors d’intégrer dans son programme de législature les divers intérêts de la population, afin de pouvoir conserver la majorité. Il ne peut ainsi se borner à prendre uniquement en considération les intérêts des membres du parti, mais il devra forcément tenir compte de l’ensemble de la population. Les deux partis sont en outre conscients du fait que les intérêts du peuple ne sont pas réductibles aux intérêts antagonistes représentés par les partis. Ceux-ci représentent au mieux certaines tendances et, dans l’exercice de leurs fonctions gouvernementales, les partis sont tenus de prendre toujours en compte les intérêts effectifs de la population.
1.4. Le parlement comme collège
13115 Les parlements sont certes des oligarchies, mais non pas des assemblées dictatoriales. Leur nature d’organes collégiaux est contraire au pouvoir totalitaire. L’histoire d’Angleterre met cela en évidence. Il est vrai cependant que le “long parliament” condamna à mort le roi Charles 1er par un acte révolutionnaire. Mais la dictature proprement dite fut uniquement le fait de Cromwell qui supprima le parlement. Aussi longtemps que des parlements exercent la souveraineté effective, ils peuvent toujours s’opposer aux tendances totalitaires. En effet, les débats au parlement impliquent une confrontation au moyen d’arguments et de contre-arguments, ce qui exclut le caractère unilatéral par trop tendancieux.
13216 Même à l’époque des moyens de communication de masse, alors que plus d’un parlementaire parle d’abord pour le petit écran, en vue de mobiliser les masses, on constate qu’une dictature ne peut pas s’établir sans mise hors circuit du parlement. En 1933, même Hitler dut commencer par se faire donner les pleins pouvoirs par le parlement pour parvenir ensuite à éliminer celui-ci et à établir sa dictature absolument totalitaire. Les restrictions de pouvoir imposées à un organe collégial de plusieurs centaines de membres sont si fortes qu’un exercice unilatéral du pouvoir a finalement beaucoup de peine à s’imposer ou, à tout le moins, à se maintenir.
13317 Il se pose toutefois une autre question. Jusqu’où un parlement se lais-sera-t-il manipuler par un président qui veut l’utiliser comme alibi pour maintenir un semblant de démocratie ? On relèvera à ce propos que ce danger existe dans les régimes qui confient une très large compétence à leur président, notamment le droit de décréter l’état d’urgence.
1.5. Auto-gouvernement du peuple ?
13418 Dans la démocratie représentative, les droits du peuple se limitent à contrôler ceux qui gouvernent. Les élections périodiques donnent aux électeurs la possibilité de se défaire du parti majoritaire et de donner à l’ancien parti minoritaire devenu majoritaire le mandat de gouverner. Il s’ensuit que durant son passage au gouvernement le parti majoritaire cherche à réaliser un programme qui puisse également être accepté par le peuple aux prochaines élections. Ce contrôle périodique par le peuple empêche généralement des évolutions extrêmes. Tant le parti minoritaire que celui qui est majoritaire doivent s’efforcer d’être attrayants dans les programmes qu’ils présentent aux électeurs. Le remplacement d’un des deux partis par l’autre ne se produit d’ailleurs que par la volonté des électeurs du centre dont les vues oscillent entre la majorité et la minorité.
13519 Le contrôle exercé par le peuple ne débouche pas sur un autogouvernement du peuple, bien que l’activité des gouvernants trouve sa légitimité dans le peuple. Le “government by consent”, la prise en compte des relations entre majorité et minorité ainsi que le contrôle exercé par l’opposition font que le consensus n’est pas seulement valable le jour des élections, mais encore entre deux élections.
1.6. “One man one vote” et modification des tâches de l’Etat
13620 L’Angleterre a notablement contribué au développement du principe “one man one vote” (suffrage universel), bien que les restrictions de vote n’aient été progressivement abolies qu’à partir de 1832, à la suite de l’évolution en France. Jusqu’alors, la « démocratie » n’était exercée que par un petit nombre de citoyens fortunés ou aisés et qui, de surcroît, subissaient fortement l’influence des Lords. Cette petite classe d’aristocrates et de bourgeois actifs dans le commerce et l’industrie ont, depuis les débuts du parlement, combattu pour les droits parlementaires et pour l’indépendance de cette chambre.
13721 Les importantes réformes du droit de vote aux xixe et xxe siècles ont modifié de façon décisive la situation des classes moyennes et leurs intérêts. Avec le nombre croissant des parlementaires du parti travailliste qui représentaient les intérêts des travailleurs, il y eut naturellement de leur part des tentatives de gagner l’Etat à la cause des travailleurs par le biais du parlement. La répartition des revenus s’est accomplie progressivement sous l’autorité de l’Etat par la progression fiscale, les assurances sociales, l’extension de la formation, la protection des travailleurs, etc. A l’encontre de l’Etat féodal qui avait à sauvegarder les intérêts des seigneurs féodaux face aux basses couches de la population, l’Etat s’engageait alors en faveur des intérêts des travailleurs. La modification des conditions relatives à la majorité par la réalisation du principe “one man one vote” devait forcément promouvoir le développement de l’Etat social car c’est seulement à partir de ce moment que les classes inférieures eurent part au pouvoir de l’Etat.
13822 Face à cette évolution, les milieux bourgeois se virent à nouveau appelés à combattre pour la liberté et contre les interventions des pouvoirs publics, car ils se croyaient dupés et privés de la liberté qu’ils avaient précisément arrachée à l’absolutisme deux siècles auparavant. Les conflits sociaux du xixe et du xxe siècles furent concevables uniquement en raison d’une nouvelle prise de conscience de la souveraineté qui fit que les situations et structures sociales n’étaient plus acceptées comme une fatalité, mais considérées comme modifiables par la législation de l’Etat. Les paysans et les travailleurs n’avaient plus un rôle immuable et prédestiné à tenir dans ce grand théâtre qu’est le monde ; bien au contraire leur sort pouvait être modifié par des décisions prises par les hommes.
13923 Avec l’extension du droit de vote, les conflits sociaux se transposèrent de plus en plus dans les débats et les affrontements démocratiques. Le parlement se départit de son rôle d’arbitre et trancha, selon la majorité du moment, en faveur soit des intérêts des employeurs, soit de ceux des travailleurs. A vrai dire, de nombreux conflits continuaient et continuent encore à se résoudre dans un affrontement direct entre travailleurs et employeurs, par exemple en matière de politique salariale. Il y a pourtant partout une tendance à l’abandon complet ou partiel de cette autonomie et à son remplacement par la réglementation et les décisions des pouvoirs publics. Ce n’est pas par hasard que la législation relative au droit du travail a pris un volume considérable depuis un siècle.
14024 Les nouvelles tâches dont l’accomplissement était confié à l’Etat impliquaient à chaque fois un renforcement sensible des administrations publiques. Les redistributions n’étaient pas directement réalisables entre les employeurs et les travailleurs ; elles devaient passer par l’intermédiaire de l’Etat, notamment par le biais des impôts, tant et si bien que la bureaucratie administrative engloutissait au passage une partie des avantages de la redistribution. Le pouvoir croissant est donc un phénomène de la démocratie moderne que celle-ci doit analyser.
14125 Pour l’avenir du développement de la démocratie, il est vraiment décisif de maintenir l’équilibre des différentes formes sociales. Le passé récent a montré que le danger d’une évolution de l’Etat vers le totalitarisme est le plus grand lorsqu’une catégorie sociale influente ne peut se passer de la protection des pouvoirs publics pour s’accomplir. Dès lors, l’interdépendance du pouvoir et de certaines classes sociales conduit nécessairement à un renforcement de l’Etat et de ses attributions ainsi qu’à une restriction de la liberté.
14226 La démocratie comme telle ne constitue pas encore une garantie de liberté puisque la majorité peut y imposer ses intérêts par le canal de l’Etat et tomber ainsi dans la dépendance de celui-ci. C’est pourquoi il importe de maintenir un équilibre économique entre les diverses forces qu’on rencontre au sein de la société ; c’est en effet la seule manière d’empêcher que l’une ou l’autre catégorie ou classe sociale n’abuse du pouvoir de l’Etat pour parvenir à ses fins.
14327 Dans ce contexte, il ne faut toutefois pas perdre de vue que les vrais intérêts publics qui sont donc ceux de toutes les couches sociales – il s’agit par exemple de la protection de l’environnement, de la politique sanitaire, des équipements collectifs de la formation, de la protection des consommateurs et de la sécurité sociale – ont pris de l’importance et s’ajoutent désormais aux tâches traditionnelles de protection et de police, notamment la police des constructions, celle de la circulation ainsi que le contrôle des denrées alimentaires. Cela aboutit à une situation où l’Etat et ses administrations font toujours plus figure de troisième force aux côtés des partenaires traditionnels que sont les employeurs et les travailleurs.
14428 Par conséquent l’accomplissement des tâches précitées doit être conçu et organisé de telle manière que l’Etat se présente et agisse effectivement envers ses administrés comme un partenaire et non pas comme une incarnation du pouvoir absolu, découlant d’une conception surannée du bien commun. La solidarité des citoyens, facteur indispensable à tout développement authentique de la démocratie, ne sera sauvegardée qu’à la condition que les partenaires négocient contractuellement des prestations et contre-prestations. Les citoyens doivent être convaincus de recevoir une contre-prestation équitable en retour de la prestation qu’ils acceptent de fournir à l’Etat. Faute de conviction à ce sujet, ils remettront l’Etat et son appareil en question, voire combattront l’un et l’autre.
2. Rousseau, Sieyes et Burke
14529 Comment faire découler de la souveraineté populaire le pouvoir souverain exercé par un petit nombre de dignitaires parlementaires ? Emmanuel Sieyes (1748-1836) est parvenu à réaliser ce tour de force intellectuel avant, pendant et après la Révolution française. A la suite de Rousseau, Sieyes distingue également la volonté générale de la volonté de tous. Il est d’avis que la volonté populaire empirique ne coïncide pas avec la volonté générale. Le peuple lui-même n’est jamais en mesure de discerner le bien commun. C’est en revanche la tâche des représentants, c’est-à-dire des parlementaires que de s’occuper du bien commun et de gouverner pour le peuple16.
14630 La distinction entre la volonté de tous et la volonté générale conduit forcément à la question de savoir qui est en mesure de discerner et d’accomplir la volonté générale et selon quelle procédure. Si celle-ci n’est pas identique à la volonté populaire empirique ou volonté de tous, il faut alors qu’un autre organe que le peuple puisse définir le contenu de cette volonté générale. Peu importe l’organe en question, celui-ci légitimera ses droits à partir d’une souveraineté fictive du peuple et pourra exercer un pouvoir absolu et illimité grâce à cette légitimité. Tandis que Rousseau était d’avis qu’il était impossible aux représentants de discerner la volonté générale, Sieyes soutenait que seuls les représentants du peuple sont en mesure d’accomplir la volonté générale. De cette manière la souveraineté populaire fictive permet de légitimer l’absolutisme de la souveraineté parlementaire. Pour empêcher que la volonté populaire empirique influe sur les activités du parlement, il faut donc logiquement tout faire pour isoler les représentants de la volonté populaire qui est empirique et plébiscitaire. La suppression des provinces historiques de France et leur remplacement par un découpage artificiel en départements, la centralisation républicaine et jacobine, la suppression de tous les principes sur lesquels reposaient l’Ancien Régime et ses trois ordres, l’interdiction des partis et la défense de dissoudre le parlement furent les conséquences logiques des réflexions de Sieyes. Tout cela a finalement débouché sur la notion de despotisme représentatif utilisée et incarnée par Robespierre.
14731 Alors qu’il s’agissait avant tout de remplacer, dans les pays de l’Europe continentale, le principe de la représentation des classes sociales ou ordres de la nation par celui de la représentation générale du peuple, un autre principe, celui d’une représentation générale de la population de chaque cercle électoral, faisait partie du patrimoine politique de l’Angleterre depuis le « parlement-modèle » de 1295. Le parlementaire britannique n’avait pas à représenter exclusivement l’une ou l’autre classe sociale, mais bien toute la population de son cercle électoral. Edmond Burke (1729-1797), qui fut le chef du groupe Whig au parlement posa quant à lui, en ce xviiie siècle déjà, le principe selon lequel les parlementaires devaient représenter le peuple dans son ensemble et non point seulement leur cercle électoral.
14832 D’après Burke, le parlementaire n’est pas uniquement le détenteur d’un mandat de son cercle électoral, mais il a à défendre les intérêts du peuple tout entier, bien qu’il soit élu par son seul arrondissement électoral. En outre, Burke était pourtant d’avis que le parlementaire n’avait pas à exercer des mandats directs du peuple, mais qu’en sa qualité de représentant du peuple, il devait être capable d’accomplir le bien commun qui préexiste. C’est dans l’accomplissement de cette tâche qu’un parlement absolument souverain trouve sa légitimation ultime.
3. L’Allemagne
14933 Dans l’Allemagne du xixe siècle, les parlementaires avaient pour mission de limiter le pouvoir du roi qui faisait découler sa souveraineté de Dieu. Puisqu’il n’était pas question de souveraineté populaire, le pouvoir du parlement était plus facile à imposer. Le peuple reconnaissait les parlementaires comme ses représentants directs. Ceux-ci avaient pour ambition de concilier le pouvoir royal avec les intérêts du peuple. Mais cela n’était possible qu’à la condition que ces parlementaires restent en contact avec les milieux populaires. C’est pour cette raison qu’on perçoit beaucoup plus fortement en Allemagne que dans d’autres pays le dilemme ou la dialectique entre, d’une part, la représentation de la volonté populaire empirique et, d’autre part, les liens à un bien commun préexistant et prédonné sous forme de volonté générale. On comprend donc qu’au xixe siècle ce soit surtout la gauche politique qui ait revendiqué le renforcement des liens entre les représentants et le peuple par l’adoption de moyens d’action plébiscitaires. Dans le programme d’Eisenach du 8 août 1869, le parti social-démocrate réclamait l’instauration d’un pouvoir législatif exercé directement par le peuple. Dans les programmes de Gothaer (1875) et d’Erfurt (1891) élaborés par ce parti, on trouve également la revendication d’un droit de participation directe du peuple à la législation17.
15034 Ce lien plébiscitaire entre le parlement et la volonté populaire était toutefois contraire aux idées de la bourgeoisie en matière de représentation. En effet, les milieux et partis bourgeois estimaient que le parlement constituait une entité nouvelle et supérieure qui prenait ses décisions en toute indépendance du peuple (cf. H. Krueger ; C. Schmitt). « Lorsqu’un parlement s’informe d’une manière ou d’une autre de l’opinion publique et prend ses décisions en fonction d’elle ou encore lorsque la volonté du parlement peut être écartée par la volonté populaire, cela est absolument contraire au principe de la représentation et ne s’explique probablement que par le déclin de ce principe18. » La bourgeoisie du xixe siècle voulait absolument écarter le principe de la représentation de certaines classes sociales et laisser sièger à leur place au parlement des députés indépendants que la raison seule devait guider19.
15135 Puisque l’identité du peuple avec ses gouvernants n’est pas possible en fin de compte, – cela impliquerait du même coup une assemblée permanente des citoyens –, il faut donc une nouvelle entité qui représente l’unité du peuple. Autrefois, c’était le monarque et il fallut par conséquent trouver dans le parlement – contre-poids au président du Reich « par la grâce du peuple » – la fiction de l’unité dans la démocratie de la constitution de Weimar. Cette fiction unitaire était contredite par le fractionnement du parlement en partis qui devaient donc être considérés comme des corps étrangers dans l’Etat et comme un péril pour l’indépendance des parlementaires. « La notion de parti n’a comme telle pas place au sein de l’Etat et de son régime ; même si des partis doivent exercer une influence sur le régime, ils ne peuvent être considérés que sous l’angle d’une majorité et d’une minorité20. »
15236 Les controverses et débats récents au sujet de la représentation découlent de la coupure du parlement en une majorité gouvernementale et une opposition. Cette séparation entre majorité et minorité semble justifiée aux yeux de la première comme de la seconde par le fait que toutes deux reconnaissent la constitution comme une entité juridique suprême21 ; de surcroît, majorité et minorité expliquent sans détour que la reconnaissance des partis apporte un élément plébiscitaire dans la conception de la représentation puisque les membres du parti, à savoir la base, peuvent influencer en tout temps l’opinion de leur parti22.
4. Les Etats-Unis d’Amérique
15337 Les pères de la constitution des Etats-Unis ont abordé le problème de la représentation de manière plus pragmatique. Dans les “Federal Papers” (n° 10), James Madison (1751-1836) s’est demandé comment le peuple déciderait s’il avait à statuer sur la protection de l’artisanat indigène contre la concurrence étrangère. Les paysans et les artisans porteraient à vrai dire un jugement différent sur cette question. Cependant, ni les paysans ni les artisans ne seraient en mesure de prendre une décision qui soit équitable pour tous. Lorsqu’il s’agit de décisions populaires concrètes et directes, le peuple est partagé entre des intérêts divergents, mais ni la majorité, ni la minorité ne pourront discerner le véritable intérêt du peuple (l’intérêt général qui découle de la volonté générale). “Under such a regulation, it may well happen that the public voice, pronounced by the representatives of the people, will be more consonant to the public good than if pronounced by the people themselves, convened for the purpose.” Seuls les représentants, qui sont des arbitres équitables dans le domaine des intérêts populaires divergents, sont en mesure de prendre une décision allant dans le sens du bien commun.
15438 Celui qui veut toutefois jouer le rôle d’arbitre des intérêts représentés au sein du peuple ne doit pas se détacher de celui-ci ; il lui faut, au contraire, connaître tous les avis et tous les intérêts en présence. Le député doit absolument conserver un lien permanent avec sa “constituency”, faute de quoi il ne pourra pas prendre de décisions équitables pour tous. Il n’est cependant pas l’ambassadeur ou le porte-parole de sa circonscription électorale. Il devrait être aussi indépendant que possible et trancher sur la base de sa responsabilité personnelle. La volonté générale n’est donc pas une chose prédonnée que le parlement doit discerner et qu’un monarque ou président doit finalement défendre, mais c’est au contraire la résultante d’intérêts bien réels et opposés au sujet desquels le parlement doit trancher en toute indépendance. L’utilitarisme anglo-saxon, pour lequel ce qui est juste n’est autre qu’un optimum concret pour tous, a beaucoup contribué à cette conception de la représentation23.
5. La Suisse
15539 La constitution fédérale suisse de 1848 est encore fortement imprégnée des idées relatives à une indépendance vis-à-vis du peuple et à une forme de représentation hostile aux partis. Le peuple ne peut participer au « pouvoir constituant » que par la voie d’une initiative constitutionnelle générale. Depuis 1848, les éléments plébiscitaires contenus dans la constitution se sont toutefois constamment renforcés. En 1874, le référendum législatif a été introduit, en 1891 c’est l’initiative populaire pour la révision partielle de la constitution, en 1918 l’élection au système proportionnel, en 1921 et 1927 la consultation du peuple lors de la conclusion de traités internationaux, en 1949 le référendum facultatif pour les arrêtés fédéraux urgents et en 1971 le droit de vote des femmes. Cet attachement du pouvoir de l’Etat à la volonté de tous et ce détachement d’une volonté générale fictive se sont accomplis progressivement durant plus d’un siècle et il semble que ce processus ne soit pas encore achevé à l’heure actuelle.
15640 Cet attachement des représentants à la volonté populaire empirique est-il préjudiciable à la justice ? Celui qui vit activement dans les milieux politiques en Suisse peut constater que bon nombre de magistrats et de parlementaires suisses ont de leur mission une conception consistant à se mettre et à rester au service du peuple. Nombreux sont-ils donc à comprendre cette affirmation non point comme une formule vide ou comme une vague volonté générale interprétable et, partant, à déterminer par leurs soins, ce qui conduirait finalement à des décisions prises par un Etat autoritaire. La volonté populaire est entendue dans un sens beaucoup plus pragmatique. Par conséquent, les projets de loi doivent être conformes à la volonté du peuple ; les parlementaires et les membres de l’exécutif doivent se plier à la volonté populaire ; ils ont à élaborer et à présenter des projets qui trouvent grâce devant le peuple. Cette conception de la représentation est toutefois très éloignée d’un certain système où le peuple est compétent pour donner des instructions impératives à ses députés. Or, le parlementaire suisse doit défendre un projet de loi qui ne sera pas accepté ou refusé par son canton ou son cercle électoral, mais par la majorité du peuple suisse.
15741 La situation décrite ci-avant conduit-elle à favoriser par trop unilatéralement certains groupements d’intérêts ? L’opinion de Madison, selon laquelle la justice ne saurait s’accomplir de cette manière, est-elle pertinente ? Si les projets de loi étaient élaborés directement par l’assemblée populaire, ce danger ne serait guère écarté. Cependant, puisque les projets font l’objet d’un débat public qui se déroule par l’exposé d’arguments plus ou moins rationnels et que, finalement, seul le compromis mis au point par le parlement est soumis au peuple, le danger précité est ainsi considérablement réduit. Cette dernière remarque ne vaut toutefois qu’à la condition que l’ensemble du processus législatif soit public et transparent.
15842 De surcroît, il est rare qu’on puisse définir la situation en mettant d’un côté les intérêts d’une majorité et de l’autre ceux d’une minorité. Même l’exemple choisi par Madison24 et portant sur les intérêts opposés des paysans et des artisans ne présente pas la situation de façon complète. Cet auteur omet, en effet, de rappeler qu’aussi bien les artisans que les agriculteurs sont des consommateurs et qu’à ce titre, ils ont un intérêt à acheter des marchandises à bon marché. Il oublie encore p. ex. que le fils d’un paysan est artisan et que le frère d’un artisan peut être agriculteur, ce qui influe de nouveau sur les intérêts du paysan et de l’artisan. Dans les communes rurales, il est fort probable que les artisans aient un avantage à soutenir les paysans et leurs intérêts ; dans les régions urbaines, le contraire peut se produire. Des mesures protectionnistes pourront être étendues ultérieurement à l’agriculture et, de plus, des mesures de ce genre aboutissent à des interventions accrues de l’Etat. Même parmi les artisans, les intérêts peuvent diverger. En effet, il y a des branches qui profiteront beaucoup de telles mesures et d’autres branches qui n’en tireront que peu de profit. En outre, les mesures protectionnistes peuvent, entre autres, provoquer ou retarder des concentrations dans l’économie. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que les artisans ne produisent pas tout seuls, mais que, depuis le début du xviiie siècle ils ont des ouvriers qui, eux, peuvent voter soit pour, soit contre leurs employeurs.
15943 Cette énumération d’intérêts très différenciés peut s’allonger autant que l’on veut. Ce qui importe toutefois c’est uniquement de montrer que les oppositions plus ou moins théoriques peuvent se présenter tout autrement dans la pratique de la politique quotidienne. Quelquefois, il n’est pas encore possible de discerner du tout au stade de l’élaboration et de la discussion du projet quelle sera l’issue du scrutin populaire. Il s’ensuit que le parlement doit, en fait comme en droit, prendre une décision en toute indépendance certes, mais en escomptant qu’elle soit acceptée par l’opinion publique. Si le parlement a pris les intérêts en compte de façon unilatérale, voire partiale, le projet n’a, comme nous l’avons déjà vu, aucune chance d’être accepté. En effet, ledit projet ne trouvera grâce devant le peuple que pour autant qu’il ait été élaboré conformément aux principes d’une justice intersubjective démontrable. Cette manière de procéder garantit très largement un débat correct au cours duquel les divers arguments porteront et aboutiront vraisemblablement à une solution équitable25.
16044 La dépendance de la volonté populaire empirique ne restreint pas la liberté de décision des représentants du peuple autant qu’on pourrait le croire, puisqu’au moment de la décision parlementaire, cette volonté populaire n’existe pas encore et ne se forme que plus tard, en vue du vote. De plus, le lien à la volonté du peuple empêche toute utilisation abusive du pouvoir du parlement ou d’un groupe parlementaire majoritaire.
16145 La représentation du peuple exerce donc un pouvoir délégué par ledit peuple. Le parlement est l’avant-dernière instance, le peuple ayant le dernier mot. Lorsque le peuple refuse un projet, cela n’a pas de conséquences personnelles pour les défenseurs de ce projet. En effet, le peuple prendrait très mal leur démission pour cette raison, car il ressentirait comme une entrave à l’exercice de ses droits le fait de lier la question de confiance qui est personnelle à une décision sur un objet donné. On peut se demander si cette procédure conduit à des résultats plus justes au sens de la volonté générale ou s’il convient de lui préférer celle de la démocratie représentative au sein de laquelle le parti majoritaire soutient activement de nombreux projets dans la perspective tactique visant à gagner les prochaines élections, tandis que l’opposition les combat vigoureusement pour les mêmes raisons.
Bibliographie
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§ 27 La séparation des pouvoirs
a) La théorie de la séparation des pouvoirs et son évolution
1. Postulats idéalistes concernant le monarque bon et idéal
1961 La plupart des théoriciens de l’Etat ont jugé l’organisation de l’Etat en se fondant moins sur les institutions que sur le caractère du chef de l’Etat. Platon préconisait de confier la conduite de l’Etat aux philosophes. Artistote mettait en relation les formes d’Etat bonnes ou mauvaises avec le caractère des souverains : lorsque ceux-ci ne dirigent l’Etat qu’en vue de leur profit personnel, alors la monarchie dégénère en tyrannie et l’aristocratie en oligarchie.
1972 Aux viiie, ixe et xe siècles après J.-C., la tradition grecque se prolongea avant tout dans les doctrines arabo-islamiques de l’Etat. Ainsi, au ixe siècle, Ibn-Abi’r-Rabi’ exige du souverain qu’il ait la meilleure et la plus forte personnalité du pays, qu’il tienne ses promesses, soit bienveillant et clément et qu’il donne son dû à chacun dans le repect des lois. Ibn Abi n’énumère pas seulement les conditions dont dépendent la bonté et l’équité du souverain ; il compare celui-ci à un bon juge. Or, ce dernier doit craindre Dieu, être sage et sensé et bien connaître le droit ; il doit encore être intègre et ne devrait juger que lorsqu’il dispose de toutes les preuves et n’a plus d’hésitations à leur sujet. Le bon juge ne doit pas non plus être effrayé par le bien ou le mal ; il n’a pas le droit d’accepter des cadeaux ou de prêter l’oreille à des recommandations, il ne devrait pas avoir d’entretiens privés avec l’une des parties ; il doit encore être avare de sourires, parler peu, ne pas exiger des prestations de l’une ou l’autre des parties et protéger le patrimoine des orphelins26. On trouve des idées semblables chez Farabi (850-970 ap. J.-C.) qui, 800 ans avant Hobbes et 1000 ans avant Austin, a été le précurseur du contrat social et de la doctrine de la souveraineté27. La tradition idéaliste fut maintenue par Ghazzali (1058-1111) et surtout par Ibn Khaldun, le plus célèbre des théoriciens arabes de l’Etat.
2. Représentations institutionnelles dans la Chine ancienne
1983 En ce qui concerne les rapports entre l’organisation de l’Etat et la personnalité du souverain, on trouve des réflexions analogues dans la théorie chinoise de l’Etat qui est encore beaucoup plus ancienne. C’est surtout le confucianisme qui a cherché à assurer une bonne direction de l’Etat en posant des exigences relatives au caractère du monarque. Cette conception idéaliste a été toutefois très critiquée plus tard par Han Fei (décédé en 234 av. J.-C). « Le prince de Lu demanda : comment peut-on bien gouverner l’Etat ? Confucius répondit : uniquement avec des fonctionnaires vertueux. Un autre jour, le prince de Chi posa la même question, à laquelle Confucius répondit : Les dépenses et les recettes de l’Etat doivent être les plus modestes possibles... – Ce que Confucius a dit conduit l’Etat à sa perte28. » Han Fei avait fort bien compris qu’en règle générale les Etats ne sont pas dirigés par des surhommes. Il cherche donc à développer une théorie de l’Etat qui tienne mieux compte de la moyenne puisque les princes et les rois sont généralement des souverains moyens.
1994 Afin d’éviter que le prince ne soit roulé par ses fonctionnaires, Han Fei propose un système d’attributions comprenant un contrôle réciproque. Pour rester au pouvoir, le monarque doit partager avec précision les compétences de ses subordonnés et s’assurer du fait que ceux-ci se contrôlent bien les uns les autres. Aucun d’eux ne doit jouir d’une compétence qui prime celle des autres, sinon il aurait trop de pouvoir face au prince. Etant donné que les hommes sont méchants de nature, le prince ne saurait accorder trop de confiance à ses fonctionnaires. Han Fei est donc le premier à tenter de structurer l’organisation de l’Etat par des mesures institutionnelles, notamment par un partage du pouvoir en diverses attributions ; son premier souci est de servir le prince et de le protéger contre les abus de pouvoir29.
3. La répartition des tâches selon Aristote
2005 Un siècle avant Han Fei, Aristote avait écrit en Grèce les grandes lignes d’une théorie de l’Etat qui revêtira plus tard une importance fondamentale pour la théorie de l’Etat de la civilisation arabe puis pour celle de l’Europe. « Toutes les constitutions comportent trois parties, au sujet desquelles le législateur sérieux a le devoir d’étudier ce qui est avantageux pour chaque constitution. Quand ces parties sont en bon état, la constitution est nécessairement elle-même en bon état, et les constitutions diffèrent les unes des autres d’après la façon différente dont chacune de ces parties est organisée. De ces trois parties, une première est celle qui délibère sur les affaires communes ; une seconde est celle qui a rapport aux magistratures (c’est-à-dire quelles magistratures il doit y avoir, à quelles matières doit s’étendre leur autorité, et quel doit être leur mode de recrutement), et une troisième est la partie qui rend la justice30. »
2016 Aristote anticipe à vrai dire par son approche du problème sur la subdivision du pouvoir en trois autorités, à savoir celle qui légifère, celle qui exécute ou gouverne et, enfin, celle qui juge. Pourtant, dans le passage en question, il s’agit plus, pour cet auteur, de préconiser une répartition sensée des tâches que d’un contrôle réciproque des pouvoirs au sens de Han Fei.
b) La séparation des pouvoirs selon Locke et Montesquieu
2027 Après Aristote et Han Fei il s’écoula plus de 1500 ans jusqu’à ce qu’en Angleterre Locke proposa pour la première fois un partage des différents pouvoirs de l’Etat. Ce faisant, il distingue le pouvoir législatif, l’exécutif et le fédératif ou pouvoir extérieur. Chez Locke, la raison du partage du pouvoir n’est autre que la répartition des tâches. « Les lois, qu’il a suffi d’un instant, ou d’un temps très bref, pour faire, restent en vigueur de manière permanente et durable et il est indispensable qu’on assure leur exécution sans discontinuer, ou, du moins, qu’on se tienne prêt à le faire ; en conséquence, il faut absolument un pouvoir qui ait une existence ininterrompue et qui fasse exécuter les lois, au fur et à mesure qu’on les adopte et pendant le temps qu’elles doivent s’appliquer. C’est pourquoi il arrive souvent que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif soient séparés31 »
2038 Peu après Locke, le français Montesquieu, grand admirateur de l’Angleterre et de sa civilisation, fut convaincu par l’étude de la constitution anglaise que la séparation des pouvoirs ne sert pas uniquement à répartir les tâches, mais encore et au-delà à garantir la liberté des citoyens. A rencontre de bon nombre de ses prédécesseurs, il ne juge pas de la valeur d’un Etat selon le critère exclusif du caractère de son souverain, mais d’après la structure des diverses institutions.
2049 Quelles sont donc les considérations décisives de Montesquieu ? Celui-ci part de l’idée qu’à elle seule la forme d’Etat n’est pas garante de la liberté des citoyens. « La démocratie et l’aristocratie ne sont point des Etats libres par leur nature. La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. Mais elle n’est pas toujours dans les Etats modérés ; elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir ; mais c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le dirait ! la vertu même a besoin de limites. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. Une constitution peut être telle que personne ne sera contraint de faire les choses auxquelles la loi ne l’oblige pas, et à ne point faire celles que la loi lui permet32. »
20510 A la fin de son célèbre livre neuvième, Montesquieu conclut que la liberté des citoyens peut se mesurer d’après le genre de séparation des pouvoirs que connaît l’Etat en question. Ainsi, la séparation des pouvoirs devient un postulat essentiel à une constitution libérale. Cette séparation n’est pas seulement définie comme une répartition des tâches (Aristote et Locke) ni préconisée dans l’intérêt du prince (Han Fei) ; mais encore Montesquieu l’érige au rang de principe fondamental dont dépend le développement des Etats libéraux.
c) L’Etat constitutionnel avec séparation des pouvoirs
1. Le dogme de la séparation des pouvoirs
20611 Le postulat de Montesquieu ne passa pas inaperçu. La Révolution française le fit sien ; ainsi trouve-t-on à l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen. « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution33. » L’article 3 du projet de nouvelle constitution helvétique de 1800 précise que le pouvoir législatif, le judiciaire et l’exécutif n’ont en aucun cas le droit d’être réunis.
20712 A cette époque, ce furent les pères de la constitution américaine qui s’inspirèrent le plus fortement des idées de Montesquieu. Par exemple, au n° 47 du Federalist Papers, Madison se préoccupe, avec les adversaires de cette nouvelle constitution, de ce que celle-ci viole avant tout le principe de la séparation des pouvoirs, parce que les trois fonctions de l’Etat ne sont pas clairement délimitées et que le pouvoir exécutif exerce également des fonctions législatives, tandis que le pouvoir judiciaire a de son côté des fonctions exécutives, etc. Comme tous les partisans de la séparation des pouvoirs, Madison était persuadé qu’une accumulation du pouvoir législatif, exécutif ou judiciaire doit forcément conduire à la tyrannie. Bien que la constitution américaine ne s’en tienne pas exactement à la recette de Montesquieu, elle répond parfaitement dans son ensemble et son esprit au but visé par la séparation des pouvoirs, à savoir empêcher les abus de pouvoir et sauvegarder la liberté.
20813 Ce but n’est toutefois atteignable qu’à la condition que les pouvoirs ne soient pas absolument coupés les uns des autres. Le “Checks and Balances” des pouvoirs n’est en effet possible que si chacun des pouvoirs a part aux autres et peut les contrôler et les influencer. Madison s’est élevé sans ambiguité contre une interprétation unilatérale de la théorie de la séparation des pouvoirs selon Montesquieu, c’est-à-dire contre une séparation dogmatique des fonctions. Même la constitution anglaise, que Montesquieu avait prise comme modèle, ne connaît pas une séparation des pouvoirs pleine et entière. Aux Etats-Unis l’exécutif a p. ex. un droit de veto en matière de législation, tandis que le législatif peut déposer l’exécutif au moyen d’une procédure d’Impeachment. De surcroît, l’exécutif jouit d’un droit exclusif lui permettant de conclure des traités avec l’étranger et de nommer les juges. De leur côté, les juges prennent part à la législation puisqu’ils sont associés à la procédure législative avec voix consultative34.
20914 Madison et avec lui les pères de la constitution américaine ont donc relativisé le dogme de la séparation des pouvoirs que du reste Montesquieu n’avait pas interprété de façon si stricte ; ils ont pris en considération les pouvoirs à organiser au sein de l’Etat et ils l’ont fait sous l’angle des institutions et des personnes. Dans cette optique, il importe absolument de répartir les pouvoirs publics entre diverses personnes et différents organes. Ceux-ci et celles-là doivent se contrôler réciproquement et avoir part aux attributions des autres autorités, tout en ayant des compétences propres. Ainsi, le président a certes le droit de choisir lui-même les membres de son cabinet et les hauts fonctionnaires, mais le Sénat doit approuver son choix. De son côté, le congrès peut engager la procédure dite d’Impeachment pour déposer le président et les juges de la Cour suprême. En revanche, par son droit de veto, le président peut entraver l’activité législative du Congrès et la Cour suprême peut, quant à elle, déclarer inconstitutionnelles les lois votées par le Congrès.
21015 La responsabilité du dogmatisme dont a fait l’objet le principe de la séparation des pouvoirs est portée par la Révolution française, notamment par ses chefs. Selon leur conception, les trois pouvoirs ont leur justification dans la souveraineté une et indivisible de la République ; cette souveraineté se structure en trois organes différents, un pouvoir distinct étant alors délégué à chacun des trois. Il s’ensuit que les trois pouvoirs doivent être complètement séparés et n’avoir donc aucun lien entre eux35. Ce dogmatisme dans la séparation des pouvoirs, aboutit à lui faire perdre sa véritable finalité, à savoir le contrôle de chacun des trois pouvoirs par les deux autres, car seule cette réciprocité permet de garantir la liberté du citoyen. Lorsque chaque pouvoir est indépendant dans le domaine des fonctions qui sont les siennes et qu’il ne peut être contrôlé par les deux autres, le citoyen sera par exemple livré sans défense à l’arbitraire des fonctionnaires, car ni le tribunal administratif ni le parlement n’auront le droit d’intervenir dans le champ d’activités de l’exécutif.
21116 Aujourd’hui la doctrine et la jurisprudence sont unanimes à admettre qu’il ne faudrait pas dogmatiser à l’excès la théorie de la séparation des pouvoirs. Hormis de rares exceptions36 on conçoit désormais fort bien qu’il ne convient pas d’isoler totalement les unes des autres les trois fonctions vitales de l’Etat.
2. La séparation des pouvoirs dans le système constitutionnel des Etats
21217 La présentation des diverses formes d’organisation des Etats a fait ressortir la volonté de ceux-ci de tenir compte d’une manière ou d’une autre de l’idée de la séparation des pouvoirs. Pourtant ce principe fondamental n’a qu’une application réduite dans les Etats à régime parlementaire. En effet, bien que le cabinet se fût déjà développé à l’époque où Montesquieu était en Angleterre, celui-ci n’a pas discerné cette jonction de l’exécutif et du législatif37. Un cabinet qui dépend d’une majorité parlementaire conduit forcément à une unité du gouvernement et du groupe majoritaire au parlement. Dans un cas pareil, la séparation existe plutôt entre la majorité gouvernementale et l’opposition minoritaire. Les deux institutions judiciaires que sont le tribunal constitutionnel et le tribunal administratif n’étaient pas intégrées à la doctrine de la séparation des pouvoirs, car elles n’existaient tout simplement pas encore au temps de Montesquieu. Les fonctionnaires de la Couronne d’Angleterre étaient toutefois responsables devant le juge de droit commun du tort qu’ils avaient illégalement fait aux citoyens ; seul le roi n’était pas et n’est, aujourd’hui encore, pas tenu de répondre à ce sujet.
21318 Beaucoup plus importante est la séparation des pouvoirs au sens de “Checks and Balances” entre les pouvoirs dans le système gouvernemental américain. Puisque les américains ne se sont pas préoccupés de la question de savoir comment concilier le principe de la séparation des pouvoirs avec celui de la souveraineté absolue, ils ont attribué à chacun des trois pouvoirs une position originale et indépendante, qui ne peut être remise en question que par le contrôle d’un des deux autres pouvoirs. Aucun des trois pouvoirs n’est supérieur ou subordonné aux deux autres. La souveraineté de l’Etat repose simultanément sur les trois pouvoirs. Comme nous l’avons déjà relevé, les Américains ont pourtant renoncé à séparer complètement les pouvoirs du point de vue fonctionnel, tant et si bien que chacun d’eux peut avoir en même temps des attributions législatives, exécutives et judiciaires.
21419 Les Etats socialistes sont les véritables adversaires de la séparation des pouvoirs. Certes, d’après les constitutions socialistes, il y a bien trois pouvoirs qui ne sont pourtant pas indépendants l’un de l’autre. Etant donné que le pouvoir souverain est effectivement exercé par le parti, l’objectif fixé par le parti est finalement déterminant pour chacun des trois pouvoirs. Par ailleurs, dans l’optique marxiste, la séparation des pouvoirs est une invention bourgeoise. La protection contre les abus de pouvoir n’est nécessaire qu’au sein d’un Etat bourgeois. En effet, dans l’Etat communiste d’aujourd’hui où la société est émancipée par le prolétariat, les chefs de ce prolétariat ne peuvent, par définition, commettre aucun abus de pouvoir.
3. L’administration comme quatrième pouvoir
21520 D’autres esprits sceptiques face à la séparation des pouvoirs méritent d’être pris plus au sérieux que ces adversaires radicaux que sont les marxistes. Dans son étude sur Montesquieu, Franz Neumann arrive à une conclusion intéressante : “Montesquieu had changed his conception after a study of English political institutions. He would equally have changed it after a study of a mass democracy in action38.” Dans quelle mesure Montesquieu aurait-il modifié sa conception, s’il avait pu considérer la démocratie de masse, moderne et pluraliste ? Neumann est persuadé du fait suivant : la théorie constitutionnelle a exclusivement porté sur la séparation des pouvoirs, ce qui a conduit à négliger la puissance de l’administration et de la bureaucratie, comme élément essentiel des mutations sociales39.
21621 En réalité, la plupart des doctrines ont perdu de vue le fait qu’aux côtés d’un gouvernement responsable sur le plan politique, un appareil administratif pouvait s’édifier, avoir sa vie propre et restreindre de plus en plus, mais à pas feutrés, la liberté et l’indépendance du citoyen sans que celui-ci en prenne conscience. Les tâches croissantes des administrations, assurances et services sociaux engendrent une situation dans laquelle le citoyen dépend de leurs prestations et, partant, de leurs fonctionnaires. Or ceux-ci exercent une influence sur le montant de la prestation, voire peuvent décider de l’accorder ou non. De surcroît, au moyen du traitement électronique des données, l’administration dispose de toutes sortes d’informations sur le citoyen et celui-ci se trouve, pour ainsi dire, pris au piège d’un jeu de miroirs invisibles auxquels il ne peut plus se soustraire. Le citoyen contemporain se sent observé sans répit et à la merci d’un pouvoir sans visage.
21722 L’administration moderne est de moins en moins portée à imposer un comportement correct aux citoyens par le recours au droit pénal. Pour y parvenir, elle dispose, en effet, de moyens beaucoup plus subtils et efficaces, propres à le maintenir dans le droit chemin. Si l’administration veut faire des difficultés à un citoyen et lui chercher noise dans tous les domaines, par exemple en matière de santé publique, d’école, d’impôts, de rentes, de subventions, de bourses d’études, de permis de conduire, d’autorisation d’exercer une profession ou une activité, d’aide au logement, etc., elle peut aisément ruiner son existence, sans avoir violé une seule loi et sans que le juge puisse intervenir. Le citoyen ainsi persécuté veut-il se défendre qu’il aura beaucoup de peine à trouver des motifs de recours ; s’il en trouve, il lui faudra encore intenter des procès éprouvants et côuteux dont l’issue est le plus souvent incertaine.
21823 Un ancien magistrat suisse déclarait il y a peu : « L’administration est mauvaise, cependant les fonctionnaires pris individuellement sont aimables et prêts à rendre service. » Cette phrase a bien une part de vérité ; laquelle ? Le fonctionnaire qui veut faire carrière dans l’administration doit se conformer aux instructions de son supérieur et travailler efficacement, c’est-à-dire liquider les dossiers de telle manière que le supérieur qui les transmettra lui-même à son supérieur soit félicité par ce dernier. De tels fonctionnaires doivent donc répondre à ce qu’on est en droit d’attendre d’un fonctionnaire correct, appliqué, travailleur et respectueux de la loi. En revanche, il est très rare que les fonctionnaires se voient attribuer leurs qualifications professionnelles en fonction des prestations qu’ils auraient fournies aux citoyens. Quel est celui qui a déjà lu une appréciation concernant un fonctionnaire et rédigée en ces termes : « se dévoue au bien commun », « fait preuve d’une grande compréhension pour les citoyens », « a le sens des décisions équitables », « fait preuve de bon sens » ? Le facteur déterminant est hélas moins les relations avec l’extérieur que les rapports internes à l’administration. Au fond, celle-ci pourrait très bien exister sans les citoyens au service desquels elle est ou devrait être.
21924 Pour le citoyen, l’administration est anonyme. Il n’a pas de contact avec une personne précise, un être humain donné, mais au contraire avec un bureau, un office, un département officiel. A-t-il de la chance dans le cours d’une procédure quelconque qu’il rencontrera alors un fonctionnaire spécialisé et bien au courant qui le renseignera. La décision relative à sa requête ne sera toutefois pas prise ni signée par ce fonctionnaire, mais par le supérieur hiérarchique compétent. Etant donné que le supérieur en question n’a eu aucun contact avec le citoyen, il se fondera entièrement sur le jugement de son collaborateur. Cependant, il est fréquent que le jugement n’exprime guère de compréhension pour ce qui tient à cœur au citoyen, mais se borne à constater si la requête est ou non compatible avec la bonne marche de l’administration. Dès lors, le supérieur signe ce que lui propose son subordonné, avec toutes les conséquences que cela entraîne pour un citoyen qu’il ne connaît pas, alors que, de son côté, le subordonné, qui connaît pourtant le citoyen, a soumis à son supérieur une proposition répondant à ce que celui-ci attend de lui et non pas aux espoirs que le citoyen a placés en lui.
4. La séparation des pouvoirs dans l’administration
22025 La stricte hiérarchie de l’administration, sa vie propre, ses critères internes et techniques en matière d’appréciation, tout cela fait que la bureaucratie a les apparences de l’anonymat, de l’étrangeté et de la méchanceté. Il est donc grand temps que la doctrine du droit constitutionnel et administratif s’occupe de plus près du phénomène de la bureaucratie. En pratique, on constate cependant certains progrès. Dans les pays où la majorité gouvernementale ne dépend pas de la majorité parlementaire, le renforcement du contrôle de l’administration a permis d’obtenir une meilleure protection contre les abus administratifs. Dans les Etats à régime de majorité parlementaire gouvernementale, l’Ombudsmann gagne toujours plus en importance. Le système fédéraliste de répartition des pouvoirs de l’Etat conduit également à une forte décentralisation des activités administratives et, partant, à une humanisation de l’administration. En Suisse par exemple, lorsqu’une commission communale d’urbanisme, composée de profanes, doit prendre une décision sur un projet de construction, elle le fera tout autrement et dans un esprit différent de celui qui aurait animé un service public anonyme peu au courant des problèmes de la commune.
22126 Il ne fait aucun doute que l’extension de la juridiction administrative a renforcé la protection du citoyen. Bien que le contrôle des activités administratives se soit développé de la façon la plus diverse dans les différents Etats, aujourd’hui, on s’efforce partout ou presque d’atteindre le même but : offrir aux citoyens une protection efficace contre les atteintes et interventions illicites des pouvoirs publics40.
22227 Tous ces moyens ne suffisent pourtant pas à tenir dûment compte de l’Etat moderne caractérisé par la démocratie de masse et le développement de l’administration. L’idée fondamentale d’une authentique séparation des pouvoirs doit selon toute vraisemblance trouver un terrain favorable au sein même de l’administration. La répartition verticale des attributions par délégation de compétences aux échelons inférieurs aboutit à une limitation du pouvoir, mais permet aussi du même coup d’établir un contact immédiat avec les citoyens dont les autorités administratives inférieures se sentent alors directement responsables. Ces mêmes autorités ne peuvent ensuite plus se permettre de prendre des décisions aberrantes du haut de leur tour d’ivoire ; elles doivent au contraire renseigner leurs administrés et faire respecter leurs décisions sur le terrain.
22328 Il importe aussi d’accroître la participation des citoyens aux décisions administratives. Ce n’est pas par hasard que le Tribunal fédéral a décidé récemment qu’il fallait désormais que les cantons et les milieux intéressés soient entendus sous forme d’une procédure de consultation à engager également avant d’édicter une ordonnance. Qu’adviendrait-il si le citoyen pouvait influer par son comportement sur la carrière d’un fonctionnaire ? Dans l’économie privée, les prestations concrètement mesurables (p. ex. le chiffre d’affaires) sont décisives pour la carrière d’un employé. Ces prestations sont pourtant dépendantes, dans bien des cas, des consommateurs qui peuvent donc agir indirectement sur les chances de promotion d’un employé. Combien de fonctionnaires se comporteraient alors de façon plus aimable si les citoyens avec lesquels ils ont affaire pouvaient peser ainsi sur leur carrière ! Il importe toutefois de juger l’administration selon d’autres critères, à savoir sur ses prestations tangibles et non point d’après les dispositions intérieures d’un fonctionnaire.
22429 Ce qui précède ne doit pas forcément nous amener à adopter le système de la cité de la Grèce antique où les fonctionnaires étaient désignés par le sort pour un an puis rentraient dans le rang. Un peu moins de sécurité dans l’emploi et la carrière et, à l’inverse, un peu plus d’initiative et de goût du risque ne nuiraient toutefois en rien à l’administration. La conception suisse d’un certain fonctionnariat populaire c’est-à-dire la nomination des fonctionnaires pour une période administrative de quatre ans, a débouché en pratique sur une situation où les fonctionnaires sont nommés à vie. Pourtant ce n’est pas le « professionalo-fonctionnarisme » de spécialistes nommés à vie qui va nous guérir des maux de la bureaucratie.
22530 Un essai mérite d’être mentionné ; c’est celui de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui a tenté de définir les devoirs et le statut de la police au sein d’une société démocratique41. Il s’agit là d’une heureuse initiative visant à rehausser l’activité des fonctionnaires de police dans l’intérêt des citoyens et du respect de leurs droits. Il conviendrait de l’étendre à d’autres secteurs de l’administration.
5. La séparation des pouvoirs affaiblit-elle l’Etat ?
22631 Pour terminer, il nous incombe de nous occuper d’une autre critique fondamentale à l’égard de la théorie de la séparation des pouvoirs, Neumann fut le premier à l’exprimer. La séparation et le contrôle réciproque des pouvoirs ne provoquent-ils pas un affaiblissement de l’Etat qui est de la sorte encore plus exposé aux puissances extérieures ? La répartition fédéraliste du pouvoir permet à de petits groupements, à de faibles communes ou à des cantons d’exploiter cette situation dans leur propre intérêt. De même, des puissances économiques contrôlent plus facilement le pouvoir exécutif ou législatif et en abusent à leurs fins privées lorsque ces pouvoirs sont de toute façon affaiblis par leur blocage, voire leur méfiance les uns à l’égard des autres.
22732 Cette critique est en partie excessive. C’est surtout l’autonomie des petites communes qui peut être mise en péril par des groupes puissants qui commettent des abus dans leur propre intérêt. Il importe de lutter là-contre. En revanche, il serait erroné de croire que la séparation des pouvoirs affaiblit automatiquement l’Etat face aux influences de l’extérieur. C’est plutôt le contraire qui se produit. En effet, lorsqu’un groupe de pression cherche à abuser des pouvoirs publics dans son propre intérêt, il ne lui suffit pas alors de neutraliser ou de corrompre une seule autorité ; il devra gagner à sa cause le pouvoir communal, puis le cantonal et enfin le fédéral puisque chacun des trois est indépendant dans son domaine.
22833 Ce phénomène, qui aboutit à la dispersion des forces de ceux qui cherchent à mettre l’Etat en leur pouvoir, apparait déjà lors de la séparation des pouvoirs au sein d’un organe collégial42. Ainsi, celui qui veut avoir à ses côtés les membres d’un organe collégial (p. ex. le Conseil fédéral suisse) devra gagner à sa cause au moins quatre des sept Conseillers fédéraux. Il ne pourra pas se contenter de convaincre uniquement un premier ministre. A-t-il emporté la conviction du Conseil fédéral qu’il lui faudra, s’il s’agit d’un projet de loi, convaincre la majorité du parlement avec ses deux Chambres. Et, finalement, reste l’éventualité d’une demande de référendum populaire.
22934 L’Etat qui repose sur la séparation des pouvoirs est donc beaucoup plus difficile à manipuler dans un but quelconque que l’Etat monocratique. La séparation des pouvoirs peut toutefois être ressentie comme une entrave lorsque des motifs relevant de l’équité ou du bien-être social postulent l’adoption d’une nouvelle loi ou la révision d’une ancienne. En fin de compte, le manque d’efficacité de l’Etat constitue toutefois une protection du citoyen contre des interventions inconsidérées des pouvoirs publics dans la sphère de sa liberté individuelle.
23035 Cependant, la séparation des pouvoirs au sens strict de l’expression renforce aussi l’action des pouvoirs publics. Max Imboden (1915-1969) part de l’idée qu’au sein de l’Etat, le pouvoir de l’autorité repose sur l’obéissance des citoyens (oboedentia facit imperantem). Cette obéissance s’obtient par la coercition policière. Pourtant une telle coercition policière n’est guère possible dans un Etat où les pouvoirs sont séparés. C’est pourquoi l’obéissance repose également sur la confiance que les citoyens placent en l’Etat et sur la force de persuasion dont les organes de l’Etat doivent faire preuve.
23136 Pour conclure, il ne faut jamais perdre de vue que la séparation des pouvoirs est un instrument de première importance parce qu’elle permet d’empêcher que les défaillances humaines des fonctionnaires soient assimilées à l’exercice normal du pouvoir de l’Etat. Le contrôle réciproque entre les pouvoirs crée une situation où les membres des autorités publiques s’efforcent d’agir au mieux. Cela permet de remédier aux faiblesses humaines et favorise les aptitudes de l’homme à se perfectionner.
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§ 28 L’obligation de et envers la loi
2691 En étroite liaison avec le postulat de la séparation des pouvoirs, on trouve le principe de la légalité de toute activité souveraine de l’Etat. « Là où les lois ne gouvernent pas (c’est-à-dire là où les princes ne gouvernent pas selon les lois) il n’y a pas de société politique (ajoutez : tempérée) car la loi doit gouverner toutes choses43. » L’interdiction des lois rétroactives, le principe de l’universalité des lois et les liens très étroits entre la liberté d’une part et le fait d’être lié par la loi d’autre part, tous ces effets de la réserve générale de la loi ont été traités par Marsile de Padoue déjà, puis surtout par Montesquieu, avant de se développer considérablement dans les doctrines des xixe et xxe siècles.
a) L’évolution de la notion de loi
2702 La notion de loi s’est complètement transformée au cours des siècles44. Dans la Grèce antique, le contenu des lois (nomoi) occupait le premier plan. Selon Platon, l’Etat idéal gouverné par les philosophes n’a pas besoin de lois qui, elles, sont nécessaires aux cités qui n’ont pas encore pu évoluer vers l’Etat idéal. Pour Aristote les lois sont déjà des normes juridiques formulées, impératives et conformes à la volonté du législateur ; elles doivent toutefois être en harmonie avec les traditions, les coutumes et les mœurs.
2713 L’Antiquité romaine mit l’accent sur la procédure. Par rapport au contenu, tout ordre susceptible de généralisation peut être entendu comme étant une loi. En revanche, sur le plan de la procédure, il y a lieu de distinguer entre la “lex data”, loi donnée par le souverain (p. ex. la loi des Douze Tables) et la “lex rogata” ou loi dont il a été convenu avec le magistrat. Selon Gaius (117-180 ap. J.-C.), la loi est volonté et décision du peuple – “lex est quod populus iubet atque constituit45” –. Enfin, la décision de la plèbe (plebiscitum) fut aussi appelée loi.
2724 Lorsqu’on examine l’histoire de la législation allemande, on rencontre trois formes fondamentales que revêt la loi :
Le droit non formulé sous forme de sagesse ;
Le droit convenu et formulé par des confédérés ;
Le droit ordonné par le souverain ou l’autorité, le commandement46.
273Ces trois niveaux expliquent la tension qui est, aujourd’hui encore, inhérente à la notion de loi. La sagesse sententielle est une tradition qui repose sur une sagesse préexistante, appelée lex aeterna ou lex naturalis d’après Thomas d’Aquin. La loi doit donc être conforme à cette sagesse préexistante transmise par la tradition. C’est là la définition de l’essence de la notion de loi. Au cours du temps, on se posa la question de savoir jusqu’où il est possible de détacher la loi de la sagesse ancestrale. Montesquieu, par exemple, a soutenu le point de vue selon lequel la loi doit être adaptée aux particularités d’un peuple, au climat du pays, à sa langue, à son histoire et à sa culture, mais non point à une raison préexistante. « La loi, en général, est la raison humaine, en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre ; et les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que les cas particuliers où s’applique cette raison humaine47. »
2745 Ce que Montesquieu appelle la raison n’est autre que la lex aeterna – l’ordre éternel voulu par Dieu – pour Thomas d’Aquin. Celui-ci déduit de cette loi éternelle l’ordre préconçu pour les hommes et qui correspond à leurs particularités ; il lui donne le nom de loi naturelle (“lex naturalis”), tandis qu’il dénomme loi humaine (“lex humana”) les formules positives créées par les hommes. Ces lois positives doivent être en harmonie avec la loi éternelle, mais aussi avec la loi naturelle48. On trouve enfin chez ce philosophe une définition de la loi : « Une ordonnance de raison en vue du bien commun établie et promulguée par celui qui a charge de la communauté49. »
2756 Jean dun Scot (1266-1308) et Occam ouvrent la transition vers l’école positiviste. Pour ces deux philosophes, la loi ne correspond pas à ce qui est depuis toujours dans la nature mais elle est l’émanation de la volonté divine qui détermine ce qui doit être. On peut vouloir des lois dont le contenu n’est pas prédonné dans l’ordre et la nature des choses, mais dont le contenu est l’effet de la volonté. C’est ainsi que furent réunies les conditions propres a créer une optique volontariste en matière de lois.
2767 Avec la sécularisation de l’Etat, Marsile de Padoue, Nicolas de Cues et d’autres encore ont développé une notion rationnelle de la loi ; désormais celle-ci peut être discernée par la raison et se rapporter au pouvoir politique. Les citoyens doivent obéir aux lois politiques, édictées par le souverain ; de son côté, celui-ci a pour tâche d’édicter des lois qui soient en harmonie avec la volonté divine (J. Bodin). Plus tard, Hobbes détache complètement la loi de tout lien surnaturel. Pour ce philosophe anglais, la loi n’est autre que la résolution volontaire du détenteur du pouvoir suprême de l’Etat : « La loi civile est, pour chaque sujet, l’ensemble des règles dont la République, par oral, par écrit, ou par quelque autre signe adéquat de sa volonté, lui a commandé d’user pour distinguer le droit et l’injustice c’est-à-dire ce qui est contraire à la règle et ce qui ne lui est pas contraire50. » Ainsi s’achève la perte de toute référence de la loi au droit naturel. Les lois sont désormais l’expression de la volonté du souverain, ses commandements, ses ordres (J. Austin).
b) Positivisme de la loi – droit naturel – réalisme légal
2778 Depuis lors, un antagonisme implacable oppose les représentants d’un ordre préexistant aux lois (l’école du droit naturel) aux partisans du positivisme juridique pour lesquels il importe de détacher le droit de tout ordre antérieur et de limiter au droit énoncé positivement l’étude scientifique des règles de droit (H. Kelsen).
2789 Une des conséquences de l’influence exercée au siècle passé par l’école dite du décisionisme montre que bon nombre de lois furent alors conçues dans des cabinets juridiques ou gouvernementaux sans aucune référence à la réalité, parce que l’on croyait que le souverain était effectivement omnipotent et pouvait donc transformer l’impossible en possible. C’est ainsi qu’on édicta certaines fois des lois tout à fait étrangères au milieu en question dont certaines se révélèrent inapplicables. Aujourd’hui, on est de plus en plus convaincu que le législateur ne peut pas se fier à sa seule volonté et qu’il doit surtout tenir également compte des réalités préexistantes ou des faits de portée juridique. Des conditions générales en rapport avec la société, l’organisation, le personnel, les finances et la politique limitent notablement la marge de manoeuvre du législateur. Il incombe, entre autres disciplines, à la sociologie du droit de discerner, voire de « flairer » les conditions sociales dont dépend la législation et d’indiquer au législateur dans quel cadre il pourra édicter des lois réalistes51. Ainsi, l’expérience pratique en matière de législation montre de plus en plus que les lois ne sont pas réductibles à des décisions du souverain (décisionisme et volontarisme). L’arrogance du xixe siècle tout empreint de décisionisme s’est muée en une optique plus réaliste du droit.
c) Loi et séparation des pouvoirs
27910 Outre la question qui porte sur le contenu des lois, il y en a une autre plus importante encore pour la politique à suivre par l’Etat et qui se formule ainsi : qui est compétent pour édicter les lois ? Est-ce le juge, l’autorité ou le peuple ? Selon Ebel, tous ces trois éléments sont, aujourd’hui encore, contenus dans la notion de loi52. Il ne fait aucun doute qu’il incombait en premier lieu au juge de trouver, en partant de cas concrets, dans la tradition, dans les us et coutumes, les principes qui devaient être déterminants pour porter un jugement. Ces principes et ces coutumes ont pris progressivement un caractère prospectif et préventif. Celui qui voulait se comporter correctement devait s’en tenir aux coutumes admises par les juges.
28011 Quoi de plus naturel qu’avec le temps l’autorité qui conduisait les procès et exerçait la haute justice se mette à énoncer et à édicter, en dehors de tout procès, des principes et des coutumes concernant le bon comportement des hommes. A partir du juge, était donc né le législateur qui donnait connaissance à l’avance et à titre préventif des principes selon lesquels allait juger.
28112 Ce ne sont pourtant pas uniquement les jugements, et les textes légaux des pouvoirs publics que créent les obligations juridiques puisque celles-ci naissent aussi par le biais des contrats. En effet, des arrangements contractuels entre les partenaires juridiques et l’autorité permirent d’édicter de nouvelles normes qui devaient avoir les mêmes effets que les lois proprement dites.
28213 Sur le continent européen, le droit prétorien fut de plus en plus supplanté par le droit écrit. La réception du droit romain a beaucoup contribué à cette évolution. Mais la common law, ou droit prétorien, perd visiblement de son importance, même dans la sphère du droit anglo-saxon. Elle est mise à l’écart par la législation casuistique des parlements.
28314 La dispute entre l’autorité et le peuple était très intense. Au temps de l’absolutisme, les droits populaires furent presque entièrement supprimés. Le droit de légiférer était le droit du monarque qui, selon les pays et selon sa puissance consultait dans certains cas les assemblées des corps constitués. Avec la Révolution française, c’est la conception opposée qui triomphe. L’article 6 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen dit : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation53. »
28415 Les défenseurs des droits populaires se trouvaient ainsi face à un problème difficile à résoudre. En effet, s’ils voulaient, conformément à la théorie de la séparation des pouvoirs, donner compétence à l’exécutif d’appliquer les lois, ils devaient chercher des critères permettant de délimiter clairement, l’application de la loi par rapport à son élaboration. Celui qui est compétent pour édicter des lois doit savoir ce que sont les lois. Seule une notion précise de la loi permet de délimiter raisonnablement les attributions du pouvoir qui « légifère » (littéralement : le porte-loi) et celles du pouvoir exécutif, c’est-à-dire l’exécution de la loi. Au cours des ans, trois solutions se sont offertes.
28516 La notion de « volonté générale » contient déjà l’idée de généralité. Les lois sont donc toutes les injonctions, tous les ordres qui sont valables de la même manière pour tout un chacun et qui ont donc une portée générale (p. ex. l’interdiction de fumer), cela par opposition aux commandements concrets qui s’adressent à une personne donnée et prescrivent un comportement concret (p. ex. devra payer 1000 francs d’impôts à la Commune de X le 1er octobre 1985).
28617 Avec son célèbre impératif catégorique, Kant a développé l’idée selon laquelle les injonctions ou commandements qui sont généralisables et valables pour chacun de la même façon sont en harmonie avec les principes de la moralité et sont raisonnables. Cette théorie a été reprise de nos jours par Rawls. D’après lui, il faudrait créer des lois de telle façon que chacun puisse les accepter.
28718 Là où les assemblées représentatives et démocratiques sont parvenues à s’arroger le droit d’avoir leur mot à dire pour toutes les décisions de caractère générale (p. ex. en Hesse, en Saxe et en Prusse après 1815) ces assemblées ont réussi à restreindre sensiblement le pouvoir de l’exécutif. Les princes qui étaient puissants furent les seuls à ne pas concéder sans autre une limitation aussi considérable de leur pouvoir. Dès lors, on tenta de limiter le droit de participation des représentants aux seules lois qui restreignaient la liberté des personnes et le droit de propriété (p. ex. en Bavière). Il se posa alors la question de savoir si, hormis les lois restrictives en matière de liberté et de propriété, le prince disposait d’un droit de légiférer sui generis. Ce droit du prince ou de la couronne devint par la suite un droit autonome de réglementer. Karl Solomo Zachariae (1769-1843) fut moins l’adepte d’une conception formelle de la législation que le partisan d’une définition politique de la loi, puisqu’il postulait que le législateur doit régler l’essentiel, tandis que le gouvernement a pour tâche d’exécuter l’essentiel54. Selon Robert von Mohl (1799-1875), la loi est « la norme impérative dont l’autorité publique compétente donne connaissance afin qu’elle soit respectée par ceux qui sont concernés55. »
28819 Avec sa notion dualiste de la loi, Laband a trouvé une issue pour sortir de la confusion totale, consécutive aux différentes définitions de la loi et à propos desquelles il s’agissait de délimiter les attributions de l’assemblée représentative face à la compétence du prince. En effet, Laband préconisa de distinguer, d’une part, la notion matérielle de loi et d’autre part, la notion formelle. Dans la notion matérielle, il y a le contenu de la loi. Ainsi toute norme juridique de portée générale est une loi. Quant à la notion formelle de loi, elle est axée sur la procédure. Dès lors sont considérées comme lois au sens formel toutes les décisions qui sont passées par une procédure législative formelle. Par voie de conséquence avec ce qui précède, tant le législateur que l’exécutif peuvent édicter des lois au sens matériel c’est-à-dire des règles de droit, tandis que seul le législateur est habilité à adopter des lois au sens formel. De la sorte, Laband a soustrait la notion de loi à la dispute politique qui opposait les princes aux assemblées représentatives. Il a toutefois laissé en suspens la question de savoir si, en vertu de la théorie de la séparation des pouvoirs, il y avait ou non certaines occasions dans lesquelles seul le législateur formel était compétent pour statuer.
28920 On a donc continué à s’en tenir au principe selon lequel le législateur doit adopter lui-même toutes les lois et autres normes de portée générale qui restreignent la liberté et la propriété, tandis que les autres lois au sens matériel sont du ressort de l’exécutif (G. Anschuetz, R. Thoma, G. Jellinek, P. Laband). Ceux qui voulaient restreindre encore plus fortement la compétence de l’exécutif optèrent alors pour une définition très large de la loi formelle et qui recouvre en bonne partie la loi au sens matériel (G. Meyer, G. Bornhak, Z. Giacometti). Aujourd’hui, la Cour constitutionnelle de la RFA admet largement la délégation de compétence en vertu de l’article 80 GG. Cependant, le gouvernement ne peut appliquer le droit d’urgence qu’avec la collaboration d’une commission parlementaire.
29021 En Suisse, on constate des développements semblables. A l’origine, les Landsgemeinde et autres communautés des vallées avaient des tâches judiciaires à accomplir. Très tôt, elles durent traiter des affaires d’intérêt commun et présentant un caractère contractuel56. Ces assemblées étaient toutefois structurées de façons fort diverses. Il y avait les Landsgemeinde regroupant tous les citoyens ainsi que le „Grossen Landrat“, grand Conseil chargé de traiter les affaires importantes, de faire des propositions à la Landsgemeinde ou encore de statuer lui-même en tant qu’organe représentatif. Dans les cantons sans Landammann, le petit Conseil expédiait les affaires courantes57.
29122 Les compétences de ces assemblées représentatives furent, comme nous l’avons déjà relevé58, fortement restreintes aux xviie et xviiie siècles. Avec la césure de l’Helvétique, les Confédérés adoptèrent bon gré mal gré et presque telles quelles les structures de l’Assemblée nationale française et du Directoire. Bien que ce système fût abandonné après 1815 pour un retour aux anciennes constitutions cantonales, on s’en tint alors, ainsi que nous l’avons expliqué59 à la notion de loi qui avait été celle de la Révolution française, à savoir à une définition d’injonction générale en tant que règle de droit. Les attributions législatives furent toutefois réparties différemment. Il y avait des cantons qui connaissaient une stricte hiérarchie décroissante allant de la loi à la décision en passant par l’ordonnance et d’autres dans lesquels l’exécutif pouvait exercer sa compétence réglementaire sans restriction aucune.
29223 Avec la « régénération » des années trente du siècle passé puis lors du développement tardif de la démocratie directe au sein de la Confédération et des cantons, toute une série de procédures législatives variées sont apparues et ont permis au peuple de participer par la voie de l’initiative et du référendum. A côté des droits populaires (référendum obligatoire et facultatif, initiative législative formulée et non-formulée), certains parlements cantonaux conservent toutefois le droit d’édicter des décrets. Dans certains cantons, surtout parmi les petits cantons, les gouvernements cherchent à éluder la loi en promulgant des ordonnances indépendantes, voire en édictant des directives internes lorsque la compétence législative leur fait défaut (p. ex. instructions sur le comportement de la police ou directives concernant la protection des données). Là où les cantons ménagent au peuple un droit d’initiative législative60, il leur faut alors rattacher ce droit d’initiative à une définition de la loi qui est généralement celle de la norme générale et abstraite (on retrouve d’ailleurs cette notion à l’article 5 de la loi fédérale sur les rapports entre les Conseils). Quelques cantons connaissent toutefois le droit d’initiative en matière administrative, ce qui permet aux citoyens de faire modifier des décrets de l’administration par la voie de l’initiative.
29324 Ces exemples montrent qu’il est vain de vouloir définir la loi de manière par trop dogmatique, c’est-à-dire en traçant une limite précise entre les compétences de l’exécutif et celles du législatif (en Suisse, gouvernement, parlement et peuple). En réalité, la délimitation des compétences s’opère plus par le jeu des forces politiques en présence que par une démarche dogmatique.
29425 Dans ce contexte, il est en revanche essentiel de relever l’influence croissante des juridictions administrative et constitutionnelle. Au siècle dernier déjà, mais plus encore durant ce siècle, s’imposa l’idée selon laquelle les lois ne sont pas uniquement là pour délimiter la compétence du législatif de celle de l’exécutif, mais que leur but premier est de lier au droit le pouvoir de l’Etat. Dans cette optique, la hiérarchie de l’ordre normatif, la suprématie des lois sur les décisions et ordonnances de l’exécutif ne visent pas seulement à tenir compte de l’idée de démocratie, mais encore et surtout de garantir la sécurité du citoyen face aux atteintes de l’Etat et aux « calculs » de l’administration. Cela n’est toutefois possible que si une autorité lie les organes de l’Etat au respect du droit et peut donner raison au citoyen qui forme un recours contre une atteinte de ce genre. Ce postulat a tout d’abord conduit au développement de la juridiction administrative puis de la juridiction constitutionnelle. Celle-ci et celle-là ont pour finalité de veiller à ce que l’Etat ne porte atteinte aux droits et aux libertés des citoyens que dans les strictes limites de l’ordre juridique. En effet, au-dessus des lois, il y a l’ordre juridique sur lequel repose l’Etat (W. Kaegi), à savoir la constitution. Cette loi fondamentale oblige non seulement l’exécutif mais encore le législatif à respecter les principes essentiels du droit dans la fonction normative par exemple l’égalité devant la loi ou égalité de traitement.
29526 Cette idée cruciale d’un Etat de droit s’est imposée plus fortement en République fédérale d’Allemagne qu’en Suisse où l’on est encore plus sensible à la démocratie qu’au droit. La création de tribunaux administratifs dans la plupart des cantons suisses permet de conclure que, dans ce pays également, la voie d’un renforcement de l’Etat de droit est maintenant ouverte. Quant à une extension de la juridiction constitutionnelle à l’examen des lois fédérales, c’est là un postulat qui entre en contradiction avec celui de la souveraineté du peuple. En Suisse, le peuple se considère à juste titre comme souverain, comme supérieur aux lois. Il ne tolérerait donc pas d’être limité dans ses droits par un petit aéropage de juges constitutionnels.
d) La constitution comme loi fondamentale
29627 L’idée de constitution a son origine dans la théorie du contrat social. La constitution avait d’abord comme tâche de fixer l’organisation sur laquelle l’Etat repose, la structure et la compétence de celui-ci. La constitution se trouve dans un rapport ambivalent avec l’Etat qu’elle « constitue ». En effet, d’une part elle présuppose l’existence de l’Etat qu’elle doit composer et, d’autre part, cet Etat ne peut agir que par ladite constitution. La légitimité du pouvoir constituant ne trouvera donc son fondement que dans le droit des peuples à l’autodétermination, droit qui du même coup en tant que norme de base crée la condition dont dépend le pouvoir constituant.
29728 Peu importe que les Etats possèdent une constitution écrite ou non61. Les organes de l’Etat sont les pouvoirs constitués qui, eux, impliquent l’existence préalable du pouvoir constituant ou d’une constitution écrite ou non.
29829 Dans leur organisation de l’Etat et leur répartition des attributions aux divers organes dudit Etat, les constitutions des pays qui connaissent la séparation des pouvoirs ont aussi partagé les compétences entre le législatif et l’exécutif. De nombreuses constitutions ont accompli cette tâche par une description plus ou moins claire et précise des attributions du législatif et de celles de l’exécutif. D’autres constitutions admettent préalablement une définition plus ou moins étendue de la loi conçue comme fondement de la compétence du législateur et c’est pourquoi elles décrivent plus en détail les attributions gouvernementales.
29930 Dès les premières constitutions, on s’est aperçu qu’il était fort difficile de régler à satisfaction la simple organisation de l’Etat. En effet, les « auteurs » de ces constitutions étaient convaincus que leur pouvoir constituant était lié au droit antérieur à l’Etat, et, portés par cette conviction, ils ont, en ce qui concerne l’exercice du pouvoir de l’Etat, codifié les valeurs qui, à leurs yeux de détenteurs du pouvoir constituant, devaient être immuables. La Déclaration française des droits de l’homme, le Bill of Rights américain et le catalogue des droits fondamentaux, dressé à Francfort en 1848, sont des exemples caractéristiques à cet égard.
30031 Cette insertion des droits de l’homme et des droits fondamentaux dans la constitution implique pour celle-ci l’attribution d’un statut particulier comparativement aux lois. « La constitution est plutôt entendue comme une entité matérielle dont le contenu est empreint de valeurs fondamentales, préexistantes à l’ordre juridique positif ; en reprenant les traditions de la démocratie parlementaire, représentative et libérale, celles de l’Etat de droit libéral et celles de l’Etat fédératif ainsi qu’en y ajoutant de nouveaux principes, notamment ceux qui régissent l’Etat social, le constituant est parvenu à fondre ces valeurs fondamentales, ces traditions et ces principes en un système de valeurs et à constituer un Etat dont la nature est d’être idéologiquement neutre, mais non point dépourvue de valeurs62. »
30132 La constitution ne se borne pas à organiser l’Etat ; en reprenant à son compte des valeurs encore plus fondamentales que l’Etat, elle dirige l’activité des pouvoirs publics dans le sens des droits fondamentaux et des droits de l’homme. De plus en plus s’impose l’idée selon laquelle la constitution ne fait pas que donner des limites au législateur et au pouvoir de l’Etat, mais qu’elle est aussi elle-même une directive positive pour les activités des pouvoirs publics, notamment en matière de réglementation. C’est avant tout l’idée de l’Etat social qui a contribué à l’élargissement de la conception de la Constitution. L’évolution de la philosophie des droits fondamentaux, selon laquelle les organes étatiques sont tenus de créer un ordre du sein duquel les droits précités obtiennent la place qui leur revient, a également favorisé cet élargissement.
30233 Comparativement à la loi, les tâches suivantes incombent à la constitution :
Elle définit la compétence, la procédure et la composition de l’organe de l’Etat qui est habilité à légiférer ;
Elle délimite les attributions des organes de l’Etat, mais aussi celles du législateur en l’obligeant à ne pas porter atteinte aux valeurs fondamentales des libertés individuelles et des droits de l’homme. De la sorte, l’optique du législateur n’est plus axée uniquement sur le décisionisme et le volontarisme. La codification positive d’un système de valeurs plus fondamentales que l’Etat ne constitue pas un acte de volonté, mais de discernement. Le système de valeurs est compris comme un ordre ontologique que le législateur doit respecter. Ce sont surtout les décisions du législateur qui doivent désormais ne pas déborder du cadre prévu par la constitution ;
Elle doit guider le législateur et l’aider à mener sa tâche à bien dans la perspective d’un accomplissement du système de valeurs codifié par le droit constitutionnel. Ce ne sont pas seulement des limites qui sont fixées à la volonté du législateur, mais encore faut-il que la constitution imprime à sa volonté une finalité donnée. Cela correspond à la conception d’une volonté à laquelle le législateur est lui-même subordonné. Cet aspect volontariste de la nouvelle conception de la constitution doit encore, toutefois, faire ses preuves sur le plan pratique.
30334 Cette évolution dans la façon de concevoir et de comprendre une constitution a débouché sur un élargissement considérable de la loi au sens matériel. Il y a trois sortes de normes juridiques qui sont édictées selon des procédures différentes : la constitution, la loi, l’ordonnance (en Suisse, on trouve encore ce qu’on appelle l’ordonnance parlementaire). Dans un système fédéraliste, ces trois échelons se retrouvent dans la législation des Etats membres. Ces trois sortes de normes juridiques contiennent, en règle générale, aussi bien des règles de comportement directement applicables au citoyen que des directives à respecter à l’échelon inférieur ( le législateur édictant la loi et l’exécutif édictant l’ordonnance) lors de la concrétisation du droit supérieur.
30435 Le système de la procédure par niveau ou échelon aboutit à ce que le droit se transforme de plus en plus en un processus d’accomplissement juridique sur plusieurs plans. A chaque échelon, il est dès lors possible d’énoncer des principes de portée générale pour fixer des limites et donner des directives à l’échelon inférieur. De surcroît, on peut déléguer la compétence nécessaire au niveau inférieur, afin que celui-ci ait, selon les cironstances, le droit de procéder aux aménagements indispensables à l’accomplissement de la justice. Au dernier échelon, le juge pourra se fonder sur les lois et les ordonnances pour prendre, dans les limites de son pouvoir d’appréciation, une décision concrète et équitable dans le cas d’espèce.
30536 D’un autre côté, cette appréciation positive du développement ne doit pas dissimuler le fait qu’il existe, à chaque niveau, la tentation d’écraser l’échelon intérieur sous les prescriptions, c’est-à-dire de ne plus limiter l’édiction des lois à son propre niveau. Cela aboutit naturellement à une surproduction de prescriptions juridiques qui submergent le citoyen. L’appétit de l’administration, du parlement et du constituant pour une réglementation abondante et détaillée n’est explicable qu’en raison de la volonté de chaque échelon de restreindre le plus possible la liberté et la marge de manœuvre des échelons inférieurs, afin que ceux-ci soient empêchés d’exercer une influence politique sur la législation ou la jurisprudence. L’inflation dite législative conduit également à ne plus esquisser et prévoir des règles de droit d’une portée fondamentale, mais à se contenter de formuler des règles de type casuistique en très grand nombre ; dans ces conditions, les citoyens et le peuple sont menacés d’étranglement.
30637 En réalité, il serait nécessaire de faire en sorte que chaque échelon soit au clair sur la finalité et les modalités de son activité créatrice du droit ou réglementaire. En effet, les règles de droit ont différentes fonctions à remplir. Elles peuvent codifier le droit coutumier ou les pratiques juridiques, stabiliser une situation donnée ou la modifier ou encore résoudre des conflits sociaux. Toutefois la possibilité de modifier les conditions sociales au moyen de dispositions normatives sont très réduites. Des milliers de règlements communaux ne pourront p. ex. pas empêcher les changements qui se produiront à la suite de l’implantation dans une commune d’une entreprise privée qui emploie beaucoup de personnel. Il est donc urgent que tous les organes qui détiennent une part du pouvoir législatif ou réglementaire analysent en profondeur les limites et les possibilités de la législation et de la réglementation.
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Notes de bas de page
1 cf. M. de Padoue, 25/25.
2 cf. Th. Fleiner, p. 115 ss.
3 cf. K. Deutsch ; E. Lang.
4 Aristote, La politique, Livre IV, 1291 b.
5 cf. J.-J. Rousseau, Livre III, chap. 4.
6 cf. S. I. Benn et R. S. Peters ; p. 332.
7 Marsile de Padoue, partie I, chap. 8, § 2, 3, 4.
8 cf. J. Rawls, p. 118 ss.
9 J.-J. Rousseau, Livre IV, chap. 2, p. 564.
10 Marsile de Padoue, 1ère partie, chap. xii, § 8.
11 J.-J. Rousseau, Livre III, chap. 15, p. 558.
12 cf. M. Drath, p. 260 ss.
13 cf. à ce sujet D. Wahlen.
14 cf. § 21/ 15 ss.
15 cf. S. I. Benn et R. S. Peters, p. 332 ss.
16 cf. à ce sujet aussi E. Fraenkel, p. 357.
17 cf. E. Fraenkel, p. 371.
18 H. Krueger, p. 242, cit. trad.
19 cf. H. Reuss, p. 1 ss.
20 G. Jellinek, p. 114, cit.trad.
21 cf. U. Scheuner ; P. 415.
22 G. Leibholz, p. 235.
23 cf. à ce sujet Ch. E. Gilberet et Ch. L. Clapp dans : S. Patterson, p. 6 ss. et 98 ss.
24 cf. § 26/37.
25 cf. à ce sujet R. Alexy.
26 cf. Hroon Khan Sherwani, p. 52.
27 Hroon Khan Sherwani, p. 72.
28 Han Fei, chap. 16, al. 38, cit. par Geng Wu, p. 12, cit. trad.
29 cf. Geng Wu, p. 82.
30 Aristote, Livre IV, 1297b-1298a.
31 Locke, Deuxième traité, chap. xii, n° 144.
32 Montesquieu, Livre XI, chap. 4, p. 344.
33 Aulard/Mirkine-Guetzevitch, p. 18.
34 cf. Federalist Papers, n° 47.
35 cf. à ce sujet G. Burdeau.
36 cf. p. ex. B. H. Kelsen, p. 374, ou Z. Giacometti, p. 30 ss.
37 cf. à ce sujet K. Kluxen, p. 130 ss.
38 F. Neumann, p. 143.
39 cf. F. Neumann, p. 142.
40 cf. à ce sujet Th. Fleiner, Grundzüge…, § 24.
41 Résolution du 9 mai 1979, EuGRZ 1979, p. 299.
42 contrôle intraorganique ; cf. K. Loewenstein, p. 167.
43 M. de Padoue, 1ère partie, chap. xi, § 4.
44 cf. à ce sujet W. Kraewietz.
45 Gaius, I, 3.
46 W. Ebel, p. 11.
47 Montesquieu, Livre I, chap. 3.
48 cf. Th. d’Aquin, Livre II, 1ère partie, question 91, art. 1 à 5.
49 Thomas d’Aquin, Livre II, 1ère partie, question 90, art. 4.
50 Th. Hobbes, 2e partie, chap. 26, p. 282.
51 cf. Th. Fleiner, p. 294 ss.
52 cf. W. Ebel, p. 89 ss.
53 Aulard/Mlrkine-Guetzevitch, p. 16.
54 K. S. Zachariae, p. 229 ss.
55 R. von Mohl, p. 144, cit. trad.
56 cf. W.-A. Liebeskind, p. 236 ss. ; H. C. Peyer, p. 68 ss.
57 W.-A. Liebeskind, p. 236.
58 § 22/27 ss.
59 E. His, p. 244.
60 cf. A. Auer, p. 55.
61 De nos jours, l’Angleterre et Israël ont par exemple une constitution non écrite ; cf. à ce sujet R. Waeles.
62 K. Hesse, p. 4, cit. trad.

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