Chapitre 2. L’organisation des États démocratiques modernes
p. 255-325
Texte intégral
1L’Etat moderne – nous l’avons vu au § 3/15 ss – résulte d’une centralisation du pouvoir, engagée il y a des siècles déjà. Cette centralisation trouve son fondement rationnel dans la doctrine de la souveraineté de Bodin et dans celle de Hobbes ; elle débouche sur la théorie de la souveraineté une, indivisible et absolue. Dans de nombreux Etats, le support de cette souveraineté absolue n’est autre que le parlement. Celui-ci n’est, toutefois, que rarement détenteur unique du pouvoir de l’Etat. Il partage le pouvoir avec d’autres organes. Dans bon nombre de cas, il ne peut exercer sa souveraineté que dans un cadre restreint et il est lui-même soumis au contrôle d’un tribunal constitutionnel. Mais on rencontre aussi des formes d’Etat dans lesquelles le pouvoir souverain n’est détenu qu’en apparence par le parlement, mais est exercé en fait par un président élu. Nous commencerons par examiner plus à fond les diverses formes de la souveraineté parlementaire.
2Dans une série d’Etats auxquels le second paragraphe de ce chapitre sera consacré, l’évolution vers une souveraineté indivisible ne s’est toutefois pas complètement opérée, et ce à dessein. Dans ces Etats, la souveraineté est partagée horizontalement entre plusieurs pouvoirs ou elle est subdivisée verticalement entre l’Etat fédérateur et les Etats fédérés. Dans de tels Etats, l’idée d’un pouvoir d’Etat structuré, qui était à l’origine de la conception de l’Etat féodal, a donc persisté sous une forme modifiée cependant.
3Il y a enfin des Etats qui ne placent pas la souveraineté dans leurs propres organes, mais dans les mains de partis ou d’organisations religieuses. Le dernier paragraphe du présent chapitre traitera de ces Etats dotés d’une souveraineté « extra-étatique ».
4Puisque dans les pages qui suivent nous nous bornerons à analyser certains types d’Etat, le lecteur ne saurait s’attendre à une présentation détaillée de plusieurs formes d’Etats identiques ou fort semblables. Pour ce qui est de l’Europe, nous avons dû renoncer à présenter la forme de l’Etat dans les pays suivants : Autriche, Italie, Espagne, Portugal, Belgique, Grèce, etc.
21 La souveraineté centralisée par le parlement
51 Nombreuses sont les démocraties occidentales et celles du tiers monde qui reposent sur la souveraineté du parlement. Celle-ci est inséparable de l’histoire du parlement anglais. Alors que les Etats-Unis d’Amérique ont calqué leur système de gouvernement sur la réalité constitutionnelle du xviie siècle en Angleterre, les démocraties parlementaires d’Europe, du Japon, de l’Inde, de l’Australie et, à l’origine, du Ghana, du Nigéria, du Kenya et d’Afrique du Sud également ont leurs racines dans le système parlementaire anglais du xixe et du xxe siècle. C’est pourquoi, il est indispensable de donner un bref aperçu de l’histoire du parlement britannique qui est des plus intéressantes. Ce faisant, on comprend aussi beaucoup mieux un élément essentiel de la théorie de la démocratie.
a) “King in Parliament” (Angleterre)
62 L’histoire du parlement anglais est, pour diverses raisons, très importante pour la compréhension de la théorie moderne de l’Etat et de ses formes. A rencontre des organes parlementaires sur le continent, le parlement anglais est parvenu, au cours de son histoire, à se faire une place comme organe de décision faisant pendant au roi dont le pouvoir a été progressivement entamé par celui dudit parlement.
73 De surcroît, c’est au sein du parlement anglais qu’a pu se développer le système de gouvernement de cabinet formule qui a été, comme on l’a relevé ci-avant, reprise ensuite dans diverses constitutions modernes. La compréhension de ce système de gouvernement présuppose une connaissance approfondie de sa genèse et de son développement en Angleterre.
84 Les parlements européens étaient à l’origine des représentations des classes. En revanche, au sein du parlement anglais, s’est très tôt développée l’idée d’une représentation générale de la population, représentativité qui n’était pas liée à une classe sociale ou à un état. La théorie moderne de la représentation dépend donc très étroitement de l’histoire du parlement anglais. A leurs débuts, les élections des parlementaires britanniques furent toutefois une farce dans une large mesure, du moins selon les critères contemporains. En effet, l’idée de conférer au peuple un droit de vote caractérisé par la liberté de vote, l’égalité et l’indépendance n’est apparue au xixe siècle en Angleterre ce qui fut d’une importance cruciale non seulement pour l’essor des régimes parlementaires, mais encore pour l’histoire des partis politiques et l’extension de la démocratie.
95 Dans le sens contemporain, l’Angleterre connaît une souveraineté résultant des prérogatives conjointes du roi, de la Chambre des Lords et de celle des Communes. Ce statut organique existe depuis 1225, date à laquelle le roi Edouard 1er avait établi le parlement. Seuls ont changé les rapports de force à l’intérieur du triangle précité. En effet, autrefois, le roi pouvait convoquer le parlement quand bon lui semblait et choisir lui-même les questions qu’il voulait lui soumettre. De plus, le roi avait autrefois un droit de veto qu’il pouvait exercer envers le parlement, alors qu’aujourd’hui il doit convoquer ledit parlement lorsque le gouvernement n’a plus la majorité et doit encore soumettre au parlement toutes les lois qu’il est tenu de signer sans pouvoir y opposer son veto. Toutefois, cela ne change rien au fait qu’à l’heure actuelle encore la souveraineté du pays reste exercée de façon conjointe par trois pouvoirs et de manière proche de ce qui se passait il y a sept siècles. Comment cette tradition parlementaire est-elle née ?
1. L’évolution jusqu’en 1295
106 Avant l’invasion des Normands, les Anglo-saxons connaissaient déjà, conformément aux traditions germaniques, certains droits de participation du peuple face aux chefs locaux et tribaux, notamment en matière de guerre et de paix. Ces assemblées locales étaient coiffées par le “Witenagemot” ou réunion des sages autour du roi. Cette assemblée avait pour tâche de conclure les traités et de conseiller le roi pour la répartition des « terres d’Etat » ainsi que dans le choix des comtes qui étaient à son service. Enfin, le Witenagemot avait encore pour charge d’élire le roi.
117 Cette assemblée ne pouvait toutefois pas édicter des lois, car, à l’époque, le droit de légiférer, tel qu’on l’entend aujourd’hui, n’était conféré ni au roi ni au peuple ; elle ne pouvait pas non plus percevoir des impôts puisqu’alors le roi n’en avait point besoin. Cependant, comme bon nombre d’autres organes consultatifs d’origine germanique, cette assemblée avait le droit et le devoir de conseiller le monarque dans l’accomplissement de ses tâches judiciaires. Le roi convoquait l’assemblée et décidait aussi de ceux qui étaient invités à y participer. Il dirigeait cette réunion de prêtres, d’anciens, de nobles et de sages. Le peuple pouvait suivre les débats et manifester sa satisfaction ou sa réprobation.
128 Avec l’invasion des Normands, ces premiers éléments d’une démocratie naissante furent supprimés, temporairement du moins. L’Angleterre se trouvait alors sous le joug d’un conquérant étranger qui, fort de sa conquête, prétendit avoir un droit de propriété sur l’ensemble du territoire et distribua les terres à sa propre noblesse et à ses évêques. En lieu et place du Witenagemot, le nouveau régime constitua une assemblée consultative, composée des sujets directement subordonnés au roi. Ce n’était donc pas une assemblée mixte, représentative des divers milieux de la population, mais une assemblée des comtes qui étaient les vassaux du roi, c’est-à-dire un organe de l’Etat féodal.
139 Cet organe féodal a par la suite – en 1215 exactement – revendiqué des libertés individuelles conférées par la Magna Charta, mais c’est à tort que l’on a, à certaines occasions, considéré ces libertés de la grande charte comme des droits dont auraient joui tous les citoyens1. Pourtant, la Magna Charta n’a pas eu d’influence décisive sur l’évolution parlementaire. En 1265, le rebelle Simon de Montfort, leader de l’opposition à Henry III, convoqua une assemblée nationale où furent invités non seulement les ducs, mais encore les représentants des divers districts (Boroughs). Ainsi, Simon de Monfort engagea le processus évolutif vers un nouveau parlement ; cela rétablissait la tradition du Witenagemot. Des assemblées du même genre se réunirent en 1275 et 1290 jusqu’à la convocation du premier parlement proprement dit en 1295 par Edouard 1er. Ce parlement ne se composait toutefois pas de représentants élus par la population des Boroughs, mais choisis par le roi. Ce mode d’élection assurait au monarque une influence sur les Boroughs et le parlement ; cette influence s’est maintenue jusqu’au moment de la proclamation du “Bill of Rights” au xviie siècle. Cet édit restreignait ladite influence. Malgré cela, les parlementaires avaient pour tâche de défendre les intérêts de l’ensemble de leur district et non pas les intérêts propres à une classe sociale déterminée.
1410 La compétence décisive qu’Edouard 1er conféra à son parlement, fut le droit de codécision qu’il lui octroya à propos de la fixation des impôts. “No taxation, without representation”, telle est depuis lors la devise et le cri de guerre de tous les parlementaires du monde anglo-saxon. Le droit de codécision en matière fiscale devint surtout plus tard un moyen d’action important pour pouvoir influer sur la politique du roi. Au début, cette compétence fut cependant une épée à double tranchant, en ce sens qu’elle obligeait les représentants à se placer du côté du roi en ce qui concernait la perception des impôts.
1511 En plus du droit de codécision en matière fiscale, les membres du parlement avaient aussi le droit de trancher les recours de toute nature et de se prononcer sur les pétitions. De la sorte, ils perpétuaient la tradition de la fonction judiciaire propre à l’ancienne Witenagemot.
1612 En 1322 déjà, les droits du parlement furent confirmés par écrit sous forme d’un statut que lui conféra Edouard II : “The matters to be established for the estate of the king and of his heirs, and of the estate of the realm and of the people, should be treated, accorded and established by the King, and by the assent of the prelates, earls and barons, and the commonalty of the realm, according as has been before accustomed2.” Le parlement pouvait, selon ce texte, étendre encore ses droits, parce que le roi Edouard II et surtout son successeur Edouard III avaient grand besoin de recettes fiscales. C’est ainsi que le parlement revendiqua au souverain l’octroi en sa faveur d’un droit de consultation dans le choix des conseillers du roi et, avant tout, lors de l’intronisation du nouveau roi.
1713 Chez les Anglo-saxons, le clergé commença par jouer un rôle crucial ; il se sépara pourtant très tôt du parlement, mais conserva sa puissance. On ne sait pas avec certitude à quel moment les “Lords” et les “Commons” se dissocièrent en deux chambres. Il est probable que se fit sentir le besoin de délibérer simultanément, mais en deux endroits différents, ce qui expliquerait le développement des deux chambres. Une autre hypothèse veut que les Lords n’aient vraiment jamais siégé ensemble avec les “Commons”. Ce qui importe pour la suite de l’histoire du parlement anglais, c’est le fait que les grands propriétaires fonciers siégeaient à la Chambre des Communes aux côtés des autres représentants libres des “Boroughs” (districts). De la sorte, il ne pouvait pas naître ni se développer une classe des propriétaires fonciers qui eût été bien distincte des autres citoyens libres et qui eût pu opprimer ceux-ci.
2. Evolutions comparables sur le continent
1814 Il y eut dans presque tous les autres royaumes européens des assemblées consultatives semblables à celles de l’Angleterre aux xiiie et xive siècles. En France, les Capétiens avaient créé la tradition de la “curia regis” (Conseil du roi). En Pologne, c’était la „szlachta“ qui avait pu se réserver des privilèges dans la Magna Charta de Pologne (1374), par exemple le droit d’être consultée en matière d’impôts ; en 1493, le „sejm“, autre assemblée, put, sous l’autorité de Piotrkow, édicter pour la première fois des lois pour l’ensemble du pays (cf. W. F. Reddaway). En Suède, à cause de la puissance de la noblesse et aussi, en partie, à cause de celle de certains bourgeois déjà libres, le roi Magnus se vit contraint, en 1359, d’instaurer un début de vie parlementaire sous forme du premier “riksdag” suédois. Cette assemblée comprenait des représentants des villes, de la noblesse et du clergé (C. Huellendorff et H. Schueck). Dans le royaume de Suède, les „Landtagen“, sortes d’Etats généraux, revêtaient une importance politique certaine. Leurs membres ne représentaient pas, comme en Angleterre, l’ensemble de la population d’un cercle électoral, mais uniquement l’état auquel ils appartenaient. Les quatre états ou classes sociales (clergé, noblesse, chevaliers et bourgeois des villes) délibéraient séparément. Puisque la plupart du temps, les quatre états ne parvenaient pas à s’entendre, le Landsherr ou président remplissait l’importante mission de s’entremettre pour trouver un terrain d’entente, ce qui renforçait considérablement sa position face à l’assemblée3. Au sein de la Confédération suisse, le Landammann exerçait les droits que le bailli avait autrefois. Il rendait la justice en présence et avec le concours du peuple ; en 1294, il se tint déjà à Schwyz une véritable Landsgemeinde4.
3. La Réforme et le parlement d’Henry VIII
1915 Comme dans tous les autres Etats européens, le parlement anglais a perdu de son importance à l’époque de l’absolutisme. Cependant, à rencontre de ce qui s’est passé en France avec la représentation des ordres de la Nation, le parlement anglais est parvenu très tôt à se réaffirmer et à étendre son pouvoir. A quoi cela tient-il ?
2016 Lorsque le roi Henry VIII chercha, lors de son conflit avec Rome, une nouvelle légitimité en sa qualité de souverain par la grâce de Dieu, légitimité qui le confirmait non seulement comme roi, mais encore comme chef suprême de l’Eglise d’Angleterre, il dut bien s’appuyer sur le parlement exclusivement. C’est ainsi que la “reformation-parliament” consacra en 1529 la séparation définitive de l’Eglise catholique-romaine. Alors que jusqu’à cette coupure le parlement avait principalement exercé des fonctions judiciaires, indépendamment des ratifications fiscales, la décision de rupture avec Rome fit de lui un pouvoir souverain, absolu et constituant. En effet, faute d’une telle souveraineté, il n’aurait pas pu prendre une décision de ce genre.
2117 C’est alors que débuta en Angleterre le grand débat sur la question de savoir si le parlement était lié par les lois divines. Christopher Saint German (env. 1460-1540) et Thomas More dénièrent au parlement une souveraineté pleine et illimitée, y compris la faculté de violer le droit divin5. Toutefois, Thomas More alla très loin dans la reconnaissance de la souveraineté du parlement lorsqu’il déclara lors de son procès : “I must needs confess that, if the act of Parliament be lawful, then the indictment is good enough6.” Le pas décisif fut franchi par Thomas Cromwell lorsqu’il soutint, contre l’avis de l’évêque Fisher, que le parlement pouvait sans autre abroger ou modifier le droit canon7, tant et si bien que Francis Bacon (1561-1626) pouvait déclarer : “For a supreme and absolute power cannot conclude itself neither can that which is in nature revocable be made fixed8.” La doctrine de la souveraineté élaborée plus tard par Bodin et Hobbes avait donc été, sur le plan pratique, largement devancée par le parlement anglais.
2218 Avec la Réforme, le roi conféra à vrai dire au parlement un droit absolu de domination, mais du même coup ledit parlement s’établit comme assemblée constituante et, partout, commença à exercer son activité proprement législative. Le parlement n’avait pas seulement pour tâche d’interpréter le droit, mais il pouvait dorénavant dire et créer le droit ; il devenait ainsi l’organe à partir duquel tout droit pouvait se déduire. Dès lors, le droit n’était plus, comme auparavant, une réalité préétablie, mais un moyen d’action au service du législateur, permettant d’atteindre l’équité et de guider ainsi la société, voire de la modifier.
2319 A la lumière de cette évolution du parlement anglais, il n’est donc pas étonnant que, même au temps de l’absolutisme triomphant, les rois d’Angleterre aient convoqué le parlement à maintes reprises. Sous le règne d’Henry VIII qui dura 37 ans, le parlement siéga durant 183 semaines et même sous le très long règne de l’ambitieuse Elisabeth première – qui resta 45 ans sur le trône – il siégea pendant 140 semaines.
4. Le parlement au xviie siècle
2420 Le statut et la composition du parlement durant le xvie et le xviie siècles sont très importants parce que, plus tard, la constitution américaine a repris certains éléments essentiels de la constitution anglaise de cette époque. Ainsi que nous l’avons relevé, la souveraineté était alors détenue par trois organes : le Roi, les Lords et les Communes. C’est uniquement par une décision conjointe que ces trois pôles pouvaient poser un acte souverain, par exemple édicter une loi. En leur qualité d’organes souverains du pays, ils n’avaient pas à partager leur pouvoir avec quelque autre puissance ou autorité au sein du « Commonwealth ». Tout autre pouvoir était délégué ; il s’agissait donc d’un pouvoir déduit par le “King in Parliament”.
2521 Les Lords et les représentants des Communes purent conserver leur statut parce qu’à cause de l’essor du commerce et de l’industrialisation croissante, leurs ressources étaient suffisantes et qu’ils ne dépendaient donc pas du roi comme leurs collègues du continent qui, eux, dépendaient de leur souverain pour exploiter les paysans. En Angleterre, ceux-ci étaient, le plus souvent, des petits propriétaires fonciers et hommes libres. Dès lors, très tôt furent réunies les conditions dont dépend l’évolution bourgeoise vers une nation commerçante et industrielle. De surcroît, la colonisation toujours plus vaste rapportait suffisamment d’argent à la couronne pour que celle-ci ne soit pas obligée, comme partout ailleurs, d’écraser la mère-patrie sous la multiplicité et le poids des charges fiscales.
2622 Ce ne fut donc pas par hasard qu’en 1649 la charge fiscale qui suivit les interminables délibérations du parlement provoqua la chute de Charles 1er puis la Révolution. En effet, les Communes soutenues par le peuple parvinrent à exercer le pouvoir dans le pays mais pour un temps très bref. Dans l’édit d’abrogation de la royauté, en date du 17 mars 1649, les représentants des Communes déclarèrent notamment que la royauté et l’exercice du pouvoir par un seul homme sont inutiles et mettent en péril la liberté, la sécurité et l’intérêt général du peuple. “And whereas by the abolition of the kingly office provided for on this Act a most happy way is made for this nation to return to its just and ancient right of being governed by its own Representatives or National Meetings in Council, from time to time chosen and entrusted for that purpose by the people9.”
2723 Peu de temps après cet événement, la loi que l’on observe dans presque toutes les révolutions se vérifia pour la première fois, à savoir que la révolution dévore ses propres enfants. En effet, Cromwell n’hésita pas à dissoudre le parlement croupion par un coup de force militaire et à s’ériger en maître absolu. “That the supreme legislative authority of the Commonwealth of England... shall be and reside in one person, and the people assembled in parliament; the style of which person shall be, The Lord Protector of England, Scotland and Ireland10.” Il ne voulait toutefois pas renoncer complètement au parlement, car une longue tradition parlementaire l’empêchait de s’ériger en maître absolu sans parlement. C’est pourquoi, durant sa domination, il chercha à établir un parlement qui fût à sa botte.
2824 Peu après la mort de Cromwell (1658) prirent fin les quelques années de l’histoire britannique où la royauté fait défaut. Charles II, qui voulait rétablir l’ancien pouvoir royal, fut pourtant détrôné lors de la “Glorious Revolution” et remplacé par James II en 1688. Cette révolution appelée glorieuse et le Bill of Rights de 1689 consacrèrent le rétablissement et la pleine reconnaissance des anciens droits du parlement. Dès cette époque, le pouvoir du roi et surtout celui de la Chambre des Lords commencèrent à décliner. Dans le Bill of Rights, le parlement s’assurait déjà des « élections libres ». Il n’y avait pas encore, cependant, un véritable suffrage universel, tel qu’on le connaît aujourd’hui. La revendication du parlement portait plutôt sur le fait que le roi pouvait influer sur le choix des Lords et aussi sur l’élection des Communes par le biais de ses « Sheriffs ». Avec ce droit à des élections libres, le parlement cherchait naturellement à se ménager la faculté d’influer lui-même sur les élections à la Chambre des Communes. Il ne s’agissait donc nullement de la garantie des libertés électorales au sens actuel de cette expression. Jusqu’à l’Acte de Réforme de 1832, le 5 % seulement des personnes de plus de vingt ans avaient le droit de participer aux élections11.
5. L’évolution de la monarchie parlementaire
2925 Alors qu’en Angleterre, les xve, xvie et xviie siècles furent placés sous le signe d’une lutte visant à instaurer un équilibre entre le parlement et la couronne, la fin du xviie et le xviiie siècle virent, dans ce pays, l’avènement de la primauté du parlement sur la couronne. Au cœur de cette évolution, on trouve le développement d’un gouvernement parlementaire. Comment en était-on arrivé là ? Depuis fort longtemps, le roi était entouré par un petit groupe de collaborateurs (une vingtaine généralement) qui l’assistaient dans l’expédition des affaires gouvernementales. Ce “curia regis”, appelé en France « Conseil du Roi », se dénommait en Grande-Bretagne “privy council”. A l’origine, le souverain décidait seul du choix de ceux qui faisaient partie de ce conseil privé. Cependant, vers la fin du xviie siècle et surtout au xviiie, le parlement étendit son influence à la désignation des conseillers. C’est donc à partir du conseil privé que se développa le cabinet ; celui-ci se composait de membres jouissant de la confiance de la Chambre des Communes. De plus en plus, celle-ci revendiqua auprès du roi le choix de conseillers parmi les membres du parlement.
3026 Vers la fin du xviiie siècle, la Chambre des Communes parvint à s’imposer à un point tel qu’elle pouvait alors contraindre le roi à renvoyer un cabinet lorsque celui-ci ne jouissait plus de la confiance de la Chambre12. Ainsi, fort de la confiance de la Chambre des Communes, le cabinet accrut considérablement son pouvoir face au roi, tant et si bien qu’il était plus ou moins en mesure de gouverner seul selon ses propres vues.
3127 A peu près à la même époque et parallèlement, les partis gagnèrent en importance. A l’origine, le parlement anglais était composé des représentants de deux partis : les Tories (conservateurs) et les Whigs (libéraux), ces derniers se faisant toujours les champions des réformes. Selon la force respective de ces partis à la Chambre des Communes, le cabinet était composé de conservateurs ou de libéraux. L’unité du cabinet et du parti majoritaire s’accrut dans une telle mesure qu’avec le temps on ne put plus parler d’une véritable séparation des pouvoirs entre le gouvernement et le parlement, mais au contraire d’une séparation entre le gouvernement et l’opposition. Le premier ministre détenait le pouvoir au travers du cabinet et du parti majoritaire ; selon sa personnalité, il pouvait l’exercer en fait de façon très autoritaire durant un certain temps.
6. L’évolution vers le suffrage universel
3228 La véritable démocratisation de l’Etat est réservée au xixe et au xxe siècles. Elle débuta par le “Reform Act” de 1832. Jusqu’à ce moment, les élections à la Chambre des Communes étaient fréquemment marquées par la corruption et les pots-de-vin. Le découpage des cercles électoraux était arbitraire ; ceux-ci étaient en quelque sorte découpés sur mesure afin d’assurer l’élection de certains représentants (rotten boroughs). Le droit de vote était l’apanage d’une petite minorité de Gentlemen fortunés. L’Acte de réforme de 1832 prévoyait un nouveau découpage des cercles électoraux, étendait le droit de vote à des hommes moins riches et enlevait aux Lords toute influence sur le choix des membres de la Chambre des Communes. Cette dernière conséquence était de loin la plus importante puisqu’elle restreignait énormément les possibilités dont disposaient les Lords pour infléchir la politique.
3329 L’Acte de réforme n’apportait toutefois pas encore une démocratisation complète de l’Etat. En effet, 7,1 % seulement de la population avait alors le droit de vote. Il fallut donc mener à bien sept autres réformes pour que 95,9 % des hommes et des femmes de plus de 20 ans d’âge soient admis aux urnes13.
7. Les partis
3430 La stabilité du système de gouvernement que l’Angleterre connaît aujourd’hui encore s’explique dans une large mesure par le bipartisme, c’est-à-dire l’existence de deux grands partis politiques. En effet, un régime gouvernemental reposant sur de nombreux petits partis, dont aucun ne détient la majorité, conduit forcément à de fréquentes crises gouvernementales. Preuve en sont notamment la IVe République en France et l’Italie de l’après-guerre. En Grande-Bretagne, la tradition séculaire du bipartisme, ainsi que le réalisme très pragmatique des électeurs britanniques qui ne donnent leur voix qu’à un parti qui possède des chances sérieuses d’accéder au gouvernement, ont consolidé ce système de deux grands partis et leur alternance au pouvoir. Toutefois, depuis le début du siècle, il y eut aussi en Angleterre un troisième petit parti aux côtés des deux grands. Ce rôle fut d’abord celui joué par les socialistes (Labour) qui firent leur première entrée au parlement en 1906 en occupant 50 sièges. En 1922 déjà, les socialistes prirent la place des libéraux en s’affirmant comme le deuxième parti du pays, puis, en 1924 et 1929, ils formèrent un gouvernement minoritaire, étant devenus le premier parti du pays. Ils obtinrent enfin la majorité en 1945. Depuis lors, ils alternent au gouvernement avec les conservateurs.
8. Principaux éléments de la démocratie anglaise
3531 Au terme de ce survol forcément incomplet de l’histoire du parlement anglais, on peut, en guise de synthèse, constater qu’au sein du triangle formé par le roi, la Chambre des Lords et celle des Communes, les rapports de force se sont modifiés en trois phases au détriment du pouvoir royal. Pour commencer, les conseillers parlementaires du souverain sont là pour l’aider à percevoir les impôts. En vertu du mandat royal, ils doivent se faire donner par leur district (Boroughs) les pouvoirs leur permettant de voter et de trancher les objets prévus à l’ordre du jour de la session. Dans ce contexte, ce qui importait et se révélera même décisif pour l’évolution ultérieure du parlement, n’est autre que le fait que les parlementaires ne représentaient pas uniquement leur état ou classe sociale, mais l’ensemble de leur district. En d’autres termes, ils avaient l’obligation de défendre les intérêts de tous les habitants de leur “Boroughs”, bien qu’ils ne fussent élus que par une infime minorité d’entre eux.
3632 Au cours de la deuxième phase, les anciens conseillers royaux étendent leurs prérogatives et leurs attributions. Dans le triangle « Roi-Lords-Communes », ils participent à la souveraineté de l’Etat et ils édictent des lois qu’ils n’ont plus besoin de faire reposer sur les lois divines. L’Etat prend conscience de lui-même et se donne le droit de prendre en mains propres la justice et son destin. Cette conception des rapports de force entre les trois organes précités a été définie par l’expression “King in Parliament” ; plus tard, elle servira de modèle à la constitution américaine et de fondement au pouvoir des présidents des Etats-Unis. Aujourd’hui encore, son influence est grande sur tous les régimes présidentiels.
3733 Dans la troisième phase, les Communes étendent si fortement leur pouvoir face à celui du roi et de la Chambre des Lords que celui-là et celle-ci n’ont aujourd’hui qu’une importance secondaire. Cela s’est produit d’abord sous l’effet de l’influence exercée par les Communes sur la formation du cabinet ; l’aboutissement d’un tel processus est la disparition de la séparation des pouvoirs entre le législatif et l’exécutif. Puis la démocratisation des élections amena le déclin de l’influence des Lords, tandis que les droits de la Chambre haute étaient sans cesse rognés jusqu’à ce que les Communes détiennent pratiquement et incontestablement la souveraineté vers le milieu du xxe siècle. Cette troisième phase du régime parlementaire a servi de modèle à de nombreux gouvernements des jeunes Etats du Commonwealth, et également à d’autres Etats d’Europe, d’Asie et d’Afrique.
3834 Le système anglais fut encore repris à leur compte par d’autres Etats qui lui apportèrent pourtant des modifications plus ou moins importantes. Des pays sans monarque remplacèrent celui-ci par un président élu et disposant de pouvoirs fort étendus (La République de Weimar) ou chichement mesurés. Nombreux furent aussi les Etats qui ont adopté le système anglais de gouvernement, mais qui ont tenté de le concilier avec l’existence d’une multitude de petits partis (l’Italie, la France de la IVe République, la République de Weimar).
b) L’Allemagne
3935 A rencontre de l’Angleterre, le régime gouvernemental de la République fédérale d’Allemagne ne permet pas d’avoir une vue rétrospective sur l’histoire d’une évolution parlementaire ininterrompue. En effet, les structures hétérogènes de l’ancien Reich ainsi que la faible représentation des Etats fédérés ont abouti à une situation où le parlement n’a pas revêtu l’importance cruciale qui est la sienne en Angleterre. Dès lors, aujourd’hui encore, le parlement de la RFA ne dispose pas, au contraire du parlement anglais, des mêmes droits souverains et il est, d’une part, soumis au contrôle constitutionnel et, d’autre part, obligé d’agir conjointement avec les Länder.
4036 Dans les pages qui suivent, nous allons tenter de présenter, à partir de l’exemple allemand, la manière dont un régime parlementaire a évolué sur une toile de fond historique entièrement différente ainsi que les conséquences pour le droit constitutionnel de la méfiance d’un Etat envers le pouvoir du parlement.
4137 On peut s’interroger à bon droit sur les raisons qui ont amené la République fédérale d’Allemagne – Etat fédératif – à ne pas se ranger parmi les Etats présentant des structures de partage de la souveraineté. Il est certain que la République Fédérale d’Allemagne ne fait pas partie de cette catégorie d’Etats au sein desquels la souveraineté est l’apanage des organes centraux. A mon avis, les éléments unitaires sont pourtant si marqués qu’il semble plus exact de ranger la RFA parmis les Etats où la souveraineté est centralisée et donc de ne point la compter parmi ceux où la souveraineté est partagée, bien que cet Etat fédératif présente une forme intermédiaire entre les Etats centralisateurs et ceux qui reposent sur le partage de la souveraineté.
1. Différences par rapport à l’évolution anglaise
1.1. Décentralisation du pouvoir impérial
4238 Une comparaison du développement des institutions publiques en Allemagne et en Angleterre fait apparaître un certain nombre de différences essentielles. A rencontre de l’Angleterre insulaire, l’Allemagne fut de tout temps un empire continental vulnérable sur de nombreuses frontières et qui a été souvent contraint de se défendre contre des ennemis extérieurs. La décision de Charlemagne selon laquelle chaque duc était tenu de défendre lui-même son duché a pesé lourd dans l’histoire du Saint Empire romain germanique puis allemand. C’est en effet la cause de la forte décentralisation du pouvoir réparti de façon très diverse entre grands et petits duchés ainsi qu’entre villes libres.
4339 L’empereur d’Allemagne élu par les princes n’avait guère la possibilité et les moyens de constituer un pouvoir central, car il n’avait pas le droit de percevoir des impôts, ni de lever sa propre armée. « En l’an 1500 déjà, la situation pouvait se résumer par le mot ironique de Justus Möser qui date du xviiie siècle : “l’empereur d’Allemagne ne possède ni terres ni gens ; aucun pays n’est gouverné en son nom, ni impôt perçu à son profit14”. » De la sorte, les seigneurs féodaux ne pouvaient compter sur l’appui du pouvoir central – comme dans d’autres pays, par exemple en Chine à la même époque – pour venir à bout de leurs propres difficultés ; il en fut ainsi, entre autres, lors de la guerre des paysans à l’instigation des milieux réformés. Petit à petit et chacun pour soi, ces seigneurs édifièrent leur domination caractérisée par l’absolutisme et ils reléguèrent aux oubliettes le système féodal qui avait de toute façon déjà perdu une bonne partie de ses racines du fait de l’adoption une très large mesure du droit romain.
4440 A la fin de la Guerre de Trente Ans, le vieil empire, autrefois prestigieux, tomba en profonde décadence. De surcroît le traité de Westphalie (1648) reconnaissait aux Länder la compétence de conclure des traités avec d’autres puissances, à condition que ceux-ci ne soient pas dirigés contre l’empereur ; cela conduisit naturellement à affaiblir ce dernier. Le peu de pouvoir qui lui restait dépendait en outre du Reichstag depuis 1663. En effet, l’assentiment de cette institution était indispensable en matière de législation et d’impôts.
1.2. Représentation des Etats au sein du „Reichstag“
4541 A l’encontre du parlement anglais, les membres du Reichstag ne représentaient pas les intérêts de l’ensemble de leurs cercles électoraux, mais uniquement les intérêts des Etats du Reich allemand face à l’empereur. Ne faisaient partie du Reichstag que des Etats membres jouissant de l’immédiateté impériale (y compris quelques cantons suisses jusqu’au xvie siècle). La noblesse immédiate et les habitants des bourgades libres rattachées à l’empire n’étaient pas représentés au Reichstag.
4642 Le Reichstag se composait de trois collèges : celui des princes électeurs, le conseil des princes d’empire et le collège des villes impériales. Le droit de vote des villes impériales fut toutefois longtemps contesté. Les trois chambres ou curies du Reichstag délibéraient séparément. Lorsqu’elles n’étaient pas d’accord, de difficiles négociations s’engageaient entre elles. Il n’était pas permis à deux chambres de majoriser la troisième. Les décisions étaient prises sous forme de traités conclus entre l’empereur et les Etats impériaux15.
1.3. Faible autorité juridictionnelle
4743 Le „Reichskammergericht“ (Cour suprême de l’empire) avait pour tâche de garantir la paix éternelle et il était indépendant de l’empereur et du tribunal de la cour impériale. Il tranchait en instance unique selon le droit « commun », c’est-à-dire le droit romain, les difficultés entre les détenteurs de l’immédiateté impériale, mais il connaissait également, en dernière instance, des litiges intérieurs aux Etats pour autant que les princes acceptassent que l’affaire fût portée devant lui. La procédure était aussi compliquée que lente. De surcroît, le Reichskammergericht ne disposait pas d’un pouvoir propre d’exécution. En 1521, plus de 3000 causes étaient déjà pendantes devant ce tribunal, tandis que leur nombre s’élevait à 61 233 en 1772. Il y avait des procès qui duraient plus de 100 ans16.
2. Centralisation et libéralisation
4844 L’empire lui-même était morcelé puisqu’il comptait quelque 1800 duchés, principautés et villes libres. Dans le Sud-Ouest de l’Allemagne, 1475 princes, ducs ou autres seigneurs régnaient sur plus de 500 000 habitants. De nombreuses seigneuries ne comptaient pas plus de 300 habitants. La domination sur des terres aussi exiguës répondait largement à l’ancien système patriarcal, mais les seigneurs locaux n’étaient pas représentés au Reichstag. 51 villes franches étaient généralement dominées par des familles patriciennes qui gouvernaient à leur propre profit. 63 territoires étaient placés sous l’autorité d’un prince-évêque. Celui-ci était élu par le chapitre de la cathédrale et administrait la principauté avec le concours dudit chapitre. Le plus souvent, les résultats étaient piètres. De 170 à 200 principautés et comtés étaient gouvernés par une famille. Le comte ou le prince connaissait personnellement les habitants de son petit Etat. Il entretenait, dans bien des cas, une cour dépensière et dirigeait son domaine par l’entremise d’une pléthore de fonctionnaires, ce qui conduisait fatalement à alourdir la charge fiscale des habitants.
4945 C’est exclusivement au Sud-Est de l’Allemagne qu’on trouvait alors de grandes principautés dotées de leur propre administration et d’un parlement structuré selon les classes sociales. Dans les grands territoires, les aristocrates qui étaient aussi de grands propriétaires fonciers exerçaient une influence décisive. Les autres classes sociales revendiquaient pour elles le droit de se prononcer sur l’adoption des lois et des impôts. Après la Guerre de Trente Ans, les princes parvinrent, toutefois, à contenir l’influence des autres classes sociales. Ces vastes territoires étaient beaucoup mieux administrés que les comtés en miniature. Ils disposaient également d’une justice dont le fonctionnement était bon, de telle sorte que les conditions étaient réunies soit pour une séparation complète de la fédération impériale soit pour une prise de l’hégémonie au sein de l’empire.
5046 Des tentatives timorées en vue d’instaurer une véritable libéralisation du pouvoir de ses multiples Etats17 furent réduites à néant par les rois et princes conservateurs et surtout par la guerre contre Napoléon. Cependant, l’influence du droit national prussien de 1794 persista ; il s’agissait à l’époque du droit le plus avancé. En 1815, une alliance de type fédératif et de nature plus lâche, la Ligue allemande (Deutscher Bund), vit le jour sous la conduite de Metternich ; il s’agissait d’une réaction face aux efforts de libéralisme inspirés par la Révolution française. L’assemblée de cette ligue se composait des plénipotentiaires des territoires membres et elle n’avait ni attributions ni obligations directes envers les simples citoyens, mais elle ne pouvait légiférer et décider que par rapport aux Etats membres. Elle se subdivisait en deux conseils qui siégeaient à Francfort. Le plenum était constitué par les envoyés des 40 puis des 33 Etats membres. Selon la grandeur du territoire, chacun d’eux disposait d’une à quatre voix. Le petit conseil ou conseil restreint était une émanation du plenum au sein duquel les 11 Etats les plus grands disposaient chacun d’une voix, tandis que les autres se partageaient six voix dites curiales. L’Autriche présidait les deux conseils.
5147 Cette ligue était une fédération qui n’entamait guère la souveraineté des Etats membres. Les décisions du „Bundestag“ d’alors revêtaient, tout comme les obligations actuelles du droit international public, un caractère impératif pour les Etats membres, mais n’avaient aucun effet direct sur les citoyens au sein desdits Etats. La Ligue allemande était donc une confédération d’Etats dont les membres étaient cependant un peu plus étroitement unis qu’au sein de l’ancien Reich. Les activités de cette ligue fédérative étaient presque entièrement dominées par les deux pôles opposés que constituaient la Prusse et l’Autriche.
5248 Dans certains pays moyens et petits18, tels que le Bade-Wurtemberg, des parlements largement représentatifs virent le jour à cette époque sur la base de constitutions. Les efforts de libéralisation se heurtaient toutefois systématiquement à la censure de la presse et à des restrictions de la liberté de l’enseignement universitaire. Ainsi, en 1815, Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) conseillait au Grand Duc Karl August – qui l’avait interrogé pour savoir s’il convenait d’interdire le journal d’un éditeur pour cause d’attaques contre le prince – de ne pas punir l’éditeur, car celui-ci avait toujours la ressource de ridiculiser le souverain par sa plume acérée ou sa langue pointue, au cours de la procédure judiciaire. « On vient précisément de me remettre une étude détaillée et fort bien pensée sur la prochaine institution de la censure ; or cette étude n’a fait que renforcer la conviction que j’ai déjà exprimée par le menu. Il en ressort, en effet, qu’à l’anarchie de la presse, on oppose alors un despotisme de la presse ; je dirais même qu’une sage et puissante dictature devrait absolument combattre une telle source de troubles, la repousser aussi longtemps qu’une censure légale n’est pas rétablie19. » Pour tenir toutefois compte de la préoccupation de son maître, Goethe précise : « J’en reviens à la règle unique que j’ai énoncée ci-avant, à savoir qu’il convient d’ignorer complètement l’éditeur, mais de s’en tenir à l’imprimeur et d’interdire à celui-ci d’imprimer sa feuille ou journal20… » Le grand duc ne doit pas s’attendre à des réactions grossières ou perfides de l’imprimeur, car celui-ci dépend beaucoup plus de lui que l’éditeur.
5349 La Révolution de juillet en France (1830) ainsi que ses prolongements en Suisse et en Belgique stimulèrent de nouveau les tendances libérales en Allemagne. En Saxe, en Hesse, à Hannovre et dans le Brunswick des constitutions libérales virent alors le jour ; elles étaient calquées sur celles du Sud de l’Allemagne.
5450 Tandis qu’en 1847 une tentative visant à créer une assemblée parlementaire composée de représentants des provinces prussiennes échouait, les princes qui régnaient sur de nombreux Etats allemands petits et moyens, promirent alors aux libéraux d’édicter une nouvelle constitution et placèrent des ministres libéraux à la tête de leurs exécutifs.
5551 Par la suite, le très conservateur roi de Prusse, Frédéric-Guillaume IV, concéda l’élection d’un parlement ; le 18 mai 1848, l’assemblée nationale siégeait pour la première fois dans l’Eglise St Paul de Francfort. Elle adopta pour le Reich une constitution libérale ; celle-ci comprenait un vaste catalogue des droits fondamentaux, énumération qui fut partiellement reprise un siècle plus tard dans la Constitution de Bonn. L’assemblée nationale élut un vicaire de l’empire en tant que représentant provisoire du pouvoir central, mais ce vicaire ne fut jamais en mesure d’exercer convenablement ses fonctions. Ce parlement offrit au roi de Prusse la couronne impériale, mais celui-ci déclina l’offre, ne voulant pas recevoir la dignité impériale d’une assemblée élue par le peuple, puisqu’un empereur ne tient pas ses droits du peuple, mais les détient par la grâce de Dieu21.
5652 Les événements qui suivirent mirent fin – du moins provisoirement – aux espoirs concernant une organisation démocratique de l’Etat. A l’époque où, en Angleterre, le parlement avait déjà affirmé sa domination absolue et s’occupait à réformer le droit de vote dans le sens du suffrage universel, l’Allemagne luttait pour son unité nationale, pour la suppression des structures de ses Etats corporatifs, pour l’obtention des libertés individuelles et des droits fondamentaux ainsi que pour la création d’un parlement apte à exercer effectivement le pouvoir politique. Il va de soi que tout ne réussit pas du premier coup. On commença par l’unité nationale. Sous la conduite de Bismarck, il fut possible de créer, sous la direction de la Prusse, une confédération allemande, le „Norddeutscher Bund“. Bismarck trouva un compromis avec les libéraux et les amena à renoncer à leur revendication de souveraineté du parlement en faveur de l’unité nationale.
3. La constitution de la Confédération allemande de 1871
5753 La constitution de la Confédération d’Allemagne du Nord fut promulguée le 17 avril 1867 ; quatre ans plus tard, elle était étendue aux autres pays du Reich. Cette constitution prévoyait certes une représentation générale du peuple au sein du Reichstag, mais, jusqu’à l’avènement de la Constitution de Weimar, elle était un obstacle sur la voie de l’institution d’un gouvernement qui soit dépendant du parlement. Le chancelier du Reich n’était, en fait, pas responsable de la conduite des affaires de l’Etat devant le parlement et celui-ci ne pouvait pas le destituer. Ledit parlement se composait d’une chambre des Länder appelée „Bundesrat“ et d’une chambre du peuple, dénommée „Reichstag“. Dans la première chambre, on trouvait les représentants des Länder, mais leurs voix étaient pondérées selon l’importance du Land qu’ils représentaient ; cette formule ancrait dans le droit constitutionnel la prédominance de la Prusse. Le „Bundesrat“ constituait l’organe suprême du Reich et toute loi devait obtenir son approbation22. En son sein, il suffisait de 14 voix pour bloquer une modification de la constitution ; or, à elle seule, la Prusse y disposait de 17 voix.
5854 Le Reichstag était certes élu par le peuple, mais encore et toujours selon le cens ; or, le principe censitaire empêchait les sociaux-démocrates d’obtenir une représentation proportionnelle à leur force effective. Malgré cela, le Reichstag parvint à se profiler toujours plus nettement grâce à sa puissance politique. En 1912, le parti social-démocrate devint le groupe parlementaire le plus nombreux du Reichstag. A la fin de la première guerre mondiale, le 28 octobre 1918, la constitution fut complétée par une disposition capitale : « Le chancelier du Reich doit obtenir la confiance du Reichstag pour gouverner23. » C’est ainsi que fut franchi le dernier pas de la réalisation d’une monarchie parlementaire et constitutionnelle, telle qu’elle existait en Angleterre depuis des siècles. Toutefois, son existence fut très brève – à peine un demi-mois – puisque l’empereur d’Allemagne abdiquait le 9 novembre.
4. L’exécutif bicéphale de la constitution de Weimar
5955 Il fallut ainsi préparer une nouvelle constitution qui fut adoptée à Weimar. Comment parvenir, toutefois, à réaliser un système et une souveraineté parlementaires sans monarchie ? La réponse était évidente : en lieu et place du monarque, il fallait élire un président du Reich. Celui-ci disposait d’une large compétence. C’est lui (et non pas le parlement) qui nommait le chancelier du Reich, pouvait conclure des traités avec l’étranger, commandait l’armée, pouvait munir les lois d’une clause référendaire, pouvait aussi dissoudre le parlement et devait veiller à l’ordre public et à la tranquillité. Il avait pouvoir pour décréter l’état d’urgence et suspendre dans ce cas les libertés constitutionnelles. Ce président était élu par le peuple pour huit ans et il était rééligible. Les pères de cette constitution (parmi eux Hugo Preuss) voulaient donc opposer à un parlement renforcé un contre poids de taille, sous forme d’un exécutif bicéphale (président et chancelier du Reich).
6056 Le gouvernement était un collège où chaque ministre du Reich administrait son département de façon indépendante. Le ministre répondait également de son activité devant le Reichstag. Le chancelier, primus inter pares, présidait les séances du gouvernement et il avait le droit de déterminer les grandes lignes de la politique gouvernementale.
6157 Le pouvoir du Reichstag était fort entravé par les nombreux partis politiques représentés dans cette assemblée. Aucun parti ne parvenait à obtenir la majorité absolue, ce qui aboutissait forcément à des crises gouvernementales puisque le chancelier et le gouvernement dépendaient de la confiance que le Reichstag leur accordait ou non. Aux côtés du Reichstag, il y avait le „Reichsrat“, chambre composée des représentants des gouvernements des Länder. Ce conseil avait pour fonction première de conseiller le gouvernement, mais devait encore entériner les lois édictées par le Reichstag. En cas de refus, il fallait alors une majorité des deux tiers du Reichstag pour lever son opposition.
6258 Dans les affaires d’ordre économique, le conseil économique du Reich avait un rôle consultatif à jouer ; il était conçu comme une représentation corporative du peuple allemand au travers des métiers et des professions24.
6359 La monarchie constitutionnelle avait été abolie par la constitution de Weimar et remplacée par un exécutif bicéphale au sein duquel le parlement n’avait pas encore atteint la souveraineté correspondant au régime anglais. En effet, ce qui faisait encore défaut, c’était une prise de conscience de la valeur propre à la démocratie parlementaire selon le modèle britannique. Face au pouvoir croissant des présidents du Reich, le parlement s’effaça et fut si affaibli par les épreuves de force et les déchirements entre les partis extrémistes qu’après le décès d’Hindenburg, président du Reich, le parti national-socialiste, pourtant minoritaire au parlement, parvint, sous la conduite d’Hitler, nouveau chancelier du Reich, à renverser la jeune démocratie parlementaire.
6460 En 1933, Hindenburg avait nommé Hitler au poste de chancelier du Reich. Dès lors, celui-ci eut beau jeu lorsqu’il voulut mettre à exécution son programme fort bien connu, à savoir la mise hors circuit du parlement. En vertu de la compétence que lui donnait le droit d’urgence, Hindenburg, président du Reich, édicta, après l’incendie du Reichstag, le 28 février 1933, une ordonnance présidentielle destinée à protéger la population et l’Etat et permettant d’engager à cette fin des poursuites contre les opposants politiques25. Le 24 mars 1933, le Reichstag édictait la loi visant à supprimer la misère dans la population du Reich. Cette loi conférant les pleins pouvoirs disposait à son article premier que « les lois du Reich… peuvent également être édictées par le gouvernement26 ». L’article 2 ajoutait que « les lois édictées par le gouvernement du Reich peuvent déroger à la constitution du Reich27 ». De la sorte, le parlement avait signé lui-même sa propre déposition.
5. La destitution du président fédéral dans la loi fondamentale
6561 Après la Seconde guerre mondiale, l’Allemagne fut coupée en deux. La DDR (République démocratique d’Allemagne) se donna une constitution communiste, car elle était tombée dans la zone d’influence de l’Union soviétique. De son côté, la RFA (République fédérale d’Allemagne) opta pour un régime parlementaire selon le modèle occidental. Quelles sont les différences de la nouvelle constitution parlementaire lorsqu’on la compare à celle de la République de Weimar28 ?
6662 La caractéristique principale de la nouvelle constitution n’est autre que le renforcement considérable de la souveraineté du parlement et la perte de pouvoir du président de la République au profit des attributions du chancelier fédéral. Le président revêt cependant la plupart des charges représentatives incombant à un chef d’Etat, mais n’est plus élu par le peuple, comme l’était autrefois le président du Reich ; il est choisi par un collège électoral spécial composé des membres du Bundestag (nouveau parlement de la RFA) et de délégués des parlements des Länder. Le dualisme incarné par les deux pouvoirs exécutifs a donc été aboli. Diverses attributions de l’ancien président du Reich ont été reportées sur le nouveau chancelier fédéral. Il est le commandant en chef de l’armée défensive en cas d’agression, tandis qu’en temps de paix ce pouvoir est détenu par le ministre de la défense29. En situation d’urgence (droit de nécessité) le parlement n’est pas supprimé, car une délégation parlementaire reprend en pareil cas la compétence du parlement30.
6763 Il y a également une nouveauté appelée motion de défiance constructive. Ainsi, le parlement a la faculté de ne pas contraindre un gouvernement à démissionner à la suite du rejet d’une simple motion de confiance. Cela permet de conjurer une crise gouvernementale puisque le chancelier fédéral et son cabinet ne peuvent être relevés de leurs fonctions que par un vote de défiance constructive, c’est-à-dire par l’élection d’un successeur et d’un autre gouvernement. Cette disposition vise à éviter des crises gouvernementales caractérisées par des vacances telles que celles de la République de Weimar. La constitution, ou loi fondamentale, repose sur un système de représentation presque absolu. Le parlement élu périodiquement par le peuple exerce tous les droits de souveraineté conjointement avec le gouvernement. Les lois ne sont pas soumises au référendum, à l’exception de la modification du découpage des Länder.
6864 Cela conduit à renforcer l’importance de l’élection du Bundestag qui a lieu tous les quatre ans. En élisant le parlement, les électeurs décident aussi indirectement du choix de l’équipe gouvernementale, puisque le parti ou la coalition qui obtient la majorité absolue mettra automatiquement en place son cabinet. Du même coup, l’électeur se prononce sur un programme politique qui revêt ainsi une importance cruciale. Le fait qu’en règle générale 90 % des citoyens de la RFA se rendent aux urnes (50 % en Suisse) montre combien les Allemands prennent cette élection au sérieux.
6965 L’assemblée constituante a pourtant fixé certaines limites à la souveraineté très étendue dont jouit le parlement. D’une part, celui-ci ne saurait toucher au contenu essentiel des droits fondamentaux31, ce même par le biais de modifications constitutionnelles. Il existe un droit de résistance aux autorités ou aux particuliers qui voudraient remettre en question l’ordre constitutionnel32. Mais, en réalité, la restriction la plus importante des droits souverains du parlement provient de l’extension considérable de la compétence de la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht). Celle-ci est habilitée, à rencontre de la Cour suprême des Etats-Unis, non seulement à réexaminer, dans des cas d’application concrète, des lois sous l’angle de leur constitutionnalité, mais encore à analyser une norme légale de façon abstraite et générale, toujours sous l’angle de sa constitutionnalité et à l’abroger au besoin. Cette compétence fort étendue fait de la Cour constitutionnelle fédérale un contrepoids politique face à la puissance du parlement. C’est surtout le droit, dont jouit l’opposition, de pouvoir dans certains cas soumettre à la Cour constitutionnelle une loi votée qui confère à ce tribunal le rôle difficile d’un arbitre politique entre le gouvernement et l’opposition. Comme tous les tribunaux, il ne pourra remplir cette fonction qu’aussi longtemps qu’il usera de son pouvoir avec sagesse et retenue. Les expériences faites jusqu’à présent montrent toutefois de façon très nette que cette Cour constitutionnelle est parvenue à faire respecter son autorité par le peuple, le parlement et le gouvernement.
7066 Ce n’est à vrai dire pas par hasard que ce soit précisément en Allemagne – pays dans lequel la conscience juridique a été fortement marquée par la longue tradition du „Reichskammergericht“ – qu’une Cour constitutionnelle ait reçu mandat de limiter la souveraineté du parlement et de veiller à garantir un libre épanouissement du jeu des forces politiques, sans permettre cependant des débordements néfastes. Jusqu’à nos jours, il est certain que ce tribunal a beaucoup contribué à maintenir l’équilibre intérieur, tout en sachant se tenir à l’écart des querelles partisanes.
6. La limitation de la souveraineté de l’Etat fédéral par les „Länder“
7167 Une autre restriction de la souveraineté parlementaire provient du régime fédéraliste de la RFA. En effet, la répartition des compétences entre l’Etat fédéral et les Länder, ainsi que les droits de participation des Länder représentés au sein du „Bundesrat“, tracent d’étroites limites à la liberté d’action du „Bundestag“, c’est-à-dire du parlement. Cela est encore plus accentué lorsque la composition politique du Bundestag et celle du Bundesrat ne sont pas identiques et que la majorité parlementaire du Bundestag ne trouve pas un appui correspondant au Bundesrat.
7268 La structure fédéraliste de la RFA ne change pourtant rien au fait que celle-ci soit en fin de compte un Etat fédéral de type unitaire dont les actes résultent toutefois de l’action conjointe de l’Etat fédéral et des Länder.
7369 L’article 29 GG est l’expression de l’ouverture qui caractérise les rapports au sein de la RFA. En effet, cette disposition règle la procédure relative à des modifications territoriales. Alors que la constitution fédérale de la Suisse ne connaît aucune procédure pour des changements de ce genre et que l’article 5 cst. oblige la Confédération à garantir le territoire des cantons, l’article 29 GG précise que le territoire national doit être remodelé en tenant compte des facteurs historiques et culturels, mais encore de la taille et de la productivité des Länder. En Suisse, une telle dipossition serait tout simplement inconcevable à cause de la forte cohésion historique des cantons.
c) L’importance du système de gouvernement parlementaire dans d’autres Etats
7470 Le système de gouvernement parlementaire s’est imposé au xxe siècle en Europe, d’abord dans les pays Scandinaves, en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie et en Grèce, puis il a pris racine sur d’autres continents. Le Nigéria, le Ghana, Israël, mais encore le Japon, l’Inde et l’Australie sont de vivants exemples à cet égard.
1. Le Japon
7571 Dans bon nombre d’Etats, le système parlementaire a pu à vrai dire s’imposer et durer parce qu’à côté du parlement où deux ou plusieurs partis sont adversaires, une figure nationale symbolique incarnait et incarne l’unité nationale ; le roi peut par exemple jouer ce rôle. Cela est aussi valable pour le Japon. En effet, la famille impériale japonaise règne sur ce pays depuis plus de 2000 ans sans interruption. Après la seconde guerre mondiale, tout pouvoir lui fut enlevé, mais elle reste le symbole de l’unité nationale et joue, aujourd’hui encore un rôle d’intégration important pour la société japonaise33.
7672 Dans la constitution de 1890, qui fut qualifiée de constitution libérale, l’empereur se déclarait, aux articles 4 et 5 pouvoir souverain jouissant de tous les droits et les exerçant. L’empereur était également le législateur ; il édictait les lois, mais toutefois avec l’assentiment du parlement34. Aujourd’hui, l’article premier de la constitution japonaise qui date du 3 mai 1947 dispose, en revanche, que « L’Empereur est le symbole de l’Etat et de l’unité du peuple ; il doit ses fonctions à la volonté du peuple, en qui réside le pouvoir souverain35. » Selon cette conception, l’empereur a perdu tout pouvoir politique. Tout comme la reine d’Angleterre, il ratifie la nomination du premier ministre et du président de la Cour suprême. Pour chacune de ses activités, l’empereur est tenu de demander l’approbation du cabinet (art. 3).
7773 Comme la plupart des Etats dotés d’un régime parlementaire, le Japon a deux chambres. L’une est constituée des représentants élus par les citoyens de 123 cercles électoraux au suffrage universel et selon le système dit majoritaire (2 ou 3 représentants par district). L’autre chambre compte 250 membres dont 150 sont les élus de cercles locaux et les cent autres les élus de l’ensemble de la population.
7874 Face au Sénat, la Chambre du peuple dite Chambre des représentants l’emporte. Certes, les lois et le budget doivent être adoptés par les deux chambres, mais lorsque celles-ci ne peuvent tomber d’accord, le Sénat peut être mis en minorité par une majorité des deux tiers à la Chambre des représentants lorsqu’il s’agit d’une loi, tandis que, pour le budget, la Chambre du peuple tranche définitivement si une commission commune aux deux chambres ne parvient pas à trouver un compromis acceptable pour elles deux (art. 59 et 60). Le choix du premier ministre est aussi effectué par les deux Chambres, mais lorsque celles-ci ne parviennent pas à s’entendre, c’est encore une fois la Chambre des représentants qui l’emporte.
7975 L’influence notoire des deux grands partis politiques, le respect dont sont encore honorés au Japon les chefs âgés et sages ainsi que l’intense sentiment communautaire qui caractérise les Japonais, tout cela a largement contribué à assurer la stabilité du régime gouvernemental de ce pays depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, tandis que l’ancien système féodal perdurait partiellement de façon relativement harmonieuse36.
8076 La constitution japonaise, qui fut créée après la Seconde Guerre mondiale sous l’influence dominante des Nations Unies, a fait, à vrai dire, de larges emprunts au système britannique de la démocratie parlementaire ; pourtant les modalités de la compétence dont jouit la Cour suprême du Japon révèlent l’influence américaine ; en effet, ce tribunal est compétent pour réexaminer les lois sous l’angle de leur constitutionnalité, surtout lorsqu’il s’agit des libertés des citoyens.
2. L’Inde
8177 La situation est tout autre en Inde. Tandis que, comme l’Angleterre, les îles japonaises ont été largement épargnées par les invasions étrangères, il n’y a guère sur terre un pays et une population qui en quatre millénaires d’existence aient été si souvent envahis, oppressés, pillés ou massacrés que l’ont été l’Inde et ses habitants. Les Chinois, les Grecs, les Arabes et, finalement, les Anglais ont, pour l’essentiel, laissé comme trace de leur domination l’institution d’un gouvernement central.
8278 Pourtant, les différentes occupations et colonisations étrangères n’ont que très peu modifié la société indienne qui s’est développée progressivement. Le système des castes et l’importance des collectivités locales sur le plan communal furent aussi la réponse d’un peuple asservi à ses oppresseurs. Les castes et les collectivités ont permis de maintenir une grande cohésion interne et de surmonter en commun les injustices subies. Les castes se sont de plus en plus renfermées sur elles-mêmes et ont développé un droit et une justice exclusivement valables pour chacune d’elles. Cette forte structuration de la société par des centaines de castes différentes a débouché sur une situation où le gouvernement central est resté plus ou moins isolé du peuple, malgré la cruauté du pouvoir et la tentative des Moghols de convertir la population à l’islam. Le gouvernement central ne dirigeait pas le peuple, mais régnait sur lui.
8379 C’est là peut-être la raison pour laquelle le régime parlementaire de l’Inde a pu se maintenir en place depuis 1949, malgré des crises fréquentes jusqu’à aujourd’hui. Contrairement au Japon, la constitution indienne de 1949 n’est pas liée à l’institution que représente une famille impériale. Elle prévoit, en revanche, un président qui, comme dans la République de Weimar, a des attributions étendues, par exemple la nomination du premier ministre, le contrôle constitutionnel ainsi que la faculté de recourir au droit d’urgence. Toutefois, la très grande puissance du parti du congrès a empêché le plein exercice des prérogatives constitutionnelles d’un Président qui, au contraire de ce qui se passait dans la République de Weimar, n’est pas élu par le peuple mais par un collège électoral. En Inde, les réalités politiques ont conduit le premier ministre et son cabinet à centraliser l’exercice du pouvoir, bien que la plus longue constitution du monde (plus de 300 articles) ne consacre que deux de ses dispositions à ce sujet.
8480 Le parlement de l’Etat fédéral indien se compose de deux Chambres, celle du peuple et celle des états37. Le premier ministre est responsable devant la Chambre du peuple et doit obtenir la confiance de celle-ci. C’est ainsi que cette chambre prend une importance certaine comparativement à la Chambre des Etats ; il en va de même en matière de législation. Les attributions législatives des deux chambres sont toutefois limitées en raison de la répartition des tâches entre l’Etat fédéral et les états. La constitution énumère avec précision les tâches du premier ainsi que celles des seconds.
8581 Il importe enfin de relever qu’à côté du président de l’Etat, la Cour suprême de l’Inde a aussi pour mission de garantir le respect de la constitution. L’Inde n’a pas repris entièrement à son compte la conception de la souveraineté absolue du parlement anglais, mais a, au contraire, doté sa Cour constitutionnelle d’une compétence fondamentale. Cela tient à vrai dire également à la société indienne dans laquelle la conscience du droit est profondément enracinée, tout comme d’ailleurs le respect de la justice est largement répandu au sein des différentes castes. En Inde, les tribunaux jouent un rôle aussi important qu’aux Etats-Unis.
8682 Hors d’Europe, ce n’est pas partout que le régime parlementaire est parvenu à s’implanter et à s’imposer aussi solidement qu’en Inde et au Japon. En Afrique, où la conscience tribale est encore étroitement liée à une conception unitaire et autoritaire de la conduite de l’Etat, les régimes présidentiels en partie totalitaires et marqués par les charismes dont se prévalent certains présidents ont, le plus souvent, supplanté et remplacé les régimes parlementaires des débuts de l’indépendance. Toutefois, le système parlementaire semble avoir récemment retrouvé son crédit dans les anciennes colonies anglaises38.
d) Les présidents et le parlement
8783 En République Fédérale d’Allemagne, en Inde et au Japon, la souveraineté du parlement trouve ses limites dans le contrôle exercé par la Cour constitutionnelle. En RFA et en Inde, les représentants du peuple sont, de surcroît, tenus d’agir conjointement avec les Etats membres. Nous trouvons pourtant une diminution beaucoup plus considérable des pouvoirs du parlement lorsqu’il s’agit d’Etats dans lesquels le président dispose de sa propre compétence face au parlement.
8884 Dans ces Etats, par exemple en Amérique latine, le parlement devient, en droit ou en fait, un organe consultatif du président ; celui-ci peut, au besoin, passer par dessus la décision du parlement. Il en va de même lorsque le régime constitutionnel met à la tête des affaires de l’Etat une direction bicéphale (président et premier ministre).
1. Amérique latine
8985 Il y a quelques années, les Nations Unies ont demandé à un spécialiste suisse du droit public s’il était disposé à préparer une constitution pour un pays asiatique. Cette requête fait apparaître la naïveté qui persiste encore partiellement, non seulement en Europe, mais également aux Etats-Unis où l’on s’imagine qu’il est possible de concevoir des constitutions destinées à d’autres pays dont on ignore tout ou presque des structures sociales. Déjà Montesquieu avait discerné la nécessité de lois et donc aussi de constitutions qui soient bien adaptées au caractère, aux traditions, aux données locales et aux besoins spécifiques du peuple39. Aujourd’hui, l’évolution du régime présidentiel en Amérique latine, en Afrique, mais encore dans une partie de l’Asie (Indonésie, Pakistan), montre à l’évidence qu’il n’est ni sage ni possible de reprendre purement et simplement des constitutions conçues pour d’autres pays.
9086 Presque tous les Etats d’Amérique latine ont subi l’influence du système présidentiel américain et sa séparation des pouvoirs lorsqu’ils ont élaboré et adopté leur constitution. Pourtant, en Amérique latine, l’équilibre constitutionnel des pouvoirs, – qui est réel aux Etats-Unis – a été très vite perdu au profit d’une suprématie de fait du président. Dès lors, le parlement et les tribunaux, le cabinet et les ministres sont largement soumis au président40.
9187 Cette évolution a très probablement plusieurs causes. En effet, les peuples d’Amérique latine sont encore habitués, depuis l’époque coloniale, à la domination d’un vice-roi dont les pouvoirs étaient illimités. Lors de l’indépendance de ces pays, le vice-roi fut remplacé par un “caudillo” souverain. Celui-ci était à la tête d’un régime patriarcal, plus ou moins cruel selon la personnalité du caudillo. Si celui-ci voulait donner de lui une image un peu plus progressiste, il édictait, avec l’aide d’un parlement tout à sa dévotion, des constitutions plus ou moins démocratiques, qui n’étaient du reste pas appliquées.
9288 Cette tradition de double légalité date certes de l’époque de la colonisation espagnole où quelques théologiens idéalistes préparaient des lois qui étaient ensuite « appliquées » par des juristes à la solde du vice-roi.
9389 Depuis quelque temps, il y a, à vrai dire, des efforts visant à faire des constitutions de véritables lois fondamentales qui soient efficaces et perdent enfin leur caractère d’alibi. Les développements survenus au Chili montrent, toutefois, que même une tradition parlementaire datant de 1925 et doublée d’un régime parlementaire ainsi que d’un pouvoir présidentiel limité a des racines encore trop peu profondes puisqu’elle a été balayée d’un trait de plume.
9490 Outre les aspects relevant de l’histoire coloniale, la situation économique de bon nombre de pays d’Amérique latine revêt une importance décisive pour les structures de l’Etat et son organisation. Tout comme au temps de la féodalité en Europe, il y a en Amérique latine une petite élite sociale qui dépend du pouvoir détenu par l’Etat, mais qui utilise aussi le pouvoir à ses propres fins. Les classes moyennes sont presque inexistantes, alors qu’elles furent dans l’Angleterre du xvie et xviie siècle la condition dont a dépendu le développement de la démocratie. En Amérique latine, il n’y a guère de distinction entre les intérêts économiques des grands bourgeois et le pouvoir politique, alors que l’Amérique et l’Europe connaissent une séparation à cet égard.
9591 Les jeunes nations d’Amérique latine, mais avant tout d’Afrique sont en quête d’une nouvelle conscience nationale. Or, ni l’histoire ni la religion ne peuvent leur procurer ce sentiment d’unité nationale, raison pour laquelle ces pays misent sur des chefs charismatiques qui répondent aux attentes du peuple et qui jouent le rôle de pères de la nation. Ces critères ont par exemple été déterminants pour l’établissement du pouvoir absolu et dictatorial de N’Krumah au Ghana. Le régime parlementaire britannique n’a pas pu se maintenir dans ces pays ; le plus souvent, il a été remplacé par un régime présidentiel41. Tandis que le Japon a conservé son empereur comme figure symbolique et facteur d’intégration – ce qui lui a permis de transformer plus aisément son système politique –, les jeunes nations de l’époque postcoloniale ont dû commencer par se découvrir des pères fondateurs dépassant les frontières tribales.
9692 Il va de soi que des systèmes patriarcaux de ce genre ménagent un pouvoir illimité au président. En sa qualité de père de la nation, il se doit de répondre aux espoirs et attentes de la population et il lui faut donc gouverner directement, c’est-à-dire sans l’intermédiaire d’un cabinet ou d’un parlement. En fin de compte, le président n’est responsable devant personne et le parlement – pour autant que celui-ci existe – ne peut le déposer. Quant à la disposition de “l’Impeachment”, que certaines constitutions ont reprise des Etats-Unis pour le cas de haute-trahison, elle reste bien sûr lettre morte dans ces régimes.
9793 A rencontre de la monarchie héréditaire, le président a cependant été élu au moins une fois par le peuple. Le Ghana par exemple avait un président à vie. En revanche, la durée du mandat présidentiel est presque toujours limitée dans les Etats d’Amérique latine. A l’expiration de son mandat, le président ou bien n’est pas rééligible du tout, ou bien il ne l’est qu’après une certaine période d’attente. Ce système de la rééligibilité restreinte a été repris dans la constitution actuelle du Mexique. On le rencontre pour la première fois dans la constitution mexicaine de 1917, au terme de la longue révolution entre 1910 et 1917.
9894 Aux termes de la constitution mexicaine, le président est élu pour six ans et, comme on vient de le voir, il n’est pas rééligible à l’expiration de son mandat42. On vise ainsi à empêcher le président de s’assurer un pouvoir illimité. Toutefois, certains objectent à propos de cette disposition qu’elle est antidémocratique puisqu’elle restreint les possibilités de choix des citoyens. En effet, si ceux-ci voulaient élire le même président pour un nouveau mandat, ils ne pourraient le faire, car la constitution le leur interdit. Toutefois, la crainte d’une extension excessive du pouvoir présidentiel a incité les assemblées constituantes de nombreux pays d’Amérique latine à conserver ce système qui a donné satisfaction.
9995 Tout comme aux Etats-Unis, le président est aussi commandant en chef de l’armée. Il décide d’instaurer le droit d’urgence et, selon certaines constitutions, il peut également organiser des plébiscites sur des objets précis lorsque le parlement ne souscrit pas à ses propositions. De surcroît, le président a généralement un droit de veto face au parlement.
10096 Les rapports entre les présidents d’Amérique latine et leurs armées revêtent une importance particulière. Le président nomme ses généraux et décide des effectifs de l’armée. C’est ainsi que se crée une relation de dépendance mutuelle. Lorsqu’il veut décréter et imposer l’état d’urgence, le président dépend de l’armée. De leur côté, les officiers de l’armée sont dépendants de la faveur du président. Ce n’est donc pas par hasard que les armées d’Amérique latine ont toujours exercé une grande influence sur la politique des présidents et ont rarement hésité à renverser ceux dont ils désapprouvaient la politique.
10197 L’institution d’une armée de métier présente des liens étroits avec les évolutions des Etats vers l’absolutisme. A l’origine, l’Etat féodal ne connaissait que le système de milice. En effet, en cas de guerre, les ducs étaient obligés de faire du service militaire pour leur roi. Lorsque le pouvoir royal s’est accru, le roi élargit alors son autorité à un contingent de soldats de métier placés sous son commandement direct, grâce auxquels il pouvait en tout temps imposer sa domination à ses sujets en rébellion. Il est donc évident que cette évolution n’a fait qu’accélérer l’alinéénion du peuple et son éloignement du pouvoir.
Bibliographie
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2. France
2.1. La révolution permanente jusqu’à la IIIe République (Légitimité par la grâce de Dieu, légitimité par la grâce du peuple)
14998 La monarchie s’est maintenue en France durant presque mille ans. A l’encontre de la situation au Royaume-Uni, le parlement a, en réalité, joué un rôle mineur dans la monarchie française. Il n’a exercé que des fonctions consultatives et, composé de trois ordres – la noblesse, le clergé et le Tiers Etat, ou bourgeoisie –, il est rarement parvenu à prendre une décision et n’a été que rarement convoqué par le roi. Le 5 mai 1789, Louis XVI et Marie-Antoinette ont présidé à l’ouverture solennelle des Etats Généraux que les rois n’avaient plus réunis depuis 1614, ce qui représente une éclipse de 175 ans.
15099 A cette époque et contrairement aux vastes attributions du parlement d’Angleterre, les trois ordres n’avaient aucun pouvoir de décision. De surcroît, ils ne parvenaient pas à s’entendre entre eux. Cependant, pour la première fois, le nombre des représentants élus du Tiers Etat égalait celui du total des délégués de la noblesse et du clergé. Et, lorsque les trois ordres siégèrent en une seule assemblée, les voix de la bourgeoisie l’emportèrent sur celles de la noblesse et du clergé réunis, parce qu’une petite minorité libérale de nobles et d’ecclésiastiques ne manqua pas de soutenir les idées bourgeoises.
151100 Le 17 juin 1789, Le Tiers Etat se proclama Assemblée nationale puisqu’en réalité il représentait 96 % de la nation. Bien que le roi eût alors ordonné aux trois ordres de siéger de nouveau séparemént, il fut contraint de plier, face à la volonté des bourgeois et il commanda à la noblesse et au clergé de faire partie de l’Assemblée nationale. Le 9 juillet 1789, ladite assemblée édicta son propre règlement. Une Assemblée nationale unitaire s’était donc constituée à partir des trois ordres de la nation ; elle n’avait plus pour tâche de conseiller le roi, mais d’édicter des lois pour la nation tout entière en vertu de sa propre légitimation. L’exemple du “long parliament” anglais, un siècle et demi auparavant, avait fait école.
152101 Le 26 août 1789 déjà, l’Assemblée nationale adopta et proclama la Déclaration universelle des droits de l’homme qu’on trouve, aujourd’hui encore, dans le préambule de la constitution de la VIe République. De surcroît, depuis le 16 juillet 1971, date d’une décision célèbre du Conseil Constitutionnel, cette déclaration sert obligatoirement de base aux jugements portant sur la constitutionnalité des lois43.
153102 Depuis les mois troublés qui ont vu naître la Révolution française, on a compté en France jusqu’en 1875, soit en un siècle, pas moins de 15 régimes différents, quatre révolutions, deux Empires et trois interventions étrangères44. Avec sa Révolution, la France a certes instauré un nouveau système social, mais elle n’est pas parvenue à trouver un régime gouvernemental adéquat45.
154103 Pour Gicquel, cette révolution permanente, accompagnée d’une instabilité qui s’est maintenue jusqu’au xxe siècle, s’explique avant tout par un désaccord dans la société française au sujet des trois fondements de l’Etat : divergence sur la base de la légitimité du gouvernement, division sur la hiérarchie des pouvoirs et désunion sur les rapports de l’Etat avec l’Eglise.
155104 Durant un millénaire ou presque, la France fut une monarchie au sein de laquelle le roi régnait sur son peuple en vertu de son autorité de droit divin. C’est de Dieu lui-même que le souverain détenait sa légitimité. La révolution française remplaça subitement la légitimité du pouvoir royal par la légitimité de la Nation, celle-ci pouvant désormais décider elle-même de la forme de l’Etat, de la société et du gouvernement.
156105 Par la suite, république et monarchie alternèrent durant 75 ans. Dans la constitution de la monarchie constitutionnelle de 1791, en vigueur pendant six mois seulement, on lit encore au titre III, article premier : « La souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la Nation. » Le pouvoir du roi se limite à des fonctions d’exécution. En effet, l’article 4 de cette même constitution précise : « Le gouvernement est monarchique ; le Pouvoir exécutif est délégué au Roi, pour être exercé sous son autorité, par des ministres et autres agents responsables, de la manière qui sera déterminée ci-après. »
157106 La monarchie millénaire est toutefois incompatible avec une délégation de compétence. Les 21 et 22 septembre 1792, l’Assemblée nationale suit une fois de plus l’exemple du “long parliament” d’Angleterre et proclame : « La Convention Nationale décrète à l’unanimité que le aoyauté est abolie en France. »
158107 Dès ce moment et jusqu’à la chute de Napoléon Bonaparte et la Restauration, la France sera déchirée, écartelée entre la dictature et la démocratie. Qui légitime qui ? Est-ce l’Empereur ou le monarque de droit divin qui est source de la légitimité du parlement ou bien le parlement qui, par la volonté populaire, légitime le gouvernement ? Cette question a provoqué des affrontements sanglants. La constitution du 18 mai 1804 proclamait par exemple à son article premier : « Le Gouvernement de la République est confié à un Empereur, qui prend le titre d’Empereur des Français. La justice se rend, au nom de l’Empereur, par les officiers qu’il institue… » Par la suite, Napoléon se fit sacrer Empereur avec droit de succession héréditaire. Toutefois, le 4 juin 1814, Louis XVIII, nouveau roi de France par la grâce de Dieu, édicta en vertu de la « divine Providence » sa propre charte constitutionnelle qui abrogeait la Constitution du 6 avril de la même année, selon laquelle on venait de lui décerner la majesté de Roi de France par la grâce du peuple.
159108 Après la Révolution de Juillet (1830), le principe monarchique fut quelque peu atténué. Louis-Philippe ne se prévalait plus du titre de Roi de France, mais se nommait « Roi des Français ». Sous la monarchie de Juillet, la Constitution obligea expressément le Roi à se conformer aux lois même lorsqu’il décrète l’état d’urgence. Pour le reste, il y eut peu de changements. Il fallut attendre la Constitution de la IIe République (1848) pour revenir à la démocratie : « La souveraineté réside dans l’universalité des citoyens français. »
160109 A cette démocratie, succéda pourtant de nouveau une dictature, celle de Napoléon III. L’article 2 de la Constitution de 1852 a la teneur suivante : « Le Gouvernement de la République française est confié pour dix ans au Prince Louis-Napoléon Bonaparte, Président actuel de la République ». Un siècle à peine plus tard, le Maréchal Pétain s’octroya les mêmes droits par sa loi constitutionnelle du 10 juin 1940 dont l’article unique était ainsi libellé : « L’Assemblée nationale donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du Maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l’Etat français. »
161110 Gouvernement de l’assemblée ou gouvernement du président ? En effet, la légitimation démocratique suscite aussitôt la question de savoir qui est le plus proche de la souveraineté nationale : l’assemblée élue par le peuple ou l’exécutif qui doit accomplir la volonté générale. La lutte pour la préséance du parlement ou du gouvernement a, par conséquent, dominé les travaux de chacune des assemblées constituantes.
162111 En se muant, par la vertu de leur propre autorité, en assemblée constituante, les Etats généraux se sont certainement élevés eux-mêmes au rang de gouvernement. La constitution de 1791 prévoyait encore, que le pouvoir exécutif était confié au Roi seul (chapitre v, art. 1er). Avec l’abolition de la monarchie, le 22 septembre 1792, l’Assemblée nationale exigea qu’une nouvelle constitution soit soumise au référendum populaire. Le 21 septembre 1792, l’Assemblée nationale décréta l’An un de la République. Celle-ci dura jusqu’en 1799. Le Comité de Salut Public fut institué peu avant la proclamation de la première République. Ce comité ne tarda pas à dominer l’Assemblée nationale et régna en dictature après l’entrée de Robespierre en son sein. Une nouvelle constitution fut soumise au peuple le 24 septembre 1793, mais elle ne fut jamais appliquée.
163112 Cette constitution prévoyait une véritable démocratie au sens où l’entendait Rousseau. L’assemblée législative détenait le pouvoir unique et suprême46. Les membres du parlement étaient élus pour un an et un conseil exécutif composé de 24 membres avait pour tâche d’exécuter les lois. De surcroît, cette constitution octroyait au peuple un droit de référendum fort étendu en matière de lois.
164113 Le 22 août 1795, le système collégial et bicaméral trouva place dans la constitution pour la première fois. Cette nouvelle constitution directoriale de l’An III de la République réinstaurait un système d’authentique séparation des pouvoirs. Elle incarnait la démocratie selon les principes d’une représentation limitée. Elle mit fin à la pression révolutionnaire de la rue et introduisit un droit de vote des propriétaires et des fermiers, droit limité par le cens (quotité d’imposition nécessaire pour être électeur ou éligible). Pour la première fois, une seconde chambre fut créée. Le Conseil des Cinq Cents, d’une part et, d’autre part, le Conseil des Anciens, – qui, lui, comptait 250 membres – avaient des attributions fort semblables. Le Conseil des Cinq Cents ouvait proposer les lois, tandis que le Conseil des Anciens décidait de les adopter ou de les refuser.
165114 Le pouvoir exécutif était confié à un directoire de cinq membres. Ceux-ci étaient élus par les deux chambres sur proposition du Conseil des Cinq Cents.Le principe de la séparation des pouvoirs était strictement appliqué. Le directoire nommait les ministres, mais n’était pas responsable devant l’assemblée législative. Pourtant, l’exécutif ne disposait d’aucun droit de veto opposable au législatif. Dès ses débuts, un tel système fut menacé de deux côtés : d’une part sur sa droite, c’est-à-dire par les royalistes qui voulurent remplacer le directoire par le monarque et, d’autre part, sur sa gauche, par les partisans du pouvoir absolu de l’Assemblée. Une telle évolution a été sensible en Suisse où, à partir de la constitution française du Directoire, il y eut la constitution de la République helvétique, calquée sur la première, puis la nouvelle Confédération suisse et son système de Conseil fédéral collégial. En France, le Directoire ne dura guère puisqu’en 1799 déjà, il fut remplacé par le Consulat et la constitution dictatoriale de Napoléon Bonaparte.
166115 Cette dernière constitution conféra la totalité du pouvoir à Napoléon. Les deux autres consuls n’avaient en réalité qu’une voix consultative. Le Premier Consul nommait les ministres et les agents. Il jouissait du droit de proposer les lois et d’un large pouvoir réglementaire par voie d’ordonnance. Les propositions de loi étaient préparées par le Conseil d’Etat, organe institué pour la première fois par cette constitution. De son côté, le « Tribunat » s’exprimait pour ou contre le projet de loi, tandis que l’assemblée législative votait les lois au scrutin secret et sans débat. Le Sénat examinait les lois sous l’angle de leur constitutionnalité. Il n’y avait pas de conseil ministériel. Sieyes avait inspiré les deux idées fondamentales de cette constitution : « La confiance vient d’en bas et l’autorité vient d’en haut47. »
167116 La première République s’est achevée en 1799 et la seconde fut instaurée en 1848. Elle fut toutefois de courte durée. Elle prévoyait un système présidentiel et le suffrage universel. Une Chambre composée de 750 députés exerçait la compétence législative. Les membres du parlement étaient élus pour trois ans et le président de la République pour quatre ans. Si aucun des candidats n’obtenait la majorité absolue, il incombait alors à l’Assemblée nationale d’élire le président. Celui-ci ne pouvait pas dissoudre la Chambre et celle-ci n’était pas habilitée à demander des comptes au président de la République.
168117 Ce régime fortement axé sur le rôle présidentiel ne tarda pas à aboutir, trois ans plus tard déjà, à la dictature de Napoléon III. Celui-ci, neveu de Napoléon, avait été élu premier président de la IIe République en 1848, mais il s’empressa de former le Second Empire en vertu d’une constitution dictatoriale qui faisait référence à la famille Bonaparte.
2.2. L’époque des gouvernements parlementaires (IIIe et IVe République)
169118 Après le désastre de Sedan, la troisième République fut proclamée le 4 septembre 1870. Le 8 février 1871, l’Assemblée nationale fut élue. Le 17 février, Thiers, qui était monarchiste, fut élu président. Le 26 mars, les communistes se soulevèrent, érigèrent des barricades dans la capitale et l’insurrection prit le nom de « commune de Paris ». Le général Mac Mahon brisa le mouvement révolutionnaire et l’Assemblée nationale put de nouveau siéger. Bien que les monarchistes fussent majoritaires à l’Assemblée, ils ne parvinrent pas à rétablir la monarchie à cause de leurs querelles intestines et parce que bon nombre d’entre eux durent se résoudre à constater que l’époque de la royauté était définitivement révolue.
170119 Mac Mahon, lui aussi monarchiste, fut élu président en 1873 pour une durée de sept ans. Le 30 janvier 1875, l’Assemblée nationale adopta une loi constitutionnelle dans laquelle l’Etat prenait expressément, pour la première fois, le nom de République. Toutefois, le président était, en réalité, un monarque républicain48. Il exécutait les lois, ratifiait les traités, pouvait dissoudre l’Assemblée, proposer les lois, mais n’avait en revanche pas de comptes à rendre aux deux Chambres. Quant aux ministres, il les choisissait lui-même.
171120 A la suite d’élections remportées par la gauche, Mac Mahon désigna un premier ministre modéré et centriste, Jules Simon. Celui-ci apparut toutefois comme trop modéré aux yeux de Mac Mahon qui le remplaça par de Broglie. L’Assemblée nationale blâma le président pour sa manière d’agir, mais celui-ci répliqua par la dissolution de l’Assemblée. A l’issue de nouvelles élections, la majorité républicaine fut confirmée, ce qui accula de Broglie à la démission. Ainsi, pour la première fois, l’Assemblée nationale avait dénié au président le droit de renvoyer le gouvernement et avait contraint le président à choisir un nouveau gouvernement. Depuis lors, l’Assemblée s’arrogea un tel droit jusqu’à l’avènement de la Ve République. Par conséquent, le gouvernement désigné par le président était responsable face au parlement ; il dépendait donc de la confiance que lui accordait ou refusait la majorité de la Chambre.
172121 C’est ainsi que se sont établis les fondements constitutionnels de la séparation des pouvoirs sous la IIIe République. Celle-ci a perduré jusqu’en 1940, date de l’instauration du régime du Maréchal Pétain. Après la Seconde Guerre mondiale, on assista à la naissance de la IVe République.
173122 Bien que la IVe République ressemblât beaucoup à la IIIe, les attributions constitutionnelles du président étaient expressément limitées. En effet, il ne jouissait plus du droit de gouverner par décret, privilège désormais réservé au président du Conseil des ministres. Ledit président était entièrement dépendant de l’Assemblée nationale puisque celle-ci devait approuver le choix de son cabinet. A cause de la grande diversité des partis politiques et de l’instabilité de la politique intérieure de la France, l’Assemblée nationale était encline à retirer sa confiance au gouvernement et ne se privait pas d’exercer ce droit. Cela conduisit à de fréquents changements de gouvernement ; à la différence de l’Angleterre, le bipartisme et la stabilité dans l’alternance ne parvinrent jamais à s’imposer en France.
2.3. Le régime présidentiel de la Ve République
174123 Les institutions de la IVe République dégénérèrent, au temps de la guerre d’Algérie, en une instabilité source de désordre. Dans la confusion, on fit appel au Général de Gaulle, le sauveur de la France lors de la Seconde Guerre mondiale, pour doter le pays d’une nouvelle constitution. Avec sa constitution de la Ve République, de Gaulle a certes tenté, selon la lettre des textes, de créer un équilibre entre le régime présidentiel et le système parlementaire ; en réalité et en vérité, par la longueur du mandat présidentiel (depuis 1962, le président de la République est élu par le peuple pour une durée de sept ans) il a conféré au chef de l’Etat le pouvoir présidentiel le plus ample jamais octroyé jusqu’alors dans un pays démocratique.
175124 Aussi bien sous la IIIe que la IVe République, la primauté allait aux lois qui devaient absolument être votées par le parlement. Avec le temps, on en vint pourtant à une certaine pratique des décrets-lois ou ordonnances. Par ce moyen, le gouvernement est habilité à édicter des dispositions ayant force de loi. Il est même possible d’user de ce détour pour modifier des lois existantes. Toutefois, les lois-décrets ou ordonnances sont abrogées ipso facto lorsqu’elles ne l’ont pas été par le parlement dans un certain délai. Cette pratique est maintenant institutionnalisée par le nouvel article 3 de la constitution.
176125 Puisque la constitution de la Ve République n’exige la forme d’une loi que dans les domaines expressément prévus par l’article 34 et autorise la voie réglementaire (ordonnance, décret, règlement) dans tous les autres cas, elle supprime en principe le primat de la loi et renforce le pouvoir exécutif. Le chef de l’exécutif n’est pas, comme le laisse supposer le texte écrit de la constitution, le premier ministre, mais bien le président. Etant donné que celui-ci a, de surcroît, la possibilité de soumettre certaines lois au référendum (Art. 11 de la constitution), sa position est encore renforcée face au parlement et au Conseil des ministres.
177126 Outre les lois non soumises au référendum, il y a encore à un rang inférieur les « lois organiques » qui complètent la constitution et qui ont donc rang constitutionnel. Ces lois ne peuvent être mises en vigueur par le président de la République qu’après avoir été examinées par le Conseil constitutionnel sous l’angle de leur conformité à la constitution (art. 46).
178127 Le parlement a une compétence législative restreinte à certains domaines définis à l’article 34 de la constitution, ce qui fait que ladite constitution justifie une présomption de compétence en faveur de la voie réglementaire. Dès lors, tout ce qui ne doit pas être réglé par la voie légale en vertu de l’article précité, le sera par le biais d’un règlement. La compétence d’édicter un règlement est alors attribuée aux divers organes hiérarchiques du gouvernement. Le règlement prend la forme d’un décret présidentiel lorsque celui-ci est édicté sur la base d’une délibération au sein du Conseil des ministres. Lorsqu’il s’agit d’un objet de la compétence du premier ministre, le décret devient décret dudit premier ministre. Il y a encore, à un niveau inférieur, les décrets ministériels et, enfin, les décrets préfectoraux. Toutefois, seuls le président de la République et le premier ministre disposent d’une compétence générale les autorisant à édicter des règlements.
179128 Depuis 1962, le président de la République est donc élu par le peuple ; son mandat est de sept ans. Il n’a pas à se justifier devant le parlement. De surcroît, l’article 16 de la constitution lui permet, en cas d’urgence, de suspendre lui-même la constitution. De la sorte, le président est vraiment l’incarnation de la volonté générale. Il décide de décréter l’état d’urgence, promulgue les lois, dispose d’un droit très étendu qui lui permet, avec l’accord du premier ministre toutefois, d’édicter des ordonnances, sans parler de son droit de soumettre certaines lois au référendum, de nommer et de remanier le gouvernement ainsi que de dissoudre l’Assemblée nationale.
180129 A vrai dire, l’article 21 de la constitution précise que « le premier ministre dirige l’action du gouvernement ». En réalité, le premier ministre est tenu de conduire le gouvernement dans le cadre politique défini par le président de la République. En effet, le premier ministre, ses collaborateurs, ministres et secrétaires d’Etat, sont nommés par le président. Dans la vie politique sous la Ve République, tous les premiers ministres – à l’exception de Jacques Chirac qui est parti spontanément en août 197649 – ont dû démissionner sur injonction présidentielle. De même, le président peut contraindre les ministres à présenter leur démission. Enfin, le président est également habilité à redistribuer les tâches gouvernementales et donc à remanier le gouvernement.
181130 A rencontre du principe régissant un gouvernement de cabinet, les ministres de la Ve République ne peuvent pas être en même temps membres du parlement. Cette incompatibilité dans l’exercice simultané des deux charges dénote la volonté de séparer les pouvoirs et d’établir un régime présidentiel. Désormais, le premier ministre, le Conseil des ministres et le parlement ont chacun la possibilité de poser la question de confiance de leur propre initiative. Si le gouvernement n’obtient pas la confiance de l’Assemblée nationale, il doit alors, en vertu de l’article 50 de la constitution, prier le président de la République d’accepter sa démission. Celui-ci est toutefois libre de l’accepter ou de la refuser. Ainsi, le Général de Gaulle a maintenu son premier ministre, Georges Pompidou, dans ses fonctions, bien que celui-ci eût perdu la confiance du parlement.
182131 L’article 5 de la constitution précise que « le président de la République veille au respect de la constitution. Il assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat ». C’est en se fondant sur cette disposition que tous les présidents de la Ve République se sont arrogé le droit de trancher souverainement dans tous les domaines. Pour eux, l’arbitrage est synonyme de décision. Par conséquent, le gouvernement n’a en réalité que la compétence que le président lui concède, bien qu’une interprétation littérale de la constitution révèle qu’il devrait y avoir un équilibre entre les pouvoirs du président de la République et ceux du gouvernement.
183132 Dans certains cas, le président peut décider seul ; dans d’autres, il a besoin de l’accord (contreseing) du premier ministre. Celui-ci, en sa qualité de chef du gouvernement et de subordonné direct du président, assume personnellement la direction des affaires gouvernementales. Le premier ministre conduit aussi les armées, mais le véritable chef des armées est le président de la République qui, seul, a pouvoir de recourir à l’usage de l’arme atomique.
184133 Le parlement est composé de deux Chambres : l’Assemblée nationale et le Sénat. En France, à l’opposé de la situation en Grande-Bretagne, le système bicaméral est solidement implanté depuis que la tentative d’unification des deux Chambres a échoué en 1969. Tandis que tous les cinq ans, les députés à l’Assemblée nationale sont élus directement par le peuple au système majoritaire, les sénateurs qui représentent les Départements sont élus au suffrage indirect pour neuf ans. Le président de la République n’a pas le pouvoir de dissoudre le Sénat. Celui-ci se renouvelle tous les trois ans à raison du tiers de ses membres. Cela permet d’assurer une certaine stabilité politique et notamment de protéger les libertés individuelles des citoyens face à une Assemblée nationale par trop zélée.
185134 En plus du parlement, du gouvernement et du président de la République, la constitution prévoit la mise en place d’autres organes de l’Etat, à savoir le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat et le Conseil économique et social. Le Conseil constitutionnel est en quelque sorte un tribunal constitutionnel. Il examine donc les lois sous l’angle de leur conformité à la constitution, avant que le président de la République ne les promulgue. Tout comme le Conseil d’Etat d’antan, le Conseil constitutionnel s’est mué en une véritable Cour constitutionnelle qui protège les droits individuels face au législateur. Le Conseil d’Etat est l’une des plus anciennes institutions de l’histoire du droit constitutionnel en France ; aujourd’hui il joue le rôle de tribunal administratif suprême et d’organe consultatif en matière de législation. Enfin, le Conseil économique et social est un organe consultatif dans le domaine économique ; il n’est toutefois pas très connu du public et son influence est limitée.
Bibliographie
186Hauriou, A., Gicquel, J., Gélard, P., Droit constitutionnel et institutions politiques, 7e éd., Paris 1980, cit. Gicquel
187Leclerq, C., Droit constitutionnel et institutions politiques, 4e éd., Paris 1984
§ 22 Les Etats avec partage de la souveraineté
1881 La plupart des Etats du monde occidental ont fait reposer le pouvoir de leurs organes centraux sur une base rationnelle ; ils ont élargi la participation politique de la population et différencié les structures de l’Etat par une répartition des diverses fonctions50. Dans ce contexte, on part toujours de l’idée que l’homme doit être en mesure, grâce à sa raison, de structurer et de modeler son environnement naturel et surtout social. Cette libération prophétique de l’homme, échappant ainsi à son destin et à sa prédestination divine, se retrouve dans la doctrine de Hobbes sur le contrat social et a donc apporté une conception sécularisée de l’Etat et de la souveraineté. La structuration raisonnable de l’organisation des pouvoirs publics fut alors confiée au législateur: “In both its religious and its secular versions, in Filmer as well as in Hobbes, the impact of the new doctrine of sovereignty was the subject’s absolute duty of obedience to his king. Both doctrines helped political modernization by legitimicing the concentration of authority and the breakdown of the medieval pluralistic political order51.”
1892 Deux Etats n’ont pas pleinement adhéré à cette évolution vers la souveraineté absolue et sécularisée : les Etats-Unis et la Confédération suisse. Tandis que, dans tous les autres Etats, le pouvoir monarchique et son appareil administratif centralisé fut brisé par la révolution (au xviie siècle en Angleterre, aux xviiie et xixe siècles en France, aux xixe et xxe en Allemagne), nous trouvons aux Etats-Unis et en Suisse des structures politiques qui se sont développées progressivement et se sont transformées presque sans cassures depuis leurs origines, à savoir depuis l’époque des premiers colons aux USA et, en Suisse, depuis la démocratie médiévale des paysans et des petites cités, sans que l’ordre social du Moyen Age soit bouleversé et détruit par la révolution.
1903 Pour les colons d’Amérique du Nord, il n’y avait pas de droits divins du roi, pas de souveraineté absolue, mais pas non plus de suprématie parlementaire. Pour eux, Hobbes était sans importance ; en revanche, ils se sentaient proches de Locke52. C’est pourquoi lorsqu’ils établirent leur régime et structurèrent leur jeune Etat, ils ne confièrent pas le pouvoir suprême à un seul organe. Puisqu’à leurs yeux la souveraineté des pouvoirs publics était de toute façon limitée, il leur était aisé de la répartir entre les divers organes, notamment entre l’Etat fédéral et les Etats membres de l’Union. C’est ainsi que les colons américains ont édifié un Etat moderne sans toutefois se fonder sur la doctrine moderne en matière de souveraineté. “Americans may be defined... as that part of the English-speaking world which instinctively revolted against the doctrine of the sovereignty of the State and has, not quite successfully, striven to maintain that attitude from the time of the pilgrim Fathers to the present day53.”
1914 On peut dire à peu près la même chose au sujet de l’évolution en Suisse. Dans l’histoire suisse, il n’y eut jamais de monarque absolu tenant son pouvoir et ses droits directement de Dieu. Même les diverses formes de pouvoir oligarchique qui caractérisaient les cantons à régime artistocratique étaient, en fin de compte, toujours liées à la légitimité populaire. Une oligarchie ne peut être le représentant de Dieu sur terre.
1925 La Suisse s’est donc également développée comme Etat moderne sans avoir jamais connu de souveraineté absolue au sens de Hobbes. Cela s’exprime avant tout dans les rapports entre la Confédération et les cantons : celle-là est née de ceux-ci ; sa souveraineté est limitée parce qu’au sein des cantons, le peuple exerce par des voies démocratiques ses propres droits souverains qui sont très anciens.
1936 A cause du développement particulier de l’Etat, tant aux Etats-Unis qu’en Suisse, il convient aussi d’examiner l’organisation des pouvoirs publics dans ces deux pays et de le faire dans la perspective de la souveraineté limitée et partagée, qui les caractérise tous deux. Nous commencerons donc par les Etats-Unis d’Amérique puis nous traiterons plus à fond des fondements de la Suisse et de sa démocratie.
a) Les Etats-Unis d’Amérique
1. L’influence de la constitution anglaise du xviie siècle
1947 Lorsque les premiers colons anglais émigrèrent vers l’Amérique en 1606, sous le régime de James 1er, l’Angleterre vivait encore sous le signe de la constitution des Tudor, imprégnée par la pensée médiévale. Le parlement n’avait pas encore conquis son pouvoir absolu et les pouvoirs de l’Etat étaient répartis entre les diverses institutions de la Couronne, les Lords et les Communes. “The government of Tudor England was a government of fused powers (i.e. functions), that is, Parliament, Crown, and other institutions each performed many functions54.”
1958 Le “Parliament” exerçait des fonctions judiciaires, législatives et exécutives. De même, la Couronne ne se bornait pas à l’exécutif, mais, conjointement avec le parlement, ne négligeait pas le pouvoir législatif et judiciaire. A l’époque, la séparation des pouvoirs n’était pas fonctionnelle, mais personnelle. Chaque institution exerçait des fonctions identiques ou semblables, mais avait des attributions ou pouvoirs particuliers, tant et si bien que les différentes institutions se tenaient en échec.
1969 Cette constitution anglaise du xviie siècle a servi de modèle à la constitution des Etats-Unis, ainsi qu’à celles de certains Etats de l’Union qui, de leur côté, s’étaient inspirés de la constitution de Virginie. Tandis qu’en Angleterre les compétences étaient progressivement réparties entre divers organes étatiques (tâches législatives, exécutives et judiciaires) et que le pouvoir effectif se concentrait de plus en plus à la Chambre des Communes, les vues et conceptions américaines en matière d’Etat et de gouvernement restèrent calquées sur la constitution anglaise du xviie siècle. “The constitutional convention of 1787 is supposed to have created a government of separated powers (i.e. functions). It did nothing of the sort. Rather it created a government of separated institutions sharing powers (i.e. functions)55.”
2. Souveraineté limitée et droit naturel dans la Déclaration d’indépendance
19710 La conviction des colons americains au sujet des limites du pouvoir de l’Etat n’apparaît nulle part aussi nettement que dans la Déclaration américaine d’indépendance qui date du 4 juillet 1776 :
Lorsque, dans le cours des événements humains, un peuple se voit dans la nécessité de rompre les liens politiques qui l’unissent à un autre, et de prendre parmi les puissances de la terre le rang égal et distinct auquel les lois de la nature et du Dieu de la nature lui donnent droit, un juste respect de l’opinion des hommes exige qu’il déclare les causes qui l’ont poussé à cette séparation. Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes que tous les hommes naissent égaux, que leur Créateur les a dotés de certains droits inaliénables, parmi lesquels la vie, la liberté et la recherche du bonheur ; que pour garantir ces droits, les hommes instituent des gouvernements dont le juste pouvoir émane du consentement des gouvernés ; que si un gouvernement, quelle qu’en soit la forme, vient à méconnaître ces fins, le peuple a le droit de le modifier ou de l’abolir et d’instituer un nouveau gouvernement qu’il fondera sur tels principes, et dont il organisera les pouvoirs selon telles formes, qui lui paraîtront les plus propres à assurer sa sécurité et son bonheur. La prudence recommande sans doute de ne pas renverser, pour des causes légères et passagères, des gouvernements établis depuis longtemps ; aussi a-t-on toujours vu les hommes plus disposés à souffrir des maux supportables qu’à se faire justice en abolissant les formes auxquelles ils étaient accoutumés. Mais lorsqu’une longue suite d’abus et d’usurpations, invariablement tendus vers le même but, marque le dessein de les soumettre à un despotisme absolu, il est de leur droit, il est de leur devoir de renverser le gouvernement qui s’en rend coupable, et de rechercher de nouvelles sauvegardes pour leur sécurité future. Telle fut la longue patience de ces Colonies, et telle est aujourd’hui la nécessité qui les contraint à changer leur ancien système de gouvernement56.
198Cette conception, imprégnée de la doctrine de Locke, a aussi constitué le fondement de la concrétisation d’une juridiction constitutionnelle ; elle explique, en effet, la position dominante que la Cour suprême a occupée tout au long des deux siècles de l’histoire des Etats-Unis.
3. Pouvoirs distincts, mais sans séparation du pouvoir
19911 Lorsque la souveraineté n’est pas absolue, il est aisé de la répartir entre divers organes, mais aussi entre l’Etat fédéral et les Etats membres. A rencontre de la conception européenne de l’Etat, où la souveraineté absolue n’est finalement attribuée qu’à un seul organe, en raison même d’une compréhension absolutiste de ladite souveraineté, les Américains sont parvenus à partager la souveraineté au sein de leur propre Etat. Cela aboutit, sur le plan fédéral, à la présence du Congrès et de ses deux chambres, du président et de la Cour suprême, chacun d’eux étant une institution indépendante qui exerce diverses fonctions et qui peut tenir les autres en échec.
20012 Le statut du président des Etats-Unis, élu par le peuple au travers de délégués, est comparable à celui du roi d’Angleterre au xviie siècle. Face au parlement, le président a un droit de veto ; les parlementaires peuvent toutefois lever ce veto à une majorité de deux tiers. Hormis cela, le parlement n’est pas en mesure de retirer sa confiance au président par un vote de confiance de portée politique. Conjointement avec la Cour suprême, le parlement peut, pourtant, poser un acte judiciaire, appelé “Impeachment”, par lequel le président est alors relevé de ses fonctions, procédure que le “long parliament” engagea aussi en Angleterre au xviie siècle. Alexander Hamilton (1757-1804) pense, toutefois, que l’éventualité explicite de “l’Impeachment” restreint précisément le pouvoir du président américain, comparativement à celui du roi d’Angleterre57.
20113 La procédure d’Impeachment n’a cependant été engagée que contre un seul président, Andrew Johnson, en l’an 1868, mais celui-ci fut acquitté par une seule voix de majorité. Depuis lors, le pouvoir du président face au Congrès s’est considérablement étendu et renforcé. Pourtant l’année 1975 a marqué un renversement de tendance avec l’affaire du Watergate à la suite de laquelle Richard Nixon s’est soustrait à la procédure d’Impeachment par sa démission anticipée et volontaire. L’intégrité du président américain a toutefois fortement souffert de la crise du Watergate. Depuis lors, le Congrès se sent de nouveau obligé d’accomplir sa tâche nationale de contrôle du président, ce qui affaiblit considérablement le pouvoir de ce dernier. La compétence d’engager une procédure d’Impeachment a donc un effet préventif avant tout autre et contribue notablement à équilibrer les différents pouvoirs.
20214 Comme le roi d’Angleterre, le président des Etats-Unis choisit son cabinet, mais il lui faut obtenir l’agrément du Sénat pour pouvoir procéder aux nominations des membres du cabinet. L’indépendance du président vis-à-vis du Congrès implique, d’autre part, que le Congrès et, tout particulièrement le parti auquel le président appartient soient très largement indépendants du président et de son gouvernement. Alors qu’au sein des Etats dotés d’un gouvernement parlementaire, les parlementaires des partis gouvernementaux sont soumis en droit, comme en Angleterre, ou en fait, comme ailleurs, à une discipline de parti contraignante, visant à assurer la majorité gouvernementale au parlement, les parlementaires américains sont beaucoup plus indépendants. Il s’ensuit qu’au sein des groupes parlementaires des deux grands partis (les démocrates et les républicains), les parlementaires n’hésitent pas à défendre des conceptions politiques fort diverses. Aux Etats-Unis, les partis n’ont pas non plus pour fonction d’imposer un programme gouvernemental – c’est bien là la tâche du président – mais de gagner les élections au Congrès (Sénat et Chambre des représentants). Les partis sont plus des centres où se forment et se développent des personnalités politiques que de véritables partis à programme politique tels qu’on les rencontre en Europe.
4. Partage de la souveraineté entre l’Etat fédéral et les Etats membres de l’Union
20315 La constitution des Etats-Unis ne se borne pas à partager les pouvoirs sur le plan fédéral, c’est-à-dire entre les organes de l’Etat fédéral, mais encore et surtout les répartit entre la jeune confédération et les Etats membres qui la composent. Les pères de la constitution ont ainsi été les premiers à tenter d’obtenir un véritable équilibre entre le pouvoir de la nouvelle fédération et ceux des Etats membres. “The powers delegated by the proposed Constitution to the federal government are few and defined. Those which are to remain in the State governments are numerous and indefinite... The powers reserved to the several States will extend to all the objects which, in the ordinary course of affairs, concern the lives, liberties, and properties of the people, and the internal order, improvement, and prosperity of the State58.”
20416 Cette conception d’une souveraineté partagée a permis aux pères de la constitution américaine de structurer un Etat fédéral qui soit à même d’exercer, envers les Etats membres, des attributions complètement distinctes et qui sont énumérées dans la Constitution. A l’encontre du type européen de fédéralisme, selon lequel les Etats membres sont généralement les exécutants du pouvoir fédéral, les lois fédérales sont aux Etats-Unis appliquées dans les Etats membres par l’Etat fédéral lui-même, c’est-à-dire par son administration et ses tribunaux, tandis que chacun des Etats membres exécute ses propres lois. De la sorte, il y a une séparation complète entre les pouvoirs fédéraux et ceux des Etats membres.
20517 Cette notion d’Etat fédéral, qui a ainsi trouvé sa première réalisation, a, par la suite, influencé les auteurs de maintes constitutions dans le monde, plus encore que ne l’a fait le système présidentiel américain. Très rares sont, toutefois, les constitutions qui ont repris l’idée fondamentale d’une souveraineté véritablement partagée entre l’Etat fédéral et les Etats membres. C’est à tort que de nombreux Etats admettent que la conception d’une absolue souveraineté de l’Etat est incompatible avec le fédéralisme américain.
b) La Confédération suisse
1. La conscience politique des cantons
20618 Lors d’un récent congrès international de gynécologie, l’histoire suivante s’est produite : les gynécologues discutaient de la question de savoir si une grossesse durait normalement 9 mois et cinq jours ou 9 mois et 10 jours exactement. Ils ne parvenaient pas à tomber d’accord lorsqu’un gynécologue suisse se leva subitement et déclara timidement, mais pourtant de façon audible qu’en Suisse cela différait d’un canton à l’autre. Rien ne caractérise mieux l’idée que la Suisse se fait d’elle-même que cette boutade. Dans l’Etat fédéral et fédéraliste que constitue la Suisse, Confédération et cantons se partagent la souveraineté. La légitimité du pouvoir cantonal ne repose pas sur un droit déduit de la Confédération, mais sur une légitimité historique, qui découle également du peuple du canton. La majeure partie des cantons suisses ont une existence séculaire ; ce sont des démocraties qui se sont développées progressivement, et qui au plus fort de la période absolutiste des xviie et xviiie siècles, n’ont pas abandonné tous les droits démocratiques.
1.1. Premiers développements de la démocratie au Moyen Age
20719 Le cours de l’évolution fut toutefois partiellement différent dans les cantons de la campagne et dans ceux dominés par une ville. Les trois cantons primitifs et ruraux d’Uri, de Schwyz et d’Unterwald s’unirent en 1291 afin de sauvegarder, par leur entraide et contre les baillis des Habsbourg, l’immédiateté qui leur avait été accordée sous forme de lettres de franchise. Dans les deux vallées d’Uri et de Schwyz, le comte rendait la justice lors de l’assemblée ouverte à tous les habitants du pays. Le pouvoir souverain était donc déjà lié à l’assemblée populaire. Les paysans de Schwyz n’étaient pas des serfs, mais des hommes libres, propriétaires de leurs terres et regroupés en une sorte de coopérative de marché. Les paysans d’Uri étaient des serfs, mais formaient une coopérative d’„Allmend“ (biens communaux), afin d’exploiter ces biens en commun, notamment les droits de pâture. Les habitants d’Unterwald étaient unis dans des coopératives constituant des sortes de collectivités. L’immédiateté impériale eut pour conséquence de faire fusionner les coopératives de marché et les collectivités judiciaires („Landsgemeinden“) ; ce fut l’origine et le fondement d’un pouvoir populaire très cohérent, placé sous la direction du „Landam-mann“, appelé autrefois „Talammann“, et comprenant un aspect de droit privé (l’exploitation commune du sol) et un autre aspect relevant du droit public (la juridiction).
20820 Le fait que ces confédérés conclurent très tôt des alliances avec Lucerne, Zurich et Berne fut particulièrement heureux pour le développement ultérieur de la jeune Confédération. Les villes étaient nées les unes de coopératives de marché (Lucerne), les autres de la fusion de plusieurs sections ou quartiers (Zurich) ou encore avaient été fondées dans un but de défendre le pays (Berne et Fribourg par les ducs de Zaehringen). Selon l’origine historique, les institutions démocratiques se développèrent diversément dans ces villes.
20921 Les villes de marché et de commerce reçurent le droit de tenir marché et de commercer sous d’autres formes ainsi que d’élever une ceinture de remparts pour se protéger. A ses origines, Zurich était gouvernée par d’anciennes familles liées aux Habsbourg et qui exerçaient leur domination par le biais d’un petit Conseil oligarchique. A la révolution de Brunschen, en 1336, l’ancien Conseil fut remplacé par un nouveau Conseil au sein duquel siégeaient désormais des artisans aux côtés des anciennes familles (Konstafel). Cette innovation ayant déplu aux Habsbourg, Zurich dut chercher de l’aide auprès des Waldstätten, ce qui aboutit à une alliance avec Uri, Schwyz, Unterwald et Lucerne. Pourtant Zurich ne se dota d’une véritable constitution démocratique qu’avec la constitution dite de Waldmannschen. Cette constitution abrogeait les privilèges de la corporation des aristocrates (Konstafel) et mettait celle-ci sur un pied d’égalité avec les corporations des artisans. Le Conseil continuait à être élu par les corporations ; il détenait le pouvoir suprême exercé par un bourgmestre sous le contrôle dudit Conseil.
21022 Contrairement aux villes nées des corporations et dirigées par elles, la ville de Berne fut fondée à des fins militaires et ni les artisans ni les marchands n’y jouaient le rôle qui était le leur à Zurich ou Lucerne59. Le gouvernement de la ville comprenait un maire et le Petit Conseil de 12 membres ainsi que la commune bourgeoise (assemblée communale) « qui élisait chaque année les douze conseillers choisis par les chevaliers et les familles patriciennes60. » En 1294, l’apparition des artisans dans la vie publique de la cité contribua directement à la création de l’institution dite des Seize dont les membres élisaient le Grand Conseil des Deux Cents. Dès lors, les artisans eurent accès tant aux Seize qu’au Grand Conseil des Deux Cents. En revanche, ils ne parvinrent jamais à entrer au Petit Conseil, c’est-à-dire au gouvernement ; les constitutions furent même interdites en 1373. Le particularisme de la ville de Berne tient donc au fait que les artisans n’y eurent jamais aucune importance politique comme tels et que jamais ils ne furent éligibles à l’exécutif ; par conséquent le gouvernement ne se transforma jamais en un régime des corporations, même partiellement, mais son accès resta jusqu’en 1798 le privilège des nobles et des anciennes familles bourgeoises de la ville61.
21123 Tandis que dans les cantons ruraux, le gouvernement, c’est-à-dire le Landammann qui constituait une forme de régime monocratique, restait étroitement lié au peuple en raison de la Landsgemeinde (assemblée des citoyens), les petits Conseils des villes qui, eux, représentaient une forme collégiale de gouvernement avaient tendance à diriger la communauté, en négligeant la population des campagnes qui était soumise aux villes. L’opposition ville-campagne, que l’on ressent encore aujourd’hui à certaines occasions, se révéla pour la première fois comme une conséquence des guerres de Bourgogne. Des villes se liguèrent pour dominer leurs sujets des campagnes, alors que ceux-ci reçurent à nouveau l’appui des cantons ruraux. Ce conflit fut aplani en 1481 par le traité de Stans. Aux termes de cet arrangement, les villes s’engageaient pour la première fois à se venir en aide mutuellement en cas d’insurrection de leurs sujets, tandis que les cantons ruraux renonçaient de leur côté à soulever la population campagnarde des cantons-villes contre leurs maîtres. Partout ailleurs où les ducs allaient chercher l’aide de leur roi ou empereur, les confédérés se protégeaient en s’assurant une aide mutuelle et réciproque contre toute insubordination du peuple. Cette protection ne pouvait être que restreinte. Ainsi, après l’exécution capitale d’Hans Waldmann, le grand bourgmestre de Zurich, les messagers que les cantons ruraux avaient envoyés à Zurich pour arbitrer le conflit entre la ville et sa campagne durent prendre le gouvernement en mains62.
1.2. Eléments principaux de l’ancienne structure de l’Etat
21224 A partir des premiers développements au sein de la Confédération, on peut dégager certains éléments fondamentaux pour la compréhension de la Suisse et de ses formes de l’Etat.
La conscience constitutive d’une communauté politique indépendante s’est d’abord éveillée au sein de petites communautés locales, qui étaient organisées en coopératives et ont arraché leurs lettres de franchise à l’empereur au xiiie siècle.
Toute mise en péril de l’indépendance politique, de la part de l’empire ou de la part du peuple, n’est pas combattue au moyen d’une plus grande centralisation du pouvoir, mais au contraire au moyen d’une commune collaboration confédérale, respectueuse de l’indépendance locale. Le centre politique reste donc auprès des communautés organisées en coopératives. Celles-là se garantissent pourtant une aide réciproque lorsque leur régime politique est menacé de l’intérieur ou de l’extérieur (traité de Stans).
Au sein des petites communautés, le besoin d’accorder des libertés individuelles est relativement restreint, étant donné que leurs membres (libres paysans ou bourgeois) ont une grande influence sur les décisions politiques des communautés. La liberté signifie celle des communautés coopératives, mais non pas la liberté individuelle.
Les assemblées populaires, par exemple celles des communautés des vallées et les assemblées communales dans les villes ont pour origine, d’une part, la participation du peuple à la justice qui était rendue avec son concours et, d’autre part, l’exploitation commune du sol et de ses produits. Au sein de ces petites communautés, on ne pouvait pas discerner une séparation entre l’Etat et la société.
On ne saurait toutefois parler d’un gouvernement du peuple par lui-même au sens de Rousseau, puisque les cantons campagnards étaient dirigés par un „Landammann“ et les cantons-villes par un bourgmestre. En cas de conflit, il fallait toutefois en appeler nécessairement au peuple qui était alors dernière et suprême instance.
La séparation entre affaires temporelles et spirituelles fut progressive sous l’effet d’une relève de la juridiction ecclésiastique par le bras séculier (Charte des prêtres) ; cette évolution refoula les immixtions de l’Eglise dans les affaires intérieures des communautés locales.
1.3. Détachement de l’Empire et Réforme
21325 Vers la fin du xve siècle, les Confédérés s’étaient à tel point détachés spirituellement et politiquement de l’Empire romain-germanique que la séparation formelle n’était plus qu’une question de temps. Jusqu’aux guerres de Souabe, les Confédérés durent toutefois continuer à payer des impôts impériaux en tant que sujets de l’Empire ; ils devaient aussi faire du service militaire pour l’Empereur et se soumettre à la juridiction impériale suprême.
214Lorsque l’Empereur tenta par la réforme impériale de Worms de réunifier son empire déjà bien morcelle, les Confédérés n’étaient plus disposés à accepter des réformes telles que le „Reichskammergericht“ (tribunal impérial) ou l’impôt impérial. A l’occasion des guerres de Souabe suivies de la paix de Bâle le 22 septembre 1499, les Confédérés obtinrent leur indépendance de l’Empire, mais celle-ci ne fut formellement confirmée que par la paix de Westphalie.
21526 La séparation de l’Empire survint peu de temps avant la Réforme. Celle-ci eut pour conséquence de créer entre les cantons qui devinrent protestants et ceux qui restèrent catholiques une césure qui persista plusieurs siècles durant. A rencontre de ce qui se passait en Allemagne, la Réformation conduite à Zurich par Ulrich Zwingli (1484-1531) et à Genève par Jean Calvin (1509-1564) ne se bornait pas à une nouvelle compréhension du rôle de l’Eglise, mais encore à une nouvelle conception de l’Etat, comparable à ce qui se passait en Angleterre. L’Eglise et l’Etat devinrent étroitement liés et l’Etat subordonné à l’Eglise (Genève) ou, au contraire, l’Eglise à l’Etat (Zurich). L’Eglise fut donc dotée de structures démocratiques (Zurich) ou oligarchiques (Genève) ; plus tard, ces structures trouveront leur fondement institutionnel dans la forme prise par l’Eglise nationale. Cependant, les cantons catholiques ne partagaient pas cette nouvelle prise de conscience de la souveraineté par les cantons protestants. En effet, ils ne pouvaient accepter l’idée d’une souveraineté absolue de l’Etat dans les domaines temporel et spirituel ; cette divergence s’est en partie maintenue jusqu’à nos jours et elle est perceptible dans la conception et la conscience de l’Etat qu’on rencontre dans les différents cantons.
1.4. Structure de l’Etat au xviiie siècle
21627 La Réforme, les guerres de religion entre les cantons, les premiers soulèvements des paysans (révoltes sociales) et les tentatives d’absolutisme dans l’exercice du pouvoir apportèrent des changements fondamentaux en Suisse également. La Réformation avait à vrai dire des buts démocratiques, mais conduisit à un processus d’absolutisme étatique par une nouvelle conjonction des impératifs temporels et spirituels. L’influence des régimes autoritaires des pays voisins dans lesquels les Confédérés faisaient leur service militaire, ainsi que le pouvoir croissant d’un petit nombre de familles patriciennes enrichies par les bénéfices des biens de l’Eglise et qui entretenaient chacune un régiment, tout cela finit par aboutir à des formes de pouvoir oligarchiques et à une aliénation du gouvernement et du peuple. Les limitations apportées aux droits civiques selon les critères des biens fonciers et du lignage ainsi que l’isolement croissant des corporations et de l’aristocratie excluaient un nombre toujours plus élevé d’habitants de la jouissance des droits démocratiques, notamment à Berne.
21728 Alors que jusqu’à la Réforme, le gouvernement avait l’obligation de consulter ses sujets dans les affaires importantes, ces « consultations populaires » tombèrent en désuétude et ces droits furent de plus en plus restreints. Ils subsistèrent toutefois çà et là jusque vers la fin du xviiie siècle. A titre d’exemple, on relèvera qu’en 1763 une „Landsgemeinde“ du canton de Schwyz a condamné l’épouse du Général de Reding, alors au service du Roi de France, à payer une amende d’un taler à chacun des membres de la Landsgemeinde parce que, malgré l’interdiction prononcée par cette assemblée, le général avait continué à recruter des soldats pour le service étranger en France. « Un débat fut ouvert et il y eut de nombreuses propositions ; les uns pensèrent qu’il fallait soumettre l’affaire à l’autorité judiciaire, d’autres suggérèrent d’attendre jusqu’à la Landsgmeinde du mois de mai ; d’autres encore estimèrent qu’il fallait condamner l’épouse à payer une amende d’un demi ou d’un taler ou bien, dans ce même ordre d’idées, la condamner à verser un jeton de présence d’un Krontaler à chacun des participants à la Landsgemeinde. Finalement, une majorité se trouva pour décider que Madame la Générale devait être condamnée à cause de cette infraction à verser une indemnité d’un taler à chaque membre de la Landsgemeinde63. »
21829 Vers la fin du xviiie siècle, la Confédération, déchirée par des querelles intestines et en proie aux intrigues des puissances étrangères, n’était plus en mesure de résister aux assauts des armées révolutionnaires de la France. Sous le règne de Napoléon, commença alors une nouvelle ère incarnée dans des institutions politiques qui, au terme de démêlés, d’affrontements et de troubles sans fin, complétèrent au xixe siècle, par des idées nouvelles, les vues traditionnelles des cantons en matière de politique. Mais d’où les cantons tenaient-ils cette conception de la conduite de la politique qui s’est développée jusqu’à la fin du xviie siècle ?
21930 A mes yeux, l’élément décisif tient au fait qu’à rencontre de l’Angleterre du xviie siècle par exemple, on ne peut pas parler d’une séparation des pouvoirs au sein de la Confédération. Tant les fonctions que le pouvoir politique restaient unis en un seul organe qui pourtant exerçait ses attributions à divers titres et dans des instances différentes. En tant qu’autorité suprême, l’assemblée populaire exerçait sa compétence judiciaire, législative et exécutive. Elle élisait le Landammann qu’elle pouvait ensuite ne pas réélire. De son côté, le Landammann exerçait des attributions au nom de la Landsgemeinde et devait consulter celle-ci lorsqu’il fallait prendre des décisions importantes. On ne peut donc pas parler d’une séparation des pouvoirs entre Landsgemeinde et Landammann ; il est plus juste de parler de hiérarchie des instances. Les conflits que le Landammann ne pouvait aplanir étaient également portés à la connaissance de la Landsgemeinde souveraine. Ainsi, en 1655, la Landsgemeinde de Schwyz déclara qu’elle se refusait à accepter le droit fédéral parce qu’hormis Dieu seul, elle ne reconnaissait personne comme supérieur à elle-même64. Dans les cantons-villes, on trouve une semblable organisation de l’Etat. Toutefois, ce furent dans ces cantons urbains que se formèrent les premiers organes collégiaux, à savoir les Petits et les Grands Conseils.
2. La fondation de l’Etat fédéral
2.1. La France et Napoléon
22031 La Confédération déchirée fut bousculée par les soldats français à la fin du xviiie siècle et, le 12 avril 1798, elle fut dotée d’une nouvelle constitution républicaine faisant sans ambages un Etat unitaire de l’ancienne ligue de petits Etats, caractérisée par des liens fort lâches et une grande diversité65. A la longue, cette unité artificielle et contrainte n’avait aucune chance de perdurer, compte tenu des nombreuses entités locales dont la Confédération était composée. Très rapidement, de nouveaux projets de constitution circulèrent jusqu’à ce que Napoléon édicte, en 1803, l’Acte de médiation par lequel il concédait des droits plus nombreux et plus étendus aux cantons. Le rêve d’une Confédération uniforme et homogène prit toutefois fin avec la chute de Napoléon. Le 7 aôut 1815, les 22 cantons souverains conclurent à nouveau un pacte fédéral les regroupant en une confédération d’Etats au sein de laquelle ils juraient de défendre en commun leur liberté contre l’ennemi extérieur et de protéger les droits des cantons à l’intérieur. Grâce à ce Pacte fédéral, les anciennes familles patriciennes ou dirigeantes parvinrent à rétablir leurs anciens droits et privilèges dans divers cantons.
22132 Ce n’est qu’à la suite de la Révolution française de 1830 que s’imposa en Suisse l’idée d’un Etat libéral, démocratique et reposant sur la séparation des pouvoirs ; cela fut sensible dans certains cantons et à Zurich notamment. Les mouvements libéraux et démocratiques furent les promoteurs d’une réalisation des idées libérales et démocratiques dans l’ensemble de la Suisse et ils voulaient y parvenir, dans les cantons conservateurs également, par le biais d’un Etat unitaire. Cependant leur succès ne fut que partiel lors de l’adoption, par le peuple et les cantons, de la nouvelle constitution fédérale de 1848 qui fondait l’Etat fédéral. En effet, tant la constitution de 1848 que celle de 1874, en vigueur aujourd’hui encore, débutent en ces termes : « Les peuples des vingt-deux cantons souverains de la Suisse, unis par la présente alliance... » (le vingt-troisième canton, celui du Jura, est entré dans la Confédération le 1er janvier 1979).
2.2. Partage de la souveraineté entre la Confédération et les cantons
22233 Comme par le passé, la souveraineté de la Suisse est partagée entre la Confédération et les cantons. Aujourd’hui encore, la Confédération a pour tâche de soutenir la démocratie des communautés cantonales. La légitimité du pouvoir des cantons repose, comme autrefois, sur les cantons eux-mêmes et ne découle pas de la Confédération. Pourquoi la pensée et la mentalité fédéralistes ont-elles pu rester vivantes en Suisse et pourquoi le fédéralisme suisse a-t-il résisté plus ou moins victorieusement à la centralisation croissante et à la concentration économique qui caractérisent l’Etat social contemporain ?
22334 A mon avis, la raison principale de cette persistance tient au fait que les cantons ou, à tout le moins, la majeure partie d’entre eux furent toujours des communautés démocratiques avec lesquelles les citoyens pouvaient et peuvent encore trouver à s’identifier. En Suisse, le fédéralisme est très étroitement lié à la démocratie cantonale, à la conscience historique, au caractère d’Etat propre à chaque canton ainsi qu’à l’autogestion démocratique des communes. Au sein de son canton et de sa commune, l’individu a de plus fortes chances de faire respecter ses intérêts que sur le plan fédéral. Dans le canton, le citoyen connaît les députés au Grand Conseil ; il a peut-être des relations d’amitié, de parenté ou d’affaires avec l’un ou l’autre membre du gouvernement cantonal. Celui-ci est encore beaucoup plus proche du peuple que le sont les Conseillers fédéraux. Toutefois, dans une petite démocratie de type fédéraliste, les minorités ont fréquemment peu de chances de faire triompher leurs intérêts face à la majorité. C’est pourquoi certaines minorités de divers cantons (p. ex. le parti socialiste) cherchent souvent à lutter, par le biais d’une politique fédérale commune, contre la politique discriminatoire des cantons.
22435 Le fédéralisme conduit également à une « débureaucratisation » et à une humanisation de l’Etat. Dans maints cantons, les citoyens exercent encore une influence directe, par exemple sur la politique scolaire. Ils sont, en effet, éligibles au sein des conseils d’école et élisent même le corps enseignant. L’administration scolaire ne peut donc pas se permettre d’imposer sa volonté du haut de son piédestal ; elle doit pouvoir prendre appui sur les citoyens et jouir de leur confiance. Celle-ci ne lui sera accordée que si elle comprend les particularités et les besoins des citoyens de la commune en question. Il y a cependant le danger de voir de petites corporations ou communautés politiques tomber plus facilement que la Confédération dans la sphère d’influence de milieux privés fort puissants et de se laisser manipuler à leur profit.
22536 Depuis 1874, les cantons ont fort longtemps délégué l’accomplissement de nouvelles tâches à la Confédération, manifestant ainsi leur accord tacite pour une centralisation croissante. Aujourd’hui, en revanche, les courants fédéralistes se défendent de plus en plus contre la centralisation et revendiquent une redistribution des tâches de la Confédération aux cantons. Pour ces milieux fédéralistes, l’Etat central, qui leur est étranger et impénétrable, ressemble à un Léviathan qui menace d’étouffer l’indépendance cantonale. Ils cherchent donc à résoudre les grands problèmes et à surmonter les crises par un repli sur un champ d’actions plus réduit, mieux discernable et où ils se sentent plus à l’aise. Pourtant, les petits cantons perdent souvent de vue que si leur grande autonomie les rend certes encore plus indépendants de la Confédération, elle ne fait en revanche qu’accroître leur dépendance vis-à-vis des grands cantons économiquement forts.
2.3. Partage et séparation des pouvoirs dans la Confédération
22637 Alors que la conception d’une souveraineté partagée entre la Confédération et les cantons a pu s’imposer, la conception d’une souveraineté partagée entre les organes de la Confédération ne s’est réalisée que partiellement, ce à l’encontre de la situation aux Etats-Unis. L’attribution de mêmes compétences aux deux chambres du parlement est comparable au partage américain des pouvoirs, lui-même repris de l’Angleterre. Le Conseil national (chambre du peuple) et le Conseil des Etats (chambre des représentants des cantons) ont les mêmes fonctions et attributions, mais restreignent chacun le pouvoir de l’autre.
22738 L’organisation du pouvoir fédéral n’a pas seulement subi l’influence de la constitution américaine, mais encore celle de la constitution helvétique dont l’existence fut brève. Cette constitution reprenait le modèle d’une séparation fonctionnelle des pouvoirs qui s’inspirait de Montesquieu66.
22839 Selon ce modèle, les trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) sont séparés, tant fonctionnellement que par rapport aux personnes qui les détiennent. Contrairement à ce qui se passe dans un régime parlementaire, en Suisse, il n’est pas possible de déposer l’exécutif par un vote de défiance. L’Assemblée fédérale a uniquement le droit de réélire ou non les membres du Conseil fédéral (l’exécutif) au terme de leur mandat. Tandis que les Etats-Unis ont confié à un président le pouvoir suprême en matière d’exécution, la constitution a adopté le système d’un directoire collégial qui n’avait pu s’imposer en France sous la constitution révolutionnaire qui a régi ce pays de 1795 à 1799, mais qui, par le biais de la République helvétique, s’est révélé compatible avec la mentalité suisse. Les tentatives d’instaurer sur le plan fédéral un système présidentiel, analogue à celui des gouvernements de certains cantons qui sont dirigés par un Landammann, ont finalement échoué à cause du fédéralisme. Les cantons ne pouvaient pas admettre qu’un „Landammann“ réunisse dans l’exercice de ses fonctions tous les pouvoirs exécutifs de la Confédération. Ils voulaient aussi être représentés dans l’exécutif, même si cette représentation est limitée et n’est pas comparable à leur présence au sein du pouvoir législatif de la Confédération. De surcroît, on trouvait déjà des exemples parlant en faveur d’un exécutif collégial dans les petits conseils des cantons villes, dirigés par un Président.
2.4. Extension des droits populaires
22940 Selon la constitution de 1848, le système gouvernemental tenait encore largement d’une démocratie parlementaire. Pourtant, des éléments de démocratie directe de plus en plus nombreux s’imposèrent progressivement, sur le plan fédéral également. En 1874, le référendum fut introduit ; en 1891, ce fut le tour de l’initiative pour la révision partielle de la constitution et, en 1918, le référendum concernant les traités d’Etat. Celui-ci a été encore étendu en 1977. Enfin, l’introduction en 1918 des élections au système proportionnel a revêtu une importance cruciale. L’idée d’une représentation proportionnelle au parlement et, plus tard, au gouvernement, dans l’administration, et dans le pouvoir judiciaire, en un mot au sein de toutes les autorités, a fait son chemin et se retrouve aujourd’hui dans l’ensemble de la Confédération. La représentation proportionnelle systématique est pourtant contraire au principe pur et simple de la décision majoritaire à laquelle la minorité doit se soumettre. Elle vise pourtant à garantir à tous les échelons un compromis qui tienne compte du plus grand nombre d’intérêts possible et permette aux milieux populaires engagés dans l’action politique d’influer sur les décisions. De la sorte, le système proportionnel montre aussi qu’en Suisse la démocratie n’est pas en premier lieu une domination de la majorité, mais encore qu’elle est largement comprise comme faculté d’autodétermination. Le principe de la représentation proportionnelle est une incitation à rechercher autant que faire se peut une décision unanime.
23041 D’autres tendances à la démocratisation ont été repoussées par le peuple, par exemple l’élection du Conseil fédéral par le peuple, le référendum financier et l’initiative législative. La tendance à l’extension de la démocratie directe, qui persiste depuis 1848, n’est pourtant pas en régression, malgré certains votes négatifs du peuple. Pour s’en convaincre, il suffit de songer à l’extension du référendum auquel les traités internationaux sont soumis ainsi qu’aux nombreuses initiatives récentes visant à résoudre les grands problèmes politiques de l’époque (centrales nucléaires, construction des routes nationales) par le biais d’une extension des droits populaires.
3. Principaux éléments de la souveraineté populaire en Suisse
3.1. Séparation des pouvoirs
23142 Quels sont donc les éléments principaux du système suisse de gouvernement, comparativement à d’autres régimes ? Ce qui est décisif, c’est bien qu’à rencontre des démocraties parlementaires, le parlement suisse ne détient pas le pouvoir absolu et souverain. L’Assemblée fédérale, comme autorité suprême, est certes mentionnée à l’article 71 est sous réserve des droits du peuple et des cantons, mais avec cette réserve précisément. Simultanément l’article 95 est désigne le Conseil fédéral comme autorité directoriale et exécutive supérieure de la Confédération.
3.2. Droits populaires
23243 En plus du partage entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, les droits populaires constituent un caractère distinctif de première importance. Tandis que dans la démocratie parlementaire, le peuple donne aussi aux partis, lors des élections, le mandat de gouverner dans le sens du programme politique que ces partis représentent, dans le système suisse, le parlement et le gouvernement tiennent leur mandat politique moins de leur élection que des mandats constitutionnels, eux-mêmes adoptés par le peuple.
23344 Compte tenu de la souveraineté limitée du parlement, l’exécutif pourrait donc accroître son pouvoir face au législatif. Une telle plus-value d’autorité est cependant contraire au principe de la collégialité. Le peuple tient à ce que ses opinions soient représentées non seulement au parlement, mais encore au gouvernement. La collégialité empêche un membre de l’exécutif de s’arroger un pouvoir excessif et unilatéral dans l’exercice de ses attributions. Pour remplir son mandat gouvernemental, l’exécutif doit sans cesse chercher à s’appuyer sur un mandat constitutionnel ou légal conféré par le peuple. A défaut d’un tel mandat, le gouvernement doit faire alors des propositions pour modifier les lois ou la constitution (les « grandes lignes du Conseil fédéral pour la législature » ne sont pas comparables au programme gouvernemental d’une démocratie parlementaire). En Suisse, le gouvernement doit donc toujours trouver dans le peuple la majorité nécessaire à l’aboutissement de son projet. Dans ces conditions, le Conseil fédéral est obligé d’élaborer dès le début des projets qui prennent en considération les divers intérêts qui prévalent au sein de la population, faute de quoi le gouvernement n’obtiendra pas la majorité. Souvent, ces intérêts ne sont pas entièrement contradictoires, ce qui permet de prendre en compte en une seule fois plusieurs sortes d’intérêts. En cas de conflit, il faut alors trouver des compromis pragmatiques.
23445 Il est très difficile de réunir la majorité nécessaire lorsqu’il s’agit d’intérêts qui ne profitent directement qu’à une minorité seulement (p. ex. les hautes écoles et universités) ; il en va de même lorsqu’il s’agit d’intérêts qui ne sont pas du tout représentés par des citoyens qui votent ; c’est du reste la raison pour laquelle il fut si difficile – et est encore si difficile dans un ou deux cantons – de convaincre les hommes de la nécessité d’accorder le droit de vote aux femmes. Il est également difficile de gagner le peuple à l’idée de l’aide au tiers monde ou encore à celle de l’adhésion de la Suisse aux Nations Unies.
23546 Le parlement et le gouvernement ne sont toutefois pas seulement dépendants des élections et de mandats populaires ; ils doivent aussi obtenir l’adhésion du peuple en matière de recettes, c’est-à-dire d’impôts. S’ils ne parviennent pas à persuader la majorité des citoyens de la capacité de l’Etat et de son administration, le peuple mettra son veto. Ce n’est qu’à la condition que la majorité des citoyens aient la certitude que l’administration publique leur fournit une contreprestation correspondant aux impôts qu’ils paient, qu’ils accepteront par leur vote une augmentation des impôts.
3.3. Le peuple, autorité suprême, mais non point autorité gouvernementale
23647 Le système suisse de gouvernement ne constitue pas un régime de pouvoir populaire pur et simple. En effet, le peuple ne gouverne pas. Il est uniquement autorité suprême comme l’étaient autrefois l’assemblée judiciaire puis la Landsgemeinde qui donnaient ou refusaient un mandat gouvernemental quant à la personne, à l’objet ou au financement. En Suisse, tous les organes concourent à gouverner : le peuple, le parlement, le Conseil fédéral et le Tribunal fédéral. Dans les limites de cette légitimation supervisée par le peuple, l’exécutif peut toutefois compter sur un large soutien spontané de la population pour ce qui est de l’exécution des lois. Une légitimité renforcée facilite l’application des lois.
23748 Ce qui précède a également des répercussions notables sur la position des partis. Ceux-ci ne sont pas porteurs d’un mandat gouvernemental particulier, comme c’est le cas des partis au sein d’une démocratie parlementaire. En Suisse, les partis sont des groupements qui exercent au parlement – dans le cadre du mandat populaire exprimé dans des dispositions constitutionnelles – un pouvoir législatif limité et qui, au besoin, aident l’exécutif à trouver la majorité nécessaire dans le peuple, ou, s’ils font partie de l’opposition, indiquent au gouvernement les motifs d’insatisfaction dans le peuple. Le gouvernement n’est donc pas porté par une majorité parlementaire, mais son assise n’est autre que son mandat constitutionnel, légal et financier.
23849 En Suisse, une séparation entre majorité gouvernementale et opposition au sens de la démocratie parlementaire n’aurait guère de sens, étant donné que l’exécutif peut sans cesse intégrer à sa politique des suggestions émanant de l’opposition, afin d’obtenir ou de conserver le mandat qu’il détient par la volonté populaire. De son côté, l’opposition peut aussi contraindre le gouvernement en usant des moyens d’action qui sont ceux de la démocratie directe. Une fois que le peuple a donné son approbation à un projet de l’exécutif, l’opposition a toutefois perdu – à tout le moins provisoirement – la base de sa politique dans l’affaire en question. Elle devra donc chercher de nouvelles possibilités si elle veut réaliser ce qui lui tient à cœur puisqu’il est bien difficile, voire vain de s’opposer à la volonté populaire. Il s’ensuit un amenuisement du pouvoir des partis dont les tâches sont dès lors plus fortement axées sur la politique personnelle que sur celle qui aborde les grands problèmes concrets.
23950 Lorsque les citoyens veulent exercer une influence sur les affaires, ils n’ont pas besoin de le faire par l’intermédiaire des partis. Ils peuvent aussi faire entendre leur voix en formant p. ex. un comité référendaire ou en passant par des associations hors partis ou interpartis ou encore par des organisations économiques. Ils ont à leur disposition, selon les cas, le lancement d’une initiative constitutionnelle ou la demande de référendum.
24051 Le partage et la répartition du pouvoir entre le peuple, le parlement et le gouvernement sont donc en harmonie avec la tradition suisse ; en revanche, la conception d’une séparation horizontale du pouvoir entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire s’est imposée plus difficilement. C’est avant tout le peuple, dernière instance et autorité suprême, qui ne voulait pas renoncer à son droit d’être précisément autorité de dernière instance dans toutes les affaires ou presque. Ce n’est donc pas par hasard que les cantons qui ont conservé l’institution presque millénaire de la Landsgemeinde (cette assemblée populaire avait autrefois également des attributions judiciaires) n’ont encore guère introduit ni appliqué la séparation des pouvoirs. Il n’est pas non plus étonnant que l’idée d’un contrôle des actes de l’exécutif par un tribunal constitutionnel n’ait pu, hormis dans le demi canton de Bâle-ville, s’imposer que sur le plan fédéral d’abord et ensuite seulement sur le plan cantonal dans certains cantons.
24152 Malgré la large assise populaire dont bénéficie le pouvoir gouvernemental, il subsiste en maints endroits une certaine attitude patriarcale de l’exécutif. Celui-ci doit rester au-dessus des querelles partisanes et sauvegarder les intérêts du bien commun. Dans ce contexte, il ne faut toutefois jamais perdre de vue que la légitimité du gouvernement n’a jamais découlé, en Suisse, d’un roi sacré par la grâce de Dieu, alors qu’il en était ainsi dans la plupart des pays européens. La légitimité du pouvoir oligarchique a toujours résidé dans le peuple. Celui-ci était pourtant conscient de sa souveraineté limitée et – dans les cantons catholiques – liée à Dieu. Cela a permis de conserver des pouvoirs publics différenciés, structurés et empêché la centralisation et la concentration de la souveraineté de l’Etat en un seul et unique organe.
24253 Aujourd’hui, cette souveraineté ou légitimité populaire est particulièrement sensible en matière fiscale. Sur le plan fédéral et dans la plupart des cantons, la perception de nouveaux impôts et, souvent, les augmentations d’impôt dépendent de l’approbation du peuple. Ce qui, dans d’autres pays, est de la compétence du parlement, fait en Suisse partie des attributions populaires. Il s’ensuit que le gouvernement et le parlement doivent défendre leur projet et justifier leurs prestations en faveur du peuple s’ils veulent gagner son adhésion. Le parlement ne peut donc s’isoler de la population et imposer de nouvelles recettes pour financer ses propres intérêts ; il est, lui aussi, soumis au même contrôle populaire que l’exécutif. En réalité, un tel système empêche de succomber aux utopies, car les prestations de l’Etat doivent être tangibles pour les citoyens, si l’on veut que ceux-ci votent les impôts correspondants.
4. Problèmes de la démocratie
24354 Il ne convient pourtant pas de passer sous silence les carences du partage de la souveraineté. Compte tenu du nombre croissant de problèmes qui restent sans solution, le système décrit ci-avant risque de conduire à une paralysie interne de l’Etat. En effet, le citoyen a le sentiment que le gouvernement se joue de lui ; il se résigne et s’abstient d’aller voter. De son côté, l’exécutif se sent de plus en plus abandonné par le peuple, notamment à cause des votes populaires dont l’issue est souvent négative ; le gouvernement se sent donc paralysé dans l’accomplissement de sa tâche.
244Le parlement tente, par de modestes réformes, d’accroître l’efficacité de ses activités, afin de conserver, voire d’augmenter son influence sur les affaires gouvernementales. Pour leur part, les cantons se défendent contre la multiplication de leurs tâches d’exécution et refusent d’être réduits à un rôle de simple support de l’autorité fédérale. Quant aux partis, ils s’efforcent résolument de donner une meilleure image d’eux-mêmes aux citoyens, puisque ceux-ci les désavouent souvent lors des votations populaires.
24555 En réalité, le régime de la souveraineté partagée n’est viable que pour autant qu’il existe encore, dans l’ensemble du pays, un minimum de solidarité et à condition également que les autorités et pouvoirs politiques soient disposés à un minimum de collaboration. Faute de cela, il est aisé de prendre le contrôle de ces pouvoirs limités en raison de leur partage et de les utiliser pour promouvoir des intérêts particuliers.
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§ 23 La souveraineté des pouvoirs extérieurs à l’Etat
2881 Dans bon nombre d’Etats révolutionnaires modernes, il est difficile de déterminer qui détient effectivement le pouvoir. Il y est, en effet, fréquent que le gouvernement ne puisse décider de façon autonome, c’est-à-dire en dernière instance, tandis que les parlementaires sont soumis à un pouvoir extérieur au parlement et que les tribunaux, qui sont formellement indépendants, sont à vrai dire et en réalité au service d’un pouvoir « extraétatique ». Dans ces conditions, les organes de l’Etat ne sont plus qu’une façade, destinée à faire illusion sur la légitimité d’un pouvoir rationnel de l’Etat. Toutefois, ces organes ont été dépouillés de leur souveraineté propre. Celle-ci est dès lors exercée par des autorités ou pouvoirs extérieurs à l’Etat. Des développements de ce genre se sont retrouvés tout récemment encore dans différentes révolutions, p.ex. en Ethiopie et en Iran.
2892 Dans certains cas, le fondement théorique de cette conception de l’Etat n’est autre que la doctrine marxiste-léniniste. Selon celle-ci, l’Etat est le produit de la domination d’une ou plusieurs classes et il doit, en fin de compte, disparaître pour être remplacé par une société sans classes. Cela n’est toutefois réalisable que par la force et la violence sous la direction du parti communiste. Durant la phase transitoire, le parti communiste doit donc servir les organes classiques de l’Etat et se servir d’eux afin de détruire l’ancien Etat fondé sur une société de classes.
2903 Les pouvoirs « extra-étatiques » ne jouent toutefois pas uniquement un rôle crucial dans les seuls pays socialistes, mais encore jouent-ils ce rôle de support de la souveraineté dans les Etats théocratiques. Là également, ils font appliquer le pouvoir de l’Etat par ses organes classiques (gouvernement, parlement, tribunaux). Le contrôle de ce pouvoir incombe cependant à des puissances extérieures à l’Etat et dénuées de légitimité rationnelle.
a) La souveraineté du parti
1. Le développement de la souveraineté du parti
2914 Tandis que, dans bien des Etats européens, la démocratie s’est progressivement développée à partir d’une bourgeoisie toujours plus nombreuse et plus forte économiquement, les démocraties des pays communistes ont presque exclusivement pour origine des mouvements révolutionnaires ou, à tout le moins, elles s’expliquent par des conflits armés entre ou au sein d’Etats à régime féodal. En Russie surtout, pays où est né le communisme, il n’y avait pas de bourgeoisie qui, en raison de sa liberté économique, aurait pu acquérir un certain pouvoir. En revanche, la noblesse, placée sous la puissante dictature des Tsars, était vouée à exploiter les paysans et les serfs.
2925 Les mouvements démocratiques étaient avant tout le fait d’intellectuels qui n’incarnaient, toutefois, aucun pouvoir politique. Comment donc parvenir à modifier la situation dans un tel pays ? Lorsque des réformes ne peuvent pas bénéficier du soutien d’une classe politiquement puissante, elles ne peuvent finalement s’imposer, face à une administration forte et à une noblesse imbue de ses privilèges, que par le recours aux affrontements et à la violence. Une telle épreuve de force doit alors être conduite avec fermeté et détermination ; ses organisateurs ne doivent pas non plus reculer devant l’emploi de la terreur pour détruire les liens entre les hommes afin de les rendre plus maniables.
2936 La révolution russe est un exemple classique du processus décrit ci-avant. Son modèle fut certainement la révolution française au cours de laquelle la monarchie fut d’abord contrainte par un parti modéré, appelé les Girondins, d’abandonner ses droits et privilèges à une assemblée nationale élue par le peuple. Les Jacobins, partisans d’une politique beaucoup plus radicale, ne furent pas d’accord et s’acharnèrent jusqu’à ce qu’ils parvinsent, en 1792, à défaire la Gironde et à établir une République sans roi. La bourgeoisie était alors trop peu puissante et le groupe d’idéalistes modérés qui était issu d’elle n’eut pas assez de consistance politique pour prendre en mains les rênes du pays. En revanche, les Jacobins intimidèrent le peuple par la fameuse Terreur et purent ainsi établir leur régime dominateur.
2. La conception marxiste de la souveraineté du parti
2947 Les communistes ont tiré de précieux enseignements de la Révolution française. C’est avant tout autre Lenine, leur père spirituel et organisateur, qui discerna très vite que, dans l’intérêt même du communisme, seule la direction du parti communiste pouvait gagner la révolution russe à l’idéal constitué par la réalisation intégrale de la dictature du prolétariat. En 1906, Lenine écrivait déjà à propos de cette dictature : « La dictature signifie un pouvoir illimité, s’appuyant non pas sur la loi, mais sur la force67. » Lenine savait pertinemment que le prolétariat ne peut être libéré sans détruire du même coup l’appareil d’Etat mis en place par les bourgeois et que, le but final, à savoir la mort de l’Etat, n’était atteignable qu’au terme d’une période transitoire. A rencontre de la pensée anarchiste (p. ex. Michael Bakunine, 1814-1876), Lenine est d’avis que la transition à un ordre social réellement démocratique et imprégné de communisme ne peut s’opérer qu’avec l’aide d’un Etat dirigé par une stricte dictature.
2958 « Afin de réprimer la résistance des exploiteurs, il faut, durant une période de transition dont la durée n’est pas déterminable, établir une dictature du prolétariat qui, à la différence de toutes les formes d’Etat connues jusqu’à présent, sera une dictature de l’immense majorité de la société sur les classes encore possédantes68. » Qui représente et dirige cette majorité ? Tout d’abord, Lenine ne s’en est guère préoccupé. Ce n’est que plus tard qu’il souligne explicitement que le parti doit diriger le prolétariat et que la dictature du prolétariat est une dictature du parti. « Il est impossible d’exercer la dictature du prolétariat par l’intermédiaire de l’organisation qui le groupe tout entier… Seule le peut l’avant-garde qui a absorbé l’énergie révolutionnaire de la classe69. »
2969 Alors que les idéologues communistes tels que Marx, Bakunine, Proudhon, Lassalle, ainsi que Lenine et Léon Trotski (1879-1940) étaient partisans des libertés individuelles tant qu’ils étaient minoritaires (p. ex. Marx écrivit beaucoup dans sa jeunesse pour s’opposer aux lois allemandes sur la censure), la situation changea du tout au tout après la révolution et la prise du pouvoir : « Nous avons déjà déclaré que nous interdirions les journaux bourgeois, si nous prenions le pouvoir en main. Tolérer l’existence de ces journaux, c’est renâcler au socialisme70. »
29710 « ... Nous ne nous laisserons pas duper par des mots d’ordre aussi agréables à l’oreille que la liberté, l’égalité et la volonté de la majorité... Nous disons à tous ceux qui, à l’heure où les choses en sont arrivées au renversement du pouvoir du capital dans la monde entier... à tous ceux qui, dans cette phase politique, utilisent le mot de “liberté” en général et qui, au nom de cette liberté, marchent contre la dictature du prolétariat : ceux-là aident les exploiteurs et rien de plus, ils sont leurs partisans, car si la liberté n’est pas subordonnée aux intérêts de l’émancipation du travail de l’oppression du capital, elle est duperie71... »
29811 De même, il n’y a pas à chercher une séparation des pouvoirs dans un Etat communiste. Les lois, les décrets et les arrêts sont au service de la dictature du prolétariat. « Le tribunal ne doit pas éliminer la terreur... il faut la justifier et la légitimer sur le plan des principes, clairement, sans fausseté et sans fard72. »
29912 Comme Lenine, Trotski n’hésite pas à se prononcer pour une dictature de la force, fidèle en cela à la devise „wenn schon Krieg, dann Krieg“. D’après lui, la Commune de Paris a perdu la partie parce qu’elle reposait sur un humanisme d’ordre sentimental et que « tant et si bien que la dictature des Soviets n’est devenue possible que grâce à la dictature du parti73. » « En ce qui nous concerne, nous ne nous sommes jamais préoccupés du discours clérical d’un Kant et des radotages sectaires des Quakers sur la sainteté de la vie humaine74. »
30013 Contrairement à Lenine, Trotzki a répondu à l’inévitable question de savoir quel est le bon parti auquel il incombe de réaliser la révolution. « Cet argument est dicté par une conception purement libérale du cours de la révolution. A une époque où toutes les oppositions se manifestent ouvertement et où le combat politique dégénère rapidement en guerre civile, le parti dominant dispose d’un nombre suffisant de critères matériels pour réexaminer la direction prise, même indépendamment de la publication des feuilles prônant le menschévisme ou socialisme modéré. Noske combat les communistes mais ceux-ci croissent en nombre et en force. Nous avons opprimé les “menchéviques” et les sociaux-révolutionnaires et ils ont perdu toute subsistance. Ce critère nous suffit75. »
30114 Parallèlement à cette ligne communiste dure, nous trouvons également des adeptes d’un communisme plus humain. En tant qu’adversaire résolu de toute forme d’Etat, Bakunine se prononce logiquement pour la mort de l’Etat et la réalisation du but final, c’est-à-dire le biais d’un Etat transitoire. « Une société libérée de l’Etat et des privilèges ne sera pas seulement meilleure ; elle sera également la seule en harmonie avec la nature humaine et les lois générales de la vie qui est elle-même spontanée et créatrice et ne tolère aucune restriction. L’anarchie est non seulement un idéal ; elle est aussi la réalisation de la détermination naturelle de l’homme... Il ne faut pourtant pas contraindre le peuple à épouser un tel idéal ; celui-ci sommeille déjà dans l’âme populaire ; le peuple n’a pas besoin de maîtres pour lui enseigner cet idéal, mais de révolutionnaires qui le tirent de sa léthargie76. » Pour cet auteur, la disparition de l’Etat ne signifie pourtant nullement la suppression de la collaboration des hommes et celle de toutes les formes de collaboration. Selon Kolakowski77, cette disparition aboutit uniquement à une situation dans laquelle toute décision serait prise de bas en haut par le biais de petites communes (communautés) totalement autonomes, chacune jouissant d’une liberté absolue.
30215 Celui qui désire connaître dans quelle mesure ces conceptions remontent à Marx doit savoir que Marx lui-même avait une relation très ambivalente avec l’Etat. En effet, il rejette nécessairement l’Etat allemand de son époque. Il s’oppose également à la conception d’Hegel, c’est-à-dire à la valorisation excessive du bien commun considéré comme autofinalité à laquelle tous les intérêts doivent être subordonnés. En revanche, Marx accepte la bipartition hégélienne selon laquelle l’être humain est intégré dans la société bourgeoise – c’est-à-dire dans la quotidienneté sociale en tant que particulier – mais participe également à la vie de l’Etat comme citoyen. D’après Hegel, seul l’Etat peut surmonter cette bipartition. Pourtant Marx rejette quant à lui cette synthèse opérée par l’Etat. Il ne veut certes pas placer l’être humain au-dessus de l’Etat, mais émanciper la société bourgeoise en tant que telle. « Le but de l’émancipation humaine est de faire en sorte que le caractère communautaire de la vie humaine, qui est conforme à la nature humaine, devienne une vraie vie, que la société regagne elle-même sa cohésion communautaire et coïncide avec la vie de l’Etat78. »
30316 Au travers de la société, l’être humain doit retrouver son individualité et sa liberté perdues. Cela ne se réalisera qu’au sein de la société communiste, libérée de la puissance de l’Etat. Dès lors, l’être humain l’adaptera de lui-même à la société et pourra y vivre solidairement et sans conflit avec les autres hommes79. Les réflexions de Marx au sujet de l’état qui sera celui de l’homme libéré de toute aliénation sont révélatrices : cet être créateur et jouisseur sur tous les plans, sans spécialisation ni divison du travail, sera en mesure « de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de m’occuper d’élevage le soir et de m’adonner à la critique après le repas, selon que j’en ai envie, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, berger ou critique80. » De la description qui précède on peut conclure que Marx axait sa conception de l’anarchisme sur des origines lointaines, alors que l’homme vivant de chasse et de cueillette était encore un être largement autonome. Lorsque cet état originel sera de nouveau atteint, l’Etat disparaîtra de lui-même.
30417 Que pour y parvenir il faille nécessairement passer par la dictature du prolétariat et par la suppression de toute liberté et humanité, prouve suffisamment que pour atteindre un tel but il ne suffit pas d’éveiller la bonne image de l’homme qui sommeille au fond de chaque être humain, mais plutôt qu’une telle entreprise ouvre hélas la voie à la déshumanisation de l’homme.
3. La constitution de l’URSS
30518 Depuis ses origines, l’URSS a connu trois constitutions différentes : celle de 1918, celle de Joseph Staline (1879-1953) qui date de 1936 et la nouvelle constitution de 1977, élaborée sous la direction de Brejnev81. La caractéristique principale de la nouvelle constitution est son abondance de détails. Elle ne se borne pas à décrire l’organisation de l’Etat, mais contient les grandes lignes des programmes de développement pour l’ensemble de l’Etat et de la société. Cela aboutit à un renforcement de l’influence du parti communiste et, de surcroît, à un affaiblissement de la structure fédéraliste de l’URSS.
30619 Le préambule de cette constitution actuellement en vigueur prend la forme d’une déclaration d’intention : « Le but suprême de l’Etat soviétique est de construire une société communiste sans classes où se développera l’auto-administration sociale communiste. Les tâches essentielles de l’Etat socialiste du peuple entier sont les suivantes : créer la base matérielle et technique du communisme, perfectionner les rapports sociaux socialistes et les transformer en rapports communistes, former l’homme de la société communiste, élever le niveau de vie et de culture des travailleurs, garantir la sécurité du pays, contribuer au renforcement de la paix et au développement de la coopération internationale82. »
30720 Les directives pour atteindre ces objectifs sont données par le parti communiste. L’article 6 de la constitution dispose, en effet, que : « Le Parti communiste de l’Union soviétique est la force qui dirige et oriente la société soviétique, c’est le noyau de son système politique, des organismes d’Etat et des organisations sociales. Le PCUS existe pour le peuple et est au service du peuple.
308Se fondant sur la doctrine marxiste-léniniste, le Parti communiste définit la perspective générale du développement de la société, les orientations de la politique intérieure et étrangère de l’URSS, il dirige la grande œuvre créatrice du peuple soviétique, confère un caractère organisé et scientifiquement fondé à sa lutte pour la victoire du communisme. Toutes les organisations du parti exercent leur activité dans le cadre de la Constitution de l’URSS83. »
30921 L’organe suprême du parti communiste – qui est le parti des masses – est à vrai dire le congrès du parti. Ce congrès n’a pourtant lieu que tous les cinq ans. Dans l’intervalle, ses attributions sont exercées par le comité central. Celui-ci ne siège pourtant en plenum que deux fois par année durant un ou deux jours seulement. Ainsi le « Politbureau » ou bureau politique et le secrétariat occupent-ils une position centrale au sein du parti. Selon l’article 39 des statuts du parti, le bureau politique a pour tâche de diriger le parti entre les séances du comité central ; de plus, il est responsable de la sélection des cadres et du contrôle des organes d’exécution. Le droit coutumier veut que le secrétaire général du parti communiste préside le comité central. De la sorte, grâce à ses organes centralisés, le parti communiste s’assure la conduite centralisée des affaires de l’Etat.
31022 Sur le plan formel, l’autorité officielle de l’Etat est détenue par le Soviet suprême (parlement) qui se compose de deux chambres (art. 108 et 109 de la constitution soviétique). Ce Soviet suprême ne siège toutefois que deux fois par année, pendant un jour ou deux. Bien qu’il dispose du droit de légiférer, la plupart des lois sont édictées par son présidium. Selon l’article 122m le présidium est, en effet, habilité à modifier les lois lorsque le Soviet suprême ne siège pas en plenum. En outre, l’article 123 autorise le présidium a adopter des décrets. Ce présidium est élu par les deux chambres du Soviet suprême, réunies en une assemblée électorale. Ce même Soviet élit de la même manière le Conseil des ministres qui est responsable devant le parlement et devant le présidium, lorsque celui-là ne siège pas.
31123 Le droit de choisir des candidats pour l’élection à la députation au Soviet suprême appartient au parti communiste, aux syndicats, aux jeunesses communistes, aux coopératives et autres organisations sociales, aux collectifs de travail ainsi qu’aux assemblées des milices militaires (art. 100). En réalité, le parti communiste exerce seul le contrôle du choix des candidats. De la sorte, le parti peut également assurer son influence et son contrôle sur les élections dans tous les organes de l’Etat. « En se fondant sur la constitution et le régime juridique de l’URSS, il ne fait aucun doute qu’il faut chercher le véritable support du pouvoir et la source de la compétence dans le domaine réservé du parti qui, en vertu de l’article 6 de ladite constitution, fait partie intégrante de l’Etat et non pas uniquement de la société ; en revanche il ne faut pas les chercher dans le domaine plus large propre aux Soviets. En droit comme en fait, le véritable support du pouvoir et la source de la compétence résident dans le Bureau politique du Comité central du parti communiste et non pas dans le présidium du Soviet suprême ou au sein du Conseil des ministres de l’URSS84. »
31224 Celui qui veut exercer un certain pouvoir au sein de l’Etat, de la société, de l’économie ou de la science doit, par principe, adhérer au parti communiste. Il est donc dépendant du parti. Celui-ci présente des structures centralisées et fortement hiérarchisées. En 1920 déjà, il fut décidé d’autoriser le comité central à exclure de ses rangs des membres élus lors de la journée du parti. C’est ainsi que furent créées les bases qui ont permis à la tyrannie d’un seul homme de s’imposer, à savoir celle du secrétaire général du parti85. Dans toutes les autres affaires, le comité central assume la direction suprême. Cela vaut pour l’Union soviétique86 et pour la Chine87.
4. La constitution chinoise du 5 mars 1978
31325 Selon l’article premier de sa constitution, « La République populaire de Chine est un Etat socialiste de dictature du prolétariat, dirigé par la classe ouvrière et basé sur l’alliance des ouvriers et des paysans88. »
31426 L’article 2 déclare que le parti communiste est l’organe dirigeant du peuple chinois dans son ensemble. « Le parti communiste chinois est le noyau dirigeant du peuple chinois tout entier. La classe ouvrière exerce sa direction sur l’Etat par l’intermédiaire de son détachement d’avant-garde, le Parti communiste chinois89. » Selon l’article 19, l’armée est soumise au parti communiste. Le président du comité central dudit parti est le commandant en chef des forces armées.
31527 L’article 16 de la constitution de 1975, qui définissait les attributions de l’Assemblée nationale du peuple, débutait encore en ces termes : « L’Assemblée nationale du peuple est l’autorité suprême de l’Etat ; elle est soumise au parti communiste90. » Cette subordination explicite du parlement ne figure plus dans la nouvelle constitution. A l’encontre de ce que prévoit la constitution de l’URSS, le parti communiste chinois ne jouit d’aucun droit constitutionnel l’habilitant à proposer les candidats à l’élection à l’Assemblée nationale. Ce sont les congrès populaires des provinces qui élisent les candidats au scrutin secret (art. 21). Les élus sont contrôlés par leur corps électoral et peuvent être destitués en tout temps (art. 29).
31628 Etant donné que le Congrès national du peuple se réunit rarement, les affaires sont suivies par une délégation permanente qui occupe une position analogue à celle du présidium du Soviet suprême en URSS. La charge gouvernementale proprement dite est revêtue par le Conseil d’Etat qui est élu par le Congrès du peuple. Le gouvernement est responsable devant ce congrès et devant la délégation permanente (art. 30).
b) La souveraineté du Coran
1. Le Coran comme loi
31729 La constitution de la Tunisie, qui date du 1er juin 1959, commence par le préambule suivant : « Au nom de Dieu, clément et miséricordieux » et poursuit à son article premier : « La Tunisie est un Etat libre, indépendant, souverain. Sa religion est l’Islam, sa langue l’arabe et son régime la République91 ». De même, le Maroc confesse, dans le préambule de sa constitution, son adhésion aux principes qui régissent un Etat musulman. Cette confession de foi islamique se retrouve dans presque toutes les constitutions des Etats à majorité islamique. Qu’il soit républicain, monarchique ou socialiste, l’Etat musulman tient la légitimité de son pouvoir de Dieu, de l’Islam et, plus précieusement, du Coran.
31830 Dieu est le véritable législateur. Tout comme Moïse et Jésus avaient à révéler les lois divines, Mohammed a proclamé aussi les lois divines immuables et universelles. Mohammed fut envoyé « non plus pour révéler une loi destinée à tel ou tel peuple, telle ou telle partie de l’humanité, mais, d’une part, pour confirmer l’authenticité des révélations antérieures, d’autre part pour donner aux hommes la Loi vraiment universelle et définitive que Dieu leur destine92. »
31931 La révolution prophétique de la loi divine est consignée dans le Coran. Celui-ci ne contient pas seulement des règles sur la vie privée des hommes, mais encore des normes relatives à la communauté humaine. Ces prescriptions ont été prolongées par la Sunna, c’est-à-dire par l’ensemble des règles attribuées au prophète par la tradition, car chacune de ses paroles a son origine en Dieu, d’une manière ou d’une autre.
32032 En plus du Coran et de la Sunna, il y a une autre source du droit islamique : la Ima ; celle-ci est l’expression du consensus de la communauté islamique, consensus formulé par un petit nombre de sages, membres de cette communauté. Lorsqu’il s’agit de résoudre des cas imprévus, ceux-ci doivent l’être par la communauté dans son ensemble, c’est-à-dire par ceux de ses membres qui sont capables d’interpréter les textes sacrés et, à tout le moins, connaissent suffisamment le Coran93.
32133 Trouve-t-on là un point à partir duquel il serait possible de dégager une conception démocratique de la communauté musulmanne ? Tous ces connaisseurs du Coran tombent-ils d’accord lorsqu’ils siègent ensemble ou doivent-ils voter comme au sein d’un parlement occidental ? Ce problème s’est posé très tôt et très vite l’unanimité s’est faite dans le sens suivant : La Ima reste l’exclusivité de quelques rares sages et érudits, mais ses prescriptions doivent résulter d’une décision unanime.
2. Le statut du Calife
32234 Puisque le prophète fut l’envoyé de Dieu dont la mission était de révéler et d’enseigner les lois divines, le peuple lui doit une entière soumission. Le peuple est donc tenu d’obéir au prophète élu par Dieu, tandis que le calife est le successeur du prophète.
32335 Comment convient-il alors de choisir le calife ? L’Islam fournit diverses réponses à cette question. Selon une théorie orthodoxe, le calife doit être choisi par élection au sein de la famille du prophète puisqu’il est son successeur. D’autres sont partisans d’une solution faisant du califat une charge héréditaire.
32436 Pour les Kharijites, il n’y a ni succession héréditaire ni privilèges de famille. Selon leur conception, le calife doit être élu parmi la communauté comme étant le plus digne de revêtir cette charge ; la communauté peut donc exercer un droit de vote absolu. Enfin, une autre école se prononce pour la désignation testamentaire du calife par son prédécesseur94.
32537 En pratique, les premiers califes furent élus par un groupe de sages et d’anciens, comme c’était le cas des chefs tribaux. Il s’agissait ainsi d’une sorte de gérontocratie. Plus tard, les califes étendirent leur pouvoir et s’arrogèrent le droit de désigner leur successeur par testament.
32638 Quels sont les droits et les devoirs du calife ? Celui-ci a pour mission de maintenir l’Islam dans sa forme originelle, de combattre ceux qui ne veulent pas se convertir à l’Islam, de défendre le territoire contre les attaques extérieures et de lever à cet effet les armées nécessaires. Une compétence lui fait pourtant défaut : celle de légiférer. Son pouvoir se limite à la conservation, l’application et l’interprétation des lois. Les seuls règlements qu’il est autorisé à édicter sont des règles administratives.
3. L’Eglise et l’Etat dans l’Islam
32739 Une fois le Calife en charge, il peut exercer des droits absolus en sa qualité de monarque suprême ou de despote. Théoriquement, il explique et interprète le Coran, mais, pratiquement, il exerce des droits de domination qui sont illimités et incontrôlés. Il n’est pas seulement le chef temporel suprême, mais encore le guide religieux du peuple.
32840 Ce lien entre la religion et la conduite de l’Etat empêche, bien plus fortement encore que dans l’Occident chrétien, la sécularisation progressive de l’Etat. Eglise et Etat sont et restent une seule entité. A vrai dire, avec le temps, le sultan, détenteur du commandement militaire, s’est de plus en plus détaché du calife et a gouverné les peuples de façon indépendante. Il tenait toutefois sa légitimité du calife. Le sultan ne se bornait pourtant pas à régner dans le domaine temporel, il voulait aussi participer activement aux décisions d’ordre religieux, de telle sorte qu’il n’y eut jamais de véritable séparation du pouvoir temporel et spirituel, même lorsque l’institution du sultan prit l’importance décrite ci-avant95.
32941 La légitimation du calife se trouve dans le Coran aux Sourates II/30 et XXXVIII/26 : « Nous T’avons fait Calife sur terre ; dirige donc les fidèles et ne Te laisse pas corrompre par Tes désirs96. » Peu importe la manière dont le pouvoir du sultan est organisé, son autorité doit trouver sa légitimité dans le califat.
33042 En plus des tensions relatives à la question de savoir si le calife doit être élu démocratiquement ou s’il tient sa légitimité d’une disposition testamentaire ou de privilèges familiaux, le fait que d’après le Coran il ne peut y avoir qu’un seul calife donna lieu à des démêlés et des conflits insolubles dans le monde islamique. En se détachant de l’Eglise, l’Etat européen a conquis son indépendance. Il n’y eut toutefois jamais dans l’Islam une légitimité du pouvoir limitée à un territoire selon le modèle européen. Dans le monde islamique, il n’y avait et il n’y a encore aujourd’hui – en partie du moins – qu’une légitimation unique au pouvoir de chacun des Etats : l’Islam. Il va de soi qu’une telle conception devait forcément aboutir à des conflits insolubles entre les divers sultans et qu’une telle situation empêche aussi bien la formation d’un Etat territorial au sens européen que le développement d’un droit des gens sécularisé et régissant les rapports entre les Etats.
33142bis La formation des Etats est ainsi largement artificielle, passagère et le droit islamique ne connaît pas la notion d’Etat territorial complet aux frontières bien définies. Le fait que les divers Etats islamiques appartiennent à différents courants islamiques ne change rien à ce qui précède. C’est, bien au contraire, une source de tensions supplémentaires au sein du monde islamique.
33243 La conception traditionnelle du droit naturel imprégné par le Coran est donc incompatible avec une véritable législation au sens moderne et rationnel de ce terme. Le Coran et les autres règles traditionnelles déterminent l’être humain et lui indiquent la voie à suivre ; celle-ci est aussi indiquée aux maîtres et souverains97. Il ne reste donc plus à l’Etat qu’à interpréter les lois sans pouvoir les modifier. Dans un tel univers, les notions de législation démocratique, de séparation des pouvoirs et d’Etat de droit sont totalement étrangères. Un Etat imprégné de la tradition coranique vivante et de ses règles doit se préoccuper exclusivement de la question de savoir comment il convient de choisir ceux qui ont à appliquer la loi coranique et la tradition y relative. En revanche, il est presque impossible d’intégrer dans la conception islamique des principes tels que l’exercice du pouvoir populaire par le biais des lois ou le caractère obligatoire des décisions judiciaires pour l’exécutif (séparation des pouvoirs).
33344 En 1925, Ali Abd al Razik fut le premier à développer une théorie permettant de séparer le pouvoir de l’Etat de la religion. A cet effet, il tenta de démontrer que le pouvoir dominateur du prophète ne dépendait pas de sa mission divine. Ce travail fut rejeté par les musulmans orthodoxes, bien que l’idée d’une souveraineté rationnelle et temporelle commençât à se diffuser progressivement dans l’Islam comme l’attestent les constitutions modernes dont certains Etats islamiques se sont dotés.
33445 La constitution turque concrétise le premier pas dans cette direction. En effet, c’est sous l’autorité de Mustafa Kemal (Ataturc) que fut abrogé en 1928 l’article 2 de la constitution qui faisait de l’Islam la religion d’Etat de ce pays. En 1937, un nouvel article 2 déclarait expressément la Turquie comme étant un Etat sécularisé. L’article 2 de la constitution de 1973 précise : « La République turque est un Etat de droit national, démocratique, laïc et social, fondé sur les droits de l’homme et sur les principes énoncés dans le préambule98. »
33546 Il ne faut guère s’attendre à ce que cette sécularisation de l’Etat, qui a duré des siècles en Europe et fut accompagnée de guerres de religion fort sanglantes, s’opère du jour au lendemain dans le monde islamique. Des heurts et des tensions sont inévitables, mais ce qui importe c’est de trouver pour l’Etat une légitimité permettant d’établir son pouvoir temporel indépendamment de la religion. En Europe, le contrat social occupe le premier plan dans les théories de l’Etat qui prônent la sécularisation. Puisque certains courants islamiques sont partisans d’une certaine démocratie dans le choix du calife, il devrait y avoir la possibilité de faire admettre une vision démocratique avec le temps. Toutefois, il sera très difficile aux partisans de la modernité de surmonter l’obstacle constitué par la doctrine de la prédestination, si fortement ancrée dans l’Islam. Celui qui croit à la fatalité de la destinée humaine aura bien de la peine à être convaincu de la possibilité de structurer rationnellement la société par le biais des lois de l’Etat.
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Notes de bas de page
1 cf. § 9/2 ss.
2 cf. Encyclopedia britannica, sous “Parliament”.
3 cf. à ce sujet E. C. Hellbling, p. 114 ss. et CH. F. Menger, p. 52.
4 cf. L. Carlen, p. 10 s. ; W. A. Liebeskind.
5 cf. Ch. St German et Th. More, cit. dans G. R. Elton, p. 237 ss.
6 Th. More, cit. dans G. R. Elton, p. 239.
7 G. R. Elton, p. 232.
8 F. Bacon, cit. dans G. R. Elton, p. 239.
9 cf. J.-P. Kenyon, p. 340.
10 The Instrument of Government (1653), cit. par : J.-P. Kenyon, p. 342.
11 cf. Encyclopedia Britannica, sous “Parliament”.
12 cf. lettre de Lord North au roi Georges III, le 18 mars 1782, cit. tirée de E. N. Williams, p. 90 ss.
13 1867 : 16,4 %, 1884 : 28,5 %, 1928 : 69,9 %, 1948 : 95 %, cf. Encyclopedia Britannica, sous “Parliament”.
14 cit. trad. de Ch. F. Menger, p. 15.
15 cf. Ch. F. Menger, p. 24.
16 cf. Ch. F. Menger, p. 23 et Encyclopedia Britannica, sous “Germany”.
17 P. ex. les essais du baron Karl von Stein, 1757-1831.
18 cf. § 21/45.
19 J. W. von Goethe, p. 187 s., cit. trad.
20 J. W. von Goethe, p. 186 s., cit. trad.
21 cf. W. Zeh, p. 40 ainsi que § 1.
22 CH. F. Menger, p. 148.
23 cit. trad.
24 cf. CH. F. Menger, p. 171.
25 cf. Reichsgesetzblatt n° 1 du 28 février 1933.
26 cit. trad.
27 cf. Reichsgesetzblatt n° 2 du 24 mars 1933.
28 cf. à ce sujet Th. Ellwein.
29 art. 115 b GG et art. 65 a GG.
30 art. 115 a-115 I GG.
31 art. 19, 2e al. GG.
32 art. 20, 4e al. GG.
33 cf. à ce sujet et à propos du sujet suivant N. Shimizu.
34 cf. J. Robert, p. 252.
35 J. Robert, p. 502.
36 cf. aussi J. Robert.
37 cf. F. Dore, p. 129 ss.
38 cf. p. ex. Ghana, Kenya, Tanzanie, etc.
39 cf. Ch.-L. Montesquieu, Livre I chap. 3.
40 cf. à ce sujet T. Wyrwa, p. 501 ss.
41 cf. G. Tixier, p. 79 ss.
42 cf. à ce sujet T. Wyrwa, p. 282 ss.
43 Leclercq, p. 456.
44 cf. Gicquel, p. 784.
45 Prevost-Paradol : La France a fondé une société, elle cherche encore son gouvernement, Gicquel, p. 785.
46 cf. par comparaison l’article 70 de la constitution fédérale de la Suisse.
47 Leclercq, p. 343.
48 Leclercq, p. 370.
49 cf. Leclercq, p. 519.
50 cf. S. Huntington, p. 93.
51 S. Huntington, p. 102.
52 cf. S. Huntington, p. 105.
53 S. Huntington, p. 105.
54 cf. S. Huntington, p. 109.
55 cf. R. E. Neustadt, p. 33.
56 A. Kaspi, annexe 1, p. 213.
57 Federalist Papers n° 70.
58 Federalist Papers n° 45.
59 cf. J. Schollenberger, p. 148.
60 J. Schollenberger, p. 149, cit. trad.
61 J. Schollenberger, p. 150, cit. trad..
62 cf. les lettres des arrêts.
63 cf. Landsgemeindebuch – procès-verbaux des „Landsgemeinde“ de l’ancien canton de Schwyz, p. 826, 820 rouge – Landsgemeinde de St Thomas, le 21 décembre 1763.
64 cf. L. Carlen, p. 12.
65 art. 1er : « la République helvétique constitue un Etat un et indivisible ».
66 cf. art. 3 du projet de nouvelle constitution helvétique en date du 5 juillet 1800 : « en aucun cas, les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif ne seront réunis ».
67 V. I. Lenine, vol. 10, p. 230.
68 L. Kolakowski, vol. 2, p. 556, cit. trad.
69 V. I. Lenine, Les syndicats, la situation actuelle et les erreurs de Trotski, 1921, vol. 32 p. 13.
70 V. I. Lenine le 17.11.1917, vol. 26, p. 297.
71 V.I. Lenine, Premier congrès de l’enseignement extra-scolaire en Russie, vol. 29, p. 354 ss.
72 V. I. Lenine, lettre à D. J. Kurski, vol. 33, p. 365.
73 L. Trotski, p. 48, cit. trad.
74 L. Trotski, p. 88, cit. trad.
75 L. Trotski, p. 89, cit. trad.
76 L. Kolakowski au sujet de Bakunine, cit. trad. du vol. 1, p. 288.
77 vol. I, p. 285.
78 L. Kolakowski, cit.trad. du vol. l, p. 145.
79 L. Kolakowski, vol. 1, p. 184 ss.
80 K. Marx, p. 1065 ; cf. aussi F. Mueller, p. 523 ss.
81 cf. à ce sujet B. Meissner, p. 321 ss.
82 Ed. du progrès, Moscou 1977.
83 Ed. du progrès, Moscou 1977.
84 B. Meissner, p. 367, cit. trad.
85 cf. L. Kolakowski, vol. 2, p. 546.
86 cf. H. Chambre, p. 29 ss.
87 cf. Tsien Tche-Hao, p. 430 ss.
88 Constitution de la République populaire de Chine, Pékin s.d..
89 Op. cit.
90 cf. Tsien Che-Hao, p. 589.
91 cit. par. Ch. Debbasch, p. 208.
92 L. Gardet, p. 109, cit. par J. Robert, p. 42.
93 cf. J. Robert, p. 43.
94 J. Robert, p. 45.
95 cf. aussi Encyclopedia of Islam, p. 936.
96 Trad.
97 cf. à ce sujet Encyclopedia of Islam, sous “Sharia”, p. 345.
98 P. C. Mayer-Tasch, p. 729, cit. trad.

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