Introduction
p. 11-13
Texte intégral
1Enclavé entre l’Ouzbékistan, le Kirghizstan, la Chine et l’Afghanistan, le Tadjikistan est, de par son étendue (143,000 km2), la plus petite des républiques de l’Asie centrale ex-soviétique et la troisième du point de vue du nombre de sa population (5,5 millions d’habitants). A cause de sa situation excentrée et de son relief accidenté, il est aussi le pays le moins développé de la CEI, avec le taux de population urbaine le plus faible et la croissance démographique la plus élevée. Depuis son accession à l’indépendance, en septembre 1991, le Tadjikistan vit une période de transition très douloureuse, marquée par une série de crises politiques - qui se sont traduites par une division du peuple tadjik en clans rivaux et antagonistes -, une intervention étrangère (essentiellement russe et ouzbèke) et une guerre civile qui a des prolongements au-delà de ses frontières, en Afghanistan et en Ouzbékistan, où se sont réfugiés plusieurs milliers de Tadjiks.
2Cet ouvrage, qui regroupe une douzaine de textes consacrés au Tadjikistan, a comme problématique centrale le conflit qui a éclaté dans cette république en 19921. La focalisation sur ce thème s’explique non seulement par l’importance d’un tel évènement dans l’histoire de ce jeune pays, mais aussi en raison du fait qu’à travers le prisme du conflit on peut probablement mieux appréhender la complexité tadjike. En effet, la guerre du Tadjikistan est à la fois révélatrice des contradictions profondes qui minent la société tadjike, tout en étant un signe annonciateur des futurs développements que le Tadjikistan « indépendant » connaîtra sans doute dans les années à venir.
3Totalement inscrit dans les réalités sociale et historique du pays, le conflit tadjik soulève avant tout des questions relatives à l’identité de cette nation et à son organisation sous forme d’entité étatique distincte.
4Les Tadjiks sont les persanophones de l’Asie centrale ex-soviétique. La question de la langue est au cœur même de la fondation de l’Etat tadjik. La république du Tadjikistan, véritable enclave de langue iranienne dans une zone turcophone, se définit essentiellement par rapport à cette référence linguistique, surtout depuis le découpage soviétique en républiques socialistes, fondé sur la doctrine stalinienne de la nationalité qui définit une nation à partir d’une langue et d’un territoire. La question de la langue a accompagné la construction nationale, alimenté le débat politique aux moments des bouleversements historiques, ponctué les relations avec l’Ouzbékistan, où vivent d’importantes communautés tadjikes, et aussi stimulé le maintien d’une ouverture vers le monde persanophone, externe à l’ex-URSS. Mais la référence à la prééminence de la langue persane dans la république n’explique pas à elle seule l’identité du Tadjikistan. Mieux cerner l’identité tadjike, s’interroger sur ses composantes ethniques (R. et M. Centlivres), essayer de tracer le cheminement politique de sa formation, d’évaluer le degré d’achèvement de sa construction (G. Jahangiri), telles sont les principales questions soulevées dans la première partie de l’ouvrage. Ces réflexions sont complétées par deux études, l’une consacrée à la transition, mal accueillie par l’élite locale que fut la Pérestroïka (M. Hammer) et l’autre aux luttes actuelles entre l’ancienne oligarchie et les nouvelles élites qui tentent ou ont tenté d’émerger à la faveur de l’indépendance (S. Dudoignon).
5La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée essentiellement au conflit et à ses conséquences internes et externes. Après avoir, dans un texte introductif, fait l’historique de la guerre (B. Brown), une autre étude clarifie les positions de la Russie à l’égard du Tadjikistan (C. Poujol) et par ricochet, des autres nouveaux Etats de la région. Dans quelle mesure Moscou peut-elle s’accommoder des changements politiques intervenant à l’intérieur de ces pays ? Comment la volonté de démocratisation affichée à Moscou se conjugue-t-elle avec l’appui sans faille accordé aux conservateurs de Douchanbé ? Quel crédit accorde-t-on dans l’entourage du président Eltsine à la souveraineté des jeunes Etats centre-asiatiques ? Quel est le rôle de l’armée russe, présente sur la frontière qui sépare le Tadjikistan de l’Afghanistan ? Protège-t-elle le régime néocommuniste tadjik contre les incursions des opposants islamo-démocrates ? A-t-elle pour mission d’empêcher toute extension du conflit afghan à l’intérieur du Tadjikistan ? Ou considère-t-elle tout simplement que le maintien de la stabilité sur cette frontière qui sépare deux Etats théoriquement souverains fait partie intégrante des intérêts vitaux de la Russie et par extension de la CEI ?
6La situation au Tadjikistan intéresse d’autres pays voisins, comme l’Afghanistan, le Pakistan et l’Iran (M.R. Djalili et F. Grare). La contiguïté territoriale fait que tout gouvernement afghan (et aujourd’hui une bonne partie des factions qui se disputent le pouvoir à Kaboul) ne peut se désintéresser de ce qui se passe au Tadjikistan. Le Pakistan qui cherche à développer une vaste politique centre-asiatique ne peut concevoir une stratégie excluant le Tadjikistan. Quant à l’Iran, il est particulièrement sensible à tout ce qui touche de près ou de loin le seul Etat persanophone de l’ex-URSS.
7Deux études sont consacrées à l’impact de la crise du Tadjikistan sur les autres pays d’Asie centrale. Les conséquences des évènements du Tadjikistan ont été interprétées, soit comme catalyseur ou anticorps pour les Etats voisins (S. Akiner), soit comme modèle pertinent ou non des conflits d’Asie centrale (O. Roy). Dans le cadre des dynamiques nouvelles qui sont en passe de se mettre en place dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, la crise tadjike dévoile aussi ce qui est latent depuis quelques années, à savoir la volonté de l’Ouzbékistan « d’extérioriser » sa puissance et de modeler la configuration des rapports de force régionaux en sa faveur.
8Mais au-delà de l’environnement régional, les pays membres de la CSCE, dont le Tadjikistan fait partie, et l’ensemble de la communauté internationale ne peuvent être indifférents à un conflit très meurtrier. De fait, la situation du Tadjikistan est caractéristique du drame traversé par des sociétés dans lesquelles la fin du totalitarisme avait fait naître l’espoir d’une amélioration radicale du sort des individus et où l’effondrement économique ainsi qu’une violation massive des droits de l’homme ont succédé à l’ordre soviétique. Aussi la dernière partie de l’ouvrage tente-t-elle de refléter les préoccupations humanitaires d’organisations comme le Comité International de la Croix Rouge (J.M. Bornet) et Amnesty International (I. Gorvin).
9En fin d’ouvrage, il nous a semblé nécessaire d’ajouter une bibliographie indicative pouvant être utile à tous ceux qui désirent poursuivre l’étude du cas tadjik dans le contexte plus large de l’espace centre-asiatique.
Notes de bas de page
1 Les textes réunis dans ce volume ont été présentés lors d'un colloque organisé en décembre 1993 à Genève.
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