Chapitre 4. L’utilisation actuelle des eaux du bassin du Congo/Zaire
p. 113-125
Texte intégral
1Très peu d’accords ont été conclus entre les Etats riverains du bassin. Ceux-ci portent essentiellement sur l’entretien des voies navigables et l’utilisation énergétique de certaines rivières frontalières.
Section 1 : Le régime actuel de la navigation du Zaïre et de ses affluents
2Les avis divergent sur la question du régime juridique actuel de navigation dans le bassin du Zaïre, en l’absence d’un nouvel accord général et à cause de la caducité probable de la convention de Saint-Germain-en-Laye. En prenant en considération les nombreux incidents interétatiques qui ont eu lieu dans le domaine du trafic fluvial, certains auteurs ont estimé que la liberté de navigation n’existait plus, même entre les Etats riverains. C’est le cas de J. Bukasa, qui écrit ceci :
La pratique des nouveaux Etats nous éloigne de l’application du régime international du fleuve Congo établi par l’Acte général de Berlin de 1885 et révisé par la Convention de Saint-Germain de 1919. En effet, l’exercice de la navigation sur le fleuve Congo semble relever beaucoup plus d’une sorte de tolérance réciproque entre les nouveaux Etats riverains que du principe de navigation consacré jadis272.
3Pour notre part, nous pensons que la liberté de navigation subsiste pour les Etats riverains du Zaïre, conformément au droit international général. Les incidents survenus entre 1969 et 1971 doivent être considérés comme des violations, par les Etats concernés, de la liberté de navigation. En effet, depuis la signature du manifeste de réconciliation le 18 juin 1970, les navires et autres bâtiments appartenant aux Etats riverains sillonnent librement les eaux du fleuve placées sous la juridiction respective des Etats riverains. A titre d’exemple, le trafic fluvial, très dense entre Brazzaville et Kinshasa, est assuré quotidiennement, d’une rive à l’autre du Pool Malebo, par les deux compagnies fluviales nationales du Congo (l’Agence Transcongolaise des Communications) et du Zaïre (l’Office National des Transports). Dans la pratique, les transporteurs ne sont astreints qu’au paiement des taxes prélevées pour amortir les travaux d’aménagement effectués dans les eaux concernées. Au Zaïre, ces taxes sont versées à la Régie des Voies Fluviales, entreprise publique chargée de l’aménagement des voies navigables. C’est dans ce contexte qu’on peut du reste mentionner l’existence de deux accords bilatéraux de coopération entre, d’une part, l’Angola et le Zaïre, et, d’autre part, le Congo et la République Centrafricaine.
1. L’Arrangement du 25 octobre 1978 entre l’Angola et le Zaïre relatif à l’aménagement et à l’entretien des voies navigables dans le bief maritime (cours inférieur)
4Dans le but de promouvoir leur coopération dans le domaine de l’aménagement et de l’entretien des voies navigables dans le bief maritime, le Zaïre et l’Angola ont conclu un accord en date du 25 octobre 1978273. Aux termes de celui-ci, l’Angola reconnaît au Zaïre le libre accès à ses eaux territoriales, îles, îlots et berges en vue d’y effectuer des travaux de triangulation, de nivellement, de levés, de linimétrie, de mesure de débit liquide et solide (article 5) et pour l’installation et l’entretien des différents signaux de navigation, à savoir bouées, balises, alignements et feux de navigation. L’article 10 de cet accord dispose que le Zaïre s’engage « à former, sur place dans le bief maritime du fleuve commun, les hydrographes angolais si la République Populaire d’Angola le désirait. » L’article 6, quant à lui, prévoit la création d’une institution intergouvernementale dénommée « Commission sur les conditions de navigabilité du bief maritime », appelée à fonctionner comme cadre de consultation et d’échange des renseignements hydrographiques utiles à l’amélioration des conditions de navigabilité (article 8).
5Aux termes de l’acte relatif à l’organisation et au fonctionnement de la commission spéciale pour l’aménagement et l’entretien du bief maritime du fleuve Zaïre, conclu conformément à l’article 6 de l’arrangement particulier du 25 octobre 1978, cet organe a pour mission « de mettre en application les dispositions de l’Arrangement particulier et de veiller à leur stricte application par les organismes intéressés “ainsi que de” favoriser la coopération entre les organismes spécialisés dans le domaine de l’aménagement et de l’entretien des voies navigables des deux Etats concernés » (article 2). Composée de douze membres au maximum, à raison de six par Etat, la commission est présidée à tour de rôle par l’Etat hôte de ses réunions, qui se tiennent tous les six mois alternativement au Zaïre et en Angola, au niveau des ministres des transports (article 4). Elle fonctionne comme les commissions fluviales classiques. Elle peut lever des taxes et autres droits sur les navires appartenant aux deux Etats contractants en vertu de l’article 3 de l’arrangement du 25 octobre 1978, mais ces paiements ne peuvent avoir de caractère discriminatoire.
2. La Commission fluviale mixte Congo-République Centrafricaine
6Comme on l’a noté, l’utilisation des eaux du cours moyen concerne trois pays : le Congo, la République Centrafricaine et le Zaïre. Ces trois pays ont conclu en 1978 un accord pour la création d’une commission tripartite chargée de l’aménagement de cette partie du fleuve. Mais, le Zaïre ne l’ayant pas ratifié, l’accord n’est pas encore entré en vigueur et n’est donc pas opérationnel. A l’heure actuelle, il existe essentiellement deux accords de coopération relatifs à l’utilisation des eaux du cours moyen du fleuve. Par un accord conclu en 1970, le Congo et la République Centrafricaine ont créé une commission mixte pour l’aménagement du fleuve.
7A l’époque coloniale, le Congo, la République Centrafricaine et le Tchad étaient desservis par une agence commune des transports fluviaux, l’Agence transéquatoriale des communications (ATCEC). Aux termes d’une convention signée en 1959 par les territoires de l’Afrique Equatoriale Française, l’ATEC devint un établissement public international, chargé de l’administration des organismes de transport, d’entretien, de balisage et de dragage œuvrant dans la section fluviale Congo-Oubangui. L’infrastructure de l’ATEC sur le territoire du Congo fut nationalisée en 1969. Cette mesure provoqua une virulente réaction des autres Etats membres. Le différend fut réglé grâce à la conclusion d’un accord, en janvier 1970, entre le Congo et la République Centrafricaine, relatif à la répartition de la flotte fluviale de l’ancienne institution, et de cinq autres accords, dont l’un porte sur la coopération entre les Etats dans le domaine de l’aménagement hydrographique du secteur fluvial considéré274.
8La commission mixte instituée en vertu de l’accord de 1970 vise à réaliser la coopération pour l’aménagement de la partie du fleuve comprise entre Brazzaville, Bangui et Ouango, ainsi que des affluents de la rive droite. Elle est constituée de plusieurs organes, à savoir : le conseil des ministres (organe de décision) ; le comité de gestion (organe d’exécution), composé des deux directeurs des compagnies de transport fluvial des deux pays ; le Service commun chargé de l’entretien, du balisage et des études et travaux d’amélioration des voies d’eau (SCEVN) ; et le bureau commun d’affrètement chargé de la répartition du fret entre les compagnies de transport fluvial des deux pays membres de la commission. Le SCEVN, en particulier, déploie une intense activité dans le secteur fluvial concerné. Ainsi que le note l’étude précitée de la CEA :
Il [le SCEVN] a participé activement à tous les travaux d’aménagement importants qui ont eu lieu et qui sont :
L’aménagement du seuil de Zinga sur l’Oubangui, qui nécessitait auparavant une rupture de charge par transport ferroviaire entre les biefs amont et aval du seuil [...] ;
L’aménagement du confluent de la Lobaye et de l’Oubangui, où la divagation des bancs de sable posait des problèmes [...] ;
L’actuel projet Banque Mondiale de réalisation de « barrages castors » sur la basse Sangha275.
Section 2 : L’utilisation des eaux du bassin du Congo/Zaïre a des fins autres que la navigation
9En dehors de la navigation, les rares accords existants concernent l’exploitation hydroélectrique.
1. Les accords internationaux pour l’utilisation énergétique des eaux du bassin
10En ce qui concerne l’énergie produite dans le cours inférieur du fleuve, signalons que le Zaïre vend déjà une partie de celle-ci au Congo depuis des décennies. Avec l’exploitation des sites d’Inga, de nombreuses possibilités d’interconnexion existent aussi bien avec les pays du Nord que ceux du Sud du continent.
A. L’accord du 27 juillet 1992 entre la Société nationale d’électrivité (Zaïre) et la Société égyptienne d’électricité relatif a l’interconnexion des barrages d’Inga et d’Assouan
11Dans un article intitulé « De l’électricité zaïroise du Cap au Caire », J.-P. Béjot écrit ceci :
A partir du barrage hydroélectrique d’Inga, au Zaïre, EDF [Electricité de France] international étudie l’interconnexion avec le Moyen-Orient, via l’Egypte, et l’Afrique australe, via la République sud-africaine [...]. Les centrales hydroélectriques d’Inga sur le fleuve Zaïre représentent, à elles seules, une puissance installée de 351 MW pour Inga I (mise en service en 1972) et de 1,424 MW pour Inga II (mise en service en 1982), soit au total 1,775 MW [...]. Situation incongrue : l’Afrique, dans sa globalité, manque de puissance installée ; le Zaïre, de son côté, est en surcapacité de production [...]. Au cœur de l’Afrique, Inga peut devenir, pense-t-on à Electricité de France, un pôle de production pour l’ensemble du continent. Selon deux axes prioritaires à destination des pays grands consommateurs : l’Afrique du Sud [...] ; l’Egypte au nord-est [...]. L’Egypte deviendrait ainsi un pays relais permettant l’acheminement de l’électricité produite à Inga [...] non seulement vers le Proche-Orient mais aussi vers le Maghreb et l’Europe du Sud276.
12En effet, le barrage d’Assonan, qui alimente l’Egypte en énergie hydroélectrique, ne parvient pas à satisfaire la demande des consommateurs égyptiens. En revanche, Inga a une offre excédentaire d’énergie par rapport à la consommation zaïroise. D’où le projet de construire des lignes de haute tension permettant de relier Inga à Assouan, de manière à accroître la capacité d’exploitation de ce dernier barrage et à compenser sa faiblesse en production hydroélectrique. Techniquement, cette interconnexion entre les deux barrages permet d’équilibrer la surexploitation de l’un (Assouan) et la sous-exploitation de l’autre (Inga). Cela résulte des termes de l’accord conclu par la Société égyptienne d’électricité et la Société nationale d’électricité du Zaïre (SNEL) le 27 juillet 1992 au Caire, par lequel le Zaïre s’est engagé à vendre de l’énergie hydroélectrique à l’Egypte277.
B. L’accord de 1986 entre la République Centrafrique et le Zaïre pour l’utilisation énergétique énergétique de l’Oubangui
13Un accord conclu entre la République Centrafricaine et le Zaïre en 1986 prévoit l’exploitation commune des forces hydrauliques du fleuve Oubangui au niveau de Mobayi-Mbongo. Le Congo a refusé de se joindre à ce projet. Par ailleurs, l’intérêt économique de l’ouvrage hydroélectrique érigé a été mis en doute aussi bien par les experts d’organismes de financement international que par l’opinion publique zaïroise, cet ouvrage servant essentiellement à alimenter en électricité la ville natale du chef de l’Etat du Zaïre et ses environs. Même la République Centrafricaine était réticente au début du lancement de ce projet, à cause des risques d’inondation et de modification des conditions de navigation sur l’Oubangui. Ceci justifie sans aucun doute le refus de la Banque Mondiale de participer au financement de l’ouvrage.
14Laissant de côté ce débat économique et politique, nous pensons que, sur le plan strictement juridique, il s’agit bel et bien d’un cas de gestion institutionnelle mixte des ressources d’un cours d’eau international par deux pays riverains. En effet, aux termes de la convention précitée, les deux Etats sont convenus d’ériger un barrage dont ils sont copropriétaires. Sa gestion est confiée à la Société Nationale d’Electricité (SNEL) du Zaïre. En ce qui concerne la répartition de la production hydroélectrique, les deux Etats conviennent, aux termes du principe 3, de fixer, chacun, la « puissance qui lui sera réservée au cours des cinq premières années d’exploitation, soit de 1990 à 1995. » Cependant, s’il s’avère, au cours de cette période, qu’un Etat a besoin d’énergie supplémentaire par rapport au quota qu’il s’était lui-même fixé auparavant, il demandera à l’autre Etat de lui vendre une partie de son excédent. Ce système de répartition se rapproche de celui qui est appliqué en matière de partage, par moitiés, de l’énergie produite par des barrages internationaux construits sur des fleuves contigus278. Car il advient que les Etats copropriétaires d’un même ouvrage hydroélectrique aient des besoins inégaux dans ce domaine. Dans ce cas, tout en respectant la règle de l’utilisation équitable, certains accords prévoient un droit préférentiel de rachat au profit de l’Etat dont la couverture de besoins en énergie hydroélectrique est déficitaire. Cette solution a été retenue, par exemple, par le traité de 1973 entre l’Argentine et le Paraguay pour l’exploitation du barrage de Yaciréta279 et par celui conclu entre le Brésil et le Paraguay en 1973 pour le barrage d’Itapu280.
15Aux termes du principe 5, il est institué une commission mixte chargée de contrôler la gestion du projet et, lorsque le chantier sera achevé, l’exploitation de la centrale et de ses annexes281. Cet organe est composé de quatre experts, dont deux représentent la République Centrafricaine et les deux autres la République du Zaïre. Les membres de la commission mixte sont désignés par chaque Etat pour un terme de deux ans renouvelables. Ils contrôlent notamment la valeur et les modalités de l’indemnisation des populations dont les biens sont affectés par les inondations, déterminées par les études effectuées par l’ingénieur-conseil, cette indemnisation intervenant à charge de chacun des deux Etats, au prorata de la puissance demandée. D’autres dispositions portent sur le fonctionnement de la commission, le patrimoine, les comptes d’exploitation de la centrale et les charges de remboursement du financement de l’aménagement (principes 6, 7 et 8 de l’accord).
2. L’utilisation des eaux lacustres
16La coopération entre les trois Etats intéressés directement par l’utilisation des eaux du lac Kivu, à savoir le Burundi, le Rwanda et le Zaïre, à l’exception de la Tanzanie, a commencé avant leur accession à l’indépendance. En effet, les deux premiers Etats étaient alors sous mandat belge, alors que le troisième était une colonie de cet Etat. Il y avait donc eu une structure d’intégration économique de facto. Elle portait sur toute une gamme d’activités, en particulier sur l’utilisation énergétique des rivières dépendantes du rift et du bassin-versant du lac Kivu. Cette collaboration s’est intensifiée à l’époque post-coloniale, grâce à la conclusion d’un certain nombre d’accords relatifs notamment à l’utilisation énergétique des cours d’eau de la zone du lac Kivu.
A. La coopération avant la création de la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL)
17M. Yadi décrit ainsi l’évolution qui a donné naissance à l’organisation pour l’énergie des pays des Grands Lacs :
Après l’accession des trois pays à l’indépendance, cette interdépendance mutuelle a persisté en dépit du démembrement de la gestion commune des services d’électrification. Toutefois, la nécessité d’une gestion commune est réapparue progressivement pour s’imposer définitivement lors de la Conférence des Ministres des Affaires étrangères des trois pays tenue à Bujumbura en juin 1965. A l’issue de cette Conférence, il s’est dégagé la volonté des Etats concernés de coopérer pour l’électrification de la zone couvrant le Kivu (Zaïre), le Burundi et le Rwanda ainsi que des demandes que les gouvernements de ces pays ont respectivement adressées auprès des Communautés européennes pour que celles-ci les aident à résoudre leurs problèmes spécifiques d’alimentation en énergie électrique. L’Accord général entre les trois Gouvernements a été signé à Bruxelles le 15 juillet 1970 [...]. Il a formé la base de la Convention que les ministres des Travaux Publics ont adoptée lors de leur réunion tenue à Kinshasa (Zaïre) le 20 août 1974. Au titre de cette Convention, les trois pays créaient une association sans but lucratif pour l’étude de l’électrification de la région des Grands Lacs. L’Association était chargée de suivre notamment le projet de construction d’une deuxième centrale hydroélectrique sur le fleuve Ruzizi (Ruzizi II) [...]. Amorcées en janvier 1975 pour se terminer en octobre 1976, les études de la Ruzizi II furent confiées à des entreprises par le bureau d’études belge Traction Electricité (Tractionnel)282.
18En 1976, la coopération économique entre les trois Etats va culminer avec la création de la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL).
B. La gestion intégrée des ressources en eau de la région des Grands Lacs
19La CEPGL a été créée par la convention de Gisenyi du 20 septembre 1976283, amendée à Bujumbura le 9 septembre 1977. Elle est une organisation sous-régionale d’intégration économique aux objectifs variés : coopération dans le domaine de la sécurité politique et dans les secteurs commercial, culturel, judiciaire, social, énergétique, financier, etc. Cependant, il faut reconnaître qu’au regard de l’importance relative de ses activités dans le secteur des eaux, on peut considérer la CEPGL comme un organisme « paralacustre ».
a. Historique et cadre institutionnel de la CEPGL
20La convention de Gisenyi du 20 septembre 1976284 créant la CEPGL est l’aboutissement d’un long processus qui a eu pour objectif de rétablir le regroupement des trois Etats membres qui ont par le passé été soumis à la colonisation (pour le Zaïre) et à la tutelle (Rwanda et Burundi) de la Belgique. De nombreuses réunions tripartites aux niveaux présidentiel et/ou ministériel ont précédé la création de la Communauté. Elles ont abouti à la conclusion de plusieurs instruments, dont l’accord de coopération en matière de sécurité signé le 29 août 1966 à Kinshasa ; la déclaration de Goma du 20 mars 1967 pour le développement de la coopération sous-régionale ; la résolution de Gisenyi de 1969 et l’accord de 1971 relatif à la création du comité permanent de coopération. Aux termes de la convention de Gisenyi de 1976, la CEPGL a pour objectifs :
1. D’assurer d’abord et avant tout la sécurité des Etats et de leurs populations de façon qu’aucun élément ne vienne troubler l’ordre et la tranquillité sur leurs frontières respectives ;
2. De concevoir, de définir et de favoriser la création et le développement d’activités d’intérêt commun ;
3. De promouvoir et d’intensifier les échanges commerciaux et la circulation des personnes et des biens ;
4. De coopérer de façon étroite dans les domaines socio-économique, commercial, scientifique, culturel, politique, militaire, financier, technique et touristique285 [...].
21Sur le plan institutionnel, la CEPGL comporte les organes centraux suivants : la conférence des chefs d’Etat, le conseil des ministres, le secrétariat exécutif permanent et la commission d’arbitrage. Le secrétariat exécutif permanent est assisté par cinq commissions techniques spécialisées (commerce, finances, immigration et tourisme ; affaires politiques et juridiques ; planification, industrie, agriculture et ressources naturelles, travaux publics, transports, commerce et énergie ; affaires sociales et culturelles). La CEPGL a aussi créé quelques organismes spécialisés. Outre la CEPGL, il faut mentionner l’entreprise commune de bouteillerie et de verrerie, créée en 1978, et l’Institut régional de recherche sur les maladies tropicales et transmissibles (1979). Enfin, la CEPGL bénéficie, au même titre que l’OBK, de l’assistance technique permanente de la CEA par le biais du MULPOC de Gisenyi.
b). L’utilisation des eaux des Grands Lacs
22Le domaine d’activité le plus important en matière d’utilisation des eaux des Grands Lacs est celui de la production d’énergie hydroélectrique. En effet, comme indiqué ci-dessus, il y avait à l’époque coloniale un barrage à Mururu, le barrage Ruzizi I, desservant les parties frontalières des trois Etats. Le projet d’érection d’un deuxième barrage remonte au début des années 1970, et sa réalisation a été rendue possible grâce à la création de la CEPGL Il s’agit du barrage de Ruzizi II, ouvrage communautaire construit sur la Ruzizi, rivière frontière entre le Burundi et le Zaïre. La construction de ce barrage a bénéficié, comme on l’a vu, d’un financement de la Banque Mondiale dans le cadre de l’accord de prêt de 1984 entre celle-ci et les trois Etats membres de la CEPGL. Ceux-ci ont créé un établissement public international, la Société internationale d’électricité des Grands Lacs (SINELAC), chargé de l’exécution et de la gestion du projet. Toujours dans le secteur énergétique, la CEPGL a un projet d’exploitation du sous-sol du lac Kivu, riche en gaz méthane. Le projet a bénéficié d’une ligne de crédit de 15 millions de dollars dans le cadre du prêt de la Banque Mondiale précité et d’un financement du Fonds européen de développement pour l’implantation de gazogènes286.
23Les autres projets communautaires relatifs au développement intégré de la pêche et des transports lacustres n’ont pas démarré faute de financement. Il s’agit notamment du projet relatif à la création d’une société commune de transport sur les lacs Tanganyka et Kivu287 et du projet sur le développement de la pêche industrielle dans le lac Tanganyka, qui détient 68 % du potentiel halieutique total des lacs du Rift (Moëro, Albert, Edouard, Kivu et Tanganyka). En effet, comme le recommande un document de la CEA précité :
(i) Etant donné que des recherches sur les stocks de poisson du lac Tanganyka exigent une étroite collaboration entre les pays se partageant le lac, il est recommandé de créer un centre halieutique du lac Tanganyka (CEHALT). Ce centre pourrait être situé à Bujumbura, auprès de l’Université, tout en bénéficiant d’une assistance permanente des spécialistes du Zaïre, de la Tanzanie, de la Zambie et du Rwanda.
(ii) Compte tenu du besoin urgent pour l’installation d’industrie de conserverie, il est recommandé de mener une étude de faisabilité et d’investissement en 1982 [...].
(iii) Afin de répondre à la demande croissante en poissons et en protéines dans la sous-région, il est recommandé de mener des négociations entre les pays qui se trouvent dans les agglomérations du lac Tanganyka et du lac Kivu288 [...]
Enfin, signalons sur le plan bilatéral le début d’exécution du projet international « Tanganydro » (Burundi et Zaïre) relatif à la prospection pétrolière et hydrothermique au Nord du lac Tanganyka, où ont été découvertes des sources d’eau chaude au niveau des caps Kalumba et Banza, à la frontière entre les deux pays289.
Section 3 : Vers un nouveau régime juridique et institutionnel du bassin du Congo/Zaïre
24Le régime actuel de gestion des eaux du bassin du Congo/Zaïre se caractérise par la coexistence de plusieurs systèmes. Il y a d’abord des cas de coopération institutionnelle minimale (cours inférieur du fleuve) ; ensuite, on a des accords partiels consacrant le système de gestion intégrée des eaux du bassin, aussi bien dans la partie du cours moyen du fleuve (Congo et République Centrafricaine, d’une part, et ce dernier pays et le Zaïre, d’autre part) que dans la région des Grands Lacs (CEPGL) ; enfin, il y a une absence totale d’accords de coopération entre deux riverains importants, le Congo et le Zaïre. A plusieurs égards, le système d’exploitation des eaux du bassin du Zaïre ressemble à celui du Nil, autre fleuve important d’Afrique. En effet, en ce qui concerne l’utilisation des eaux du Nil, il y a un schéma presque similaire à celui du Zaïre. D’un côté, on trouve une coopération poussée entre l’Egypte et le Soudan, concrétisée par l’existence d’un réseau d’accords bilatéraux et l’activité de la commission technique permanente mixte égypto-soudanaise pour les eaux du Nil290 ; de l’autre côté, on constate une absence presque totale de coopération avec plusieurs autres riverains du bassin supérieur291. Cette situation n’est pas exempte de dangers, comme l’atteste un commentaire paru dans le Monde diplomatique.
25« Envisagé sans succès depuis le début du siècle, l’aménagement du Nil est plus indispensable que jamais. Mais un tel projet demande un minimum d’entente et de coopération entre les pays riverains du fleuve : Egypte, Soudan, Ethiopie, Ouganda, Rwanda, Burundi, Kenya, Tanzanie et Zaïre. Neuf pays que rien ne lie, à part le Nil, et dont les intérêts sont divergents, sinon antagonistes. Conscients pourtant de cette nécessité, Le Caire et Khartoum avaient entrepris en commun la réalisation d’un projet hydraulique gigantesque : le creusement du canal de jongleï, qui devait dans une première étape permettre de récupérer quelque 10 milliards de mètres cubes d’eau par an pris dans le Sud, grande région marécageuse située dans la partie méridionale du Soudan et où se perd une partie du Nil Blanc. Ce chantier, commencé en 1979, fut interrompu en 1983 par la rébellion des Sudistes du Soudan commandés par John Ga-rang : la moitié du canal, qui devait s’étirer sur 360 kilomètres, était déjà creusée [...].
26D’autres ouvrages hydrauliques sont à l’étude sur le Nil Bleu, mais leur réalisation a depuis longtemps buté sur les intérêts opposés des trois pays les plus concernés. Addis-Abéba, qui n’a jamais reconnu les Accords de 1959 signés entre le Soudan et l’Egypte, exige la renégociation du partage des eaux avant d’entreprendre en commun un quelconque projet hydraulique. Soulignant que 80 % des eaux du Nil proviennent de leurs plateaux, les Ethiopiens refusent toute négociation ou tout accord associant l’ensemble des neuf pays du bassin. Dans la même logique d’affrontement, le Président Sadate avait même menacé, le 5 juin 1980, le régime de M. Mengistu d’une action militaire. Addis-Abéba venait d’entreprendre, entre 1977 et 1979, avec l’aide des Soviétiques, des études pour la construction d’un barrage hydroélectrique sur le lac Tana, source du Nil Bleu292. »
27Le manifeste de la réconciliation entre le Congo et le Zaïre du 16 juin 1970, déjà cité, recommandait aux deux Etats principaux riverains du fleuve de coopérer en vue de l’utilisation mutuellement avantageuse de celui-ci. Cette recommandation est restée pour longtemps un voeu pieux. En 1978, la commission tripartite Congo/République Centrafricaine/Zaïre, réunie à Bangui, a demandé à la Commission économique pour l’Afrique de procéder à une étude sur l’aménagement global du bassin. L’étude a été réalisée par des experts de la division des transports, des communications et du tourisme de la CEA, au cours d’une période de six mois, soit d’octobre 1983 à mars 1984. Comme on peut le noter dans l’avant-propos qui la précède :
L’étude passe en revue la situation actuelle du bassin, son statut international actuel, analyse les perspectives d’aménagement intégré et d’exploitation en commun du fleuve et de ses affluents, puis propose en conséquence les moyens à mettre en œuvre pour réaliser ses perspectives293.
28Sur la base de cette étude de faisabilité se sont réunies plusieurs conférences d’experts au niveau ministériel. La réunion intergouvernementale d’experts sur la mise en valeur du bassin du fleuve Congo/Zaïre, tenue à Kinshasa du 12 au 17 novembre 1987, a débattu de plusieurs questions, et elle a examiné un document sur la création d’une organisation intergouvernementale pour l’aménagement et l’exploitation du bassin du fleuve Congo/Zaïre. Participaient à cette première réunion les délégués de l’Angola, du Burundi, de la République Centrafricaine, du Congo, du Rwanda, du Zaïre et de la Zambie. Placée sous les auspices de la CEA, la réunion avait été rehaussée de la présence de délégués du PNUD, de la CEPGL, de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), de l’Union africaine des chemins de fer (UAC) et de l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale294. Une seconde réunion, qui s’est tenue le 21 mars 1988 à Kinshasa, a été marquée par la présence d’experts provenant de l’Angola, du Burundi, du Congo, du Rwanda, du Zaïre et de la Zambie295. Toutes ces réunions et consultations ultérieures sur le bassin du Congo/Zaïre ont consacré leurs travaux à l’examen des annexes de l’étude de la CEA, à savoir les projets de conventions relatives au statut du bassin et à la création de l'autorité de celui-ci.
Notes de bas de page
272 BUKASA, op.cit. (note 2), p. 367.
273 Texte inédit. La plupart des accords en vigueur entre les Etats riverains du bassin du Zaïre appartiennent à cette catégorie.
274 BUKASA, op.cit. (note 2), p. 352-354.
275 Op.cit. (note 165), p. 21.
276 Jeune Afrique Economie n° 157, juillet 1992, p. 220-225.
277 Le Potentiel n° 199. 30 juillet 1992, p. 3. D’après Jeune Afrique, « EDF et la société allemande Lahmever International mènent depuis lévrier 1993 une étude de pré-faisabilité pour l’édification d’une ligne électrique de 4 400 km ! Celle-ci relierait la centrale hydroélectrique d’Inga au Zaïre à la ville du Caire en passant par la Centrafrique, le Tchad et le Soudan. L’étude est financée par la BAD [...]. Pour l’Egypte — qui connaît une forte croissance démographique et souffre d’une pénurie de courant-, le projet se justifie », Jeune Afrique n° 1092, 10-16 juin 1993.
278 COLLIARD, op.cit. (note 122), p. 375.
279 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 923, p. 111.
280 Texte dans la Revista Brasileira de Energia Electrica n° 24, avril-juin 1973, p. 45.
281 Le barrage de Mobaye-Mbongo a été inauguré le 24 novembre 1989. Voir journal Elima, 12 décembre 1989.
282 YADI, M., « La Communauté économique des pays des Grands Lacs », Studia diplomatica, vol. 34, 1981, p. 738-739.
283 BELAOUANE-GHERARI el GHERARI, op.cit. (note 249). p. 301.
284 Tous ces accords et résolutions sont inédits.
285 CNUCED, « Questionnaire adressé aux Organisations internationales régionales et sous-régionales de coopération et d’intégration économique des pays en voie de développement », doc. l’UNCTAD/ECDC/Misc.78. 1991.
286 Jeune Afrique n° 1046, 21 janvier 1981, p. 46.
287 Op.cit. (note 261), p. 2
288 Op.cit. (note 260), p. 9
289 Op.cit. (note 277), p. 3
290 Sur l’utilisation des eaux du Nil, voir, en plus de l’ouvrage précité de GODANA, BARDONNET, D., « Le régime juridique du Nil », Annales malgaches, vol. 1, 1963, p. 1-32 ; FAHMI, A.M., “International River Law for Non-navigable Rivers with Special Reference of the Nile”, Revue égyptienne de droit international, vol. 23, 1967, p. 39-62 ; GARRETSON, A.H., “The Nile Basin”, in GARRETSON, HAYTON et OLM-STEAD, (éd.), op.cit. (note 111), p. 256-297 ; et OKIDI, CO, “Review of Treaties on Consumptive Utilization of Waters of Lake Victoria and Nile Drainage System”, Natural Resources Journal, vol. 22, 1982, p. 161-199.
291 Exception faite de la construction du barrage d’Owen Falls (Egypte et Ouganda).
292 Le Monde diplomatique, août 1988, p. 6.
293 op.cit. (note 165), p. 1.
294 op.cit. (note 6), p.1.
295 Nations Unies, « Rapport de la réunion intergouvernementale d’experts sur la mise en valeur du fleuve Congo/Zaïre », doc. E/ECA/TCD/48, 1988, Annexe IV.
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