Chapitre IV. L’affinement du mécanisme de sanctions
p. 211-298
Texte intégral
1Au vu des problèmes rencontrés lors de la mise en œuvre du mécanisme de sanctions des Nations Unies, force est d’admettre que ce mécanisme n’est pas parfait. Il ne s’agit pourtant pas ici de remettre en cause le recoure aux sanctions comme instruments de maintien et de rétablissement de la paix internationale, en s’interrogeant sur son utilité et, de là, proposer d’autres moyens plus efficaces. Dans une société internationale qui a banni la menace ou l’usage de la force dans les relations entre ses membres, les sanctions non militaires demeurent à notre avis l’instrument à privilégier. Seulement, cet instrument collectif, après tout nouveau et en voie de développement548, a besoin d’être affiné pour être pleinement efficace et satisfaisant. Cet affinement peut intervenir à trois niveaux : au niveau du déclenchement du processus de sanctions (Section I), au niveau de la conception et du maintien des mesures qui en font partie (Section II) et au niveau du retrait de ces mesures (Section III).
Section I. L’affinement au niveau du déclenchement des sanctions
2Certaines imperfections des sanctions imposées actuellement, sources d’effets secondaires de toutes sortes, peuvent être évitées en tenant compte de l’essence même des sanctions des Nations Unies. L’on sait que celles-ci ont pour but d’arrêter un comportement qui menace la paix et la sécurité internationales, lequel vient en général de l’occurrence d’un différend ou d’une situation inter ou intra-étatique ayant des répercussions internationales. Face à une telle situation ou un tel différend, il est de plus en plus admis que les Nations Unies devraient d’abord essayer de les résoudre pacifiquement, et n’imposer les sanctions qu’en dernier recours. Cette mise en avant du règlement pacifique des différends nous ramène à la Conférence de San Francisco lors des débats sur la relation entre le chapitre vi et le chapitre vii de la Charte. Mais elle est également actuelle au vu de nombreux appels en ce sens au sein des organes délibérants des Nations Unies et de son accueil au Conseil de sécurité (§1).
3Il arrive toutefois que l’on doive, malgré les efforts de règlement, recourir aux sanctions pour mettre fin au différend ou à la situation portant atteinte à la paix. Dans ce cas, raffinement des sanctions vient du respect de leur objectif intrinsèque, en restant dans la limite de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (§2). Un des procédés menant à ce résultat, au moment du déclenchement des sanctions, est l’évaluation préalable des effets potentiels des sanctions, de manière à mieux choisir les mesures à imposer et, de là, avoir une meilleure adéquation entre les fins de celles-ci et les moyens pour y parvenir (§3).
§1. La mise en avant de l’effort de règlement des différends
4Les récentes discussions sur la nécessité de recourir, avant toute sanction, au règlement du différend ou de la situation portant atteinte à la paix internationale reprennent en fait de vieux débats sur l’aménagement du rapport entre règlement des différends et action coercitive, lors de la rédaction de la Charte des Nations Unies.
A. Rapport entre règlement des différends et action coercitive dans la Charte
5Le nœud de ce rapport se trouve à l’article 39 de la Charte dont la bonne compréhension commence par l’analyse des travaux préparatoires de la Charte, notamment des sections A et B du chapitre viii de la proposition de Dumbarton Oaks.
1. Les arrangements pour le maintien de la paix selon la proposition de Dumbarton Oaks
6Comme on l’a dit, les actuels chapitres vi et vii de la Charte avaient été mis dans la proposition de Dumbarton Oaks dans un même chapitre viii divisé en trois sections A, B et C549. Seules les sections A et B vont nous intéresser ici, la section C étant dévolue au rôle des organisations régionales dans le maintien de la paix (devenu chapitre viii de la Charte). Selon le schéma de ce chapitre, si un différend n’avait pas été résolu suivant les moyens prévus dans la Section A, le paragraphe 1 de la Section B autorisait le Conseil de sécurité à prendre toutes mesures nécessaires au maintien de la paix. Il devait à ce moment déterminer s’il y a danger pour la paix, rupture de la paix ou acte d’agression et « faire des recommandations ou décider des mesures à prendre en vue de maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales » (par. 2). Et si ces recommandations ne suffisaient pas à maintenir ou rétablir la paix, le Conseil de sécurité pouvait déterminer les mesures diplomatiques, économiques ou autres à prendre par les Etats pour rendre ses décisions efficaces (par. 3). Dans le texte de la Charte, ces deux sections sont devenues les chapitres vi et vii.
7Deux choses sont à relever ici. D’abord, le fait d’avoir mis ces sections dans un seul chapitre montre que dans l’esprit des fondateurs de l’ONU les actions qui y sont prévues forment un tout. Il s’agissait, comme l’indique le titre de l’ex-chapitre viii, d’un ensemble d’« arrangements pour le maintien de la paix ». Ensuite, on peut dire que l’idée sous-tendant ces arrangements était de privilégier le règlement pacifique des différends et de ne recourir aux sanctions non armées qu’après l’échec du premier. Le paragraphe 1 de la section B établissait alors une transition entre le règlement pacifique et les mesures coercitives, où l’échec de règlement d’un différend constituait une menace contre la paix. A cet égard, le rapport de Paul Boncourt550sur les discussions relatives à ces dispositions est particulièrement pertinent. D’après lui, il y a cinq mesures graduées qui sont à la disposition du Conseil de sécurité pour sauvegarder la paix :
1. Constatation de l’existence d’un danger pour la paix,
2. Invitation aux parties de régler leur différend par des moyens pacifiques,
3. Recommandation aux parties indiquant les moyens les plus appropriés de régler leur différend,
4. Mesures coercitives diplomatiques et économiques,
5. Emploi de la force armée551.
8Le rapporteur précisait alors que ce n’est qu’après l’échec des trois premières mesures (constatation, invitation aux parties de régler pacifiquement leur différend et recommandations des moyens appropriés en ce sens) que les mesures des deux dernières catégories seront utilisées (mesures coercitives non militaires et action armée)552.
9Lors de la Conférence de San Francisco toutefois, ce lien entre règlement pacifique de différends et mesures coercitives a été rompu pour montrer clairement “that the Council could recommend terms or order sanctions whatever might be the cause of the threat of the breach in question”553. En conséquence, l’accès du Conseil de sécurité aux pouvoirs spécifiques du chapitre vii n’est pas conditionné par l’échec du règlement des différends. Cette condition était jugée superflue vu l’étendue du pouvoir de décision que les fondateurs de l’ONU entendaient donner au Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale554. On soulignait alors que
[l]e devoir strict et impératif du Conseil de sécurité est d’empêcher, avant toutes choses, le conflit d’éclater ou de s’étendre, laissant à plus tard le soin de régler les causes qui en ont donné naissance et à défaut d’exercer les sanctions nécessaires555.
10Toutefois, la question de règlement pacifique des différends n’est pas totalement absente du système coercitif du chapitre vii de la Charte des Nations Unies, même si sa véritable place dans ce système reste à déterminer.
2. La place du règlement des différends dans le chapitre vii de la Charte
11L’article 39 de la Charte, qui ouvre la porte du pouvoir coercitif du Conseil de sécurité, prévoit qu’après avoir constaté l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, le Conseil de sécurité,
fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.
12A quelles recommandations se réfère-t-on ici : aux recommandations des mesures prévues aux articles 41 et 42 de la Charte, ou aux recommandations d’autres mesures en dehors du chapitre vii, telles que celles relatives au règlement des différends prévues au chapitre vi, suggérées au point 3 du rapport précité de Paul Boncourt ?
13Il s’agit d’une question controversée due à une différence d’interprétation des travaux préparatoires de la Charte et de l’appréciation de la pratique subséquente du Conseil de sécurité. L’idée actuelle de privilégier la recherche d’une solution pacifique, après une constatation de l’article 39 mais avant d’ordonner des mesures coercitives, se base sur l’interprétation qui affirme que les mesures à recommander sont celles relatives au règlement de différend. S’agit-il d’une interprétation abusive des dispositions de la Charte ou est-ce, au contraire, l’interprétation la plus conforme à la lettre et à l’esprit de la Charte ?
a) La controverse sur l’interprétation de l’article 39 à propos des mesures à recommander
14Deux thèses s’affrontent sur l’identification de ces mesures. La première avance que les mesures à recommander et celles à décider sur la base de l’article 39 de la Charte sont les mêmes, ou peuvent l’être, à savoir celles prévues aux articles 41 et 42. D’autres réfutent cette interprétation en arguant que ce sont des mesures relatives au règlement de différends que le Conseil de sécurité recommande à l’article 39.
i) Les mesures à recommander et à décider sur la base de l’article 39 seraient les mêmes
15D’après cette thèse, une fois la constatation de l’article 39 faite, le Conseil a le choix entre deux attitudes : décider des mesures obligatoires prévues aux articles 41 et 42 ou recommander seulement les mêmes mesures, ladite recommandation n’ayant pas de valeur contraignante à l’égard des Etats. On a ainsi écrit :
The resolution on measures may be either in the nature of recommendation or a binding decision, or it may be partly recommendatory and partly binding... The language used in Article 41 could give the impression that all resolutions on the employment of measures not involving the use of armed force are binding. This interpretation, however, is refuted by Article 39… which provides that the Council “shall make recommendations, or decide what measures shall be taken in accordance with Articles 41 and 42”… thus indicating that a resolution under Article 41 can be either a recommendation or a binding decision556.
16Les partisans de cette interprétation s’appuient sur la pratique du Conseil de sécurité recommandant des mesures non militaires analogues à celles prévues à l’article 41 de la Charte557. Analysant cette pratique, Gérard Cohen-Jonathan écrit que « dans les résolutions où le Conseil a recommandé des mesures de pression à l’égard d’un Etat, la qualification qu’il donnait de la situation en cause faisait largement douter qu’il se situait dans le cadre de l’article 39 et du Chapitre vii »558.
17On peut tout de même citer l’action du Conseil de sécurité dans la situation en Corée comme un exemple de recommandation de mesures prévues au chapitre vii après une constatation de l’article 39. « Prenant acte de l’attaque dirigée contre la République de Corée par des forces armées venues de Corée du Nord », le Conseil « constat[ait] que cette action constitue une rupture de la paix »559. Il recommandait ensuite aux membres des Nations Unies « d’apporter à la République de Corée toute l’aide nécessaire pour repousser les assaillants et rétablir dans cette région la paix et la sécurité internationales »560. Plus tard, le Conseil recommandait que tous les Etats fournissant des forces militaires et une assistance à la Corée du Sud en application des résolutions précédentes « mettent ces forces et cette assistance à la disposition d’un commandement unifié sous l’autorité des Etats-Unis d’Amérique »561, et autorisait ce commandement unifié « à utiliser à sa discrétion, au cours des opérations contre les forces de la Corée du Nord, le drapeau des Nations Unies... »562.
18Si on fait abstraction d’un formalisme rigoureux, on doit reconnaître qu’on est ici en face d’une constatation de l’article 39, suivie d’une recommandation de mesures militaires de l’article 42, même si le Conseil ne s’est pas expressément référé à cet article563. Il est à remarquer que, dans cette affaire, le Conseil de sécurité n’avait fait aucune recommandation relative au règlement pacifique de différends entre les deux parties de la Corée. Il se contentait de lancer un appel à la cessation des hostilités et d’exiger le retrait immédiat des forces armées de la Corée du Nord au-delà du 38e parallèle.
19Comment qualifier juridiquement ces mesures militaires recommandées par le Conseil après la constatation de l’une des trois situations de l’article 39 ? D’emblée, il faut dire que cette pratique est en contradiction avec le caractère coercitif de ces mesures militaires telles qu’envisagées au chapitre vii de la Charte. Ces mesures sont en effet des moyens de pression à appliquer par tous les Etats en réponse à une situation ou à un comportement que les Nations Unies ne veulent pas voir se prolonger. Que resterait-il de ce caractère coercitif si les Etats, agissant en tant que bras séculier des Nations Unies, sont libres d’appliquer ou non les mesures adoptées par le Conseil de sécurité ? Il faudrait voir dans ces recommandations de mesures économiques ou militaires une habilitation pour des actions étatiques individuelles. Elles feront office de circonstances excluant l’illicéité de ces actions étatiques si elles étaient prises sur la base des initiatives individuelles564. En tout cas, il peut difficilement s’agir de mesures coercitives recommandées. L’idée même d’une « sanction recommandée » est juridiquement impropre.
20A ce stade, il convient de préciser que le Conseil de sécurité a en pratique le pouvoir de recommander ces mesures au lieu de les imposer565. La question est toutefois celle de savoir si ces recommandations sont fondées sur l’article 39 de la Charte. Nous ne le pensons pas car, mis à part le cas coréen, le Conseil de sécurité n’a jamais recommandé des mesures visées aux articles 41 et 42 à la suite d’une constatation explicite de l’une des trois situations de l’article 39566. Ainsi, les mesures à recommander et celles à décider sur la base de l’article 39 ne sont pas les mêmes.
ii) La non-identité des mesures à recommander et à décider en vertu de l’article 39
21C’est l’interprétation qui nous semble la plus proche de l’analyse des travaux préparatoires de la Charte, laquelle a été confirmée par une décision judiciaire de 1995. Il est déjà clair dans le texte de l’article 39 que les mesures à décider sont celles prévues aux articles 41 et 42 de la Charte, contrairement à celles à recommander qui restent assez floues. Le rapport de Paul Boncourt, déjà cité, nous apporte une précision importante à cet égard :
En utilisant dans la Section B le mot « recommandations », qui est déjà inscrit dans l’alinéa 5 de la Section A, le Comité a entendu indiquer que l’action du Conseil, dans la mesure où elle se rapporte au règlement pacifique du différend ou de la situation ayant donné naissance à la menace de guerre, la rupture de la paix ou l’agression, devrait être considérée comme réglée par les dispositions de la Section A. Dans une telle hypothèse, le Conseil poursuivrait en réalité simultanément deux actions distinctes, l’une ayant pour objet le règlement du différend ou de la difficulté, l’autre les mesures coercitives ou conservatoires, chacune d’elles régie par une section propre du Chapitre viii [de la Proposition de Dumbarton Oaks]567.
22Et il est précisé que l’inscription de cette observation dans le rapport du Comité III sur les mesures coercitives « a été unanimement approuvée par le Comité »568. Ainsi, le vrai sens de l’article 39 est qu’après avoir fait la constatation nécessaire, le Conseil de sécurité peut soit continuer son effort de règlement pacifique du différend ou de la situation en cours, en faisant des recommandations sur les procédures ou méthodes d’ajustement adéquates (article 36, par. 1) ou même sur les termes de règlement qu’il juge appropriés (article 37, par. 2), soit décider sans attendre l’imposition de mesures coercitives des articles 41 et 42569. Dès lors,
les recommandations visées à l’article 39 ne se placent pas sur le même plan que la décision qui suit : le Conseil de sécurité n’a pas à choisir entre recommander et décider les mesures des articles 41 et suivants, mais entre continuer à faire des recommandations en vertu du Chapitre vi et entreprendre une action obligatoire en vertu du Chapitre vii570.
23Les actions du Conseil dans la guerre des Malouines et dans les conflits entre l’Iran et l’Iraq illustrent cette approche. Dans sa résolution 502 (1982), le Conseil de sécurité, « [Constatant qu’il existe une rupture de la paix dans la région des îles Falkland (Malvinas) », avait exigé une cessation immédiate des hostilités, le retrait immédiat de toutes les forces argentines des îles contestées et demandé aux deux parties « de rechercher une solution diplomatique à leurs différends et de respecter pleinement les buts et principes de la Charte des Nations Unies »571. Dans sa résolution 598 (1987), le Conseil de sécurité, après avoir constaté « qu’il existe une rupture de la paix en ce qui concerne le conflit entre l’Iran et l’Iraq », puis précisé qu’il agissait « en vertu des Articles 39 et 40 de la Charte », avait exigé « comme première mesure en vue de règlement négocié », un cessez-le-feu immédiat, une suspension de toutes actions militaires et le retrait sans délai de toutes les forces jusqu’aux frontières internationalement reconnues572. Recommandant encore d’autres mesures relatives aux prisonniers de guerre et à l’envoi d’observateurs pour contrôler le cessez-le-feu, le Conseil demandait aux parties de coopérer « aux efforts de médiation en vue de parvenir à un règlement global, juste et honorable, acceptable par les deux parties, de toutes les questions en suspens »573. On remarquera dans ces deux cas que le Conseil de sécurité, après la constatation d’une rupture de la paix, a choisi d’encourager le règlement pacifique des différends entre les parties sans aller jusqu’à l’imposition ou à la recommandation de mesures prévues aux articles 41 et 42 de la Charte.
24Enfin, il est intéressant de relever que dans son analyse de la recommandation de mesures militaires en Corée (S/RES/83 du 27 juin 1950), Hans Kelsen soutenait que les recommandations de l’article 39 sont celles relatives au règlement des différends et les mesures à décider celles des articles 41 et 42 :
The recommendation made in the resolution of June 27 implies the recommendation of an enforcement action involving the use of armed force. Article 39, it is true, authorizes the Security Council... to “make re-commendations”, without restricting the content of these recommendations. But it is doubtful whether a recommendation of an enforcement action corresponds to the intention of those who framed the Charter… Making recommendations and taking enforcement measures are, within the meaning of Article 39, two different functions of the Security Council. If the Security Council… is of the opinion that enforcement measures are necessary to maintain or restore international peace, the Council must take these measures itself by acting under Article 41 or 42, that is to say, by ordering Members to apply certain measures... That means that enforcement measures under Article 39 can only be ordered by the Security Council, but not recommended... If the Council wants to make recommendations under Article 39, it cannot recommend enforcement measures; it can recommend only peaceful means for the adjustment of a situation which the Council has declared to be a threat to, or breach of, the peace574.
25L’Arrêt Tadic de la Chambre d’Appel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie apporte une confirmation de cette interprétation de l’article 39575. Examinant l’étendue des pouvoirs du Conseil aux termes de l’article 39, la Chambre concluait :
Le Conseil de sécurité joue un rôle central dans l’application des deux parties de l’article. C’est le Conseil de sécurité qui constate s’il existe une des situations justifiant l’utilisation des « pouvoirs exceptionnels » du Chapitre vii. Et c’est également le Conseil de sécurité qui choisit la réponse à une telle situation : ou il présente des recommandations (c’est-à-dire qu’il choisit de ne pas recourir aux pouvoirs exceptionnels mais de continuer à opérer dans le cadre du Chapitre vi) ou il décide d’utiliser les pouvoirs exceptionnels en ordonnant des mesures devant être prises conformément aux articles 41 et 42 en vue de maintenir ou de rétablir la paix et la sécurité internationales576.
b) Remarque conclusive
26Ainsi, nous pouvons dire que la Charte permet au Conseil de sécurité de continuer à rechercher des solutions non coercitives même lorsqu’il se trouve déjà dans le cadre du chapitre vii. En d’autres termes, le processus coercitif n’exclut pas l’effort de règlement du différend ou de la situation déclenchant ce processus. Après la qualification de ces faits comme une menace ou une rupture de la paix, l’action coercitive n’est pas la seule option ouverte au Conseil de sécurité. Il a la possibilité de s’arrêter à cette constatation, qui est déjà un signe fort de la réprobation internationale du comportement visé, pour privilégier la recherche de solution non coercitive à la situation, et ce, de manière active ou passive. Bien entendu, il s’agit d’une option et non d’une obligation, le Conseil étant toujours libre de poursuivre son action coercitive si la situation l’exige.
27Cette option, plus ou moins occultée par la pratique onusienne durant la décennie des sanctions, a été dépoussiérée depuis quelques années par certains Etats. Ceux-ci revendiquent un mécanisme de réaction qui ne fait appel aux sanctions qu’en dernier recours. Il va sans dire que cette proposition va plus loin que l’aménagement du rapport entre les chapitres vi et vii de la Charte que l’on vient d’examiner. Elle y trouve toutefois, à notre avis, sa racine même si ses initiateurs ne l’ont pas expressément présenté ainsi. Justement, de quelle manière a été présentée cette proposition, et comment a-t-elle été accueillie à l’Assemblée générale, où sont représentés tous les membres des Nations Unies, et au Conseil de sécurité, auquel elle s’adresse ?
B. La sanction comme un moyen de dernier recours : une opinion montante
1. Le concept
28La proposition évoquée précédemment vient de la constatation de la gravité et de la globalité des effets des sanctions, qui appelle alors un recours modéré à celles-ci. Ces sanctions interfèrent sur les droits, intérêts et obligations de l’ensemble des Etats et de leurs composantes humaines, alors que d’autres solutions qui touchent seulement ceux qui sont impliqués dans la situation troublant la paix existent et, par conséquent, doivent être recherchées en premier lieu. Cette approche a été discutée au sein du Comité spécial de la Charte et du raffermissement du rôle de l’Organisation, à partir d’un document de travail soumis par la Fédération de la Russie en 1996 et révisé l’année suivante577.
29Elle peut se résumer comme suit. L’adoption de sanctions obligatoires est une mesure extrême, ayant des conséquences néfastes non seulement pour l’Etat visé mais pour l’ensemble de la communauté internationale578. Dans les cas où l’on envisage d’adopter des sanctions, il convient de garder à l’esprit qu’elles ne sont que l’un des nombreux instruments non militaires dont on dispose pour conjurer des menaces pesant sur la paix et la sécurité internationales579. Dès lors, les sanctions ne doivent être prises qu’une fois que tous les autres moyens pacifiques visant à régler les différends ou conflits ont été épuisés, et seulement en cas de « menace réelle » pour la paix ou d’une rupture de la paix. En cas de doute, on recourra d’abord à des mesures à caractère non contraignant, telles que les mesures provisoires de l’article 40 de la Charte ou les mesures recommandées580.
30Au sein du Comité spécial de la Charte, les Etats avaient plus ou moins adhéré à la proposition, même si l’on déplorait les termes catégoriques utilisés par l’auteur de la proposition, qui ne tient pas compte de la souplesse nécessaire aux réactions du Conseil de sécurité à une menace ou à une rupture de la paix581. En outre, il a été dit que « les sanctions ne devraient pas être nécessairement considérées comme une mesure de dernier ressort et qu’en fait, elles pouvaient être considérées dans certains cas, notamment les embargos sur les armes, comme des mesures préventives »582. Toutefois, il ressort de la discussion que si l’énoncé de l’approche pouvait être amélioré, l’orientation principale, à savoir que les sanctions ne devraient être appliquées qu’en dernier ressort, était correcte583. L’idée était d’empêcher le Conseil de sécurité de faire des sanctions un outil politique584, ce que semble confirmer les réactions des Etats au sein de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité.
2. L’accueil de la proposition au sein des organes principaux de l’ONU
a) A l’Assemblée générale
31A l’Assemblée générale, la proposition semble avoir été bien accueillie si l’on s’attache aux dispositions de la résolution 51/242 du 15 septembre 1997, adoptée à l’unanimité. Le paragraphe 1 de l’Annexe II de cette résolution stipule :
Le recours aux sanctions devrait être décidé avec la plus grande prudence, uniquement lorsque toutes les autres solutions pacifiques prévues par la Charte se sont révélées inefficaces…585
32A l’instar de l’aménagement du rapport entre les articles 41 et 42 de la Charte, on retrouve ici la même idée de progressivité de la réaction des Nations Unies, où l’on passe des mesures moins bénignes à celles plus sévères. Et pareillement, cette progressivité n’est pas non plus posée comme une obligation absolue du Conseil de sécurité, mais comme une solution normalement à privilégier sauf circonstances exceptionnelles dictées par la situation à laquelle le Conseil doit faire face.
33Des interventions lors de l’examen par l’Assemblée générale des rapports annuels du Conseil de sécurité confortent cet appel de la résolution 51/242. Nous en citerons deux particulièrement expressives. Ainsi, à la 53e session de l’Assemblée générale, le représentant de la Malaisie « réitèr[e] l’observation faite à l’Assemblée générale, selon laquelle les sanctions devraient être un instrument de dernier ressort, lorsque tous les autres moyens ont été épuisés. Elles ne devraient être imposées que lorsque cela est absolument nécessaire »586. A son tour, le représentant de Myanmar précise :
Même s’il est admis que le Conseil de sécurité a le droit de prendre les mesures qui s’imposent lorsque la paix et la sécurité internationales sont manifestement menacées, il ne devrait recourir à des sanctions que lorsque toutes les autres options ont été épuisées... Comme nous le savons par expérience, les sanctions actuelles imposées à certains pays sont extrêmement difficiles à lever pour différentes raisons, ce qui prolonge les souffrances résultant de ces sanctions pour les pays concernés et les difficultés économiques des pays tiers à qui l’on demande d’appliquer les sanctions. Bien qu’une nouvelle orientation semble se dessiner au Conseil concernant les sanctions, cela ne devrait pas encourager une tendance évidente au Conseil à recourir aux sanctions à la première occasion. Nous voudrions proposer que les principes relatifs aux sanctions exposés dans la résolution 51/242 de l’Assemblée générale régissent la prise de décision sur la question587.
b) Au Conseil de sécurité
34Pour sa part, le Conseil de sécurité a eu l’occasion de débattre sur cette question lors d’une séance spéciale consacrée aux questions générales relatives aux sanctions laquelle, d’après le représentant du Royaume-Uni, est « destinée à jeter les bases d’une révision de la démarche suivie par le Conseil de sécurité »588. Sur les quinze membres du Conseil589, douze se sont prononcés, à des degrés divers, en faveur d’une sanction posée comme la dernière option à prendre, après l’épuisement des règlements pacifiques prévus au chapitre vi de la Charte. Les interventions des représentants du Bangladesh, de la Malaisie, de la Tunisie, du Mali et de la Russie reprennent, plus ou moins dans les mêmes termes, cette idée590.
35Les sept autres membres du Conseil apportent des éclaircissements supplémentaires. Ainsi pour la France, « il convient de ne pas employer l’instrument des sanctions à la légère. Les sanctions doivent rester un instrument qui doit être employé de manière exceptionnelle, et une fois que d’autres possibilités de règlement pacifiques ont été utilisées... Les cas dans lesquels l’imposition de sanctions est possible doivent être interprétés strictement. Les mesures de l’Article 41 de la Charte ne peuvent être prises que pour maintenir ou restaurer la sécurité et la paix internationales »591. Dès lors, disait le représentant ukrainien, « l’imposition de sanctions devrait suivre, et non précéder, le recours à d’autres moyens pacifiques de règlement de différends, comme le prévoient le droit international et la Charte des Nations Unies »592.
36La Chine remarque, quant à elle, que « les sanctions, si elles peuvent permettre dans certains cas d’apporter une solution, ne sont en aucun cas une panacée ». Par conséquent, elles « ne doivent pas devenir la réponse à tout »593. Cela va dans le sens de l’opinion de l’Argentine pour qui « la première question [dans la conception des sanctions] serait de savoir si le recours aux sanctions est l’instrument adéquat dans un cas donné »594. En effet, « les sanctions, remarque le représentant des Pays-Bas, ne peuvent être considérées comme un instrument envisagé à l’exclusion de tout le reste. Elles doivent faire partie d’une stratégie plus large visant à mener des changements factuels de comportement de la part de l’Etat ou de l’entité visé »595.
37Le représentant du Canada précise d’ailleurs que cette intégration des sanctions dans une stratégie générale du Conseil en matière de prévention et de résolution des conflits constitue l’un des critères d’une bonne sanction. « C’est pourquoi, dit-il, il faut non seulement bien définir toutes les modalités d’un régime de sanctions, mais aussi lier clairement celui-ci à un processus de négociation »596. Bref, comme l’a noté la représentante de la Jamaïque, « les sanctions ne peuvent être une fin en soi : elles doivent plutôt être un moyen permettant d’atteindre un but [et] sont conçues pour régler des conflits plutôt que pour infliger des châtiments »597.
38Pour ce qui est des trois membres restants (les Etats-Unis, la Namibie et le Royaume-Uni), ils n’ont fait aucune mention à cet égard, concentrant plutôt leurs interventions sur d’autres aspects des sanctions. L’interprétation de leur silence comme une opposition ou une adhésion tacite au concept demeure donc réservée. A souligner que d’autres Etats non-membres du Conseil, ayant pris part à cette séance, ont également soutenu l’idée598.
39En conclusion, on peut dire qu’il y a déjà une large adhésion des membres du Conseil de sécurité à ce concept de sanction comme étape ultime de la réaction de l’Organisation puisque douze des quinze membres se sont prononcés en faveur de cette idée. Il faut en attendre la confirmation dans le rapport à venir du Groupe de travail créé par le Conseil pour formuler des recommandations sur les dispositions à prendre en vue de renforcer l’efficacité des sanctions imposées par l’ONU599. La séance spéciale du Conseil devait d’ailleurs définir le mandat du Groupe de travail et lui servir de base de discussion, en plus des autres études faites par l’Assemblée générale, le Comité spécial de la Charte et autres organismes en dehors de l’ONU.
3. Valeur juridique du concept élaboré
40Quelle est la valeur juridique à rattacher à cette proposition et les prises de position en sa faveur ? Assiste-t-on à l’émergence d’une opinio juris sur la question ? Il est tentant de répondre par l’affirmative dans la mesure où il y a suffisamment d’éléments qui démontrent une volonté de la majorité des Etats membres des Nations Unies, et même une majorité des membres du Conseil de sécurité en tant qu’entités particulièrement intéressées, de suivre cette approche comme alternative à la pratique actuelle de sanction immédiate. Le vote à l’unanimité de la résolution 51/242 de l’Assemblée générale, qui contient une disposition explicite en faveur d’une telle idée, en est une preuve.
41D’un point de vue strictement juridique toutefois, la preuve de l’existence d’une opinio juris se réfère à l’émergence d’une nouvelle règle coutumière. Or, il ne s’agit pas ici d’une règle totalement nouvelle étant donné ce qu’on a mentionné plus haut à propos de l’aménagement dans la Charte des rapports entre le règlement des différends et l’action coercitive. Il faut donc plutôt y voir une nouvelle interprétation des dispositions et règles existantes de la Charte. Autrement dit, il faut considérer ces positions comme une interprétation évolutive des conditions de recours aux sanctions à la lumière du contexte actuel et de l’évolution du droit international. Et il reste à observer comment le Conseil de sécurité va prendre en compte cette interprétation dans sa pratique future relative aux sanctions, et surtout voir comment les Etats vont réagir à une éventuelle pratique qui ignorerait cette nouvelle position.
42Pour finir, il importe de préciser que cette approche n’entend pas empêcher la qualification par le Conseil de sécurité d’un fait déterminé comme une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression. Au contraire, elle permet déjà la réaction de la communauté internationale du fait de cette constatation, et laisse même entrevoir à l’égard de l’entité fauteur de trouble une coercition imminente. Seulement, pour des raisons de prudence et d’interprétation stricte de la nécessité du recours aux sanctions600, on demande au Conseil de sécurité de ne pas y recourir immédiatement mais de prendre l’autre option ouverte par la deuxième partie de l’article 39 de la Charte601. Et c’est seulement lorsque cette option ne porte pas ses fruits que l’on passe à la phase coercitive, en veillant dans ce cas à respecter cet objectif coercitif des sanctions des Nations Unies.
§2. Le respect de l’objectif des sanctions
43Comme dans le paragraphe précédent, notre propos ici n’est pas de faire ressortir une nouvelle obligation du Conseil de sécurité. Les sanctions ont un objectif précis déjà inclus dans la Charte et reprécisé dans des actes ultérieurs des organes des Nations Unies, à la lumière d’une pratique déviante du Conseil de sécurité. Le strict respect de cet objectif permet d’écarter les imperfections des sanctions imposées jusqu’ici, augmentant encore la proportion de leurs effets secondaires.
A. L’objectif intrinsèque des sanctions des Nations Unies
44Le but de l’action coercitive du Conseil de sécurité après la constatation de l’existence d’une menace ou d’une rupture de la paix transparaît déjà dans les dispositions de la Charte même si cette question n’avait pas eu l’attention qu’elle mérite lors de la Conférence de San Francisco.
1. La Charte et les travaux préparatoires
45Dans la Charte, deux dispositions nous éclairent sur la question : l’article 1, par. 1, selon lequel la prise de mesures collectives a pour but de « prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix » ; et l’article 41 aux termes duquel les mesures coercitives sont prises par le Conseil de sécurité « pour donner effet à ses décisions ». Ces décisions sont celles adressées aux Etats ou entités responsables de l’occurrence de l’une des trois situations de l’article 39. Les mesures coercitives, prises contre cette situation, tendent à obliger ces Etats à arrêter leur comportement qui menace ou rompt la paix et la sécurité internationales.
46Lors de l’adoption de la Charte en 1945 toutefois, cette question de l’objectif exact des mesures coercitives n’avait pas fait l’objet d’un débat de fond. En tout cas, elle n’avait pas été examinée comme telle. On peut juste la retrouver à travers la discussion du premier but des Nations Unies, à savoir le maintien de la paix et de la sécurité internationales et la place de la justice et du droit dans cet effort. On disait alors que le Conseil de sécurité, face à une menace contre la paix ou à une rupture de la paix aura le rôle d’un gendarme qui a le droit et le devoir d’empêcher ceux qui veulent se battre ou d’arrêter ceux qui sont en train de se battre602. Il était encore précisé qu’« à la première étape de son activité, l’Organisation doit insister et prendre des mesures pour que les Etats ne menacent pas la paix ou ne causent pas une rupture de cet état de paix. Néanmoins, s’ils agissent ainsi, l’Organisation doit, dans un second stage de son activité, mettre promptement un terme à toutes menaces contre la paix »603.
47Si l’on se base sur ces indices et les dispositions pertinentes de la Charte, les sanctions à imposer par le Conseil de sécurité ont donc pour but d’amener les Etats à arrêter leurs comportements qui menacent ou rompent l’état de paix internationale, et ce, lorsque le changement volontaire de ces comportements n’a pas eu lieu malgré l’appel du Conseil en ce sens.
2. Les précisions apportées au cours de la « décennie des sanctions »
48La multiplication des sanctions imposées par les Nations Unies dans les années 1990, et certaines ambiguïtés constatées quant à leurs buts, a amené divers organes de l’ONU, relayés par les Etats, à préciser l’objectif des sanctions. Ainsi, dans une section du « Supplément à l’Agenda pour la paix » relative aux sanctions, le Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali rappelle que
[l]es sanctions ont pour objectif de modifier le comportement d’une partie qui menace la paix et la sécurité internationales et non de punir ou d’infliger un châtiment quelconque604.
49S’inspirant de la pratique où l’on a constaté que les objectifs à atteindre par certains régimes de sanctions n’ont pas été clairement définis et semblent parfois changer avec le temps, il met en garde les Etats en ces termes :
Si l’on veut que le recours aux sanctions en tant qu’instrument efficace continue de jouir d’un appui général, il faut veiller à ne pas donner l’impression que les sanctions ont pour objectif de punir plutôt que de modifier un comportement politique, ou que les critères sont changés pour servir des fins autres que celles qui sont à l’origine de la décision605.
50Dans une déclaration de son Président qui fait suite et accueille ce rapport du Secrétaire général, le Conseil de sécurité tient le même discours. Soulignant « l’importance qu’il attache à l’application effective de toutes les mesures qu’il prend en voie de maintenir ou de rétablir la paix et la sécurité internationales, y compris les sanctions économiques », le Conseil « convient que celles-ci ont pour objet non de punir mais de modifier le comportement du pays ou de la partie qui menace la paix et la sécurité internationales »606.
51A côté de cette réaffirmation collective de l’objectif des sanctions, on peut aussi voir des précisions apportées individuellement par les Etats membres du Conseil, dans les déclarations qu’ils ont fait lors de la séance spéciale relative aux sanctions, tenue le 17 avril 2000. Ainsi, on a affirmé que les sanctions sont nécessaires « pour faire rentrer dans le rang les Etats et les gouvernements qui enfreignent les règles de conduite acceptable, défient la communauté internationale et tournent le dos à la diplomatie »607. Elles constituent « un moyen, inscrit dans la Charte, d’exprimer la volonté de la Communauté internationale de mettre fin à un comportement inacceptable »608. En ce sens, « les diverses mesures énumérées à l’article 41 de la Charte visent à modifier l’attitude d’un Etat et n’ont pas de caractère punitif. Nous devons donc éviter que les mesures elles-mêmes ou leurs effets non souhaités soient perçus comme ayant ce caractère. Si c’est le cas, il faut envisager d’éventuelles mesures de rechange »609.
52Il a été aussi précisé que « la logique des sanctions n’est pas punitive, mais incitative »610. En suivant cette logique, « l’objectif des sanctions devrait consister à changer le comportement des auteurs d’actes répréhensibles, à les priver des moyens permettant de faire la guerre et de brutaliser des innocents. Ce faisant, il faut éviter de faire du tort aux personnes même que les sanctions doivent aider »611. En effet, « les sanctions ne visent pas à punir des nations ou des peuples en tant que telle, mais à exercer des pressions très fortes sur les élites ayant pouvoir de décision »612.
53De cette logique incitative découlent certains actes à éviter lors de l’application des sanctions. « Il s’agit d’ôter aux sanctions toute connotation punitive ou de représailles contre les peuples et de veiller à ne pas en faire un frein systématique au développement, notamment des pays du Sud qui subissent le contrecoup des sanctions »613. De même, « il serait inadmissible d’utiliser les sanctions pour renverser le gouvernement légitime ou modifier le régime politique du pays faisant l’objet des sanctions. Ces dernières devraient être adoptées non pour punir un Etat mais pour l’amener à changer de comportement et l’encourager à respecter les exigences du Conseil de sécurité »614.
54Comme nous l’avons annoncé plus haut, il s’agit indéniablement de précisions importantes sur l’objectif des sanctions, tel que stipulé dans la Charte et réaffirmé dans la déclaration de 1995 du Président du Conseil de sécurité. Ne s’éloignant pas de ces dispositions juridiques, nous pensons que les interventions étatiques que l’on vient de citer ont une valeur interprétative. Elles apportent des éclaircissements supplémentaires sur l’objectif des sanctions, à la lumière de la pratique et de l’expérience vécue ou constatée par ces Etats. Et il y a lieu de noter l’insistance des Etats sur le caractère non punitif des sanctions des Nations Unies. En plus de cette valeur interprétative, on peut aussi dire que ces interventions constituent des positions juridiques à prendre en compte par le Groupe de travail créé par le Conseil de sécurité, pour lui faire des recommandations générales sur la manière d’améliorer et d’accroître l’efficacité des sanctions des Nations Unies.
55Du côté de l’Assemblée générale, les mêmes précisions quant à l’objectif des mesures du chapitre vii de la Charte ont été apportées. Le paragraphe 5 de l’Annexe II de la résolution 51/242 précise :
Les sanctions ont pour objectif de modifier le comportement d’une partie qui menace la paix et la sécurité internationales et non de punir ou d’infliger un châtiment quelconque. Les mesures de sanctions devraient être à la mesure de ces objectifs.
56Appliquant cette position à la question de la durée des sanctions, l’Assemblée indique que le Conseil de sécurité, à qui elle reconnaît le pouvoir de déterminer la période d’application des régimes des sanctions, devrait définir cette période en tenant compte de l’objectif des sanctions « qui est de modifier le comportement de la partie visée sans causer de souffrances inutiles à la population civile »615. Pour saisir l’importance de cette affirmation, il suffit de rappeler que la résolution 51/242 a été adoptée à l’unanimité et pourrait être qualifiée d’interprétation authentique des dispositions de la Charte des Nations Unies, faite par l’ensemble des Etats parties à ce traité, à l’image par exemple de la résolution 2625 du 24 octobre 1970.
57En conclusion, on peut dire que les Etats, à titre individuel ou à travers les organes des Nations Unies, sont d’accord pour dire que les sanctions des Nations Unies ont un but coercitif et non punitif. De par ce caractère, le but recherché par les mesures décidées en vertu du chapitre vii de la Charte est avant tout d’obliger un Etat récalcitrant à une décision du Conseil de sécurité à appliquer celle-ci616. Il reste toutefois à traduire cet accord unanime de la communauté internationale dans les faits. La reconnaissance de ce caractère uniquement coercitif des sanctions devrait en effet amener l’ONU et le Conseil de sécurité à repenser sa pratique actuelle, en alignant la conception, le suivi et le maintien des sanctions sur cet objectif. Comme l’а si bien dit le Secrétaire général Kofi Annan :
Nous, aux Nations Unies et la communauté internationale dans son ensemble, devons déployer des efforts plus importants pour faire en sorte que lorsque des sanctions sont imposées à un Etat membre, nous soyons en mesure d’expliquer clairement et avec conviction leur nécessité et leur but ultime617.
58Serions-nous en mesure de donner de telles explications pour tous les cas de sanctions imposées jusqu’ici par le Conseil de sécurité ?
B. Les dérives de la pratique
59Dans la pratique, on a pu constater que la nécessité ainsi que le but ultime de certaines mesures coercitives des Nations Unies n’ont pas toujours été bien clairs ni convaincants. Cela est surtout flagrant dans le cadre des sanctions contre l’Iraq. Ainsi, on peut voir une dérive des sanctions par rapport à leur objectif intrinsèque lorsque le Conseil de sécurité met en place une tutelle internationale de facto sur la partie Nord du territoire iraquien, et accorde un traitement plus favorable à la population kurde de cet Etat.
60Il en va de même quand le Conseil porte atteinte de manière quasi-indéfinie au principe de la souveraineté permanente d’un peuple sur ses ressources naturelles, un corollaire du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en contrôlant le pétrole iraquien et en utilisant les ressources de ce produit comme une source de financement de ses propres devoirs de maintien de la paix, faisant ainsi de l’Iraq « l’un des premiers contributeurs de l’ONU » au cours de la décennie 1990618, surtout si l’on regarde l’affectation des revenus issus de la vente de pétrole iraquien619.
61On constate aussi dans le même cas que l’objectif assigné aux mesures imposées a évolué avec le temps. Dans la résolution 661 (1990), l’objectif était le retrait immédiat et inconditionnel de l’Iraq sur le territoire koweïtien et le rétablissement du gouvernement légitime du Koweït620. Ces objectifs ont été réaffirmés dans les résolutions 665 (1990) et 670 (1990) imposant des blocus maritimes et aériens contre l’Iraq, ainsi que dans la résolution 678 (1990) autorisant les Etats coopérant avec le gouvernement koweïtien à user tous les moyens nécessaires pour les atteindre, à l’issue d’un ultimatum. On peut déjà observer dans cette dernière résolution l’ajout, à côté des deux objectifs initiaux, de l’objectif de rétablissement de la paix et de la sécurité dans la région621. Le changement d’objectif intervient dans la résolution 687 (1991). « Se félicitant du rétablissement de la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité territoriale du Koweït ainsi que du retour de son gouvernement », c’est-à-dire de l’atteinte de l’objectif visé par la résolution 661, le Conseil non seulement n’a pas levé les mesures imposées dans les résolutions antérieures622 mais encore a imposé de nouvelles mesures coercitives contre l’Iraq. Cette fois-ci, l’imposition de nouvelles mesures et le maintien des mesures antérieures sont basés sur « la nécessité d’être assuré de l’intention pacifique de l’Iraq, eu égard qu’il a envahi et occupé illégalement le Koweït »623 et le rétablissement de la paix et de la sécurité internationales dans la région624, objectif déjà mentionné dans la résolution 678.
62Et on fera l’économie d’autres dérives du Conseil de sécurité dans le traitement de ce dossier iraquien, comme l’utilisation du pouvoir de sanction pour ordonner une démarcation territoriale ou pour décider la responsabilité internationale de l’Iraq, actes qui sont normalement dévolus à une autorité judiciaire ou juridictionnelle, ce que le Conseil de sécurité n’est pas625.
63Les exemples que l’on vient de développer suffisent pour montrer que le strict respect de l’objectif des sanctions permet d’éviter une bonne partie des effets secondaires de celles-ci. En effet, sans un changement en cours de son objectif initial, les sanctions économiques globales contre l’Iraq auraient été levées en 1991 après la libération du Koweït. On aurait ainsi évité les catastrophes humanitaires subies par la population civile et les difficultés économiques de nombreux Etats, dues au maintien desdites sanctions pendant treize ans. D’ailleurs, les critères juridiques ayant conditionné la levée du volet économique de ces sanctions, par la résolution 1483 (2003) du 22 mai 2003, ne sont pas très clairs. En effet, aucune référence à l’atteinte de l’un quelconque des objectifs mentionnés ci-dessus n’a été faite dans cette résolution.
64En tout cas, il ne nous appartient pas, dans le cadre de cette étude, de nous interroger sur les motivations politiques, stratégiques ou autres qui présidaient à ces dérives. Il nous suffit simplement de les constater et d’expliquer en quoi ces dérives contribuent à la production d’effets secondaires des sanctions.
65Cela dit, si le respect de l’objectif des sanctions est important dans l’optique de la réduction des effets secondaires de celles-ci, il est loin d’être suffisant. Il faut encore chercher les moyens de rendre effectif l’objectif déclaré d’imposer des sanctions sans prendre en otages des personnes qui n’ont aucune ou peu d’influence sur la décision de suivre ou non les injonctions du Conseil de sécurité. L’étape initiale pour y arriver est l’évaluation au préalable des effets potentiels des mesures qu’on envisage d’imposer.
§3. La pré-évaluation des effets potentiels des sanctions
A. Origine de la proposition
66L’idée d’évaluation préalable des effets potentiels des sanctions a émergé au sein du Comité spécial de la Charte en 1994, lors de l’examen de l’application de l’article 50 de la Charte626. Elle était initialement présentée sous forme de consultations préalables du Conseil de sécurité avec les Etats risquant le plus de se ressentir de l’application des sanctions, notamment ceux ayant des liens économiques étroits avec l’Etat visé. Dans ce cadre, elle était examinée comme une solution aux problèmes des effets secondaires des sanctions à l’égard des Etats non visés. A mesure que les effets des sanctions sur la population civile de l’Etat-cible se faisaient sentir dans les régimes de sanctions des Nations Unies, ces demandes de consultations préalables ont été orientées vers un appel à une évaluation préalable des effets potentiels des sanctions. Cette évaluation aura pour but d’influencer la conception du régime de sanctions à mettre en place vers des mesures qui touchent le moins possible les autres Etats et la population civile de l’Etat à cibler.
67Le Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali a repris cette idée dans son rapport du cinquantenaire de l’ONU. Afin de résoudre le problème des effets secondaires des sanctions, il a proposé la mise en place d’un mécanisme chargé « [d’]évaluer, à la demande du Conseil de sécurité, et avant que des sanctions ne soient imposées, leur impact potentiel sur le pays visé et sur des pays tiers ;... mesurer leurs effets afin de permettre au Conseil de sécurité de les définir avec précision en vue de maximiser leur impact politique et de minimiser les dommages indirects qui en résultent »627.
68L’essence même de la proposition est de permettre au Conseil de sécurité de mieux choisir les mesures à imposer en fonction du contexte économique, social ou autre de l’Etat-cible. Il s’agit de concilier l’objectif de maintien ou de rétablissement de la paix avec les droits essentiels de la population civile des Etats appliquant les sanctions et celle de l’Etat-cible.
B. Procédure et méthodes d’évaluation
69Grâce à des résolutions successives de l’Assemblée générale sur la mise en œuvre des dispositions de l’article 50 de la Charte, et aux rapports correspondants du Secrétaire général628, un mécanisme d’évaluation a été mis en place au sein du Secrétariat, où l’on peut déjà voir la manière dont celui-ci se déclenche, l’entité chargée de le mettre en œuvre et les méthodes prévues pour effectuer l’évaluation.
1. Le processus de mise en œuvre de l’évaluation
70Si le concept d’évaluation préalable est une revendication des Etats membres, ces derniers n’ont toutefois pas oublié que cette évaluation va intervenir dans un contexte de sanctions. Etant donné la responsabilité principale du Conseil de sécurité en la matière, l’initiative de l’envoi d’une mission d’évaluation lui a été, en conséquence, réservée. L’évaluation proprement dite sera, quant à elle, faite sous la responsabilité du Secrétaire général.
71Ce rôle initial du Conseil de sécurité est précisé dans la résolution 50/51 de l’Assemblée générale qui prie le Secrétaire général de prendre dans les services compétents du Secrétariat des personnes pour
recueillir, évaluer et analyser, à la demande du Conseil de sécurité ou de ses organes, les renseignements concernant les répercussions des sanctions sur les Etats tiers qui sont ou pourraient être touchés par l’application de sanctions, et les besoins qui en résultent pour ces Etats, et en informer le Conseil de sécurité et ses organes629.
72La référence de l’Assemblée générale aux organes du Conseil dans cette résolution semble indiquer que la demande d’évaluation peut également être faite par les Comités des sanctions. Le Secrétaire général soulignait aussi que cette activité d’évaluation prescrite par l’Assemblée générale dans sa résolution 50/51 « doivent être expressément provoquées par le Conseil de sécurité [ou] ses organes... »630. Et il ajoutait que le Secrétariat est prêt à les entreprendre, mais n’a pas encore été sollicité.
73Une fois le processus déclenché, le Conseil de sécurité s’efface et le Secrétaire général prend le relais pour la mise en œuvre de l’évaluation. L’évaluation peut prendre la forme soit d’une étude faite par une équipe du Secrétariat soit d’une mission d’évaluation à envoyer sur place. Le Secrétaire général peut, dans ce cas, nommer un représentant spécial ou des fonctionnaires du Secrétariat de l’ONU pour conduire la ou les missions d’évaluation. Ces missions seront appuyées, au niveau du Secrétariat, par le département des affaires politiques, en consultation avec le département de l’information économique et sociale et de l’analyse des politiques631.
74En ce qui concerne les rapports des missions d’évaluation, ils devraient contenir des propositions à la fois préventives et correctives. A titre préventif, les missions doivent proposer des mesures que le Conseil et le système des Nations Unies pourraient prendre pour minimiser les effets non voulus. A titre correctif, les rapports doivent contenir des suggestions pour des dérogations à titre humanitaire et des programmes d’assistance aux Etats touchés632.
75Une question que l’on peut se poser est celle de savoir si l’on a besoin du consentement de l’Etat à cibler pour l’arrivée de ces missions d’évaluation sur son territoire. Dans un contexte de crise, ce dernier ne verra probablement pas d’un bon œil l’arrivée d’une équipe des Nations Unies et le possible impact politique négatif de cette visite. A notre avis, ce consentement ne serait pas nécessaire dans la mesure où l’évaluation est mise en œuvre dans le cadre d’un processus coercitif. Celle-ci intervient après une constatation de l’une des situations visées à l’article 39 de la Charte et, comme cette constatation, a le caractère d’acte préparatoire des sanctions proprement dites. Dans le processus d’imposition des sanctions, l’évaluation préalable est une étape intermédiaire qui intervient entre la constatation et la prise de mesures coercitives.
2. Les méthodes d’évaluation
76Les missions utiliseront une méthode commune d’évaluation, qui a été élaborée par un groupe spécial d’experts633. Cette méthode commune est susceptible, si elle est acceptée, d’être appliquée dans chaque cas634. Pour faciliter le processus d’évaluation, le Groupe spécial a recommandé que soit établie une liste provisoire des effets que les sanctions peuvent exercer sur l’Etat ciblé et sur les autres Etats. Ces effets potentiels, tant directs qu’indirects, peuvent être regroupés en trois catégories : a) effets économiques, commerciaux et financiers ; b) effets sur le plan social et humanitaire, surtout à l’égard des groupes sociaux les plus vulnérables ; c) effets secondaires, habituellement associés aux problèmes que pose l’application des sanctions635. Enfin, le Groupe spécial propose un délai de deux semaines pour la présentation du rapport d’évaluation par le Secrétaire général ou son représentant spécial636.
77En 2002, le bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) a initié un projet pour développer une méthode d’évaluation des implications humanitaires des sanctions. Le projet tend à mettre en place une stratégie standardisée d’évaluation, pour remplacer l’approche ad hoc pour l’évaluation des effets des sanctions dans les années 1990. La question de l’entité devant entreprendre l’évaluation a été également abordée par OCHA. Il propose, dans son rapport final d’octobre 2004, les critères devant guider le Conseil de sécurité dans le choix de cette entité. Ce rapport contient aussi des méthodes pratiques d’évaluation des effets humanitaires des différentes sanctions ciblées susceptibles d’être appliquées par le Conseil de sécurité, ainsi que les méthodes d’interprétation des données collectées à l’issue de l’évaluation637.
78Ayant un contenu très pratique, ces méthodes proposées par l’OCHA gagneraient à être utilisées par le Conseil de sécurité, pour améliorer sa pratique en matière d’évaluation préalable des effets potentiels des sanctions, qui précédait la publication de ce rapport ; en 1996 déjà dans le cadre des sanctions contre le Soudan, et en 2001 dans le cadre des sanctions ciblées contre le Liberia.
3. La pratique
a) Les sanctions contre le Soudan
79Une première application de ce concept d’évaluation préalable a été faite dans le cadre des sanctions contre le Soudan. En 1996, le Conseil de sécurité a décidé que tous les Etats refuseront à tout aéronef lié à Sudan Airways ou aux autorités publiques soudanaises l’autorisation de décoller, d’atterrir ou de survoler leur territoire. Il décidait toutefois que la date d’entrée en vigueur de cette décision sera fixée 90 jours après son adoption, pour laisser le temps au Soudan de se conformer à ses injonctions638. Le Conseil a alors profité de cet intervalle pour envoyer au Soudan une mission chargée d’évaluer les conséquences humanitaires potentielles de la sanction sur l’aviation qu’il vient de décider. Le rapport de cette mission, soumis le 20 février 1997, conclut que la mesure décidée aurait de sérieuses conséquences négatives639. Elle posera un problème sur l’évacuation des malades ayant besoin de soins urgents à l’extérieur, réduira l’importation des vaccins et pourrait porter atteinte aux programmes de vaccination, de distribution de médicaments et de production alimentaire. La sanction sur l’aviation pourrait aussi compromettre le travail des organisations humanitaires opérant au Soudan si ce dernier répondait à la sanction par le refus d’accès de ces organisations à son territoire.
80Ce rapport alarmant a sans doute fait que le Conseil de sécurité n’a pas pris la résolution devant fixer la date et les modalités d’application de cette sanction sur l’aviation. Celle-ci n’est, par conséquent, jamais entrée en vigueur jusqu’à la levée en 2001 des autres sanctions sur le déplacement à l’extérieur des dirigeants soudanais et sur la réduction des personnels diplomatiques et consulaires du Soudan.
b) La deuxième phase des sanctions contre le Liberia
81Un autre exemple peut être observé dans le cadre des nouvelles sanctions imposées contre les dirigeants libériens en 2001. Le Conseil de sécurité avait créé un groupe d’experts chargé d’enquêter sur la façon dont l’exploitation des ressources naturelles et d’autres formes d’activités économiques au Liberia aideraient à alimenter le conflit en Sierra Leone et dans les pays voisins. En attendant les résultats de cette enquête, il priait le Secrétaire général de lui fournir, dans un délai de six mois, « une évaluation préliminaire des incidences économiques, humanitaires et sociales que pourraient avoir sur la population libérienne les mesures qu’il pourrait décider de prendre » sur la base de ces résultats640. Le groupe d’experts soulignait que l’exploitation forestière constitue une source importante de revenus pour les pouvoirs publics libériens, en plus de générer des emplois, mais qu’elle permet également d’obtenir des revenus qui sont utilisés pour violer les sanctions. Il recommandait alors à l’ONU d’interdire toutes les exportations de bois rond du Liberia à partir de juillet 2002 tout en encourageant les exploitants locaux à se diversifier dans la transformation du bois avant cette date641.
82Des représentants d’Etats et d’organismes des Nations Unies s’étaient toutefois inquiétés de l’élargissement des sanctions à la filière du bois. Le Directeur du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), Edward Tsui, faisait ainsi remarquer qu’un boycott du bois libérien engendrerait probablement la disparition de 10 000 emplois relativement bien rémunérés. Sachant qu’un employé nourrit environ neuf personnes, continue-t-il, l’on estime que 90 000 à 95 000 personnes perdraient leur moyen de subsistance. Il signalait encore que l’industrie du caoutchouc emploie 20 000 personnes, qui perdraient leur emploi, tout comme les 5 000 à 10 000 propriétaires indépendants de petites exploitations de caoutchouc. Avec les personnes à leur charge, 225 000 personnes seraient directement affectées par des restrictions imposées au caoutchouc libérien642.
83Une année après la date recommandée par le groupe d’experts, le Conseil de sécurité a décidé le boycott de bois ronds et de bois d’œuvre provenant du Liberia, pour une période de 10 mois et à partir du 7 juillet 2003643. Il a décidé aussi « d’examiner, le 7 septembre 2003 au plus tard, le moyen le plus efficace de réduire les répercussions humanitaires ou socioéconomiques des mesures imposées par le paragraphe 17 ci-dessus, notamment la possibilité d’autoriser la reprise des exportations de bois d’œuvre pour financer des programmes humanitaires » (par. 18). En août 2003, le groupe spécial a publié deux rapports sur les effets humanitaires ou socio-économiques des sanctions imposées par la résolution 1478 (2003)644. Cette pratique de demande d’évaluation des effets des sanctions dans la résolution sanctionnatrice a été poursuivie par le Conseil dans la reconduction des sanctions ciblées contre le Liberia en décembre 2003 et juin 2004645.
84Il apparaît dans ces deux exemples que le Conseil de sécurité a intégré le concept d’évaluation préliminaire des effets potentiels des sanctions qu’il envisageait de prendre, et qu’il a tenu compte pour concevoir la mesure de sanction des recommandations de l’organe d’évaluation ainsi que des observations extérieures relatives à ces recommandations. Dans le cas soudanais, l’évaluation a amené l’abandon de la mesure déjà décidée mais dont l’application était conditionnée par l’adoption d’une nouvelle résolution du Conseil. Dans le cas libérien, la pré-évaluation a permis de faire en sorte qu’une mesure nécessaire646 mais productrice d’effets secondaires soit entourée de plusieurs précautions pour réduire de tels effets. Cela a amené le Conseil de sécurité à prévoir dans sa résolution la possibilité de retirer ou de suspendre ladite mesure si les effets secondaires, déjà mis en exergue dans les rapports d’évaluation, en sont trop importants. De même, le Conseil de sécurité n’a pas étendu l’interdiction à l’exportation du caoutchouc qui, d’après l’évaluation, est une autre source importante de revenu pour le pouvoir libérien mais susceptible d’avoir des conséquences humanitaires plus importantes que celles du boycott du bois. On notera encore que, dans sa résolution 1478 (2003), le Conseil de sécurité a envisagé d’utiliser le produit des exportations de bois d’œuvre libérien pour financer des programmes humanitaires, ce qui équivaudrait à une autre formule « bois contre nourriture », à l’instar du programme « pétrole contre nourriture » en Iraq, examiné dans le chapitre précédent.
85On remarque toutefois qu’il s’agit dans ces exemples d’une évaluation préalable des effets des mesures supplémentaires aux premières mesures ciblées déjà imposées (embargo sur les armes, boycotts des matières premières, ou sanctions sur les déplacements de dirigeants). Il ne s’agit donc pas, comme on a étudié, d’un acte préparatoire entre la constatation et les sanctions proprement dites. Néanmoins, ceci n’est qu’un changement du moment d’intervention de l’évaluation car le concept reste le même, à savoir montrer d’abord à l’Etat portant atteinte à la paix le refus par les Nations Unies de la situation ainsi créée, puis évaluer au préalable les effets des mesures que l’on s’apprête à imposer pour mettre fin à cette situation, et ce, soit parce que l’Etat visé n’a pas souscrit à l’injonction faite par le Conseil à la suite de la constatation, soit parce que les premières mesures imposées du fait de ce refus se sont révélées inadéquates. C’est en fin de compte une adaptation du concept initial, développé à l’époque où les sanctions globales étaient encore utilisées par les Nations Unies, au nouveau concept de sanction ciblée mis en œuvre par l’ONU au cours de ces dernières années. Nous verrons plus en détail ce concept après avoir présenté les réserves faites à cette idée d’évaluation préalable des effets des sanctions.
C. Les critiques adressées au concept de pré-évaluation
86Ce concept serait incompatible avec le besoin d’une action rapide de l’ONU et impose une obligation non prévue dans la Charte au Conseil de sécurité.
1. Un concept qui serait incompatible avec le besoin d’une action rapide de l’ONU
87Certains Etats ont jugé que l’évaluation préalable des effets des sanctions est incompatible avec l’exigence d’une action rapide et efficace de l’ONU dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationale. Il est en effet vrai que les Etats membres ont conféré au Conseil de sécurité la responsabilité principale en la matière « afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation »647. Les comptes rendus successifs des débats du Comité spécial de la Charte font état de ces critiques648. De même, le représentant des Pays-Bas a estimé devant le Conseil de sécurité « qu’il ne serait pas sage d’adopter une politique de pré-évaluation prolongée ou de présentation de rapports sur les conséquences [des sanctions]. Les Pays-Bas estiment qu’une meilleure voie pourrait être suivie au Secrétariat de l’ONU pour que le Conseil de sécurité reçoive des conseils rapides et de haute qualité sur les mesures éventuelles à prendre »649. Cet Etat préfère une évaluation des conséquences humanitaires et économiques des sanctions une fois celles-ci mises en place650, pour éviter le risque de retardement des réactions du Conseil avec l’évaluation préalable. Il faut tout de même relever que l’opposition semble se diriger uniquement contre une pré-évaluation prolongée, comme on l’a souligné dans le passage précité, et non contre toute idée d’évaluation préalable.
88D’ailleurs, cette crainte de retardement de l’action du Conseil de sécurité ne résiste pas à l’examen de la pratique et du concept lui-même.
89Tout d’abord, rien dans le concept de pré-évaluation n’indique que le Conseil de sécurité est dans l’obligation d’attendre les rapports d’évaluation avant de pouvoir agir. Si les circonstances exigent une action immédiate, le Conseil est bien entendu libre d’imposer sans attendre les mesures qu’il juge nécessaires. En outre, il a été expliqué au Comité spécial de la Charte qu’il faut porter l’attention sur « la différence qu’il y a entre l’action militaire, qui se devait d’être rapide, et des mesures économiques qui demandaient du temps pour être mises en place et donner des résultats ; dans ce dernier cas une ou deux semaines de consultation ne risquaient pas d’entraîner de retard notable »651. Cette précision se passe de commentaires sinon pour dire que nous nous trouvons évidemment ici dans le cadre de mesures non militaires de l’article 41 de la Charte, qui ne nécessitent pas forcément une action rapide pour être efficaces (mis à part les sanctions financières).
90Ensuite, les mesures coercitives ont été, dans la pratique et en général, imposées par le Conseil de sécurité quelques semaines après la constatation de l’existence d’une menace ou d’une rupture de la paix ; ou après l’introduction de la situation à son ordre du jour, dans les cas où la constatation et l’imposition des mesures coercitives étaient faites dans la même résolution652. On peut dès lors profiter de ces semaines d’intervalle pour ordonner et mener à bien une mission d’évaluation, étant donné que les évaluations peuvent être faites en deux semaines, comme l’a estimé le Croupe spécial d’experts653. La pratique nous montre aussi que les missions envoyées par l’ONU pour évaluer la situation humanitaire d’un Etat ont pu accomplir leurs tâches durant ces périodes654. L’évaluation des différents effets potentiels des sanctions ne prendrait probablement pas plus de temps que les évaluations des effets humanitaires entreprises jusqu’ici.
91Enfin, il faut relever que, excepté les Pays-Bas dont on a mentionné la position plus haut, aucun des Etats présents à la séance du Conseil de sécurité consacrée aux questions des sanctions n’a fait d’objection à cette idée de pré-évaluation. On peut certes expliquer cette absence d’objection par le caractère de simple proposition normative de l’idée avancée, laquelle ne tend pas à lier les Etats et n’exige dès lors pas une prise de position formelle. Il n’empêche que pour une réunion ayant pour but de fournir de bases de réflexion à l’élaboration d’un futur texte sur les conditions et critères d’application des sanctions, une objection n’aurait pas été vaine si l’on était vraiment contre, surtout si l’on tient compte du fait que les discussions lors de cette séance s’appuyaient à la fois sur les travaux du Comité spécial de la Charte, les résolutions pertinentes de l’Assemblée générale et les rapports correspondants du Secrétaire général. En tout cas, l’idée, dans son fondement et ses implications, a été mentionnée dans les interventions de nombreux Etats présents à cette réunion, en tant que procédure à suivre par le Conseil de sécurité dans le processus d’imposition des sanctions655.
92Une autre réserve, assez proche de ce qui précède, est celle formulée par le processus de Stockholm (que nous verrons plus tard) sur l’application des sanctions ciblées. Il a été dit que l’idée de pré-évaluation pourrait favoriser l’évasion des sanctions et poser de sérieux problèmes pour l’imposition et l’application des sanctions. Ainsi, “compulsory pre-assessments risk extending the period between announcement of an intention to impose targeted sanctions and their actual imposition could provide opportunity for targets to develop strategies to evade financial sanctions, arms embargoes and travel bans. While impact assessments can aid improved implementation, there is a risk that preassessments could undermine the imposition of sanctions”656. En conséquence, le processus “does not endorse an absolute requirement for humanitarian and economic pre-assessments when imposing targeted sanctions”. A la place, il recommande au Conseil de sécurité de prendre en considération les analyses et données déjà disponibles sur les effets probables des sanctions sur les civils et les autres Etats, pour les intégrer dans la conception de celles-ci.
93Il s’agit là d’une réserve à prendre en considération lorsque le Conseil de sécurité commande une évaluation préalable des sanctions qu’il envisage de prendre. On pourrait réduire le risque qui a été soulevé par la réduction du temps de présentation du rapport d’évaluation, à travers la mise en contribution des organismes des Nations Unies déjà sur le terrain, comme le PNUD, l’UNICEF et l’OMS qui sont généralement présents dans de nombreux pays du monde. Et comme le processus de Stockholm le reconnaît lui-même, la pré-évaluation des effets des sanctions est “desirable from a humanitarian point of view”657 ; ce qui suffit à la recommander au Conseil de sécurité pour que les sanctions à venir ne soient plus aussi inhumaines et injustes comme par le passé.
2. Un concept qui impose une obligation nouvelle au Conseil de sécurité
94Une autre critique adressée à l’idée de pré-évaluation est le fait qu’elle impose au Conseil de sécurité une obligation nouvelle, non prévue dans la Charte des Nations Unies. Certes, mais cette évaluation préalable peut s’appuyer sur une obligation inhérente à tout exercice de pouvoir et, par conséquent, n’a pas à être nécessairement prévue dans un texte juridique.
a) L’absence d’une disposition de la Charte prévoyant une évaluation des effets des sanctions
95Effectivement, ni la Charte ni le Règlement provisoire du Conseil de sécurité n’imposent une telle évaluation préalable des effets potentiels des sanctions. Les auteurs de cette critique préconisaient alors de distinguer la question de la recherche de solutions aux effets secondaires avec celle de la décision d’adopter des sanctions qui « ne doit être soumise à aucune condition non prévue par la Charte »658. Il a été proposé à la place une étude du contexte économique général à faire par le Secrétaire général pour faciliter la prévision d’une assistance aux Etats qui seraient touchés par les sanctions659.
96D’autres Etats opposent à cette critique la nécessité d’éviter au maximum les effets non voulus des sanctions660. La connaissance préalable des effets probables des différentes mesures à imposer permet de choisir celles qui auraient le maximum d’effet coercitif tout en produisant le minimum d’effets non voulus. Selon le rapport du Comité spécial,
d’aucuns ont préconisé une interprétation novatrice de la Charte et soutenu que l’adaptation des sanctions aux impératifs de chaque situation faisait partie de la logique du système, dans la mesure où les sanctions avaient un but précis et ne visaient pas à nuire inutilement à des Etats tiers. En choisissant les mesures à appliquer, il fallait dûment prendre en compte leurs conséquences sur ces Etats et voir s’il n’était pas possible d’obtenir le résultat escompté avec un minimum d’effets préjudiciables indésirables661.
97De plus, une telle obligation de pré-évaluation nous semble reprendre, dans son fondement, un vieux principe général de droit, à savoir le devoir de vigilance.
b) Un concept qui peut s’appuyer sur l’obligation de due diligence
98Avec un champ d’application qui a beaucoup évolué au fil des temps, cette exigence d’évaluation préalable s’apparente à un nouveau domaine d’application de la règle de due diligence, dictée par l’apparition de nouvelles nécessités sociales. En effet, le champ d’application originel du devoir de vigilance était le droit de la neutralité662. Plus tard, il s’est élargi au droit de la responsabilité internationale des Etats, d’abord pour les actes commis par les particuliers à l’égard des étrangers résidant sur leur territoire respectif, ensuite pour les dommages transfrontaliers causés sur l’environnement par des entreprises privées.
99Dans le premier cas, l’engagement de la responsabilité internationale pour non-respect du devoir de due diligence sanctionne le défaut de prévention ou de répression des organes de l’Etat, attestant la mauvaise organisation ou le fonctionnement défectueux de ses services663 ainsi qu’une insuffisance de contrôle et une négligence de la part de ces organes664. La Cour internationale de Justice, dans son arrêt du 24 mai 1980 rendu en l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis en Iran, a ainsi retenu la responsabilité du gouvernement iranien du fait de sa carence face aux attaques des locaux diplomatiques américains par des étudiants musulmans665.
100Dans le deuxième cas, relatif à la responsabilité des Etats en matière de protection de l’environnement, le devoir de due diligence impose aux Etats de prendre des mesures en vue d’empêcher la survenance des dommages à l’environnement. Il s’agit principalement d’un devoir de prévention où l’Etat qui entreprend ou permet une activité dangereuse sur son territoire doit, de par le caractère de cette activité, déployer toute la diligence nécessaire pour en éviter, dans toute la mesure du possible, les conséquences dommageables666. La responsabilité du Canada était ainsi retenue dans l’affaire de la Fonderie du Trail pour manquement à son obligation de due diligence667.
101En droit international de l’environnement, ce devoir se traduit par un certain nombre d’obligations à la charge des Etats, regroupées sous l’appellation de « principe de précaution »668. Le projet d’articles de la Commission du droit international sur la prévention des dommages transfrontaliers résultant d’activités dangereuses et le principe 17 de Rio avancent, comme l’une des conséquences de ce principe de précaution, une obligation de procéder à une étude d’impact sur l’environnement dès lors qu’une activité est susceptible de causer un dommage transfrontalier669.
102Si telles sont les diverses applications du devoir de diligence au fil des temps, le Conseil de sécurité est-il soumis aux mêmes obligations de vigilance et de prévention, et sous quelles formes ? Sans assimiler le Conseil de sécurité à un organe étatique, la nature de ce devoir de vigilance et le principe juridique qu’il véhicule nous paraissent singulièrement pertinents dans le cadre des activités coercitives de l’ONU. Dans sa sentence relative à l’affaire de l’Ile de Palmas, Max Huber définit le devoir de due diligence comme un corollaire de l’exclusivité des compétences d’un Etat sur son territoire670. Ce qui nous permet de dire que, en tant que tel, ce devoir n’a pas à être explicitement prévu dans un texte juridique. Il découle normalement de cet exercice exclusif de compétence.
103On peut alors arguer que le devoir de vigilance pesant sur le Conseil de sécurité pour ses activités coercitives découle de sa responsabilité principale dans le cadre du maintien de la paix et de la sécurité internationale, compte tenu des risques d’atteinte aux droits des Etats et des individus rattachés à ces activités. Les Etats membres de l’ONU lui ont confié la compétence exclusive en matière d’action coercitive671 et il doit faire tout son possible pour ne pas porter inutilement atteinte aux droits susmentionnés. De par la prévisibilité, voire l’« inévitabilité » de certains effets secondaires des sanctions, le Conseil de sécurité doit déployer toute la diligence nécessaire pour que ces effets soient réduits autant que possible, à défaut de pouvoir les éviter. Comme l’a dit Pierre-Marie Dupuy, cette obligation de diligence est « une obligation de comportement au sens d’une obligation de s’efforcer »672.
104Il s’agit pour le Conseil de sécurité de s’efforcer de ne pas toucher inutilement les droits des Etats et des personnes civiles par l’évaluation des effets potentiels des sanctions qu’il s’apprête à imposer. Une fois les effets potentiels évalués, le Conseil choisira les mesures qui évitent de toucher ces droits dans la limite de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de maintien ou de rétablissement de la paix. C’est ce que la Suède appelle « la responsabilité [du Conseil de sécurité] de faire en sorte que les sanctions imposées n’aient pas d’effets négatifs sur les civils innocents »673, la responsabilité devant ici être entendue dans le sens de devoir.
105Au terme de la présentation de cette idée d’évaluation préalable des effets potentiels des sanctions, force est d’admettre qu’il s’agit d’un concept bien avancé au sein de l’ONU et bien accepté par bon nombre d’Etats. Avec d’autres concepts développés dans la pratique de l’ONU, l’évaluation préalable participe à raffinement de la conception et de l’imposition des sanctions des Nations Unies.
Section II. L’affinement au niveau de la conception et de l’imposition des sanctions
106Au niveau de la conception des sanctions, on peut affiner le régime de sanctions par le ciblage des mesures à imposer aux dirigeants et leurs supporteurs (§1). Ce ciblage peut toutefois ne pas être suffisant si on ne l’assortit pas d’une évaluation périodique aussi bien des effets des mesures imposées que de leur efficacité par rapport à l’objectif visé (§2).
§1. Le ciblage des sanctions : le concept de “smart sanction”
107Le concept de « sanction ciblée », appelé parfois « sanction intelligente », a été développé dans des cycles d’études externes aux Nations Unies674. Ces études ont été menées en collaboration avec : l’ONU, et leurs résultats examinés dans ses diverses instances. Elles s’appuient sur une pratique abondante du Conseil de sécurité en matière de sanctions ciblées, pour en tirer des leçons pour l’avenir.
A. La pratique du Conseil de sécurité en matière de sanctions ciblées
108Parmi les mesures imposées par le Conseil de sécurité jusqu’ici, on considère généralement comme sanctions ciblées les embargos sur les armes et matériels connexes, les sanctions financières, et les restrictions de voyage et de vols commerciaux, soit parce que celles-ci ne visent que des catégories de personnes bien précises, soit parce qu’il ne s’agit que de mesures partielles par opposition à des sanctions économiques globales. Mis à part les sanctions contre l’Iraq675, tous les autres cas de sanctions imposées par les Nations Unies ont commencé par des mesures ciblées et le sont restés, sauf ceux contre la Rhodésie du Sud, l’ex-Yougoslavie et Haïti.
1. L’embargo sur les armes et les matériels connexes
109L’embargo sur les armes et matériels connexes est l’une des mesures imposées par le Conseil de sécurité dès les premières sanctions contre la Rhodésie du Sud676. Ce type de mesures consiste à interdire la vente et la fourniture d’armes et de munitions, de véhicules et d’équipements militaires, de matériels paramilitaires ainsi que des pièces de rechange correspondantes. Il est souvent combiné avec l’embargo sur le pétrole et les produits pétroliers, ainsi que l’arrêt de la coopération et de l’assistance militaires. Dans la pratique des Nations Unies, cet ensemble d’interdictions fait partie des premières mesures coercitives auxquelles le Conseil de sécurité a recours pour réagir à une menace contre la paix et la sécurité internationales. C’étaient les cas dans les situations en Rhodésie du Sud, on l’a dit, en Afrique du Sud, en ex-Yougoslavie, en Somalie, au Libye, au Liberia (1992), en Haïti, en Angola, au Rwanda, en Sierra Leone, au Kosovo, en Erythrée et Ethiopie, en Afghanistan sous régime Taliban, au Liberia (en 2001 et en 2003 au cours de la période transitoire), en République démocratique du Congo et en Côte d’Ivoire677.
2. Les mesures financières
110Ces mesures consistent en premier lieu en des gels des avoirs et autres ressources financières qui sont placés à l’étranger. Les avoirs ciblés ici peuvent être des avoirs publics appartenant à l’Etat faisant l’objet des sanctions ou à des entreprises détenues majoritairement ou contrôlées par celui-ci. Ils peuvent aussi être des avoirs personnels des dirigeants de cet Etat et de leurs supporteurs, individus ou entreprises privées, ou des avoirs des personnes liées à une organisation terroriste ou à des individus nommément désignés comme s’adonnant à des activités terroristes. Ces gels d’avoir étrangers s’accompagnent généralement de restrictions d’accès aux marchés financiers internationaux et d’arrêt de tout transfert international de paiement à destination de l’Etat visé, de manière autonome, ou de transferts de fonds aux fins d’activités économiques et commerciales déjà prohibées par le Conseil de sécurité. Le Conseil a demandé aux Etats de prendre de telles mesures dans les situations en Rhodésie du Sud, ex-Yougoslavie, Haïti, Libye, Angola, contre les Taliban en Afghanistan, dans la lutte contre le terrorisme international, au Liberia du fait du soutien du gouvernement de Charles Taylor aux rebelles dans les pays voisins (2001) puis des actions personnelles de celui-ci durant la période transitoire (2004), considérées comme une menace au processus de paix et de réconciliation nationale au Liberia678.
3. La restriction de voyages et de vols commerciaux
111Il s’agit de l’interdiction aux Etats d’accepter la venue ou le transit sur leur territoire de dirigeants, élites et supporteurs du régime de l’Etat-cible ou de l’entité ciblée. Cette interdiction est souvent combinée avec l’interruption de tout vol en provenance ou à destination de cet Etat, à l’exception des vols pour des motifs humanitaires. Elle comprend aussi l’arrêt des services relatifs à ces activités, par exemple la fermeture des bureaux à l’étranger de la compagnie aérienne de l’Etat visé par les sanctions. Ces mesures faisaient partie des régimes de sanctions contre la Libye, les Serbes de Bosnie, Haïti, Soudan, l’UNITA en Angola, les Taliban en Afghanistan, la Sierra Leone, les personnes s’adonnant aux activités terroristes, le Liberia (en 2001 et 2003), et les parties au conflit interne en Côte d’Ivoire qui n’appliquent pas les Accords de paix conclus679.
4. Les restrictions sur le commerce de ressources naturelles
112Dernièrement, on a assisté à un nouveau type de mesures coercitives avec les boycotts des diamants en provenance de l’Angola, de la Sierra Leone et du Liberia680. Il s’agit d’un exemple intéressant de mesure ciblée qui tend à mettre fin au commerce illicite de ce que l’on appelle communément « les diamants de sang ». Car, face au refus des forces non gouvernementales sévissant dans ces pays d’arrêter la guérilla et d’accepter un plan de paix, le Conseil de sécurité s’est attelé à tarir la source matérielle et financière de la conduite de cette guérilla, en l’occurrence la contrebande de diamants. Notons en outre que la restriction du commerce des diamants en provenance du Liberia était justifiée non seulement par le rôle de ce produit dans le prolongement de la guerre civile dans le pays et par le transit des diamants illicites par cet Etat, mais aussi par le soutien apporté par le gouvernement libérien aux mouvements rebelles dans les Etats voisins grâce aux et pour les produits de cette contrebande. Cette restriction a été par la suite étendue au commerce du bois ronds et bois d’œuvres libériens681.
113Cette pratique abondante de sanctions ciblées n’est toutefois pas synonyme de pratique satisfaisante. D’où la tenue de cycles d’études sur la mise en œuvre et l’amélioration de ce type de sanctions.
B. Les cycles d’études sur les sanctions ciblées
114De nombreuses études sur le concept de sanction ciblée ont été faites ces dernières années mais nous en examinerons principalement trois d’entre elles, à savoir ce qu’on appelle communément le « processus d’Interlaken », relatif aux mesures financières ; le « processus de Bonn-Berlin », relatif aux restrictions de voyage et à l’embargo sur les armes et les matériels connexes ; et le « processus de Stockholm » sur l’application des sanctions ciblées682.
1. Le processus d’Interlaken sur les sanctions financières683
115Constatant les nombreux effets secondaires des sanctions de ces dernières années, animé par la longue tradition humanitaire de la Suisse et conscient de la position de celle-ci comme l’une des principales places financières du monde, le Département fédéral suisse pour les affaires économiques a organisé deux séminaires sur l’amélioration du recours aux sanctions financières en tant que moyen de réduire ces effets non voulus684. L’organisation de ces séminaires répond également au souhait du Secrétaire général dans son rapport annuel de 1996685. D’après le gouvernement Suisse :
The purpose of the Interlaken seminars was to elaborate on the specific requirements of financial sanctions regimes and to develop new options, driven by finance rather than trade and aimed at specific individuals and entities of the targeted country686.
116Les discussions d’Interlaken ont relevé le manque de clarté et une certaine ambiguïté des termes des résolutions imposant les sanctions financières dans le passé, ce qui a entraîné des difficultés quant à l’identification non seulement des produits financiers visés mais encore des personnes ou entités ciblées687. On a également constaté que l’aspect responsabilité de l’Etat-cible a été complètement négligé par ces résolutions. Au contraire, celles-ci ont, de fait, accordé un moratoire de dette à l’égard de cet Etat dans la mesure où les résolutions, d’un côté, n’obligent pas l’Etat-cible à continuer le paiement du service de sa dette et, de l’autre, ne prévoient pas que ces paiements peuvent être faits avec les fonds bloqués ou avec les intérêts de la gestion de ceux-ci688. Il a été dit que la négligence de cet aspect des sanctions financières a permis à l’Etat-cible d’épargner d’importantes sommes et par là même ont causé des manques à gagner pour les Etats qui attendent d’être payés pour les crédits accordés ou les investissements faits689. Enfin, la rapidité et la confidentialité du processus de prise de décision, a-t-on souligné, sont cruciales pour l’effectivité ultime des sanctions financières690. Un processus lent permet à l’Etat-cible de mettre à l’abri ses avoirs et de s’adapter à la nouvelle situation.
117Examinant plus particulièrement l’expérience passée du ciblage des sanctions financières onusiennes, les participants ont constaté que ces sanctions étaient souvent utilisées comme des mesures non ciblées en ce sens que la plupart ne faisaient pas de distinction à l’intérieur de l’Etat-cible entre les dirigeants et le reste de la population691. Ils ont néanmoins convenu qu’il est parfois difficile dans certains Etats de distinguer entre le public et le privé692. C’est de ce constat que le processus d’Interlaken insiste sur l’expression « sanctions financières ciblées », à la place de sanctions financières tout court.
118On rencontre également ce problème d’identification des cibles lorsque l’ONU ne donne pas une liste des entités visées et se borne à parler de gouvernement ou entités contrôlées par celui-ci, ou encore à définir cette cible par rapport à leur situation géographique à l’intérieur de l’Etat, comme ce fut le cas avec les sanctions contre la partie serbe de la Bosnie-Herzégovine, qui change au gré des mouvements des forces en présence693. L’établissement par la suite, dans les résolutions sanctionnatrices du Conseil de sécurité, des listes des personnes visées par des sanctions financières intervenait justement après cette constatation. Cette pratique s’est plus tard élargie à l’ensemble des sanctions ciblées, telles que les sanctions sur les déplacements et celles sur l’aviation et, plus globalement, dans les différentes mesures de lutte contre le terrorisme.
119Enfin, les participants aux séminaires d’Interlaken avaient relevé le problème d’évasion des sanctions due aux difficultés de contrôle des transactions financières. A cet égard, ils avaient mis en avant le problème d’identification des véritables propriétaires d’un compte ou avoirs, l’informatisation des transactions financières et le fait que les banques ne peuvent contrôler que les mouvements entrants et sortants694.
2. Le processus de Bonn-Berlin sur les restrictions de voyage et l’embargo sur les armes695
120Ce processus a vu le jour à l’initiative du Ministère allemand des affaires étrangères et fait suite au processus d’Interlaken que l’on vient de voir. Il consistait en deux réunions d’experts organisées, en coopération avec le Secrétariat de l’ONU, par le “Bonn International Center for Conversion”696. Constituant une contribution majeure du gouvernement allemand à la question de la réforme des sanctions, le processus Bonn-Berlin a pour objectif d’améliorer la conception et l’application de l’embargo sur les armes et les sanctions relatives aux déplacements, pour mieux utiliser leur potentiel. Le résultat final des discussions de Bonn-Berlin fut présenté au Conseil de sécurité et aux Etats membres à l’automne 2001697.
121Au cours de ces études, les experts ont constaté que, malgré leur différence, ces deux types de sanctions ont de nombreuses caractéristiques communes sur divers aspects, d’où la jonction de leur examen. La première en est qu’ils font souvent partie, avec les sanctions financières, des catégories de sanctions ciblées auxquelles le Conseil de sécurité a recours en premier lieu. Du fait de leur caractère partiel, ne visant que des catégories de personnes déterminées, leurs effets humanitaires non voulus à l’égard de l’ensemble de la population sont en général minimes698. La deuxième caractéristique commune est que leur bilan en matière d’effectivité n’a pas été jusqu’ici satisfaisant. On a ainsi constaté que :
Arms embargoes, travel and aviation sanctions are attractive because they are less blunt than comprehensive economic sanctions, but often they were so weak that they had no effect on the target699.
122Enfin, la pratique des sanctions des Nations Unies montre que l’application de ces sanctions a été imparfaite et que peu d’efforts ont été entrepris jusqu’à récemment pour l’améliorer. On disait à cet égard que : “Targeted sanctions may be a weak measures, but they have been further weakened in the past by poor implementation and enforcement”700. A partir de ces constats, des recommandations tendant à perfectionner ces types de sanctions ont été proposées dont nous analyserons l’apport au mécanisme de sanctions des Nations Unies, après avoir présenté rapidement le dernier cycle d’études sur les sanctions ciblées.
3. Le processus de Stockholm sur l’application des sanctions ciblées701
123Ce troisième cycle d’études a été initié par le ministère suédois des affaires étrangères en novembre 2001, avec le Département of Peace and Conflict Research de l’Université d’Uppsala702. Si les deux premiers processus ont été axés sur les mesures coercitives elles-mêmes et sur la conception d’un régime de sanctions, le processus de Stockholm se concentre sur la problématique de l’application en droit interne des sanctions ciblées étudiées par ses prédécesseurs. Au dire de ses organisateurs,
The purpose is to suggest concrete improvements to this instrument, which can play a critical role in assisting the Security Council to maintain international peace and security. It focuses on the chain of needed actions to ensure that sanctions resolutions are implemented in as logical and as coherent a manner as possible. This increases the likelihood that sanctions will bring about compliance of the target with the relevant Security Council resolutions703.
124Comme les deux processus précédents, un rapport sur les travaux du processus de Stockholm avait été présenté et discuté au Conseil de sécurité, avec le même accueil positif que ses prédécesseurs704. Le rapport final de 2003 contient de nombreuses recommandations sur l’amélioration de l’application et de l’effectivité des sanctions, au niveau du Conseil de sécurité, des Comités des sanctions et des Etats. Une partie du rapport touche également le problème des effets secondaires des sanctions. A cet égard, le processus de Stockholm émet quelques réserves à l’évaluation préalable des effets potentiels des sanctions, on l’a vu, en ce qu’elle peut favoriser l’évasion des sanctions. Par contre, il appuie l’idée d’évaluation périodique des effets des sanctions, que nous verrons, et fait des recommandations sur la conduite de celle-ci705.
C. L’apport du concept de sanction ciblée à la pratique du Conseil de sécurité
125Cet apport peut être évalué d’un point de vue conceptuel et d’un point de vue pratique.
1. D’un point de vue conceptuel
126Il ressort de ces différentes études et des déclarations officielles y afférentes que l’idée d’une sanction ciblée, tendant à privilégier les mesures qui visent les dirigeants et ceux qui ont le pouvoir de décision à l’intérieur d’un Etat, a fait son chemin dans l’arène internationale. Il s’agit de maximiser les effets contraignants des sanctions tout en minimisant leurs effets secondaires sur les autres Etats et sur la population civile de l’Etat-cible, laquelle a, dans la plupart des cas, peu d’influence sur le respect des obligations conditionnant la levée des sanctions. On peut même affirmer qu’il y a actuellement un large consensus sur l’abandon des sanctions globales. Le processus de Stockholm a constaté que “[r]educing the negative impact of sanctions is the chief reason and objective of the shift from comprehensive to targeted sanctions”706. Les pays en voie de développement, qui en sont souvent les victimes, ont été depuis longtemps réticents à la pratique de sanctions globales. La participation et les prises de position des gouvernements de nombreux pays occidentaux aux processus d’Interlaken et de Bonn-Berlin ont généralisé ce sentiment de rejet des sanctions économiques globales. Ce rejet est encore relayé par les nombreux souhaits du Secrétaire général pour des sanctions moins injustes. Désormais, tout l’effort est reporté sur la manière de rendre les différents types de mesures ciblées plus coercitifs et plus effectifs707.
127Revenant plus spécifiquement dans le domaine de la mise en œuvre des sanctions, l’apport du concept réside dans la volonté de faire de la progressivité des mesures, allant des plus ciblées aux plus générales, une voie à suivre de façon quasiment obligatoire par le Conseil de sécurité, et non plus une simple faculté. Le ciblage des sanctions ne devrait plus être une option mais la pratique à standardiser. Les mesures doivent d’abord frapper les dirigeants. Seulement si elles s’avèrent inefficaces, des mesures plus générales pourraient être adoptées. Il s’agit de faire en sorte que les sanctions des Nations Unies soient perçues comme « une réponse calculée de la communauté internationale aux nouvelles violations du droit international »708.
128Sur le plan des avantages concrets, on a vu que ces sanctions frappant avant tout les élites au pouvoir réduisent les effets secondaires des sanctions. Elles augmentent également le degré d’efficacité de la pression exercée sur ces élites. L’hostilité de l’Iraq à ce concept, lors de la réunion du Conseil de sécurité du 17 avril 2000, est significative à cet égard. Le représentant iraquien disait à cette réunion :
Aujourd’hui, certains milieux lancent l’idée de remplacer le régime actuel des sanctions contre l’Iraq par un régime plus intelligent. Un tel appel est fondé sur de mauvaises intentions. Il n’a aucun fondement dans la réalité. Entre autres objectifs, il a pour but d’enraciner davantage les sanctions et d’en faire un objectif en soi. Il s’agit d’une tentative de réécrire les décisions du Conseil de sécurité et de faire de l’Iraq un laboratoire permanent pour les régimes de sanctions709.
129L’opinion selon laquelle l’Iraq serait un laboratoire permanent pour les régimes de sanctions n’est pas totalement fausse, mais il faut surtout relever le fait que l’application de sanctions ciblées avec les nombreuses améliorations pratiques proposées va enfin toucher directement les dirigeants. Ceux-ci ne vont plus pouvoir profiter des sanctions grâce aux contrebandes des produits prohibés comme ce fut le cas jusqu’à la levée des sanctions économiques en 2003. Comme on l’a dit, le paradoxe des sanctions contre l’Iraq est que, mis à part l’impossibilité d’effectuer des voyages à l’étranger, l’équipe dirigeante iraquienne n’était nullement perturbée par les sanctions des Nations Unies dans leur vie quotidienne, au contraire de la population civile qui faisait face à une véritable tragédie710.
130Enfin, le concept tend aussi à accroître l’efficacité des sanctions, d’un point de vue procédurale d’abord, par la précision et l’uniformisation des moyens d’application et, d’un point de vue juridico-politique ensuite, par l’accroissement de sa légitimité auprès des Etats et de l’opinion publique internationale. Les Etats adhéreront davantage aux sanctions imposées par les Nations Unies à mesure que celles-ci seraient de plus en plus ciblées et, par conséquent, toucheront de moins en moins les personnes ou les Etats non concernés par l’atteinte à la paix.
2. D’un point de vue pratique
131Sur le plan pratique, le premier apport des processus d’Interlaken et de Bonn-Berlin est l’établissement de modèle de résolution relative aux différentes mesures ciblées et de modèle de loi d’application interne de ces résolutions. Issus initialement du processus d’Interlaken, ces modèles ont été repris par le processus de Bonn-Berlin avec les adaptations nécessaires aux types des mesures ciblées en étude711. Ces propositions de résolutions reprennent, tout en les améliorant, certaines dispositions des résolutions existantes du Conseil de sécurité. Elles recommandent ainsi l’inclusion ou la précision de nouveaux éléments suivants :
1) la précision de l’objectif des sanctions, à placer dès le début du dispositif de la résolution, dans laquelle sont énumérés les actes concrets que le Conseil demande à l’Etat ou à l’entité cible ;
2) la détermination de manière détaillée et le plus précis possible de ce qui est demandé aux Etats pour atteindre cet objectif712, pour éviter tout problème d’interprétation ou de mauvaise application ;
3) l’établissement par le Comité des sanctions d’une liste de personnes visées par les différents types de sanctions ciblées, avec la possibilité pour ces personnes de demander au Président du Comité le retrait de leur nom de cette liste, soit pour cause d’erreur, soit en raison d’un changement ultérieur de comportement ;
4) la nécessité de poser des limites temporelles à l’application des sanctions avec une période initiale plus longue à l’issue de laquelle le Conseil décidera de nouveau de son extension, de sa suspension, de sa modification ou de son renforcement ; et, dans le même ordre d’idée,
5) la prévision de clauses de sortie des sanctions, où le Conseil prévoit dès leur imposition comment et sous quelles conditions il compte y mettre fin.
132Ces modèles envisagent également la question des réactions de la communauté internationale face aux violations des sanctions, soit sous forme de l’idée controversée de sanctions secondaires contre l’auteur de ces violations, soit en autorisant explicitement les Etats à y faire face, par exemple à saisir les armes et autres matériels prohibés en route vers l’Etat visé, dans le cas d’un embargo sur les armes.
133Un autre apport intéressant est la distinction entre les sanctions relatives aux voyages et celles relatives à l’aviation. La confusion de ces deux types de mesures, alors qu’ils portent sur des objets différents, a été jugée comme l’une des causes de leur inefficacité dans le passé. Il a été ainsi expliqué que :
Targeted travel-related sanctions are... bans on individuals or on a category of people to travel to, from, through and/or in the territory of a State other than the State of the target. Aviation-related sanctions are... ban on the movements of all international flights into or from a target country, and/or a ban on specific services facilitating such flights713.
134Du fait de cette différence, le ciblage et, partant, la limitation des effets secondaires des sanctions relatives à l’aviation sont plus problématiques que ceux des sanctions sur les voyages. Pour le ciblage, il faut au préalable savoir comment les différents types d’avion sont utilisés et par qui. Ces sanctions peuvent aussi avoir l’effet d’une sanction commerciale partielle lorsqu’elles touchent aux avions cargo, ou l’effet d’une sanction financière limitée du fait de la diminution de la valeur des actions de la compagnie aérienne visée. Pour ce qui est des effets secondaires, l’établissement d’une liste de personnes ou de groupes de personnes dont la sortie du territoire est prohibée, dans le cas des sanctions sur les voyages, permet de limiter les effets des mesures à ces seules personnes. Dans le cadre des sanctions sur les aéronefs, les sanctions affectent une population plus large que les seules élites visées, et ce, pour trois raisons : des personnes privées peuvent également emprunter les avions interdits de vol, des produits usuels pour la population peuvent manquer en cas d’arrêt des transports aériens de marchandises, et la fermeture des agences extérieures de la compagnie aérienne visée peut causer de nombreuses pertes d’emplois.
135En conséquence, l’imposition des sanctions sur l’aviation est à considérer avec précaution et ne doit plus être systématiquement associée avec les sanctions sur les voyages. A la limite, elles doivent être des mesures provisoires et ne viser que les avions qu’empruntent régulièrement les élites ou autres personnes dont on demande le changement de comportement714. Enfin, rappelons que le processus de Bonn-Berlin a insisté sur la différenciation entre les exemptions et les exceptions aux sanctions, avec les avantages que l’on a précisés plus haut.
136Comment le concept de sanction ciblée vulgarisé par ces études a-t-il été accueilli au sein des organes des Nations Unies, qui sont en fait les destinataires des résultats de ces cycles d’études ?
3. L’accueil des propositions des cycles d’études au sein des Nations Unies
137Au sein du Comité spécial de la Charte, qui avait étudié la question des sanctions dès le début des années 1990, la problématique de ciblage des sanctions n’était pas initialement au centre des débats. Ceci s’explique par le fait que sa préoccupation principale dans le domaine des sanctions porte sur la mise en œuvre effective des dispositions de l’article 50 de la Charte relative à l’assistance aux autres pays touchés par l’application des sanctions715. De ce fait, ses travaux s’étaient surtout concentrés sur les solutions en aval, c’est-à-dire les moyens de financer l’assistance à ces pays. Ce n’est que plus tard que le Comité a commencé à chercher des solutions en amont tendant à réduire de telles difficultés, dont la mise en place de procédures d’évaluation des effets des sanctions et l’accueil de l’idée de ciblage de sanctions étudiée ailleurs. Il faut toutefois noter que la notion de limites humanitaires des sanctions avancée par la Russie à la 51e session du Comité, qui inclut « l’interdiction de créer des conditions où les sanctions causeraient des souffrances inacceptables à la population civile et, en particulier, aux groupes vulnérables », participe déjà de cette quête de sanction ciblée716.
138C’est donc à sa 54e session, en 1999, que le Comité spécial de la Charte a commencé à considérer cet aspect des sanctions. Les délégations y ont souligné qu’« il était nécessaire de réduire au minimum les conséquences humanitaires et économiques des sanctions pour les Etats tiers et les conséquences humaines pour les Etats visés, tout en renforçant l’efficacité des régimes de sanctions [et] qu’il pourrait être utile de moduler les sanctions suivant les circonstances et, notamment, d’appliquer des sanctions ciblées »717. A cet effet, il a été jugé « opportun d’examiner les idées et suggestions émanant des deux séminaires d’experts sur les sanctions financières ciblées tenus à Interlaken ainsi que du colloque sur les sanctions ciblées du Conseil de sécurité réuni à New York »718. Lors de la session suivante, les délégations continuaient à se prononcer en faveur des sanctions ciblées et ont réitéré leur satisfaction pour la tenue des séminaires d’experts précédemment cités, en y ajoutant celui qui venait de se tenir à Bonn719.
139Le Groupe spécial d’experts, créé par l’Assemblée générale pour élaborer une méthode d’évaluation commune des effets des sanctions, a également recommandé la mise au point de « mesures ciblées » visant l’élite au pouvoir, comme l’une des mesures novatrices visant à réduire à un minimum les dommages indirects des sanctions720. L’Assemblée générale a invité les Etats membres et les organismes du système des Nations Unies à donner leurs avis sur les recommandations du Groupe d’experts721. Le rapport du Secrétaire général en application de cette résolution fait état de l’appui de cette proposition de la part des Etats et organismes des Nations Unies722.
140Enfin, les travaux des processus d’Interlaken et de Bonn-Berlin ont reçu un bon accueil lors de leur présentation au Conseil de sécurité en octobre 2001. Les membres de cet organe ont félicité la Suisse et l’Allemagne pour les études qu’ils ont organisées et ont promis d’œuvrer pour la prise en compte des résultats de ces études dans les futurs régimes de sanctions. Le représentant du Royaume-Uni, parlant en sa qualité de Président du Comité des sanctions contre le terrorisme, créé par la résolution 1373 (2001), s’est ainsi engagé à étudier les leçons positives qui peuvent être tirées des travaux des deux processus pour le travail du Comité723. La Norvège a qualifié les recommandations de ces processus comme des outils précieux pour l’activité du Conseil et s’est dit prête à assurer que ces modèles seront utilisés pour les futurs régimes de sanctions ou lorsque le Conseil modifiera les régimes existants724. La Colombie relève, pour sa part, que les processus d’Interlaken et de Bonn-Berlin ont amené les Etats à prendre conscience que le Conseil de sécurité doit communiquer avec d’autres acteurs qui ont un rôle à jouer dans la mise en œuvre des sanctions725. Enfin, la représentante de la Jamaïque relève que, pour concevoir les sanctions imposées récemment contre l’Erythrée et l’Ethiopie, la Sierra Léone, le Liberia et le régime des Taliban en Afghanistan, le Conseil a abondamment puisé dans les travaux préliminaires des processus d’Interlaken et de Bonn-Berlin, ce qui est, d’après elle, un signe de reconnaissance de la valeur attachée par le Conseil à ces recommandations puisqu’il en a tenu compte avant même que ces rapports aient été achevés726. Et on observe que le Conseil de sécurité n’a pas dévié de cette pratique dans les dernières sanctions qu’il a imposées, à savoir celles contre des groupes armés en République démocratique du Congo, contre les responsables du gouvernement et des forces rebelles en Côte d’Ivoire, et contre Charles Taylor et ceux qui le soutiennent dans ce que le Conseil qualifie comme des activités de déstabilisation du processus de paix au Liberia727.
141L’affinement de l’imposition des sanctions ne s’arrête toutefois pas au ciblage de celles-ci. Il nécessite encore l’évaluation périodique de leurs conséquences pour pouvoir corriger d’éventuels effets secondaires malgré ce ciblage.
§2. L’évaluation périodique des sanctions en cours
142L’évaluation périodique des effets des sanctions est un corollaire de l’évaluation préalable, mais elle a des conséquences spécifiques sur le mécanisme de sanctions.
A. Un corollaire du principe de pré-évaluation des sanctions
143Comme l’évaluation préalable, l’évaluation périodique des effets des sanctions attribue au Conseil de sécurité une tâche supplémentaire et limite son pouvoir en matière de choix de mesures de sanctions. Les aspects technique, procédural et organique de l’évaluation sont également les mêmes. La spécificité de l’évaluation des sanctions en cours tient à son objectif. Elle ambitionne d’amener le Conseil de sécurité à modifier, suspendre, voire retirer des mesures qui produisent trop d’effets secondaires sans être suffisamment efficaces. Elle l’incite alors à chercher d’autres moyens plus adéquats.
144La résolution 50/51 de l’Assemblée générale a chargé à cet effet le Secrétariat de donner des avis au Conseil de sécurité et à ses organes sur les besoins spécifiques des Etats tiers ou les difficultés particulières qu’ils rencontrent, et présenter les options possibles de façon que, tout en maintenant l’efficacité des sanctions, on puisse modifier leurs modalités d’application, voire les sanctions elles-mêmes, afin d’atténuer leurs effets sur ces Etats728. Le Secrétaire général, dans son rapport en application de cette résolution, a désigné le Département des affaires politiques du Secrétariat pour mener à bien cette tâche729. En fait, il s’agit de charger le Secrétariat de surveiller les effets des sanctions en cours et de proposer au Conseil de sécurité les moyens à la fois d’améliorer l’efficacité des sanctions en fonction de ces effets, et d’en réduire les conséquences non voulues. Cette idée a été proposée par le Groupe spécial d’experts730, et appuyée par le Comité spécial de la Charte731. Elle peut être faite au Secrétariat par l’étude de différents rapports des Etats et d’organismes humanitaires ou par l’envoi sur place d’une mission d’évaluation. A noter enfin que les modèles de résolutions issus des processus d’Interlaken et de Bonn-Berlin prévoient des revues périodiques des sanctions et de leurs effets, avec les mêmes desseins de correction ou de suspension, tout en les associant au processus de levée des sanctions.
145Le processus de Stockholm sur l’application des sanctions ciblées estime que ces évaluations périodiques pourraient être conduites par l’OCHA ou par des groupes d’experts et d’autres mécanismes de contrôle d’application des sanctions, à l’instar de ce qui a été fait dans les sanctions contre le Liberia. Il propose à cet effet d’utiliser la méthode d’évaluation préparée par l’OCHA732. Enfin, il a été dit que “well-designed on-going assessments would be useful in distinguishing the impact of sanctions from other causes of humanitarian suffering and economic hardship, thereby reducing one of the main sources of opposition to sanctions generally”733.
146L’envoi de mission d’évaluation des sanctions imposées est fréquent dans la pratique de l’ONU. On peut citer à titre d’exemple les nombreuses missions envoyées en Iraq au lendemain de la guerre du Golfe et tout au long du régime de sanctions ultérieures. La différence apportée par la proposition actuelle est son insistance sur l’obligation du Conseil de tenir compte des rapports et recommandations de ces missions. Il doit adapter les mesures ou le régime de sanctions en fonction des circonstances portées à sa connaissance. Bref, il s’agit d’un appel à une revue périodique par le Conseil de l’adéquation des moyens utilisés à l’objectif visé, une des conséquences de ce concept d’évaluation périodique sur la mise en œuvre des sanctions.
B. Les conséquences de l’évaluation périodique sur le mécanisme de sanctions
147Appliquée au processus de mise en œuvre des sanctions, l’obligation d’évaluation vise à limiter aussi bien le choix que l’intensité des sanctions des Nations Unies aux mesures qui sont nécessaires pour atteindre l’objectif de maintien ou de rétablissement de la paix. En conséquence, le Conseil de sécurité doit retirer les mesures coercitives qui, compte tenu de leurs effets attestés par les missions d’évaluation, s’avèrent soit inadéquates pour atteindre l’objectif visé par les sanctions soit disproportionnées par rapport à cet objectif734.
148Le recours à des évaluations périodiques des sanctions contre l’Iraq aurait, par exemple, amené le Conseil à prendre, dès 1991, des mesures ciblées aux dirigeants iraquiens et à retirer d’autres dont les effets désastreux sur la population civile étaient manifestement disproportionnés par rapport au maintien de la paix dans la région du Moyen-Orient et à la volonté de s’assurer des intentions pacifiques des dirigeants iraquiens735. La mission Ahtisaari envoyée en Iraq en mars 1991 mettait déjà en garde le Conseil de sécurité sur les conséquences désastreuses du prolongement de l’ensemble des mesures imposées sur la population civile iraquienne, et recommandait dans son rapport l’exclusion de ce régime de sanctions de certains produits essentiels pour les besoins vitaux de la population. Elle conseillait également la reconstruction rapide d’une capacité limitée de raffinage et de production d’électricité pour conserver les denrées alimentaires et les médicaments ainsi importés736. Et la mission de conclure : « Il ne fait aucun doute que le peuple iraquien pourrait très prochainement être exposé à une nouvelle catastrophe, épidémies et famine incluses, si les mesures qui s’imposent ne sont pas prises sans attendre... Il faut agir, et agir vite »737.
149Malgré ces appels, le Conseil de sécurité n’avait pas retiré les mesures qui, manifestement, produisaient des effets secondaires désastreux sans être efficaces pour atteindre l’objectif visé. Au lieu de cela, il mettait en place, avec le programme pétrole contre nourriture, des palliatifs pour atténuer ces conséquences négatives, dont le résultat par rapport à la catastrophe humanitaire prédite par la mission Ahtisaari fut décevant738. Lors de la prorogation de ce programme pendant la période d’impasse des relations des Nations Unies avec l’Iraq739 , La Fédération de Russie soutenait « qu’il n’est pas possible de résoudre le problème de la crise humanitaire en Iraq tant que le régime des sanctions est maintenu »740. Devant l’ampleur de cette crise humanitaire, après des années d’imposition de sanctions économiques globales, la Fédération de Russie préconisait la levée du régime de sanctions en place et son remplacement par un nouveau mécanisme de supervision du désarmement. Elle estimait en effet que les mesures prises dans le cadre du programme humanitaire pour l’Iraq suffisaient à peine à assurer la survie physique de la population741. Le représentant de la Russie concluait alors :
Ce n’est que la levée des sanctions, et non des mesures palliatives – telles les prorogations traditionnelles de la résolution 986 (1995) – qui nous permettra véritablement de surmonter la crise humanitaire et socio-économique en Iraq... La question de la levée de sanctions doit être examinée d’urgence par le Conseil de sécurité et nous nous emploierons à la régler dans le contexte du déploiement en Iraq d’un nouveau mécanisme de supervision de désarmement742.
150On peut également reprocher au Conseil, au vu de cette catastrophe humanitaire en Iraq, la non-adaptation du régime de sanctions contre cet Etat, pour l’aligner par exemple à celui contre la Libye où le pétrole et les produits pétroliers n’étaient pas visés et où le gel des avoirs financiers de la Libye ne concernait pas les ressources financières dérivées de la vente ou de la fourniture de pétrole ou de produits pétroliers, y compris le gaz naturel et les produits gaziers743. L’inclusion de ces produits dans le cas de la Libye aurait en effet entraîné la survenance de la même crise humanitaire qu’en Iraq dans la mesure où, comme ce dernier, les ressources pétrolières tiennent une place centrale dans l’économie de la Libye et, partant, pour le bien-être de sa population.
151La pratique ultérieure du Conseil de sécurité montre toutefois un début d’application de l’évaluation périodique des effets des sanctions. Dans le cadre des sanctions contre les Taliban, par exemple, il a demandé au Comité des sanctions concerné de lui adresser des rapports périodiques sur l’incidence des mesures imposées, notamment sur le plan humanitaire744. Dans une déclaration de son Président, le Conseil « souligne que les sanctions ne visent pas le peuple afghan » et « réaffirme sa décision d’évaluer les effets, notamment sur le plan humanitaire, des mesures imposées par la résolution 1267 »745. Lors du renforcement ultérieur des sanctions contre les Taliban, il a encore prié le Secrétaire général de lui faire, dans les 90 jours, un rapport sur les répercussions humanitaires des sanctions imposées, et périodiquement par la suite746. Quatre rapports furent soumis par le Secrétaire général suite à cette résolution747. Ils constataient que les sanctions ont eu des effets humanitaires tangibles, mais limités, sur la population civile. Du fait de ces effets secondaires limités, les rapports ne proposaient pas au Conseil de sécurité des mesures de correction du régime de sanctions en place, mis à part l’assouplissement de l’application des dérogations humanitaires déjà prévues dans ses résolutions 1267 (1999) et 1333 (2000).
152Ce qu’il faudrait surtout retenir dans cet exemple est la prévision par le Conseil de sécurité d’une évaluation périodique des effets des sanctions qu’il vient d’imposer. L’exemple ne nous permet pas de savoir si, à l’avenir, le Conseil va effectivement modifier un régime de sanctions en place sur la base des recommandations des organes qu’il a chargés de faire cette évaluation. On pourrait néanmoins le supposer sur la base de ce qu’il a fait du rapport de sa mission d’évaluation de la situation en Iraq, envoyée en 1999. Les recommandations de cette mission l’avaient amené, entre autres, à modifier les procédures d’approbation des demandes d’expédition des fournitures humanitaires en Iraq dans le sens d’une plus grande simplification, ainsi que l’abandon du plafond du volume de pétrole que l’Iraq était autorisé à exporter748.
153En conclusion, l’idée d’évaluation périodique des effets des sanctions et ses implications pratiques peuvent beaucoup apporter à la quête de sanctions produisant le moins d’effets secondaires possibles et réduisant fortement les effets constatés. S’agissant d’un concept nouveau, la pratique en la matière est encore parcellaire pour bien mesurer sa percée dans le processus de révision des sanctions, ainsi que sa réelle capacité à réduire les effets secondaires des sanctions des Nations Unies, mais ce qu’on a vu jusqu’ici est déjà encourageant. Cette capacité dépend de la propension du Conseil de sécurité à tenir compte des recommandations des missions d’évaluation et à retirer des mesures qui s’avèrent sources d’importants effets secondaires, sans que leur maintien ait un effet tangible sur la volonté des dirigeants de l’Etat-cible à se plier à ses injonctions.
154Ces mesures d’affinement du mécanisme de sanctions au niveau de leur conception et de leur maintien devraient être complétées, pour atteindre leur objectif de réduction des effets secondaires des sanctions, par un affinement au niveau du processus de retrait des sanctions.
Section III. L’affinement au niveau de la levée des sanctions
155C’est au niveau de la levée des sanctions que des améliorations sont les plus souhaitables (§2) car les règles et conditions y relatives n’ont pas été expressément prévues dans la Charte des Nations Unies (§1). On a en effet vu que les effets secondaires augmentent à mesure que les sanctions perdurent. S’il y avait dans la Charte une disposition claire sur les conditions de levée des sanctions, certaines sanctions imposées dans la pratique auraient pris fin plus tôt, et bien de souffrances inutiles de la population des Etats qui en étaient cibles et de difficultés économiques de leurs partenaires commerciaux auraient pu être évitées.
§1. Les conditions de levée des sanctions
156Ces conditions sont, bien entendu, à chercher dans les dispositions de la Charte relatives à l’imposition des sanctions. Mais des leçons peuvent également être tirées de l’examen de la pratique du Conseil de sécurité en matière de levée de sanctions, notamment de certains obstacles ayant empêché de telle levée dans quelques régimes de sanctions.
A. Les dispositions de la Charte
157La Charte est muette sur les règles et procédures relatives à levée des mesures imposées par le Conseil de sécurité. Celles-ci sont surtout le produit de la pratique, encore qu’il est permis de se demander si on peut parler de l’existence de véritables règles en la matière.
1. Le silence de la Charte et des travaux préparatoires
158Aucune disposition de la Charte des Nations Unies ne précise les conditions de levée des sanctions imposées par le Conseil de sécurité. Les documents de la Conférence de San Francisco n’en disent rien non plus. Le compte-rendu des débats du Comité III sur les mesures économiques et autres mesures militaires ne révèle rien sur les conditions de levée de ces mesures749. De même, aucun des amendements présentés à la Conférence ne se rapporte à cette question. Celle-ci n’avait pas été non plus soulevée lors de l’examen du rapport du Comité III devant la Commission III, adopté à l’unanimité.
159Ainsi, c’est par déduction que l’on rattache la levée des sanctions à leur objectif. Les mesures imposées doivent être levées une fois que le comportement qualifié par le Conseil de sécurité de menace ou cause de rupture de la paix et de la sécurité internationales ait cessé. En d’autres termes, il doit être mis fin aux sanctions une fois que le motif juridique de leur imposition ait disparu. Ce motif juridique correspond normalement à l’injonction adressée à l’Etat qui en est la cible. Et c’est le Conseil de sécurité, en précisant dans sa résolution sanctionnatrice ce qu’il cherche par l’imposition des sanctions, qui doit en même temps fixer les conditions de levée de celles-ci.
160Si l’on se tourne vers la doctrine, les premiers ouvrages sur les Nations Unies dans les années suivant l’adoption de la Charte confirment cette conclusion. Par exemple, Leland Goodrich et Anna Simons écrivaient :
If the Council should decide to use measures under Articles 41 and 42 of the Charter, it would subsequently have to decide under what conditions the enforcement measures should be terminated750.
161Curieusement, aucun des ouvrages portant commentaires de la Charte n’abordent ce problème de manière approfondie, ni dans leur introduction aux dispositions du chapitre vii, ni dans les commentaires proprement dits des articles 1, 39, 41 et 42.
162Il a fallu attendre l’ouvrage de Jean Combacau pour voir une étude élaborée de cet aspect des sanctions751. D’après cet auteur,
l’abrogation de l’acte de sanction [peut] résulter aussi bien de la modification de la situation qui le fondait que de celle de l’acte de déclenchement752
163Dans le premier cas, « la situation justifiant la sanction s’atténue au point de ne plus justifier de sanction de la même catégorie, ou même de n’en plus justifier du tout ». Ce qui fait que « l’Organisation est tenue d’abroger l’acte de sanction, qui n’a plus aucune base légale »753. Ce premier cas d’abrogation reflète l’hypothèse de la disparition du motif juridique évoqué plus haut. Dans la pratique, l’appréciation de ce changement de situation va forcément et en premier lieu être faite par les Etats, agissant individuellement ou en groupe (informel ou institué). Ce sont les Etats membres des Nations Unies, dont ceux du Conseil de sécurité, qui interpellent cet organe sur tout changement de fait ou de droit relatif à une situation donnée. Il y a donc ici une auto-interprétation par les Etats de la nécessité du maintien ou du retrait d’une mesure de réaction à l’illicite, comme pour les contre-mesures individuelles. L’acte formel d’abrogation ou de retrait des sanctions demeure toutefois collectif. Les Etats peuvent interpréter, puis informer le Conseil de sécurité, que le motif juridique d’imposition de la sanction a disparu. Mais c’est ce dernier qui peut mettre juridiquement fin à un régime de sanctions des Nations Unies.
164Dans le deuxième cas d’abrogation suite à la modification de l’acte de sanction, la disparition ou la disqualification de la situation justifiant la sanction, si elle demeure suffisante pour retirer l’acte de sanction, n’est plus nécessaire. En effet, en vertu de son pouvoir discrétionnaire dans le déclenchement des sanctions, le Conseil de sécurité n’est pas obligé de maintenir celles-ci même si la situation n’a pas beaucoup changé. Il peut dès lors, pour une raison ou pour une autre, mettre fin à son action coercitive par le retrait de l’acte initial déclenchant la sanction754. Basée uniquement sur des motifs politiques, cette option est certes difficilement tenable face aux protestations qu’elle ne manquerait pas de soulever de la part des Etats, mais elle demeure une manière possible de mettre fin à un régime de sanctions.
165La levée des sanctions économiques contre l’Iraq en est une triste illustration. Dans sa résolution 1483 (2003) décidant cette levée, le Conseil de sécurité ne se réfère à aucun des motifs juridiques l’ayant conduit à imposer les sanctions. Ni dans le préambule ni dans le dispositif de cette résolution, le Conseil ne constate l’atteinte de l’un quelconque des objectifs fixés dans ses résolutions 661 (1990) et 687 (1991) pour justifier sa décision de lever,
à l’exception des interdictions frappant la vente ou la fourniture à l’Iraq d’armes et de matériel connexe toutes les interdictions portant sur le commerce avec l’Iraq et l’apport de ressources financières ou économiques à ce pays imposées par la résolution 661 (1990) et les résolutions ultérieures pertinentes, y compris la résolution 778 (1992)755.
166Cette levée des sanctions économiques contre l’Iraq est une question éminemment politique et on cherchera en vain dans les termes de la résolution 1483 (2003) une justification juridique de cette levée en cohérence avec les motifs d’imposition des sanctions. Cette levée, et la solution retenue après celle-ci, résultent d’un compromis entre, d’un côté, la volonté de certains membres permanents de garder le contrôle de l’Iraq et de son pétrole après la chute du régime de Saddam Hussein et, de l’autre, le souci des autres membres de mettre un terme aux souffrances de la population civile depuis plus d’une décennie, même si ces derniers considèrent que la résolution qui vient d’être adoptée n’est pas parfaite, comme on peut le constater dans leurs déclarations d’après vote756.
167En ce qui concerne la procédure, le caractère collectif des sanctions des Nations Unies commande que celles-ci soient levées de manière expresse par le Conseil de sécurité. Comme l’a dit Jean Combacau,
renoncer à exiger un acte abrogeant expressément l’acte de sanction serait donner à chacun des organes d’exécution une participation individuelle à l’opération de déclenchement et abandonner en partie la centralisation de la sanction. Que resterait-il en effet du caractère corporatif de la sanction si chacun des organes chargés de l’appliquer avait le pouvoir d’apprécier lui-même à quel moment il est libre de cesser de le faire ?757.
168Pour ce qui est de l’autorité habilitée à décider de cette levée, le principe du parallélisme de forme et d’organe pour les actes juridiques veut que ce soit au même organe prenant les actes de sanctions de les retirer, et ce, par le même acte juridique. La levée devra donc être faite par une résolution du Conseil de sécurité, ce qui n’a pas toujours été le cas dans la pratique.
2. La levée des sanctions dans la pratique : quelques exemples
169Nous avons déjà vu les circonstances de levée des sanctions économiques contre l’Iraq. Nous allons analyser ici les conditions de levée de cinq autres régimes de sanctions, sur la base des développements théoriques qui précèdent. D’autres levées seront encore examinées dans le cadre du prochain paragraphe sur l’amélioration des conditions de levée des sanctions des Nations Unies.
a) Les sanctions contre la Rhodésie du Sud (1966-1979)
170Ce premier cas de sanctions des Nations Unies fut également le premier à être levé. Dans les résolutions 232 (1966) et 253 (1968) imposant des séries de mesures obligatoires contre la Rhodésie du Sud, les conditions exactes sous lesquelles ces sanctions allaient être levées n’étaient pas explicitement spécifiées, reflétant en quelque sorte l’absence de dispositions correspondantes dans la Charte. Mais on peut dire que la logique de liaison de la levée des sanctions avec le ou les objectifs déclarés de celles-ci a été suivie.
171Dans le préambule de la résolution 232 (1966), le Conseil de sécurité se préoccupait de l’échec des efforts entrepris pour mettre un terme à la rébellion et réaffirmait dans son dispositif les droits inaliénables du peuple de la Rhodésie du Sud à la liberté et à l’indépendance, conformément à la résolution 1514 (XV) de 1960 de l’Assemblée générale758. Dans sa résolution 253 (1968), le Conseil notait encore « avec une profonde préoccupation que les mesures prises jusqu’ici n’ont pas réussi à mettre un terme à la rébellion en Rhodésie du Sud »759 et « demand[ait] au Royaume-Uni, en tant que Puissance administrante dans l’exercice de sa responsabilité, de prendre d’urgence toutes mesures effectives pour mettre un terme à la rébellion en Rhodésie du Sud et pour permettre au peuple d’obtenir la jouissance de ses droits tels qu’ils sont énoncés dans la Charte des Nations Unies et conformément aux objectifs de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale »760.
172Les objectifs des sanctions contre la Rhodésie sont tirés de ces paragraphes, même si aucune disposition des résolutions pertinentes ne fixait les critères de levée des mesures ainsi imposées. Certes, une controverse quant à l’interprétation de l’objectif exact poursuivi s’était élevée au moment où l’on envisageait la levée de ce régime de sanctions761. On peut tout de même dire que cette levée était basée sur l’application des dispositions des résolutions que l’on vient de citer, et ce, conformément à la conclusion de Vera Gowlland-Debbas quant à leur objectif, qui est de mettre fin au régime raciste et permettre l’exercice par le peuple de la Rhodésie du Sud de leur droit à l’autodétermination. La résolution 460 (1979) qui mettait fin aux sanctions liait cette levée à la conclusion à Lancaster House d’« un accord sur la constitution d’un Zimbabwe libre et indépendant prévoyant un véritable gouvernement par la majorité »762, accord qui se traduisait par la fin du régime raciste de la minorité blanche de ce pays et l’assurance de la jouissance par le peuple du Zimbabwe de son droit à disposer de lui-même.
b) Les sanctions contre l’Afrique du Sud (1977-1994)
173Dans le cas de l’Afrique du Sud, l’objectif de l’embargo sur les armes, recommandé d’abord dans la résolution 181 (1963) et imposé ensuite dans la résolution 418 (1977), était de mettre fin au régime d’apartheid ainsi qu’à tous les actes de répression et de violence à l’égard des individus, voire même d’agression envers certains Etats voisins, qui en découlent. Ces objectifs n’étaient pas clairement exprimés ainsi dans ces résolutions, ni dans les autres résolutions ultérieures pertinentes. On peut toutefois les déduire des demandes adressées à l’autorité sud-africaine de mettre fin sans délai aux actes de violence contre le peuple africain et de prendre d’urgence des mesures pour éliminer l’apartheid et la discrimination raciale763, ainsi que des réactions du Conseil de sécurité face aux actes de répression et autres actes législatifs du régime sud-africain allant à l’encontre de ces demandes764.
174Ainsi, dans la résolution 919 (1994) adoptée le 25 mai 1994, la décision de lever les sanctions et de retirer toutes les autres mesures à l’encontre de l’Afrique du Sud était basée sur la tenue des premières élections multipartites auxquelles ont participé toutes les races, et la mise en place dans ce pays, le 10 mai 1994, d’un gouvernement uni, démocratique et non racial765.
c) Les sanctions contre le Soudan (1996-2001)
175Dans le cadre des sanctions contre le Soudan766, le processus de levée des mesures imposées était plus facile, même s’il n’y avait toujours pas eu de disposition expresse fixant les critères déterminant cette levée. Dans la résolution 1044 (1996), il était demandé au gouvernement soudanais, d’une part, d’extrader en Ethiopie trois suspects ayant trouvé refuge au Soudan et recherchés pour une tentative d’assassinat du Président de la République arabe d’Egypte, commise à Addis-Abeba le 26 juin 1995 et, d’autre part, de renoncer à aider, soutenir et faciliter des activités terroristes, ainsi qu’à donner asile ou refuge à des éléments terroristes767.
176Dans une lettre en date du 1er juin 2000, adressée au Président du Conseil de sécurité, le gouvernement soudanais répondait à la première demande en disant qu’il n’avait trouvé au Soudan aucune trace des trois suspects et que, à la suite de consultations approfondies avec l’Egypte et l’Ethiopie, ces deux pays avaient exprimé leur satisfaction devant les efforts honnêtes déployés par le Soudan à cet égard768. En ce qui concerne le renoncement au terrorisme, le gouvernement soudanais affirmait viser le même objectif que le Conseil de sécurité et la communauté internationale de combattre le terrorisme. Il relatait, comme preuve de ce rejet, ses actes de participation à divers traités relatifs à la lutte contre le terrorisme, aux travaux de l’Assemblée générale et des organismes régionaux sur cette lutte, et l’adoption d’une loi sur la répression des infractions terroristes et des mesures relatives à l’admission des groupes terroristes au Soudan769. En conclusion de sa lettre, le gouvernement soudanais demandait au Président du Conseil de sécurité de convoquer une réunion spéciale du Conseil « afin de lever les sanctions imposées contre le pays à la lumière des mesures concrètes que le gouvernement soudanais a pris pour satisfaire aux exigences du Conseil »770.
177Le Conseil de sécurité faisait suite à cette demande dans sa résolution 1372 (2001). Il y prenait note des mesures prises par le gouvernement soudanais et se félicitait de sa participation aux diverses conventions internationales contre le terrorisme. Le Conseil décidait en conséquence de lever, avec effet immédiat, les mesures décidées dans les résolutions 1054 (1996) et 1070 (1996)771.
178Dans cet exemple, la décision du Conseil de lever les sanctions était basée sur le rapport du gouvernement soudanais concernant sa propre application des mesures demandées par les Nations Unies. Le Conseil a donc laissé le Soudan apporter les preuves de son comportement conforme et s’en est contenté, sans examiner un autre rapport établi par ses propres organes subsidiaires ou par le Secrétaire général.
d) Les levées partielles des sanctions contre, des Etats en proie à un conflit interne
179Dans les sanctions imposées à l’occasion d’un conflit interne (comme au Rwanda, au Liberia, en Sierra Leone et – dans certains de ses aspects – en Afghanistan), les sanctions ont été levées partiellement pour ne s’appliquer qu’à l’une des parties au conflit, après la formation d’un gouvernement provisoire ou d’un gouvernement démocratique ou encore le rétablissement du gouvernement légitime.
i) La levée des sanctions contre le gouvernement rwandais (1994-1996)
180Dans le cas du Rwanda, l’embargo sur les armes imposées à toutes les parties au conflit était levé à l’égard du gouvernement rwandais à la fin de la guerre civile et des massacres dans ce pays772. Il a été par contre maintenu à l’égard des forces non gouvernementales ou des civils se trouvant dans les camps des réfugiés ou chez les Etats voisins773. La procédure de levée de ces sanctions était assez particulière puisqu’aux termes du paragraphe 7 de la résolution 1011 (1995), la levée des sanctions à l’égard du gouvernement rwandais était assortie d’un contrôle strict de l’acquisition des armes et autres matériels connexes.
181Ces armes devaient entrer au Rwanda par des points d’entrée désignés sur une liste établie par le gouvernement rwandais et transmise au Secrétaire général. En outre, le gouvernement avait l’obligation de marquer et d’enregistrer toutes ses importations d’armements et d’en informer le Comité des sanctions compétent, tandis que les Etats étaient tenus de notifier à ce Comité toutes les exportations desdites marchandises à destination du Rwanda774. Cette période s’étendait du 16 août 1995, date de la résolution, au 1er septembre 1996. Au paragraphe 8 de sa résolution 1011 (1995), le Conseil décide de lever définitivement ces sanctions à partir du 1er septembre 1996, à moins qu’il n’en décide autrement après avoir examiné un rapport du Secrétaire général qui se rapporte aux exportations d’armements et de matériels connexes à destination du Rwanda775.
182On s’attendait, au vu de cette disposition, à ce que le Conseil de sécurité prenne une décision indiquant sa position à l’issue de l’examen du rapport du Secrétaire général. Il n’en est rien puisqu’aucune résolution ou autre décision du Conseil n’est intervenue pour signifier formellement la fin des sanctions. Ce n’est que le 11 septembre 1996 qu’un communiqué de presse du Président du Comité des sanctions pour le Rwanda déclare que les restrictions sur les armes imposées au gouvernement du Rwanda ont été levées le 1er septembre, mais restent maintenues à l’égard des forces non gouvernementales776.
183On peut interpréter cette pratique de la manière suivante : en cas de levée différée des sanctions, cette levée prendrait effet automatiquement à la date prévue par la résolution sans qu’une décision formelle du Conseil de sécurité ait à intervenir. Officiellement d’ailleurs, ces sanctions sont considérées comme étant levées par la résolution 1011 (1995)777. On pourrait, par conséquent, analyser le communiqué de presse comme une simple notification de l’effectivité de cette levée. Il est tout de même curieux de lire dans le rapport annuel du Comité des sanctions concerné « [qu’]après avoir examiné le rapport qu’il avait demandé au Secrétaire général..., le Conseil de sécurité a levé comme il l’avait prévu dans la résolution 1011 (para. 8), à partir du 1er septembre 1996, l’interdiction de vendre et de livrer des armes et du matériel connexe au Rwanda »778. Ceci semble vouloir dire que le Conseil aurait pris une décision à cet effet après la soumission du rapport du Secrétaire général (30 août 1996), sans que le rapport du Comité, ni d’autres sources documentaires des Nations Unies, mentionne l’acte qui contient cette décision de levée.
ii) La levée des sanctions relatives à l’“Ariana Afghan Airlines” (1999-2002)
184Dans le cadre des sanctions contre l’Afghanistan, les restrictions qui s’appliquaient aux appareils de la compagnie aérienne afghane, à ses fonds et autres ressources financières, ainsi que la fermeture de ses agences à l’étranger furent levées après le départ des Taliban du pouvoir afghan et la perte de leur contrôle sur cette compagnie aérienne779. Le lendemain de cette première décision, le Conseil de sécurité décide de maintenir les sanctions financières et celles sur les voyages, prévues dans les résolutions 1267 (1999) et 1333 (2000) contre les Taliban et leurs supporters780. Il y précise de nouveau les mesures que les Etats doivent prendre à l’égard d’Oussama bin Laden, des membres d’Al-Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés figurant sur la liste établie en application des deux résolutions sus-mentionnées781.
185Cette levée partielle correspond à l’effort de ciblage des sanctions. Une fois que les Taliban ne contrôlaient plus la compagnie aérienne afghane, le Conseil a levé les sanctions contre cette dernière, qui touchaient l’ensemble de la population par ses effets sur les déplacements des Afghans et sur le transport des fournitures humanitaires non-visées par les sanctions. Il les a alors remplacées par des mesures visant spécifiquement les Taliban et ceux qui les soutiennent.
186Cela étant, il peut y avoir, entre l’imposition et la levée des sanctions, des situations intermédiaires où les Etats n’ont pas à appliquer les sanctions sans que celles-ci soient définitivement levées. Il convient dès lors d’analyser les conséquences juridiques de ces situations et relever leur rôle dans la production d’effets secondaires.
B. Les incidents dans le processus de levée des sanctions
187On observe dans la pratique des situations où, au lieu de retirer les mesures coercitives imposées, le Conseil de sécurité les suspend seulement pour diverses raisons, parmi lesquelles l’usage de ce qu’on appelle le « veto inversé ». L’usage de ce type de veto est également la cause du maintien prolongé des sanctions.
1. La suspension des sanctions
188L’analyse de la pratique des Nations Unies nous permet de distinguer entre, d’une part, la suspension ayant pour but de gratifier l’Etat ou l’entité cible de son bon comportement, sans que la situation en général appelle à une levée des sanctions, et, d’autre part, la suspension qui intervient alors que l’objectif de la sanction est déjà atteint.
a) La suspension comme une mesure positive : le cas yougoslave
189Il s’agit d’une suspension de sanctions pour récompenser l’Etat-cible de son bon comportement face aux injonctions du Conseil de sécurité, sans que cela satisfasse à toutes les exigences de ce dernier. Ici, les obligations imposées à cet Etat ne sont plus considérées comme un tout, mais comme une série d’obligations liées entre elles pour atteindre l’objectif de la sanction, tel que fixé par le Conseil de sécurité. Par ce type de suspension, le Conseil accepte de prendre acte d’un respect partiel des obligations et pose la suspension comme une mesure d’encouragement à l’égard de l’Etat-cible à aller de l’avant. La suspension peut alors porter sur une partie seulement des mesures imposées ou sur l’ensemble de celles-ci, en fonction des circonstances et de la nature de l’obligation remplie.
190Cette procédure de suspension, qui peut être un prélude à la levée des sanctions, n’était pas prévue dans la Charte. Les deux premières expériences des sanctions des Nations Unies en Rhodésie du Sud et en Afrique du Sud ne comportaient pas de périodes de suspension. Cette pratique est néanmoins largement utilisée dans les mesures économiques unilatérales des Etats, connue sous le nom de « carotte » en contrepartie du « bâton » qui est la sanction elle-même. Sa reprise par les Nations Unies a commencé au début des années 1990 avec les sanctions contre l’ex-Yougoslavie et contre Haïti. D’une certaine manière, le deuxième régime de supervision du désarmement de l’Iraq, mis en place en 1999, constitue une manifestation de cette pratique. Nous allons nous concentrer ici sur le cas de l’ex-Yougoslavie, qui est le plus exemplaire.
191Dans le paragraphe 1 de sa résolution 943 (1994), le Conseil de sécurité décidait de suspendre pour une période initiale de 100 jours les interdictions de vols commerciaux en provenance et à destination de la République fédérative de Yougoslavie (RFY)782, de transport de passagers à destination d’Italie dans le cadre du blocus maritime et fluvial contre la RFY783, et la non-participation à des manifestations sportives et échanges culturelles784. Cette suspension était décrétée suite à la décision prise par le gouvernement yougoslave de fermer sa frontière avec la Bosnie-Herzégovine. La résolution précisait toutefois que la suspension ne devait prendre effet que lorsque le Secrétaire général aura informé le Conseil de sécurité que ce gouvernement a effectivement appliqué sa décision. Ce qui montre bien que la suspension était destinée à gratifier la RFY de sa coopération, tout en l’incitant à continuer en ce sens. Le Conseil avait même prévu l’arrêt automatique de la suspension au cas où la RFY n’aurait pas respecté son engagement785.
192Jusqu’ici, la suspension ne touchait qu’une partie des mesures imposées contre la RFY, puisque l’embargo sur les armes, les sanctions économiques et les blocus correspondants, ainsi que les sanctions financières restaient en vigueur. C’est dans sa résolution 1022 (1995) que le Conseil de sécurité suspendait, indéfiniment et avec effet immédiat, l’ensemble de ces sanctions, y compris l’embargo général sur les armes contre les Républiques de l’ancienne République fédérative socialiste de la Yougoslavie786. Cette suspension intervenait après la signature de l’Accord de paix de Dayton, le 21 novembre 1999. Et comme la suspension partielle précédente, le Conseil de sécurité conditionnait le maintien de cette suspension au respect par la RFY et les autorités serbes de Bosnie de leurs obligations tirées de l’Accord de Dayton787.
193Voilà donc un exemple de suspension en tant que prise en compte par le Conseil de sécurité d’un bon comportement de l’Etat objet des sanctions. Dans la première phase de suspension, le comportement des autorités yougoslaves était déjà jugé positif mais pas encore suffisant pour mettre un terme à la situation portant atteinte à la paix et à la sécurité internationales. Le Conseil n’avait alors suspendu qu’une partie des mesures imposées tout en montrant par là son encouragement à l’Etat-cible de faire davantage dans le respect de ses exigences. Et c’est parce que le comportement ultérieur de cet Etat satisfaisait aux conditions de rétablissement de la paix que le Conseil avait décidé, dans la dernière phase, de suspendre les sanctions dans son ensemble, et ce, de manière indéfinie. Cette suspension globale et indéfinie était un prélude à la levée des sanctions. Les conditions et modalités de cette levée étaient en plus prévues dans la résolution de suspension788.
b) La suspension comme une alternative au retrait des sanctions : le cas libyen
194Dans cette catégorie de suspension, le but avoué des sanctions est objectivement atteint, satisfaisant ainsi aux conditions de leur levée. Néanmoins, pour des raisons non strictement juridiques, les sanctions sont seulement suspendues. Les sanctions contre la Libye sont un cas typique de cette catégorie de suspension.
i) Le processus de suspension des sanctions contre la Libye
195Dans sa résolution 1192 du 27 août 1998, le Conseil de sécurité prévoyait la suspension des sanctions sous deux conditions : d’une part, lorsque le Secrétaire général lui aura fait savoir que les deux suspects libyens de l’incident de Lockerbie sont arrivés aux Pays-Bas en vue de leur procès devant un Tribunal écossais siégeant dans ce pays ; d’autre part, lorsque la Libye aura donné satisfaction aux demandes des autorités judiciaires françaises dans l’enquête relative à l’attentat contre le vol UTA 772789. Le Conseil modifie ici les lieux de transfert des deux suspects et de la tenue de leur procès, prévus ailleurs dans le paragraphe 16 de la résolution 883 (1993)790.
196En réaffirmant ce paragraphe 16 toutefois, la résolution 1192 (1998) reprenait les conditions de levée des sanctions qui y sont mentionnées, à savoir l’indication dans un rapport du Secrétaire général, à soumettre dans les 90 jours suivant la suspension des sanctions, que la Libye a satisfait pleinement aux exigences des résolutions 731 (1992) et 748 (1992). Le Royaume-Uni, l’un des co-auteurs de cette résolution, avait confirmé lors de la déclaration après vote de son représentant que
la résolution maintenant adoptée indique clairement que les sanctions seront levées dès que le Secrétaire général aura pu confirmer que les accusés ont été remis aux Pays-Bas et que les exigences de la justice française ont également été satisfaites. Les Gouvernements du Royaume-Uni et des Etats-Unis, ajoute-t-il, ont affirmé clairement leur attachement à cet aspect dans [une] lettre adressée au Secrétaire général791.
197Le rapport mentionné du Secrétaire général fut soumis au Conseil de sécurité le 5 avril 1999792. Dans un communiqué de presse publié immédiatement après l’examen de ce rapport, les membres du Conseil,
accueillent avec satisfaction le rapport du Secrétaire général concernant l’arrivée aux Pays-Bas aux fins de jugement des deux personnes accusées de l’attentat contre le vol 103 de la Pan Am ainsi que la coopération du Gouvernement libyen avec les autorités judiciaires françaises en ce qui concerne l’attentat contre le vol 772 de l’UTA… ;
notent également qu’avec ce rapport, les conditions énoncées au paragraphe 8 de la résolution 1192… touchant la suspension immédiate des mesures prévues dans les résolutions 748 (1992) et 883 (1993) se trouvent remplies. Ces mesures ont donc été effectivement suspendues793.
198Une déclaration du Président du Conseil de sécurité, faite le 8 avril 1999, reprenait les termes de ce communiqué et confirmait que « les mesures prévues dans les résolutions 748 (1992) et 883 (1993) avaient été immédiatement suspendues dès la réception de la lettre du Secrétaire général le 5 avril 1999 à 14 heures (heure de New York) »794. Aucune résolution du Conseil de sécurité n’était venue par la suite entériner cette suspension, ce que de nombreux Etats membres déploraient et revendiquaient795.
199Le deuxième rapport du Secrétaire général, soumis en application du paragraphe 16 de la résolution 883 (1993) et censé conditionner la levée des sanctions, fut rendu le 25 juin 1999, dans le délai prescrit de 90 jours après la suspension des sanctions. Le Secrétaire général y informait le Conseil que les exigences relatives à la coopération avec la France dans la question du vol 772 de l’UTA étaient satisfaites796. En ce qui concerne la pleine coopération avec le Tribunal écossais siégeant à La Haye et l’acceptation du verdict du Tribunal, le Secrétaire général précisait que ces exigences ne pouvaient être prises que par les autorités libyennes durant et après le procès, et qu’il n’était dès lors pas en mesure de fournir une quelconque information factuelle, avant la fin du procès, quant à la volonté des autorités libyennes de s’y conformer. Il avait cependant tenu à signaler que ces autorités avaient fourni des assurances à cet égard797. La même conclusion fut donnée en ce qui concerne l’indemnisation, en signalant que la Libye avait publiquement déclaré, à plusieurs reprises, qu’elle se conformerait aux conclusions du Tribunal, quelles qu’elles soient et, au besoin, verserait l’indemnité nécessaire798. Enfin, pour la renonciation au terrorisme, le Secrétaire général reproduisait diverses déclarations des autorités libyennes exprimant leur condamnation et leur opposition au terrorisme international. Il y rapportait également l’affirmation par la Libye de l’inexistence sur son territoire de camps d’entraînement de terroristes et l’engagement de cet Etat à rompre ses relations avec toutes les organisations et tous les groupes impliqués dans le terrorisme international ou soupçonnés de se livrer à de tels actes, et à ne pas permettre l’utilisation de son territoire pour les commettre799.
200Dans ses observations finales, le Secrétaire général n’avait pas toutefois fait de recommandation formelle au Conseil de sécurité quant à la nécessité – ou l’opportunité – de lever les sanctions suspendues. Il n’avait pas donné son avis sur la question de savoir si, dans l’ensemble, les actes de la Libye justifiaient la levée définitive des sanctions. Il disait seulement espérer que « l’esprit de coopération désormais établi sera préservé à l’avenir et que le début du procès marquera l’amorce d’un processus conduisant à une normalisation des relations entre toutes les parties concernées pour le plus grand profit de la communauté internationale dans son ensemble »800. Les avis étaient partagés sur la question de savoir si ces actes de la Libye justifiaient la levée des sanctions.
ii) L’accueil du rapport censé amener la levée des sanctions
201Dans une lettre adressée au Président du Conseil de sécurité et commentant le rapport du Secrétaire général, la Libye disait que ce rapport montrait qu’elle a déjà satisfait à toutes les exigences des résolutions du Conseil. Quant à l’acceptation des verdicts du Tribunal et les obligations qui peuvent en découler, lesquelles dépendent de la fin du procès, cela peut être couvert par l’assurance qu’elle a donnée à cet égard et la coopération d’une équipe de juristes libyens avec le Tribunal. La Libye demandait alors que le Conseil de sécurité lève immédiatement et complètement les mesures prises à son encontre maintenant qu’il a reçu le rapport du Secrétaire général prévu par le paragraphe 16 de la résolution 883 (1993)801.
202L’avis du Conseil de sécurité était tout autre. Par une déclaration faite par son Président à l’issue de la séance consacrée à l’examen du rapport du Secrétaire général, le Conseil accueillait avec satisfaction ledit rapport et les développements positifs qui y étaient signalés, ainsi que le fait que la Libye avait accompli des progrès significatifs en conformité avec les résolutions pertinentes. Il ne décidait pas toutefois de lever les sanctions. Il rappelait seulement la suspension de celles-ci et « réaffirm[ait] son intention de les lever dès que possible, en conformité avec les résolutions pertinentes »802. Le procès-verbal de cette séance ne révèle rien non plus sur les discussions relatives à cette question ; une séance d’ailleurs qui se bornait à enregistrer les accords faits lors de consultations préalables et n’avait duré que cinq minutes. C’est à peine si le Président du Conseil de sécurité attirait l’attention des membres du Conseil sur la lettre susmentionnée de la Libye803.
203Pendant quatre années à compter de cette date, aucune décision formelle du Conseil de sécurité n’avait été prise sur la question. Dans le dernier rapport annuel du Conseil précédant la levée des sanctions, la question libyenne était classée parmi les « questions portées à l’attention du Conseil de sécurité mais n’ayant pas fait l’objet d’un débat lors des réunions du Conseil au cours de la période considérée »804. Comme les autres rapports annuels depuis 2000, ce document révèle aussi que le Comité des sanctions sur la Libye n’a pas soumis de rapport lors de la période considérée805. Le dernier, datant de 1999806, n’ajoute rien à ce qui a été dit par le Président du Conseil de sécurité dans sa déclaration de juillet 1999 relative à la levée des sanctions.
204Ce développement des différents épisodes des sanctions contre la Libye nous permet de voir un cas typique de sanctions simplement suspendues alors que ses buts avoués ont été objectivement atteints. Dans le fond, les sanctions tendaient à ce que des ressortissants libyens soupçonnés d’être les auteurs des attentats de Lockerbie soient jugés pour ces faits par l’une des autorités judiciaires des Etats qui en étaient victimes. Ce qui fut fait avec le déferrement des suspects devant un Tribunal écossais siégeant à La Haye.
205Et si on se tourne vers les conditions supplémentaires posées par les résolutions pertinentes, on a pu voir que le Conseil de sécurité avait accueilli « avec satisfaction » le rapport pertinent du Secrétaire général, les progrès significatifs de la Libye dans l’application de ces résolutions et l’engagement de ce dernier à poursuivre cette application. Toutefois, cet accueil favorable du rapport du Secrétaire général et de son contenu ne constituait pas aux yeux du Conseil de sécurité une condition suffisante pour lever les sanctions, ce qui n’était pas l’avis du Secrétaire général. Lors de la soumission de son rapport précité, ce dernier estimait que pour que les sanctions soient levées, il faudra qu’un rapport soit soumis ; et si le Conseil est satisfait du rapport, il lèvera les sanctions807.
206De leur côté, la majorité des Etats membres estimaient que les sanctions avaient déjà atteint leurs objectifs dès cette période. L’impossibilité de lever les sanctions à cause de l’usage ou de la menace d’usage du veto par un membre permanent du Conseil faisait qu’on assistait pendant plusieurs années à une fissure du système de sécurité collective. Sans anticiper sur le dernier chapitre de notre étude, le régime de sanctions contre la Libye avait perdu aux yeux de la majorité de la communauté internationale toute légitimité. Cette majorité, agissant individuellement ou par le biais d’autres organisations internationales auxquelles ils font parties, avait ignoré dès la fin des années 1990 les sanctions des Nations Unies et agissaient comme si elles avaient été définitivement levées. Ce résultat ne peut satisfaire ni les victimes indirectes des sanctions ni la communauté internationale dans son ensemble pour qui le Conseil de sécurité est censé agir.
207Avant d’analyser la portée juridique des suspensions des sanctions, voyons brièvement les circonstances de la levée des sanctions contre la Libye.
iii) La levée des sanctions contre la Libye
208Dans une lettre datée du 15 août 2003808, les Etats-Unis et le Royaume-Uni disaient au Conseil de sécurité qu’ils étaient disposés à autoriser la levée des sanctions imposées contre la Libye, ce, au vu des engagements de cette dernière, dans une lettre adressée le même jour au Conseil de sécurité à coopérer à la lutte internationale contre le terrorisme (analogue à ce qu’a fait le Soudan pour obtenir la levée des sanctions imposées contre lui) et à répondre à toute nouvelle demande d’information au sujet de l’enquête relative à l’explosion du vol 103 de la Pan Am809. Le projet de résolution pour la levée des sanctions ne fut introduit au Conseil que plusieurs semaines plus tard, du fait de la menace de veto de la France au moment de la lettre des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, alors que cet Etat n’était pas encore satisfait du règlement de la question d’indemnisation des victimes français de l’attentat contre le vol 772 de l’UTA.
209Les sanctions contre la Libye ont été levées, avec effet immédiat, le 12 septembre 2003 par la résolution 1506 (2003), et l’affaire rayée de la liste des questions dont le Conseil de sécurité est saisi. Il est à noter que parallèlement à l’accord intervenu entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni d’une part et la Libye d’autre part, et avant la levée des sanctions des Nations Unies, les deux affaires portant sur l’incident de Lockerbie ont été rayées du rôle de la Cour internationale de Justice, à la demande conjointe des parties810.
c) La portée des suspensions des sanctions
210En premier lieu, il faut dire qu’une nouvelle résolution du Conseil est nécessaire pour lever ou réimposer les sanctions suspendues. Toutefois, le rôle de cette résolution diffère selon que le Conseil a ou non prévu une limite temporelle à la suspension.
211Dans le cas d’une suspension sans limite de temps, comme celle des sanctions contre la Libye et la RFY, dans sa dernière phase, la résolution doit intervenir pour rétablir ou pour lever les sanctions. Si, après avoir suspendu les sanctions, le Conseil ne prend pas une autre résolution les activités autrefois prohibées continuent à pouvoir être menées, presque normalement si ce n’est le non retrait définitif des mesures. La poursuite de ces activités peut se faire indéfiniment tant que le Conseil de sécurité n’a pas pris une résolution rétablissant les sanctions. La différence avec la levée des sanctions réside donc ici dans le caractère non définitif de la fin des interdictions. Cela peut, par exemple, constituer un obstacle à des activités économiques et commerciales normales, parce que les partenaires pourraient craindre le retour des sanctions.
212Le Conseil de sécurité lui-même a fait ce rapprochement entre la suspension indéfinie des sanctions et leur éventuelle levée, dans sa résolution 1022 (1995) sur la situation en Yougoslavie, puisqu’il attachait la même conséquence aux deux mesures. Il disait notamment : « Tant que les mesures visées au paragraphe 1 ci-dessus resteront suspendues ou dès lors qu’il aura été mis fin par une décision ultérieure du Conseil tous les fonds et avoirs précédemment bloqués ou confisqués en vertu des résolutions 757 (1992) et 820 (1993) pourront être débloqués par les Etats conformément à la loi applicable... »811.
213Dans le cas d’une suspension limitée dans le temps, la nouvelle résolution intervient au contraire pour proroger la suspension. Faute d’accord entre les membres permanents au terme de la période de suspension, la sanction continuera de s’appliquer automatiquement. Ici, la suspension s’apparente à une exception à l’application des sanctions imposées dont la continuation dépend d’une nouvelle décision du Conseil de sécurité. Les activités menées pendant la période de suspension sont donc aléatoires puisqu’il suffit qu’un seul membre permanent du Conseil de sécurité oppose son veto à une nouvelle résolution pour que les sanctions soient réimposées.
214Les prorogations successives de la suspension pour une période initiale de 100 jours des sanctions contre la RFY sont une illustration positive de ce qu’on vient de dire, car on a vu qu’aucun membre du Conseil de sécurité n’avait opposé son veto à ces prorogations, toutes décidées avant le terme prévu. La dernière prorogation modifiait d’ailleurs la suspension de 100 jours en une suspension indéfinie, après la signature de l’Accord de paix de Dayton, tout en précisant les critères de levée des sanctions.
215Un dernier obstacle à la levée des sanctions, et en même temps une des causes de la suspension de celles-ci au lieu de leur levée, est l’usage ou la menace d’usage du droit de veto par l’un des membres permanents du Conseil de sécurité, que l’on va qualifier de « veto inversé ».
2. L’usage du « veto inversé »
216Les paragraphes 2 et 3 de l’article 27 de la Charte octroient un droit de veto aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité812. Requérant le vote affirmatif de neuf quelconque de ses quinze membres pour toute décision non procédurale, ces dispositions posent la question de savoir si le droit de veto s’applique déjà à la décision préliminaire qualifiant une question comme étant de procédure ou de fond. Une déclaration faite à la Conférence de San Francisco par les quatre puissances invitantes donnait une réponse positive à cette question813. Cette interprétation n’a pas été acceptée par la majorité des Etats participants à la Conférence, ce qui explique l’absence d’une disposition la reflétant dans la Charte. Et c’est de là qu’on tire l’acception traditionnelle du terme « double veto », comme étant la double utilisation du veto à la fois pour la question préliminaire et pour le vote se rapportant à la question qui vient d’être considérée comme non procédurale814. Il s’agit donc de l’usage du veto au niveau de la prise de décision, tel que prévu par la Charte.
217Actuellement, le terme « double veto » est parfois associé à l’usage du veto au moment où l’on doit retirer la décision prise auparavant815. Il s’agit là d’une terminologie qui peut prêter à confusion car le seul véritable « double veto » est celui que l’on a vu précédemment. Le veto sur la question préliminaire a pour conséquence de faire appliquer la procédure de vote de l’article 27, par. 3, lorsqu’il s’agit de prendre une décision sur cette question considérée alors comme de fond816. Et il est plus que probable que le membre permanent ayant opposé son veto pour que la question soit considérée comme non procédurale utilisera une seconde fois ce droit pour bloquer l’adoption d’une résolution sur cette question. Or, la situation est loin d’être comparable pour le veto relatif à la levée des sanctions. Ici, le membre permanent qui oppose son veto, ou menace de le faire, pour cette levée n’a pas exercé ce droit lors de l’adoption des sanctions ; autrement, il n’y aurait pas eu de régime de sanctions. Il n’y a donc pas ici un « double veto » de la part de ce membre permanent du Conseil de sécurité817.
218Pour éviter toute confusion, nous allons donc parler de « veto inversé », pour reprendre la formule “reverse veto” de David Caron818. Nous désignons sous cette formule l’utilisation ou la menace d’utilisation du droit de veto pour empêcher la levée des sanctions. Ainsi, conçu à l’origine pour empêcher la prise d’une décision de fond qui pourrait aller à l’encontre des droits et intérêts des puissances de l’époque, dont l’entente et l’action commune étaient considérées comme le gage de la paix à (re)construire, l’évolution de la pratique ultérieure de l’Organisation des Nations Unies a vu le veto utilisé pour faire obstacle au retrait d’une décision. Et souvent, il s’agit d’une menace de veto dès le stade de discussions d’un projet de résolution. On peut en citer comme exemple la menace de veto américain contre une initiative des pays non-alignés pour lever les sanctions contre la Libye, après le transfert des deux accusés libyens aux Pays-Bas et la soumission du rapport évoqué plus haut du Secrétaire général819. On peut également mentionner la menace de veto des Etats-Unis aux propositions françaises et russes de 1999 de lever l’embargo sur le pétrole iraquien ou celle faite par le même Etat et le Royaume-Uni pour les propositions ultérieures de juin 2001. Ces menaces de veto sont souvent faites lors des consultations formelles entre les membres du Conseil de sécurité et ne sont transcrites nulle part dans les sources d’informations officielles des Nations Unies. On en trouve plutôt les traces soit dans les quotidiens nationaux soit dans des sites Internet relatifs aux sanctions820.
219Cette pratique est-elle conforme aux dispositions pertinentes de la Charte ? Au vu du texte de l’article 27, on peut arguer qu’elle n’est pas illicite puisque cet article se réfère à l’application du droit de veto à toute décision de fond du Conseil de sécurité, et la levée d’une sanction en est bien une. David Caron affirme que le veto inversé augmente l’importance de la décision initiale du Conseil de sécurité car une fois adoptée il maintient le système coercitif en place et rend irréversible les actions initiales, à la différence du « double veto » qui empêche la mise en place d’un régime coercitif821.
220Le même auteur précise néanmoins que le veto inversé “curtails the already limited ability of actors both within and without the Council to end a crisis by negotiation”822. Et c’est sur ce point que nous estimons que l’usage du veto inversé n’est pas conforme à l’esprit de l’article 27 de la Charte. Cette pratique ne correspond pas au but initial de l’octroi du droit de veto, qui est d’éviter que les puissances de l’époque entrent en conflit par le biais et suite à une décision obligatoire des Nations Unies, et par là, assurer l’harmonie entre ces puissances. Non seulement le veto inversé tend à aller à rencontre de cette harmonie, mais il nous paraît en outre difficile de soutenir que le retrait d’une mesure de sanctions aura pour effet de faire entrer en conflit les membres permanents entre eux. En d’autres termes, les conséquences pour la paix et la sécurité internationales d’une décision retirant les sanctions ne peuvent pas être analogues à celles d’une décision imposant de sanctions contre l’un des membres permanents. Bref, si l’usage du veto contre une décision initiale est dans la logique du but à lui attribuer par les fondateurs de la Charte, la pratique du veto inversé pour empêcher la levée des sanctions constitue un abus de ce droit.
221Au vu de ces dérives dans la pratique de retrait des mesures coercitives imposées, quelles solutions juridiques s’offrent à nous pour y remédier, et éviter ainsi la prolongation et l’amplification des effets secondaires desdites mesures ?
§2. L’amélioration des conditions de levée des sanctions
222Dans les développements précédents, on a vu que le prolongement des sanctions dans le temps accentue les effets secondaires de celles-ci. Ce maintien prolongé des sanctions est bien entendu dû au refus de l’Etat-cible de se conformer à l’injonction du Conseil de sécurité, et donc à la non atteinte de l’objectif visé par les sanctions. Mais on ne peut pas non plus ignorer le fait que bon nombre le maintien des mesures coercitives imposées est le résultat des dérives que l’on vient de mentionner. C’est principalement pour réduire au maximum ces dernières, et en même temps encourager le respect par l’Etat-cible des décisions du Conseil, que l’on a proposé deux types d’améliorations des conditions de levée des sanctions, à savoir la clarification des objectifs des sanctions et l’imposition de sanctions limitées dans le temps.
A. La clarification et la précision des objectifs des sanctions
223Cette idée, avancée par plusieurs Etats, a été reprise par l’Assemblée générale dans sa résolution 51/242 de 1996. L’Assemblée y recommande que :
les résolutions du Conseil de sécurité imposant des sanctions devraient être clairement formulées. Les mesures que le pays visé doit prendre pour que les sanctions soient levées devraient être définies avec précision823.
224Concrètement, cela reviendra à introduire dans chaque résolution ce que les processus d’Interlaken et de Bonn-Berlin appellent une « clause de sortie ». Cette clause va s’appuyer sur l’objectif que la résolution elle-même aura mentionné en tant que fondement des mesures imposées, et énumérera les actes concrets demandés à l’Etat-cible, avec les causes de suspension éventuelle des sanctions, et stipulera de manière expresse que les sanctions seront levées dès l’accomplissement de ces actes.
1. Les avantages, à la lumière du cas iraquien
225Deux avantages majeurs peuvent être tirés de cette approche. Primo, la clarification va permettre à tous les Etats de savoir avec certitude quand les objectifs ont été atteints. De cette manière, l’Etat-cible saura à quel moment il a satisfait à ses obligations au titre de sanctions et espérer ainsi leur levée imminente. Les autres Etats seront également en mesure de mieux apprécier ce respect des obligations de l’Etat-cible et faire éventuellement pression au Conseil de sécurité pour réagir à ce respect, par exemple par le biais d’une constatation collective de ce respect au sein de l’Assemblée générale. En définitive, de tels critères permettent d’introduire plus d’éléments d’objectivité dans le processus de levée de sanctions face à un éventuel usage abusif du droit de veto par un membre permanent du Conseil de sécurité. Dans cette situation idéale, le véritable maître du maintien ou de la levée des sanctions sera l’Etat-cible, et le rôle du Conseil de sécurité consisterait à apprécier la réunion des conditions qu’il a posées auparavant et à en prendre acte. Sur cette base, le Conseil va alors lever formellement les sanctions par l’adoption d’une nouvelle résolution.
226Secundo, la précision des objectifs contribue à l’efficacité des sanctions. D’un côté, la connaissance des obligations précises de l’Etat-cible et, par-là, la prévision plus certaine de la levée des sanctions peut inciter cet Etat à se conformer aux exigences qui sont formulées à son égard, car il ne tiendra qu’à lui d’échapper aux méfaits de ces mesures. De l’autre, les autres Etats, membres ou non des Nations Unies, chargés d’appliquer les mesures imposées par le Conseil de sécurité, adhéreront davantage à un régime de sanctions ayant des objectifs clairs, précis et dont la fin est prévisible. Cela va dans le sens d’une plus grande légitimité des sanctions qui a son importance du point de vue de la bonne application de celles-ci.
227Les discours des membres du Conseil de sécurité lors de l’adoption de la résolution 883 (1993) sur la Libye montrent l’attachement de ces Etats à cette approche. La déclaration du représentant du Brésil, suite au vote de la résolution 883 (1993) déterminant les conditions de levée des sanctions contre la Libye, est particulièrement intéressante à cet égard :
L’imposition de sanctions doit toujours être liée à l’exécution de certains actes limités, concrets et bien précis qui sont rendus obligatoires par les décisions du Conseil de sécurité. Ces actes doivent être énoncés de manière précise par le Conseil, de sorte que l’Etat faisant l’objet de sanctions puisse savoir d’avance, sans aucun doute, que les sanctions seront levées dès que ces exigences spéciales auront été satisfaites824.
228Les discussions sur la révision du régime de sanctions contre l’Iraq montrent encore plus la pertinence de ces améliorations. Après le départ de l’Iraq des inspecteurs de la première Commission spéciale (UNS-COM) en 1998, les relations entre le Conseil de sécurité et l’Iraq se trouvèrent dans une impasse. Le 17 décembre 1999, le Conseil de sécurité adopta la résolution 1284 censée être la nouvelle base des actions de l’ONU en Iraq, laquelle prévoyait la mise en place d’un nouveau programme de contrôle du désarmement de l’Iraq, à assurer par une nouvelle Commission de contrôle (la COCOVINU), ainsi que des clauses de suspension des sanctions. Cette résolution fut toutefois critiquée par les membres du Conseil de sécurité eux-mêmes à cause notamment de l’absence de clauses de sortie claires. Mis à part le volet humanitaire, elle demeura alors inappliquée pendant un moment car l’Iraq refusa de coopérer avec la nouvelle Commission en se basant sur ce flou quant aux conditions de levée des sanctions. L’Iraq soutenait qu’il y a une tendance des Nations Unies, à travers les différentes résolutions prorogeant le programme « pétrole contre nourriture », à considérer ce programme comme une alternative à la levée des sanctions économiques, ce qui explique l’absence dans ces résolutions de critères précis conditionnant cette levée825.
229Pour les reproches au sein du Conseil de sécurité, la Russie mettait en avant l’ambiguïté de la résolution sur des questions vitales, tels les critères de suspension et de levée des sanctions826. Le représentant de la Malaisie disait pour sa part que si la résolution est très précise pour ce qui concerne la création d’une nouvelle commission de contrôle du désarmement, elle est « beaucoup moins claire, voire même vague et pleine de conditions, pour ce qui est du signal de la levée des sanctions. Il ne fixe pas non plus de critères précis ni de calendrier permettant la levée définitive des sanctions – ce qui aurait dû être l’objectif de l’ensemble de cet exercice au même titre que le recensement et la destruction des armes de destruction massive que l’Iraq posséderait encore »827. On peut encore relever d’autres discours qui montrent le désaccord des membres du Conseil de sécurité sur la résolution. Aucun d’entre eux ne s’était toutefois opposé à son adoption car, malgré son imperfection, la résolution demeurait le seul moyen de soulager un tant soit peu les souffrances de la population iraquienne. Après avoir critiqué le texte de la résolution et l’absence de prise en compte de ses amendements, la Chine prédisait :
L’application de ce projet de résolution est très hypothétique. Comme chacun sait, sans la coopération de l’Iraq, l’application de toute résolution sera difficile. Si l’application d’une résolution ne permet pas à l’Iraq de voir la lumière à la fin du tunnel, comme c’est le cas avec ce projet, comment ce pays pourrait-il être disposé et enclin à offrir la coopération que nous souhaitons ?828.
230Effectivement, l’Iraq n’avait pas accepté la résolution et l’impasse sur le désarmement n’avait été résolue qu’en novembre 2002829. Les inspecteurs de l’ONU foulaient de nouveau le sol iraquien le 19 novembre 2002, dix jours après l’adoption de la résolution 1441 du Conseil de sécurité et des semaines de menace d’intervention militaire unilatérale en Iraq830. On peut pourtant supposer que si des clauses précises de sortie de sanctions étaient prévues dans les résolutions pertinentes, l’Iraq aurait montré plus de coopération. Il n’y aurait pas eu autant de divergences entre les membres du Conseil de sécurité, et la population iraquienne aurait pu voir plus tôt la fin des sanctions économiques auxquelles elle était soumise pendant treize ans, avec probablement l’économie d’une deuxième guerre sur son territoire en 2003 et ses conséquences désastreuses pour l’Iraq dans son ensemble.
231La mise en place d’un régime de sanctions limitées dans le temps permettrait d’éviter de tel maintien prolongé et incohérent des sanctions des Nations Unies. C’est ce que nous aborderons après avoir examiné deux régimes de sanctions mis en place en 2003 et 2004 qui constituent une pratique intéressante de clarification et précision des objectifs des sanctions.
2. La pratique : les cas libériens (2003-) et ivoirien (2004-)
232Après le départ de Charles Taylor du pouvoir au Liberia, le Conseil de sécurité a décidé de ne pas proroger les sanctions antérieures, tout en maintenant la plupart mais avec de nouveaux objectifs. Ce qui nous importe ici c’est que le Conseil de sécurité a précisé les conditions de levée des sanctions en fonction des mesures décidées. Ainsi, la levée du boycott des diamants libériens, qui vient d’être réimposé, est-elle conditionnée par la mise en place par le gouvernement national de transition d’un régime de certification efficace, transparent et vérifiable de ces diamants831. De même, le boycott des bois ronds et bois d’œuvre sera levé lorsque le gouvernement de transition aura pleinement exercé son autorité et son contrôle sur les régions productrices de bois d’œuvre, et garanti que les recettes publiques provenant du secteur forestier libérien ne soient pas utilisées pour attiser des conflits mais à des fins légitimes dans l’intérêt de la population libérienne832. Constatant que le gouvernement n’a pas satisfait à ces conditions, le Conseil de sécurité a décidé de reconduire les mêmes mesures avec les mêmes conditions, pour une nouvelle période de 12 mois et un examen intermédiaire à 6 mois833.
233Nous ne sommes donc plus ici en face de conditions générales présidant à la levée de tout le régime de sanctions. Par la précision individuelle des conditions de levée, le Conseil de sécurité envisage la levée partielle des mesures coercitives, ce qui présente l’avantage d’encourager les personnes et entités ciblées à se conformer à ses exigences et, partant, à participer à l’atteinte de l’objectif de maintien ou de rétablissement de la paix. Il s’agit d’une pratique intéressante qui tend à obtenir la pleine coopération des cibles des sanctions dans le processus de recherche de la paix.
234L’autre fait intéressant dans ce régime de sanctions, confirmé plus tard dans les sanctions contre la Côte d’Ivoire, se rapporte à la précision des objectifs des sanctions. Le Conseil de sécurité précise en effet ces objectifs à travers la prévision des dérogations humanitaires aux sanctions qu’il vient d’imposer. Ainsi, en imposant des sanctions sur les voyages contre les responsables des parties au conflit en Côte d’Ivoire, il a été prévu, comme exception, d’autoriser tout voyage qui « favoriserait la réalisation des objectifs des résolutions du Conseil de sécurité, à savoir la paix et la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire et la stabilité dans la région »834. C’est donc là qu’est précisé l’objectif ultime des sanctions imposées. De la même manière, on sait clairement maintenant que l’objectif des nouvelles sanctions contre le Liberia est « l’instauration de la stabilité et de la démocratie » dans ce pays835.
B. L’imposition de sanctions limitées dans le temps
235L’imposition de sanctions pour une durée déterminée est un autre moyen d’éviter la non-levée de sanctions, dont le maintien prolongé produit davantage d’effets secondaires. Cette idée transparaît dans le paragraphe 3 de l’Annexe II de la résolution 51/242 de l’Assemblée générale, d’après lequel « le Conseil devrait définir la période d’application des régimes de sanctions ». On va voir quels sont, d’une part, les risques et les avantages d’une telle sanction à durée déterminée et, d’autre part, où en est la pratique du Conseil de sécurité en la matière.
1. Les risques et les avantages
236Avec une sanction limitée dans le temps, la levée des mesures imposées semble être quasi-automatique au terme de la période prévue. Il faut en effet pour maintenir ces mesures une nouvelle résolution du Conseil de sécurité et donc un nouveau consensus entre les membres permanents. Le risque à craindre de cette évolution est qu’elle pourrait amener l’Etat ciblé à tergiverser ou à faire semblant d’appliquer les sanctions. Celui-ci pourrait ainsi attendre la fin de la période prévue et espérer à ce moment un désaccord entre les membres permanents lors du vote d’une nouvelle résolution prolongeant le régime en place. C’est une inquiétude légitime mais les méfaits des sanctions qui restent indéfiniment ou pour une très longue période sont tels qu’il faut essayer de trouver un moyen de prévenir de telle pratique836. De plus, si la situation troublant la paix persiste objectivement, l’accord initial au sein du Conseil de sécurité ne serait pas en principe difficile à retrouver pour prolonger le régime de sanctions, comme on pourra le constater dans l’analyse de la pratique récente du Conseil.
237En tout cas, le Comité spécial de la Charte, qui s’était penché sur la question avant qu’elle ne soit reprise par l’Assemblée générale, estime qu’« une telle limite dans le temps était indispensable si l’on voulait éviter que ne se produise une situation dans laquelle des sanctions seraient maintenues indéfiniment par suite du veto opposé par l’un des membres permanents du Conseil de sécurité à toute décision d’en prononcer la levée »837. L’instauration de revue périodique à l’intérieur de la période choisie permet d’éviter que l’Etat-cible tergiverse. Et c’est sur la base de ces revues, aussi bien des effets juridiques des sanctions que de leurs effets économiques et sociaux, que le Conseil de sécurité appréciera son action future par rapport au régime mis en place. De plus amples aspects de cette nouvelle approche seront relevés à travers l’examen de la pratique subséquente du Conseil.
2. La pratique subséquente du Conseil de sécurité
238La pratique du Conseil de sécurité depuis la fin du xxie siècle montre une certaine adhésion, sinon une adhésion certaine, à la nouvelle approche de gestion de la durée des sanctions car les mesures prises dans les derniers cas de sanctions ont été toutes limitées dans le temps.
a) Les sanctions contre l’Erythrée et l’Ethiopie (2000-2001)
239Dans la situation entre l’Erythrée et l’Ethiopie, le Conseil de sécurité avait imposé, par sa résolution 1298 du 17 mai 2000, un embargo sur les armes et les matériels militaires à destination de ces deux Etats (par. 6). Ces interdictions étaient prévues pour une période de douze mois (par. 16). Et il était précisé que les mesures imposées seront levées dès que le Secrétaire général fera savoir qu’un règlement pacifique et définitif du conflit a été conclu (par. 17). C’est la clause de sortie évoquée plus haut. Au terme de la période prévue, les sanctions n’avaient pas été prolongées. Le 15 mai 2001, soit la veille de ce terme, le Conseil de sécurité avait reconnu, par une déclaration de son Président838, que les Accords d’Alger de juin et décembre 2000839 sont conformes aux dispositions des paragraphes 2 et 4 de la résolution 1298 (2000)840.
240On remarquera que les sanctions ont été formellement levées non pas par une autre résolution du Conseil de sécurité mais par une déclaration de son Président. On a déjà vu dans le cas du Rwanda un régime de sanctions formellement terminé par un communiqué du Président du Comité des sanctions, même si on a avancé comme explication possible le fait qu’il s’agit d’une levée différée de sanctions. Pourrions-nous appliquer le même raisonnement dans le présent cas ?
241On pourrait soutenir que, la fin des sanctions étant déjà prévue à l’avance par une disposition précise, le Conseil n’aurait plus besoin d’adopter une autre résolution au terme de la date prévue, puisqu’il s’agit seulement d’appliquer une disposition de la résolution initiale. Toutefois, cette explication n’est pas juridiquement satisfaisante dans la mesure où la résolution initiale ne prévoit pas une levée automatique des sanctions mais soumet cette levée à des conditions. Autrement dit, la décision à intervenir au terme de la période n’est pas seulement procédurale mais porte sur des questions de fond. Avant qu’on parle de levée, il faut que le Conseil de sécurité constate que les conditions de levée des sanctions aient été remplies. Par quel acte cette constatation devrait-elle être faite ? Le principe du parallélisme de forme requiert que ce soit une résolution du Conseil de sécurité, le même acte juridique qui impose les sanctions. A cet égard, une déclaration du Président du Conseil de sécurité n’équivaut pas à une résolution du Conseil. Strictement parlant, elle n’est pas un acte formel du Conseil mais un acte particulier du Président, même si généralement ce dernier y fait une déclaration au nom et sur autorisation du Conseil de sécurité. La constatation de la conformité de l’Etat-cible aux exigences du Conseil doit donc se faire par une résolution. En outre, du point de vue de cet Etat, il est important qu’un acte aussi solennel que celui imposant les sanctions soit pris pour rétablir sa situation juridique antérieure et signifier la fin pour lui de la mise au ban de la communauté internationale.
242Quoi qu’il en soit, il reste à espérer que ces faits mitigés ne vont pas devenir une pratique constante du Conseil lors d’une situation analogue, c’est-à-dire qu’en cas de levée différée de sanctions, il suffit d’un communiqué pour constater officiellement cette levée ; et qu’en cas de sanctions limitées dans le temps, il n’y a qu’une déclaration du Président du Conseil de sécurité pour constater, d’abord, la disparition de la menace contre la paix et, ensuite, la fin du régime de sanctions mis en place.
b) Les sanctions contre la Sierra Leone
243Par sa résolution 1306 (2000), le Conseil de sécurité avait décidé l’interdiction de l’achat de diamants bruts en provenance de la Sierra Leone qui ne sont pas contrôlés par un régime de certificat d’origine établi par le gouvernement de cet Etat (par. 1 et 2). Ce boycott a été institué pour une période de dix-huit mois. La déclaration du représentant de la Fédération de Russie lors de l’adoption de cette résolution donne des indications intéressantes sur les objectifs de cette limitation :
Il est absolument essentiel de limiter la durée du régime de sanctions... à 18 mois à compter de l’adoption du projet de résolution. Après quoi, le Conseil examinera de nouveau la situation en Sierra Leone et décidera alors, au besoin, s’il convient de prolonger les sanctions, de les modifier ou d’adopter des mesures complémentaires. Ainsi, nous aurons, avec l’adoption de cette résolution, fait un nouveau pas vers plus d’équité et d’efficacité dans le mécanisme d’imposition des sanctions, et vers une nouvelle confirmation dans la pratique du principe de limitation dans le temps des régimes de sanctions841.
244On peut voir dans cette déclaration les options possibles pour le Conseil au terme de la période de sanction, à savoir la prolongation du régime de sanctions en place, son allégement, son renforcement ou sa levée. Il est aussi à relever que la déclaration russe fonde l’inclusion d’une limite temporelle aux sanctions sur l’équité et l’efficacité du mécanisme de sanctions.
245Un premier examen des effets des mesures imposées était prévu le 15 septembre 2000, soit deux mois après, et renouvelé tous les six mois. D’après les travaux du Comité spécial de la Charte, le but de cet examen régulier est de permettre au Conseil de sécurité de renforcer, en cas de besoin, le régime de sanctions en place. Un autre but important est d’éviter de donner l’impression que les dispositions de la résolution vont être automatiquement caduques à la date déterminée et qu’il suffit à l’Etat ou à l’entité cible de tenir jusqu’au terme de la période mentionnée842. D’ailleurs, on a pu constater qu’un mois à peine après cette résolution, le Conseil de sécurité avait pris une nouvelle mesure tendant à renforcer la pression sur les dirigeants des forces non gouvernementales en Sierra Leone843.
246C’est la preuve que face à l’existence d’une situation qui, objectivement, demande une action du Conseil, l’accord présent au moment de l’imposition des sanctions ne va pas forcément disparaître. En outre, le caractère novateur de la pression utilisée par le Conseil de sécurité mérite d’être souligné car il ne crée pas lui-même le Tribunal mais joue le rôle de catalyseur pour sa création par un traité conclu entre l’ONU et la Sierra Leone, le but étant toujours de punir les responsables des crimes visés mais en le sortant du cadre d’une sanction des Nations Unies, qui n’a pas de tel but punitif844.
247A l’issue de la période initiale de dix-huit mois, le Conseil de sécurité décidait de maintenir en vigueur le boycott des diamants en provenance de Sierra Leone, et ce, pour une nouvelle période de 11 mois commençant le 5 janvier 2002. Le Conseil y affirmait également que, « outre l’examen semestriel prévu au paragraphe 15 de la résolution 1306 (2000), il réexaminera la situation en Sierra Leone, à l’issue de cette période en vue de décider s’il convient de proroger l’application de ces mesures pour une nouvelle période et, le cas échéant, de les modifier ou d’en adopter de nouvelles »845.
c) Les sanctions contre les Taliban
248Au début, les sanctions financières et sur l’aviation imposées étaient sans limite de temps846. Dans sa résolution 1333 (2000) du 19 décembre 2000, élargissant les sanctions précédentes847, le Conseil de sécurité a décidé que les nouvelles mesures seront appliquées pour une période de douze mois et qu’à la fin de cette période il décidera si les Taliban ont respecté leurs obligations en vertu des résolutions pertinentes, et voir s’il convient de prolonger les sanctions pour une nouvelle période et dans les mêmes conditions848. Le Conseil ajoute que si les Taliban se plient aux obligations stipulées dans la résolution avant la fin de la période de 12 mois, il lèvera les mesures qui viennent d’être imposées849.
249Dans sa résolution 1390 (2002) du 16 janvier 2002, le Conseil levait les sanctions relatives à la compagnie aérienne afghane Ariana, après la perte par les Taliban du contrôle de l’Afghanistan. En même temps, il imposait des sanctions financières et sur les voyages à l’égard des Taliban, d’Oussama bin Laden, des membres d’Al-Qaida ainsi que toutes autres personnes, entités ou groupes figurant sur une liste établie en vertu des résolutions 1267 et 1333, pour la même période de douze mois. Et le Conseil précisait qu’au terme de cette période, il maintiendra ces mesures ou décidera de les améliorer, dans le respect des principes et objectifs de la résolution850.
d) L’application constante dans les sanctions ultérieures
250Dans les sanctions imposées ultérieurement par le Conseil de sécurité, on constate une prévision constante de cette limitation de la durée de sanctions, avec des clauses de sortie. C’est le cas du nouveau régime de sanctions ciblées contre le Liberia et ses dirigeants, mis en place en 2001. La période initiale est de douze mois, avec la même clause prévoyant la fin des sanctions si le gouvernement du Liberia satisfait aux conditions stipulées dans les dispositions pertinentes de la résolution851. Ces sanctions ont été par la suite prorogées deux fois, chaque fois pour la même période de douze mois852. Tenant compte du départ de Charles Taylor du pouvoir, le Conseil de sécurité a levé certaines interdictions des résolutions précédentes mais a décidé de maintenir ou modifier l’embargo sur les armes et matériel connexe, les sanctions sur les déplacements, ainsi que les boycotts sur les diamants et les bois libériens ou en provenance de ce pays. Ces nouvelles mesures sont valables pour une période de douze mois, avec un premier examen dans les six mois suivant leur imposition853.
251Il en va de même de l’embargo sur les armes et les matériels militaires à destination des groupes armés et les milices étrangers sur le territoire de la République démocratique de Congo. Cet embargo, décidé en 2003, pour une période initiale de 12 mois à compter de la date d’adoption de la résolution854, a été prorogé, le 27 juillet 2004, pour une nouvelle période de douze mois, au 31 juillet 2005855.
252La même limitation de durée est observée dans le cas ivoirien où l’embargo sur les armes et matériels connexes a été imposé « pour une période de treize mois à compter de la date d’adoption de la... résolution », avec donc une légère différence de la durée prévue856.
253En résumé, on constate que depuis le début de ce siècle, le Conseil de sécurité n’a plus imposé de sanctions à durée indéterminée. L’imposition de sanctions assorties de limite temporelle semble être devenue la règle. Cette limite est généralement de douze mois, avec une procédure de revue avant ou à son terme, et la possibilité, dûment précisée dans les résolutions, d’une levée des sanctions si l’Etat ou l’entité cible satisfont aux exigences du Conseil avant la fin de la période déterminée. Il est également à remarquer que les dernières résolutions susmentionnées contiennent toutes des clauses de sortie pour les sanctions qu’elles viennent d’imposer. La France, qui dit attacher une importance particulière à cette approche, note que « nous voyons ainsi se former dans la pratique une nouvelle doctrine du Conseil, de nature à éviter la perpétuation indéfinie des sanctions »857. Une conclusion que nous partageons, tout comme celle avancée au Comité spécial de la Charte selon laquelle l’introduction d’une limite précise dans le temps pour les sanctions représente une « option viable » et la plus commode au stade actuel, en attendant l’hypothétique « abolition du droit de veto » comme « autre solution »858.
Conclusion du chapitre iv
254Au terme de ce chapitre traitant de raffinement du mécanisme de sanctions des Nations Unies, nous avons vu que ce mécanisme peut être amélioré à toutes les étapes du processus coercitif. Certains des principes étudiés ici sont des ajustements, d’autres des innovations, et ils ne jouissent pas tous de la même valeur juridique ni du même degré d’acceptation de la part des Etats ; même si la plupart d’entre eux ont été déjà appliqués par le Conseil de sécurité.
255En outre, les mesures préconisées pour cet affinement du mécanisme de sanctions sont complémentaires et n’ont pas forcément à être ordonnées en bloc ni en même temps. Ainsi, si le Conseil de sécurité impose des mesures bien ciblées aux personnes ou entités responsables de l’atteinte à la paix, l’évaluation préalable des effets potentiels de ces mesures devient moins importante puisque leur nature suppose déjà la réduction des effets secondaires sur les Etats autres que l’Etat-cible et sur la population civile de ce dernier. Dans ce cas, c’est l’évaluation périodique qui prend les devants pour vérifier si, malgré les efforts de ciblage des sanctions, celles-ci produisent tout de même des effets non voulus. Les conclusions issues de l’évaluation permettraient alors au Conseil de sécurité d’apporter les modifications nécessaires au régime de sanctions en place.
256De même, pour bien respecter l’objectif intrinsèque des sanctions, il faut que les objectifs spécifiques à la situation dont est saisi le Conseil soient précisés dans la résolution imposant les sanctions, et par la suite rattacher les conditions de levée des sanctions à ces objectifs. L’affinement au niveau du déclenchement des sanctions est ainsi le pendant de l’affinement au niveau de leur levée, et on a pu constater que les sanctions imposées par le Conseil de sécurité depuis le début de ce siècle contiennent toutes des clauses de sorties, précisant les conditions sous lesquelles les sanctions seront levées.
257Enfin, il y a une complémentarité entre l’évaluation périodique des effets des sanctions et la limitation de leur durée. Dans le fait déjà, les deux mesures visent à amener le Conseil de sécurité à réexaminer périodiquement le régime de sanctions en place et, partant, à modifier celui qui produit trop d’effets secondaires. Ces objectifs ont plus de chance d’être atteints si les deux méthodes sont appliquées ensemble. En effet, si on applique l’évaluation périodique dans le cadre d’une sanction classique sans limitation de durée, le Conseil de sécurité, n’ayant à prendre aucune décision formelle pour maintenir les sanctions en place, serait moins enclin à considérer les constatations des missions d’évaluation relatives à des effets secondaires, ainsi que les recommandations formulées pour remédier à ces effets. A l’inverse, la nécessité d’une nouvelle résolution pour maintenir les sanctions, dans le cadre d’une sanction à durée limitée, va forcément amener le Conseil de sécurité à prendre en compte les résultats des évaluations périodiques. En effet, il lui serait probablement difficile de trouver une majorité suffisante pour prolonger sans changement les mesures en place s’il s’avère, d’après les rapports d’évaluation, que celles-ci ont des effets humanitaires désastreux sur la population civile de l’Etat-cible ou produisent des difficultés économiques considérables et inutiles aux autres Etats859.
258En définitive, il faut convenir que tous ces principes constituent des voies juridiques qui peuvent diriger les Nations Unies vers des sanctions mieux ciblées, plus humaines et plus justes. Ils forment la première catégorie de voies que nous avançons pour prévenir, ou du moins réduire, les effets secondaires des sanctions des Nations Unies. Une deuxième catégorie de ces voies juridiques est le respect de certaines règles du droit international applicables aux réactions à l’illicite. L’identification de ces règles ainsi que la démonstration de leur pertinence pour la prévention ou la réduction des effets secondaires des sanctions des Nations Unies feront l’objet du prochain chapitre de notre étude.
Notes de bas de page
548 “An embryonic centralized enforcement mechanisin”, comme le qualifie L. F. Damrosch, “Enforcing International Law Through Non-forcible Measures”, RCADI, t. 269, 1997, p. 21.
549 Voir supra, pp. 25 et s.
550 Rapporteur du Comité III (sur les mesures coercitives) de la Commission III (relative au Conseil de sécurité) de la Conférence de San Francisco sur la création de l’ONU.
551 UNCIO, vol. XII, p. 281.
552 Ibid. Cela reste d’ailleurs dans la droite ligne du système du Pacte de la Société des Nations où les Etats membres avaient l’obligation non seulement de régler leurs différends par des moyens pacifiques (art. 12, 13 et 15), mais encore de ne recourir à des sanctions qu’après l’échec de ces procédures de règlement (art. 16).
553 R. B. Russel, A History of the UN Charter, p. 669.
554 Ibid.
555 Déclaration du délégué égyptien à la Conférence de San Francisco, UNCIO, vol. VI, p. 52.
556 R. Lapidoth, “Some Reflections on the Law and Practice concerning the Imposition of Sanctions by the Security Council”, AVR, vol. 30 (1), 1992, pp. 115 et 116. On peut aussi citer D. J. Harris, Cases and Materials of International Law, London, 1983, 3rd ed., p. 681, qui écrit : “Measures not involving the use of force may required of members by a decision (binding under Art. 25) under Article 41... A non-binding recommendation for voluntary measures of the same sort may be made, presumably (since Article 41 is expressed in wholly mandatory terms) under Article 39 ” (les italiques sont de nous) ; également en ce sens U. Beyerlin, “Sanctions”, in R. Wolfrum (ed.), United Nations: Law, Policies and Practice, 1995, vol. 2, p. 1114.
557 P. ex., S/RES/181 (1963) du 7 août 1963 demandant aux Etats d’appliquer un embargo volontaire sur les armes à l’encontre l’Afrique du Sud (l’embargo obligatoire n’avait été imposé qu’en 1977) ; S/RES/217 (1965) du 20 nov. 1965 recommandant des embargos sur les armes, le pétrole et les produits pétroliers contre le régime minoritaire en Rhodésie du Sud (les sanctions obligatoires n’étaient intervenues qu’en mai 1968).
558 G. Cohen-Jonathan, « Commentaire de l’art. 39 », p. 663. Cette absence de constatation sous l’article 39 est vérifiée dans les résolutions citées à la note précédente.
559 S/RES/82 (1950), 25 juin 1950, par. 1 ; constatation réitérée dans S/RES/83 (1950) et S/RES/84 (1950).
560 S/RES/83 (1950), dernier paragraphe.
561 S/RES/84 (1950), par. 3.
562 Ibid., par. 4.
563 On peut retrouver la même interprétation chez H. Kelsen, The Law of the United Nations. A Critical Analysis of Its Fundanumtal Problems. With Supplement, Second reprinting, The Law Book Exchange, 2000, pp. 930-932 (ci-après The Law of the UN (ed. 2000)).
564 L’adoption des résolutions contenant ces recommandations vient en général du désir du Conseil de sécurité de montrer qu’il réagit face à une situation que la majorité des membres des Nations Unies condamne. Cette réaction ne va pas toutefois jusqu’à l’imposition de mesures obligatoires, souvent pour préserver des Etats alliés ou des intérêts économiques ; même si cette adoption peut déjà fonder l’application des mesures recommandées par les Etats. Parfois, les recommandations constituent le maximum de réaction que le Conseil pouvait avoir du fait de la menace d’utilisation de veto contre toute action coercitive par l’un quelconque de ses membres permanents.
565 En ce sens, V. Gowlland-Debbas, Collective Responses, p. 393.
566 Ainsi, les recommandations d’embargo sur les armes et les matériels militaires contre l’Afrique du Sud intervenaient après que le Conseil s’était dit « convaincu que la situation en Afrique du Sud trouble gravement la paix et la sécurité internationales » (S/RES/181 (1963)) ; ce qui est différent d’une constatation d’une menace ou d’une rupture de la paix. Il en va de même de l’embargo sur les armes et les produits pétroliers et de la rupture des relations économiques recommandés par la résolution 217 (1965) contre la Rhodésie du Sud, où le Conseil a soigneusement évité d’utiliser le langage de l’article 39. Il y a plutôt constaté « que la situation résultant de la proclamation de l’indépendance par les autorités illégales de la Rhodésie du Sud est extrêmement grave... et que son maintien dans le temps constitue une menace à la paix et la sécurité internationales » (par. 1). De plus, aucune référence au chapitre vii de la Charte ou à l’une de ses dispositions n’a été faite dans ces deux résolutions. Voir l’analyse fouillée des bases juridiques de cette dernière résolution dans V. Gowlland-Debbas, Collective Responses, pp. 372-393. Cet auteur conclut que les recommandations qui y ont été faites ne se basent pas sur l’article 39 (p. 393).
567 Rapport en date du 9 juin 1945, dans UNCIO, vol. XII, p. 522.
568 Ibid., p. 552.
569 H. Kelsen était de cet avis dans son analyse des procédures de règlement des différends de la Charte. Sous le titre “Settlement under Article 39”, il énonçait d’abord : “The Security Council has competence with respect to the settlement of disputes and adjustment of other situations not only under Chapters vi and viii, but also under Chapter vii ”. Il citait ensuite l’article 39 de la Charte et concluait : “Since this Article provides not only for enforcement measures but also authorizes the Security Council, after having determined the existence of a threat to, or breach of, the peace (including act of aggression), ‘to make recommendations’ of any kind, consequently also recommendations of the kind referred to in Articles 33 (2), 36 or 37, this provision establishes another procedure for the peaceful settlement of disputes or adjustment of situations, provided the dispute or the situation constitutes a threat to the peace or a breach of the peace”. Enfin, il notait que “the Security Council under Chapter vii need not necessa-rily take enforcement measures” ; The Law of the UN, pp. 437 et 438.
570 J. Combacau, Le pouvoir de sanction, p. 145.
571 S/RES/502 (1982), 3 avril 1982, dernier alinéa du préambule et par. 1, 2 et 3 du dispositif.
572 S/RES/598 (1987), 20 juillet 1987, les deux derniers alinéas du préambule et par. 1 du dispositif.
573 Ibid., par. 4.
574 H. Kelsen, The Law of the UN (ed. 2000), p. 932. Les italiques sont de nous.
575 Le Procureur c/ Dusan Tadic, alias “Dule”, Arrêt relatif à l’appel de la Défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, Affaire n° IT-94-1-AR72, Chambre d’Appel, 2 oct. 1995.
576 TPIY, Recueils judiciaires, 1994-1995 (i), p. 380, par. 29 (soulignés dans l’arrêt) ; cf. aussi le par. 31, p. 384.
577 A/AC. 182/L.94. Nous nous référons ici au texte révisé de 1997, reproduit dans A/52/33, pp. 7-11.
578 Ibid., par. 2 du document de travail de 1997.
579 Ibid., par. 7.
580 Ibid., par. 8, al. a, b et c.
581 Voir A/53/33, par. 53-55.
582 A/55/33, par. 61.
583 Ibid.
584 Ibid.,par. 37.
585 L’italique est de nous.
586 A/53/PV.40, 21 oct. 1997, p. 4.
587 Ibid., p. 13.
588 S/PV.4128, 17 avril 2000, p. 6.
589 Les dix membres non permanents du Conseil de sécurité à l’époque étaient l’Argentine, le Bangladesh, le Canada, la Jamaïque, la Malaisie, le Mali, la Namibie, les Pays-Bas, la Tunisie et l’Ukraine.
590 S/PV.4128, respectivement aux pages 5, 14, 20, 21 et 25.
591 Ibid.,p. 9.
592 Ibid., p. 10.
593 Ibid., p. 13.
594 Ibid., p. 17.
595 Ibid., p. 18.
596 Ibid. p. 26.
597 Ibid., p. 23.
598 Voir à cet égard les discours des représentants de l’Allemagne, du Pakistan et du Cuba, respectivement aux pages 30, 31 et 41 du même procès-verbal, S/PV.4128.
599 Devant rendre initialement son rapport au 30 novembre 2000, le groupe de travail n’a pas pu s’accorder sur un projet de conclusions. Son mandat a été depuis prorogé au 31 décembre 2004 (S/2003/1185, 18 déc. 2003).
600 La résolution 51/242 de l’Assemblée générale semble en effet fonder cette approche sur le désir de décider du recours aux sanctions avec la plus grande prudence. Dans les autres opinions citées précédemment, les Etats insistent aussi sur le besoin d’interpréter strictement la nécessité du recours aux sanctions, en fonction de chaque situation à laquelle le Conseil doit faire face et des conséquences de la continuation de celle-ci sur la paix internationale.
601 Sur le plan pratique, cette approche n’est toutefois pas sans danger. Certains Etats peuvent s’appuyer sur la constatation d’atteinte à la paix qui a été faite sur la base de l’article 39 et la promesse d’action future correspondante pour passer, sans l’autorisation formelle du Conseil de sécurité, au stade suivant du processus coercitif, à savoir la prise de mesures coercitives, militaires ou non. C’est ce qui a été fait par les Etats membres de l’OTAN dans la crise du Kosovo, comme nous l’avons signalé plus haut (supra, p. 44, note 110).
602 UNCIO, vol. VI, pp. 52 et 58.
603 Ibid., p. 47.
604 A/50/60 - S/1995/1, 3 janv. 1995, par. 66.
605 Ibid., par. 68 in fine.
606 S/PRST/1995/9, intitulé « Agenda pour la paix », 22 fév. 1995, p. 4.
607 Royaume-Uni, S/PV.4128, p. 6.
608 Etats-Unis, ibid., p. 7.
609 Argentine, ibid., p. 17.
610 France, ibid., p. 9.
611 Canada, ibid., p. 26.
612 Pays-Bas, ibid., p. 18.
613 Tunisie, ibid., p. 21.
614 Russie, ibid., p. 25.
615 A/RES/51/242, Annexe II, par. 3.
616 La doctrine apporte la même précision quant à l’objectif de la Charte. Par exemple, Christian Dominicé explique que « ce qui est recherché par l’application des mesures du Chapitre vii, c’est la modification du comportement de l’Etat qui a été désigné comme fauteur de trouble. Il s’agit, s’il se livre à une agression, de l’obliger à y mettre un terme, s’il occupe le territoire d’autrui, de le contraindre à le restituer, et ce ne sont pas les seuls cas de figure. Il faut faire cesser un trouble, une situation illicite » ; voir « La sécurité collective et la crise du Golfe », EJIL, vol. 2 (2), 1991, p. 87.
617 Allocution d’ouverture du séminaire sur les sanctions organisé par International Peace Academy, prononcée le 17 avril 2000 à New York. Source : http://www.unictunis.intl.tn/sgsanc.htm.
618 L. T. Al Rachid, « L’humanitaire dans la logique des sanctions contre l’Irak : la formule “pétrole contre nourriture” », Politique étrangère, 2000, n° 1, p. 118. Cet auteur note, avec pertinence, que l’embargo pétrolier était déjà démantelé de facto (p. 115), car il s’agissait de « refuser à l’Iraq non pas le droit d’exporter ses ressources pétrolières, mais celui de disposer librement de ses revenus » (p. 118).
619 Voir supra, pp. 197 et s.
620 S/RES/661 (1990), 6 août 1990, par. 2.
621 S/RES/678 (1990), 29 nov. 1990, par. 2.
622 Au contraire, le Conseil « confirme les dispositions des treize résolutions [antérieures], sous réserve des modifications expresses ci-après qui visent à atteindre les buts de la présente résolution… » (par. 1).
623 Alinéa 4 du préambule.
624 Avant-dernier alinéa du préambule.
625 Sur ces questions, voir, entre autres, B. Stern (dir.), Les aspects juridiques ; S. Sur, « La résolution 687 » ; A. Kolliopoulos, La Commission d’indemnisation des Nations Unies et le droit de la responsabilité internationale, LGDJ, 2001, 483 p.
626 Voir A/49/33, 7 avril 1994, par. 72 et 75 in fine.
627 Supplément à l’Agenda pour la paix, A/50/60 - S/1995/1, 3 janv. 1995, par. 75, al. a et c.
628 Une liste complète de ces résolutions et de ces rapports est donnée infra, Annexe II.
629 A/RES/50/51, 11 déc. 1995, par. 3, al. a. Les italiques sont de nous.
630 A/51/317, 30 août 1996, par. 11 (rapport du Secrétaire général en application de A/RES/50/51).
631 Ibid., par. 6.
632 Voir l’intervention de M. Prendergast, Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, à la réunion du Conseil de sécurité du 17 avril 2000 (S/PV.4128, p. 4).
633 Groupe spécial créé spécialement à cet effet, en application de A/RES/52/162 du 15 déc. 1997. Le Groupe est composé de 13 experts siégeant à titre personnel et choisis pour leur compétence en matière de sanctions, à savoir : I. J. Azis, S. N. Berezenko, D. Cortright, T. Çubukçu, H. M. G. Deniers, M. P. Doxey, L. G. Rimolo, G. C. Hufbauer, H. Khatib, G.-S. Mihai, G. M. Mwabu, C. Ossa et A. K. Sengupta (Président). Le résumé des délibérations et principales conclusions du Groupe se trouve dans le document A/53/312, du 27 août 1998.
634 A/53/312, par. 11. Ces méthodes sont les suivantes : « i) analyse chronologique des variations de la balance des paiements ; ii) sondage stratifié des sociétés ou autres entités touchées ; iii) modèle gravitaire des flux commerciaux bilatéraux ; iv) équation de régression des chocs sur le revenu ; v) application de l’analyse hiérarchique aux enquêtes de perception » (par. 21, méthodes détaillées aux part. 22 à 34 du rapport).
635 Ibid., par. 50.
636 Ibid, par. 51.
637 Voir M. Bessler, R. Garfield & G. McHugh, Sanctions Assessment Handbook. Assessing the Humanitarian Implications of Sanctions, IASC and OCHA, New York, 2004, 96 p. Ce projet de l’OCHA a bénéficié du soutien financier des gouvernements canadien et suisse.
638 S/RES/1070 (1996), 16 août 1996, par. 3 et 4.
639 United Nations, Department of Humanitarian Affairs, “Note from the Department of Humanitarian Affairs Concerning the Possible Humanitarian Impact of the International Flight Ban Decided in Security Council Resolution 1070 (1996)”, 20 Feb. 1997 ; cité dans D. Cortright & G. A. Lopez, The Sanctions Decade, p. 125.
640 S/RES/1343 (2001), 7 mars 2001, par. 13 al. a).
641 S/2001/1015, par. 40.
642 Voir le procès-verbal de la séance publique du Conseil de sécurité consacrée à l’examen du rapport du Groupe d’experts (S/PV.4405, 5 nov. 2001, pp. 6-7). Il importe aussi de citer la déclaration de la France qui souhaite, compte tenu des conséquences humanitaires probables d’éventuelles sanctions sur la production de bois, qu’on établisse d’abord l’existence d’une relation directe et substantielle entre le produit des exportations de bois et l’armement de la rébellion armée du RUF en Sierra Leone (ibid., p. 16) ; celle de l’Irlande qui demande une nouvelle enquête sur les conséquences humanitaires des mesures relatives à l’exportation du bois (ibid., p. 24) ; ou encore celle des Etats-Unis qui précisent qu’il incombe au Conseil de sécurité de considérer les souffrances du peuple au Liberia et en Sierra Leone et que le maintien de sanctions ciblées contre le Gouvernement Taylor permet d’enregistrer des progrès à cet égard (ibid., p. 26).
643 S/RES/1478 (2003), 6 mai 2003, par. 17, al. a) et b).
644 S/2003/779, 7 août 2003, par. 5-14 et 26-29 ; S/2003/793, 5 août 2003, 13 p.
645 S/RES/1521 (2003), 22 dec. 2003, par. 22 c) (rapport du groupe d’experts : S/2004/396, par. 7, et 121-152) ; S/RES/1549 (2004), 17 juin 2004, par. 1 d).
646 II a été dit qu’étendre le régime des sanctions à l’industrie du bois, une autre source importante de revenu pour le régime libérien, pourrait permettre de combler les lacunes existantes (CS/2209).
647 Art. 24, par. 1 de la Charte.
648 Voir, p. ex., A/49/33, par. 75 ; A/54/33, par. 53 et A/55/3.3, par. 87.
649 S/PV.4128, pp. 18-19. L’italique est de nous.
650 Ibid., p. 19.
651 A/49/33, par. 76 in fine.
652 Dans les sanctions contre la Rhodésie du Sud par exemple, les mesures coercitives avaient été imposées plus de 13 mois après la condamnation par le Conseil de sécurité de la proclamation unilatérale d’indépendance (S/RES/216 du 12 nov. 1965 et S/RES/232 du 16 déc. 1966). Dans le cas libyen, les sanctions étaient imposées plus de deux mois après que le Conseil ait déploré que les autorités libyennes n’ont pas répondu effectivement aux demandes des autorités américaines, britanniques et françaises (S/RES/731 du 21 janv. 1992 et S/RES/748 du 31 mars 1992).
653 Voir supra, p. 235.
654 Ainsi, la mission Ahtisaari chargée d’évaluer les besoins humanitaires en Iraq en 1991 y a séjourné du 10 au 17 mars et a présenté son rapport le 20 mars (S/22366), soit une mission accomplie en moins de deux semaines. Et on peut multiplier les exemples pour constater que ces missions durent tout au plus un mois.
655 Voir S/PV.4128 : p. 7 (Etats-Unis), p. 9 (France), p. 12 (Namibie), p. 13 (Chine), p. 14 (Malaisie), p. 17 (Argentine), p. 23 (Jamaïque), p. 25 (Russie), p. 27 (Canada), pp. 31-32 (Pakistan), p. 35 (Suède), p. 38 (Bulgarie), p. 47 (ex-République yougoslave de Macédoine).
656 P. Wallensteen et al. (eds.), Making Targeted Sanctions Effective. Guidelines for the Implementation of UN Policy Options. Results from the Stockholm Process on the Implementation of Targeted Sanctions, Uppsala, Department of Peace and Conflict Research, Uppsala University, 2003, p. 21, par. 33.
657 Ibid., p. 21.
658 A/49/33, par. 73 ; également a/50/33, par. 20.
659 A/49/33, par. 75. Ce qui n’est pas la même chose puisque la pré-évaluation tend à éviter les effets secondaires (une solution en amont) tandis que cette proposition de substitution vise à laisser venir les effets secondaires et aider ensuite ceux qui en souffrent (une solution en aval).
660 Cette volonté d’imposer une obligation nouvelle est bien présente dans l’esprit de certains Etats, par exemple, quand il était avancé que le but de l’évaluation préalable est de combler une lacune de la Charte en ce sens qu’aucune disposition n’était prévue pour l’évaluation des souffrances subies par la population civile dans les pays faisant l’objet de sanctions (voir a/50/33, par. 20).
661 A/49/33, par. 74.
662 Dans ce domaine, elle impose à un Etat neutre l’obligation d’empêcher certaines activités individuelles qui risquent de porter atteinte aux droits d’autres Etats. Cette règle est apparue en droit international après la guerre civile américaine (1861-1865) et le règlement de l’affaire de l’Alabama entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. L’article 6 du Traité de Washington (1871), précisant les règles à appliquer par le Tribunal arbitral constitué par les deux Etats pour régler cette affaire, utilise le terme “due diligence” dans ses règles 1 et 3 relatives à la responsabilité d’un Etat neutre pour les dommages causés par des personnes privées agissant à l’intérieur de leur sphère de juridiction. D’après ces “Washington Rules”, l’obligation de diligence a trait aux mesures de prévention d’un Etat tendant à empêcher la commission par des particuliers d’actes dommageables à l’égard d’un autre Etat avec qui il est en paix (sur cette origine, voir Blomeyer-Bartenstein, “Due diligence”, EPIL, vol. 10, pp. 138-140). Dans la sentence arbitrale issue de cette affaire, les arbitres ont considéré que « la “due diligence” dont il est parlé dans la première et dans la troisième desdites règles doit être employée par les gouvernements neutres en raison directe des risques auxquels l’un ou l’autre des belligérants pourrait être exposé à la suite du défaut d’observation de leur part des devoirs de neutralité » (A. de La Pradelle et N. Politis, Recueil des arbitrages internationaux, vol. II, Pedone, 1923, p. 890). Par la suite, la règle a fait l’objet d’amélioration et de précision lors de la session de la Haye de 1875 de l’Institut de droit international, et la XIIIe Convention de la Haye du 18 oct. 1907 (voir l’article précité de Blomeyer-Bartenstein, pp. 139-140).
663 J. Combacau & S. Sur, Droit international/public, 6e éd., Montchrestien, 2004, p. 537.
664 P.-M, Dupuy, Droit international public, 4e éd., Dalloz, 1998, par. 463 et s.
665 CIJ, Recueil 1980, p. 33, par. 66-67.
666 P.-M, Dupuy, Droit international public, par. 460.
667 Fonderie du Trail (Etats-Unis c. Canada), sentence arbitrale du 11 mars 1941, RSA, vol. III, pp. 1938-1981.
668 Q. C. Nguven, P. Daillier & A. Pellet, Droit international public, 6e éd. entièrement refondue, LGDJ, 1999, p. 1255, par. 749.
669 II s’agit, d’après l’art. 1 de la Convention d’Espoo (Finlande) du 25 fév. 1991, d’une procédure nationale ayant pour objet d’évaluer l’impact probable d’une activité proposée. Cette obligation de procéder à une étude d’impact est également prévue par un grand nombre d’instruments conventionnels couvrant tout le champ du droit international de l’environnement, et fait ainsi partie du droit positif (ibid., pp. 1255 et s.).
670 “Territorial sovereignty... involves the exclusive right to display the activities of a State. This right has as corollary a duty: the obligation to protect within the territory the rights of other States, in particular their right to integrity and inviolability in peace and in war, together with the rights which each State may claim for its nationals in foreign territory” (Sentence arbitrale du 4 avril 1928, RSA, vol. II, p. 839).
671 II y a lieu de rappeler ici la limite posée à la compétence de l’Assemblée générale en matière de paix et de sécurité internationales. Si, d’une manière générale, la responsabilité du Conseil de sécurité dans ce domaine est principale et non exclusive, elle devient exclusive quand il s’agit d’une action coercitive. L’art. 11, par. 2, de la Charte stipule en effet que toute question relative au maintien de la paix examinée et discutée par l’Assemblée doit être renvoyée au Conseil dès lors que cette question demande une action de l’Organisation. Et la CIJ a estimé que cette action est celle coercitive prévue au chapitre vii de la Charte. Une exception à cette limite serait la mise en œuvre de la procedure de la résolution 377 A (V) de l’Assemblée générale, lorsque le Conseil de sécurité est paralysé par l’usage du veto. Mais là encore, l’Assemblée ne peut pas ordonner des sanctions à appliquer obligatoirement par les Etats.
672 P.-M. Dupuy, Droit international public, par. 457.
673 Intervention du délégué suédois lors de la réunion du Conseil consacrée aux sanctions (S/PV.4128, p. 35).
674 Sur le plan terminologique, les documents officiels des Nations Unies se réfèrent à la fois à une « sanction ciblée » et une « sanction intelligente », le dernier terme se voulant être la traduction fidèle de “smart sanction”. Dans le cadre de notre travail, nous allons privilégier le premier terme qui nous semble plus clair et plus précis. Le terme « sanction ciblée » est plus clair car il met d’emblée à l’esprit l’idée d’un effort de ciblage des sanctions, et ce, sans suggérer un résultat infaillible dû à son « intelligence ». Les termes « sanction intelligente » / “smart sanction” viennent en effet d’une analogie avec le concept militaire de “smart bomb”, qui est une bombe téléguidée capable de toucher sa cible sans faire de victimes civiles. Or, la pratique nous montre qu’aucune bombe n’a été à ce jour assez « intelligente » pour éviter tout objectif civil, les toutes dernières preuves en sont les bombardements au Kosovo (2000), en Afghanistan (2001) et en Iraq (2003). De même, il serait trompeur d’imaginer qu’une mesure de sanction serait assez « intelligente » pour ne toucher que les dirigeants à l’exclusion de tout effet collatéral à l’égard de la population civile et d’autres Etats. Le terme « sanction ciblée » est aussi plus précis si l’on tient compte du fait que le Comité spécial de la Charte englobe dans le terme « sanction intelligente » toutes les mesures tendant à réduire les effets secondaires des sanctions. Ainsi, les sanctions intelligentes sont des sanctions « efficaces et souples en termes de dérogations, et limitées en termes de portée et de durée » (A/56/33, 8 mai 2001, par. 61). Ce qui réunit, par rapport au plan de notre étude, le ciblage des sanctions, l’évaluation périodique de celles-ci en vue d’éventuelles corrections et la limitation dans le temps des mesures imposées.
675 Dans ce régime de sanctions, les différentes mesures susmentionnées n’avaient pas été utilisées en tant que sanctions ciblées mais faisaient partie de sanctions économiques globales imposées. La résolution 661 (1990) imposait en même temps un embargo et un boycott de tous les produits et marchandises (par. 2-3), y compris les armes ou tout autre matériel militaire (par. 3, al. c), ainsi que des sanctions financières (par. 4). Des sanctions supplémentaires sur les aéronefs et les navires furent imposées par la résolution 670 (1990), suivies par des sanctions sur le déplacement des dirigeants, fonctionnaires et membres des forces armées iraquiennes (résolution 1137 (1997), par. 4-5).
676 S/RES/232 (1966), par. 2 al. d).
677 Respectivement, S/RES/232 (1966), S/RES/418 (1977), S/RES/713 (1991), S/RES/733 (1992), S/RES/748 (1992), S/RES/788 (1992), S/RES/841 (1993), S/RES/864 (1993), S/RES/918 (1994), S/RES/1132 (1997), S/RES/1160 (1998), S/RES/1298 (2000),S/RES/1333 (2000), S/RES/1343 (2001) et S/RES/1521 (2003), S/RES/1493 (2003), et S/RES/1572 (2004). Contre les Taliban, l’embargo sur les armes et les équipements militaires a été imposé plusieurs mois après les premières sanctions sur l’interdiction de vol et le gel des avoirs financiers. Au Liberia, en 2001 puis en 2003, l’embargo a été imposé en même temps que d’autres mesures ciblées relatives aux déplacements extérieurs des dirigeants et au commerce des ressources naturelles.
678 Voir S/RES/253 (1968), par. 3 al. b) (Rhodésie du Sud) ; S/RES/757 (1992), par. 5, et S/RES/820 (1993), par. 21 (RF Yougoslavie) ; S/RES/942 (1994), par. 11 et 13 (Serbes de Bosnie) ; S/RES/841 (1993), par. 8, et S/RES/917 (1994), par. 4 (Haïti) ; S/RES/883 (1993), par. 3 (Libye) ; S/RES/1173 (1998), par. 11 (UNI-TA/Angola) ; S/RES/1267 (1999), par. 4 al. b) (Taliban) ; S/RES/1333 (2000), par. 8 al. c), S/RES/1373 (2001), par. 1 al. c) et d), S/RES/1390 (2002), par. 2 al. a) (lutte contre le terrorisme international), S/RES/1343 (2001) et S/RES/1532 (2004), par. 1 (Liberia).
679 S/RES/748 (1992), par. 4 & 6, et S/RES/883 (1993), par. 6 (Libye) ; S/RES/917 (1994), par. 2 et 3 (Haïti) ; S/RES/942 (1994), par. 14 (Serbes de Bosnie) ; S/RES/1054 (1996), par. 3 al. b) (Soudan) ; S/RES/1127 (1997), par. 4 al. a) & b) et par. 12 (UNITA) ; S/RES/1132 (1997), par. 5, et S/RES/1171 (1998), par. 5 (Sierra Leone) ; S/RES/1267 (1999), par. 4 al. a) et S/RES/1333 (2000), par. 11 et 14 (Taliban) ; S/RES/1373 (2001), par. 2 al. c) et g) et S/RES/1390 (2002), par. 2 al. b) (lutte contre le terrorisme) ; S/RES/1343 (2001), par. 7 al. a), puis S/RES/1521 (2003), par. 3 et 4 al. a) (Liberia) ; S/RES/1572 (2004), par. 9 (Côte d’Ivoire).
680 Respectivement, S/RES/1173 (1998), par. 12 ; S/RES/1306 (2000), par. 1 ; S/RES/1343 (2001), par. 6.
681 S/RES/1478 (2003), par. 17 ; sanctions imposées de nouveau dans S/RES/1521 (2003), par. 6 et 10.
682 II s’agit de cycles d’études ayant pour principal objectif d’analyser les mesures coercitives auxquelles les Nations Unies avaient déjà recours mais dont les résultats n’étaient pas satisfaisants, aussi bien au niveau de la conception du régime de sanctions que de l’application de celui-ci. Ces cycles d’études ont été menés en étroite collaboration avec les Nations Unies. Les résultats de leurs travaux ont été par la suite présentés puis discutés au Conseil de sécurité, et se trouvent être à la base de nombreuses améliorations de la pratique de sanctions des Nations Unies. Pour une vue générale d’autres études en matière de sanctions ciblées, voir le rapport préparé par le Secrétariat de l’ONU pour le processus de Bonn-Berlin, “The Experience of the United Nations in Administering Arms Embargoes and Travel Sanctions” (par. 6-11).
683 Site web official : http://www.smartsanctions.ch.
684 Voir Swiss Federal Office for Foreign Economic Affairs (SECO), Expert Seminar on Targeting UN Financial Sanctions, March 17-19, 1998, Interlaken, Switzerland (ci-après Interlaken II), pp. 10 et 27. Le premier séminaire s’était tenu à Interlaken du 17 au 19 mars 1998, et s’était concentré sur les problèmes rencontrés lors de l’application antérieure des mesures financières et, de là, à l’identification des exigences techniques et des mécanismes à mettre en place pour avoir un régime de sanction bien ciblée et crédible. Le deuxième eut lieu dans la même ville, du 29 au 31 mars 1999, consacré au développement des recommandations sur les différents aspects techniques de ciblage des sanctions financières et de leur application. Un modèle de résolution du Conseil de sécurité, avec plusieurs options, et un modèle de loi pour l’application des sanctions en droit interne furent adoptés à l’issue de ce second séminaire. A la demande du gouvernement suisse, ces travaux furent repris par Thomas J. Watson Jr. Institute for International Studies (Brown University), aux Etats-Unis. Il en est sorti un manuel pour la conception et l’application des sanctions financières ciblées (Targeted Financial Sanctions, déjà cité). Ce manuel fut présenté au Conseil de sécurité lors de sa 4394e séance du 22 octobre 2001 consacrée à l’examen des questions générales relatives aux sanctions ; voir S/PV.4394 et S/PV.4394 (Resumption 1), 25 oct. 2001.
685 A/51/1, par. 89.
686 SECO, in cooperation with the UN Secretariat, 2nd Interlaken Seminar on Targeting UN Financial Sanctions, March 29-31, 1999, Interlaken, Switzerland, p. 6, par. 3 ; ci-après Interlaken II.
687 Interlaken I, pp. 45 et 70.
688 Ibid., p. 68.
689 Notons toutefois que dans le cadre des sanctions financières contre la Libye, le Conseil de sécurité a « affïrm[é] que le devoir qui s’impose à la Libye de respecter scrupuleusement toutes les obligations relatives au service et au remboursement de sa dette extérieure n’est nullement affecté par la présente résolution » (S/RES/883 (1993), 11 nov. 1993, par. 11). La Fédération de Russie précisait alors « qu’il s’agit là d’une disposition extrêmement importante, dont le but est de faire en sorte que les nouvelles sanctions imposées à la Libye nuisent le moins possible aux intérêts d’autres Etats » (S/PV.3312, p. 68).
690 Interlaken I, p. 69.
691 La résolution 942 (1994), qui visait explicitement les auteurs du putsch en Haïti, amorce une évolution en ce sens, même si ce n’était pas encore dans le cadre de décisions obligatoires ; cf. S/RES/942 (1994), par. 7.
692 Interlaken I, p. 72.
693 Ibid., p. 73.
694 Ibid., p. 73.
695 Site web officiel : http: / /www.smartsanctions.de
696 Pour citer le rapport final, “BICC is an international research and consultancy center mandated to support efforts and activities to find alternative uses for resources released through disarmament”. La première réunion, tenue à Bonn en novembre 1999, était centrée sur l’identification des problèmes dans l’application de ces types de sanctions, suivie de la discussion des propositions d’effectivité. Par la suite, quatre groupes de travail formés d’experts ont été créés pour examiner plus en avant lesdits problèmes et propositions. Les rapports respectifs de ces quatre groupes de travail furent ensuite discutés lors du séminaire final d’experts tenu à Berlin, du 3 au 5 décembre 2000, avec la participation d’experts gouvernementaux de 28 pays, comprenant des représentants des Etats membres du Conseil de sécurité, des experts du Secrétariat des Nations Unies et des experts académiques ; cf. “Executive summary”, http://www.smartsanctions.de.
697 Présentation faite lors de la 4394e séance du Conseil de sécurité consacrée aux « Questions générales relatives aux sanctions » ; cf. S/PV.4394, 22 oct. 2001, et S/PV.4394 (Resumption 1), 25 oct. 2001.
698 M. Brzoska, “Arms Embargoes and Travel Sanctions: Purpose and Place of the Bonn-Berlin Process”, p. 2, disponible sur : http://www.smartsanctions.de.
699 Ibid., p. 3.
700 Ibid.
701 Site web officiel : http://www.smarisanctions.se
702 Comme ses prédécesseurs, le processus de Stockholm impliquait des experts provenant des gouvernements nationaux, des organisations internationales, des ONG, du Secrétariat de l’ONU, du monde académique et autres personnes ayant une expertise dans le domaine de l’application des sanctions. Les travaux ont été conduits en trois groupes de travail, suivis de deux réunions conjointes des groupes et de deux réunions plénières. Le rapport final, publié en 2003, contient la synthèse des différentes recommandations des trois groupes d’experts et des vues exprimées lors des sessions conjointes et plénières ; cf. P. Wallensteen, G. Staibano & M. Eriksson (eds.), Making Targeted Sanctions Effective. Guidelines for the Implementation of UN Policy Options. Results from the Stockholm Process on the Implementation of Targeted Sanctions, Uppsala, Department of Peace and Conflict Research, Uppsala University, 2003, 147 p.
703 P. Wallensteen & al. (eds.), Making Targeted Sanctions Effective, p. 7, par. 1.
704 Voir S/PV.4713, 25 fév. 2003.
705 P. Wallensteen & al. (eds.), Making Targeted Sanctions Effective, pp. 20 et s., par. 32-37 et 50.
706 Ibid., p. 20, par. 32.
707 Comme l’a constaté la représentante de la Jamaïque, des commentaires négatifs ont été adressés contre les sanctions des Nations Unies, notamment « en raison des conséquences humanitaires négatives des sanctions générales sur les populations civiles ». Et elle continue : « En partie pour répondre à ces critiques, mais aussi en reconnaissance du fait que les sanctions générales ne représentent plus un instrument acceptable pour un grand nombre de membres du Conseil, il y a eu un changement dans l’attitude du Conseil à l’égard de la conception des sanctions. Le Conseil veille maintenant à ce que les mesures qu’il prend prennent pour cible la personne ou les individus responsables des politiques ou comportements condamnés par la communauté internationale, et les élites ou groupes qui profitent directement de ces politiques ou comportements. En fait, les sanctions qui sont conçues pour ne toucher que les individus dont nous souhaitons changer le comportement font l’objet d’un large consensus » ; S/PV.4394 (Resumption 1), p. 2 (les italiques sont de nous). Cet abandon des sanctions globales a été également constaté par le Groupe de personnalités de haut niveau de l’ONU : A/59/565, 2 déc. 2004, p. 34, par. 80.
708 Déclaration de Ibrahima Fall, Sous-Secrétaire général aux affaires politiques, à la réunion du 22 octobre 2001 du Conseil de sécurité ; S/PV.4394, p. 8.
709 S/PV.4128, pp. 45-46.
710 Voir supra, pp. 202-203.
711 A noter toutefois la réticence du Manuel sur les sanctions financières ciblées à parler de modèle de résolution parce qu’il ne s’agit que de propositions à la disposition du Conseil de sécurité et qu’il est libre de suivre, en tout ou en partie (cf. Targeted Financial Sanctions. A Manual, p. 1). Pour des raisons de commodité et à l’instar du processus de Bonn-Berlin, nous retiendrons le terme « modèle » tout en reconnaissant ces réserves relatives à la liberté de choix du Conseil de sécurité.
712 Par exemple, il a été suggéré dans le cadre de l’embargo sur les armes de se référer à une liste d’armes (à établir par les Nations Unies ou en reprenant les listes privées existantes tel que le “Wassenaar Arrangement”) et de demander aux Etats d’interdire la vente, la fourniture et le transfert de ces produits.
713 M. Brzoska (ed.), Design and Implementation of Arms Embargoes and Travel and Aviation Related Sanctions. Results of the “Bonn-Berlin Process”, BICC, Bonn, 2001, p. 47.
714 Notons toutefois que, dans de nombreux pays, il est parfois impossible d’identifier des avions qu’empruntent régulièrement et exclusivement les dirigeants.
715 A partir de sa 47e session, en 1992 ; voir A/47/33, pp. 39 et s.
716 A/51/33 (rapport 1996), p. 10.
717 A/54/33 (rapport 1999), par. 24.
718 Ibid.
719 A/55/33, par. 19.
720 A/53/312, 27 août 1998, par. 38.
721 A/RES/53/107, 8 déc. 1998, par. 4 et 6.
722 Voir A/54/383, 23 sept. 1999, p. ex., par. 8 (Biélorussie), par. 47 (FNUAP), par. 60 (CESAO).
723 S/PV.4394 (Resumption 1), p. 4.
724 Ibid., pp. 4-5.
725 Ibid., p. 7.
726 Ibid., p. 2.
727 Imposées respectivement par S/RES/1493 (2003), S/RES/1521 (2003), et S/RES/1572 (2004).
728 A/RES/50/51, 11 déc. 1995, par. 3 al. b).
729 A/51/317, par. 7.
730 A/53/312, par. 52.
731 Voir A/54/33, par. 17 et A/55/33, par. 31.
732 P. Wallensteen et al. (eds.), Making Targeted Sanctions Effective, p. 22, par. 36.
733 Ibid., p. 21, par. 35.
734 Ce concept d’évaluation périodique évoque le principe de proportionnalité des mesures coercitives imposées à leurs objectifs. Dans la mesure où l’application de ce principe de proportionnalité au mécanisme de sanctions des Nations Unies fait partie des règles juridiques pertinentes pour prévenir les effets secondaires des sanctions, nous préférons en différer l’examen au chapitre suivant consacré à l’étude de ces règles.
735 Objectifs officiels du régime de sanctions contre l’Iraq depuis la fin de la guerre de 1991, tirés des dispositions de la résolution 687 (1991).
736 S/22366, par. 37.
737 Ibid.
738 Si l’on emprunte le langage médical, le Conseil de sécurité avait juste administré des calmants sans chercher à extraire le mal alors qu’il était en mesure de le faire.
739 Cette impasse était provoquée par le départ de l’UNSCOM du territoire iraquien en 1998 et les actions militaires américano-britanniques qui s’ensuivirent.
740 Intervention avant l’adoption de la résolution 1242 (1999), du 21 mai 1999, S/PV.4008, p. 2.
741 Ibid.
742 Ibid., p. 3. La Chine a tenu le même discours lors de cette séance, ibid., p. 4.
743 S/RES/883 (1993), par. 3.
744 S/RES/1267 (1999), par. 6, al. c).
745 S/PRST/2000/12, p. 4, par. 3.
746 S/RES/1333 (2000), 19 sept. 2000, par. 15, al. d).
747 S/2001/241, 20 mars 2001 ; S/2001/695, 13 juil. 2001 ; S/2001/1086, 19 nov. 2001 ; et S/2001/1215, 18 déc. 2001.
748 Voir simultanément S/1999/356, par. 54 (i) et par. 55 puis S/RES/1284 (1999), par. 15 et 17.
749 La discussion des dispositions relatives à ces mesures a été en effet confiée au Comité III de la Commission III de la Conférence. Le compte-rendu correspondant se trouve dans UNCIO, vol. XII.
750 L. M. Goodrich, A.P. Simons, The United Nations and the Maintenance of International Peace and Security, Brookings Institution, 1955, p. 491.
751 J. Combacau, Le pouvoir de sanction, pp. 210-221.
752 Ibid., p. 211. Les italiques sont de l’auteur.
753 Ibid., p. 214. Les italiques sont de l’auteur.
754 Voir ibid., p. 219.
755 S/RES/1483 (2003), 22 mai 2003, par. 10.
756 Voir par exemple, les interventions de la France (S/PV.4761, p. 4), de l’Allemagne (p. 5), du Mexique (p. 6), de la Russie (p. 8), de la Chine (p. 10) et du Pakistan (p. 12). En tout cas, la situation sur le terrain après la levée des sanctions économiques ne s’est pas améliorée que ce soit du point de vue humanitaire, où les souffrances de la population civile n’ont pas pris fin avec les sanctions, ni du point de vue sécuritaire où une situation d’insécurité ambiante s’est au contraire installée jusqu’à ce jour (février 2005).
757 Voir J. Combacau, Le pouvoir de sanction, pp. 215-217.
758 S/RES/232 (1966), al. 2 du préambule et par. 4 du dispositif.
759 S/RES/253 (1968), al. 2 du préambule.
760 Ibid., par. 2.
761 Vera Cowlland-Debbas rapporte à cet égard qu’une partie des Etats, dont le Royaume-Uni, interprétait cet objectif comme celui de mettre fin à la rébellion et au régime illégal d’Ian Smith, tandis que les Etats afro-asiatiques y ajoutent la jouissance par le peuple de ce territoire de son droit à l’autodétermination telle que prévue dans la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale (Collective Responses, pp. 640-645). Selon cet auteur : “The Security Council resolutions imposing mandatory sanctions were based on a determination that there existed a threat to international peace and security and that this threat was considered to have been constituted not merely by a factually explosive situation, but by an illegal situation created by the violation of an international legal obligation and one deemed fundamental by the United Nations majority. It follows that the aims and objectives of die sanctions could only have been not an end to the rebellion, but an end to the illegal situation following on a collective pronouncement that there had been a genuine exercise of the right of the people of Zimbabwe to self-determination and independence” (ibid., p. 648).
762 S/RES/460 (1979), al. 3 du préambule. La décision de levée des sanctions se trouve au par. 2 du dispositif.
763 S/RES/392 (1975) ; S/RES/417 (1977), par. 2 ; et S/RES/473 (1980), par. 5 et 7.
764 Voir par exemple les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité suite à l’approbation le 2 novembre 1983 d’une nouvelle Constitution sud-africaine par un électoral exclusivement blanc, par lesquelles il déclare cette constitution nulle et non avenue et affirme solennellement que « seules l’éradication totale de l’apartheid et l’instauration d’une société démocratique sans distinction de race et fondée sur le principe du gouvernement par la majorité, grâce au plein et libre exercice du droit de vote par tous les adultes dans une Afrique du Sud unie et non fragmentée, peuvent conduire à une solution juste et durable de la situation explosive qui règne en Afrique du Sud » ; S/RES/554 (1984), par. 2 et 4 ; S/RES/556 (1984), par. 1 et 4 ; et S/RES/569 (1985), par. 5.
765 Voir S/RES/919 (1994), al. 2 du préambule et par. 1 et 2 du dispositif.
766 Sanctions diplomatiques et sur les déplacements imposées par la S/RES/1054 (1996), par. 3 et 4 ; sanctions relatives à l’aviation détenue, contrôlée ou utilisée par Sudan Airways et/ou les autorités publiques soudanaises, ajoutées dans la S/RES/1070 (1996), par. 3, mais non appliquées faute d’adoption d’une autre résolution du Conseil de sécurité censée les mettre en vigueur.
767 S/RES/1044 (1996), par. 4. Cette décision reprend les demandes formulées par l’Organe central du Mécanisme de l’Organisation de l’unité africaine pour la prévention, la gestion et la résolution des conflits.
768 S/2000/513, 1er juin 2000, par. 3.
769 Ibid., par. 4.
770 Ibid., par. 6.
771 S/RES/1372 (2001), al. 2 et 6 du préambule et par. 1 du dispositif.
772 S/RES/1011 (1995), par. 8.
773 Ibid., par. 9 et 10.
774 Ibid., par. 11.
775 Rapport publié sous S/1996/663/Rev.l et Add.l.
776 SC/6265.
777 Voir en ce sens le site web du Bureau du porte-parole du Secrétaire général où sont résumées les sanctions prises sous le chapitre vii de la Charte : http://www.un.org/News/ossg/sanction.htm.
778 S/1997/15, 7 janv. 1997, p. 3, par. 8.
779 S/RES/1388 (2002), 15 janv. 2002, par. 1 et 2.
780 S/RES/1390 (2002), 16 janv. 2002, par. 1 ; sanctions encore en vigueur à ce jour (février 2005).
781 Ibid., par. 2.
782 Mesures imposées dans les S/RES/757 (1992), par. 7, et S/RES/820 (1993), par. 24.
783 Interdiction prévue dans la S/RES/820 (199.3), par. 24 et 28..
784 Mesure prévue dans la S/RES/757 (1992), par. 8, al. b) et c).
785 S/RES/943 (1994), 23 sept. 1994, par. 2. La suspension de ces sanctions contre la RFY eut effectivement lieu et fut prolongée plusieurs fois pour la même période de 100 jours, successivement par les S/RES/970 (1995), S/RES/988 (1995), S/RES/1003 (1995) et S/RES/1015 (1995).
786 S/RES/1022 (1995), par. 1. Il était toutefois précisé que « la suspension visée au paragraphe 1 ci-dessus ne s’appliquera aux mesures imposées à la partie des Serbes de Bosnie que le lendemain du jour où le commandant de la force internationale qui doit être déployée conformément à l’Accord de paix... informera le Conseil, par l’intermédiaire du Secrétaire général, que toutes les forces serbes de Bosnie se sont retirées derrière les zones de séparation créées par l’Accord de paix » (ibid., par. 2).
787 Ibid., par. 3.
788 Il était écrit que le Conseil de sécurité « mettra fin aux mesures visées au paragraphe 1 ci-dessus le dixième jour qui suivra la tenue des premières élections libres et régulières prévues à l’annexe 3 de l’Accord de paix, à condition que les forces des Serbes de Bosnie se soient retirées des zones de séparation et aient continué de les respecter, comme prévu dans l’Accord de paix » (S/RES/1022 (1995), par. 4). Notant avec satisfaction la tenue de ces élections, le Conseil « décid[ait], conformément au paragraphe 4 de sa résolution 1022 (1995), de mettre fin, avec effet immédiat, aux mesures visées au paragraphe 1 de cette résolution » (S/RES/1074 (1996), 1er oct. 1996, par. 1).
789 S/RES/1192 (1998), par. 8.
790 Dans cette résolution, les suspects étaient à livrer aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni en vue d’un procès devant un tribunal de l’un de ces deux pays. Voir aussi la déclaration du représentant de la France lors du vote de la résolution ; S/PV.3920, p. 8.
791 S/PV.3920, p. 15.
792 S/1999/378.
793 SC/6662, 5 avril 1999.
794 S/PRST/1999/10.
795 Ainsi, la Tunisie au nom des Etats membres du Conseil de la Ligue des Etats arabes, l’Ouganda au nom du Groupe des Etats africains à l’ONU, l’Afrique du Sud en sa qualité de Président du Bureau de coordination du Mouvement des pays non alignés, et Qatar au nom du Groupe des Etats islamiques à l’ONU, avaient tous souligné que « la suspension des sanctions aurait dû être effectuée au moyen d’une résolution officielle du Conseil de sécurité afin de placer cette question sur une base légale solide », ou « dans son véritable contexte juridique » ; S/1999/726, par. 9-12.
796 S/1999/726, par. 22.
797 Ibid., par. 25-26.
798 Ibid., par. 27.
799 Ibid., par. 29-34.
800 Ibid., par. 39.
801 S/1999/752, 6 juil. 1999, p. 5.
802 S/PRST/1999/22, 9 juil. 1999.
803 Voir S/PV.4022.
804 A/57/2, 27 sept. 2002, 5e partie, chap. 2, p. 211.
805 Du 16 juin 2001 au 31 juillet 2003 ; ibid., 6e partie, chap. 4, p. 228.
806 S/1999/1299, 31 déc. 1999.
807 SG/SM/6944, 5 avril 1999, portant transcription de la conférence de presse tenue au siège de l’ONU par le Secrétaire général après la soumission de son rapport du 5 avril 1999.
808 S/2003/819.
809 Engagements faits dans une lettre adressée le même jour au Conseil de sécurité : S/2003/818.
810 Communiqué de presse 2003/29, et ordonnance du 10 sept. 2003 de la Cour, CIJ, Recueil 2003, p. 149.
811 S/RES/1022 (1995) , 22 nov. 1995, par. 5. Les italiques sont de nous.
812 Art. 27 de la Charte : ...
« 2. Les décisions du Conseil de sécurité sur des questions de procédure sont prises par un vote affirmatif de neuf membres ».
« 3. Les décisions du Conseil de sécurité sur toutes autres questions sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents »
Les membres permanents du Conseil de sécurité sont la Chine, les Etats-Unis d’Amérique, la France, le Royaume-Uni et la Fédération de Russie (reprenant le siège de l’URSS).
813 Déclaration en date du 8 juin 1945, UNCIO, vol. XI, pp. 710-714.
814 Voir S. D. Bailey, The Procedure of the UN Security Council, Clarendon Press, 2nd ed., 1988, pp. 214 et s. ; A. W. Rudzinski, “The So-called Double Veto. Some Changes in the Voting Practice of the Security Council”, AJIL, vol. 45 (3), 1951, pp. 443-461.
815 Notamment dans les articles relatant la menace d’usage du veto dans le cadre de la situation en Iraq, p. ex, P. Reynolds, “Iraq: A double veto?”, http://news.bbc.co.uk/go/pr/fr/-/2/hi/europe/2820455.stm (BBC, 5 mars 2003).
816 A.W. Rudzinski, “The So-called Double Veto”, p. 448.
817 Ce sont, par exemple, les membres permanents du Conseil qui avaient appelé à l’application des sanctions contre la Libye qui allaient par la suite utiliser le veto pour empêcher la levée de celles-ci.
818 D. D. Caron, “The Legitimacy of the Collective Authority of the Security Council”, AJIL, vol. 87 (4), 1993, pp. 552-588, notamment pp. 577 et s.
819 Voir C. Lynch, “Us Threatens to Veto Lifting Libyan Sanctions”, Washington Post, July 8, 1999.
820 P. ex., http://www.globalpolicy.org/security/sanction.
821 D. D. Caron, “The Legitimacy of the Collective Authority”, pp. 582-583.
822 Ibid., p. 583
823 A/RES/51/242, 15 sept. 1997, Annexe II, par. 6.
824 S/PV.3312, pp. 62-03. Cette position a été réaffirmée lors du vote du Brésil en faveur de la résolution 1192 (1998) modifiant les conditions de levée des sanctions contre la Libye (S/PV.3920, p. 8).
825 Voir la lettre du Gouvernement iraquien suite à l’adoption de la résolution 1330 (2000) ; S/2000/1175, p. 20.
826 Son représentant déclarait notamment : « Un libellé vague dans le projet [de résolution] sur cette question a fourni l’occasion à certains membres du Conseil d’interpréter le projet de façon à exiger de l’Iraq pratiquement l’accomplissement intégral des tâches essentielles de désarmement, puis par le biais de ce prétexte, de reporter indéfiniment la suspension. Mais, dans le cadre du strict respect des précédentes décisions du Conseil de sécurité, l’accomplissement de ces tâches de désarmement supposerait la levée définitive des sanctions. Pour suspendre les sanctions, il suffit simplement de noter des progrès en cours dans les domaines restants de désarmement » ; S/PV.4084, p. 5.
827 Ibid., p. 7.
828 Ibid., p. 12.
829 De nouvelles discussions avaient eu lieu entre temps pour la mise en place d’un régime acceptable par tous et dépassant la situation prévalant à cette période. Celles-ci se basaient sur l’application de la résolution 1352 du 1er juin 2001, une énième prolongation du programme « pétrole contre nourriture », dans laquelle le Conseil de sécurité déclarait vouloir « étudier de nouveaux arrangements concernant la vente ou la fourniture de marchandises et de produits à l’Iraq et permettant de faciliter le commerce civil et la coopération économique avec l’Iraq dans les secteurs civils », en se fondant sur les principes suivants : l’amélioration de l’afflux de marchandises et produits en Iraq, à l’exception de certains produits à usage militaire ou à double usage à figurer dans une liste ; l’amélioration des mécanismes de contrôle des armements de l’Iraq ; S/RES/1352 (2001), par. 2.
830 A noter que cette résolution ne contient aucune clause claire de sortie des sanctions. Elle foisonne d’obligations pour l’Iraq mais ne précise pas sous quelles conditions, par rapport à ces obligations, les sanctions ou une partie de celles-ci seraient levées. A la place, on voit une menace de recours à la force en cas de non-respect de ces obligations en matière de désarmement (le Conseil y rappelle sa résolution 678 de 1990) et un avertissement selon laquelle il s’agit d’une dernière possibilité donnée à l’Iraq de s’acquitter de lui-même de ces obligations (S/RES/1441 (2002), 8 nov. 2002, al. 4 du préambule et par. 2 du dispositif). Ces dispositions ont été plus tard invoquées, à tort, pour justifier l’intervention armée unilatérale en Iraq, en mars 2003.
831 S/RES/1521 (2003), 22 déc. 2003, par. 6 et 8. Le par. 7 demande au gouvernement de mettre en place le régime de certification. On retrouve la même structure pour les autres mesures imposées.
832 Ibid., par. 10 et 12.
833 S/RES/1579 (2004), 21 déc. 2004, par. 1 et 2.
834 S/RES/1572 (2004), 15 nov. 2004, par. 9 et 10.
835 S/RES/1521 (2003), 22 déc. 2003, par. 4 al. c).
836 Il y a bien entendu l’effet matériel, caractérisé par l’aggravation des conséquences humanitaires, mais également un effet juridico-politique qui se manifeste par l’érosion de la confiance au Conseil de sécurité et à l’ONU et, partant, de leur légitimité comme instrument de paix et de coopération entre les Etats.
837 A/53/33, par. 66.
838 S/PRST/2001/14, 15 mai 2001, p. 2.
839 Accord de cessation des hostilités signé à Alger par les parties le 18 juin 2000 (S/2000/601) et Accord de paix signé, encore à Alger, le 12 décembre 2000 (S/2000/1183).
840 Le paragraphe 2 de la résolution 1298 « exige que les deux parties mettent fin immédiatement à toute action militaire de leurs forces et ne fassent rien qui puisse exacerber les tensions ». Dans le paragraphe 4, le Conseil « exige que soient organisés dès que possible, sans conditions préalables, de nouveaux entretiens de fond en vue de la paix, sous les auspices de l’OUA,... qui aboutiraient à un règlement pacifique et définitif du conflit ».
841 S/PV.4168, p. 6. Voir aussi dans le même document les déclarations de l’Argentine et de la Chine (p. 7).
842 Les Etats-Unis avançaient justement cet argument, et bien d’autres, pour exprimer leur hostilité au recours à des sanctions limitées dans le temps, même s’ils avaient voté pour la résolution ; voir S/PV.4168, p. 5.
843 En effet, préoccupé par les crimes graves commis sur le territoire de la Sierra Leone contre la population civile et les membres du personnel des Nations Unies et d’autres organisations internationales, le Conseil de sécurité adoptait, le 14 août 2000, la résolution 1315 (2000) où il priait le Secrétaire général de négocier un accord avec le gouvernement du Sierra Leone pour créer un tribunal spécial indépendant (par. 1). Ce tribunal sera chargé de juger les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et autres violations graves du droit international humanitaire (par. 2). Le rapport du Secrétaire général en application de cette résolution fut soumis le 4 octobre 2000 (S/2000/915). Il traite de la nature du Tribunal spécial (« un tribunal sui generis »), de sa compétence, de l’organigramme, de l’application des peines dans les Etats tiers et des moyens pratiques de création du Tribunal (par. 4). L’accord créant le Tribunal, conclu entre les Nations Unies et le Gouvernement sierra-léonais, est annexé au rapport du Secrétaire général (pp. 16-21), avec le Statut du Tribunal en pièce jointe (pp. 22-30).
844 On peut en effet interpréter cette décision du Conseil comme une confirmation du caractère non punitif des sanctions des Nations Unies, sans que cela équivaille à un reniement de son pouvoir de créer un tel tribunal, tel que développé dans L’affaire Tadic devant la Chambre d’appel du TPIY (cf. arrêt du 2 oct. 1995).
845 S/RES/1385 (2001), 19 déc. 2001, par. 3. Le 4 décembre 2002, les sanctions ont été prorogées pour une nouvelle période de six mois à compter du 5 décembre 2002 (S/RES/1446 (2002), 4 déc. 2002, par. 2).
846 S/RES/1267 (1999), 15 oct. 1999, par. 4.
847 La résolution prévoit contre les Taliban des sanctions financières supplémentaires, des restrictions supplémentaires sur l’aviation, puis ajoute des sanctions diplomatiques, sur les voyages, un embargo sur les armes ainsi qu’aux matériels et services connexes, et l’interdiction de la fourniture d’anhydride acétique, utilisé dans la transformation de l’opium en héroïne (par. 5, 7, 8, 10 et 11).
848 S/RES/1333 (2000), par. 23.
849 Ibid., par. 24.
850 S/RES/1390 (2002), par. 3.
851 S/RES/1343 (2001) , par. 10 et 11.
852 S/RES/1408 (2002), par. 5 ; S/RES/1478 (2003), par. 10.
853 S/RES/1521 (2003), par. 18-20 pour les questions de durée des sanctions.
854 S/RES/1493 (2003), 28 juil. 2003, par. 20. La clause de sortie est stipulée au par. 22.
855 S/RES/1552 (2004), par. 2.
856 S/RES/1572 (2004), par. 7.
857 S/PV.4251, 19 déc. 2001, p. 6.
858 A/55/33, 22 mai 2000, par. 71. Des voies alternatives au veto existent pourtant, comme l’a montré l’Union africaine dans le processus de prise de décisions relatives à ses sanctions. Les mesures coercitives de cette Organisation sont à imposer par la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement, qui décide par consensus ou, à défaut, à la majorité de 2/3 (Règlement intérieur de la Conférence, art. 18, par. 1, in www.africa-union.org). Cette règle ne s’applique pas aux décisions sur les questions de procédure qui sont, quant à elles, prises à la majorité simple, étant précisé que les décisions pour déterminer si une question est de procédure ou non sont également prises à la majorité simple (ibid., par. 4). Comme nous l’avons dit ailleurs, ces procédures de vote semblent tirer les leçons des blocages provoqués par la pratique du double veto et du veto inversé à l’ONU, et constituent une avancée indéniable en matière d’imposition, de gestion et de levée de sanctions par une organisation internationale, où un petit nombre d’Etats ne pourrait plus s’opposer à des modifications d’un régime de sanctions ; voir D. L. Tehindrazanarivelo, « Les sanctions dans le cadre de l’Union africaine », p. 95.
859 Imaginons, par exemple, qu’à la place de l’arrangement « pétrole contre nourriture », le Conseil de sécurité avait imposé dans la résolution 986 (1991) des sanctions économiques et commerciales limitées dans le temps, tout en maintenant les autres mesures (avec une modification pour la question de compensation dans la mesure où celle-ci était financée en grande partie par le programme « pétrole contre nourriture »). Au vu de l’ampleur des effets secondaires de ces sanctions et du désaccord des membres du Conseil de sécurité sur le contenu de ce régime coercitif, il est clair dans ce scénario que le Conseil de sécurité n’aurait jamais pu maintenir ces sanctions durant treize années, et ce, sans changements notables. On peut supposer qu’une grande partie des sanctions économiques et commerciales aurait été levée bien avant la fin du conflit de 2003, et qu’on aurait eu à la place un régime de sanctions se rapprochant de la proposition avancée par certains membres permanents qui se serait limité aux mesures militaires et de désarmement. C’était d’ailleurs le seul volet des sanctions globales contre l’Iraq où on pouvait voir un semblant d’accord entre les membres permanents. C’est ce qui est également resté en place, après la guerre du Golfe de 2003 et l’adoption de la résolution 1483 (2003), mettant fin au volet non militaire des sanctions contre l’Iraq.
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