Chapitre 4. En quête de « sécurité »
p. 133-167
Texte intégral
1La signature de l’accord de paix ne s’accompagna pas d’un immédiat retour du calme et de la paix en Bosnie-Herzégovine, dont les habitants venaient de subir trois années et demie d’un conflit en grande partie basé sur la terreur des populations civiles. Le climat général resta en conséquence marqué par la violence et une certaine insécurité, souvent entretenues par des autorités peu enclines au respect de l’Etat de droit. L’un des premiers défis de la « communauté internationale » devait donc être de remédier à cette situation en rétablissant un « environnement de sécurité », selon l’expression communément utilisée en 1996 afin de caractériser l’action de l’IFOR et de l’IPTF dans le domaine militaire et de l’ordre civil.
I. Le climat délétère de l’immédiat après-guerre
2Avant de présenter les réalisations de l’IFOR et de l’IPTF, un point sur la situation politique et sociale prévalant en Bosnie-Herzégovine au début de 1996 semble nécessaire, afin de dépeindre le climat dans lequel va se dérouler la mise en œuvre. En effet, si la présente étude porte essentiellement sur la gestion « internationale » du processus de paix, celle-ci ne peut être complètement dissociée du contexte local dans lequel elle s’inscrit. C’est au contraire un élément fondamental qui ne peut être écarté sans nuire à la compréhension de l’évolution du processus global.
1. L’insécurité latente
3L’insécurité, en premier lieu, règne à différents niveaux : sur le plan militaire, tout d’abord, la paix instaurée semble bien éphémère. En matière de maintien de l’ordre civil, ensuite, règne un véritable chaos. Celui-ci est un produit du conflit, mais il est entretenu par certains détenteurs du pouvoir (politique et économique) qui, bien souvent, ont intérêt à ce que cette instabilité perdure. Ils utilisent à cette fin les médias, qui entretiennent le sentiment d’insécurité et nourrissent le climat de violence par la diffusion d’une propagande nationaliste en tous points similaire à celle développée pendant la guerre. A la fois ultime illustration et résultat de cette insécurité latente, le nettoyage ethnique se poursuit au cours des premiers mois de 1996.
a. Une paix fragile
4Lorsque les premières troupes internationales débarquent en Bosnie, les combats n’ont cessé que depuis deux mois et des escarmouches continuent de se produire en différents endroits1.
5L’expérience des multiples cessez-le-feu conclus au cours du conflit et aussi vite rompus suscite en outre la méfiance de tous les acteurs, locaux et internationaux, à l’égard de l’accord du 5 octobre 1995. L’hypothèse que celui-ci ne constitue qu’une simple trêve et que les combats reprennent, en particulier avec le retour des beaux jours, n’est pas encore totalement exclue, en dépit du signe encourageant que constitue l’aboutissement des négociations de Dayton.
6Outre ce risque – mineur, mais réel – de résurgence du conflit, d’autres éléments témoignent de la persistance d’un climat d’insécurité « militaire », lié à la proximité temporelle de la guerre. En premier lieu, des quantités d’armes de tout calibre sont toujours présentes sur le territoire2. Si le retrait et le cantonnement de celles détenues officiellement par les militaires font l’objet de plusieurs clauses de l’annexe 1, aucune opération de désarmement général des populations civiles n’est cependant prévue par l’accord. De surcroît, une multitude de mines couvre le territoire de la Bosnie et représente un danger permanent pour les populations locales (comme du reste pour les troupes de l’IFOR et le personnel civil international), une entrave à la liberté de mouvement et un obstacle pour la reprise des activités agricoles3. Enfin, des rumeurs persistantes font état de la présence continue de combattants étrangers, notamment au sein de l’armée gouvernementale. La plupart d’entre eux seraient des combattants iraniens et des « Moudjahiddins », venus prêter main-forte à la partie bosniaque au cours du conflit4. Outre la menace à la paix que représente cette présence, de telles rumeurs constituent une préoccupation particulière pour le contingent américain de l’IFOR, en raison des rapports tendus entre les Etats-Unis (principal contributeur en hommes de la Force) et l’Iran. La situation fut jugée suffisamment alarmante pour que R. Holbrooke aborde le sujet avec Alija Izetbegović dès le 8 décembre 1995 et le somme d’agir rapidement sous la menace de ne pas déclencher le plan « Equip and train » d’armement et de formation de l’armée de la Fédération promis par l’administration américaine5. En dépit des engagements du Président bosniaque, cette question allait régulièrement resurgir au cours de la première année de mise en œuvre6.
b. Un ordre civil inexistant
7Sur le plan policier, la situation est plus incertaine encore. Le maintien de l’ordre repose sur trois forces de police différentes, toutes dotées d’effectifs surestimés par rapport aux besoins d’un Etat en paix. Au début de 1996, les forces de police locales comptent 44 750 agents dans leurs rangs, parmi lesquelles 12 000 appartiennent à la Republika Srpska et 3000 à l’entité auto-proclamée et illégale d’« Herceg-Bosna », dirigée par les Croates d’Herzégovine7. Pour une population estimée à environ 3 millions d’habitants, c’est énorme. Les autorités de Sarajevo reconnaissent d’ailleurs cette disproportion, soulignant qu’en raison de la guerre, les effectifs de la police ont triplé par rapport à la normale8. Il est cependant peu probable que ceux-ci diminuent rapidement, les forces de police servant dans nombre de situations post-conflictuelles à absorber une partie des soldats démobilisés. La Bosnie ne constituant pas un cas à part, de telles reconversions furent effectivement constatées (et jugées préoccupantes) par l’IFOR dans les premiers mois de sa mission9.
8Au-delà de cette surpopulation policière, les pratiques de ces forces suscitent aussi de sérieux doutes quant à la validité du concept d’Etat de droit en Bosnie. En fait, les autorités de chaque entité disposent du pouvoir d’organiser elles-mêmes le maintien de l’ordre (en Fédération, structure très décentralisée, celui-ci est même géré au niveau cantonal)10. Or, dans l’attente de nouvelles élections, ces autorités ne sont autres que les trois partis nationalistes aux prises pendant le conflit – et, pour deux d’entre eux, sécessionnistes. En conséquence, les polices locales, dont les dirigeants sont en outre directement nommés par les autorités politiques, s’avèrent bien souvent des auxiliaires du pouvoir, entretenant délibérément un climat de terreur, notamment pour décourager les éventuels candidats au retour11. A cette fin, l’attitude la plus commune est la passivité lorsque surviennent des actes de violence : la police ne voit rien, n’arrête personne et ne mène pas d’enquête12. Un climat d’impunité se développe alors, qui encourage les éléments les plus extrémistes de la société à poursuivre leurs actes de harcèlement des minorités. Parfois, les membres des forces de l’ordre sont aussi directement impliqués dans des affaires de violation des droits de l’homme13. En outre, la présence de « forces de police spéciales », groupes paramilitaires successeurs directs des « forces spéciales » à l’œuvre au cours du conflit et exclusivement contrôlés par des individus ayant souvent participé à la guerre et au nettoyage ethnique, ajoute encore au climat de violence, à l’impunité généralisée et à une certaine « militarisation » de l’ordre civil.
9Le conflit ayant par ailleurs généré son lot de profiteurs de guerre et de réseaux de crime organisé, la corruption, le clientélisme, le racket et le marché noir sont des réalités quotidiennes. Mais la police et les pouvoirs politiques ne semblent là encore pas toujours très décidés à remédier à la situation. Bien au contraire, la collusion entre trafiquants et représentants du pouvoir est, dans ce domaine aussi, patente. Au minimum, policiers (et dirigeants politiques) offrent une protection aux chefs des réseaux mafieux ; au pire, ils abritent dans leurs rangs les gangsters eux-mêmes. La Republika Srpska est particulièrement touchée par cette situation, mais l’autre entité n’échappe pas non plus à cette réalité, notamment dans les régions d’Herzégovine contrôlées par le HDZ (Mostar), ou dans certaines zones dominées par les partisans de la ligne dure du SDA (Cazin)14. La police constitue aussi parfois un refuge pour les criminels de guerre recherchés par le Tribunal pénal international, qui trouvent dans ses rangs à la fois une protection et un moyen de narguer la « communauté internationale »15.
c. Les vecteurs de l’insécurité
10Le climat d’insécurité prévalant en Bosnie-Herzégovine est avant tout le produit d’un conflit particulièrement violent et fortement « idéologisé ». Depuis 1991, la propagande nationaliste est très présente en Bosnie-Herzégovine, s’efforçant notamment de convaincre chaque communauté que la constitution de territoires « ethniquement » homogènes constitue leur seul salut. Au lendemain de la signature de l’accord de paix, ce climat idéologique n’est pas modifié, bien au contraire. Aucun des dirigeants des trois peuples constitutifs de l’Etat n’étant véritablement satisfait du règlement, tous s’efforcent activement de transformer celui-ci à leur avantage. Dans cette paix sans vainqueur, chacun des ex-belligérants tente d’imposer sa conception de l’avenir de la Bosnie, notamment en ayant recours à l’intensification de la propagande à l’égard de la population.
11Or cette propagande trouve tout naturellement des canaux de diffusion puisque le système médiatique n’a pas été modifié, ni encore moins dissous, par l’accord de paix. C’est du reste là un des grands oublis de la paix de Dayton, frappant au regard du rôle important joué par les médias au cours du conflit. En conséquence, la situation reste inchangée lorsque débute la mise en œuvre, chaque communauté disposant et ne pouvant disposer que d’une seule source d’information, contrôlée par ses autorités politiques ; ces dernières ne se privent pas, surtout dans les régions les plus « dures », de recourir à ce canal pour entretenir un climat de méfiance intercommunautaire, mais aussi pour susciter le ressentiment à l’égard du règlement de paix et de la communauté internationale. Or cette dernière consacre très peu de moyens dans les débuts de la mise en œuvre à l’information de la population concernant ses activités et le contenu de l’accord de Dayton. En conséquence, la plupart des citoyens de Bosnie ne comprennent réellement ni les termes de la paix, ni les raisons de cet extraordinaire déploiement international dans leur pays16.
d. Poursuite du nettoyage ethnique
12Ce climat d’insécurité générale se traduit le plus souvent par le harcèlement des populations dites « minoritaires », qui s’apparente de fait au nettoyage ethnique pratiqué au cours de la guerre. Si les moyens employés sont moins ouvertement martiaux que pendant le conflit, le recours à la violence (pillages, incendies) ou à l’intimidation n’est pas exclu. Surtout, l’objectif reste le même : expulser les populations dites « minoritaires » des zones sous le contrôle d’une communauté différente de la leur. De telles pratiques furent initialement essentiellement constatées dans les territoires dont l’accord prévoyait le transfert d’une entité à l’autre, et notamment à Sarajevo. La capitale était en effet censée passer entièrement sous le contrôle de la Fédération au plus tard 90 jours après le début de la mise en œuvre, ce qui impliquait que des « banlieues » restées serbes tout au long du conflit soient dorénavant administrées par les autorités de celle-ci17. En dépit de mises en garde répétées de la part des acteurs internationaux, le scénario redouté se déroula à Sarajevo : l’exode ne put être prévenu et 90 % de la population serbe de Sarajevo quitta la zone entre janvier et mars 199618. Dans ce cas particulier, les autorités de la Fédération ne sont du reste pas les seules responsables de ces départs, point s’en faut ; celles de la Republika Srpska ont de toute évidence joué un rôle important pour contraindre, par le biais d’une intense propagande, ceux qu’elles considéraient comme leurs « ressortissants » à quitter la Fédération19. Mais quelles que soient les responsabilités, le résultat final est le même : l’impossibilité avérée de maintenir un semblant de « multiethnicité » dans la capitale même du nouvel Etat.
13De fait, à Sarajevo comme ailleurs, ces pratiques servent avant tout à consolider les résultats du nettoyage ethnique. Ainsi, dans toutes les régions susceptibles d’enregistrer des mouvements importants de retour (en raison des expulsions massives pratiquées au cours du conflit), les autorités politiques et les forces de police jouent un rôle essentiel pour empêcher toute tentative de réconciliation et de réinstallation, passivement (en ne s’opposant pas aux actes, soi-disant « spontanés », de harcèlement des populations minoritaires), activement (pour les forces de police, en procédant elles-mêmes aux expulsions ou en instaurant des points de contrôle sur les routes pour limiter au maximum la liberté de mouvement ; pour les dirigeants, en pratiquant une politique discriminatoire systématique) ou même « préventivement » (par exemple, en informant les éventuels candidats au retour de l’existence de listes secrètes de criminels de guerre, qui seraient arrêtés dès leur rencontre avec les forces de police « adverses »). Ces pratiques portent leurs fruits et les premiers mois de l’année 1996 sont surtout marqués par des mouvements de population qui aggravent un peu plus encore la partition ethno-territoriale de la Bosnie, décidée par les armes au cours du conflit et entérinée par l’accord de paix.
2. Un pays ravagé
a. Quarante ans de gestion collective, quatre ans de guerre : bilan économique et social
14Si l’insécurité constitue le problème le plus flagrant et le plus urgent à résoudre, il n’est pas le seul à peser sur l’avenir du pays. La situation économique et sociale apparaît aussi comme une source majeure de préoccupations. Sur les plans humain et économique, le bilan du conflit est lourd. 250 000 morts, plus de 200 000 blessés, dont 50 000 enfants, plus de 2 millions de déplacés et de réfugiés, une mortalité infantile doublée, 60 % des logements endommagés ou détruits, 475 000 soldats démobilisés à réintégrer dans la vie active, un taux de chômage approchant les 80 % et un PNB ayant décru de près des trois quarts de sa valeur de 1990 : les chiffres parlent d’eux-mêmes20. La plupart des infrastructures, qui n’étaient pas toujours en excellent état avant le conflit – la Bosnie était une des régions les plus pauvres de la Yougoslavie, avec le Kosovo et la Macédoine – ont été fortement détériorées pendant la guerre. Il n’est pas une seule portion du réseau ferroviaire qui n’ait été touchée, la plupart des routes sont en très mauvais état et souvent minées, le système d’approvisionnement en eau et en électricité fonctionne de manière aléatoire (surtout dans les régions rurales) et le service public, dont les fonctionnaires qui n’ont pas été payés depuis des lustres cèdent bien souvent aux sirènes du clientélisme, ne conserve de service que le nom. Celui-ci est surtout sous le contrôle total des partis politiques, lesquels l’utilisent davantage pour atteindre des buts politiques que pour servir leurs concitoyens21. Sur le plan de la production industrielle enfin, le scénario est tout aussi catastrophique : son niveau a chuté pour atteindre 10 % du taux de production de 1990 et l’investissement privé est quasiment nul22.
15Enfin, outre les conséquences néfastes en termes de réconciliation nationale, un tel bilan entrave fortement les perspectives de développement et de reconstruction du pays, lequel se doit de plus d’effectuer une transition vers l’économie de marché. Une aide financière massive et rapide est donc nécessaire afin d’endiguer les conséquences sociales d’une telle situation économique. A cette fin, une première conférence internationale de donateurs pour la Bosnie fut organisée en décembre 1995 pour mettre en place des circuits de financement. Cette célérité ne traduit cependant pas une vision à long terme : les participants n’établirent à cette occasion qu’un programme de reconstruction prioritaire, portant seulement sur les trois premiers mois de l’année 199623.
b. Les ravages du nettoyage ethnique
16Au-delà de ces obstacles d’ordre essentiellement matériels, la conséquence la plus dévastatrice du conflit, potentiellement à la source de problèmes dans de nombreux domaines, découle incontestablement du nettoyage ethnique et des mouvements de population subséquents. Le conflit fit ainsi, entre 1992 et 1995, 1 million de personnes déplacées et près de 1,2 million de réfugiés, ces derniers étant disséminés soit sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, soit en Europe ou en Amérique du Nord24. La plupart d’entre eux ne bénéficièrent en réalité pas d’un véritable statut de réfugié, mais se virent accorder une « protection temporaire ». Cette notion récente, essentiellement développée au cours de la décennie 1990 corrélativement à l’explosion des mouvements massifs de réfugiés, permet à un Etat d’offrir sa protection à des personnes fuyant un régime ou un conflit, sans pour autant leur accorder un statut de réfugié permanent sur la base de la Convention de 195125. Les avantages de ce système sont la rapidité (les procédures d’octroi d’un véritable statut de réfugié sont en général longues) et la quasi-automaticité (alors que le HCR estimait en 1991 que seulement 20 % des demandes « conventionnelles » d’asile étaient acceptées en moyenne en Europe occidentale)26. L’envers de la médaille ne doit cependant pas être occulté : cette protection étant dès le départ conçue comme temporaire, l’Etat d’accueil peut à tout moment y mettre fin en jugeant que les conditions sont réunies pour un retour dans le pays d’origine. De là découle précisément le premier risque concernant les « personnes protégées » originaires de Bosnie-Herzégovine : si les Etats décident de mettre fin à la protection temporaire en arguant de la signature de l’accord de paix, celles-ci peuvent être contraintes de quitter leur pays d’asile, sans pour autant que les conditions de sécurité ne leur permettent véritablement de retourner dans leurs foyers d’origine (souvent sous le contrôle d’une autre communauté). Dans cette hypothèse, leur réinstallation forcée dans d’autres régions de Bosnie-Herzégovine peut contribuer à confirmer sur le plan démographique la partition du territoire – et donc le succès du nettoyage ethnique.
17Les mouvements de population n’ont par ailleurs pas seulement des conséquences humaines et politiques, mais aussi socio-économiques. Les déplacements contraints à l’intérieur du pays n’ont suivi aucune motivation économique et ont donc pour corollaire un déséquilibre du marché du travail, accentué par les destructions de l’appareil industriel et des entreprises et l’augmentation générale du taux de chômage. Ce phénomène fut encore amplifié dans les premiers mois de 1996, lorsque les autorités de la Republika Srpska encouragèrent la réinstallation des personnes fuyant Sarajevo dans la région de Brcko, où les perspectives économiques étaient particulièrement maigres, celle-ci ayant été très touchée par les destructions et la guerre. Ces mouvements ne répondaient de fait pas à une logique économique, mais plutôt à un objectif politique : gonfler le pourcentage de Serbes résidant à Brcko, dans l’espoir d’influencer le résultat de l’arbitrage sur le sort de la ville prévu, initialement, pour la fin de 199627.
18Enfin, l’exode des réfugiés participe de la « saignée » opérée par le conflit dans l’élite de la population bosnienne, les plus instruits étant peu susceptibles de rentrer un jour dans un pays où les perspectives de vie et de carrière sont particulièrement sombres28. Au contraire même, tant que les conditions économiques restent précaires, les jeunes diplômés cherchent à quitter la Bosnie par tous les moyens, quand bien même la paix a été signée29. Or, le rétablissement économique et social de la Bosnie, tout comme celui d’un climat de sécurité, ne dépend pas seulement de l’ampleur de l’intervention internationale mais aussi, et peut-être surtout, de la volonté des acteurs locaux d’appliquer l’accord de paix et d’engager le pays sur la voie des réformes politiques et économiques nécessaires pour assurer la viabilité du nouvel Etat. Et dans ce domaine-là, les espoirs sont particulièrement maigres.
3. Résistances locales et passivité internationale
19En matière politique, la situation est de fait extrêmement instable. C’est en effet par ce biais-là que les parties insatisfaites du règlement vont poursuivre et tenter de réaliser leurs buts de guerre, inversant en cela la formule de Clausewitz. Les commissions « mixtes », créées dans l’attente des élections, deviennent le lieu de crises répétitives et ne fonctionnent pas. Deux gouvernements provisoires, l’un pour la Fédération et l’autre pour la République, sont nommés en janvier 1996 dans l’attente des élections, mais le premier est contesté dès son entrée en fonction par les partis d’opposition, qui n’y voient qu’un système de partage du pouvoir favorisant les deux partis nationalistes, le SDA et le HDZ. Quant au gouvernement « central », il n’est pas reconnu par les autorités de la Republika Srpska, qui n’ont pas participé à sa formation30. Les rapports avec ces dernières sont du reste particulièrement délicats, puisque le SDS constitue toujours le seul parti gouvernemental dans cette entité. Or, ses membres, qui demeurent loyaux à Radovan Karadžić, dont l’emprise sur le parti n’est en rien diminuée, contestent l’accord de paix et refusent toute forme de coopération avec leurs homologues de la Fédération, comme avec les responsables internationaux. Mais si les autorités de Republika Srpska sont les plus ouvertement réfractaires à l’accord et donc les plus réticentes à coopérer, elles ne sont pas les seules à faire preuve de mauvaise volonté en ce domaine. De fait, le moindre événement, la moindre action entreprise par un acteur local ou international sert de prétexte à l’une ou l’autre des parties pour susciter une crise, plus ou moins importante mais contribuant, et c’est là le but recherché, à différer l’application de l’accord.
20Placés d’emblée devant cette difficulté majeure, les acteurs internationaux tardèrent à faire preuve de fermeté à l’égard des dirigeants obstructionnistes. Afin de tenter de dépasser ces blocages politiques, deux conférences furent réunies dans les tout premiers mois de 1996, sans cependant apporter de véritable solution au problème. La première réunion eut lieu à Rome, les 17 et 18 février 1996, à la suite d’une crise majeure déclenchée par deux événements indépendants, mais soulevant la même question du respect par les parties des engagements pris à Dayton. L’arrestation à Sarajevo, au début de février 1996, de huit Serbes de Bosnie suspectés de crimes de guerre par le nouveau gouvernement déclencha un premier tollé et le boycott des commissions militaire et civile mixtes par les autorités de la Republika Srpska. Deux questions étaient en réalité soulevées par cette arrestation : celle de la protection et de la sécurité des Serbes résidant à Sarajevo (alors même que la date du transfert d’autorité à la Fédération des quartiers dits « serbes » approchait) et celle, plus générale, de l’arrestation et de la détention par les autorités locales des personnes présumées coupables de crimes de guerre, en l’absence de lois d’amnistie. La seconde crise survenue à la même époque concernait la ville de Mostar. Celle-ci était depuis juillet 1994 administrée par l’Union européenne, représentée sur place par Hans Koschnick31. L’une des tâches incombant à l’administrateur était de faciliter la réunification de la ville, divisée depuis les sanglants affrontements croato-musulmans de 1993-9432. Or, si la constitution d’une administration centrale et la création, au centre de la ville, d’un district « multiethnique » avaient fait l’objet de multiples déclarations et engagements après la signature de l’accord de Washington, aucune de ces mesures ne fut concrétisée. Lorsqu’en février 1996, Hans Koschnick décida, devant l’incapacité des deux parties à remplir leurs obligations, d’appliquer l’accord de Dayton sur la Fédération et d’imposer un plan de réunification de la ville, il déclencha la fureur des représentants croates qui refusèrent sa proposition, jugée trop favorable à l’égard de la partie bosniaque. La foule s’en prit physiquement au représentant de l’Union européenne, qui échappa de peu à un lynchage organisé33.
21La réunion de Rome, conviée pour résoudre ces deux crises, réunit les ministres des affaires étrangères du Croupe de contact ainsi que les trois présidents bosniaque, croate et serbe, sous la houlette de… Richard Holbrooke. Certains y virent un « mini-Dayton », révélateur de la gravité de la situation. Ceux qui souhaitaient une démonstration de fermeté de la « communauté internationale » furent pourtant déçus car, plutôt que d’apporter de véritable solution, les participants s’efforcèrent principalement d’apaiser les tensions : la réunion de Rome ouvrit ainsi la voie des assemblées et déclarations de complaisance, souvent foulée en 199634. Ainsi la situation à Mostar fut-elle – provisoirement – résolue par l’adoption d’une nouvelle « Déclaration » et, afin de satisfaire la partie croate, une modification du plan de H. Koschnick, laquelle laissa ce dernier songeur quant au soutien et à la détermination politique de ses collègues. Il démissionna le mois suivant35. La question de la protection des Serbes de Sarajevo fut si bien traitée que l’exode tant annoncé débuta moins d’une semaine plus tard : 60 000 personnes devaient fuir dans le mois qui suivit. Seul le problème de l’arrestation des criminels de guerre présumés fit l’objet de mesures concrètes, avec notamment l’adoption d’un article précisant la conduite attendue des autorités locales en matière d’arrestation, de détention et de jugement des personnes accusées de crimes de guerre ou contre l’humanité. Le dossier de toute personne arrêtée pour ces motifs, et n’ayant pas été inculpée par le TPI, serait transmis aux juges de La Haye pour que ces derniers statuent sur le bien-fondé de l’inculpation36. Un ensemble de mesures (dit « Code de la route ») fut par la suite élaboré afin de faciliter la mise en œuvre de cette clause de l’accord. Il spécifiait notamment les conditions de détention des individus concernés, de même que celles d’un éventuel jugement37. Les autorités locales ne pouvaient en outre utiliser la question des crimes de guerre pour décourager les retours, par exemple en évoquant publiquement l’existence de soi-disant listes secrètes transmises à la police. Le respect de ce « Code de la route », à l’observation duquel le Bureau du Procureur du TPI à Sarajevo fut plus tard associé, constitua dans les années qui suivirent un élément fondamental de la stratégie internationale de surveillance des arrestations et des procès menés sur la base d’inculpation pour crimes de guerre38.
22Les effets apaisants de la Réunion de Rome ne durèrent qu’un temps limité et la persistance des problèmes liés à l’exode des Serbes de Sarajevo, ainsi qu’à la situation tendue à Mostar, obligea Warren Christopher, Secrétaire d’Etat américain, à réunir une nouvelle fois à Genève le 18 mars 1996 les dirigeants bosniaques, croates et serbes39. Le but de ce sommet, lui aussi improvisé à la dernière minute, était surtout d’exercer une pression sur les parties locales afin d’obtenir leur soutien et leur coopération pour la mise en œuvre des aspects civils. Rien de neuf n’émergea de la réunion, où les parties se contentèrent de réitérer des promesses qu’elles avaient déjà faites et aussi vite oubliées40. Le même scénario se reproduisit encore le 30 mars 1996, lorsque la conclusion d’un énième accord sur le fonctionnement de la Fédération fut annoncée comme une « étape décisive » pour l’entité croato-musulmane alors que les engagements pris à cette occasion ne différaient pas fondamentalement des précédents, laissant sceptiques la plupart des observateurs du processus41.
23Ces différentes tentatives pour imposer aux parties le respect de leurs engagements témoignent certes de l’ampleur des blocages politiques au niveau local, mais aussi du manque de fermeté de la « communauté internationale », qui privilégie pendant cette période le dialogue et la bonne foi au lieu d’user des deux armes « diplomatiques » à sa disposition : la réimposition des sanctions à l’encontre de la Republika Srpska – et éventuellement de la RFY – et l’application de la conditionnalité économique pour les autres acteurs.
24C’est en conséquence un tableau assez négatif qu’offre sur de nombreux plans la Bosnie-Herzégovine au début de 1996, alors que les troupes de l’IFOR débarquent et que les premiers acteurs « civils » de la mise en œuvre s’installent. La tâche des organismes multilatéraux est donc gigantesque, mais fondamentale, pour ramener à la vie un pays et sa population, laquelle réserve d’ailleurs à cette « invasion internationale » d’un nouveau genre un accueil plutôt bon enfant, en Fédération comme en Republika Srpska. La guerre est finie, mais la paix reste à faire, et quoique en disent les principaux protagonistes internationaux, qui rappellent à qui veut l’entendre que la responsabilité première de la mise en œuvre incombe aux Bosniens eux-mêmes, la « communauté internationale » est déjà trop impliquée pour se permettre d’échouer dans les buts qu’elle s’est elle-même fixés.
II. L’IFOR : une vraie-fausse « success story »
25Le déploiement des premiers éléments de la force de mise en œuvre débute dès le 16 décembre 1995, afin de préparer le transfert de responsabilités entre le Commandant de la FORPRONU et celui de l’IFOR. La cérémonie, qui a lieu le 20 décembre suivant sur l’aéroport de Sarajevo, marque le début des opérations de l’IFOR. C’est donc par rapport à cette date (jour J) que furent fixés les délais de réalisation du mandat. Et c’est en conséquence pour le 20 décembre 1996 qu’était initialement prévu le retrait de la Force. Celle-ci fut dans un premier temps placée sous le commandement des Forces Alliées dans le Sud de l’Europe (AFSOUTH), exercé par l’Amiral Smith, et sous l’autorité générale du Commandant suprême des Forces Alliées en Europe (SACEUR), le général américain Joulwan42. Le Commandant en chef de la FORPRONU, le général Janvier, devint adjoint de l’amiral Smith et l’essentiel des troupes des Nations Unies encore présentes sur le terrain fut incorporé au sein de la Force de mise en œuvre43.
1. Déploiement, structure et composition de l’Implementation Force
26Les seize Etats membres de l’Alliance atlantique participaient à l’IFOR, mais des Etats non membres pouvaient aussi y contribuer, en détachant des contingents ou en fournissant un appui logistique44. Parmi eux figuraient un certain nombre des Etats d’Europe centrale et orientale signataires du Partenariat pour la Paix qui souhaitaient à terme intégrer l’OTAN45. Participer à l’IFOF leur permettait ainsi de témoigner de leur bonne volonté et de démontrer leurs capacités sur le terrain. Malgré ses réticences à l’égard de l’OTAN, la Russie aussi apporta sa contribution à l’IFOR. La participation de cet Etat fut longuement négociée, à la fois avec le Secrétaire à la Défense américain W. Perry et avec le personnel de l’OTAN46. La portée de ces négociations dépassait en réalité le simple cadre de la Bosnie, en ce qu’elles permirent d’accélérer le processus de rapprochement entre la Russie et l’OTAN et constituèrent sans aucun doute une des étapes-clés qui menèrent à la signature de l’Acte fondateur OTAN-Russie en mai 199747. Le principal point d’achoppement – le refus de la Russie de voir son contingent placé sous le commandement de l’Alliance – ne fut réglé que lors d’une rencontre au sommet entre Boris Eltsine et Bill Clinton le 23 octobre 1995. Il fut finalement décidé que les troupes russes recevraient leurs ordres d’un colonel-général russe, adjoint du SACEUR Joulwan et détaché au SHAPE (quartier général des puissances alliées en Europe), tout en étant placées sous le contrôle tactique de la division multinationale – Nord, dirigée par les Etats-Unis (dont le commandant n’était autre que le général… George Joulwan, par ailleurs SACEUR de l’OTAN)48. La Russie sauvait ainsi les apparences, mais le rôle directeur de l’OTAN était en réalité préservé, d’autant qu’un accord spécial sur le contrôle politique des opérations, que souhaitaient les diplomates russes, ne fut finalement pas conclu49. L’accord de participation définissant les modalités générales de la contribution à l’IFOR de la Russie fut signé en mars 1996, mais les troupes russes, basées à Ugljevik (nord-est de la Republika Srpska), avaient été déployées en Bosnie dès janvier 1996.
27Outre les pays membres du Partenariat pour la Paix et la Russie, d’autres Etats, pour la plupart musulmans (Malaisie, Egypte, Maroc, Jordanie), choisirent de participer à l’IFOR. Au total, dix-huit Etats n’appartenant pas à l’OTAN fournirent des soldats à la Force50. Tous négocièrent au cas par cas avec les autorités de l’OTAN des accords de participation et prirent part à un Comité de coordination « 16+n » (« n » pour les non-membres, dont le nombre varia au cours de l’année), régulièrement réuni au siège de l’OTAN et chargé de faciliter les rapports des Etats extérieurs avec le Commandement allié. Le nombre d’Etats participants a pu connaître quelques fluctuations par la suite, mais la présence de tous les membres de l’OTAN et de la Russie ne s’est jamais démentie.
28Le déploiement en lui-même fut considéré comme un premier test pour l’Alliance atlantique, en raison des conditions extrêmement difficiles sur le terrain. Des doutes subsistaient notamment quant à l’attitude qu’adopteraient les ex-belligérants à l’égard de l’OTAN, dont certains avaient eu à subir les bombardements quelques mois auparavant. Le rude hiver de Bosnie compliquait encore les choses. Pourtant ce premier test fut passé sans grande difficulté. Le déploiement dut cependant beaucoup à la FORPRONU, dont l’IFOR reprit la majorité des infrastructures, équipements et moyens51. Dans le même temps, 18’500 hommes (sur les 21 000 qui servaient encore dans le cadre de la Force des Nations Unies) échangeaient leurs casques bleus pour les casques verts de l’IFOR52. Un mois après le transfert de responsabilités, 50 % des unités terrestres étaient déployées en trois divisions multinationales réparties géographiquement selon des secteurs de responsabilité, divisant le territoire de la Bosnie en trois zones (nord, sud-est et sud-ouest), respectivement placées sous les commandements américain, français et britannique. Le déploiement fut achevé le 18 février 1996, alors que la mise en œuvre des aspects militaires était déjà bien entamée53.
2. La stricte application des aspects strictement militaires
29Dès le mois de janvier 1996, il fut clair que les autorités de l’OTAN souhaitaient privilégier les aspects strictement militaires de l’annexe 1-A, au détriment des tâches touchant à la mise en œuvre civile, considérées comme susceptibles de les détourner de leur « mission principale ». Ainsi l’Amiral Smith déclarait-il le 20 janvier 1996, au cours d’une conférence de presse à Sarajevo, qu’il prêterait son concours aux organisations civiles si celles-ci en faisaient la demande, mais « dans les limites de [ses] ressources et sur une base de non-interférence avec [les] missions de l’IFOR »54. Cette assistance, pourtant prévue dans le mandat de l’IFOR, était dès lors considérée comme annexe et la mission fut recentrée sur des clauses de séparation des forces et des combattants.
30Au cours de l’hiver 1996, la Force multinationale concentra ainsi une grande partie de ses efforts sur la première étape de cette mission : la consolidation de la ligne de démarcation inter-entités, plus connue sous le sigle IEBL (Inter-Enlity Boundary Line) et l’établissement de part et d’autre de cette ligne d« une « zone de séparation » démilitarisée, large de quatre kilomètres. Si le délai « J+30 » pour le retrait des forces fut généralement respecté, un certain nombre de difficultés et de violations sporadiques surgirent, « mettant à l’épreuve la détermination de l’IFOR »55. Celle-ci dut en conséquence faire montre à plusieurs reprises de son inflexibilité, notamment en confisquant dès le 16 février des armes anti-aériennes ou en exigeant l’accès à des sites que lui refusaient les parties. Ces escarmouches, dont le nombre et l’intensité ont évolué selon les périodes, furent toujours désamorcées par l’IFOR, dont la crédibilité fut ainsi renforcée. La persistance de ces violations illustre cependant la réticence des parties quant à la mise en œuvre de l’accord et nécessita une présence permanente de l’IFOR dans la zone, pour y effectuer des patrouilles et superviser les activités de déminage.
31L’absence de coopération des parties compromit aussi le respect d’un autre délai fixé à la fin janvier. Aucun des ex-belligérants n’avait à cette date procédé à la libération de tous les prisonniers de guerre, comme le prévoyait l’accord de Dayton56. La responsabilité première de cette impasse revenait au gouvernement de Bosnie-Herzégovine (partie musulmane), qui en liant la question des prisonniers de guerre à celle des personnes disparues (entre autres lors la chute de Srebrenica), entrava le processus de libération57. L’IFOR n’était pas directement chargée de faire respecter ces clauses de l’accord, bien que celles-ci figurent à l’annexe 1-A, et se contenta de faire état dans ses différents rapports des difficultés du CICR en la matière. Cette question étant cependant liée à la séparation des belligérants (et les délais étant similaires), il aurait été possible de considérer qu’un soutien plus concret à l’action du CICR faisait partie des tâches de l’IFOR. Il n’en fut pourtant rien et les pressions sur les parties ne furent que politiques. La question traîna en conséquence jusqu’au mois d’avril58.
32Relevant par contre clairement des attributions de la Force multinationale, le départ des troupes étrangères, prévu à l’article III de l’annexe 1-A, ne s’effectua pas non plus dans le délai prévu (30 jours). La question des combattants étrangers, notamment des Moudjahiddins venus au cours du conflit soutenir l’armée de Bosnie-Herzégovine, constitue un des semi-échecs de l’IFOR. En dépit des promesses faites à R. Holbrooke par A. Izetbegović, il fallut attendre la fin mai 1996 avant que l’IFOR puisse annoncer leur retrait59. Le constat était d’ailleurs prématuré, car la question de cette présence resurgit régulièrement au cours de l’année60. En réalité, il semble que ces départs ne furent que partiels, des individus parvenant à se maintenir sur le territoire, soit clandestinement, soit en recourant à la protection diplomatique, soit encore en acquérant la nationalité par le truchement de mariages. La question de cette présence présumée nourrit longtemps des rumeurs régulières : ainsi en novembre 1999, un rapport de l’International Crisis Group notait que des Moudjahiddins continuaient de résider dans certains villages (souvent dans des maisons de personnes expulsées) et voyageaient avec un passeport délivré par la Bosnie-Herzégovine61. L’IFOR manqua-t-elle de fermeté en la matière ? Il semble plutôt qu’elle fut abusée par la mauvaise foi d’une partie et prise dans un engrenage dépassant en réalité son mandat lorsque les activités de ces individus passèrent du domaine militaire au domaine civil.
33D’autres difficultés surgirent, comme il était prévisible, lors du transfert des territoires censés passer du contrôle d’une entité à l’autre. L’accord prévoyait le retrait des forces dans un délai de 45 jours et la prise de pouvoir par l’autre entité 45 jours plus tard (soit le 19 mars). Si les soldats se retirèrent en temps voulu, leur départ s’accompagna d’une politique de la « terre brûlée » que l’IFOR ne put empêcher62. Surtout, la prise de contrôle par la Fédération, le 19 mars 1996, des quartiers serbes de Sarajevo fut précédée, et suivie, de déplacements massifs de population63. Cette première vague de nettoyage ethnique postérieure à la signature de l’accord de paix fut vraisemblablement organisée par les autorités de la Republika Srpska, qui poursuivaient ainsi leur politique d’homogénéisation des entités, aux dépens, cette fois-ci, de leur propre population. Il ne s’agissait plus en effet d’exclure des non-Serbes (désormais rares en Republika Srpska), mais de faire en sorte, en usant de la propagande, qu’aucun Serbe ne vive sur le territoire de l’autre entité. Cette politique fut cependant encouragée, au moins tacitement, par les autorités de Sarajevo, qui ne tentèrent pas de convaincre les Serbes de rester, et s’abstinrent de réprimer les actes de pillages ou de terrorisme commis à l’encontre de ceux d’entre eux qui refusaient de partir. L’IFOR fut quant à elle critiquée pour n’avoir pas réussi à empêcher cet exode, et parfois même accusée d’y avoir contribué en acceptant de protéger les Serbes en fuite64. En effet, bien que le contingent multinational ait été renforcé dans cette zone et qu’il ait étroitement collaboré à cette occasion avec l’IPTF, les « soldats de la paix » ne firent en réalité guère plus qu’assister passivement au chaos général qui régnait alors65. Ne s’estimant probablement pas concernés par les pillages et autres violences, qui relevaient de tâches de police pour lesquelles ils n’étaient pas mandatés, les soldats de l’IFOR se contentèrent d’offrir leur protection aux convois de déplacés. En raison de la paranoïa des Serbes, de leur endoctrinement et de l’influence qu’exerçaient sur eux les autorités de Pale, il était sans doute extrêmement difficile, voire impossible, de convaincre ceux-ci de rester. Mais la Force multinationale aurait pu au moins tenter de prévenir les actes de banditisme qui accompagnèrent cet exode et de protéger les individus restant, des personnes âgées pour la plupart.
34Dernier acte de la mise en œuvre strictement militaire, le cantonnement des troupes, la démobilisation et le désarmement des soldats, ainsi que le dépôt des armes lourdes dans des sites déclarés, susceptibles d’être inspectés par l’IFOR, devaient être achevés 120 jours après le transfert de responsabilités66. C’est dans la réalisation de ces « mesures de confiance » que furent pris les plus importants retards, pour des raisons à la fois techniques et politiques. La démobilisation fut notamment entravée par les difficultés économiques frappant le nouvel Etat : le chômage, qui atteignait 80 % dans certaines régions, rendait la reconversion des soldats quasiment impossible67. Nombre de ces derniers furent intégrés dans les forces de police, au détriment cependant de la démocratisation de celles-ci. Bien que préoccupante, cette situation ne surprend guère s’agissant d’un pays durement touché par un conflit qui faisait rage à peine six mois plus tôt, et les retards pris en matière de démobilisation ne semblent en rien rédhibitoires. Plus problématique pourtant, le transfert des armes lourdes dans des zones de cantonnement fut, lui, marqué en sus par des difficultés d’ordre politique. Les parties, cherchant à maintenir un avantage tactique sur place, s’abstinrent de déclarer un certain nombre d’armes. L’IFOR dut prendre des mesures énergiques et recourir à la confiscation et la destruction à partir du mois de mai (soit peu après l’échéance du délai initial). En août 1996, à la suite du refus des autorités de la Republika Srpska d’autoriser l’IFOR à inspecter le dépôt de Han Pijesak (situé au nord de Sarajevo, dans une région réputée être le quartier général de Ratko Mladić), la Force de mise en œuvre déclencha l’opération « Fear Naught ». Celle-ci consistait à protéger les unités de l’IFOR basées en Republika Srpska et évacuer les civils internationaux dans l’hypothèse d’un recours à la force. Ces préparatifs convainquirent les autorités serbes de Bosnie de se conformer à leurs obligations. Et c’est finalement accompagné de la présidente de l’entité que le Général Walker, Commandant des unités terrestres, effectua l’inspection du site68. Quelques jours plus tard eut lieu une autre opération, qui vit la destruction massive d’armes non déclarées découvertes près de Pale69. Par ces actions, l’IFOR signala à ses interlocuteurs sa détermination à faire respecter les engagements pris à Dayton, en dépit des retards enregistrés.
35Cette fermeté, le maintien du cap malgré les crises passagères et la réalisation au final de l’essentiel de ses objectifs militaires permirent de créditer l’IFOR d’un certain succès en la matière et ce, en dépit des limites constatées ci-dessus. Le cycle des offensives de printemps fut brisé et la constitution de la Commission militaire mixte permit de résoudre par la négociation les différends relatifs à la ligne de démarcation. L’IFOR participa aussi à la supervision des activités de déminage et au balisage des zones minées. Conséquence de ces premiers succès, accomplis sans perte au combat, une ostentatoire satisfaction fut affichée à Bruxelles et à Washington ; le général Joulwan et le Secrétaire général de l’OTAN, Javier Solana, annoncèrent ainsi à partir du mois d’avril 1996, l’entrée du pays dans la phase dite de « transition vers la paix », caractérisée par la priorité accordée à l’accomplissement des aspects civils dans un environnement désormais qualifié de sûr70. S’il est vrai que l’IFOR avait accompli à cette date une bonne partie de son mandat strictement militaire, l’auto-satisfaction des autorités de l’OTAN, à la fois prématurée et presque anachronique dans le contexte politique de l’époque – la coopération des parties constituait alors plus que jamais un défi permanent – était surtout motivée par la volonté de prouver, notamment à l’opinion publique américaine, que l’opération de Bosnie n’était ni un fiasco, ni même un coup d’épée dans l’eau71. Il apparaît cependant que ces tâches, si elles ne furent pas évidentes à remplir, ne présentaient pas les mêmes difficultés que celles concernant les aspects civils. Paul Garde note ainsi que la consolidation de l’IEBL ou la séparation des forces faisaient partie des clauses de l’accord de Dayton qui tendaient au partage72. Elles ne permettaient en rien d’ouvrir la voie à une Bosnie multiethnique et réconciliée, mais confortaient au contraire les parties dans leur vision éclatée du pays73. En se limitant à ces activités, l’IFOR s’exposa ainsi aux critiques ; elle se vit notamment reprocher de prendre un minimum de risques et de choisir la voie de la facilité en interprétant trop strictement son mandat74.
3. Insuffisances et ambiguïtés de la coopération civilo-militaire
36Au début du printemps 1996, l’attention se déplaça progressivement vers la mise en œuvre des aspects civils de l’accord de paix : les premières étapes militaires franchies, la consolidation de la paix pouvait débuter. La question se posa alors de définir le rapport des agents chargés de ces aspects avec la Force multinationale. Rapidement, les militaires confirmèrent leur réticence à accorder un soutien trop important aux organismes civils, bien que le mandat de l’IFOR mentionnât la possibilité pour les membres de la Force de prêter assistance aux autres agences mandatées75. Aucune obligation de coopération n’était cependant inscrite dans le texte. Il ne s’agissait certes pas d’une omission, mais de la volonté délibérée des militaires ayant préparé l’annexe de limiter au maximum l’implication de la Force dans la mise en œuvre civile76. Les raisons de cette pusillanimité se résument en deux mots en anglais : « Mission Creep » (« dégénérescence » de la mission). Cette hantise de voir une armée s’enliser dans la poursuite d’objectifs différents de ceux qui lui furent initialement fixés, et de perdre ainsi sa crédibilité, trouve ses origines dans deux conflits très différents l’un de l’autre, le Vietnam et la Somalie, mais partageant une caractéristique commune : tous deux s’avérèrent de véritables cauchemars pour l’armée des Etats-Unis. Plus proche dans le temps et dans l’esprit, l’échec américain en Somalie laissa des cicatrices profondes prêtes à se rouvrir aussitôt qu’allusion serait faite à l’éventualité de donner des objectifs civils à des militaires américains. Et quand bien même la situation en Bosnie était en tout point différente de celle qui prévalait en Somalie, le syndrome de la Mission Creep explique en partie les réticences des commandants (américains) de l’IFOR quant à un éventuel rôle en matière civile77. Corollaire de cette hantise de l’enlisement sur le terrain, la recherche systématique d’une « stratégie de sortie » (ou exit strategy) a aussi pesé de tout son poids dans la politique d’implication minimum dans l’application des aspects civils de l’accord. Dès le début des négociations de Dayton, le Congrès américain fit pression pour obtenir une stricte délimitation temporelle de l’opération militaire : or, cette limite ne pourrait plus être respectée si la Force devait devenir indispensable aux organismes civils, dont le calendrier ne correspondait pas à celui de l’IFOR. Dans deux domaines, la question de l’arrestation des personnes inculpées par le Tribunal pénal international et le rétablissement de la liberté de mouvement (elle-même liée au retour des réfugiés), cette approche restrictive de la mission de la Force au cours des premiers mois de la mise en œuvre eut des conséquences particulièrement lourdes.
a. Coopération avec le TPI
37La relation entre le TPI et l’IFOR avait pourtant très tôt fait l’objet de négociations, lorsque les enquêteurs du Tribunal se mirent à l’œuvre sur le terrain au mois de janvier 1996. La présomption que la prise de Srebrenica en juillet 1995 avait été accompagnée de violations du droit humanitaire particulièrement graves conduisit en effet le Procureur du Tribunal à ordonner des enquêtes dans cette zone (sous le contrôle de la Republika Srpska), afin notamment d’attester l’existence de charniers. En raison de l’extrême sensibilité de la tâche, le Procureur du TPI, Richard Goldstone, et son Président, Antonio Cassese, sollicitèrent à cette occasion l’aide de l’IFOR pour surveiller les sites supposés abriter des fosses communes et protéger les enquêteurs chargés de l’exhumation78. C’est alors que surgirent les premières tensions entre les deux protagonistes, lorsque fut présentée la « doctrine » de l’IFOR en la matière : l’Amiral Smith refusait de garder chaque site, promettant seulement un soutien logistique incluant des activités de reconnaissance aérienne et une protection aux équipes d’enquêteurs79.
38Ces réticences à accorder une simple protection des sites laissaient présager de difficultés plus importantes encore lorsque se poserait la question de l’arrestation des personnes inculpées par le TPI. Celui-ci ne bénéficie pas des services d’une police internationale, chargée de procéder aux arrestations et ne peut par ailleurs prononcer de jugement par contumace. L’organisation de procès dépend donc entièrement du consentement des parties à livrer les criminels présumés. Or, la plupart d’entre elles ne faisant guère preuve d’empressement dans ce domaine, il fallait trouver une force susceptible d’effectuer ces arrestations80. Le Groupe international de police des Nations Unies (IPTF) paraissait exclu d’avance, ne serait-ce que parce que les policiers n’étaient pas armés, mais aussi en raison d’un mandat excessivement limité et de gigantesques retards de déploiement81. Quant à l’IFOR, ses responsables étaient opposés à toute action de ce type, qui réveillait en eux les souvenirs de la chasse à l’homme déclenchée contre le général Aïdid en Somalie. Afin de clarifier cette question, un mémorandum d’entente entre l’IFOR et le TPI fut préparé à partir de février 199682. Les délais de rédaction de ce document, qui ne fut finalement achevé que le 9 mai suivant, sont révélateurs des tensions suscitées par cette entreprise. Au final, l’OTAN parvint à faire prévaloir ses vues, puisque le texte stipule que l’IFOR placerait en détention et livrerait au TPI les inculpés « si elle se trouvait au contact de telles personnes dans l’exécution de ses tâches »83. Ce qui, en langage non diplomatique, signifiait que l’IFOR n’interviendrait que si les présumés criminels de guerre commettaient l’erreur de venir se prendre les pattes dans ses filets. Cette interprétation correspondait à l’argument défendu par certains juristes, selon lesquels l’IFOR était autorisée à, mais non obligée d’arrêter les criminels84. A l’inverse cependant, d’autres analystes soutenaient que même si l’accord de Dayton n’imposait pas clairement une obligation de coopération à l’IFOR, celle-ci résidait de toute façon dans le Règlement du Tribunal et les résolutions afférentes du Conseil de sécurité. Selon eux, cette obligation s’appliquait aux Etats contributeurs de l’IFOR, en tant que sujets du droit international et ne pouvait donc être limitée par une interprétation de l’OTAN85.
39Le Procureur Goldstone lui-même ne se priva pas de rendre publique son opinion lors de son départ du TPI à l’automne 1996, déplorant le refus « hautement inapproprié et pusillanime » des grandes puissances et reprochant à l’IFOR une faiblesse injustifiée au regard de ses capacités militaires86. Selon lui, l’IFOR avait le pouvoir à la fois militaire, juridique et politique de pratiquer des arrestations87. Dans les faits pourtant, et quelles que soient les obligations juridiques, cette question dépendait essentiellement de la volonté politique des Etats contributeurs, laquelle fut longtemps absente. Les responsables de l’IFOR adoptèrent en conséquence la stratégie de l’autruche, s’obstinant à détourner le regard quand des criminels présumés entraient dans leur champ de vision. Sommés à plusieurs reprises de s’expliquer sur leur laxisme à l’égard de R. Karadžić, ils affirmèrent ainsi tantôt ne pas être en mesure de le reconnaître, en raison de la mauvaise qualité des photographies à leur disposition, tantôt ne pas l’avoir arrêté parce qu’il était entouré de gardes du corps, ou encore parce que les soldats de l’IFOR devaient accomplir à ce moment-là une autre mission…88. Le scandale éclata à l’automne 1996 lorsque des journalistes américains apportèrent la preuve que six personnes inculpées occupaient toujours des fonctions publiques, notamment au sein de la police, dans la région de Prijedor89. Ces révélations obligèrent certains responsables internationaux à reconnaître qu’ils étaient informés de cette situation ; un membre de l’IFOR confia à cette occasion aux journalistes que leurs instructions étaient claires : « monitor, but dont touch » (« surveillez, mais ne touchez pas »)90. Pis encore, il apparut par la suite que certains inculpés, loin de se terrer, n’hésitaient pas à établir des contacts avec les internationaux et à franchir les barrages établis par la force multinationale91. Dès lors, il ne fit plus réellement de doutes que l’IFOR n’arrêterait personne, même si ses soldats rencontraient dans l’exercice de leur fonction des personnes inculpées. Si le danger lié à une éventuelle arrestation de R. Karadžić ou R. Mladić, protégés par des gardes du corps prêts à ouvrir le feu, était certainement réel, l’IFOR aurait cependant eu, dès 1996, les moyens d’appréhender des responsables de moindre notoriété publique92.
b. Liberté de mouvement
40Dans un second domaine, celui de la circulation des personnes, l’échec est patent et peut se résumer en quelques mots : il n’y avait pas de liberté de mouvement en 1996 en Bosnie93. S’agissant du personnel de la Force et de celui des organisations internationales, les efforts de l’IFOR en la matière furent certes couronnés de succès, mais ils restèrent un échec total pour les populations civiles de Bosnie-Herzégovine. Le constat du général Joulwan, après quatre mois de mise en œuvre, selon lequel « la liberté de mouvement était assurée », semble donc quelque peu surprenant, et ne fut d’ailleurs jamais véritablement repris94. Mais le SACEUR faisait peut-être référence aux entraves pratiques à la circulation, qui furent en effet en partie levées grâce aux activités de reconstruction (notamment de ponts et de routes) et de déminage des voies de communication, entreprises par l’IFOR95. Très peu fut en revanche achevé concernant les obstacles politiques. Dix-huit mois après la signature de l’accord de paix, le harcèlement des personnes tentant de franchir l’IEBL – surtout des hommes d’âge militaire –, et les points de contrôles – mobiles et fixes – établis par la police, constituaient des atteintes quotidiennes à la liberté de mouvement, tout comme l’obstruction des lignes de bus mises en place par le HCR pour faciliter les déplacements d’une entité à l’autre96. Les motivations politiques à l’origine de ces entraves étaient doubles. Il s’agissait d’une part, d’empêcher la réconciliation nationale, en éradiquant tout type de contact entre les populations et d’autre part, de prévenir le retour des déplacés et des réfugiés pour confirmer la division « ethno-territoriale » du pays. A ces titres, les restrictions étaient tout aussi fréquentes sur le territoire de la Fédération entre les régions bosniaques et croates, que lors du passage de la ligne de démarcation entre les deux entités.
41Selon l’accord de paix, l’IFOR était pourtant tenue de « prévenir les entraves au mouvement des populations civiles, des réfugiés et des personnes déplacées » et censée « aider le HCR », seule organisation expressément nommée dans l’article traitant des tâches civiles de l’IFOR97. S’il y eut effectivement quelque coopération – les responsables de la Force participèrent par exemple à la planification du retour des réfugiés avec le HCR – celle-ci fut cependant limitée par une ambiguïté fondamentale. Imposer la liberté de mouvement pouvait, certes, permettre le retour des réfugiés et des personnes déplacées, mais entraînait en corollaire des tensions indéniables et portait donc atteinte à l’établissement de l’« environnement de sécurité » auquel travaillait l’IFOR. Conscients de cette ambiguïté, les deux organismes cherchèrent ensemble à réfléchir aux moyens de la dépasser98. Mais celle-ci provient en réalité de l’accord de paix lui-même, dont certaines clauses tendent à la partition de l’Etat, quand d’autres appellent sa réunification. L’interprétation minimaliste de la mission de l’IFOR et la recherche de sécurité avant tout ont amené ses responsables à mettre essentiellement en œuvre les premières, porteuses de moindres risques et à se montrer d’une extrême prudence quant aux autres. Ce qui les conduisit par exemple à interrompre à l’automne 1996, pour des raisons de sécurité, les mouvements de retours dans la « zone de séparation » de personnes déplacées bosniaques. Lassées d’attendre, celles-ci avaient décidé de prendre elles-mêmes en charge leur réinstallation et forcèrent pour cela la volonté des autorités serbes de Bosnie, provoquant une confrontation armée99. Si l’intervention de l’IFOR en cette occasion fut rendue nécessaire par le recours à la violence (il y eut tout de même mort d’hommes), celle-ci s’inscrit cependant encore dans une politique de « séparation » des protagonistes plus que de réconciliation. La plupart de ses actions dans le domaine de la liberté de mouvement furent ainsi principalement dictées par la nécessité d’intervenir – le plus souvent lors de périodes de confrontation – et non par une quelconque volonté de faciliter les déplacements ou les retours.
c. Elections
42Le soutien qu’apporta l’IFOR à l’OSCE lors de l’organisation des élections de septembre 1996 suscita en revanche de nombreuses marques de satisfaction100. L’aide de la Force multinationale à l’organisation chargée de cette tâche particulièrement difficile fut en effet substantielle. L’OTAN mit entre autres au service de l’OSCE ses moyens logistiques, pour permettre l’acheminement des superviseurs et observateurs à travers la Bosnie-Herzégovine, pour distribuer le matériel aux différents comités électoraux locaux, pour transporter les urnes le soir des élections dans certains cas (bureaux de vote éloignés ou difficiles d’accès) et pour acheminer les bulletins des réfugiés qui avaient voté en dehors du pays vers les municipalités auxquelles ils étaient destinés. Le jour des élections, l’IFOR mit en place un dispositif d’urgence et assura – à distance pour ne pas perturber le processus – la sécurité des bureaux de vote et du personnel de l’OSCE. Cette présence permit certainement d’éviter incidents et autres perturbations du processus, ce qui constituait un succès en soi. Enfin, l’IFOR collabora étroitement avec l’OSCE dans l’identification des itinéraires électoraux protégés et des bureaux de vote spéciaux destinés aux électeurs devant traverser l’IEBL pour voter101. Afin de faciliter le déroulement de ce processus, il y eut donc une véritable mobilisation de l’IFOR, qui nécessita d’ailleurs le maintien des effectifs de la Force à leur maximum jusqu’à la fin du mois de septembre102. Pourtant, ce soutien fut encore une fois essentiellement logistique et l’esprit dans lequel il fut effectué reste celui qui gouverna toute action de la Force en matière de reconstruction civile. Ainsi, les routes protégées et l’assignation de bureaux de vote spéciaux, en dehors des villes, pour les personnes déplacées (en majorité des Bosniaques retournant en Republika Srpska) traduisirent-elles la priorité essentielle d’éviter tout risque de trouble, au détriment peut-être de la réconciliation nationale, ou tout au moins de la liberté de mouvement. Et s’il est vrai que les conditions pour la tenue de ces élections étaient loin d’être propices et justifiaient certainement ce type d’arrangement, une des causes de la précocité du scrutin était justement la date de départ annoncée de l’IFOR. La volonté de limiter à une année le mandat de la Force eut en effet une influence certaine sur la réalisation des objectifs civils de l’accord, et parmi eux tout particulièrement l’organisation des élections, en imposant des délais inappropriés à des tâches de consolidation de la paix qui nécessitaient davantage de temps.
43Les réalisations de l’IFOR furent ainsi essentiellement marquées par des succès logistiques ou techniques. En revanche, son bilan politique est quasiment nul, la Force n’ayant en rien contribué à modifier le climat de méfiance et de rancœurs réciproques qui dominait alors en Bosnie. Si les réalisations strictement militaires de la Force et surtout la présence de 60 000 soldats permettaient à la fin de 1996 de considérer que le risque de reprise des combats était quasiment nul – du moins tant que les troupes multinationales resteraient déployées sur le territoire – un climat général de sécurité était loin de prévaloir en Bosnie-Herzégovine. C’est en ceci qu’il apparaît que les succès de l’IFOR, objets de tous les enthousiasmes au cours de la première année de mise en œuvre, sont en réalité beaucoup plus relatifs que ne le proclamaient alors les autorités de l’OTAN. S’il est effectivement possible de considérer comme un succès le maintien du cessez-le-feu et l’absence de combat, cela suffit-il pour dresser un bilan parfaitement positif de l’action de l’OTAN ? Les innombrables obstacles à la réconciliation nationale et à la démocratisation du pays sont autant de menaces à la paix sur le long terme. Et cette épée de Damoclès visait autant l’IFOR que les organismes civils chargés de la consolidation de la paix. La persistance des troubles de l’ordre public ne peut cependant pas être imputée au seul refus des responsables militaires de s’impliquer dans le domaine civil : elles sont aussi la conséquence directe des difficultés considérables rencontrées dans l’accomplissement de son mandat par le second acteur censé contribuer à l’établissement de l’« environnement de sécurité », le Groupe international de police constitué par les Nations Unies.
III. « Mission impossible » pour l’IPTF
44Dès la fin de 1995, plusieurs textes mentionnent l’urgence que revêt le déploiement de la police civile internationale, afin de prévenir toute tentative des forces de maintien de l’ordre locales de recourir à l’intimidation ou au harcèlement des populations pendant la période cruciale que constituent les premiers mois de la mise en œuvre103. Cette nécessité est particulièrement ressentie à Sarajevo, où le transfert d’autorité des quartiers qui étaient restés serbes au cours de la guerre implique aussi une passation de pouvoirs entre les forces de police de la Republika Srpska et de la Fédération. Pourtant, les Nations Unies vont dans un premier temps s’illustrer par une certaine inefficacité en matière de planification et de déploiement.
1. Les déficiences intrinsèques de l’ONU
45L’établissement de l’IPTF est autorisé le 21 décembre 1995 par l’adoption de la résolution 1035 du Conseil de sécurité. Deux mois et demi plus tard, seuls 400 hommes sur les 1721 attendus ont été déployés en Bosnie104. Malgré les appels incessants et de plus en plus pressants du Secrétaire général, relayé par d’autres porte-parole des organismes chargés de la mise en œuvre de l’accord de paix, les Etats disposés à fournir les effectifs nécessaires tardent à respecter leurs engagements105. C’est seulement en septembre 1996, lors des premières élections nationales pour lesquelles l’IPTF doit assurer un climat général pacifique, que le nombre de policiers internationaux déployés sur l’ensemble du territoire culmine à 1697 (et reste toujours inférieur de quelques unités aux attentes du Secrétaire général)106. Il aura donc fallu neuf mois aux Nations Unies pour déployer (quasi) totalement la composante la plus importante de sa mission107.
46Différentes raisons peuvent être invoquées pour expliquer ces retards, relativement fréquents dans les opérations de maintien de la paix déployées par les Nations Unies108. En premier lieu, l’absence de personnel en « réserve », mis à la disposition de l’organisation par les Etats membres dans le domaine militaire comme dans celui de la police civile, constitue un handicap certain, qui mine depuis des années la capacité de déploiement rapide de l’ONU Afin de pallier l’absence d’« armée onusienne », des accords ont été conclus depuis 1994 avec certains Etats acceptant de constituer des « forces en attente » et précisant les moyens que ceux-ci seraient susceptibles de mettre à la disposition des Nations Unies dans l’éventualité de leur participation à une opération de maintien de la paix109. Ces arrangements, bien qu’innovateurs, restent cependant à effet limité, puisqu’ils ne constituent en réalité qu’une base d’information et non un engagement ferme de la part des Etats de déployer ces hommes automatiquement. Ils portent d’autre part sur un nombre relativement restreint d’hommes, particulièrement dans la catégorie des policiers civils, alors même que « ceux-ci sont appelés à participer davantage aux opérations de maintien de la paix », selon Kofi Annan lui-même110.
47En second lieu, les retards de déploiement en Bosnie sont aussi le résultat d’un certain manque d’anticipation de la part de l’organisation mondiale. Les mois d’activité diplomatique de l’automne 1995 n’ont guère été mis à profit pour planifier l’opération et préparer le recrutement du personnel111. Si une relative incertitude quant au rôle que les négociateurs consentiraient à lui accorder peut être invoquée pour justifier cette impréparation, l’ONU fut aussi paralysée par des procédures administratives et budgétaires trop lourdes, qui l’empêchèrent de prendre les mesures nécessaires avant la fin de décembre 1995. C’est ainsi qu’une mission d’établissement des faits ne fut dépêchée en Bosnie qu’en décembre 1995, après que le Conseil de sécurité eut adopté sa résolution 1026 du 30 novembre 1995 (soit après le paraphe de l’accord) 112. Le représentant spécial du Secrétaire général ne fut quant à lui nommé que le 1er février 1996113. Il apparaît ainsi que tant qu’une réforme n’aura pas lieu dans le domaine de la planification avancée au sein de l’ONU, les capacités d’intervention rapide de l’organisation seront sérieusement entravées114.
48En sus des retards de déploiement, l’IPTF se trouva rapidement confrontée à un problème de compétences concernant certains des policiers détachés par les Etats. Toute mission multinationale associant des forces de l’ordre provenant de pays très divers (et par conséquent formées différemment) génère des difficultés spécifiques à ce type d’opérations, liées à la coopération entre les membres de l’équipe internationale, à l’adaptation au contexte culturel dans lequel s’effectue la mission et à la nécessité de travailler dans une langue étrangère. Mais au-delà de ces limites intrinsèques, la lenteur du recrutement caractérisant la mise en place de l’IPTF en Bosnie a contraint le Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU à se satisfaire dans un premier temps de recrues ne remplissant pas toujours les conditions de sélection requises pour une telle mission. Dès mars 1996, les membres de l’International Crisis Group, un groupe de réflexion surveillant la mise en œuvre de l’accord de paix, soulèvent le problème115. L’action d’un certain nombre des policiers de l’IPTF apparaît de fait alors plus contre-productive que bénéfique pour le pays, en raison de leur méconnaissance de la culture du pays, de leur pratique approximative de l’anglais, de conceptions parfois personnelles des règles internationales du code de la route et surtout de leurs compétences limitées en matière de maintien de l’ordre. L’accusation ne porte pas sur la totalité des membres de l’IPTF, mais le nombre de « brebis galeuses » semble alors suffisamment élevé pour affecter la crédibilité de l’ensemble de la mission. L’ICG recommande donc de privilégier le critère qualitatif lors de la sélection pour accroître l’efficacité de la police civile internationale. Ces questions de compétence sont aussi abordées par le Secrétaire général, mais seulement pour souligner, précisément, les difficultés de recrutement116. Boutros Boutros-Ghali les invoque ainsi pour expliquer les retards de déploiement : le taux d’échec particulièrement élevé aux tests de conduite et de langue a, par exemple, entraîné des rapatriements immédiats117. Mais il ne mentionne pas que certains policiers, ayant passé avec succès les épreuves, s’avérèrent malgré tout inaptes aux tâches dévolues à l’IPTF. En témoigne pourtant la décision du Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies de dépêcher à partir du printemps 1996 des équipes de « conseillers » pour aider les autorités des Etats fournisseurs à sélectionner les candidats, ainsi que la mise en place d’un cours sur les droits de l’homme pour… les policiers de l’IPTF, dont la mission était précisément de veiller à ce que les forces de l’ordre locales soient formées convenablement dans ce domaine118 ! En témoigne aussi l’insistance du Secrétaire général, du Haut représentant ou encore des participants à la Conférence de Londres de décembre 1996 à demander aux Etats de détacher des hommes du « plus haut niveau de compétence possible »119.
49Ces problèmes, tant de délais que de recrutement et de qualification du personnel, ne sont pourtant pas un fait nouveau. Ils avaient déjà été rencontrés, au Cambodge notamment, et les mêmes causes semblent avoir entraîné les mêmes difficultés, sans pour autant que l’organisation mondiale n’ait fait preuve d’anticipation et de capacité à remédier à de telles défaillances120. Il s’agit pourtant là d’un problème fondamental, puisqu’il influe directement sur le crédit des forces de police civiles déployées par l’organisation internationale.
2. Des réalisations excessivement limitées
50Soumis aux aléas du recrutement et du déploiement, les policiers de l’IPTF rencontrèrent en outre de grandes difficultés d’origine « externe » dans la réalisation de leurs tâches. Non armés, fortement dépendants de la coopération des parties, au niveau local comme au niveau national, ils disposaient en réalité de très peu de moyens pour contrôler et surveiller effectivement les activités policières. Leur rôle au cours des premiers mois se résuma alors à effectuer des patrouilles et à rédiger des rapports faisant état de problèmes, sans pour autant avoir la possibilité de les régler. Les limites d’un tel mandat apparurent dès février-mars 1996 lors de l’exode, pourtant annoncé, des Serbes de Sarajevo. Trop peu nombreux sur le terrain à cette date, les policiers de l’ONU échouèrent dans leur tentative de créer un climat de confiance, qui aurait pu permettre aux résidents serbes de rester. Ils ne purent prévenir les actes de violence et de pillage perpétrés dans les quartiers passant sous le contrôle de la Fédération, ni même obtenir des autorités de Sarajevo que des enquêtes soient promptement entreprises pour en punir les auteurs. Ils durent se contenter d’assister, impuissants, au départ massif de la population. Leur seule action fut l’organisation de patrouilles communes avec l’IFOR pour surveiller les convois de déplacés et prêter assistance aux pompiers dans deux des quartiers concernés121. Le bilan est piètre, alors même que l’enjeu était des plus importants pour le crédit futur de la mission.
51L’un des premiers objectifs de l’IPTF devait être d’assister à la restructuration des forces de police des entités, c’est-à-dire d’obtenir des autorités une diminution des effectifs, la sélection des policiers en fonction de leur compétence professionnelle et la formation de ces derniers à des pratiques dignes d’un Etat de droit. Cette restructuration impliquait des activités à différents niveaux hiérarchiques, depuis la négociation d’accords politiques jusqu’à la création de centres de formation, en passant par l’audition de tous les policiers pour déterminer leurs compétences ou encore la vérification dans les commissariats locaux du respect des engagements politiques et des pratiques enseignées. Dès la première étape, la négociation, l’IPTF buta sur la mauvaise volonté des parties : radicales, les autorités de la Republika Srpska s’opposèrent à toute forme d’accord tout au long de l’année 1996122. Plus subtiles, celles de la Fédération acceptèrent de négocier, mais s’employèrent à bloquer en pratique l’avancée du processus. Si un accord fut conclu avec ces dernières, établissant un calendrier de réorganisation de sa police dès le printemps 1996, sa mise en œuvre et la signature d’accords subséquents pour chaque canton étaient loin d’être achevées à la fin de l’année 1996123. A cette date, seulement 12 500 policiers (sur les 32 750 déployés sur le territoire de la Fédération) avaient été testés et parmi eux, seuls 7000 avaient fait l’objet d’une vérification de leurs antécédents dans le domaine des droits de l’homme. La formation était « pratiquement » – mais pas totalement – achevée dans trois cantons uniquement. Sarajevo, qui devait constituer le premier district doté d’une police modèle, n’avait toujours pas vu la couleur des nouveaux uniformes de la Fédération, sur lesquels les autorités venaient tout juste de s’entendre124.
52Les lenteurs de la restructuration eurent en outre pour conséquence de rendre plus aléatoire encore le contrôle des méthodes policières locales, l’instauration de programmes de formation et l’établissement d’écoles de police. Les autorités concernées en étaient bien conscientes, qui gagnaient délibérément du temps pour laisser leurs forces de police continuer à exercer un pouvoir quasi discrétionnaire, leur permettant de contrôler ainsi les populations et de décourager les éventuels retours. Dans la perspective des élections, cette toute-puissance de l’appareil policier, lui-même sous la coupe des partis nationalistes, constituait aussi un gage pour ces derniers que leurs opposants ne pourraient se prévaloir d’une réelle liberté d’expression. Enfin, la plupart de ces mêmes partis avaient intérêt à laisser perdurer un climat d’insécurité et de crainte sur lequel se basait leur stratégie électorale125. L’IPTF n’ayant aucun moyen pour lutter efficacement contre de tels intérêts, la police demeura pendant l’ensemble de 1996 une sorte de groupuscule au-dessus des lois, au sein duquel intimidation, harcèlement et même violations des droits de l’homme avaient libre cours126. Dans un seul cas extrême, l’implication de la police locale dans des incidents d’une vaste ampleur au cours de la campagne électorale (bombardements, passages à tabac, coups de feu) fit l’objet d’une enquête de l’IPTF, aboutissant à la révocation du chef de la police de Cazin, obtenue grâce à l’action conjointe de l’OSCE et du Groupe international de police127. Mais ce fut le seul cas où la police fut directement incriminée et surtout où le contexte politique permit l’imposition d’une révocation aux autorités locales : en effet, la Sous-commission d’appel (EASC, Election Appeals Sub-commission) établie dans le cadre des élections était autorisée à émettre des décisions à valeur obligatoire et à prendre des sanctions à l’encontre de partis politiques si ceux-ci ne respectaient pas les règles édictées pour le déroulement de la campagne électorale128. La plupart du temps, l’implication de la police fut plus discrète, moins ouvertement liée aux élections ou ne fit pas l’objet d’un dépôt de plainte. C’est ainsi que de nombreux autres incidents, qui ne tombaient pas sous la juridiction de l’EASC, restèrent impunis. Ce fut notamment le cas des attaques à l’encontre de l’IPTF même, près de Doboj en Republika Srpska le 23 juillet 1996 (bombardement du bureau de l’ONU) ou encore à Zvornik, toujours en RS, le 29 août 1996 (rétention en otage des policiers onusiens à l’intérieur de leur bureau)129. Dans ces deux affaires, l’IPTF ne put que constater le caractère organisé de mouvements soi-disant spontanés et dénoncer les autorités serbes, sans obtenir de révocation ni pouvoir prendre de mesures autres que d’auto-protection130.
53De la même manière, le rétablissement de la liberté de mouvement qui relevait également de la responsabilité de l’IPTF fut entravé par la lenteur de la restructuration de la police. Dans un pays où la question territoriale constituait un des enjeux majeurs de l’après-guerre, le rôle des forces de l’ordre était en effet primordial dans ce domaine, en ce sens que ces dernières avaient entre leurs mains le pouvoir de restreindre la liberté de circulation, donc de décourager le retour des personnes déplacées et le rétablissement des liens économiques entre les différentes entités et, en final, d’empêcher la réunification de l’Etat. L’IFOR ayant décidé de limiter au maximum son rôle concernant la liberté de mouvement, l’IPTF se trouva seule à agir dans ce domaine en 1996131. Le bilan en la matière fut complètement négatif : en dépit de quelques effets d’annonce, les points de contrôle ne furent pas démantelés et, de l’aveu même du Secrétaire général, « la liberté de circulation […] était loin d’être assurée » en décembre 1996132. Mobiles ou statiques, le plus souvent près de l’IEBL ou de la zone de séparation, des barrages continuèrent d’être érigés par les policiers tout au long de l’année, leur permettant de stopper les véhicules en provenance de l’autre entité, identifiables grâce à leurs plaques d’immatriculation, de harceler les passagers et éventuellement de prélever quelque taxe, réelle ou inventée pour l’occasion. Les obstructions à l’établissement par le HCR des lignes de bus inter-entités, ou encore les jets de pierre et autres attaques au passage de ces bus sans que la police ne s’y oppose et qui conduisirent, dans certains cas, à la suspension des liaisons lorsque l’IPTF ne pouvait fournir d’escorte, furent tout aussi significatives133. Les conséquences les plus dramatiques d’une telle politique concernèrent le retour des réfugiés et des personnes déplacées, directement visés par ces pratiques. Et ce, d’autant que les forces de police firent du zèle dans ce domaine, n’hésitant pas, quand les obstructions à la liberté de mouvement ne suffisaient pas, à harceler directement ceux qui tentaient malgré tout de rentrer134.
54Enfin, l’IPTF se heurta de surcroît au problème des structures policières parallèles, à Mostar notamment. La ville ayant été placée sous l’administration de l’Union européenne en 1994, l’Union de l’Europe occidentale fut au départ chargée du contrôle du maintien de l’ordre. Lorsque l’ONU prit sa relève en octobre 1996, elle se trouva face à deux corps de police distincts, correspondant aux deux parties contrôlant la ville. Il existait en outre un réseau de forces croates para-policières, allant de pair avec les structures illégales de l’Herceg-Bosna135. L’IPTF s’attacha à démanteler ces réseaux, mais n’obtint que des succès de forme. Le Secrétaire général des Nations Unies notait en décembre 1996 que les membres de forces paramilitaires avaient été démobilisés, mais ces assertions furent infirmées dès le mois de février suivant136.
55De tels problèmes sont révélateurs des obstacles rencontrés par la police onusienne et l’ensemble des acteurs non militaires de la mise en œuvre, qui se heurtèrent, dans les zones les plus extrémistes, à la duplicité des autorités. Tant que le mandat des policiers onusiens ne leur permettrait pas de prendre des mesures contre ces autorités sans l’accord préalable de leurs ministres de tutelle, tant que la responsabilité finale de la mise en œuvre d’un accord dont ils ne voulaient pas serait attribuée aux dirigeants nationalistes de Bosnie-Herzégovine, tant, enfin, que les Etats chargés du suivi de l’accord refuseraient de comprendre que les pressions ne suffisaient pas et que des mesures politiques et économiques devaient être prises pour contraindre les détenteurs du pouvoir à jouer cartes sur table, les scénarios « à la Mostar » se reproduiraient dans toutes les régions où le contrôle de la police – et plus largement de tous les aspects de la vie politique et économique – constituait l’un des objectifs principaux des responsables politiques locaux.
Conclusion
56Il apparaît ainsi que l’action de l’IPTF, mais aussi les lacunes dans les réalisations de l’IFOR ne permirent pas en réalité de rétablir un climat pacifique au cours de l’année 1996. Si les armes lourdes s’étaient tues et si les organisations internationales pouvaient accomplir leur mission dans une relative tranquillité, les citoyens de l’Etat de Bosnie-Herzégovine ne jouissaient cependant pas quant à eux des libertés dont ils auraient dû bénéficier selon les termes de l’accord de paix. En effet, la constitution d’un véritable « environnement de sécurité » ne se limite pas à l’absence de guerre, mais implique que les habitants d’un pays donné aient la possibilité de vaquer à leurs occupations habituelles sans crainte d’être arrêtés, sans voir leur maison brûler et les auteurs du crime rester impunis ou encore sans être obligés de payer à tout moment des taxes multiples et variées, mais rarement prévues par les textes de loi.
57Au-delà du constat, ce piètre bilan soulève aussi un certain nombre d’interrogations sur la nature des mandats respectifs de l’IFOR et des contrôleurs internationaux. Il y a en effet un paradoxe fondamental entre la constitution d’une force militaire de 60 000 hommes telle l’IFOR, ayant la possibilité de contraindre par les armes les parties récalcitrantes à remplir leurs obligations militaires et le déploiement de 1600 policiers internationaux, non armés, sans pouvoir d’enquête ni de sanctions et condamnés à œuvrer dans le cadre limité de la coopération avec les mêmes parties. Cette situation, pour le moins paradoxale, ne se limite pas seulement à la relation entre l’IPTF et l’IFOR : les acteurs civils de la mise en œuvre se heurtèrent aussi aux mêmes problèmes, qui entravèrent en conséquence leurs réalisations au cours des premiers mois de la mise en œuvre.
Notes de bas de page
1 L’Amiral Smith, Commandant de l’IFOR, déplorait ainsi au début de janvier 1996 des tirs dirigés contre les avions de l’OTAN et une attaque meurtrière contre un tramway à Sarajevo, cf. Nouvelles Atlantiques, no 2782, 12 janvier 1996. Dans le rapport de l’IFOR du 23 janvier 1996, portant sur le premier mois de la mission, des tire et des fusillades, dirigés soit contre des appareils ou des unités terrestres de la Force, soit contre des civils, sont aussi mentionnés, cf. S/1996/49, 23 janvier 1996, para. 6. Un constat similaire est aussi établi par le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, S/1996/652, 4 novembre 1996, para. 17-19 (cote originale : E/CN.4/1996/63, 14 mars 1996).
2 Cf. S/1995/1031, 13 décembre 1995, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 28 : « […] la population a largement accès à des armes à longue portée ou à des armes plus lourdes […] ».
3 Selon le Secrétaire général de l’ONU, il y avait en Bosnie au début de 1996 environ 3 millions de mines terrestres, cf. S/1996/210, 21 mars 1996, para. 10.
4 Le nombre exact de combattants étrangers en Bosnie n’a jamais été réellement établi, mais il semblerait que ceux-ci aient encore été près de 2000 à la fin de l’année 1995, OMRI Special Report, vol. 1, no 1, 9 January 1996. Cf. sur ce point les préoccupations constantes exprimées dans les rapports de l’IFOR : S/1996/49, 23 janvier 1996, para. 6 et 8, S/1996/131, 26 février 1996, para. 8, S/1996/215, 22 mars 1996, para. 6, S/1996/315, 23 avril 1996, para. 4, S/1996/465, 24 mai 1996, para. 5 et S/1996/465, 24 juin 1996, para. 6.
5 Holbrooke, op. cit., pp. 319-320. Instigué par les Etats-Unis, le plan « Equip and Train » consistait, comme son nom l’indique, à équiper (en armes) et à entraîner l’armée de la Fédération dans le but de permettre à cette dernière de se défendre en cas d’agression serbe. L’une des raisons de son instauration était de compenser la reconnaissance de la Republika Srpska lors des pourparlers de Dayton et d’amener les Bosniaques à signer l’accord en dépit de leur ressentiment à l’égard d’un texte perçu comme injuste. L’idée ne fit cependant pas l’unanimité et irrita notamment les Européens, qui jugeaient cette stratégie dépassée (car elle correspondait à la satisfaction a posteriori des revendications du Congrès américain de lever l’embargo sur les armes pendant le conflit), déplacée (l’accord de Dayton prévoyait une réduction des armements pour atteindre un équilibre « par le bas) et dangereuse (il n’était pas sûr que les forces croato-musulmanes, en pleine offensive lorsque fut signé le cessez-le-feu en 1995, fussent véritablement les victimes potentielles d’un nouveau conflit). En conséquence, la mise en œuvre du plan devait essentiellement associer des Américains (une entreprise non gouvernementale employant des militaires à la retraite fut chargée de l’entraînement) à des Etats musulmans. Cf. Jane Sharp, Anglo-American Relations and Crisis in Yugoslavia (FRY), IFRI, Série Transatlantique, no 9, décembre 1998, p. 48) ; Enis Dzanic & Norman Erik, « Retraining the Federation Forces in Post-Dayton Bosnia », Jane’s Intelligence Review, vol. 10, no l, January 1998, pp. 5-10 et REF.PC/490/96, 17 July 1996, US Delegation to the OSCE, Bosnia Train and Equip Program.
6 Cf. infra, même chapitre, section II.
7 S/1995/1031, 13 décembre 1995, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 22.
8 Propos recueillis par les membres de la mission de reconnaissance, envoyée par le Secrétaire général à la fin de l’année 1995, cf. S/1995/1031, 13 décembre 1995, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 22.
9 S/1996/131, 26 février 1996, Troisième rapport mensuel sur les opérations de l’IFOR, para. 8.
10 Accord de Dayton, annexe IV, article III-2.c).
11 La liaison est très forte en Bosnie entre les partis politiques et l’appareil d’Etat, héritage de la période titiste encore aggravé par le conflit : les nominations aux postes importants, et notamment au sein de la police, se font en conséquence en fonction d’allégeances politiques (sur le fonctionnement de l’administration publique en Bosnie, cf. ICG, Rule of Law in Public Administration : Confusion and Discrimination in a Post-Communist Bureaucracy, Sarajevo, 15 December 1999, 27 p).
12 Cf. S/1996/652, 4 novembre 1996, Situation relative aux droits de l’homme dans l’ex-Yougoslavie, para. 17-43 (cote originale : E/CN.4/1996/63, 14 mars 1996).
13 idem, para. 18 et 24.
14 Sur ce point, cf. entre autres : Diane Paul, « High Noon : The Good Sherif Has Been Run Out of Town », War Report, no 41, May 1996, p. 6 (sur Mostar) ; Jan Urban, « Monitor, But Don’t Touch », OMRI Special Report, vol. 1, no 14, 5 November 1996, p. 6 ; Patrick Moore, « Duck Soup », OMRI Special Report, vol. 1, no 45, 12 November 1996, p. 1 (sur la RS), et OMRI Special Report, vol. l, no 24, 18 June 1996, p. 1 (sur des violences policières à Cazin).
15 Le scandale éclatera au grand jour à la fin de l’année 1996, lorsque des journalistes internationaux apporteront les preuves de cette situation, cf. OMRI Special Reports, vol. 1 (44, 45, 46 et 47), novembre 1996 et A/52/375 – S/1997/729, 18 septembre 1997, Quatrième rapport annuel du TPI, para. 134-135. Sur la question de l’arrestation des criminels de guerre présumés, cf. infra, même chapitre, section II, § 3.
16 A l’exception peut-être de la région de Sarajevo, où, pour des raisons tenant à la fois aux caractéristiques de la population et à l’afflux massif de personnel international, des sources d’information « alternatives » sont disponibles. Et encore ce constat doit-il être relativisé puisque seule une fraction de la population (jeunes, élites intellectuelle et financière) a véritablement accès à ces informations.
17 Il s’agissait de villages ou faubourg situés à la périphérie de la ville : Vogošca, Ilijas, Hadžici, Grbavica et Ilidža, représentant une population d’environ 70 000 personnes (UNHCR Information Notes, no 3-4, March-April 1996).
18 Sur les mises en garde internationales, cf. notamment S/1995/1029, 12 décembre 1995, Conclusions of the Peace Implementation Conference, para. 14 ou S/1995/1031, 13 décembre 1995, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 23. Sur la crise elle-même, cf. infra, même chapitre, section II, § 1 et III, § 2 et chapitre 5, section I, § 2.
19 Cf. S/1996/652, 4 novembre 1996, Situation relative aux droits de l’homme dans l’ex-Yougoslavie, para. 36-37 (cote originale : E/CN.4/1996/63, 14 mars 1996).
20 Les statistiques sur le coût du conflit varient selon les sources ; nous en avons ici utilisé trois : la fiche d’information de la Banque Mondiale d’août 1998, www.world-bank.org ; Nebosja Vukadinovic, « Rebuilding Bosnia », War Report, no 51, May 1997, p. 19 (article introductif au dossier spécial consacré par la revue au thème « Reconstruction of Bosnia »), ainsi que les statistiques du HCR pour les réfugiés et personnes déplacées (HIWG/97/2, 14 avril 1997, para. 12 et 22). Les chiffres cités semblent se situer dans une « moyenne » mais d’autres sources en mentionnent de légèrement différents : par exemple, Zarko Papic, « Economic Reconstruction of Bosnia and Herzegovina and Cooperation in the Balkans » (275 000 morts), in Stefano Bianchini & Milica Uvalic, The Balkans and the Challenge of Economie Integration, Longo Editore Ravenna, 1997, 218 p. ; Actes du colloque L’ex-Yougoslavie en Europe : de la faillite des démocraties au processus de paix, p. 1 (300 000 morts), ou encore Unfinished Peace, op. cit., p. 7 (145 000).
21 Un exemple particulièrement révélateur est celui des télécommunications : il est très difficile en 1996 d’envoyer une simple lettre d’une entité à l’autre et complètement impossible de téléphoner, même parfois au sein de la même entité, entre les zones sous le contrôle de communautés différentes. Sur les dysfonctionnements du service public, cf. ICG, Rule of Law in Public Administration : Confusion and Discrimination in a Post-Communist Bureaucracy, op. cit.
22 Pour un bilan détaillé de la situation économique en Bosnie en 1996, cf. Nebojsa Vukadinovic, « La reconstruction de la Bosnie-Herzégovine – Aide internationale et acteurs locaux », Les Etudes du CERI, no 21, décembre 1996, Centre d’études et de recherches internationales, Fondation nationale des sciences politiques, Paris, pp. 4-13.
23 Bulletins de l’Union Européenne, 12-1995, para. 1.4.83 et 4-1996, para. 1.4.60.
24 Les estimations du HCR varient selon les documents. En avril 1996, cet organisme évaluait à plus de 1,3 million le nombre de réfugiés provenant de Bosnie-Herzégovine, dont 645 300 dispersés en ex-Yougoslavie (450 000 en RFY, 170 000 en Croatie, 19 000 en Slovénie, 6300 en Macédoine) et 686 533 en Europe ou en Amérique du Nord (dont 330 000 en Allemagne, 122 119 en Suède, 80 000 en Autriche, 23 000 aux Pays-Bas et 20 000 en Suisse), cf. UNHCR Information Notes, no 3-4/96, March/April 1996. Par la suite, le chiffre total de réfugiés ayant quitté la Bosnie au cours du conflit fut réévalué à 1,2 million, ce dernier tenant lieu de référence (HIWG/97/2, 14 avril 1997, para. 12). Le nombre de personnes déplacées fut toujours estimé aux alentours d’un million (idem, para. 22).
25 La Convention de 1951 (amendée par le Protocole de 1966) définit un réfugié comme « toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » et qui « se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays », article premier, Convention relative au statut des réfugiés, adoptée le 28 juillet 1951 et entrée en vigueur le 22 avril 1954.
26 UNHCR, Les réfugiés dans le monde, l’enjeu de la protection, La Découverte, Paris, 1993, p. 38.
27 Cf. S/1996/460, 21 juin 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 36.
28 L’exemple des magistrats est édifiant : profession particulièrement visée par le nettoyage ethnique, leur nombre a fortement décru au cours du conflit, beaucoup d’entre eux ayant quitté la Bosnie. Ceux-là ne sont pas pressés de rentrer dans un pays où les salaires et les conditions de travail ne constituent pas un attrait. Pourtant, le nouvel Etat a justement besoin de magistrats de qualité pour permettre une vaste réforme du système judiciaire, cf. ICG, Rule iver Law : Obstacles to the Development of an Independent Judiciary in Bosnia and Herzegovina, 5 July 1999, pp. 13-14. Sur la réforme judiciaire, cf. infra, chapitre 8, section III.
29 Entretiens avec de jeunes gens en RS ou en Fédération en 1996, 1997 et 1998 qui ont, pour la plupart, exprimé le souhait de tenter leur chance ailleurs, au Canada, en Europe du Nord ou même dans les Etats voisins (Croatie, Slovénie, RFY).
30 OMRI Special Report, vol. 1, no 5, 6 February 1996.
31 La décision d’assumer l’administration de la ville à partir du 23 juillet 1994, pour une période maximale de deux ans, fut prise dans le cadre de la Politique Extérieure et de Sécurité Commune (PESC) de l’Union européenne (cf. Dollé, op. cit., p. 112). Les modalités de la coopération entre la Fédération et l’UE furent précisées dans un Mémorandum d’accord conclu le 5 juillet 1994 (cf. Bulletin de l’Union Européenne, 7/8 1994, point 1-3-2). En novembre 1995, l’accord sur la Fédération conclu en marge des négociations principales de Dayton réitérait le principe de l’administration de la ville par l’Union européenne jusqu’à la tenue d’élections, dont la date fut fixée au 31 mai 1996 au plus tard (Dayton Agreement on Implementing the Federation of Bosnia and Herzegovina, op. cit., Section I, « Mostar »).
32 La ville de Mostar fut dans un premier temps vidée de ses habitants serbes en 1992 (ceux-ci constituaient 19 % de la population totale avant le début du conflit), puis elle fut le théâtre de violents affrontements lors de la guerre croato-musulmane, qui aboutirent à une division de la ville en deux quartiers parfaitement isolés de part et d’autre de la rivière Neretva. La partition de la ville, symbolisée par la destruction par le HVO, le 9 novembre 1993, du vieux pont désormais célèbre, donna ainsi naissance à Mostar-ouest, « capitale » prospère de l’entité autoproclamée d’« Herceg-Bosna » et à Mostar-est, essentiellement peuplée de Musulmans et dans une situation économique précaire ; cf. Gabriel Topor, « Obstacles to Implementing the Peace », Transition, vol. 2, no 1, pp. 46-49 et Robert J. Donia, « A Test Case for the Muslim-Croat Federation », Transition, vol. 1, no 20, pp. 24-26.
33 Cf. Patrick Moore, « A Tale of Two Crises », OMRI Special Report, vol. l, no 6, pp. 1-2.
34 Agreed Measures, Rome, 18 February 1996 (document disponible sur www.ohr.int/docu/d960218a).
35 Le maire musulman de Mostar démissionna aussi à la suite de la Conférence de Rome. La décision de H. Koschnick de quitter son poste fut apparemment en partie motivée par son amertume à l’égard des représentants de l’Union européenne et du Groupe de contact, qui satisfirent les desiderata de ceux-là mêmes qui l’avaient agressé. Cf. Michael Mihalka, « International Failure in Mostar », Transition, vol. 2, no 14, pp. 44-46 ; idem, « Mostar, the Muslim-Croat Federation and Bosnia », Security Dialogue, vol. 27, no 4, December 1996, pp. 489-490 ou encore Daria Sucic, « The Disunited Colors of Mostar », Transition, vol. 2, no 14, pp. 41-43.
36 Agreed Measures, Rome, op. cit., para. 5.
37 Procedures and Guidelines for Parties for the Submission of Cases to the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia under the Agreed Measures of 18 February 1996, « Rules of the Road » (cf. OHR information note, Domestic War Crimes Trials and Exhumations, www.ohr.int/humanrights/dwct).
38 Sur ce point, cf. infra, chapitre 8, section III. Le Bureau du procureur fut établi à Sarajevo le 21 août 1996 (S/1996/1017, 9 décembre 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 28).
39 D’aucuns virent aussi dans cette convocation, moins d’une semaine avant une réunion du Groupe de contact prévue à Moscou, une manœuvre de la part du Secrétaire d’Etat américain pour diminuer l’importance de la rencontre de Moscou, cf. Carl Bildt, Peace Journey, The Struggle far Peace in Bosnia, Weidenfeld and Nicolson, Orion Publishing Group, London, 1998, p. 203.
40 Agreed Measures on Dayton Accords Compliance, Geneva, 18 March 1996, document disponible sur www.ohr.int/docu/d960318a.
41 S/1996/244, Accord relatif à la Fédération de Bosnie-Herzégovine, Sarajevo, 30 mars 1996. Pour les réactions, cf. OMRI Special Report, vol. 1, no 13, 2 April 1996. L’écrivain bosnien Gojko Berić, cité dans un article de ce numéro, résuma à cette occasion le sentiment de lassitude général en comparant la Fédération à un mythe : « [the Federation] is like the Madonna at Medguroje. She appears rarely to the true believers but never to the rest of us » (Medguroje est un lieu de pèlerinage en Herzégovine, célèbre pour ses apparitions de la Vierge).
42 Ce dernier se trouve d’ailleurs aussi être le commandant en chef des troupes américaines en Europe (et donc de celles participant à l’IFOR).
43 S/1995/1031, 13 décembre 1995, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, titre II.
44 Accord de Dayton, annexe 1-A, article I.
45 Programme initié en 1994, le Partenariat pour la paix instaurait une collaboration militaire technique entre l’OTAN et des Etats européens non membres souhaitant intégrer les instances atlantiques après l’effondrement du Pacte de Varsovie. Loin de constituer une procédure de « pré-admission », le Partenariat ouvrait plutôt une autre voie pour les Etats désireux de se rapprocher de l’OTAN, en instaurant une coopération pratique leur permettant, entre autres, de participer à des opérations militaires conjointes. L’expérience de l’IFOR, qui permettait de traduire dans la réalité cette coopération, fut cependant perçue par les Etats concernés comme un « test », qu’ils s’efforcèrent de passer avec brio. Sur les conséquences, cf. infra, conclusion, section II, § 1.
46 Cette question était l’un des points clés des préparatifs des négociations de Dayton, les négociateurs étant conscients de la nécessité absolue d’impliquer la Russie dans la force de mise en œuvre. Cf. Holbrooke, op. cit., pp. 206, 210, 212-213.
47 Gregory Schulte n’hésite pas à qualifier cette participation « d’un des éléments les plus positifs dans la relation générale OTAN-Russie », in « Former Yugoslavia and the New NATO », op. cit., p. 33. L’acte fondateur OTAN-Russie, signé le 27 mai 1997 par les Chefs d’Etat des pays membres de l’Alliance et le Président de la Fédération de Russie, définit le cadre d’un partenariat spécial entre ce pays et l’OTAN.
48 Cf. OTAN, Fiche d’information no 4, Le rôle de l’OTAN au service de la paix dans l’ex-Yougoslavie, avril 1997 ; Leurdijk, op. cit., pp. 106-107 ou Parish, Scott, op. cit., p. 21.
49 Nouvelles Atlantiques, no 2783, 16 janvier 1996.
50 S/1996/1066, 27 août 1996, Lettre adressée au Secrétaire général par le Secrétaire général de l’OTAN.
51 S/1996/210, 21 mars 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 3.
52 S/1996/83, 6 février 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 3.
53 S/1996/131, 26 février 1996, Troisième rapport sur les opérations de l’IFOR, para. 1.
54 Nouvelles Atlantiques, no 2785, 24 janvier 1996.
55 S/1996/131, 26 février 1996, Troisième rapport sur les opérations de l’IFOR, para. 8. Cf. aussi S/1996/49, 23 janvier 1996, Deuxième rapport sur les opérations de l’IFOR, para. 6-10.
56 Accord de Dayton, article IX, alinéa 1, c.
57 OMRI Special Report, vol. 1, no 1, 9 January 1996. Entre le 27 et le 29 janvier 1996 cependant, plus de 500 prisonniers furent libérés. A la date du 30 janvier, le CICR recensait encore 103 détenus (pour les trois parties), dont 63 pouvaient être soupçonnés de crimes de guerre ou contre l’humanité (OMRI Special Report, vol. 1, no 4, 30 January 1996). Or, l’accord de Dayton spécifiait que les parties pouvaient détenir de telles personnes dans l’attente d’un transfert éventuel au TPI (Accord de Dayton, article IX, alinéa 1, g).
58 C’est le Haut représentant qui obtint finalement gain de cause le 5 avril 1996 en recourant à cette occasion à la menace de ne pas réunir la Conférence de donateurs prévue pour les 12 et 13 avril 1996. L’obtention par les autorités civiles de résultats est assez rare dans l’histoire de la mise en œuvre de l’accord de Dayton en 1996-97 pour être mentionnée…
59 Sur les promesses, cf. supra, même chapitre, section I, § 1. Sur le retrait, cf. S/1996/375, 24 mai 1996, Sixième rapport sur les opérations de l’IFOR, para. 5. Les Etats-Unis, qui avaient fait de leur départ une condition au déclenchement du plan « Train and Equip », annoncent quant à eux le 26 juin, lors de la réunion du G-7 à Lyon, que le gouvernement bosniaque a mis fin à ses liens avec l’Iran (OMRI Special Report, vol. 1, no 26, 2 July 1996).
60 Dès le mois de juillet 1996, des journaux américains relancent le débat et font état de la présence de plusieurs centaines de combattants iraniens, qui formeraient une garde privée pour le président Izetbegović, cf. The Washinghlon Post, 7 July 1996, cité dans OMRI Special Report, vol. 1, no 27, 9 July 1996.
61 ICG, Is Dayton Failing ? Bosnia Four Years after the Peace Agreement, Sarajevo, 28 October 1999, p. 4.
62 Cf. Deuxième et quatrième rapports sur les opérations de l’IFOR, S/1996/49, 23 janvier 1996, para. 8 et S/1996/215, 22 mars 1996, para. 6.
63 Il est estimé que 62 000 Serbes quittèrent Sarajevo entre décembre 1995 et mars 1996, pour trouver refuge en Republika Srpska (à Brčko notamment) ou en RFY, cf. UNHCR Information Note, no 3-4/96, March/April 1996.
64 OMRI Special Report, vol. 1, no 11, 19 March 1996.
65 Nouvelles Atlantiques, no 2800, 16 mars 1996 et S/1996/215, 22 mars 1996, Quatrième rapport sur les opérations de l’IFOR, para. 6.
66 Accord de Dayton, annexe 1-A, article IV, alinéa 5.
67 Selon les sixième et septième rapports sur les activités de l’IFOR, « aucune des parties n’a[vait] pleinement respecté les exigences liées au jour J+120 » en matière de démobilisation (S/1996/375, 24 mai 1996, para. 5) et celle-ci ne « devrait pas être achevée avant le jour J+270 » (S/1996/465, 24 juin 1996, para. 5). Sur la situation économique, cf. le numéro spécial de War Report, no 51, May 1997, « Reconstruction of Bosnia », pp. 19-44.
68 Nouvelles Atlantiques, no 2841, 15 août 1996.
69 Opération « Volcano », S/1996/783, 25 septembre 1996, Dixième rapport sur les opérations de l’IFOR, para. 7.
70 Conférence de presse du 22 avril 1996, in Nouvelles Atlantiques, no 2810, 24 avril 1996.
71 Carl Bildt rend compte de cet état d’esprit dans son ouvrage lorsqu’il explique qu’à la même époque, en avril 1996, on lui fit clairement comprendre depuis Washington qu’il devait « accentuer le côté positif des choses », les signaux négatifs provenant des acteurs civils commençant à irriter la Maison-Blanche, cf. Bildt, op. cit., p. 204.
72 Garde, « La Bosnie avant et après les Accords de Dayton », op. cit., p. 111.
73 A ce titre, il est intéressant de relever une expression utilisée par les autorités de l’IFOR, faisant état de la « matérialisation de la frontière inter-ethnique », pour le moins révélatrice de la conception de la mission de l’OTAN, S/1996/131, 26 février 1996, Deuxième rapport sur les opérations de l’IFOR, para. 1.
74 Cf. différents articles sur ce sujet : Susan L. Woodward, « The United States Leads, Europe Pays », op. cit., pp. 12-16 ; Jane Sharp, « Coming Soon : IFOR-Lite », War Report, no 42, p. 9 ; Asim Metiljevic, « Divided We Stand », War Report, no 40, April 96, pp. 3-9 ; Garde, « La Bosnie avant et après les Accords de Dayton », op. cit., pp. 107-114.
75 Accord de Dayton, annexe 1-A, article VI, alinéa 3.
76 Cf. sur ce point Holbooke, op. cit., pp. 215-223 et Bildt, op. cit., p. 117.
77 Sur ce point, cf. entre autres Crocker & Hampson, op. cit., p. 59.
78 Nouvelles Atlantiques, no 2785, 24 janvier 1996.
79 Nouvelles Atlantiques, no 2785, op. cit., et no 2786, 26 janvier 1996. Cf. aussi A/51/292 – S/1996/665, 16 août 1996, Troisième rapport du TPI, para. 76.
80 En 1996, ni la RFY, ni la Croatie, ni la Republika Srpska, ni la partie croate de Bosnie n’arrêtèrent, pour les transférer à La Haye, de personnes inculpées par le TPI (cf. infra, chapitre 8, section II, § 3). Au contraire, le manque de coopération de ces différents acteurs fut dénoncé par le Président du Tribunal dans ses rapports annuels couvrant la période étudiée (A/51/292 – S/1996/665, 16 août 1996, para. 168-171 et A/52/375 – S/1997/729, 18 septembre 1997, para. 133-136).
81 Sur ce point cf. infra, même chapitre, section III.
82 Nouvelles Atlantiques, no 2792, 16 février 1996.
83 Déclaration de presse de l’OTAN après la signature du mémorandum, 9 mai 1996, in Nouvelles Atlantiques, no 2816, 15 mai 1996, p. 3.
84 Cf. notamment Gaeta, « Is NATO Authorized or Obliged to Arrest Persons indicted by the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia ? », op. cit., pp. 174-181.
85 Cf. notamment John R. W. D. Jones, « The Implications of the Peace Agreement for the International Criminal Tribunal », European Journal of International Law, vol. 7, no 2, p. 239 et Figa-Talamanca, « The Role of NATO in the Peace Agreement for Bosnia and Herzegovina », op. cit., pp. 164-175.
86 Cf. Mirko Klarin, « Goldstone Goes Loudly », War Report, no 46, p. 10. Dès le printemps 1996, R. Goldstone déplorait la passivité de l’IFOR, cf. Prosecuting War Criminals, Lecture given on 6 June 1996, The David Davies Memorial Institute of International Studies, Occasional Paper, no 10, August 1996, pp. 12-13 : « Perhaps a cause for even deepest regret has been the failure of some of the bodies charged with implementing the Dayton Agreement to cooperate to the fullest extent possible with the Tribunal. »
87 Richard Goldstone, « War Crimes : A Question of Will », The World Today, vol. 53, no 4, p. 106 et Prosecuting War Criminals, ibid.
88 OMRI Special Report, vol. 1, no 6, p. 1, 13 février 1996 et Nouvelles Atlantiques, no 2796, 1er mars 1996.
89 Révélations parues dans le Boston Globe en octobre 1996 et reprises par OMRI Special Reports, vol. 1, no 44, 5 November 1996. Sur ce point, cf. aussi A/52/375 – S/1997/729, 18 septembre 1997, Quatrième rapport du TPI, para. 134.
90 OMRI Special Reports, vol. 1, no 44, 11 November 1996.
91 Ainsi le New York Times rapporta le 8 novembre 1996 que Radovan Stanković, recherché par le TPI, alla de lui-même porter plainte auprès de l’IPTF pour harcèlement de la part de la police bosniaque : il aurait en outre affirmé avoir passé des barrages de l’IFOR sans problème (cité par John Efferman, « Smoke Gets in Your Eyes », War Report, no 48, January-February 1997, p. 10). Le même événement est aussi décrit dans le rapport du TPI A/52/375 – S/1997/729, 18 septembre 1997, para. 135.
92 Il suffisait de passer quelques jours en Republika Srpska en 1996 pour prendre la mesure du soutien populaire accordé à R. Karadžić, dont le visage apparaissait sur les posters électoraux, pourtant interdits, qui fleurissaient sur chaque mur. Quant à R. Mladić, de simples opérations de l’IFOR dans la région où il se trouvait pouvaient déclencher l’alerte militaire au sein des troupes de la RS ou même parmi les civils serbes, comme ce fut le cas les 6 et 7 juillet 1996, cf. Nouvelles Atlantiques, no 2833, 10 juillet 1996.
93 Le constat du rapporteur spécial de l’ONU sur ce point est sans appel : dans un rapport sur les élections, elle évoque en juillet 1996 « l’absence de liberté de circulation qui existe en fait », E.CN/4/1997/5, 17 juillet 1997, para. 17.
94 Nouvelles Atlantiques, no 2810, 24 avril 1996. Les rapports de l’IFOR font plutôt référence à des « préoccupations » en la matière (S/1996/215, para. 6, S/1996/315, para. 3, S/1996/600, para. 4, S/1996/696, para. 5, S/1996/783, para. 10, S/1996/880, para. 6, S/1996/970, para. 7, S/1996/1066, para. 6).
95 Cf. Rapports sur les opérations de l’IFOR, S/1996/375, S/1996/465, S/1996/696, entre autres.
96 Cf. S/1997/468, 16 juin 1997, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 5-6 ; S/1997/602, 31 juillet 1997, Rapport sur les opérations de la SFOR, para. 10-11 et PC.DEL/65/97, 9 October 1997, Remarks to the OSCE Permanent Council by Elisabeth Rehn, Vienna, 9 October 1997, p. 3.
97 Accord de Dayton, annexe 1-A, article VI, para. 3, alinéas d et c.
98 UNHCR Information Notes, no 2 (February 1996) et 3 (March 1996).
99 S/1996/970, 22 novembre 1996, Douzième rapport sur les opérations de l’IFOR, para. 8.
100 S/1996/783, Dixième rapport sur les opérations de l’IFOR, 25 septembre 1996, para. 11.
101 Pour le détail de ces arrangements, cf. infra, chapitre 6, section I, § 2.
102 S/1996/696, Neuvième rapport sur les opérations de l’IFOR, 27 août 1996, para. 1.
103 Résolution 1031 du Conseil de Sécurité, 15 décembre 1995, para. 30; S/1995/1029, Conclusions of the Peace Implementation Conference, London, 8-9 December 1995, para. 14 ; S/1996/131, 26 février 1996, Troisième rapport sur les opérations de l’IFOR, para. 11.
104 S/1996/210, 21 mars 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 5. Et encore, plus de la moitié de ces 400 hommes avaient été redéployés à la suite de l’expiration du mandat de la mission des Nations Unies en Croatie (ONURC) en attendant que les Etats mettent d’autres policiers à la disposition de l’ONU, S/1995/1031, 13 décembre 1995, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 26. Cf. aussi sur le déploiement S/1996/83, 6 février 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 17.
105 Dès février 1996, et jusqu’à l’été, les rapports sur l’IFOR mentionnent la nécessité de déployer rapidement les effectifs de l’IPTF au complet. Le Haut représentant soulève lui aussi le problème dans son rapport de mars 1996 (S/1996/190, 14 mars 1996, para. 77).
106 S/1996/820, 1er octobre 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 8.
107 Dans le même temps, l’IFOR déployait ses 60 000 hommes et l’OSCE, qui n’avait jamais organisé de supervision électorale, mettait en place une mission comprenant 233 membres à long terme et 1200 superviseurs à court terme, sans pour autant s’illustrer par des retards similaires.
108 Pour les problèmes généraux rencontrés par les Nations Unies dans les opérations de maintien de la paix, cf. A/55/301 – S/2000/809, 21 août 2000, Rapport du Groupe d’étude sur les opérations de maintien de la paix de l’Organisation des Nations Unies.
109 Cf. S/1997/1009, 24 décembre 1997, Rapport intérimaire du Secrétaire général sur les arrangements relatifs aux forces de maintien de la paix.
110 S/1997/1009, op. cit., para. 5. Au ler juin 1999, 59 000 hommes étaient mis à disposition pour des activités « opérationnelles » (42 000 autres étaient disponibles pour des activités de « soutien » telles que les communications, le transport, l’ingénierie, les services médicaux). Sur ce nombre, seuls 1500 étaient des policiers, soit à peine plus de 1 % du total. Données obtenues sur : Monthly Status Report, UN Standby Arrangements, DPKO Data, site Internet www.un.org. Par ailleurs, si le chiffre global est loin d’être négligeable, il doit aussi être relativisé, notamment parce qu’il ne s’agit en quelque sorte que de « promesses de dons », qui ne seront pas systématiquement mises en œuvre le moment venu. D’autre part, et à titre de comparaison, l’OTAN a déployé en Bosnie 60 000 soldats en 1996 et plus de 50 000 au Kosovo en 1999 (alors que 30 000 étaient toujours en Bosnie). La FORPRONU en Bosnie a pu compter, elle, jusqu’à 40 000 membres, alors que la composante militaire de l’APRONUC au Cambodge, au même moment, comptait environ 16 000 personnes.
111 L’OTAN, par contraste, avait préparé le mandat et les modalités de l’IFOR dès avant les négociations de paix. Cf. Neville-Jones, op. cit., p. 49.
112 S/1995/1031,13 décembre 1995, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 21-23.
113 S/1996/83, 6 février 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 17. Il s’agissait alors d’Iqbal Riza, remplacé en février 1997 par Kai Eide (S/1997/224, 14 mars 1997, para. 2), puis en janvier 1998 par Elisabeth Rehn (S/1998/227, 12 mars 1998, para. 2) et en août 1999 par Jacques-Paul Klein (S/1999/989, 17 septembre 1999, para. 2).
114 C’est le constat auquel parviennent les rapporteurs du Groupe d’étude sur les opérations de maintien de la paix de l’Organisation des Nations Unies, cf. A/55/301 – S/2000/809, 21 août 2000, op. cit., section III, para. 84-126.
115 ICG, The International Police Task Force (IPTF), 19 March 1996, 3 p.
116 S/1996/210, 21 mars 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 7 et 8.
117 Au 15 mars 1996, sur 618 membres, 67 (donc plus de 10 %) avaient dû être rapatriés pour cause d’échec au test de conduite ou de non-maîtrise de la langue de travail (anglais).
118 S/1996/460, 21 juin 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 12.
119 S/1996/190, 14 mars 1996, Rapport du Haut représentant, para. 77, S/1996/460, 21 juin 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 7 et S/1996/1012, 6 December 1996, London Peace Implementation Conference, para. 77 (notre traduction).
120 Sur le Cambodge, cf. Steven Ratner, The New UN Peacekeeping, St Martin’s Press, New York, 1995, p. 195 et Doyle, op. cit., p. 63.
121 S/1996/210, 21 mars 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 16-21.
122 S/1996/1017, 9 décembre 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 10 : le Secrétaire général note laconiquement : « la restructuration de la police de la Republika Srpska n’a pas encore débuté ».
123 L’accord-cadre, dit de Bonn-Petersberg, fut ainsi signé le 25 avril 1996, précisant les modalités et le calendrier de la restructuration (cf. S/1996/460, 21 juin 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 14, pour l’annonce de l’accord sur le calendrier et www.ohr.int/docu/d960425b.ht pour le texte de l’accord). Il appartenait ensuite à chaque canton de négocier pour le mettre en œuvre, puisque la Fédération de Bosnie-Herzégovine est constituée de 10 cantons aux prérogatives étendues comprenant, entre autres, l’organisation des forces de police. (Sur la Constitution de la Fédération du 14 mars 1994, cf. Dollé, op. cit., pp. 101-164 – en raison des modifications territoriales survenues à la fin du conflit, un nouvel accord fut conclu établissant, entre autres, le changement du nombre de cantons, Accord relatif à la Fédération de Bosnie-Herzégovine, 30 mars 1996).
124 S/1996/1017, 9 décembre 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 9.
125 Le thème majeur de la campagne électorale de 1996 fut effectivement l’impossible cohabitation entre les différents groupes, la menace que représentaient les « autres » et, en conséquence, la protection que seuls les partis nationalistes étaient censés être en mesure d’apporter aux membres de leur propre communauté. De tels programmes électoraux se déclinent plus facilement dans un climat de terreur et d’insécurité. Cf. infra, chapitre 6, section I, § 1.
126 S/1996/820, 1er octobre 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 7 : B. Boutros-Ghali écrit lui-même : « la campagne électorale fut émaillée d’incidents imputables aux partis au pouvoir, qui ont fait abusivement appel aux forces de l’ordre. Dans les zones tenues par les Serbes et les Croates, les Bosniaques qui cherchaient à faire campagne ont été empêchés de le faire, les partis d’opposition ont été soumis à des harcèlements, parfois accompagnés de violence, et leurs partisans ont été ouvertement menacés par les autorités locales et par les cadres des partis au pouvoir. Dans les zones contrôlées par les Bosniaques, le harcèlement des opposants politiques par des partisans du parti bosniaque au pouvoir, le SDA, a été signalé à diverses occasions ». Dans un autre rapport, il écrit : « la plupart des violations des droits de l’homme enregistrées en Bosnie-Herzégovine (jusqu’à 70 % suivant certaines estimations) sont imputables aux propres forces de police des Entités », S/1996/1017, 9 décembre 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 15.
127 Cette révocation figure dans la décision arbitrale de la Sous-commission électorale d’appel exigeant du SDA, reconnu responsable, l’annonce publique du remplacement du chef de la police, parmi d’autres sanctions. Cf. PEC, Bilten, Broj 3, October 1996, EASC Judgement, Case no 96-20 B, 3 September 1996, p. 63. La Sous-commission d’appel (Election Appeals Sub-Commission, EASC), composée de juges internationaux et locaux, est un organe créé en 1996 par la PEC (Provisional Election Commission Election, elle-même composée de représentants des entités et des organisations internationales) afin de statuer sur les violations des règles électorales (cf. Provisional Election Commission, Rules and Regulations for 1996 Elections in Bosnia and Herzegovina, article 137).
128 PEC, 1996 Rules and Regulations, article 141.
129 OMRI Special Report, vol. 1, no 30 (30 July 1996) et no 35 (3 September 1996). Dans ce dernier cas, les policiers ne furent libérés qu’après intervention de l’IFOR, qui dut relâcher 65 personnes dont l’arrestation (pour avoir tiré sur des déplacés tentant de reconstruire leur maison) avait entraîné la prise d’otages. Etrangement, le rapport sur les activités de l’IFOR qui couvre cette période (S/1996/783, 25 septembre 1996) ne fait pas mention de l’événement.
130 S/1996/820, 1er octobre 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 8.
131 Sur l’IFOR, cf. supra, même chapitre, section II, § 3.
132 S/1996/1017, 9 décembre 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 52. La réduction des points de contrôle fit pourtant régulièrement l’objet d’annonces optimistes, notamment de la part de l’IFOR qui jouait sur la différence entre points de contrôle fixes ou mobiles, légaux ou illégaux. Leur non-démantèlement et la réalité des entraves qu’ils constituaient furent démontrés a posteriori par la mise en œuvre d’une politique commune entre la SFOR et l’IPTF au printemps 1997 (cf. infra, chapitre 7, sections I et II).
133 Cf. UNHCR Information Notes, no 6/7 (June/July 1996) et 8-9 (August-September 1996).
134 « Upon their brief return to territories controlled by one of the other nationalities, refugees and displaced persons are increasingly subject to arbitrary police controls, open discrimination, expulsions, arbitrary detention, and violence », ICG Report, Elections in Bosnia and Herzegovina, 13 August 1996, p. 4. Le constat est le même du côté du HCR : « There is no active process on the part of the police forces throughout Bosnia and Herzegovina to seriously address human rights abuses and pursue those who perpetuate them. In some areas, police are involved in human rights violations », UNHCR, Analysis of Compliance/Non-Compliance of Chapter 1 of Annex 7 of the Peace Agreement (Covering Period 14 December 1995-14 September 1996), p. 4.
135 Il existait en effet dans certaines zones de la Fédération et en Republika Srpska des polices paramilitaires dites « spéciales » ou « brigades anti-terroristes », héritières des milices qui avaient proliféré au cours du conflit, cf. supra, même chapitre, section I, § 1.
136 S/1996/1017, 9 décembre 1996, Rapport du Secrétaire général de l’ONU, para. 12. A la suite de l’attaque d’un groupe de Musulmans dans un cimetière de Mostar-ouest, un rapport d’enquête de l’ONU concluait alors à l’implication des forces spéciales – et témoignait en cela de la persistance des réseaux : « It is clear that the Commissioner’s directive that the Special police be disbanded was not followed by the West Mostar police, in spite of claims to the contrary. […] The pictures of the assault on the procession to the cemetery on 10 February 1997 clearly show that many of these officers acted unlawfully », S/1997/204, 7 mars 1997, Letter dated 7 March 1997 from the Secretary-General addressed to the President of the Security Council, section « The West Mostar Special Police » du rapport préparé par l’IPTF.
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