Chapitre I. Un droit international en transformation
p. 230-238
Texte intégral
Section I – Droit de coexistence et droit de coopération
1Bien que les origines du droit international remontent sans doute à l’Antiquité2, il est loisible d’affirmer que les structures fondamentales de la société et du droit international contemporain se sont mises en place dans le courant du xviie siècle. L’étape probablement la plus marquante est la conclusion en 1648 des Traités de Westphalie qui reconnaissent la souveraineté religieuse de chaque Etat sur son territoire et consacrent la fin des prétentions du Saint-Empire Romain Germanique à exercer une autorité universelle en Europe. Les traités de Westphalie jettent les fondements juridiques de la société internationale moderne, une société composée d’Etats souverains et égaux qui n’acceptent plus au-dessus d’eux aucune autorité supérieure. Dans ce nouveau modèle d’organisation internationale, le droit des gens a pour fonction de définir des règles de conduite entre les Etats souverains et de délimiter leurs sphères de compétences respectives. Il constitue, pour reprendre le mot célèbre d’un auteur, un droit de coexistence3. Tant que ce droit se limite à une réglementation minimale de la coexistence, l’intérêt collectif n’y occupe qu’une place marginale : il consiste tout au plus à un intérêt de chacun à la préservation des fondements de l’ordre social.
2Le xixe siècle va élargir progressivement cette conception minimale de l’intérêt collectif. L’Acte final du Congrès de Vienne de 1815, en restaurant l’ordre ancien et en perpétuant l’alliance des monarques qui s’étaient coalisés contre la France révolutionnaire, puis contre Napoléon, consacre une forme d’intérêt commun au maintien de l’ordre monarchique en Europe. Les réunions périodiques les années suivantes du « concert européen » et les interventions militaires décidées contre les foyers révolutionnaires (Italie en 1821, Espagne en 1822) témoignent de la réalité de cet intérêt idéologique commun des princes européens. Les traités de Vienne de 1815 contiennent également pour la première fois certains engagements au sujet de la traite négrière, ce qui constitue une reconnaissance d’un autre intérêt (ou valeur) de nature collective. L’affirmation d’intérêts collectifs va croître considérablement au cours du xixe siècle, en même temps que s’établit une interdépendance croissante entre les Etats européens, interdépendance qui est alimentée par la révolution industrielle, le développement des moyens de communication et l’explosion des échanges internationaux de toute nature. Des traités multilatéraux sont conclus pour réglementer la coopération internationale, par exemple dans les domaines des télégraphes et des postes, des communications fluviales et ferroviaires, de la santé publique, de la protection des ressources naturelles (aux fins initialement d’assurer simplement leur exploitation durable), de la protection des blessés de guerre ou de la codification du droit de la guerre. Dans son ouvrage intitulé International Législation, Hudson recense 157 traités conclus entre 1864 et 1914 à des fins de collaboration dans des domaines d’intérêts communs4. Cette floraison des traités multilatéraux s’accompagne de développements institutionnels : les conférences deviennent périodiques ; des secrétariats sont créés pour régler des questions d’abord administratives, puis sont dotés de pouvoirs plus étendus ; progressivement, ce sont de véritables organisations internationales qui apparaissent, fondées sur un traité constitutif et dotées d’une personnalité juridique propre. Ces organisations internationales servent d’enceintes à leur tour à l’adoption de nouveaux traités multilatéraux sur des questions d’intérêt commun. Aux règles traditionnelles du droit de coexistence, de nature essentiellement coutumière, s’ajoutent donc désormais des traités et structures institutionnelles dont l’objectif est la coopération internationale5.
3Aujourd’hui, il n’existe guère de domaine des relations internationales où il n’existe aucune forme d’intérêt commun. Cet intérêt commun est cependant particulièrement évident dans certains secteurs, par exemple ceux du maintien de la paix internationale, de la sécurité humaine, des droits de l’homme, de la coopération au développement, de la sauvegarde de l’environnement naturel, des communications internationales, ou de la gestion des ressources et espaces communs (fonds marins échappant à la juridiction des Etats côtiers, ressources halieutiques de la haute mer, espace extra-atmosphérique, lune et autres corps célestes).
Section II – L’évolution de la structure de la règle de droit
§ 1er- Le modèle bilatéral classique
4On ne s’étonnera pas que l’objet et les finalités de la réglementation internationale aient influencé la structure de la règle de droit. Dans la conception traditionnelle, la norme de droit international est conçue par référence au traité bilatéral, c’est-à-dire comme un contrat visant à un échange de prestations entre deux parties sur une base de réciprocité : do ut des. Le schéma bilatéral s’applique aussi à la violation du droit : seul l’Etat directement affecté peut faire valoir la responsabilité internationale de l’Etat fautif. C’est la règle du chacun pour soi6.
5Cette conception de la structure de la règle de droit était parfaitement compréhensible dans un système international de coexistence, où l’intérêt commun était réduit à presque rien. En revanche, il est étonnant de constater que ce modèle bilatéral continua à être appliqué aux traités multilatéraux qui réglementèrent à partir du xixe siècle les domaines où s’affirmait une interdépendance croissante des Etats. Du point de vue de leur fonctionnement, ces traités furent analysés le plus souvent comme la jonction d’autant de traités bilatéraux qu’il y avait de paire d’Etats parties. En fait, la forme même du traité multilatéral ne s’est imposée que lentement7. Les premiers traités collectifs étaient des assemblages de traités bilatéraux. Les Traités de Westphalie, par exemple, furent négociés entre deux groupes d’Etats réunis dans des villes distinctes. L’Acte final du Congrès de Vienne de 1815 est généralement considéré comme le premier traité collectif. En réalité, il n’était cependant qu’un cadre général rassemblant dans le même document la série de traités bilatéraux conclus entre les participants au Congrès. Ce n’est que dans la seconde moitié du xixe siècle que s’imposa définitivement l’idée d’un instrument juridique unique, dont on confia l’exemplaire original à un Etat dépositaire.
6Ainsi, dans cette conception traditionnelle, la règle de droit demeure confinée dans un moule bilatéral, même lorsqu’elle découle du droit international coutumier ou d’un traité multilatéral : les obligations qui en découlent sont dues non pas urbi et orbi, mais dans chaque cas à l’égard d’un Etat déterminé ; seul cet Etat est légitimé à faire valoir la violation de l’obligation internationale. En d’autres termes, le contenu de la règle de droit est décomposé en une série de droits et obligations réciproques entre des paires d’Etats8.
§ 2 – Vers un intérêt universel au respect de la légalité ?
7Si cette conception bilatéraliste du droit international a été longtemps dominante, elle n’était cependant pas aussi absolue qu’on veut parfois le prétendre. Selon Redslob, dès l’Antiquité, il arrivait que des peuples ou cités « tiers » protestent en cas d’atteinte au principe de l’inviolabilité des ambassadeurs « élevant ainsi le caractère sacro-saint des envoyés diplomatiques au rang d’une question d’intérêt commun sur laquelle tous les Etats doivent veiller de concert9. » Tite-Live rapporte ainsi qu’après que des parents du roi des Sabins, Tatius, eurent maltraité grossièrement les ambassadeurs de la cité de Laurente, des messagers d’autres cités intervinrent, dénoncèrent cette violation du droit des gens et menacèrent les coupables de guerre s’ils ne fournissaient pas satisfaction10. Dans le même esprit, Grotius et Vattel estiment qu’un souverain a le droit de punir des violations graves du droit des gens même s’il n’est pas directement affecté. Ils justifient un tel droit par des arguments relevant du droit naturel, mais aussi par le souci de ne pas laisser impunis des comportements qui affectent la crédibilité et la stabilité de l’ordre juridique international11.
8C’est cependant seulement au xxe siècle que se répand dans la doctrine l’idée d’un intérêt de tous au respect de la légalité internationale, ou du moins au respect de certains principes fondamentaux de l’ordre juridique international. Parmi les internationalistes qui ont le plus contribué à affranchir le droit international du carcan du bilatéralisme, le juriste américain Philipp Jessup occupe sans doute une place de premier rang. Sa pensée à ce sujet est définie pour la première fois dans A Modern Law of Nations, un ouvrage achevé en 1947, au lendemain d’une guerre qui avait profondément affecté la crédibilité du droit international. Dans cet ouvrage qui suscita un fort intérêt bien au-delà des cercles traditionnels spécialisés12, Jessup propose une sorte de « plan Marshall » de reconstruction du droit international autour de l’intérêt communautaire. L’éminent juriste américain y appelle expressément à une reconnaissance de l’intérêt de tous au respect de la légalité :
[...] there must be basic recognition of the interest which the whole international society has in the observance of the law. Breaches of the law must no longer be considered the concern of only the state directly and primarily affected13.
9Ce souhait est formulé apparemment pour l’ensemble du droit international, et se place donc clairement dans une perspective de lege ferenda. Cependant, Jessup affirme dès 1947 que tout Etat partie à certains traités multilatéraux peut intenter une actio popularis devant la Cour internationale de Justice, ce qui est une sorte de préfiguration de la position qu’il défendra une quinzaine d’années plus tard en tant que juge à la Cour internationale de Justice dans ces célèbres opinions de l’affaire du Sud-Ouest africain :
The acceptance of the hypothesis of community interest would require an acknowledgement of the right of any state to take cognizance of a breach of a treaty even if not directly affected by the breach. This is probably true under existing international law with reference to a multipartite treaty, any party to which would be justified in protesting against a breach of the agreement, because of its interest in the maintenance of the system which the treaty establishes. This would be clearly true in regard to a breach of an international sanitary convention, a postal convention, a convention on radio, or particularly a treaty codifying some part of international law. [...] If the state directly affected should take no step to vindicate its rights, another party to the treaty might itself apply to the Court14.
10L’opposition dessinée par Jessup entre le bilatéralisme traditionnel et la protection de l’intérêt communautaire a fait l’objet par la suite d’une attention croissante de la doctrine15. De fait, l’actio papillaris n’est qu’un instrument parmi d’autres pour assurer une meilleure protection des intérêts communs. D’autres concepts ou techniques juridiques du droit international contemporain ont été développés dans la même finalité :
Des normes protégeant des intérêts communs ont été soustraites à la libre disposition des Etats. C’est le cas, par exemple, des conventions en matière de droit international humanitaire qui interdisent aux Etats parties de conclure entre eux des arrangements limitant la protection garantie16 ;
Des formes de hiérarchisation ont été développées au sein de l’ordre juridique international au moyen principalement du concept de jus cogens, mais aussi d’autres techniques juridiques, telles que celle de l’article 103 de la Charte des Nations Unies17 ;
Certains espaces géographiques ou certains biens ont été déclarés res communes omnium, par exemple en les définissant comme un « patrimoine commun de l’humanité ». C’est le cas de la lune et des autres corps célestes (articles 4 et 11 § 1 de l’Accord de 1979) ainsi que des fonds marins au-delà des limites de la juridiction nationale des Etats côtiers (article 136 de la Convention de 1982 sur le droit de la mer18) ;
Il a été suggéré de sanctionner plus sévèrement les violations les plus graves du droit international en introduisant une distinction entre délits et crimes (c’est la voie explorée un temps par la Commission du droit international sur l’initiative de son deuxième Rapporteur spécial sur la responsabilité des Etats, Roberto Ago19) ;
Enfin, il est reconnu de plus en plus largement – sur la base notamment du concept d’obligations erga omnes – que tous les membres d’une collectivité doivent être autorisés à agir individuellement pour assurer le respect des normes protégeant des intérêts collectifs (par exemple en exigeant la cessation d’un fait illicite par le biais des canaux diplomatiques bilatéraux, en portant la question devant un organe judiciaire ou politique, ou en exerçant des contre-mesures20).
11L’actio popularis n’est donc qu’un aspect d’une évolution plus profonde du droit international contemporain et de ses finalités. Cela étant, l’intérêt universel au respect de la légalité que Jessup appelait de ses vœux au lendemain de la Seconde Guerre mondiale continue à relever du domaine de la lex ferenda. Un intérêt de tous au respect du droit n’existe que par rapport à des catégories spécifiques d’obligations internationales.
§ 3 – Des transformations partielles et inachevées
12Si l’intérêt universel au respect de la légalité n’existe pas, c’est parce que le droit international conserve une forte dimension bilatérale. Aujourd’hui encore, la grande majorité des traités conclus chaque année le sont entre deux Etats. De plus, une partie des règles du droit international général et du droit conventionnel multilatéral continuent à être interprétées à travers la lunette du bilatéralisme. Comme le soulignait un auteur :
One must not forget that traditionally patterned, bilateralist international law still constitutes the basis on which the new developments are taking shape – and a rather pertinacious basis at that21.
13Cette constatation est vraie également si l’on s’intéresse aux mécanismes de mise en œuvre du droit international. Les procédures de règlement des différends, par exemple, sont encore souvent construites sur un modèle bilatéral, même lorsqu’elles doivent s’appliquer à des règles protégeant des intérêts communautaires. De manière générale, on constate un décalage au sein du droit international contemporain entre les progrès accomplis sur le plan normatif et ceux – nettement plus faibles – réalisés dans le domaine institutionnel. L’apparition de nouveaux concepts normatifs n’a pas été accompagnée des développements des institutions internationales auxquels on aurait pu s’attendre.
14De même qu’il serait faux de penser que le droit bilatéral a été purement et simplement remplacé par un droit communautaire, de même il serait erroné de croire que des domaines entiers des relations internationales relèvent exclusivement de l’une ou de l’autre de ces deux catégories22. En réalité, dans presque tous les domaines du droit, il y a plusieurs méthodologies juridiques à l’œuvre simultanément. En ce sens, le droit international ressemble moins à une montagne composée de strates rocheuses distinctes qu’au delta d’un fleuve où les alluvions s’accumulent et se mélangent année après année.
15Enfin, une dernière note de prudence doit être émise. Même dans les domaines où le droit international est manifestement inspiré par l’intérêt communautaire, cela n’exclut pas pour autant toute forme de réciprocité. En matière de droits de l’homme, par exemple, il est fréquent d’utiliser la terminologie d’obligations « absolues » ou « objectives » par opposition à d’autres obligations fondées clairement sur la réciprocité. Cette présentation est cependant trompeuse. Certes, les normes de protection des droits de l’homme sont inspirées davantage par l’existence d’intérêts (ou de valeurs) collectives que par l’idée d’un échange réciproque de prestations. On sait aussi que le non-respect d’un traité relatif aux droits de l’homme n’autorise pas les autres parties à violer à leur tour ledit traité23. Cela étant, même dans le domaine des droits de l’homme, la réciprocité n’est pas complètement absente. En général, les Etats n’acceptent de devenir partie à un traité en matière de protection des droits de l’homme qu’en sachant que d’autres Etats ont déjà fait de même ou vont le faire. Il s’agit pour les uns de donner l’exemple, pour les autres de montrer qu’on est prêt à respecter certaines règles. Tout processus de ratification d’un traité contient donc une forme inhérente de réciprocité. Cela explique probablement que tant la Cour internationale de Justice que la Cour européenne des droits de l’homme se sont gardées d’exclure complètement toute réciprocité dans le fonctionnement des normes de protection des droits de l’homme24.
Notes de bas de page
2 Sur les origines du droit international, voir notamment : A. Nussbaum, A Concise History of the Law of Nations, New York, 1954 ; R. Ago, « Les premières collectivités interétatiques méditerranéennes », in : Mélanges offerts à Paul Reuler, Paris, 1981, p. 9-34 ; W.G. Grewe, Epochen der Völkerrechtsgeschichte, 2e éd., Baden-Baden, 1988 ; A. Truyol y Serra, Histoire du droit international public, Paris, 1995.
3 W. Friedmann, The Changing Structure of International Law, New York, 1964, p. 60.
4 Cité par P. Reuter, Introduction au droit des traités, 3e éd., Paris, 1995, p. 12.
5 Sur cette distinction classique entre droit de coexistence et droit de coopération, voir l’ouvrage précité de W. Friedmann, The Changing Structure of International Law, New York, 1964, p. 60-71. La mutation décrite par Friedmann avait déjà été mise en lumière avant lui par d’autres auteurs, notamment par W. Jenks dans The Common Law of Mankind, Londres, 1958, p. 17 : “[...] the emphasis of the law is increasingly shifting from the formal structure of the relationship between States and the delimitation of their jurisdiction to the development of substantive rules on matters of common concern vital to the growth of an international community and to the individual well-being of the citizens of its members”. Jenks, qui fut le Conseiller juridique de l’OIT, puis son Directeur général, accorde une attention particulière dans son ouvrage au phénomène des traités multilatéraux et des organisations internationales. Voir aussi l’article de M. Huber, “Koexistenz und Gemeinschaft : Völkerrechtliche Erinnerungen aus sechs Jahrzehnten”, ASDI, vol. 12, 1955, p. 11-33. Pour un approfondissement récent de la distinction entre droit de coexistence et droit de coopération, voir G. Abi-Saab, « Cours général de droit international public », RCADI, vol. 207, 1984, p. 319-323.
6 Prosper Weil (« Vers une normativité relative endroit international », RGDIP, vol. 86, 1982, p. 31) résume cette conception bilatérale traditionnelle du droit international par la formule suivante : « à chaque Etat de protéger ses propres droits ; nul n’a à se faire le champion des droits des autres. » Voir aussi B. Bollecker-Stern, Le préjudice dans la théorie de la responsabilité internationale, Paris, 1973, p. 50 ss.
7 A ce sujet, voir P. Reuter, Introduction au droit des traités, 3e éd., Paris, 1995, p. 14-15.
8 Voir, en ce sens, un rapport du Secrétaire général de l’ONU préparé en 1948 au sujet des réserves à la Convention sur le génocide dans lequel il est dit à propos des traités multilatéraux qui visent à un échange réciproque de prestations : “Such conventions, although multilateral in torni, are, in opération, simply a complex of bilateral agreement” (ONU Doc. A/1372, § 31-37 ; les italiques sont de nous).
9 R. Redslob, Histoire des grands principes du droit des gens, Paris, 1923, p. 81.
10 Cité par Redslob, loc. cit..
11 Selon Grotius, « Les Rois [...] ont le droit de punir non seulement les injures faites à eux ou à leurs sujets, mais encore celles qui ne les regardent point en particulier, lorsqu’elles renferment une violation énorme du Droit de la Nature ou de celui des Gens, envers qui que ce soit » (H. Grotius, De jure belli ac pacis, 1648, traduction de J. Barbeyrac, Amsterdam, 1724, vol. II, p. 613). Emer de Vattel va plus loin encore dans l’affirmation d’un intérêt commun aux membres d’une société : « Les lois de la société naturelle sont d’une telle importance au salut de tous les Etats, que si l’on s’accoutumait à les fouler aux pied, aucun peuple ne pourrait se flatter de se conserver et d’être tranquille chez lui [...]. Donc toutes les Nations sont en droit de réprimer par la force celle qui viole ouvertement les lois de la société que la nature a établie entre elles, ou qui attaque directement le bien et le salut de cette société. » (E. de Vattel, Le droit des gens ou Principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, Discours préliminaire, § 22 ; voir aussi livre I, chap. 23, § 283 et livre II. chap. 7, § 84). Dans la littérature du xixe siècle, des idées similaires ont été exprimées notamment par F. de Martens, Le droit international contemporain des peuples civilisés, vol. 1, 1895, p. 429 et C.J. Bluntschli, Das moderne Völkerrecht der rivilisierten Staaten als Rechtsbuch dargestellt, 8e éd., 1872, p. 264.
12 Ph. C Jessup, A Modem Law of Nations, New York, 1948. Oscar Schachter souligne que l’ouvrage a reçu un accueil particulièrement favorable, non seulement dans des journaux spécialisés, mais aussi – ce qui est beaucoup plus rare – auprès des médias à large diffusion. A l’époque de l’achèvement de l’ouvrage, Jessup avait déjà servi de conseiller juridique pour le Département d’Etat, notamment lors de la Conférence de San Francisco. Il sera nommé ensuite par le Président Truman à une série de hautes fonctions diplomatiques, eu particulier en 1948 à celle de représentant des Etats-Unis auprès du Conseil de Sécurité de l’ONU, et de 1949 à 1953 à celle de premier « Ambassadeur itinérant » avec pour mission de représenter son pays à des conférences ou négociations internationales (cf. O. Schachter, “Philip Jessup’s Life and Ideas”, AJIL, vol. 80, 1986, p. 882-889).
13 Ibid., p. 2.
14 Ibid., p. 154. Comme nous l’avons vu, Jessup reprenait en l’amplifiant une thèse déjà défendue par différents auteurs dès le xviie siècle (cf. supra note 11). C’était une thèse qu’avait également soutenue l’un des plus influents internationalistes américains du début du xxe siècle, Elihu Root. qui fut Secrétaire d’Etat, Secrétaire à la défense et le premier Président de l’American Society of International Law. C’est Root qui avait éveillé l’intérêt de Jessup lors de ses études pour le droit international. Dans une conférence donnée en 1915, Elihu Root affirmait qu’il était nécessaire de reconnaître en droit international – à l’instar de ce qui existe en droit interne – que les violations les plus graves affectent l’ensemble de la communauté et qu’en conséquence la faculté de réagir à leur encontre ne doit pas être limitée à l’Etat directement lésé : “[...] there must be a change in theory, and violations of the law of such a character as to threaten the peace and order of the community of nations must be deemed to be a violation of the right of every civilized nation to have the law maintained and a legal injury to every nation” (E. Root, “The Outlook for International Law: Opening Address”, Proc. ASIL, vol. 9, 1915, p. 9).
15 Parmi les nombreux auteurs utilisant cette distinction, voir plus particulièrement Sh. Rosenne, “Bilateralism and Community Interest in the Codified Law of Treaties”, in : W. Friedmann, L. Henkin & O. Lissitzyn (éd.). Transnational Law in a Changing Society: Essays in Honor of Philip C. Jessup, New York, 1972, p. 202-227 ; G. Gaja, “Obligations Erga omnes. International Crimes and Jus cogens: A Tentative Analysis of Three Related Concepts”, in : H. Weiler, A. Cassese & M. Spinedi (éd.), International Crimes of States: A Critical Analysis of th ILC’s Draft Article on State Responsibility, Berlin, 1989, p. 151-160 ; B. Simma, “Bilateralism and Community Interest in the Law of State Responsibility”, in : Y. Dinstein (éd.), International Law at a Time of Perplexity: Essays in Honour of Shabtai Rosenne, Dordrecht, 1989, p. 821-844 ; id., “From Bilateralism to Community Interest in International Law”, RCADI vol. 250, 1994-VI, p. 217-384.
16 1 Au sujet du caractère précurseur sur de nombreux points du droit international humanitaire, voir L. Condorelli, « Le droit international humanitaire comme laboratoire d’expérimentation juridique », in : Im Dienst an der Gemeinschaft : Festschrift für Dietrich Schindler, Bale, 1989, p. 193 ss.
17 Voir infra p. 256-260.
18 Sur la notion de patrimoine commun de l’humanité, voir l’étude récente de K. Baslar, The Concept of the Common Heritage of Mankind in International Law, La Haye, 1998 (ainsi que les ouvrages cités).
19 A ce sujet, cf. infra p. 306-318.
20 Voir infra p. 296-300.
21 B. Simma, “From Bilateralism to Community Interest in International Law”, RCADI, vol. 250, 1994-VI, p. 230.
22 Voir en ce sens G. Abi-Saab, « Cours général de droit international public », RCADI, vol. 207, 1984, p. 320.
23 Article 60 § 5 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. En dépit de la formulation quelque peu ambiguë de cette disposition, il résulte clairement des travaux préparatoires qu’elle s’applique non seulement aux traités relevant du droit humanitaire proprement dit, mais aussi aux traités relatifs à la protection des droits de l’homme. De manière similaire, le droit de la responsabilité prévoit que des contre-mesures ne doivent pas porter atteinte à des obligations concernant la protection des droits fondamentaux de l’homme (voir l’article 50 § 1 lit. b du projet d’articles de la CDI sur la responsabilité des Etats, in : ONU Doc. A/56/10/Supp. 10, p. 58).
24 Ainsi, dans son avis consultatif de 1951, la Cour internationale de Justice parle de l’intérêt commun inspirant la Convention sur le génocide, mais en prenant soin d’utiliser des termes nuancés qui n’excluent pas toute forme de réciprocité : « Dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’intérêt propre ; ils ont seulement tous et chacun un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que l’on ne saurait, pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages individuels des Etats, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les droits et les charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu de la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions qu’elle renferme » (Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, CIJ Recueil, 1951, p. 23 ; les italiques sont de nous). De même, dans l’affaire Irlande c. Royaume Uni, la Cour européenne des droits de l’homme déclare : « A la différence des traités internationaux de type classique, la Convention déborde le cadre de la simple réciprocité entre Etats contractants. En sus d’un réseau d’engagements synallagmatiques bilatéraux, elle crée des obligations objectives qui, aux termes de son préambule, bénéficient d’une “garantie collective” » (Série A, n° 25, 1978, p. 90-91 ; les italiques sont de nous). A ce sujet, voir supra, Partie II, p. 142.
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