XII. Présence du passé
p. 361-384
Texte intégral
Charles de Gaulle et les Allemands
1Depuis son enfance, Charles de Gaulle a l’Allemagne pour « compagne obsédante et menaçante1 ». Né en 1890 à Lille, Charles opte tôt pour la carrière des armes. Il étudie la langue allemande – obligatoire pour se présenter à l’École militaire de Saint-Cyr – et se rend en Allemagne pendant quelques semaines. C’est son premier voyage à l’étranger, à dix-sept ans. Il est notamment impressionné par l’ordre et le « courage au travail » du peuple allemand.
2Sans qu’il n’éprouve de haine envers ce pays, l’Allemagne est pour lui l’ennemie par excellence, l’adversaire à défier. Le jeune Charles croit inévitable que la France prenne sa revanche sur la défaite de 1870-1871, et qu’il y participera lui-même. Adolescent, il s’imagine déjà à la tête de l’armée française dans une campagne contre l’Allemagne2.
3Durant la Première Guerre mondiale, le lieutenant de Gaulle est blessé trois fois, puis laissé pour mort à Verdun, en 1916. Fait prisonnier et transféré dans des camps en Allemagne, il profite de sa captivité pour approfondir ses connaissances de la langue et de la littérature allemandes. De Gaulle maîtrise assez bien cette langue pour se dispenser, dans une large mesure, des services de son interprète lors de sa première rencontre avec Konrad Adenauer en 1958. Les deux hommes se comprennent en s’exprimant chacun dans sa langue maternelle. En 1962, au cours de son voyage triomphal en République fédérale, de Gaulle prononce plusieurs de ses discours publics en allemand, soigneusement appris par cœur.
4L’Allemagne domine également dans les écrits de Charles de Gaulle pendant l’entre-deux-guerres. Dans La Discorde chez l’ennemi, paru en 1924, il parle avec admiration du peuple allemand et de ses qualités guerrières : la volonté collective de vaincre, l’obstination d’endurance et la capacité de souffrir. Mais de Gaulle évoque aussi « l’esprit national de discipline qui faisait penser les masses comme les chefs ».
5Aux dirigeants militaires allemands, il reproche la passion d’étendre leur puissance personnelle et le mépris des limites tracées par l’expérience humaine, le bon sens et la loi. Bien que Charles de Gaulle soit impressionné par le côté romantique des Allemands, il voit, dans l’instinct et l’irrationnel, des forces troubles poussant à la démesure. À ce défaut germanique, il oppose « le sens de l’équilibre, du possible » des Français3.
6Indépendamment du régime politique de l’Allemagne, de Gaulle estime qu’un nouveau conflit est inéluctable. « Entre Gaulois et Germains », écrit-il en 1934, « les victoires alternatives n’ont rien tranché ni rien assouvi. Parfois épuisés par la guerre, les deux peuples semblent se rapprocher, comme s’appuient l’un sur l’autre des lutteurs chancelants. Mais sitôt remis, chacun se prend à guetter l’adversaire4. »
7Charles de Gaulle est convaincu également que l’équilibre naturel entre les deux pays a été brisé en 1866 et en 1871 par l’unification allemande, qui a doté l’Allemagne d’une supériorité à la fois démographique, économique et géographique sur la France. Cela le hante, sa vie durant, et il essaye de rétablir l’équilibre. Il déplore qu’en juillet 1866 la France ne soit pas intervenue aux côtés de l’Autriche contre la Prusse, et qu’en novembre 1918 l’offensive française sur le territoire allemand ait été empêchée. Cela aurait représenté l’occasion de détruire l’œuvre de Bismarck et d’annuler l’infériorité de la France. Au contraire, le traité de Versailles « laissait l’ennemi intact dans son unité, son territoire et ses ressources », écrit de Gaulle dans ses Mémoires d’espoir5.
8Pour lui, l’arrivée au pouvoir des nazis aggrave la menace allemande déjà existante. Il voit dans le nazisme la résurrection d’un trait sombre du germanisme, une manifestation des tendances négatives profondément ancrées dans la conscience collective du peuple allemand. En 1934, il décrit l’Allemagne comme une « nation faite par les armes et avide de les porter6 ». Dans son livre Vers l’Armée de métier, de Gaulle projette une nouvelle tactique offensive, portant la guerre sur le territoire de l’ennemi grâce à des corps cuirassés. Cette stratégie de mouvement serait particulièrement efficace contre les Allemands, très forts dans la préparation et la méthode, mais maladroits face à l’imprévu, note de Gaulle. L’état-major français reste toutefois attaché aux stratégies défensives et ne suit pas ses propositions, tandis qu’Adolf Hitler et ses généraux les lisent avec grand intérêt7.
9Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il incarne l’opposition française contre Hitler, Charles de Gaulle condamne très sévèrement les atrocités commises par l’Allemagne nazie, ennemi sans honneur. Mais dès novembre 1941, il atténue la culpabilité globale du peuple allemand en accusant le « gigantesque conformisme collectif » de laisser à l’individu peu de libertés8. Et son fils témoigne d’une remarque prophétique datant de fin 1941 : « Je connais les Allemands, vieux garçon. Un jour, eux et nous marcherons du même pas, car nous avons trop de choses en commun9. »
10Les sentiments de Charles de Gaulle vis-à-vis de l’Allemagne peuvent être décrits, ici encore, comme ceux d’un officier combattant résolument l’ennemi, sans pour autant cesser de le respecter. Un biographe allemand constate que, même pendant ces années sombres, rien dans les déclarations du général ne traduit une quelconque haine envers le peuple allemand. Et, ajoute ce biographe, l’expérience de la Seconde Guerre mondiale ne semble pas modifier l’opinion de Charles de Gaulle sur les Allemands10. Dans les Mémoires de Guerre, de Gaulle laisse même apparaître de l’admiration pour le « grand peuple » voisin : « L’Allemagne, séduite au plus profond d’elle-même, suivit son Führer d’un élan. Jusqu’à la fin, elle lui fut soumise, le servant de plus d’efforts qu’aucun peuple, jamais, n’en offrit à aucun chef11. »
11Après la libération, le général de Gaulle a pour souci principal d’assurer la sécurité de la France face à l’Allemagne. Il tient beaucoup à y obtenir une zone d’occupation, gage de l’influence française sur les questions allemandes à venir. En tant que président du gouvernement provisoire, jusqu’en janvier 1946, de Gaulle fait preuve d’une politique « sévère mais juste » à l’égard de la zone d’occupation française, et réussit à encourager de nombreux Allemands par ses discours12. Il déclare notamment à la population de Trèves, le 3 octobre 1945 : « La France n’est pas ici pour prendre, mais pour faire renaître et pour que vous renaissiez avec elle13. » Konrad Adenauer, alors maire de Cologne, y fait allusion dans une interview du 5 octobre en disant qu’il aimerait entendre pareille chose des occupants britanniques. À cause de cette interview, Adenauer est destitué de ses fonctions.
12Mais de Gaulle s’oppose résolument à la création d’un État allemand unifié et centralisé. Le général souhaite que les Länder deviennent souverains et se lient entre eux par des accords, et que la Ruhr, centre de la puissance allemande, soit placée sous contrôle international. De Gaulle souhaite ainsi briser l’œuvre de Bismarck. Lorsqu’on décide, en juin 1948, la fusion des trois zones d’occupation, de Gaulle condamne catégoriquement ce qu’il perçoit comme le début d’un nouveau Reich. Néanmoins, réaliste, de Gaulle accepte bientôt l’inéluctable, c’est-à-dire la République fédérale, créée en 1949. Le péril soviétique paraît désormais plus alarmant qu’une hégémonie allemande. Dès lors, il n’évoque plus l’idée du démembrement de l’Allemagne.
13Jusqu’à son rappel au pouvoir en 1958, Charles de Gaulle exprime maintes fois son désaccord avec Bonn : sur le plan Schuman, la « monstruosité » de la Communauté européenne de défense CED et l’intégration de la Sarre à la République fédérale. Son combat contre la CED est notamment motivé par la crainte de voir l’Allemagne tentée par une expansion vers l’Est et animée par des aspirations nucléaires dangereuses14. Réapparaissent ici la méfiance à l’égard du caractère expansionniste des Allemands, et le souci constant de sauvegarder la sécurité de la France. Notons aussi qu’entre 1945 et septembre 1958, de Gaulle évite tout contact personnel avec des dirigeants allemands.
14Cependant, la proposition d’une coopération privilégiée entre la France et l’Allemagne, faite au chancelier Adenauer en septembre 1958, ne tombe pas du ciel. En 1934 déjà, Charles de Gaulle évoquait ce rêve, alors rejeté à cause de « l’opposition des tempéraments15 ». Même pendant la Seconde Guerre mondiale, de Gaulle n’a cessé de dire que l’Europe devait se faire et qu’il y faudrait forcément la participation des Allemands. Depuis 1950, il s’exprime clairement en faveur d’une entente franco-allemande comme fondement de cette Europe à construire.
15Si l’ennemi d’antan devient le partenaire, cela se fait dans des circonstances radicalement autres. « L’Allemagne, telle qu’elle est, ne nous menace nullement », affirme le général de Gaulle en mars 195916. Avec Konrad Adenauer, représentant une Allemagne profondément transformée, le général de Gaulle veut tirer un trait sur le passé et prendre un nouveau départ. Il précise dans les Mémoires d’espoir : « J’estime qu’il faut tenter de renverser le cours de l’Histoire, de réconcilier nos deux peuples et d’associer leurs efforts et leurs capacités. » Le tournant est en effet capital. Charles de Gaulle substitue désormais à l’idée de rétaliation, incarnée par le traité de Versailles de 1919, le principe de l’entente17. Le traité de l’Élysée du 22 janvier 1963 en est le résultat direct. De Gaulle rompt aussi avec une politique française suivie pendant quarante ans, pour laquelle le tête-à-tête avec l’Allemagne constitue le danger majeur à éviter. Sous la direction du général de Gaulle, la France est désormais assez forte pour se lancer ce défi.
Ambivalences
16Le professeur Hans-Peter Schwarz caractérise l’attitude de Charles de Gaulle envers l’Allemagne par un seul mot : l’ambivalence. Valable tout au long de sa vie. « Océan sublime et glauque, d’où le filet retire pêle-mêle des monstres et des trésors. » Cette citation tirée du livre Vers l’Armée de métier montre parfaitement l’image que Charles de Gaulle se faisait de l’Allemagne, avance Schwarz18.
17Une oscillation permanente entre crainte et admiration ? Maurice Couve de Murville n’est pas de cet avis. À partir de 1958, souligne-t-il, le général de Gaulle est complètement libre de toute hostilité, haine ou rancune envers l’Allemagne. Pierre Messmer, dans ses mémoires, se borne à constater le destin commun des « Gaulois et des Germains » et la « force des choses » qui poussait à la coopération19. Pierre Maillard affirme que le président de Gaulle, sans arrière-pensées, ne recherchait nullement la suprématie de la France sur la République fédérale. Philippe de Gaulle mentionne que son père ne tenait pas la nouvelle génération allemande pour responsable des actes des nazis. Mais l’accolade donnée à Konrad Adenauer, en septembre 1958, a quand même « coûté » au général de Gaulle, moins de quinze ans après l’occupation et les déportations, se souvient le fils. Il met toutefois l’accent sur l’admiration qu’éprouvait le président de Gaulle envers le courage et l’énergie des Allemands, et la « fascination » qu’exerçait ce pays voisin sur son père20.
18Peut-être parce qu’il est moins proche du gaullisme, Edgard Pisani se sent libre de brosser un tableau ambigu : « Comment concilier l’Allemagne des arts, des lettres et de la musique, avec l’Allemagne des guerres et des tortures ? Comment accepter Beethoven avec Hitler ? [...] Comment complètement comprendre ce pays à la capacité économique exemplaire, mais dont la capacité politique fut toujours altérée par des crises passionnelles, et sa capacité d’organisation trahie par sa propre démesure. Le général de Gaulle n’est jamais parvenu à arbitrer tout à fait cette contradiction entre ses attirances et ses craintes, entre les intérêts et les risques21. » Néanmoins, l’Allemagne était le pays que de Gaulle comprenait le mieux, le pays qu’il considérait le plus proche de la France, affirme également Pisani. En cela, son témoignage rejoint les autres.
19D’un point de vue théorique, il n’est nullement surprenant de découvrir chez Charles de Gaulle une perception ambivalente de l’Allemagne, même après 1958. Selon Robert Frank, toutes images jouent sur l’ambivalence du positif et du négatif. Les deux valeurs se nourrissent, à des intensités différentes, de la même représentation. La fascination et la peur visent le même objet et le changement entre les deux peut intervenir très rapidement, dès que la situation se modifie.
20L’image de l’Allemagne dépeinte par de Gaulle peut également être un moyen de parler de la France. Par exemple, la démesure germanique évoquée dans La Discorde chez l’Ennemi sert, aussi à valoriser le sens de l’équilibre des Français. Charles de Gaulle utilise souvent cette notion de contre-image de soi. Elle implique que tout ne peut pas être négatif chez l’autre, « puisque l’on y met du sien »22.
21Un troisième point théorique à relever est que l’image de l’autre ne se construit pas seulement à partir du passé, mais aussi « en fonction de l’avenir espéré ». Charles de Gaulle en est fort conscient. Il en fait même un élément majeur de ses discours pour guider l’opinion publique dans la direction désirée.
22Charles de Gaulle n’est certes pas un homme dont le jugement dépend de celui des autres. Mais on ne peut nier qu’il est lui aussi conditionné par « l’imaginaire collectif23 », surtout celui du temps de sa jeunesse. Or la perception française de l’Allemagne est imprégnée, au xixe siècle, par deux images fort contradictoires. Celle créée par Mme de Staël, d’une Allemagne romantique, profonde et loyale, aimant la musique et les arts. Et celle produite par l’invasion prussienne en 1870, d’une Allemagne barbare et menaçante, revêtue d’uniformes. S’y ajoutent, vers la fin du siècle, l’admiration pour la réussite économique allemande et la crainte d’être dépassé par elle. En effet, beaucoup de jeunes Français du début du xxe siècle ont, comme Charles de Gaulle, une relation d’amour-haine avec l’Allemagne24.
23Pendant l’entre-deux-guerres, l’analyse du caractère allemand par de Gaulle semble s’accorder avec la perception qu’en ont d’autres contemporains. Par exemple, André Gide décrit le « courage au travail » des Allemands, leur « ardeur et méthode », alors que le germaniste Maurice Betz évoque leur « tragique vitalité » et leur « mépris du réel ». Nombre d’intellectuels français voient également dans le nazisme une manifestation des traits anti-humains et irrationnels du caractère germanique.25
24Comme beaucoup de ses compatriotes, et notamment après 1940, Charles de Gaulle ressent l’affaiblissement graduel de la France, l’essoufflement d’une grande puissance. Envahie trois fois par l’Allemagne, la France est vaincue la première fois et elle dépend ensuite de coalitions mondiales pour défaire les armées allemandes. Enfin, le général de Gaulle est certainement sensible au fait que l’image de l’Allemagne s’améliore en France, à partir de 1955. Cela entrouvre la porte à une réconciliation profonde. Sans vouloir diminuer l’œuvre de Charles de Gaulle, ces exemples montrent l’interaction avec les tendances des différentes époques.
25Le président de Gaulle avait-il des préjugés à l’égard de l’Allemagne ? Citons l’opinion d’un spécialiste allemand, Peter Schunck, qui devrait avoir quelque sensibilité en la matière. Selon lui, Charles de Gaulle a toujours été exempt de préjugés envers l’Allemagne et les Allemands, toute sa politique étant fondée sur des principes clairs. Egon Bahr confirme qu’il n’a jamais senti, dans l’attitude du général, des préjugés à l’égard de l’Allemagne26.
26Certes, Charles de Gaulle était un homme avec des sentiments et une humeur comme tout le monde. Quelques prévisions pessimistes ou même des évocations apocalyptiques en témoignent27. Mais ce qui importe est sa politique. Un préjugé éventuel sans influence sur la politique intéresse peu. À travers les documents archivés, on découvre toutefois quelques notions personnelles du général qui touchent la sphère politique. Le terme préjugé pouvant sembler inadéquat, nous proposons d’appeler ces notions des sensibilités qui plongent dans le passé.
Un peuple guerrier qui manque de mesure
27Pour Charles de Gaulle, la nature allemande est profondément guerrière. Même après 1963, il y fait souvent allusion et place aux antipodes le caractère paisible des Français. On retrouve ici la notion de contre-image de soi. La France équivaut à la paix, l’Allemagne à la guerre. Parce que le peuple allemand est un peuple dynamique et « facilement belliqueux », dangereux même, il faut le lier à la France pour le rendre plus pacifique. Dans la mesure où l’Allemagne peut être saisie de nouveau par « sa passion guerrière », les autres Européens devraient se féliciter de la voir attachée à la France. Le général de Gaulle a signé avec l’Allemagne un traité pour la « détourner de l’impérialisme »28.
28Pourtant, Charles de Gaulle atténue ses réflexions, disant que l’Allemagne a changé et n’est plus, à cette époque, cause d’inquiétude. « C’est un pauvre pays qui a une jambe de bois. » Ou bien, en janvier 1965 : « Les Allemands sont des malheureux qui portent le poids de leur désastre, et qui le porteront encore longtemps »29. Le général de Gaulle s’exprime toutefois plus sévèrement entre fin 1965 et mi-1966, et puis durant les semaines qui suivent l’invasion de la Tchécoslovaquie, en août 1968.
29Pendant la première de ces périodes, il critique la prétention à l’armement nucléaire des Allemands. Il y voit la résurrection des « anciennes ambitions ». Pour de Gaulle, il est vital de rester prudent et de prendre contre l’Allemagne des précautions, à cause de sa nature. Cela veut dire en particulier ne jamais permettre l’accès des Allemands aux armes nucléaires. Le général confie au président Nixon que si l’Allemagne disposait de l’arme atomique « cela pourrait tourner très vite très mal » car il craint que l’Allemagne ne « s’excite » et « devienne de nouveau la cause d’une grande guerre30 ». Par ailleurs, le général de Gaulle estime que la force atomique française est un élément essentiel pour compenser ce qui peut rester d’inégalité entre l’Allemagne et la France31. Il veut garder cet avantage, nécessaire à ses yeux pour l’équilibre entre les deux pays.
30En septembre 1968, le reproche français à l’adresse des Allemands est celui d’un manque de mesure. Mener une politique adaptée à leurs moyens est peut-être « contraire à la nature des Allemands », s’indigne le général. Au lieu d’entamer une politique de coopération complète avec l’Est, avance-t-il, la République fédérale a succombé à l’expansionnisme (Drang nach Osten). Pour une fois, de Gaulle exprime ouvertement sa méfiance à l’égard des Allemands. La référence au passé est évidente.
31Après l’affaiblissement de la France à la suite des événements de mai et juin 1968, la puissance économique de l’Allemagne redevient menaçante. De Gaulle craint alors que la France ne soit submergée par l’économie allemande. Selon son conseiller Bailly du Bois, le général est obsédé, durant l’hiver 1968-1969, par la « résurrection » des Allemands, la croyant « biologiquement inévitable »32. Lorsque Henry Kissinger demande au général de Gaulle, en mars 1969, comment il entend empêcher l’Allemagne de dominer l’Europe, de Gaulle répond tranquillement : « Par la guerre33. »
32La mention du tempérament guerrier des Allemands est une référence majeure et régulière dans le vocabulaire gaullien. Elle ne peut pas être exclusivement négative, vu l’admiration pour les qualités guerrières allemandes dont de Gaulle témoigne à plusieurs reprises. En outre, ce n’est pas le seul trait de caractère qu’il évoque : « Il y a beaucoup de choses en Allemagne et tout à la fois : capacité, vitalité, dynamisme et aussi bonhomie, gentillesse34. » Le général de Gaulle répète encore plusieurs fois, après le discours célèbre de septembre 1962, qu’il considère l’Allemagne comme une « grande nation ».
33Nous n’avons trouvé aucune indication sur une distinction éventuelle, dans l’esprit du président de Gaulle, entre Allemands du Nord, du Sud, de l’Ouest ou de l’Est. Et rien ne laisse entrevoir une quelconque différenciation entre les Allemands vivant en RFA ou ceux de RDA. De Gaulle parle plutôt d’un seul peuple allemand, réparti en deux fractions.
Se réconcilier sans oublier le passé
34Si le général de Gaulle prêche la réconciliation avec l’Allemagne, il ne manque pas de rappeler les blessures subies et les griefs accumulés. Maintes fois il souligne que la France a beaucoup souffert et que la réconciliation franco-allemande a demandé un grand effort. « Nous avons été envahis, abaissés moralement, nous avons perdu notre rang à cause de notre défaite, nous ne l’avons pas oublié35. » Mais parce que Charles de Gaulle a vécu toutes ces souffrances, sa volonté de réconciliation est d’autant plus crédible. Sa position vis-à-vis de l’Allemagne se révèle également lors d’une réunion gouvernementale en novembre 1963. François Altmeyer est alors proposé comme secrétaire de l’Office franco-allemand de la jeunesse. Apprenant qu’Altmeyer avait été déporté en Allemagne, le général commente : « Les Allemands, il connaît. » Puis, après la réunion, de Gaulle ajoute : « Il est bien, cet Altmeyer. Il a su tourner la page36. »
35Quant à la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle tient à souligner que l’Allemagne en est sortie vaincue et la France victorieuse. Par ce fait, il affirme aux Américains l’indépendance politique et militaire de la France, tandis que l’Allemagne divisée continue à dépendre des alliés. En 1966 tout particulièrement, de Gaulle insiste sur la responsabilité française dans la question allemande et celle de Berlin. Les Forces françaises étant en République fédérale en raison de la guerre, elles doivent y rester même si la France quitte le commandement intégré de l’OTAN. Et lorsque le chancelier Erhard propose de célébrer, pour le vingtième anniversaire de la capitulation allemande, la disparition du système nazi et non la victoire sur le peuple allemand, le général de Gaulle n’entend pas le suivre. Il faut que les Allemands « avalent » cet anniversaire, lâche-t-il, décidé à ne pas « s’excuser de la victoire ». En octobre 1968 encore, tout en attestant la bonne volonté du chancelier Kiesinger, de Gaulle conclut que « cette Allemagne n’a pas encore avalé sa défaite ». Il ne se gêne pas, non plus, pour signaler publiquement la responsabilité de l’Allemagne dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale37.
36Selon le témoignage de Pierre Messmer, le général ne mentionnait jamais l’adhésion du jeune Kurt Kiesinger au parti nazi. De Gaulle n’attaquait pas les autres sur un plan personnel, pas même ses adversaires politiques en France, explique son ancien compagnon38. En 1966 et 1967, lorsque des candidats d’extrême droite sont élus aux parlements de Bavière et de Hesse, Bonn s’en soucie beaucoup plus que Paris. Le général de Gaulle juge exagéré de comparer cet événement avec les débuts du nazisme : « Les conditions qui ont fait Hitler ne sont pas réunies, et Hitler n’est pas là, on le saurait39. » En somme, le général de Gaulle est hanté par les anciennes ambitions de l’Allemagne, mais sans pour autant craindre la réapparition du nazisme en République fédérale.
Une ennemie séculaire mais non héréditaire
37De toute évidence, le président de Gaulle ne désigne pas l’Allemagne par le terme d’ennemie héréditaire. Cette notion n’apparaît ni dans ses discours ni dans les comptes rendus des entretiens. Le 22 janvier 1963, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer déclarent la fin d’une « rivalité séculaire ». Cette formule est similaire, mais certes moins forte. Auprès de ses ministres, de Gaulle évoque la réconciliation des deux voisins devenus « ennemis irréductibles » depuis des générations40. Les fonctionnaires du Quai d’Orsay reprennent ensuite cette expression. À une autre occasion, le général de Gaulle indique à Alain Peyrefitte que l’hostilité entre la France et la Grande-Bretagne est beaucoup plus ancienne que celle envers l’Allemagne : « Les Allemands ne se sont opposés à nous que depuis trois guerres. L’Angleterre, c’est depuis de longs siècles. » Il semble aussi que Charles de Gaulle ait affirmé, en juillet 1938 déjà, que l’ennemie héréditaire de la France n’était pas l’Allemagne, mais l’Angleterre41. Quoi qu’il en soit, l’observation attribuée au général de Gaulle est historiquement pertinente. Jusqu’en 1870, les Français ne percevaient pas l’Allemagne comme une ennemie héréditaire. À cela rien d’étonnant puisque l’Allemagne n’existait pas encore en tant que nation unifiée et puissante.
Soupçons sur un nouveau Rapallo
38Concernant le mythe de Rapallo42, les références sont moins explicites que sous-entendues. Mais Paris cherche très clairement à éviter que la République fédérale puisse faire cavalier seul avec Moscou. Le gouvernement français craint avant tout qu’un rapprochement germano-soviétique débouche sur une réunification allemande aux conditions de Moscou. La neutralité éventuelle de l’Allemagne apparaît comme un danger majeur. Lié à cette question se trouve, bien sûr, l’aspect militaire. En septembre 1965, face à un dirigeant polonais, le général de Gaulle souligne ne pas avoir oublié le pacte Ribbentrop-Molotov de 1939. Pour cette raison, explique-t-il, la France doit entretenir des liens spéciaux avec la République fédérale43. Fin 1963 et puis en été 1964, Nikita Khrouchtchev fait référence au traité de Rapallo et suggère sa reprise. Les Allemands cherchent à dissiper l’impression négative ainsi créée, conscients du danger que ce souvenir représente pour les alliés. Toutefois, de Gaulle commence à intensifier ses contacts avec Moscou et l’Europe orientale alors que Khrouchtchev prépare un voyage à Bonn. Peut-être n’est-ce pas une simple coïncidence.
39Le gouvernement français est aussi très méfiant à l’égard des relations de Willy Brandt et Egon Bahr avec les Soviétiques, d’autant plus que les contacts se déroulent dans le secret. Du temps de la Grande coalition, personne – ni les Allemands ni les Soviétiques – n’informe les Français du contenu de ces entretiens. Paris ne pose pas de question à ce sujet non plus, mais conçoit de profonds soupçons. Egon Bahr étant un social-démocrate de gauche, on imagine son affinité éventuelle avec les communistes. La diplomatie française craint également que les Allemands puissent agir sans précaution, et que Bahr se fasse « piéger » par Moscou44. Si le général de Gaulle propose à Kiesinger et Brandt de mener une politique orientale commune, il a forcément quelques arrière-pensées. Les Français voulaient participer au dialogue germano-soviétique pour le « contrôler », se souvient Egon Bahr.
Le général de Gaulle vu de la RFA
40Pendant la période de 1963 à 1969, Charles de Gaulle domine les relations franco-allemandes. Il est le maître incontesté de la politique étrangère française alors qu’il n’y a pas, en République fédérale, d’autorité équivalente. Après le retrait d’Adenauer, le général dépasse largement ses interlocuteurs allemands par son prestige et son importance historique. Il n’est pas exagéré de dire qu’il incarne la France. En conséquence, les opinions que les dirigeants, à Bonn, se forgent de la politique française sont souvent liées à sa personnalité, et l’image qu’ils se font de la France se reflète, du moins en partie, dans les jugements portés sur lui.
41Ces jugements sont ambigus, voire « schizophrènes » selon un observateur français45. Le Britannique Harold Wilson remarque, en mars 1970, que l’attitude allemande à l’égard du général dénotait les symptômes d’une « névrose ». Willy Brandt, à qui le Premier ministre s’adresse alors, ne le contredit pas46. Charles de Gaulle suscite en RFA de fortes émotions, à la fois positives et négatives, ce qui confirme que la fascination et la peur, très proches l’une de l’autre, se nourrissent de la même représentation.
42Les oscillations entre sympathie et antipathie touchent les milieux politiques, mais également l’opinion publique. Philippe de Gaulle note avec quelque surprise, lors du voyage de 1962, que la presse allemande couvre son père d’éloges, alors qu’elle était complètement hostile à son égard en 1959. Un sondage montre des revirements stupéfiants : 48 % des Allemands ont une opinion positive de Charles de Gaulle en juillet 1962, ce taux atteint 74 % en septembre 1962 et descend à 19 % en avril 1966. En septembre 1964, Richard Coudenhove-Kalergi s’étonne qu’il existe en République fédérale, malgré l’amitié offerte par le général, un anti-gaullisme très fort, tandis qu’il n’y a ni anti-johnsonisme ni anti-khrouchtchevisme47.
Un leader ferme, indépendant et souverain
43Tentons d’esquisser quelques-uns des aspects positifs et négatifs contribuant à former l’image du général de Gaulle à Bonn. Notons d’abord que sa personnalité attire constamment l’attention des politiciens allemands, même celle de ceux jugeant sa politique avec sévérité. Lors des fameuses conférences de presse à l’Élysée, toute l’élite de la RFA écoute les propos du général, témoignant ainsi de l’importance qu’il a dans l’esprit allemand. Pouvoir rencontrer Charles de Gaulle est un grand honneur pour tout politicien, quelle que soit son orientation. Des dirigeants sociaux-démocrates, qui ne cessent de critiquer violemment le président français, déplorent cependant, en 1964 et 1965, qu’il ne leur accorde pas d’audience48. Dans tous les partis allemands on éprouve un respect profond envers le général de Gaulle, selon le témoignage d’Egon Bahr (SPD). Il semble même que Gerhard Schröder, l’anti-gaulliste par excellence, envie secrètement le prestige, la fermeté et l’indépendance du président français. D’après l’historien Volker Hentschel, cette jalousie fait partie intégrante de la politique de Schröder49. Il est vrai que de Gaulle est capable de garantir à la France, par sa volonté inflexible, ce qui fait cruellement défaut à la RFA : l’indépendance et la souveraineté.
44Généralement, la carrière militaire de Charles de Gaulle, du capitaine de la Première Guerre mondiale au colonel de chars en 1940, suscite le respect des Allemands. En ce qui concerne son rôle de chef de la France libre, les réactions sont plus difficiles à cerner. Pour Konrad Adenauer, et très nettement pour Willy Brandt, le combat du général entre 1940 et 1945 est source d’admiration50. Kurt Kiesinger, avec son passé un peu contesté, ne peut faire autrement que de rendre hommage à de Gaulle.
45Le chancelier Kiesinger est aussi très impressionné par le désir du général d’établir la paix, aspiration qu’il juge authentiquement sincère. D’autres facteurs encore influencent d’une manière positive l’image du général de Gaulle en République fédérale : son attitude résolue lors de la seconde crise de Berlin, ses actions en faveur de la décolonisation, notamment en Algérie, et, bien sûr, le traité d’amitié du 22 janvier 196351. Une partie de l’opinion publique allemande semble d’ailleurs attacher de l’importance au fait que Charles de Gaulle soit né dans le Nord de la France, à Lille, lieu jugé proche du germanisme, et qu’un ancêtre de sa famille ait été Allemand52.
Une personnalité irrationnelle, difficile à saisir
46En même temps existe à Bonn une sorte de « sourde rancœur » envers de Gaulle. Aux divergences politiques, amplement décrites dans les chapitres précédents, s’ajoutent des méfiances et des rancunes tacites. Selon Peter Schunck, ce sentiment découle surtout d’un manque de compréhension de la politique gaullienne53. L’émotion que le président français suscite en REA contraste en effet avec la connaissance très rudimentaire de ses écrits. Début 1963 par exemple, lors des débats sur le traité de l’Élysée, circulent parmi les parlementaires allemands des extraits fautifs des Mémoires de guerre, et les fonctionnaires de l’Auswärtiges Amt ont de la peine à en trouver la traduction correcte54.
47On peut également définir des réticences allemandes spécifiques aux différents partis. La SPD reproche à Charles de Gaulle d’être social sans être socialiste et de « planifier » l’économie – idée « marxiste » à laquelle les sociaux-démocrates allemands s’opposent. Les libéraux se méfient du rang subalterne accordé par le général à l’économie. Et les partis « chrétiens », CDU et CSU, semblent récuser la laïcité du président français55.
48D’autres suspicions sont liées à l’imaginaire collectif. En ce sens, Charles de Gaulle incarne le Welche – le Français hâbleur, inconstant et vaniteux – qui apparaît déjà dans la peinture et la littérature allemandes du xixe siècle. On ne peut jamais prévoir ce que le général fera, dit par exemple le chancelier Erhard en juin 1965, et « nous ne savons jamais pour combien de temps les Français resteront fidèles à leurs promesses » ; un sentiment de confiance envers de Gaulle est donc impossible à établir, selon Erhard. Dès l’automne 1968, le chancelier Kiesinger arrive, lui aussi, à une conclusion similaire : un partenariat avec le général, sur la base de la confiance, n’est pas réalisable56.
49Pour beaucoup d’Allemands, la politique gaullienne paraît irrationnelle ou même absurde. La perception d’un anti-américanisme joue un rôle central. Excepté Konrad Adenauer – qui ne discerne chez le général aucun préjugé envers les États-Unis – de nombreux dirigeants partagent cette impression. Sous la direction de Gerhard Schröder puis de Willy Brandt, l’Auswärtiges Amt observe de « fortes tendances anti-américaines » de la part du général57. Le gaulliste allemand Franz Josef Strauss acquiesce également, en juillet 1968. Pour Karl Carstens, respecté à Bonn et à Paris pour sa compétence et son esprit objectif, des traits anti-américains sont profondément enracinés dans la politique du président français. Le chancelier Kiesinger, enfin, estime que les sentiments fâcheux du général à l’égard des Américains sont à l’origine de nombreux échecs français58.
50Si l’on en croit le ministre allemand de la Défense, Kai-Uwe von Hassel, Charles de Gaulle a également des « complexes » vis-à-vis de l’Angleterre, et se laisse guider par eux59. Les objections bien argumentées de Paris, en 1967, contre une adhésion prématurée de la Grande-Bretagne au Marché commun, ne trouvent pas, sur ce fond de soupçons, l’écho allemand qu’elles mériteraient.
Un chef tyrannique en quête d’hégémonie
51Souvent, les Allemands reprochent aussi à de Gaulle de rechercher l’hégémonie française en Europe occidentale. Ludwig Erhard notamment y voit la motivation première de toute la politique gaullienne. Le général ambitionne la coopération avec la République fédérale parce que la France a besoin du soutien allemand pour instaurer son hégémonie, raisonne Erhard. L’attitude française à l’égard de Washington, la sortie du commandement de l’OTAN et la construction de la force de frappe ne servent, d’après le chancelier, qu’à atteindre le même but : celui de la prépondérance de la France. Après avoir quitté le pouvoir, Erhard déclare encore que le général de Gaulle, en excluant le Royaume-Uni de l’Europe, souhaite uniquement assurer l’hégémonie française au sein de la Communauté60.
52Mais, à l’époque du chancelier Erhard déjà, plusieurs ministres allemands affirment ne pas redouter une éventuelle domination de la France, qui ne pourrait qu’être temporaire61. Kurt Kiesinger ne semble pas avoir de craintes à cet égard, d’autant plus que la balance économique penche davantage vers la RFA, dès 1968.
53En revanche, le chancelier Kiesinger adopte l’avis de son prédécesseur sur un autre point : le général prend tout seul les décisions importantes et n’en discute pas avec Bonn au préalable ; il invite plutôt les Allemands à se rallier au fait accompli. Dans ce contexte, Ludwig Erhard parle de la politique « unilatérale » du général de Gaulle. L’administration allemande tout entière, semble-t-il, réprouve le fait que le président français n’informe jamais son partenaire allemand avant les conférences de presse à l’Élysée62.
54À cela s’ajoute l’impression largement répandue que le général ne consulte pas ses propres ministres, même pas Maurice Couve de Murville, lorsqu’il détermine la politique étrangère de la France. Ainsi un doute fondamental persiste en RFA sur l’esprit démocratique de Charles de Gaulle. Un magazine aussi renommé que le Spiegel écrit, en 1969 : « [...] notre de Gaulle est de la famille des Nietzsche-fascistes, qui a aussi donné naissance à Benito Mussolini. » Il se peut que certains Allemands, en condamnant la « dictature » et la « tyrannie » du général de Gaulle, souhaitent se ranger du bon côté, vu le passé fasciste de leur pays63.
55Beaucoup d’Allemands jugent arrogant le comportement du président français, en particulier sa façon d’imposer son point de vue. Dès la conférence de presse du 14 janvier 1963, le général de Gaulle apparaît comme « celui qui dit toujours non » et qui détruit l’œuvre des grands Européens de la première heure. En septembre 1968, la majorité de la population allemande voit dans la politique gaullienne l’obstacle principal à la construction de l’Europe. À ce moment-là, seulement 22 % des Allemands expriment leur confiance en les capacités politiques du général, alors que 64 % lui accordent peu de crédit64.
56Même des personnalités allemandes bien disposées à son égard pensent qu’il surestime le poids de la France. Seule une Europe unie pourrait assumer le rôle que de Gaulle attribue à son pays, conclut Karl von Guttenberg, et, selon Franz Josef Strauss, le rapprochement franco-soviétique ne peut pas apporter de détente réelle, parce que, face à l’URSS, la France n’est pas de taille. De l’avis de Willy Brandt et Egon Bahr, Charles de Gaulle est simplement « trop grand pour la petite France ».
57Les amis politiques du général à Bonn, tels Konrad Adenauer et son collaborateur intime, Horst Osterheld, regrettent eux aussi l’orgueil et le manque de patience du président français65. À la suite de la conférence de presse cinglante du 23 juillet 1964, les fonctionnaires à la tendance pro-française déplorent la tendance destructrice du général de Gaulle à repousser ses amis. Kurt Kiesinger, enfin, croit que la brouille franco-allemande de novembre 1968, dans le sillage de la crise monétaire internationale, aurait pu être évitée si seulement de Gaulle avait admis plus tôt la gravité de la situation. Mais pour ce faire, indique Kiesinger, le général était trop fier.
58Dans les caricatures allemandes de l’époque, le général de Gaulle apparaît souvent comme une personnalité royale ou impériale – Louis XIV, Napoléon Bonaparte ou Jules César – qui s’intéresse peu aux affaires banales de ce monde. La référence à un comportement hautain y est évidente. Un dessin de fin juillet 1964 montre de Gaulle sous les traits d’un Jupiter lançant, du haut de son nuage, des éclairs au chancelier Erhard. Le général est également représenté comme un musicien qui indique aux Allemands la cadence, ou bien comme un instituteur sévère enseignant à ses petits élèves (Ludwig Erhard, Gerhard Schröder) la formule « liberté, égalité, degaulleté ». Aux côtés du chancelier Adenauer, Charles de Gaulle apparaît parfois comme un réconciliateur, formant par exemple un pont à travers le Rhin, ou alors comme un marionnettiste qui manipule sa poupée (Konrad Adenauer).
59À plusieurs reprises, les caricaturistes allemands font allusion au mythe grec de l’enlèvement de l’Europe. Ils donnent les traits de Charles de Gaulle tantôt au taureau – qui ne réussit toutefois pas à emporter sa proie – tantôt à un cavalier qui fait avancer le taureau par-dessus des cadavres allemands, sous le slogan « L’Europe, c’est moi ! ».
60Un autre sujet dessiné en de nombreuses variantes est celui du trouble-fête : de Gaulle comme barrière qui bloque la route européenne, et comme plongeur essayant de faire couler le bateau de la force multilatérale ; un « grand-père terrible » qui casse les vitres des voisins avec un ballon de marque « Vive la France » ; le général agressif, menaçant de frapper tout le monde avec une chaise vide.
61Enfin, les caricatures allemandes expriment souvent que le général de Gaulle n’est pas à prendre très au sérieux, qu’il surestime ses moyens. Par exemple en mars 1966, Charles de Gaulle est transformé en Don Quichotte attaquant un moulin à vent (l’OTAN). Et après la conférence de presse du 4 février 1965, un caricaturiste dessine de Gaulle sous la forme d’un cavalier qui jette un gant au dollar américain, mais son cheval n’est qu’un dada. Ou alors le général est un enfant qui joue sous la table avec sa force de frappe, tandis que, sur la table, les adultes discutent du désarmement.
62D’une façon générale, les journaux allemands publient, entre 1963 et 1969, énormément de dessins sur Charles de Gaulle. En revanche, les caricaturistes français esquissent rarement des politiciens allemands et, s’ils le font, les chanceliers apparaissent souvent comme accessoires dans des images qui visent principalement le général de Gaulle. Cela peut refléter la perception française de l’infériorité allemande, ou bien un réel manque d’intérêt pour la politique de Bonn. Sans doute, les journalistes français de l’époque s’intéressent-ils beaucoup plus à leur propre chef d’État qu’aux dirigeants étrangers.
Méfiances à l’égard de la France
63Pour les Allemands des années 1960, la rancune principale contre la France vient du fait qu’elle a « usurpé », à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le statut de grande puissance. « Ce n’est pas juste », pensent de nombreux Allemands, de voir la France rangée parmi les vainqueurs66. La France, d’abord vaincue, a même obtenu une zone d’occupation allemande, en 1945, ce qui est particulièrement dur à digérer pour beaucoup d’Allemands.
64Une deuxième raison de suspicion à l’égard de la France, au-delà des points touchant en particulier le général de Gaulle, découle de l’argument selon lequel une émancipation politique de l’Allemagne ne peut pas correspondre aux intérêts français. Paris veut essayer, aussi longtemps que possible, de réserver à l’Allemagne un « statut de droit inférieur », soupçonne l’Auswärtiges Amt. Si la France revendique une place privilégiée en Europe, cela peut cacher son but de limiter l’influence de la RFA, notamment à l’Est. Certains documents allemands suggèrent l’idée que Paris pourrait rechercher la coopération avec Bonn pour empêcher, à long terme, la réunification de l’Allemagne67. Un an après la signature du traité de l’Élysée, beaucoup d’ouvriers et de paysans allemands se méfient des intentions réelles de la France, dont ils redoutent une volonté de domination. L’affaire Argoud68 leur sert de preuve concernant « l’esprit d’occupation » des dirigeants français69.
65Une troisième catégorie de méfiances concerne l’indolence soupçonnée des Français. Selon ce point de vue, la France veut profiter autant que possible du potentiel allemand, notamment sur le plan financier. Lorsque la conférence monétaire de Bonn décide, le 22 novembre 1968, d’accorder un crédit important à la France, les journaux populaires de la RFA relayent l’image suivante : « On prend dans la poche des Allemands pour aider les Français à bien manger et à bien boire, à s’amuser et à bricoler avec leur mini-force de frappe70. »
66D’autres indices de ressentiment sont difficilement vérifiables. Il semble toutefois probable que, du côté allemand, quelques anciennes inimitiés contre la France n’aient pas encore disparu complètement jusqu’en 1963. Ainsi, selon les gaullistes allemands, l’attitude dédaigneuse de Gerhard Schröder à l’égard de la France s’expliquerait par de vieilles rancunes.
Cette ombre du passé qui pèse sur l'Allemagne
67Le contexte posé, à savoir l’influence de l’histoire et des souvenirs sur la période étudiée, nous permet de résumer quelques éléments de fond qui ont marqué les politiques allemand et français.
68Du fait de son passé, sa division et sa situation géographique, l’Allemagne se trouve au cœur de la Guerre froide en Europe. La République fédérale serait, selon tous les pronostics, le premier pays occidental à être envahi en cas de guerre. En même temps, la RFA n’a pas les moyens de se défendre elle-même et dépend des Américains pour assurer sa sécurité. Le dilemme est de taille : dans le contexte d’une course aux armes générale, Bonn doit constamment renforcer son dispositif de défense, tout en veillant à ne pas provoquer la méfiance des États voisins.
69De plus, les Américains et les Soviétiques semblent préférer, si guerre il devait y avoir, en contenir les limites au territoire allemand. Il est évident que cette perspective de destruction totale de l’Allemagne est aux antipodes des intérêts de la RFA. Dans une large mesure, son souhait de participer aux planifications nucléaires américaines s’explique par la nécessité vitale d’influencer le choix des cibles. L’alliance très étroite de la République fédérale avec les États-Unis, souvent critiquée par de Gaulle, peut découler de la crainte profonde éprouvée par les Allemands, et de leur tentative d’écarter une éventuelle guerre nucléaire sur leur sol.
70L’obsession sécuritaire se reflète aussi dans les réticences de la République fédérale à s’engager pour la détente. Alors que le général de Gaulle, à partir de 1964, croit la menace soviétique fortement réduite, les chanceliers Erhard et Kiesinger ne partagent pas cette « insouciance » française71. Pour eux, les divisions soviétiques stationnées aux frontières de la RFA représentent un danger constant.
71Dans la planification stratégique de Bonn, la force nucléaire de la France ne joue pas un rôle primordial. Non seulement sa force de frappe est trop faible pour défier l’URSS, mais, en plus, Paris ne garantit jamais l’emploi de ses armes en cas d’agression contre la République fédérale. Charles de Gaulle conserve sa liberté d’intervenir ou non. Cet engagement très vague de la France ne peut pas servir de base à la sécurité allemande. En effet, le général n’est pas prêt à lancer ses armes nucléaires sans que les États-Unis ne le fassent en même temps. Ce serait, comme il l’admet auprès d’un interlocuteur américain, « nous condamner à mort72 ».
72En dehors des considérations militaires et politiques, les Allemands croient aussi que leur passé les empêche de se lier trop étroitement à la France. Si l’on substitue le concept franco-allemand à celui d’intégration atlantique et européenne, raisonne le gouvernement Erhard, les peuples européens soupçonneront une volonté hégémonique de l’Allemagne, et les anciens ressentiments réapparaîtront. Les Etats-Unis sont assez forts pour contenir les aspirations éventuelles de la République fédérale, mais la France ne l’est pas, et les autres pays le savent. Paris ne peu pas remplacer Washington en tant que tuteur de la RFA73.
73En outre, les Allemands ne pensent pas pouvoir établir leur politique sur l’idée de la nation, comme de Gaulle le propose, parce que cela ferait renaître, à l’Est et à l’Ouest, les souvenirs fâcheux du nationalisme d’Adolf Hitler. La RFA ne peut donc pas prendre ses distances vis-à-vis du concept d’intégration que Paris critique sans cesse. Depuis la défaite de 1945, les sentiments nationaux de la population ouest-allemande ont été canalisés vers l’Europe intégrée comme la seule idée salvatrice, et les dirigeants de la République fédérale n’imaginent pas que la coopération bilatérale avec la France puisse remplacer cet idéal74.
74Le passé impose aux Allemands la prudence, exigence que les chanceliers successifs interprètent de manières différentes. Konrad Adenauer souhaite laisser la première place à la France. Ludwig Erhard, lui non plus, n’ambitionne pas la prépondérance allemande sur le continent. Sa philosophie vise plutôt l’égalité de tous les partenaires européens. Mais cette politique, qui consiste à rechercher la parité entre la RFA et la France, entraîne des conséquences sérieuses, car Erhard – comme Adenauer – ne comprend pas que le passé malheureux de l’Allemagne puisse exclure d’avance tout armement nucléaire. Une opinion que les alliés partagent sans toutefois le dire ouvertement. Par ailleurs, du temps d’Erhard, certains milieux au sein de l’Auswärtiges Amt souhaitent que l’Allemagne « se saisisse de la direction » en Europe, avec l’appui des États-Unis75. Il paraît évident que le général de Gaulle s’y oppose de toutes ses forces.
75Kurt Kiesinger et Willy Brandt se révèlent plus sensibles à l’égard de la situation spéciale de l’Allemagne. Alors que la RFA reprend du poids dans le contexte international grâce à son économie, ils exhortent leurs compatriotes à la modestie. Il serait « stupide et dangereux » de faire preuve d’arrogance, signale alors Willy Brandt. Et le chancelier Kiesinger dit franchement, lors de son allocution de fin d’année en 1968 : on a de la considération pour les Allemands dans le monde, mais « on ne nous aime pas »76.
76Le comportement allemand à l’égard des alliés doit rester vigilant. La République fédérale ne doit pas critiquer les États-Unis, note un fonctionnaire de l’Auswärtiges Amt, car Washington ne pardonnerait jamais aux Allemands ce qui est toléré aux Français77. Et Bonn se méfie constamment d’une éventuelle entente tacite entre les anciens alliés de la Seconde Guerre mondiale (l’URSS incluse), au détriment de l’Allemagne.
77À cause du passé également, une rupture avec la France n’est pas pour la RFA une option sérieuse. La communauté internationale n’excuserait peut-être pas, à long terme, que l’Allemagne repousse une amitié qui lui est offerte78. Aucun politicien allemand, durant toute la période examinée, ne se permet d’exprimer le moindre commentaire négatif sur la réconciliation avec la France. Il est possible que certaines personnalités éprouvent quelques réticences à cet égard, mais cela ne se dit pas. Les Allemands sont conscients qu’ils dépendent moralement des Français. Selon une analyse américaine de 1966, les pays de l’Europe occidentale ne peuvent pas, pour des raisons profondément enracinées dans l’histoire, vivre avec l’Allemagne sans la présence de la France79.
78En revanche, cette modestie imposée à la République fédérale peut déclencher un mécontentement facilement orienté contre la France. Beaucoup d’Allemands regrettent de ne pas pouvoir remplir le rôle politique qui devrait normalement échoir à la RFA en raison de son potentiel économique.
79Parfois, lors des rencontres avec le général de Gaulle, les chanceliers font explicitement référence au nazisme. Ludwig Erhard évoque alors le « lourd passé » allemand et le « joug hitlérien » encore très présent dans la mémoire des peuples. Le chancelier Kiesinger, quant à lui, parle des « maudites années d’Hitler » qui doivent être dénoncées comme elles le méritent. Mais c’est Willy Brandt qui prend l’attitude la plus courageuse envers le passé. En septembre 1968 par exemple, le ministre veut proclamer au nom du peuple allemand, lors d’un discours pacifiste à l’ONU, que « nous avons appris la leçon de notre histoire ». Toutefois, la chancellerie de Kiesinger lui interdit de prononcer cette phrase80.
La France à besoin de paix
80« Je m’efforce de diriger la politique de la France. La nécessité qui domine tout pour nous, c’est la paix. Nous avons été si démolis matériellement et moralement, depuis cent cinquante ans, que rien n’est plus important pour nous que la paix, pour pouvoir refaire notre substance et notre puissance. Quand vous penserez à la France, pensez à la paix81. »
81Par ces phrases claires et directes, le général de Gaulle explique le fond de sa politique à un interlocuteur roumain. Lors de la campagne électorale de 1965, Charles de Gaulle déclare que « la France cherche la paix, cultive la paix, aide la paix, partout ». Auprès du chancelier Kiesinger, le général souligne que pour la France, « pays très abîmé », la paix est indispensable, sinon la descente amorcée il y a 150 ans continuera. Le besoin de paix « au moins pendant trois générations » doit dicter l’attitude française, professe de Gaulle également à son entourage en 196682. Or, la nécessité absolue de paix sous-tend les actions françaises durant toute la période examinée. Il s’agit d’un axiome de la politique gaullienne.
82Ce besoin déterminant de paix a plusieurs origines. Tout d’abord, Charles de Gaulle prescrit à la France une longue période de convalescence pour renaître et se refaire de tant de souffrances. La reprise de confiance des Français et des Françaises, surtout après la défaite traumatisante de 1940, est d’une grande importance pour lui.
83Le général de Gaulle se dit aussi convaincu que l’Europe occidentale ne pourra pas survivre à une guerre sur son territoire. Ou bien l’Europe sera profondément détruite par des bombes nucléaires ou alors elle sera complètement conquise, « plus ou moins vivante », par les Soviétiques83.
84Les combats du passé n’ont entraîné que des douleurs affirme de Gaulle à maintes reprises. Outre des souffrances inimaginables, les guerres ont engendré la faiblesse de l’Europe et ôté à la France son rang mondial, explique le général.
85Dans le système politique gaullien, dont l’indépendance nationale constitue la pierre d’angle, on peut désigner la notion de paix comme une vertu cardinale. En fait, les deux concepts sont étroitement liés. Pour Charles de Gaulle, l’indépendance est la condition sine qua non pour exister sur la scène diplomatique. Garder les mains libres traduit la volonté d’une nation de rester souveraine. Or l’émergence d’un monde multipolaire et équilibré, synonyme de paix selon de Gaulle, favorise les entités nationales.
86À l’opposé de l’indépendance nationale et de l’équilibre paisible se trouve la notion de bloc, qui implique l’alignement des plus faibles sur les plus forts. Dès qu’on s’oriente vers l’effacement des blocs, les entités nationales gagnent en importance. En même temps, cela crée la paix. D’après de Gaulle, « ce n’est que dans l’équilibre que l’univers trouvera la paix84 ». Un monde multipolaire est par définition plus paisible pour lui qu’un monde bipolaire. Cultiver la paix signifie, résume de Gaulle, développer des rapports avec tout le monde, y compris les Chinois et les Russes85.
87Donc, la recherche de paix motive l’opposition du général de Gaulle aux blocs, ainsi que ses efforts pour créer une Europe européenne. Un monde dans lequel l’Europe ne pèse pas de tout son poids court à son déséquilibre, dit-il. D’où, en partie, le sens de sa mission vis-à-vis des partenaires allemands qui méconnaissent, à ses yeux, l’importance de se détacher de l’hégémonie américaine.
88En juillet 1967, l’ambassadeur Seydoux essaie d’expliquer aux dirigeants allemands que l’attitude gaullienne envers Washington ne provient pas de quelque anti-américanisme, mais d’une préoccupation de paix très sérieuse. Certainement, les pensées de fond décrites jouent ici un rôle, le soi-disant anti-américanisme découlant d’une position anti-hégémonique. Très concrètement, le général craint aussi que l’Europe se retrouve impliquée dans la guerre américaine au Vietnam, susceptible de dégénérer en un conflit mondial, voire nucléaire. Bien avant, en novembre 1963, le général de Gaulle avait empêché le placement sur territoire français de projectiles atomiques de l’OTAN, afin de ne pas exposer la France, lors d’une guerre éventuelle contrôlée uniquement par Washington, à une attaque nucléaire de l’adversaire86.
89Les méfiances de Charles de Gaulle à l’égard des stratégies américaines puisent aussi leurs sources dans les expériences des deux guerres mondiales. Le général incite les Allemands à prendre en compte que les Européens doivent prendre eux-mêmes en charge leur sécurité, puisque l’Amérique peut toujours décider de rester en dehors d’un conflit. Au fond, de Gaulle doute de la volonté américaine de défendre l’Europe, si le territoire des États-Unis devait risquer d’être attaqué par des missiles nucléaires. Les Américains préféreraient peut-être attendre, comme par le passé. Bien que la Première Guerre mondiale ait éclaté en 1914, les États-Unis n’ont combattu qu’à partir de 1917, alors que « nous étions déjà démolis87 ». Et lorsque les Allemands ont envahi l’Europe en 1939, les Américains ont attendu l’année 1943 pour les défier. Ce fait prend pour de Gaulle la forme d’un credo, souvent répété.
90La stratégie de la force nucléaire française est étroitement liée à ces pensées. Elle doit dissuader les Soviétiques non seulement par sa puissance propre, mais aussi parce que son utilisation pourrait entraîner l’entrée en guerre des États-Unis. Étant conscients de cela, les Américains ne se moquent de la force de frappe qu’en apparence. En réalité, elle les dérange terriblement.
91Pour Charles de Gaulle, la possession de l’arme nucléaire est garante de paix, elle augmente l’équilibre mondial par son pouvoir égalisateur. Mais on ne peut pas permettre à certains pays de disposer d’un armement nucléaire et l’interdire aux autres, note le général. En même temps, il se dit partisan d’un désarmement nucléaire total. A la question de savoir si l’arme nucléaire doit continuer à exister, de Gaulle répond fin 1966 par un « non »88. Et il prédit « qu’un jour ou l’autre, sous peine de mort, le monde devra aborder la question cruciale du désarmement atomique89 ».
Notes de bas de page
1 Jean-Paul BLED, « L’image de l’Allemagne chez Charles de Gaulle avant juin 1940 », in : Études Gaulliennes, n° 5/17, janvier/mars 1977, p. 59.
2 LNC 1905-1918, pp. 13-29, Campagne d’Allemagne, 1905.
3 Charles DE GAULLE, La Discorde chez l’Ennemi, Paris 1924, nouvelle édition 1972, pp. 13, 15, 231.
4 Charles DE GAULLE, Vers l’Armée de métier, Paris 1934, nouvelle édition 1971, pp. 25-26.
5 Ch. DE GAULLE, Mémoires d’espoir, op. cit., t. I, p. 179. – J.-P. BLED, « L’image de l’Allemagne chez Charles de Gaulle avant juin 1940 », op. cit., pp. 63-66.b
6 Ch. DE GAULLE, Vers l’Armée de Métier, op. cit., p. 114.
7 Peter SCHUNCK, « De Gaulle et les Allemands : révision d’un préjugé », in : Espoir, n° 120, nov. 1999, p. 62. – En 1935, Vers l’Armée de Métier paraît en allemand.
8 DM, t. I, p. 144. – P. MAILLARD, De Gaulle et le problème allemand, op. cit., pp. 69-70.
9 Ph. DE GAULLE, op. cit., p. 129.
10 P. SCHUNCK, « De Gaulle et les Allemands », op. cit., p. 63.
11 Ch. DE GAULLE, Mémoires de guerre, op. cit., t. III, p. 174.
12 Stefan MARTENS, « L’image des occupants fiançais en Allemagne, 1945-1949 », in : Les Cahiers de l’IHTP, n° 28, juin 1994, p. 55.
13 LNC 1945-51, pp. 91-92, Allocution prononcée à Trêves, 3.10.45.
14 DM, t. II, pp. 594-596, Conférence de presse, 12.11.53.
15 Vers l’Armée de métier, pp. 26-28. – Cf. K. LINSEL, op. cit., pp. 78-85.
16 DM, t. III, p. 83, Conférence de presse, 25.3.59.
17 Ch. DE GAULLE, Mémoires d’espoir, op. cit., t. I, p. 186. – P. MAILLARD, De Gaulle et le problème allemand, op. cit., p. 136.
18 DGESS, t. V, p. 408.
19 P. MESSMER, op. cit., pp. 292-293. – DGESS, t. V, pp. 423-424.
20 Ph. DE GAULLE, op. cit., t. II, pp. 126-141. – P. MAILLARD, De Gaulle et le problème allemand, op. cit., p. 20.
21 E. PISANI, Le Général indivis, op. cit., p. 97.
22 Robert FRANK, « Images et imaginaire dans les relations internationales depuis 1938 : problèmes et méthodes », in : Les Cahiers de l’IHTP, n° 28, juin 1994, pp. 6-7.
23 Le système de représentations sous-tendant l’opinion publique (R. Frank).
24 Klaus HEITMANN, „Das französische Deutschlandbild in seiner Entwicklung“ in : Sociologica internationalis, n° 4/1966, pp. 165-166. – Claude DIGEON, La crise allemande de la pensée française, 1870-1914, Paris 1959, pp. 57-60.
25 Jörg von UTHMANN, Le diable est-il allemand ? 200 ans de préjugés franco-allemands, Paris 1984, pp. 273-274. – Marie-Noëlle BRAND CRÉMIEUX, Les Français face à la réunification allemande, automne 1989 – automne 1990, Paris 2004, p. 275.
26 P. SCHUNCK, « De Gaulle et les Allemands », op. cit., p. 65. – Interview de l’auteur avec Egon Bahr.
27 Cf. sur ce point : M. VAISSE, La grandeur, op. cit., pp. 22-26.
28 AMAE, EM, Entretiens avec E. Ochab (7.9.67), S. Vinogradov (29.1.63) et J. Cyrankiewicz (10.9.65).
29 A. PEYREFITTE, op. cit., t. II, p. 262, 275.
30 AMAE, EM 36, Entretien de Gaulle-Nixon, 31.3.69.
31 AMAE, EM 28, Entretien Couve de Murville-Tito, 13.9.66.
32 PRO, FCO 33/535, Conversation Smith-du Bois, 19.3.69.
33 H. KISSINGER, À la Maison Blanche, op. cit., t. I, p. 114.
34 AMAE, EM 36, Entretien de Gaulle-Nixon, 31.3.69.
35 AMAE, EM 25, Entretien de Gaulle-Cyrankiewicz, 10.9.65.
36 A. PEYREFITTE, op. cit., t. II, p. 245.
37 Ibidem, p. 283, 28.4.65. – AN, 539 AP9, Conseil des ministres, 2.10.68. – DM, t. Y, p. 101, Conférence de presse, 28.10.66.
38 Entretien accordé à l’auteur, le 25 septembre 2003 à Paris.
39 A. PEYREFITTE, op. cit., t. III, p. 193 (citation). – AMAE, RFA 1401, NPD.
40 A. PEYREFITTE, op. cit., t. II, p. 26, 25.6.63.
41 Ibidem, t. III, p. 145, 11.9.66.-Ph. DE GAULLE, op. cit., t. II, p. 127.
42 Le 16 avril 1922, la Russie soviétique et l’Allemagne de Weimar ont signé à Rapallo, près de Gênes, un traité rétablissant leurs relations diplomatiques. Il s’agissait d’un rapprochement sensible entre les deux États.
43 FNSP, CM9, Entretien de Gaulle-Cyrankiewicz, 10.9.65.
44 Entretiens de l’auteur avec Bruno de Leusse et Christian d’Aumale.
45 Jean-Baptiste NEVEUX, « De Gaulle vu de RFA. Vingt ans d’incompréhension », in : Etudes Gaulliennes, n° 15/44, juin 1985, p. 69.
46 PRO, Prem 13/3216, Informal discussion Wilson-Brandt, 4.3.70.
47 Ph. DE GAULLE, op. cit., t. II, pp. 140-141. – AMAE, RFA 1604, Rheinischer Merkur, 4.9.64 : L’anti-gaullisme allemand. – Institut für Demoskopie Allensbach, Jahrbuch der öffentlichen Meinung, 1965-1967, Bonn 1967, p. 254.
48 AMAE, RFA 1605, Tél. de Bonn, 3.1.65, 19.3.65.
49 V. HENTSCHEL, op. cit., p. 606.
50 W. BRANDT, Erinnerungen, op. cit., pp. 240-245.
51 Institut für Demoskopie Allensbach, Jahrbuch der öffentlichen Meinung, 1968-1973, Bonn 1974, p. 566 : Verdienste de Gaulles.
52 Concernant cet arrière-grand-père allemand de Charles de Gaulle, Ludwig Philippe Kolb, cf : Ph. DE GAULLE, op. cit., t. II, pp. 127-128.
53 P. SCHUNCK, « De Gaulle et les Allemands », op. cit., pp. 57-68.
54 PAAA, B24/479, Aufz.,11.2.63 ; B24/470, Aufz., 10.4., 16.4., 23.4.63.
55 J.-B. NEVEUX, op. cit., p. 71.
56 FRUS 1964-68, vol. XV, doc. 118, Conversation Erhard-Johnson, 4.6.65. – ACDP, NL Kiesinger A 008-1, Infogespräch des Kanzlers, 5.12.68.
57 PAAA, B24/556, Aufz. Steg, 28.4.65 (citation) ; B150, Aufz., 8.1.68.
58 BA, NL Carstens 652, 27.5.65. – ACSP, NL. Strauss, Fam. 1156, Spaziergang mit Kiesinger, Krühsommer 1968.
59 ACDP, VI1I-001-1504/1, Sitzung des CDU/CSU Fraktionsvorstandes, 25.1.63.
60 FRUS 1964-68, vol. XV, doc. 118, Conversation Johnson-Erhard, 4.6.65. – AAPD 1966, Dok. 185. – AMAE, RFA 1554, Déclaration de L. Erhard, 15.3.68.
61 H. OSTERHELD, Aussenpolitik unter L. Erhard, op. cit., pp. 311-312.
62 PAAA, B150, Aufz. Osterheld, 28.6.67 : Deutsche Enttäuschung über Frankreich. – ACDP, NL Schröder 291/1, Aufz. Lahr, 7.11.66.
63 Der Spiegel, 5.5.69, p. 110, R. Augstein : Die Lust am Untergang. – J.-B. NEVEUX, op. cit., p. 76.
64 Institut Allensbach, Jahrbuch der öffentlichen Meinung, 1968-1973, op. cit., p. 565. -AMAE, RFA 1603, Rapport Maglott sur la mentalité allemande, 8.4.64.
65 ACDP, NL Osterheld, Erh. 2, Aufz., 7.8.64. – H. OSTERHELD, Ich gehe nicht leichten Herzens, op. cit., pp. 182-183.
66 Entretiens de l’auteur avec Christian d’Aumale et Egon Bahr.
67 PAAA, B150, 8.1.68 : Ziele der frz. Aussenpolitik ; B24/567, 10.6.66, de Gaulle und die Wiedervereinigung ; B24/605, 13.1.67, de Gaulies politisches Weltbild.
68 Le colonel français Antoine Argoud, membre de l’Organisation de l’armée secrète, a été enlevé de Munich par les services secrets français, le 26 février 1963.
69 U. LAPPENKÜPER, Die dt.-frz. Beziehungen, op. cit., p. 1824.
70 AMAE, RFA 1521, Tél. Millot (Francfort), 25.11.68. – Cf. PAAA, B150, 8.1.68.
71 AMAE, RFA 1557, 17.3.66 : discours de L. Erhard ; EM 31, Entretien de Gaulle-Kiesinger, 13.7.67.
72 AMAE, EM 34, Entretien de Gaulle-Shriver, 23.9.68.
73 AAPD 1964, Dok. 257, Tel. Blankenhorn (Rom), 24.9.64 ; Dok. 187, Gespräch Erhard-de Gaulle, 4.7.64. – PAAA, B14/1226, Aufz., 1.6.68 : Nato-Fragen.
74 LES, NL Erhard 12.14, Erhard an von Brentano, 28.2.63. – AAPD 1964, Dok. 187 ; 1965, Dok. 26.
75 K. Kiesinger l’avoue à de Gaulle, le 14.1.67 (ACDP, NL Kies. A292).
76 CAEF, B55814, Déclaration de Brandt, 26.11.68. – AMAE, RFA 1609, Allocution du chancelier, 30.12.68.
77 R. LAHR, Zeuge von Fall und Aufstieg, op. cit., p. 491, 14.5.68.
78 ACDP, nl Ost., Kies. 4, Aufz., 31.10.68. – PAAA, B150, 8.1.68.
79 FRUS 1964-68, vol. XIII, doc. 129, McGhee (Bonn) to SecState, 7.2.66.
80 BA, NL Guttenberg 91, 2.9.68. – E. BAHR, Zu meiner Zeit, op. cit., p. 211.
81 AMAE, EM 34, Entretien de Gaulle-Ceausescu, 14.5.68.
82 DM, t. IV, p. 431. – AMAE, EM 29. Entretien de Gaulle-Kiesinger, 14.1.67. – H. AL-PHAND, op. cit., p. 473.
83 FNSP, CM8, Note du général de Gaulle, 1.5.63 : défense atomique.
84 DM, t. III, p. 221,31.5.60.
85 DGESS, t. IV, p. 226, Communication d’Etienne Burin des Roziers. – M. VAÏSSE, La grandeur, op. cit., pp. 35-40. – AMAE, AO 30, E. Burin des Roziers.
86 FNSP, CM8, Note du général de Gaulle, 15.11.63.
87 AMAE, EM 34, Entret. de Gaulle-Kiesinger, 27.9.68. – AAPD 1968, Dok. 312.
88 FNSP, CM8, Note du général de Gaulle, 5.11.66. – AMAE, EM 29, Entretien de Gaulle-Kossyguine, 1.12.66.
89 A. PEYREFITTE, op. cit., t. III, p. 173, 8.3.67.
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