Aggiornamento (2022)
p. 373-375
Texte intégral
1La fin d’une longue période de dictature militaire (1964-1985) et l’élaboration d’une Constitution (1988), qui insiste sur les engagements sociaux de l’État et reconnaît les droits collectifs et ceux des minorités, ont suscité de nouveaux espoirs pour la société brésilienne. Les indigènes ont obtenu la reconnaissance de presque 18 % des terres de ladite « Amazonie légale », où plusieurs millions d’hectares sont également des réserves extractivistes et des unités de conservation. Sur l’ensemble du territoire national, plusieurs milliers d’hectares sont actuellement revendiqués par les communautés quilombola. Les politiques sociales orientées vers la lutte contre la pauvreté, l’égalité raciale et de genre, ont signalé l’émergence d’un nouveau pays, avec moins d’exclusion, de discrimination et de tutelle. C’est dans ce contexte politique que les articles qui composent ce livre ont initialement vu le jour.
2Une alliance conservatrice hétérogène a destitué en 2016 la présidente Dilma Rousseff, réélue en 2014, au terme d’une procédure d’impeachment, et a conduit à l’incarcération de l’ex-président Luiz Inácio Lula da Silva en 2018, candidat en tête des sondages pour l’élection présidentielle. Victorieux d’une campagne électorale dirigée par des spécialistes internationaux en political marketing et fake news, un gouvernement d’extrême droite s’est alors imposé1, admirateur de la dictature militaire et partisan d’un alignement absolu avec les intérêts économiques et géopolitiques des États-Unis : scénario idéal pour la mise en pratique d’un néolibéralisme sauvage dirigé contre les droits sociaux, l’écologie et le respect des territoires et des cultures indigènes.
3Le Brésil officiel, représenté aujourd’hui par le pouvoir exécutif, se retourne contre ses « autres », ravivant, sans même le savoir, la rhétorique usée du discours colonial. Faire disparaître ou mettre sous tutelle sont ainsi les orientations centrales, à peine dissimulées derrière l’ironie et le racisme. Elles se manifestent désormais sous différentes formes, allant de l’abolition des droits, encore restreints, acquis par ces peuples et ces communautés pendant les dernières décennies, jusqu’au désengagement à l’égard de leur survie menacée par la pandémie et les actions agressives des agents du développement prédateur et sauvage (agrobusiness, exploitation forestière et mine).
4Pour de nombreux scientifiques brésiliens en sciences sociales, le revirement qui s’est produit dans le pays a été une profonde surprise et ne semblait explicable que par des raisons externes (l’intérêt des grandes multinationales pour les gisements pétroliers sous-marins du pré-sel, les nouvelles technologies de communication et leur utilisation dans le contrôle des masses ; la crise des démocraties occidentales).
5Cependant, les textes qui composent ce livre indiquent de nombreux facteurs contribuant à une autre explication, basée sur des causes brésiliennes, de cet énorme revers : un racisme camouflé, mais enraciné et persistant, qui ne se manifeste généralement que par la plaisanterie, mais qui est aussi exprimé par des pratiques très violentes et discriminatoires dont il ne faut pas parler ; l’acceptation fataliste que les lois ne s’appliquent pas aux puissants et qu’ils peuvent les violer en toute impunité grâce à la permissivité totale des autorités ; la coutume de transformer même dans les conflits légaux et légitimes le concurrent en un « autre » – un ennemi ethnique, social ou idéologique – justifiant de déverser tout l’arsenal de haine et de cruauté typique d’une guerre sainte.
6Pour que la richesse circule facilement vers les élites locales, nationales et vers leurs partenaires étrangers, il est nécessaire que la frontière, au sens où nous la conceptualisons dans ce livre, continue de s’étendre à travers l’Amazonie et vers d’autres zones convoitées du pays, que les droits de ses résidents indigènes, Noirs, métis et de ses populations traditionnelles, soient ignorés et que les lois soient enfreintes ; que l’état d’exception, largement rendu visible par les frontières, s’empare de toute la nation et se généralise de manière éhontée.
7Les anthropologues, en étudiant la construction de ces altérités et leur dynamique propre, essaient de pratiquer des façons de faire de l’ethnographie nouvelles et horizontales, et rendent leurs données et leurs analyses largement disponibles et socialement utiles. Pour les gouvernants actuels (2019-2022), ils deviennent des acteurs indésirables et dangereux, opposés à la libre expansion des frontières et à l’invisibilisation des conflits qu’elle génère. Leurs enquêtes ethnographiques et leurs analyses de la nation brésilienne développent pourtant des modalités de travail anthropologique qui expriment des expériences nouvelles à partir d’une situation d’enquête particulière.
Notes de bas de page
1 Pour comprendre l’association des intérêts ruraux et urbains dans la campagne électorale et dans la structure administrative qui a ensuite été mise en place, voir Pacheco de Oliveira [2021].
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La naissance d’une nation
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