Chapitre x – La nature modelée par l’information ?
p. 269-295
Texte intégral
1Dans le débat sur la normalisation, sortir de l’étude de cas pour monter en généralité nous confronte d’emblée à la difficulté d’établir des constats solides. La gageure est d’autant plus importante que les exemples présentés dans cet essai portent sur des dimensions très différentes de l’environnement, dont la normalisation suit des chemins particuliers. De nombreuses situations prouvent que, sur les terrains étudiés, le rapport entre création d’instruments informationnels et normalisation des enjeux environnementaux est variable et paradoxal.
2Prenons l’exemple des SIAE, instruments dont la vocation est principalement de réguler les effets environnementaux de l’agrobusiness (chapitre iv). Ils utilisent une information pauvre et réduisent les agrosystèmes à un nombre réduit de dimensions, mais symétriquement, ces instruments ont pour but d’introduire plus de diversité dans la gestion de ces espaces et de nuancer l’homogénéisation des pratiques au sein de l’agrobusiness. C’est un fait : les SIAE procèdent à la fois d’un appauvrissement des représentations de l’environnement, tout en visant une (relative) diversification des pratiques. Sur un autre plan, alors même qu’il est probable que les instruments vont converger et donc se normaliser dans un futur proche, c’est pour l’heure la diversité des bricolages informationnels qui dominent. Tant à l’échelle mondiale [Nedovic-Budic, Crompvoets & Georgiadou, 2011] qu’à l’échelle régionale [Gautreau & Noucher, 2013], les Infrastructures de données géographiques sont utilisées à des fins diverses et correspondent à des formes multiples de production d’information1.
3Des paradoxes similaires s’observent quant à la productivité cognitive des conflits où sont impliqués des instruments informationnels. Prenons le cas du zonage sylvicole du Rio Grande do Sul (ZAS) et ses versions successives. D’un côté, comme le disait Lascoumes en 2004, l’instrument produit une « schématisation de l’enjeu ». Dans ce cas précis, la vulnérabilité écologique des campos, qui devait être évaluée de façon collégiale en réunissant un grand nombre d’experts, devient un calcul géomatique simpl(ist)e établissant une taille maximale des massifs d’eucalyptus et une distance minimale entre eux. En somme, l’instrument du ZAS réduit la question de la vulnérabilité à celle de la fragmentation des formations végétales des campos. À l’inverse, le ZAS a incorporé et représenté pour la première fois dans l’État du Rio Grande do Sul certaines dimensions inédites de cet écosystème, introduisant une plus grande diversité informationnelle dans un contexte de sous-valorisation et de méconnaissance publique des écosystèmes non forestiers au Brésil.
4Il est enfin nécessaire d’adapter au contexte sud-américain les éléments du débat européen et français sur la normalisation de l’information environnementale évoqués au chapitre ii. En France, l’incorporation des savoirs naturalistes amateurs aux bases de données publiques est une question centrale. En Amérique du Sud, l’absence d’amateurs naturalistes en nombre aussi important qu’en Europe fait qu’ils ne sont pas encore considérés comme des sources légitimes d’information, d’où l’absence de débat sur ce point. De la même façon, les pays étudiés ne possèdent pas d’institution nationale de référence pour la normalisation des données naturalistes, comme avec le Muséum national d’Histoire naturelle en France. Le débat sur la normalisation se joue plus dans la progressive et difficile mise en cohérence d’acteurs mal coordonnés, où les institutions étrangères ont un rôle encore décisif. C’est sur ce caractère inabouti, partiel et très contradictoire de la normalisation informationnelle que ce chapitre veut insister.
Le rôle ambigu de l’information dans « l’invention » de nouvelles natures
5Savoir dans quelle mesure les instruments d’information contribuent à ce qu’il est maintenant convenu d’appeler l’invention de nouveaux ensembles écologiques est une tâche ardue. J’entends ici par invention les processus qui mènent à la valorisation d’ensembles écologiques auparavant absents des arènes environnementales publiques et qui ne faisaient pas l’objet de mesures de conservation particulière. Parmi les grandes inventions de natures du xxe siècle, pourraient être mentionnées celles des zones humides qui, d’espaces repoussoirs et asséchés depuis l’Antiquité sont devenus des éléments centraux des réseaux écologiques, notamment pour les oiseaux ; les formations herbacées, perçues comme une végétation forestière dégradée jusque dans les années 1980, avant que soit découverte leur forte biodiversité ; ou la biodiversité ordinaire, qui sort de l’ombre avec les travaux de l’écologie fonctionnelle, principalement après les années 1990. Ces cheminements vers la lumière ne se font pas en un jour, et les scientifiques jouent un rôle clé dans ce travail de valorisation, à la fois en donnant des arguments chiffrés sur l’intérêt de l’ensemble écologique en cours d’invention et en le délimitant dans l’espace par la cartographie, afin que les pouvoirs publics puissent le prendre en charge.
6L’Amérique du Sud des années 1990-2000 a été riche en inventions de ce type, car avec l’intensification agricole et l’avancée des fronts agraires, de nouveaux écosystèmes utilisés jusque-là de façon extensive ont été touchés. Ces écosystèmes avaient souvent une image publique négative dans la population urbaine, qui les associait à la pauvreté et à la marginalité, comme pour les forêts sèches du Chaco ou les Cerrados brésiliens. Ce processus est indissociable de mutations des corps professionnels dans les administrations de la région, où des écologues et biologistes plus au fait des enjeux de conservation occupent une place croissante, quoique toujours minoritaires par rapport aux agronomes [Gautreau & Hinnewinkel, 2013]. Il est aussi lié aux travaux de la fin du xxe siècle sur la sociobiodiversité, qui retournent l’argument d’un effet négatif des populations rurales sur la biodiversité, pour souligner leur rôle de coconstructeurs de celle-ci. A également joué la présence d’ONG de conservation, en quête de nouveaux combats à porter sur la place publique. En Argentine, Greenpeace cherchait début 2000 un thème fédérateur pour mobiliser dans le pays et prospectait dans le nord du pays, lorsque l’association a identifié la question de la déforestation des forêts du Chaco comme un sujet porteur. Cette identification stratégique a été essentielle par rapport au reste des événements ayant abouti au vote de la loi. Il serait donc imprudent d’attribuer à la seule information environnementale le beau rôle dans ces inventions, tant ces différents facteurs s’y entrelacent, ainsi que l’ont démontré pour les cerrados Aubertin et Pinton [2013] ou plus récemment Eloy et al. [2016].
7Dans les cas étudiés dans cet essai, c’est à mon sens surtout parce que les instruments d’information agroenvironnementale (SIAE) sont créés dans un contexte conflictuel qu’ils vont contribuer à construire des dimensions occultées ou absentes des écosystèmes affectés par les fronts agraires. Ils vont être saisis par certains acteurs pour faire passer des conceptions particulières sur les écosystèmes touchés, soit lors des débats sur le calibrage des instruments soit dans les mécanismes eux-mêmes des instruments. L’instrument d’information ne crée alors pas de nouvelle dimension, mais il accompagne le processus et l’oriente. Dans le cas du Zonage sylvicole du Rio Grande do Sul, décrit au chapitre iv, nous avions détaillé, avec Eduardo Vélez, la façon dont l’instrument lui-même supposait que l’administration identifie pour la première fois différents types de formations herbacées. Avant même d’être inscrites dans la loi comme des écosystèmes menacés par le soja et la sylviculture industrielle, ces dernières acquéraient une existence officielle à travers l’instrument et les procédures qu’il instituait.
8D’une façon similaire, la loi forestière argentine a suscité un mouvement de recherche sans précédent sur des écosystèmes forestiers subtropicaux et secs jusqu’alors peu intéressants pour les chercheurs de la région. En couvrant la plus grande part de ces forêts en catégorie jaune, où seules des activités « soutenables » peuvent être menées à l’exclusion de tout déboisement, la loi a poussé les milieux agricoles à chercher des moyens d’intensifier la production sans trop affecter les couverts. Dans le Chaco, les années 2000-2010 sont celles d’une augmentation notable des charges animales en sous-bois [Paruelo et al., 2006], les troupeaux des pampas ont été chassés par le soja, en plein boom depuis l’introduction en 1996 des premières semences transgéniques [Rodríguez, 2010]. La tendance à déboiser de vastes parcelles puis à les planter avec des graminées africaines tolérantes à la sécheresse et à forte productivité devient illégale après 2007. Sous l’égide du Conseil fédéral de l’environnement (Cofema) et à l’instigation de l’INTA (Inra argentin), se développe une méthode sylvopastorale de « gestion forestière avec intégration de l’élevage » (MBGI). Celle-ci est censée permettre le renouvellement de l’écosystème forestier à long terme, tout en ouvrant le sous-bois buissonnant de façon à augmenter les ressources fourragères au sol2. Ainsi, l’intérêt pour l’écologie des forêts sèches se développe peu à peu sous l’effet de la nouvelle loi et de l’instrument de zonage qu’elle a généré. Au Brésil et en Bolivie, les instruments de type cadastre ont quant à eux créé une attention nouvelle aux questions de restauration écologique, surtout forestière, et engendré des recherches sur la question [Daugeard & Le Tourneau, 2018].
9Reste à savoir si ces nouvelles représentations environnementales vont pouvoir s’inscrire de façon durable dans l’espace public et les politiques publiques. Lorsqu’un système d’information agroenvironnemental est neutralisé dans sa portée régulatoire, cette inscription est à peu de chose près nulle. Le zonage sylvicole du Rio Grande do Sul n’a pas empêché le remplacement de près de la moitié des campos de l’État par du soja ou des plantations d’arbres au cours des vingt dernières années. Les nouvelles dimensions construites par l’instrument jouent au final au détriment de la conservation qu’il est censé promouvoir, alors qu’il laisse croire erronément qu’il préserve des processus écologiques. Les techniques MBGI sont dénoncées comme de la déforestation masquée en Argentine, tandis que le Brésil et la Bolivie acceptent de plus en plus les plantations d’arbres exotiques au titre de la restauration de la végétation exigée par les cadastres.
10Ainsi, si de « nouveaux » écosystèmes sont apparus dans les années 2000-2010, leur valeur publique est encore fragile. À l’exception de certains, comme les cerrados, leur image publique reste peu ou prou confuse et floue : aucune carte de recul des formations herbacées des campos ne circule, alors que partout fleurissent des cartes de la déforestation amazonienne. La diffusion des cartes de déforestation du Chaco argentin, bolivien et paraguayen reste confidentielle.
Les cadrages des conceptions de la nature par les logiques dominantes de lisibilisation informationnelle
11Si les instruments d’information environnementale donnent à voir de « nouvelles » dimensions de la nature, ils contribuent également à en occulter d’autres. En cela, rien de nouveau depuis les travaux de Scott [1998] sur la sylviculture d’État prussienne et la façon dont sa mise en chiffres des forêts a eu pour effet d’occulter d’abord, puis de réprimer les droits d’usage hérités de l’ancien régime (pacage en sous-bois, récolte de bois, charbonnage, etc.). Le but des lisibilisations publiques de l’environnement étant de réduire le « hiéroglyphe » social des usages de la nature, certaines particularités locales doivent être gommées pour atteindre la vue d’ensemble (synopticité). Cependant, le paradoxe de ces occultations ou invisibilisations est qu’elles sont le fait d’instruments présentés comme essentiels à une avancée démocratique, accompagnée de transparence sur les méthodologies de travail et les sanctions auxquelles s’exposent les contrevenants à la loi saisis depuis l’espace en pleine infraction. Ces invisibilisations participent ainsi du cadrage public des problèmes que les instruments sont censés saisir en toute objectivité, mais qu’ils contribuent, dans les faits, à façonner.
12Pour comprendre le rôle des instruments dans le cadrage des conceptions de la nature en Amérique du Sud et ailleurs, il est important de différencier trois plans de réflexion, technique, relationnel et événementiel. Dans leur conception technique, les instruments sont limités par ce qu’ils peuvent voir ou ne pas voir : la taille du pixel d’une image satellite, par exemple, va influencer le type d’objet qui va pouvoir être détecté. Il est essentiel de garder à l’esprit cette dimension technique, même si elle ne joue presque jamais de façon autonome. Ainsi, il est possible de tirer plus ou moins d’information d’une image satellite en fonction du temps humain qui y est dédié, de l’inventivité ou du talent de l’opérateur. L’effet lié à la taille du pixel ne doit donc pas être réifié comme une contrainte qui ne serait pas élastique. Second point, les instruments influencent les relations entre les différents acteurs du champ environnemental. Dans certaines conditions, ils donnent du pouvoir à ceux qui les utilisent et leur permettent de mieux faire porter leur parole dans certaines arènes. Ce n’est pas l’instrument per se qui donne autorité ou légitimité à des acteurs qui en sont déjà partiellement dotés. Mais, dans un contexte particulier, ils peuvent donner un surcroît de pouvoir, qui va être décisif pour faire peser la décision dans un certain sens. Sur le plan événementiel, enfin, les temporalités dans lesquelles est pris l’instrument vont en partie déterminer ce qui peut ou pas être vu. Ces temporalités vont par exemple influencer les possibilités qui sont données à des groupes impliqués dans la régulation environnementale pour interpréter les résultats d’observation de certains instruments, et relativiser, critiquer ou contredire ces mesures. De toute évidence, plus l’instrument est utilisé en situation d’urgence, moins nous est donné le temps de prendre du recul sur ce qu’il nous lit/dit.
Les effets du choix d’une régulation à distance par le tout-télédétection
13La systématisation de l’usage public d’imagerie satellitale pour contrôler le respect de leurs engagements environnementaux par les ruraux se justifie par la nécessité de couvrir des espaces immenses, par la fréquente inaccessibilité des exploitations en un temps raisonnable, par l’idée qu’elle met sur un pied d’égalité les exploitants et qu’elle permet de faire peser sur tous la menace latente d’un contrôle, même quand l’administration dispose depuis toujours de peu de personnel. Auréolés d’a priori démocratiques, les instruments basés sur le satellite ont pourtant un rôle majeur dans le façonnement des représentations de la nature et de cadrage des problèmes qui l’affectent.
14Sur le plan technique, l’imagerie satellitale produit d’abord de l’invisibilisation en fomentant des cartographies souvent frustes et binaires de la végétation. Depuis les travaux pionniers de Brondizio [Brondizio, 2006 ; Moran & Brondizio, 2001] qui ont montré la facilité avec laquelle les traitements conventionnels des images satellites faisaient perdre de vue les systèmes agroforestiers amazoniens en les confondant avec des forêts non gérées, plusieurs études ont approfondi la question. Pour le Brésil, Eloy, Coudel et Toni [2013] expliquent comment ce choix méthodologique conduit à une catégorisation de la végétation forestière en deux classes seulement : déboisé/non déboisé. La plupart des systèmes agroforestiers tombent dans la classe « non déboisés », ce qui peut paradoxalement porter préjudice aux populations qui les ont créés. Cela occulte leur travail social de construction de la biodiversité et fait croire qu’ils n’ont conservé la forêt que parce qu’ils ne l’ont pas touchée, alors qu’ils l’ont activement jardinée. À l’inverse, des agroécosystèmes plus ouverts par l’agriculture familiale, mais aux fonctions écologiques riches, tombent généralement dans la classe « déboisé ». Comme mentionné, l’erreur n’est pas imputable à une technique qui serait autonome, mais bien au choix de certaines méthodes par rapport à d’autres, afin de réduire les coûts de transaction pour l’administration. Ce même effet de sélection a lieu lorsque l’administration a le choix entre plusieurs outils et prend celui qui est le plus aisé et rapide à utiliser. Dans les cerrados du nord-est brésilien, Eloy et al. [2016, p. 16] ont montré que la disponibilité d’instruments gratuits de détection des feux en temps quasi réel fournis par les États-Unis a conforté l’administration brésilienne dans une répression importante des feux pastoraux3, au détriment de la répression des infractions à la législation sur l’eau (pompage illégal et pollution), du fait d’une absence de bases de données riches sur cette question. Or, ce choix induit une pénalisation accrue des populations historiques des cerrados, pauvres et marginalisées, par rapport à l’agrobusiness. Tandis que les premières utilisent régulièrement le feu pour leurs pratiques de subsistance dans les bas-fonds du paysage et sont souvent punies, le second, qui affecte pourtant les ressources en eau de tous les bassins avals, passe sous le radar de l’administration.
15Avec la télédétection, il existe une rétroaction positive entre dépendance au sentier technique et formes dominantes de cadrage des problèmes environnementaux. À l’échelle de l’Amérique du Sud, nombre d’auteurs ont montré depuis les années 2000 que des processus de reboisement spontanés avaient lieu sur tout le continent, généralement en lien avec des processus de dépeuplement agricole, mais que ce phénomène était passé sous silence [Hecht, 2014 ; Grau & Aide, 2008]. C’est la focalisation historique sur le déboisement qui a modelé le regard des scientifiques et des administrations, aidé en cela par la mise au point de méthodologies standardisées de repérage des coupes à blanc, plus aisées que le repérage des recrûs forestiers. L’usage systématique de la télédétection aurait donc contribué à détourner l’attention de ces espaces ruraux vidés récemment de leurs habitants, que Bryant, Paniagua et Kizos [2011] proposent de qualifier de shadow spaces. C’est un processus similaire de rétroaction positive entre politique environnementale et techniques satellitaires que décrivent les travaux d’Eloy et al. [2016, 2013], qui montrent comment un a priori historique négatif de l’administration brésilienne sur les feux pastoraux est renforcé par les facilités qu’offre désormais la technique pour les verbaliser, ce qui renforce la focalisation de la politique répressive sur le thème « incendie ».
16Sur le plan relationnel, l’imagerie satellitaire opère des marginalisations de certaines représentations de l’espace public et de l’espace décisionnaire. Rajão [2013] estime par exemple qu’au tournant des années 2000, les savoirs mobilisés pour la création d’aires protégées au Brésil ont de moins en moins été ceux des chercheurs arpentant le terrain au sens ancien du terme, les anthropologues, les archéologues, les botanistes, et ont été de plus en plus fournis par des sciences perçues comme plus objectives et englobantes (comprehensive), s’appuyant notamment sur la télédétection. Ce déplacement au sein de l’espace de légitimation des savoirs a été favorisé par le fait que la télédétection offrait une vue holistique de l’espace, à un niveau perçu par les gestionnaires comme le plus pertinent pour réaliser des choix rationnels4. Plus en amont du cadrage des problèmes environnementaux par les acteurs, Rajão montre que la télédétection construit également les sujets qui s’affrontent sur la question de la déforestation et qu’elle les modèle. Dans la droite ligne des études sur l’acteur-réseau, ses travaux démontrent avec finesse ce que Mol affirmait en 2008, à savoir que l’information n’est pas qu’une ressource émise par des acteurs, mais qu’elle transforme ceux-ci et leurs relations aux autres [Rajão & Jarke, 2018, p. 3] :
« […] Nous en concluons que les données de surveillance ne font pas que représenter la déforestation en Amazonie. Au contraire, différents publics et configurations de données (c’est-à-dire de niveaux d’agrégation spatiaux et temporels) produisent différents objets (par exemple, une Amazonie menacée, ou une politique réussie) et sujets (par exemple, des activistes environnementaux bien informés, ou un gouvernement peu réactif)5. »
Les effets de l’urgence et de la dépendance au sentier
17Si la question de la télédétection et de la déforestation est laissée de côté un instant, un autre effet de cadrage implicite des questions environnementales tient à la place centrale accordée aux dimensions agronomiques dans les instruments d’information créés au cours des années 2000-2010. J’ai pu faire ce constat empirique au fil des analyses des différents instruments mentionnés au chapitre iv : dans la plupart des cas, et alors que l’objet de la régulation était une entité vivante caractérisée par sa biodiversité (la forêt, les formations herbacées, etc.), les données écologiques injectées dans le système d’information étaient au mieux extrêmement pauvres, au pire totalement absentes. Ma thèse à ce sujet suppose de se référer au plan événementiel de l’analyse de la technique : les instruments en question sont tous adoptés dans les années 2000, dans la précipitation et dans un contexte de sentiment d’urgence face à l’avancée très rapide de la frontière agricole. Dans cette situation, les acteurs en présence ont privilégié la mobilisation de données préexistantes à la production de nouvelles données, pour lesquelles un temps plus long aurait été nécessaire, celui pour s’accorder sur la méthode et celui pour collecter les données. Dans les années 2000, les principales données suffisamment structurées sur les vastes territoires des pays étudiés étaient peu ou prou des données agronomiques générées dans les années 1970-1980, principalement les grands groupes de sols et les ensembles climatiques. Le croisement simple de ces deux types de données permettait alors facilement de faire une carte du potentiel agronomique, adaptée aux évolutions techniques de l’agriculture nationale.
18Une façon simple de démontrer cet état de fait est de mentionner le zonage sylvicole du Rio Grande do Sul comme le seul instrument parmi ceux étudiés à incorporer des données sur la vulnérabilité des écosystèmes de campos à la sylviculture. Un indice de richesse floristique des campos et un indice de susceptibilité des sols à l’érosion ont constitué la base de cette mesure de vulnérabilité. C’est une des raisons pour lesquelles ce zonage a été si critiqué au Brésil, car sa conception se démarquait des traditionnels zonages écologico-économiques du pays, qui relèvent pour l’essentiel de la cartographie du potentiel agricole [Gautreau & Vélez, 2011]. En Argentine, comme l’ont démontré avec précision le mémoire de Laure-Élise Ruoso [2011] puis la thèse de Lorenzo Langbehn [2015], les zonages forestiers provinciaux sont créés avec des couches d’informations écologiques frustes, grossières et très peu nombreuses, ce qui est surprenant, puisque le zonage est censé se fonder en partie sur des critères de potentiel de biodiversité6. Dans ce pays, l’absence de référentiels écologiques fédéraux a donc accentué ce tropisme agronomique de la cartographie environnementale. La réalisation de la principale carte d’occupation du sol, c’est un signe, a été confiée à l’institut agronomique national, sans participation d’institutions spécialisée en écologie végétale7.
19La situation n’est guère différente en Bolivie et en Uruguay. Dans le premier pays, les longues années d’acculturation des techniciens en charge de la cartographie des milieux aux notions agronomiques diffusées par l’Institut interaméricain de coopération pour l’agriculture ont été décisives8. Aujourd’hui, ces hommes, jeunes dans les années 1970, continuent à enseigner dans les universités du pays des notions telles que celle de « capacité d’usage maximal du sol », au détriment de connaissances plus diversifiées et moins dépendantes de la pédologie. En conséquence, les cartographies pourtant disponibles sur la végétation9 ou les méthodologies des ONG sur l’analyse de la biodiversité n’ont pas été intégrées aux programmes publics de cartographie de l’occupation du sol. En Uruguay, le même facteur d’inertie générationnelle aurait joué en défaveur d’un renouvellement rapide des méthodes de cartographie environnementale [Marquis Dupont, 2014], les hommes formés à la fin des années 1970 à la pédologie occupant encore des fonctions clés dans l’administration.
Information environnementale et logiques de prises en charge de la nature
20Le débat sur la normalisation implique de savoir si les instruments, dans leur configuration même, traduisent ou impliquent des logiques spécifiques de prise en charge de la nature normalisante. Parmi celles-ci, le processus de néolibéralisation du monde est accusé, en articulation avec la globalisation, de laminer la diversité des écosystèmes, dans leur matérialité, autant que les savoirs sur ceux-ci. Les instruments étudiés ici sont-ils porteurs de ces logiques ? Scott, rappelons-le, estimait dans son ouvrage de 1998 que les grands instruments d’information du xxe siècle ne portaient pas en eux de biais en faveur du contrôle social ou de la répression, mais que c’est leur combinaison avec des velléités autoritaires qui avaient conduit à certaines catastrophes comme les crises écologiques ou les déplacements de population. Cette simple remarque invite à nuancer les approches du pouvoir par son instrumentation évoquées au chapitre vi, et à ne pas surestimer les effets d’instruments ou à les confondre avec ce qui n’est que l’effet d’un contexte sociopolitique donné. En contredisant un peu les positions de Lascoumes et Le Galès [2004] auxquelles j’adhère pourtant dans les grandes lignes, je peux poser comme préalable que les instruments peuvent parfois refléter les positions des acteurs qui les animent, sans que leur configuration favorise par elle-même certaines positions plus que d’autres.
21Sur le rapport entre instruments d’information environnementale et néolibéralisation de la nature, quelques éléments peuvent être versés au débat à partir des cas étudiés. Sur le plan théorique d’abord, peut être pensé comme foncièrement néolibéral un instrument d’information qui représente la nature sous forme d’entités discrètes qui partitionnent le tissu non humain de la planète, de sorte qu’elles puissent être prises en charge par le marché, dans la ligne des interprétations de Castree [2008]. Selon cette interprétation, les lisibilisations environnementales produites par les instruments sont avant tout à destination des marchés et leur but premier serait de favoriser cette pénétration du capital dans des sphères où il est encore en partie absent. Nombre d’instruments correspondent à cette définition, notamment les SIAE de type cadastre. Ils permettent de façon concrète à des individus de se signaler publiquement aux marchés, pour transformer la portion d’écosystème présente sur leur exploitation en actif échangeable : c’est l’un des objectifs centraux du CAR brésilien. Dans ce cas précis, il est clair que la prise en charge informationnelle et que la réduction drastique de représentation de la diversité du vivant vont de pair : ce que peut échanger l’exploitant, c’est une surface de végétation native, sans précision sur les espèces qui l’habitent ou sur l’état de conservation du milieu. À un deuxième niveau, les SIAE opèrent en faveur d’une néolibéralisation des formes de prises en charge de la nature, dans la mesure où par leur existence, ils entérinent le recul des prétentions régulatrices de l’État et l’incorporation des marges agraires au marché global. À un troisième niveau enfin, les SIAE opèrent également en faveur de la néolibéralisation de la nature et deviennent les vecteurs des notions dominantes de l’économie verte (développement durable, éco-efficience, etc.), de l’idée qu’un pilotage par le marché est possible.
22Cela dit, il est difficile d’affirmer qu’il s’agit de néolibéralisation par les instruments plutôt que d’un effet de concomitance entre instruments et processus de néolibéralisation. Par exemple, l’appauvrissement conceptuel des représentations des écosystèmes, observé dans la plupart des instruments étudiés, ne peut être entièrement imputé à leur configuration, mais bien au contexte événementiel de leur conception. Lorenzo Langbehn, qui montre comment le type d’information incorporée aux lois forestières provinciales en Argentine rabat la discussion sur les activités possibles en forêt à la seule question du potentiel agronomique, souligne qu’il s’agit d’un effet de la méthodologie amont de remplissage de la base de données, et pas de la base de données en soi10. Des travaux de plus en plus nombreux signalent que contrairement aux alarmes légitimes du début des années 2000, la néolibéralisation de la nature est un processus qui rencontre de fortes résistances et tarde à se mettre en place de façon systématique. Foyer, Viard-Crétat et Boisvert [2017] ont ainsi montré que les craintes sur les effets du programme REDD+ ou de la bioprospection ne se sont pas matérialisées massivement dans les espaces tropicaux. McAfee et Shapiro [2010] ont exposé en détail comment le programme national mexicain de Paiements pour services écosystémiques (PSE) a été réinterprété dans un sens non néolibéral au cours des années 2000. Dans leur révision des politiques de PSE brésiliennes, Chartier, Aubertin et Veiga [2014] ont de la même façon expliqué qu’il s’agissait avant tout d’une nouvelle labellisation de pratiques conventionnelles de subventions publiques.
En quête de natures « nationales »
23Un autre débat sur la normalisation par les instruments porte sur la question suivante : la convergence entre formes de gestion de l’environnement est-elle liée à des façons communes de le mesurer et de le monitorer dans des systèmes d’information ? En Amérique du Sud, plusieurs tendances laisseraient croire que les États étudiés vont progressivement penser leur environnement en des termes qui leur sont propres au cours des années 2000-2010 et donc diverger dans les modes de prise en charge de celui-ci, en adoptant des définitions plus nationales de leurs natures. D’un côté, des velléités postnéolibérales pourraient laisser penser que l’environnement national va être arraché aux représentations et aux formes de prise en charge internationales fomentées par les Nations unies et le secteur privé de la conservation transnationale de la nature. Elles pourraient aussi faire croire que vont être réunifiées des représentations de cette dernière, représentations qui se sont multipliées depuis les années 1990 avec l’externalisation de la production d’information environnementale aux acteurs de la coopération internationale. De l’autre, l’intérêt nouveau pour la régulation des agrosystèmes s’est traduit par des outils disparates, qui conçoivent et gèrent la nature de façon plus hétérogène que ce qui se faisait jusqu’alors avec les aires protégées. Quel bilan tirer de ces quinze dernières années, à la fois sur le rôle qu’a joué l’information environnementale dans ces tentatives et sur les limites que celles-ci ont connues ?
Tentatives et échecs de renationalisation de la nature
24S’il y a un domaine particulier où la géographie politique de l’information peut contribuer aux débats généraux sur la construction des questions environnementales, c’est sans doute à propos des échelles de cette construction, en mettant notamment en regard les objectifs scalaires des acteurs avec les moyens informationnels qu’ils mettent ou non en œuvre. La période progressiste sud-américaine est à cet égard intéressante, puisqu’un de ses principaux marqueurs politiques a été la volonté explicite de reconstruire du national dans des pays qui auraient perdu trop de souveraineté sous le néolibéralisme, tant par ingérence globalisée que par excès de décentralisation au profit du local. Il est donc légitime de se demander si cette volonté de redonner du poids à l’échelle nationale s’est traduite dans le domaine de l’environnement, avec une conceptualisation du caractère national des ressources et du vivant, et si des politiques informationnelles spécifiques ont été menées dans ce but. Il faut également s’interroger sur les effets scalaires de l’information environnementale générée durant la seconde moitié du xxe siècle, et en particulier durant les années 1980 et 1990.
25Ainsi que cela a été mentionné dans la première partie de cet essai, la mise en concurrence des productions étatiques d’information environnementale exhaustive et homogène sur les territoires nationaux par un nombre croissant de productions privées constitue l’une des marques informationnelles du nouvel esprit du capitalisme des dernières années du xxe siècle. C’est dans ce courant que s’inscrivent les travaux de Louca Lerch pour mettre en parallèle le démantèlement des politiques publiques nationales dans la Bolivie de l’ajustement structurel et la fragmentation de la production d’information territoriale aux mains de multiples agences de coopération, financées en mode projet. De ce point de vue, une analyse des régimes de production d’information environnementale permet d’éclairer certaines dimensions de la formulation des questions environnementales sud-américaines sous le premier néolibéralisme du consensus de Washington : ces questions laissent de côté la dimension nationale et souveraine au profit de considérations internationales. Elles accompagnent une large extraversion des économies et des natures de la région à la globalisation. Toujours dans cette optique, la reconstruction de bases de données nationales sur le territoire, la population et les ressources naturelles accompagnerait la reconquête de politiques nationales plus démocratiques et souveraines.
26Cette mise en évidence d’une corrélation étroite entre attaques néolibérales envers l’État et fragmentation spatiale de la production d’information environnementale peut en rester au stade du constat ou déboucher sur l’hypothèse qu’il s’agit d’une stratégie politique explicite. Dans l’ouvrage collectif Extractivismo, despojo y crisis climática. Desafíos para los movimientos sociales y los proyectos emancipatorios de Nuestra América, José Seoane [2013] estime que les gouvernements néo-extractivistes, comme leurs prédécesseurs, cherchent à tout prix à éviter la nationalisation des questions environnementales. Ils tentent par exemple de segmenter les problèmes touchant les zones rurales de ceux touchant les villes, afin « d’isoler les noyaux conflictuels locaux » [p. 249]. Cette stratégie spatiale constituerait un élément essentiel de la « gouvernementalité de l’extractivisme », qui permet d’éviter la convergence des oppositions et l’étouffement des conflits. Cette hypothèse stimulante acceptée, il faut alors s’interroger sur les contradictions qu’ont dû affronter les gouvernements progressistes et néo-extractivistes, qui ont voulu reconstruire des échelles nationales d’action, redonner aux ressources naturelles leur caractère « national », tout en cherchant à éviter la nationalisation des conflits environnementaux.
27Cette interrogation doit être prolongée dans le champ de l’information : les États des décennies progressistes ont-ils cherché à reconstruire des bases de données nationales en appui à leur volonté de refonder une gouvernance nationale des ressources ou ont-ils au contraire freiné ces reconstructions ? La question se complexifie dans les États fédéraux, en Argentine et au Brésil, où les problèmes de répartition des compétences environnementales entre niveaux politiques se superposent à celui du rôle que peut/doit jouer la fédération dans l’impulsion de grands objectifs environnementaux, en autres par la mise en place de grandes bases de données. La question multiculturelle ajoute enfin une complexité supplémentaire : pour les États qui la reconnaissent officiellement, la Bolivie ou le Brésil, cela impliquerait que des formes hétérodoxes d’information environnementale, propres aux différentes représentations de la nature, puissent être incorporées aux bases nationales.
28Afin d’éviter les risques de contresens, il est nécessaire de reconstituer une histoire plus longue de la construction de l’information environnementale en Amérique du Sud, à partir des années 1970 au moins, où certains États se lancent dans les premiers grands inventaires de ressources naturelles épaulés par la coopération étrangère. De cette façon, la thèse de la fragmentation néolibérale de l’information environnementale pourra être mieux évaluée, elle qui suppose que cette production d’information ait été au préalable unifiée, centralisée, ce qui n’a pas toujours été le cas dans tous les pays. Ainsi, dans bien des territoires, le néolibéralisme a certes généré une vision fragmentaire de l’environnement, mais cette vision a cependant constitué une des premières tentatives de systématisation d’information.
29Les années 1990 et le début des années 2000 ont été marqués par une convergence des formes de gouvernance environnementale entre pays latino-américains [Dumoulin Kervran, 2005]. Cette convergence a été modelée par la nature conditionnelle de l’aide internationale à destination de pays dépendants, qui exigeait la mise en place de certaines législations et institutions dans le cadre de prêts généraux d’aide au développement ; il s’agit donc d’un modèle imposé [Dumoulin Kervran, 2005]. Au-delà des formes territoriales de cette convergence avec la figure dominante de l’aire protégée, celle-ci est également informationnelle : les pays de la région cherchent à inscrire leur environnement dans l’environnement mondial, par une production d’information dédiée à la biodiversité. Médiatisée par les grandes ONG conservationnistes, cette inscription est une condition à la captation de ressources financières internationales, ce pour quoi il faut convaincre du caractère exceptionnel et menacé du patrimoine naturel national. Comme le mentionne Dumoulin Kervran, ce référentiel de la biodiversité permet à chaque territoire de se positionner sur la scène environnementale mondiale, ce pour quoi il est nécessaire de mesurer, de quantifier « sa » biodiversité.
30Ces années ont donc contribué à une globalisation des questions environnementales sud-américaines, à un changement radical d’échelle. Dans ce processus, la production d’information, sur la biodiversité en particulier, a joué un rôle essentiel. Pour mieux analyser les décennies suivantes, il est nécessaire de comprendre si les systèmes d’information environnementale développés sur diverses thématiques environnementales par les États de la région ont accentué cette échelle globale des façons de penser l’environnement sud-américain ou ont généré au contraire des formes divergentes et à échelle nationale. En effet, la multiplication de bases de données sur les agrosystèmes dans les années 2000 peut être interprétée comme un phénomène d’expérimentations indépendantes les unes des autres, qui témoignerait d’une divergence dans les façons actuelles de prendre en charge les questions d’environnement.
L’échec argentin dans l’élaboration d’une nature « nationale » : les introuvables forêts fédérales
31Dans les trois grands pays étudiés ici, la taille et/ou le caractère fédéral du pays ont souvent eu raison de l’homogénéité des représentations environnementales du pays, mais pas systématiquement. Laissons de côté le cas du Brésil, dont on a vu au chapitre ii qu’il a réussi à bâtir une représentation nationale de son environnement, depuis les cartographies du projet RadamBrasil jusqu’au cadastre environnemental rural actuel. Le Brésil fédéral a réussi en quelque sorte la « nationalisation » de « sa » nature, sur plusieurs plans : il a arraché l’Amazonie aux lisibilisations extérieures pour imposer sa propre lisibilisation satellitaire. Il a développé des programmes de cartographie standardisée de tout le pays et il a divulgué un discours public de maîtrise environnementale que je qualifie de « nationalisme gestionnaire ». Cette réussite est en grande partie imputable à la faiblesse relative de nombre d’États fédérés, incapables à eux seuls de proposer des représentations fortes de leur environnement, ce qui laisse toute latitude à la fédération pour imposer les siennes. En Bolivie, l’échec de la tentative d’une cartographie nouvelle des sistemas de vida, plus en accord avec la reconnaissance de la diversité des rapports à la nature par la Constitution de 2009, est imputable à la réaffirmation par le gouvernement d’une vision républicaine et centralisée des questions environnementales, hostile à l’expression trop évidente de formes alternatives de représentation.
32C’est en Argentine que des discours explicites d’unification nationale des représentations s’expriment le plus clairement sous les gouvernements Kirchner. Sur le site de l’IDG argentine, on peut ainsi lire à la rubrique « Qu’est-ce que l’Idera » la définition suivante en 2014 :
« L’infrastructure de données géographiques de la République argentine (Idera) est une communauté d’information géospatiale qui a pour objectif d’inciter à la publication de données, produits et services, de façon efficiente et opportune, qui contribue de façon essentielle à la démocratisation de l’accès à l’information produite par l’État et divers acteurs, et l’appui à la prise de décision dans les différentes sphères publique, privée, académique, non gouvernementale et de la société civile. À travers cette représentation, l’Idera cherche à maintenir un caractère national et fédéral. »
33Tous les entretiens menés auprès de membres des IDG argentines à cette époque ont confirmé ce désir d’unification nationale portée par les cadres intermédiaires des administrations cartographiques très critiques à l’encontre des organismes fédéraux chargés de cette tâche, mais quasiment désactivés depuis les années 1990. Malgré cela, le pays peine toujours à lire de façon uniforme son environnement comme en témoigne l’exemple des forêts.
34L’adoption de la loi forestière argentine en 2007 fut un processus long et conflictuel où s’est posée avec acuité la question de la répartition des compétences respectives de l’échelon fédéral et des provinces dans la gestion d’une ressource naturelle telle que les forêts. La nouvelle loi met en vigueur un dispositif de la Constitution de 1994, non appliqué jusque-là, de seuils minimaux de protection. Ce dispositif suppose d’abord une coordination entre les échelons national et provincial en matière de protection des forêts, puisque les lois forestières provinciales, avec leur zonage évoqué au chapitre iv, doivent être soumises à l’administration fédérale pour que la province bénéficie des transferts budgétaires prévus par la loi. Ensuite, la loi forestière argentine fixe pour toutes les provinces un seuil minimal d’exigence en termes de politique environnementale. En effet, la Constitution réformée de 1994 garantit aux citoyens le droit à un environnement « sain et équilibré » et établit un mécanisme coordonné entre Nation et provinces pour sa protection : « C’est à la Nation qu’incombe l’élaboration des normes qui contiennent les critères minimaux (presupuestos mínimos) de protection, et aux provinces les normes complémentaires à celles-ci, sans altérer les juridictions locales » (art. 41). L’article laisse entrevoir la tension entre la compétence reconnue à la Nation de dicter de telles normes et les « juridictions locales », car selon l’article 121, « Les provinces gardent tout le pouvoir non délégué par cette Constitution au gouvernement fédéral », tandis que l’article 124 déclare que les « ressources naturelles » présentes sur le territoire des provinces sont de leur ressort (dominio originario). Ce schéma de compétences concurrentes entre Nation et provinces existe uniquement pour le domaine environnemental. Il constitue donc une innovation dans le droit constitutionnel argentin dont la portée est encore sujette à des conflits d’interprétation11.
35La loi définit des seuils minimaux de protection pour « l’enrichissement, la restauration, la conservation, l’exploitation, et la gestion soutenable des forêts natives, et des services environnementaux que ces dernières apportent à la société » (article 1). Pour atteindre cet objectif – c’est là une des grandes nouveautés de la loi – chaque province doit obligatoirement classer ses forêts selon trois catégories ou niveaux de protection, chacun devant être localisé sur la carte du territoire provincial12. La pratique du zonage est la première mesure censée garantir une certaine convergence entre les provinces. La seconde mesure en ce sens est l’institution par la loi d’un budget fédéral, le Fonds national pour la conservation des forêts natives. Une partie de ce fonds (70 %) doit être répartie entre des projets de conservation forestière et des projets de gestion soutenable présentés par des propriétaires ruraux. L’autre partie (30 %) doit être destinée à la construction de capacités institutionnelles de connaissances des forêts bien souvent absentes des provinces : cartographie, inventaire, développement de modes de gestion soutenable. Cette part institutionnelle a pour objectif de lisser des disparités administratives entre provinces.
36Cependant, plusieurs années après la mise en place de la loi, force est de constater que cette convergence entre provinces a été minimale [Gautreau et al., 2014]. Une analyse de la genèse des différents zonages permet d’en expliquer partiellement les causes. Un premier élément d’explication tient aux disparités interprovinciales des capacités à produire et à interpréter des informations environnementales [Ruoso, 2011]. Dans le cadre de la mise en place de la loi 26331, chaque province devait établir sa carte finale en créant plusieurs cartes thématiques (production agricole, écologie, facteurs sociaux, etc.). Dans les provinces étudiées, aucune carte thématique n’a été créée à l’occasion de la loi et seules des cartes déjà existantes ont été remobilisées. Par ailleurs, les provinces n’ont pas utilisé le même type et le même nombre d’informations pour mettre en place leur cartographie. Les institutions provinciales possèdent souvent, si ce n’est toujours, des données cartographiques agroclimatiques (cartes de capacité d’usage du sol, de productivité des sols, de risque hydrique, etc.), créées soit par les institutions provinciales elles-mêmes, soit dans le cadre d’un partenariat avec l’INTA. En ce qui concerne les informations écologiques, les situations sont bien plus contrastées. Certaines provinces mettent en place leur carte avec un nombre limité d’informations écologiques, produites majoritairement par des ONG (Formosa, Chaco, Santiago del Estero). Au Chaco par exemple, les cartes utilisées ont été créées par la Fundación Vida Silvestre Argentina, la Fundación del Gran Chaco, WWF, TNC et l’association ornithologique de La Plata. L’unique carte produite par des institutions publiques est celle des « corridors biologiques du Gran Chaco americano », réalisée par l’administration des parcs nationaux. Parmi les provinces qui créent des cartes avec un plus grand nombre d’informations écologiques, Corrientes et Mendoza récupèrent des informations au sein de divers instituts de recherches publiques provinciaux, tandis que Salta confie le processus de création de sa carte à une ONG provinciale (ProYungas) qui fait des suivis environnementaux dans la région. Cela révèle une dépendance relativement importante aux ONG dans certaines provinces, en tant que sources d’information écologique et en tant que techniciennes.
37Au-delà des capacités techniques, les principaux facteurs de divergence sont liés aux rapports de force dans chacune des vingt-deux provinces argentines, ainsi qu’à la préexistence ou non de politiques d’aménagement du territoire. Ces deux éléments vont expliquer une plus ou moins grande importance donnée à chacun des dix critères généraux de la loi fédérale et les différenciations entre chacune des vingt-deux cartes. En somme, s’il y a convergence entre provinces, c’est d’une convergence en creux qu’il s’agit : convergence autour d’une faible contrainte à l’expansion agricole d’abord, car la plupart des cartes valide la position du front agricole, voire anticipe son expansion future ; convergence autour de l’absence de prise en compte de certains critères écologiques ; convergence sur la méthode de zonage, fruit de négociations politiques consistant à échanger des zones d’avancée agricole contre la mise en défends de zones sans intérêt agronomique ; convergence enfin sur l’absence de définition des activités autorisées en zone II (usage durable), qui va laisser pendant quelques années un flou sur ce qu’on peut y pratiquer.
38Il faut finalement envisager une dernière raison pour laquelle les provinces n’ont pas sollicité l’aide de l’État (Dirección de Bosques) pour établir leurs cartes : de leurs propres estimations de surfaces forestières allait dépendre le montant qu’elles toucheraient du fonds national forestier. Leur intérêt était de surestimer leurs surfaces de forêts. Pour cette raison, alors que l’inventaire national de 2007, fondé sur des images de 1997-1998, décomptait trente-trois millions d’hectares forestiers, les provinces en ont déclaré environ cinquante-quatre comme telles. Dans ces conditions, elles ont préféré travailler sur leurs propres données et non pas sur un référentiel national qui aurait contraint leur latitude à moduler les chiffres13.
La globalisation segmentaire des natures sud-américaines par le numérique
39Le numérique a pu laisser penser que la tunique mondiale de l’information couvrirait sans couture la planète. Cependant, malgré les progrès fulgurants de la normalisation des bases de données et de l’interopérabilité14, les natures sud-américaines ne passent que de façon partielle, « segmentaire » dans les bases globales. Deux exemples en sont représentatifs. Le GBIF, plusieurs fois mentionné, est une plateforme internationale à gouvernance autonome, qui pour l’instant intègre uniquement des points d’occurrence d’espèces végétales ou animales. Chaque pays étudié ici est représenté par un ensemble de points de ce type, qui ne correspondent qu’à une seule dimension de la biodiversité (le nombre d’espèces). Cette forme de représentation reste très dépendante des modes de collectes développés à ce jour : la base recense en majorité des oiseaux.
40Autre exemple de base internationale, le GlobalForestWatch propose une plateforme interactive qui permet de visualiser les forêts mondiales et leurs dynamiques, positives ou négatives, sur les années 2000-2017 (figure 19). Dans ce projet qui mêle une grande majorité d’ONG, des agences de coopération nationales (AFD, Danida, etc.), des organismes multilatéraux de financement (GEF) et des transnationales agroindustrielles (Cargill), les forêts ne sont traduites que par la mention de leur couvert, sans travail de typologie afin de différencier des types. Plus problématiques, les plantations sylvicoles sont incluses sans distinction dans ce tree cover (couverture arborescente). Sachant que ces plantations, comme dans le cas des campos rioplatéens, ont souvent été installées sur des écosystèmes originaux et anciens au niveau mondial, ce genre de bases contribue à légitimer ces plantations comme faisant partie d’un arsenal mondial de lutte contre le réchauffement climatique et en faveur de la conservation de la biodiversité. Ainsi, ce type de plateforme contribue à la réduction à l’extrême de la complexité des écosystèmes régionaux comme mondiaux et à une simplification drastique des enjeux environnementaux contemporains.
41En s’intégrant aux bases globales, les natures sud-américaines connaissent un processus paradoxal de gommage de ce qui fait leur particularité et de mutilation de ce qui constitue leur complexité. Ce processus est, en somme, l’équivalent de celui qu’ont connu les territoires nationaux avec le cadastre, mais la perte d’information liée au besoin de synopticité est plus drastique. En effet, la nécessité de normalisation de l’information pour comparer des lieux exige, à l’échelle globale, de prendre de la distance avec les typologies locales. Il en résulte des natures réduites à leur plus simple expression, au point de ne plus représenter qu’un regard mondial et très particulier, entièrement déterminé par la lutte contre le changement climatique.
* * *
42Malgré ces multiples indices de la façon dont les instruments d’information modèlent les représentations de la nature et les formes de leur prise en charge, l’absence de réflexivité sur le sujet au sein des approches critiques latino-américaines ou des mouvements socioenvironnementaux pose question. L’écologie politique latino-américaine a en effet laissé de côté le sujet, faisant de l’information environnementale un objet neutre, une ressource cognitive qui peut être mobilisée par des acteurs en lutte, mais qui ne serait pas biaisée, politique. Son caractère contraignant ou dominateur n’est pas questionné, ce qui est d’autant plus surprenant que ces critiques sont prégnantes à propos des données personnelles et que les enjeux politiques de l’information au sens large sont évoqués par les forces progressistes : les tentatives d’écorner les monopoles médiatiques conservateurs ont été nombreuses dans les différents pays de la région et sans doute portées à leur paroxysme en Argentine avec la loi sur la presse (ley de medios) de 2009. Le caractère stratégique de l’information statistique est également apparu au grand jour dans ce dernier pays, avec la mise sous tutelle gouvernementale de l’agence nationale de statistiques et recensement (Indec) entre 2007 et 2015, afin de contrôler la publicisation des chiffres de l’inflation. Il existe dans la littérature scientifique critique latino-américaine un hiatus entre la déconstruction/dénonciation de la « colonialité du savoir » et de l’eurocentrisme dans les sciences sociales [Lander, 2000] et un traitement beaucoup moins critique des modes de construction des savoirs naturalistes, notamment des bases de données environnementales. Comment expliquer ce hiatus ?
43Une première explication pourrait avoir trait à la conscience diffuse que, à la différence de pays où les politiques de lisibilisation informationnelle de la population sont anciennes et bien développées, l’incomplétude, l’absence, la mauvaise qualité des bases de données sur les territoires et les ressources constituent un réel frein au développement et à la démocratisation des sociétés latino-américaines. L’une des premières actions du gouvernement bolivien nouvellement élu en 2005 a ainsi été d’envoyer l’armée géolocaliser l’ensemble des communautés isolées du pays afin de créer une base de données lui permettant d’universaliser l’accès aux pensions de vieillesse. Il semble donc logique pour de nombreuses forces politiques de veiller d’abord au développement de ces bases de données, avant d’en questionner les éventuels effets pervers.
44Une seconde explication, dans le champ plus étroit de l’environnement cette fois-ci, pourrait être liée au fait que pour les universitaires et pour les administrations progressistes, l’information environnementale relève d’une science écologique dont l’objectivité ou les biais conceptuels ne sont pas questionnés. Il est symptomatique que la notion de paiements pour services écosystémiques ait été si facilement incorporée par les administrations de ces gouvernements, malgré les vifs débats militants et académiques auxquels ils ont donné lieu. Les questionnements les plus forts aux modes de construction des savoirs par la technique ont lieu principalement lors des conflits environnementaux, au cours de ce que la sociologie nomme les controverses sociotechniques. Lors du conflit entre l’Argentine et l’Uruguay à propos de l’installation des usines de pâte à papier sur les rives du fleuve Uruguay, ainsi que l’a analysé Gabriela Merlinsky [2009], les opposants aux usines ont questionné la pertinence des standards internationaux de mesure de la pollution de l’industrie papetière, en leur opposant la notion « d’impact cumulé » sur le long terme. Mais hors de ces situations particulières, et notamment sur les questions de biodiversité, les enjeux politiques de l’information semblent aller de soi : comment les instruments d’information dessinent-ils les natures sud-américaines, comment reproduisent-ils des façons de penser issues du Nord, quels sont leurs effets sur les politiques de conservation ? Autant de questions qui ne sont guère posées.
Notes de bas de page
1 « D’un autre côté, cela conduit-il à la convergence des IDG [infrastructures de données géographiques] ? Nous n’avons pas de réponse définitive, mais nous ne voyons pas les IDG à travers le monde converger vers une IDG universelle et sans faille. Seuls des cas théoriquement et empiriquement fondés peuvent montrer comment les IDG permettent une grande variété d’actions dans des contextes différents. » [Nedovic-Budic et al., 2011, p. 230] ; « La faible coordination entre les initiatives publiques de partage des données et la nature extrêmement hétérogène des formats, des dispositifs, des thèmes, interdit de penser que l’open data soit actuellement porteur d’une vision globale de l’État sur la façon de gérer la chose publique, dont l’environnement. » [Gautreau & Noucher, 2013, p. 13]
2 Pour une analyse détaillée de l’adoption du MBGI et des débats qui l’on entourée, voir Guerra [2016].
3 Le satellite Modis fournit des informations sur les « points de chaleur » sur toute la planète, en général associés à des feux. La Nasa traduit cette information en fichiers vectoriels téléchargeables gratuitement. Ces données sont désormais fournies toutes les trois heures, et des applications portables sur smartphone permettent aux gestionnaires de terrain de se rendre immédiatement sur les lieux afin de verbaliser.
4 « Dès lors, les représentations scientifiques basées sur des symboles mathématiques créent en même temps un phénomène donné et fournissent les outils pour le contrôler. De cet examen, il ressort que le discours déterministe a un effet à double tranchant. D’une part, il exclut les représentations locales pour leur caractère incertain. D’autre part, il permet la construction de représentations qui fournissent des histoires causales de la déforestation, histoires grâce auxquelles le problème en question et sa solution sont exposés aux décideurs politiques de manière objective et déterministe. » [Rajão, 2013, p 67]
5 Citation originale : « […] we conclude that monitoring data do not simply represent deforestation in the Amazon. Instead, different publics and data configurations (i.e. spatial and temporal aggregation levels) produce different objects (e.g. a threatened Amazon, a successful policy) and subjects (e.g. knowledgeable environmental activists, an unresponsive government). »
6 Voir notamment chez Ruoso les pages 111 à 136, « Les informations sur l’environnement possédées par les “organismes d’application” provinciaux ». Langbehn [2015, p. 245] : « Comme l’explique l’article, la procédure d’élaboration de la carte OTBN suit le schéma suivant, basé sur le “paradigme de la prise de décision multicritère (MCDM)” [Somma et al., 2011, p. 413]. Tout d’abord, cinq aspects principaux sont définis et seront pris en compte pour évaluer la pertinence de conserver un terrain donné avec une couverture forestière : son “potentiel de conservation des bassins-versants”, son “potentiel forestier”, son “potentiel de conservation de la biodiversité”, son “potentiel de production agricole” et son “potentiel de développement communautaire”. Chacun de ces critères est évalué à travers une série de sous-critères hiérarchisés […]. Une restriction découle du fait qu’il n’y a pas assez d’informations pour évaluer avec un degré de certitude suffisant tous ces potentiels ; cela nécessiterait des informations spatialement explicites qui, pour la plupart, ne sont pas disponibles et ne peuvent pas être générées par l’Unité d’exécution elle-même, en raison du manque de temps et de ressources. En particulier, comme il n’est pas possible d’estimer le “potentiel forestier”, ce critère est écarté. »
7 Cela est d’autant plus surprenant que cette carte d’occupation du sol [Volante et al., 2009] a été réalisée avec les fonds d’un projet de cartographie nationale des « écorégions », un concept développé par le secteur international de la conservation.
8 Fondé en 1942, cet institut de l’Organisation des États américains, pièce importante du soft power des États-Unis dans les Amériques, a fortement influencé les plans de développement agricoles des pays de la région. Il a joué le rôle de centre de formation de techniciens sud-américains et caribéens, et ses experts ont largement diffusé ses modes de travail. Parmi ces derniers, la cartographie de la capacité de charge du sol a été une activité importante. Même si les Boliviens partis aux États-Unis dans les années 1990 se sont formés à d’autres outils de cartographie (SIG, télédétection), ils n’ont guère été formés à des paradigmes radicalement nouveaux de la cartographie des milieux.
9 Carte de la végétation du pays au 1/250 000e, produite en 2007 par Gonzalo Navarro, botaniste en poste à l’université de Cochabamba (Bolivie).
10 « Deuxièmement, la manière dont sont évaluées les utilisations possibles du sol implique des choix méthodologiques qui introduisent des biais spécifiques. En effet, l’analyse des usages qui, dans leur ensemble, pourraient être appelés le “potentiel productif” du sol, est réduite à la notion de “potentiel agricole”. Évalué au moyen d’une série de variables climatologiques, édaphiques et de relief, ce concept implique un certain type d’utilisations possibles, “aplatissant” la diversité productive qui est apparue lors des débats participatifs, notamment durant les tables rondes par secteur. Ainsi, une alternative binaire est proposée entre conservation de la biodiversité et utilisation agricole, qui ne reflète qu’imparfaitement la complexité du tissu socioproductif sur lequel la réglementation prendra effet. Cette simplification, de toute évidence, répond au fait indéniable que le principal moteur de la déforestation dans la région du Chaco est la conversion des terres à un usage agricole, à laquelle s’oppose ensuite une politique de conservation. Cependant, il n’y a pas d’analyse des scénarios alternatifs de production en relation à la forêt. De cette manière, l’effort de conservation apparaît, en termes productifs, comme un pur coût. » [Langbehn, 2015, p. 238-239]
11 Aucune loi correspondant à ce schéma ne fut approuvée avant 2002, quand le Congrès vota les lois 25612 (déchets industriels), 25670 (PCB), ainsi que la loi 25675 dite « Ley general del ambiente », laquelle contient des principes généraux pour la législation environnementale (de prévention, de précaution, de progressivité, etc.) et des questions de procédure (entre autres, aménagement du territoire, accès à l’information, participation du public, évaluation environnementale des projets). Furent ensuite approuvées en décembre 2002 la loi 25688 (gestion environnementale des eaux), en 2004 les lois 25831 (information publique environnementale) et 25916 (déchets domestiques), en 2007 la loi 26331 (forêts natives) et en 2010 la loi 26639 (glaciers). Cependant, sauf en ce qui concerne la loi 26331, l’application de ces lois par le pouvoir exécutif national et par les provinces a été jusqu’à présent au mieux timide. Les lois portant directement sur la gestion des ressources (eaux, forêts, glaciers) ont fait l’objet d’âpres débats, les provinces s’opposant à ce qu’elles perçoivent comme une ingérence de l’échelon fédéral dans leur domaine de compétence.
12 L’assignation d’une zone forestière à une catégorie doit prendre en compte dix critères qui sont exposés dans l’annexe de la loi. Sept de ces critères sont de nature écologique : la superficie minimum boisée permettant la survie des espèces, le lien des forêts avec d’autres communautés naturelles, le lien des forêts avec des aires protégées existantes et l’intégration régionale, l’existence de valeurs biologiques remarquables, la connectivité entre écorégions, l’état de conservation de la forêt et son potentiel de conservation des bassins hydrographiques. Deux sont économiques : le potentiel de production de bois et le potentiel de soutenabilité agricole. Un dernier critère concerne la valeur que les communautés indigènes et paysannes donnent aux zones boisées, aux zones qui leur sont attenantes et l’usage qu’elles peuvent faire de leurs ressources naturelles pour survivre et maintenir leur culture.
13 Je dois cette dernière hypothèse à mon collègue Lorenzo Langbehn (Universidad nacional de Santiago del Estero).
14 Possibilité pour une base de données de se connecter, de consulter voire de télécharger une autre base de données par Internet.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Meurtre au palais épiscopal
Histoire et mémoire d'un crime d'ecclésiastique dans le Nordeste brésilien (de 1957 au début du XXIe siècle)
Richard Marin
2010
Les collégiens des favelas
Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro
Christophe Brochier
2009
Centres de villes durables en Amérique latine : exorciser les précarités ?
Mexico - Mérida (Yucatàn) - São Paulo - Recife - Buenos Aires
Hélène Rivière d’Arc (dir.) Claudie Duport (trad.)
2009
Un géographe français en Amérique latine
Quarante ans de souvenirs et de réflexions
Claude Bataillon
2008
Alena-Mercosur : enjeux et limites de l'intégration américaine
Alain Musset et Victor M. Soria (dir.)
2001
Eaux et réseaux
Les défis de la mondialisation
Graciela Schneier-Madanes et Bernard de Gouvello (dir.)
2003
Les territoires de l’État-nation en Amérique latine
Marie-France Prévôt Schapira et Hélène Rivière d’Arc (dir.)
2001
Brésil : un système agro-alimentaire en transition
Roseli Rocha Dos Santos et Raúl H. Green (dir.)
1993
Innovations technologiques et mutations industrielles en Amérique latine
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela
Hubert Drouvot, Marc Humbert, Julio Cesar Neffa et al. (dir.)
1992