Chapitre iv – L’agrobusiness dans les filets de l’information environnementale : vingt ans de cache-cache
p. 81-116
Texte intégral
1Des dispositifs nouveaux de régulation environnementale, les Systèmes d’information agroenvironnementale (SIAE), fleurissent au mitan des années 2000 en Amérique du Sud. Ces systèmes naissent suite à la transformation en problème public de l’avancée de fronts agricoles au début du siècle, problème auquel ils constituent une réponse informationnelle. Ils couplent trois éléments : une réglementation de l’agriculture, une base de données relative à l’état de l’environnement et un système informatique permettant de lier les activités des exploitations aux deux éléments précédents. Sur tous ces plans, il s’agit a priori d’une révolution. Pour la première fois, les États se dotent de bases de données cartographiques sur l’ensemble de l’espace des agrosystèmes. Ils mettent en place un lien informationnel inédit et direct entre administration et exploitation individuelle, théoriquement vérifiable à distance grâce à l’imagerie satellitaire. Autre nouveauté, les valeurs environnementales de ces agrosystèmes sont qualifiées et les pouvoirs publics donnent des indications sur les moyens pour réduire leur vulnérabilité à l’agriculture. Le contrôle des déclarations et des engagements pris par chaque exploitant est réalisé par l’analyse d’images satellitaires, et les visites in situ sont quasiment inexistantes, au vu du décalage entre le nombre d’exploitations et celui des fonctionnaires disponibles. Il s’agit donc, à moindres frais pour l’État, de faire peser sur l’exploitant la menace d’un contrôle et d’une vérification de la véracité de ses déclarations enregistrées dans le système informatique. Avant d’analyser plus loin les effets écologiques de ces nouveaux instruments, ce chapitre tentera d’en comprendre les effets et les enjeux politiques1.
Les systèmes d’information sud-américains dans le détail
2Les systèmes d’information agroenvironnementale (SIAE) peuvent être regroupés en trois sous-ensembles en fonction de leur mode opératoire, détaillés dans les deux tableaux ci-dessous.
Tableau 2. Systèmes d’information agroenvironnementale étudiés de type 1 (Brésil, Bolivie)
Cadastres environnementaux (type 1) | ||
Cadastre environnemental rural | Loi 337 | |
Nom officiel | Cadastro ambiental rural | Ley de apoyo a la producción de alimentos y restitución de bosques |
Objet protégé | Végétation « native » | Forêt (déboisement) |
Année | 2012 (application en 2014) | 2013 (application en 2014) |
Activité régulée | Toute activité affectant la végétation | Agriculture et élevage |
Acteurs concernés | Tous les exploitants agricoles (environ 5,6 millions) | Exploitant individuel de plus de 50 hectares et propriétés communautaires (si les lots individuels sont > à 20 hectares) en infraction avec la loi forestière bolivienne de 1996 |
Moyen d’incitation/pression | La non-inscription au cadastre entraîne des difficultés à accéder au crédit public et aux aides de l’État. Lorsque l’exploitant possède plus de végétation naturelle que ce à quoi la loi l’oblige, il pourra à terme monnayer cet excédent sur un marché national de compensation forestière. | L’inscription au cadastre réduit l’amende à payer et donne droit à l’obtention d’un titre de propriété. |
Principe de régulation | Restauration écologique : calcul des zones en infraction au regard des nouvelles règles du Code forestier, puis choix offert à l’exploitant de reboiser ou compenser par achat de surfaces boisées hors de la propriété | Restauration écologique : reboisement de 10 % des surfaces illégalement déboisées entre 1996 et 2011 |
Méthode de régulation | Protocole d’accord État/exploitant pour le reboisement des surfaces en infraction au regard des nouvelles règles du Code forestier | Protocole d’accord État/exploitant sur cinq ans pour le reboisement et pour la plantation d’une liste prédéfinie de cultures |
Logique régulatoire | Régularisation des infractions ; contrôle du processus de reboisement | Régularisation des infractions ; contrôle du processus de reboisement |
Échelle d’application | En théorie, ensemble des exploitations du pays | Zones forestières de Bolivie affectées par la déforestation |
Information de contrôle utilisée | Variation des méthodes selon les États fédérés | Images satellites (circa 1996 et années 2014-2018) |
Techniques de contrôle | Vérification informatique automatique des parcelles saisies en ligne par les exploitants ; vérification par opérateur de la tenure des terres | Contrôle à distance par analyse d’image satellite |
Mode d’existence numérique | Fichier cartographique téléchargeable en ligne, mais anonymisé au niveau de la tenure des parcelles | Base de données cartographique et statistique non ouverte au public |
Texte | Lei nº 12 651/2012 ; Instrução Normativa no 2/2014 | Ley 337/2013 ; Decreto Supremo 1578. |
Tableau 3. Systèmes d’information agroenvironnementale étudiés de type 2 et 3 (Uruguay, Rio Grande do Sul, Argentine)
Autorisation d’activité agricole (type 2) | Autorisation & incitation (type 3) | ||
Plans d’usage du sol | Zonage sylvicole | Loi forestière | |
Nom officiel | Decreto de regulación de uso y conservación de suelos y aguas superficiales | Zoneamento ambiental para silvicultura | Ley de Ordenamiento Territorial de los Bosques Nativos |
Objet protégé | Sols (érosion hydrique ; atteinte à flore et faune du sol par herbicides) | Écosystèmes (destruction, fragmentation, invasion d’espèces exotiques) | Forêts (déboisement) |
Année | 2008 (application en 2013) | 2009 | 2007 (application en 2010) |
Activité régulée | Agriculture | Sylviculture à base d’espèces exotiques (eucalyptus, pins…) | Toute activité pouvant affecter les forêts |
Acteurs concernés | Tous exploitants agricoles (éleveurs et sylviculteurs exceptés) | Sylviculteurs (entreprises généralement) | Propriétaires ou occupants de terres forestières |
Moyen d’incitation/ | Obligation | Pas d’autorisation d’opérer si violation des règles du zonage | Sanction en cas de réalisation d’activités interdites par le zonage |
Principe de régulation | Réduire la vulnérabilité des sols à l’érosion physique due à l’agriculture | Réduire la vulnérabilité des écosystèmes face à l’activité sylvicole | Réduction du taux de déforestation |
Méthode de régulation | Établissement par les exploitants de plans pluriannuels d’usage agricole du sol | Établissement de seuils de surface et d’espacement pour les massifs sylvicoles | Établissement de zonages fixant les types de modifications du couvert possibles (trois catégories) |
Logique régulatoire | Contrôle postcultural et suivi par l’État du respect des plans | Contrôle a priori par autorisation des projets sylvicoles | Préservation de zones stratégiques et paiements pour services environnementaux |
Échelle d’application | Exploitation rurale | Unité de paysage et bassin hydrographique | Province |
Information utilisée | Carte géomorphologique au 1/20 000 (pays entier) ; cartographie des sols au 1/40 000 (qq. zones dans le pays) | Données géomorphologiques et de biodiversité (années 2000) | Cartographie des couverts forestiers (années 1990) |
Techniques de contrôle | Contrôle à distance par analyse d’image satellite | Par imagerie et visite de terrain | Visite de terrain |
Mode d’existence numérique | Base de données statistiques non ouverte au public | Zonage mis en ligne sur le site de l’administration environnementale de l’État | Zonage au format numérique pour chaque province, circulant non officiellement parmi les techniciens (agronomes, ing. forestiers, etc.) |
Texte | Decreto 405/008, Regulación de uso y conservación de suelos y aguas superficiales | Résolutions du Conseil Environnemental de l’État du Rio Grande do Sul (no 187/2008 & 227/2009) | Ley 26331 de Presupuestos mínimos |
Cadastres environnementaux (type 1)
3Un premier groupe rassemble les cadastres environnementaux, dont l’objectif est de certifier l’adéquation de chaque exploitation aux normes environnementales auxquelles elle est assujettie. L’adhésion des exploitants à ces cadastres est volontaire et incitative : c’est en s’y enregistrant qu’ils peuvent bénéficier d’une réduction des sanctions en cas d’infraction. Il s’agit donc d’instruments informationnels dont la durée de vie est théoriquement limitée dans le temps : leur utilité cesse le jour où tous les exploitants ont régularisé leur situation.
4Au Brésil, le cadastre environnemental rural (CAR) est créé à partir de 2012, dans le cadre de la réforme du Code forestier du pays, suite à treize années d’intense lobbying des organisations représentant l’agrobusiness. Ce texte fondamental, qui régule depuis 1965 l’usage des terres agricoles du pays, est alors notablement assoupli. Le CAR est l’instrument d’information qui doit garantir le respect du code réformé, en permettant à chacune des cinq millions d’exploitations brésiliennes de cartographier son couvert forestier et sa végétation dite « native », puis de calculer le décalage positif ou négatif entre ce couvert et la surface que l’exploitant doit légalement conserver intouchée. Au Brésil, chaque exploitation rurale doit laisser en défens un certain pourcentage de sa surface, la « réserve légale ». En cas de décalage négatif (passivo ambiental), le cadastre permet à l’exploitant de passer un accord avec l’État, fixant des objectifs chiffrés de restauration de ce couvert végétal. Ce cadastre est également censé organiser un marché national de compensation écologique. Les exploitants qui possèdent plus de couverts « natifs » que ce que le Code exige peuvent négocier cet « actif environnemental » avec des exploitants en situation de passif. Le CAR est un SIAE original, qui combine une logique de déclaration en ligne – saisie à l’écran de surfaces forestières déclarées – avec diverses méthodes de vérification a posteriori de celle-ci, puisque le nouveau code prévoit des sanctions en cas de déclaration malhonnête. À terme, ce SIAE doit permettre le suivi par satellite du respect des engagements des exploitants, en contrôlant par exemple la repousse de la forêt.
5Le cadastre bolivien est instauré par la loi no 337 de 2013 qui institue un vaste plan de régularisation des exploitations agricoles qui ont déboisé de façon illégale après l’interdiction instituée par la loi forestière de 1996. Tout exploitant agricole qui s’inscrit au registre bénéficie d’une forte réduction des amendes, en échange de deux engagements : reboiser 10 % de la surface illégalement coupée et de dédier les 90 % restants, pour une durée de cinq ans, à des cultures participant à la « sécurité alimentaire » de la Bolivie. Ce dispositif suppose que chaque exploitant produise une cartographie fine de son exploitation, fasse mesurer par un expert la surface déboisée illégalement et propose à l’administration de contrôle un croquis localisant les 10 % qu’il compte reboiser. L’administration, de son côté, possède un système d’information géographique qui lui permet de vérifier le respect des engagements par l’exploitant. En Bolivie, ce sont essentiellement les forêts des terres basses, qui constituent 80 % des cinquante millions d’hectares de forêts du pays, qui sont affectées par le déboisement, amorcé dans les années 1960 autour de la ville de Santa Cruz et qui s’accélère au début des années 2000 avec l’intensification agricole que connaît toute la région. Les surfaces coupées à partir de 1996 et tombant sous le coup de la loi 337, représentent environ cinq millions d’hectares [Müller et al., 2014].
Autorisation d’activité agricole (type 2)
6Le second groupe de SIAE étudié ici rassemble les instruments donnant un droit ou une licence d’activité aux exploitants. Ils décrivent les activités que ces derniers comptent mettre en place dans leur exploitation, sous une forme standardisée (formulaire, cartographie), puis l’administration compare cette proposition avec sa base de données, en général un système d’information géographique. Elle valide ou suggère ensuite des modifications à la proposition.
7C’est par exemple le cas des « Plans d’usages des sols » instaurés en Uruguay2 par un décret de 2008. Tout exploitant agricole doit établir un projet pluriannuel d’usage du sol, suivant des rotations de cultures qui assurent une protection maximum contre l’érosion hydrique. Le boom de la culture du soja à partir de 2002 a entraîné des pratiques à fort impact érosif, et en particulier l’abandon des rotations avec d’autres cultures du fait de la rentabilité de ce grain. L’objectif du décret est d’imposer de nouvelles pratiques : un logiciel accessible en ligne permet à chaque agriculteur de calculer et d’ajuster les cultures prévues au degré de tolérance du sol de ses parcelles à l’érosion hydrique. Il peut théoriquement élaborer des cycles culturaux à moyen terme qui garantissent la conservation de ses sols. L’administration est ensuite chargée de vérifier, année après année, le respect des engagements pris dans chaque plan, par satellite notamment. Ce décret de 2008 instaure les premières mesures concrètes qui permettent de remplir les objectifs d’une loi de 1981 instituant le sol comme une ressource d’intérêt national [Marquis Dupont, 2014]. Il ne sera vraiment mis en place qu’en 2013 dans le cadre d’un programme plus ample d’adaptation de l’agriculture du pays au changement climatique financé par la Banque mondiale.
8Le Rio Grande do Sul, l’État le plus méridional du Brésil, adopte à la même période un instrument similaire, mais pour une autre activité. Les projets de plantations massives d’arbres par de très grandes entreprises papetières déclenchent en 2003 la mise en place d’un SIAE pour aider l’administration environnementale de l’État dans les processus d’autorisation des activités sylvicoles (figure 8). Pendant six ans (2004-2010), au cours d’un processus très conflictuel, est élaboré un Zonage environnemental pour la sylviculture, qui établit des critères précis pour la plantation de massifs d’arbres. Ces critères varient en fonction de la vulnérabilité écologique de chacune des unités paysagères qui composent le Rio Grande do Sul : ils visent à réduire les effets de fragmentation des écosystèmes par les plantations et les déficits hydriques des nappes par évapotranspiration. Pour être autorisée à planter une parcelle, une entreprise doit envoyer une couche cartographique numérique localisant la zone à planter à l’administration. Celle-ci, insérant cette couche dans son propre système d’information, pourra alors vérifier que les critères locaux sont bien respectés.
Autorisation et incitation (type 3)
9Un troisième type de SIAE est instauré en Argentine, où une loi forestière impose à chaque province depuis 2007 de mettre en place un zonage de ses forêts, selon trois catégories [Schmidt, 2017 ; Langbehn, 2015] : en rouge, les zones ne pouvant faire l’objet d’aucune déforestation ; en jaune, celles où seules les activités ne mettant pas en péril la couverture forestière sont autorisées (sylvopastoralisme, etc.) ; en vert, les zones pouvant faire l’objet de déboisement. La réalisation de ce zonage conditionne l’attribution aux provinces d’un financement qui permet d’une part, de renforcer leur capacité administrative de gestion et de contrôle forestiers, et d’autre part, de rémunérer les exploitants pour des activités considérées comme durables et protégeant les forêts au nom des services environnementaux qu’elles apportent. Ce SIAE est le plus simple, techniquement parlant, des cinq cas étudiés : une fois mis en place le zonage, celui-ci sert de guide à l’administration forestière de chaque province pour autoriser ou non des demandes d’ouverture du couvert forestier par les exploitants ruraux, et à valider ou non des demandes d’accès au fonds forestier national en appui aux activités soutenables. Un mécanisme d’actualisation de chaque zonage provincial est prévu tous les cinq ans, ce qui permet d’envisager un certain dynamisme du SIAE global. Dans les faits, ces actualisations n’ont concerné jusqu’à aujourd’hui que des modifications mineures. À la différence des systèmes de cadastres (type 1), la loi forestière n’a pas pour objectif de restaurer des surfaces forestières déboisées, même illégalement. Son principal but est de stopper une déforestation extrêmement dynamique des forêts du Chaco qui, comme ailleurs dans la région, a subi une forte accélération avec l’arrivée du soja transgénique (1996 en Argentine), puis la hausse des prix agricoles mondiaux en 2003.
L’œil de l’information géographique : chronique d’un succès
10La progression de l’espace représenté par les bases de données qui se créent au sein des SIAE est fulgurante, ceux-ci couvrant en quelques années des espaces agricoles auparavant situés hors des radars informationnels. Cependant, ce processus est inégal selon les territoires ou selon le type d’agriculteur concerné. Ainsi, nous discuterons du sens politique à attribuer à ces disparités.
11Le tableau ci-dessous permet une première évaluation quantifiée de la progression spatiale de quatre des SIAE étudiés. Notons par précaution les disparités profondes de taille des univers écologiques et sociaux qu’ils recouvrent, des 480 millions d’hectares de la surface agricole utile brésilienne au 1,5 million d’hectares mis en culture en Uruguay. À l’exception du cadastre bolivien, les autres systèmes ont touché, en cinq ans environ, l’ensemble des exploitants qu’ils cherchaient à incorporer à la régulation. Alors que les discussions préliminaires à l’adoption du SIAE ont pu durer de longues années, sa mise en place a été rapide une fois le processus lancé.
Tableau 4. Mesures de la progression spatiale et sociale des SIAE étudiés
Type de SIAE | (1) Cadastre | (2) Autorisation d’activité agricole | ||
Nom | Cadastre environnemental (Brésil) | Loi 337 | Plans d’usage des sols (Uruguay) | Zonage sylvicole (Rio Grande do Sul) |
Adoption légale | 2012 | 2013 | 2008 | 2010 |
Période analysée | 2014-2018 | 2014-2018 | 2013-2018 | 2007-2010 |
Surf. couverte | 480 millions d’hectares | 1,4 million d’hectares | 1,5 million d’hectares | Ensemble de l’État |
Surface/à SAU (%) | Circa 100 % de la surface agricole utilisée (SAU) recensée en 2006 | 8 % de SAU du département de Santa Cruz, 1,5 % de SAU du Beni, 5 % SAU du Pando | 100 % des terres cultivées du pays | 100 % |
Progression annuelle moyenne de la surface | 112 millions d’hectares | 345 000 hectares | 300 000 hectares | Sans objet |
Exploitations inscrites (nb) | 5,1 millions | 12 350 | 15 000 | Sans objet |
% du total des exploitations du territoire | Circa 100 % des exploitations recensées en 2006 | 7 % des exploitations de Santa Cruz, 6 % du Beni, 9 % du Pando | 75 % des exploitations concernées par le décret | Sans objet |
Progression annuelle du nb d’inscrits | 1,3 million | 3 100 | 3 000 | Sans objet |
12Le cas du Brésil est le plus remarquable : entre 2013 et 2018, il inscrit la quasi-totalité de ses 5,1 millions d’exploitants, à raison de 1,3 million d’inscriptions et 112 millions d’hectares déclarés en moyenne annuelle. Cette rapidité doit cependant être tempérée par le fait qu’il s’agit pour l’instant de la progression de déclarations des exploitants sur le module en ligne fourni par l’État. La seconde phase, déjà amorcée dans un grand nombre d’États fédérés, consiste à vérifier, corriger, (in)valider ces déclarations, et le temps nécessaire à cette phase, bien plus chronophage et directement dépendante des ressources mobilisées par l’administration, est encore inconnu. Pour l’heure, le simple fait d’avoir déclaré en ligne son CAR permet à un exploitant d’exhiber un document officiel nécessaire, par exemple, pour avoir accès au crédit rural. Dans la mesure où les dernières statistiques rurales fiables dataient du recensement agricole de 2006, le CAR a permis au pays de découvrir statistiquement des millions d’hectares exploités (figures 11 C et D) et des centaines de milliers de nouveaux exploitants, notamment dans les États où les fronts pionniers avaient progressé depuis 20063. Je reviendrai sur cette productivité statistique du CAR aux chapitres suivants et sur ce caractère de para-recensement d’un outil d’abord conçu dans un but de régulation. À une échelle infrafédérale, d’importantes disparités temporelles sont à noter. Certains États progressent très rapidement dans l’adhésion à leur CAR comme les plus grands États amazoniens (figure 11 A), tandis que d’autres tardent à atteindre leurs objectifs dans le nord-est et le sud (idem).
13Le cas bolivien tranche partiellement avec cette tendance générale, malgré des vitesses d’incorporation en termes de surfaces et d’exploitations similaires à l’Uruguay. En 2018, il apparaît par exemple que sur les cinq millions d’hectares illégalement déboisés en Bolivie, seul 1,4 million a été déclaré au cadastre [Instituto boliviano de comercio exterior, 2018], soit environ 25 % de l’espace potentiellement régularisable (figure 14). Les raisons de ce sous-enregistrement sont encore mal cernées, nous y reviendrons plus loin.
14Le cas argentin présente une certaine similitude avec celui de la Bolivie. La progression spatiale du SIAE est visible à l’expansion rapide des subventions aux actions de gestion soutenable ou de conservation au sein des forêts (figure 12), mais par rapport aux sufaces concernées, son incidence est très réduite.
15Mais quel que soit l’instrument pris en compte, la rapidité et l’ampleur de leur déploiement ne doivent pas être sous-estimées, tant elles sont massives. Ces systèmes s’érigeaient souvent dans des semi-déserts informationnels – absence de référentiels écologiques, statistiques inexistantes ou désactualisées, etc. –, leur progression ne pouvait être que notable. Reste qu’elle prouve, du moins formellement, la capacité des États de la région à bâtir rapidement des systèmes d’information sur leurs agrosystèmes. Cela dit, cette progression n’est homogène ni spatialement ni en termes de représentativité des différentes catégories d’exploitation.
16Dans le cas des systèmes de type 1 et 2, la géographie des zones qui recensent le plus d’adhésions d’exploitants correspond à celles où dominent les plus grands d’entre eux. Les cadastres brésilien et bolivien sont à cet égard éloquents : c’est l’agrobusiness qui s’est inscrit le premier. La figure 10 montre ainsi qu’à peine quatre ans après l’adoption du cadastre environnemental rural brésilien, l’essentiel des surfaces de la frontière ouest de l’État de Bahia – territoire de l’agrobusiness par excellence – a été déclaré, à la différence du reste du territoire [Bühler & Lúcio de Oliveira, 2018]. Là où domine la petite propriété, le cadastre est incomplet et la qualité de sa saisie en ligne moindre (superposition de parcelles). En Bolivie également, la majorité des parcelles y sont déclarées par des entreprises et non par des petits propriétaires [Roncali, 2016]. La régularisation offerte par la loi 337 bénéficie en premier lieu à l’agriculture entrepreneuriale (figure 13), dont relèvent 51 % des surfaces qui ne sont plus tenues d’être reforestées selon les chiffres officiels boliviens. Pour les autres types de SIAE, cette tendance est moins nette parce que l’obligation d’inscription touche tous les exploitants. Cependant, dans le cas de la loi forestière argentine, les grands propriétaires privés accaparent 43 % du total des plans financés par la loi jusqu’en 2016, alors que cette catégorie ne représente généralement pas plus de 10 % du total des exploitations agricoles des provinces [Indec, 2021]. Comment donc expliquer cet empressement des secteurs les plus puissants des agricultures de la région à s’inscrire dans des instruments qui visent justement à réguler leur activité, en particulier dans les cas où l’inscription est volontaire ?
L’information agroenvironnementale au service de ceux qu’elle prétend réguler ?
17Loin d’être des instruments imposés par la force aux acteurs agricoles, ces SIAE sont de fait largement coconstruits entre État et lobbys. La thèse que je défends ici est que, sous couvert de création de nouvelles régulations agroenvironnementales, les SIAE masquent un processus de régularisation à moindre coût des exploitations de la région. Les frais que cette régularisation suppose pour les exploitants sont réduits au maximum. Cela leur permet, sans modification de fond de leurs pratiques, de certifier environnementalement leur activité. La question est alors d’interpréter le sens politique de ce vaste processus de maquillage vert par l’information. Au-delà du rôle évident des pressions sectorielles pour abaisser les coûts environnementaux de protection, l’explication doit se déplacer aux échelles nationales, où les SIAE sont des pièces maîtresses de stratégies étatiques de repositionnement mondial des agricultures de la région face aux marchés et aux crises environnementales.
Les SIAE comme instruments du « grand pardon »
18Les systèmes d’information étudiés naissent durant la décennie 2000, celle du boom mondial des commodités agricoles, où agrobusiness et gouvernements, qu’ils soient de droite ou progressistes, s’allient pour réduire a minima les contraintes à la production entrepreneuriale. Avec la connexion croissante des grands acteurs agricoles au système financier international, le fait que l’essentiel des exploitations soit en infraction avec les lois forestières devient un problème : cette situation de potentielle insécurité juridique pourrait les rendre vulnérables aux critiques des marchés. Le moteur premier de l’adoption des SIAE est de trouver des moyens légaux de régulariser ces infractions. Ce n’est pas une coïncidence si dans les campagnes boliviennes le cadastre environnemental mis en place est qualifié avec ironie de « loi du grand pardon », ou que le terme « d’amnistie », auparavant utilisé pour les pardons officiels des crimes des dictatures, soit utilisé au Brésil pour qualifier le nouveau Code forestier [Soares-Filho et al., 2014]. Il faut en effet replacer cette multiplication de SIAE dans un contexte général de réduction des obligations environnementales réglementaires faites aux exploitants agricoles, contexte sans lequel leur portée politique et écologique ne serait pas compréhensible. Le suivi longitudinal de ces instruments permet de saisir comment, avant, pendant et après leur mise en place, leur portée régulatoire est assouplie.
19Au Brésil, depuis l’adoption du Code forestier en 1965, tout exploitant doit s’abstenir de mettre en production deux types d’espace dans sa propriété. D’une part, les « aires de protection permanente » (APP), la frange de végétation qui borde les cours d’eau ou les sources. Ces APP varient en largeur selon une grille fixe, de quelques mètres pour les ruisseaux à plusieurs centaines pour les grands fleuves. De l’autre, il faut laisser un certain pourcentage du reste de l’exploitation en réserve légale (RL), sans toucher la végétation. La réforme du Code se traduit principalement par une réduction des surfaces à placer en RL ou APP, voire par l’exonération de ces obligations pour des millions d’exploitations. La réforme législative réduit d’un seul coup la surface forestière devant être restaurée dans le pays, qui passe de cinquante à vingt millions d’hectares, et près de 90 % des exploitants (les plus petits) sont désormais exonérés de l’obligation de restaurer les surfaces qu’ils ont déboisées [Soares-Filho et al., 2014]. La figure 15 montre la géographie de cette amnistie. Les zones les plus anciennement mises en culture dans le pays et les portions les plus récentes des fronts pionniers sont celles où la réduction des exigences de restauration écologique est la plus forte. C’est dans ce contexte que naît le cadastre environnemental rural, présenté paradoxalement par le gouvernement de Dilma Roussef comme une avancée régulatoire, alors qu’il entérine une nette réduction des exigences du Code antérieur.
20En Bolivie, la loi 337 dite « de production alimentaire et de restitution forestière » répond au même objectif, dans un contexte où le gouvernement bolivien cherche une expansion massive des terres cultivées de façon mécanisée [Castañon Ballivián, 2016]. La loi forestière en vigueur, datant de 1996, a été largement ignorée dans un contexte d’encouragement au développement d’un secteur exportateur (soja) générateur de devises pour le pays4. La régularisation proposée aux exploitants, qui consiste à ne reboiser que 10 % de ce qui a été indûment déforesté, apparaît incroyablement peu exigeante. Certes, cela s’accompagne d’une obligation de cultiver un nombre limité de produits sur les 90 % de surface déforestée restants, pendant une durée de cinq ans, produits relevant d’une liste officielle censée garantir une autosuffisance alimentaire du pays. Mais dans cette liste obligatoire, et malgré sa présentation comme un outil de « souveraineté alimentaire », figure toujours le soja, une commodité agricole pour l’essentiel exportée.
21Durant cette période, gouvernements et entreprises s’accordent sur le fait que la lenteur des administrations à accorder des licences d’activité constitue un frein aux investissements étrangers. L’Uruguay, par exemple, développe en 2007 un programme de renforcement des capacités du ministère de l’Environnement dont l’objectif explicite est de rendre plus « agiles » ces autorisations, à une époque où les plus grandes entreprises papetières du monde acquièrent des centaines de milliers d’hectares dans le pays [Gautreau, 2014]. Plutôt que d’augmenter le nombre d’employés dédiés à la vérification des demandes de licence, il est plus simple de réduire les items à vérifier. Au Brésil, les tentatives pour alléger substantiellement le système d’autorisation pour les grands projets d’infrastructures se multiplient au cours des années 2010, et plus encore suite à l’impeachment de la présidente Dilma Roussef en 2016 [Fearnside, 2016].
22Une fois lancés officiellement les SIAE, c’est durant leur conception que ceux-ci sont patiemment détricotés de l’intérieur, grâce aux multiples instances au sein desquelles gouvernement et lobby agricoles trouvent le moyen d’infléchir à la baisse les exigences régulatoires. En Argentine, la loi forestière votée au niveau fédéral a dû, pour être effective, être adoptée par chacune des vingt-deux provinces. Chacune possède ainsi son zonage et décline localement les grands critères fédéraux. Dans celles où la pression pour l’avancée de la frontière agricole était la plus vive, le nord-ouest du pays principalement, les parlements provinciaux, acquis aux intérêts de l’agriculture entrepreneuriale, ont réussi dans bien des cas à modifier les zonages proposés lorsque ceux-ci contredisaient trop ostensiblement leurs projets d’expansion. De cette façon, les zones les plus restrictives ont été concentrées dans des secteurs peu susceptibles d’être déboisés, que ce soit pour des raisons agronomiques ou climatiques5.
23Dans un article coécrit avec Eduardo Vélez [Gautreau & Vélez, 2011], nous avions montré comment un processus similaire a affecté la conception du zonage sylvicole du Rio Grande do Sul. Initialement soutenu par les entreprises papetières, le travail collectif de zonage a abouti à une première version en 2006, qui contredisait fortement les stratégies spatiales de celles-ci. En effet, certaines que le zonage ne correspondrait qu’à un document sans portée réglementaire réelle, et dans une course à l’achat de terres, les entreprises avaient déjà acquis l’essentiel des propriétés qu’elles comptaient planter dans le sud de l’État, avant même d’attendre la publication définitive de la carte (figure 8). Cette région présentait les meilleures conditions foncières pour la sylviculture (faibles prix et grandes parcelles), mais également la plus forte vulnérabilité écologique.
24Grâce à leurs relais techniques et politiques aux différents niveaux des organes de délibération et de décision environnementale, le secteur papetier réussit à imposer une nouvelle discussion du zonage sur de nouvelles bases méthodologiques. La méthode collégiale initiale, fondée sur l’appréciation par des spécialistes de la vulnérabilité des unités paysagères de l’État face à la sylviculture, fut remplacée par une méthode géomatique de détermination des taches paysagères moyennes, qui aboutit à une série de valeurs de taille maximale de massifs d’arbres et d’espace minimum entre ces massifs. Sans fondement scientifique validé, cette méthode aboutit à un assouplissement très net des restrictions à la plantation précisément dans les zones visées par l’industrie papetière (figure 16). Celle-ci peut dès lors planter des massifs de très grande taille, proches les uns des autres, ce que la version initiale avait tenté de restreindre pour réduire les effets de fragmentation des herbages.
25Bien que je n’aie pas eu accès au détail des négociations au cours de la conception du cadastre dans le cas bolivien, il est probable que la loi 337 ait été prise dans des négociations plus larges avec les élites agraires de l’Oriente. Le gouvernement Morales cherchait simultanément à conforter un pacte politique de non-agression avec elles et à favoriser leur contribution au PIB du pays en assouplissant les limitations environnementales au développement de leurs cultures d’exportation [Gautreau & Perrier Bruslé, 2019].
26Enfin, le lancement officiel des SIAE n’interrompt pas les tentatives de neutraliser leur pouvoir de régulation. Les contrôles sont souvent si ténus qu’ils réduisent drastiquement leur légitimité et leur efficacité6. Les études sur les effets de la loi forestière argentine ne permettent pas de conclure qu’elle a eu un effet décisif sur la réduction des taux de déforestation [Redaf, 2012]. En Bolivie, si ces taux s’infléchissent après 2010, c’est plus probablement du fait de la chute des prix des commodités agricoles, qui réduit l’ouverture de nouvelles terres, que de l’efficacité du cadastre. Dans le Rio Grande do Sul, le quasi-arrêt des grandes plantations papetières à partir de la même période est à lier à la crise financière internationale qui touche alors de plein fouet le secteur, et non pas à la mise en place du zonage sylvicole. Dans l’État brésilien du Pará, qui a mis en place un système similaire au CAR dès 2007, les effets en termes de réduction de la déforestation ne sont guère visibles, et ce, plus de dix ans après sa naissance [L’Roe et al., 2016]. Les premières évaluations des effets de ce type d’outil sur la réduction de la déforestation montrent qu’ils ne sont pas suffisants en soi, tant qu’ils ne sont pas combinés à un faisceau d’autres mesures pour atteindre leurs buts [Azevedo et al., 2017 ; Stickler et al., 2013].
27Au Brésil, le CAR est encore dans sa phase d’enregistrement en ligne. Chaque État doit, dans un second temps, vérifier ces déclarations, avant de passer des accords de restauration écologique avec les exploitants. La vérification de l’effectivité du contrôle ne pourra être faite correctement que dans quelques années, notamment quand les zones forestières restaurées seront visibles par satellite. Une des raisons de douter de la sévérité à terme des contrôles tient au fait que, même dans les cas où le contrôle satellitaire est effectif, il n’est pas possible de faire l’économie de visites de terrain pour évaluer des éléments de détails difficilement perceptibles, même avec des images en haute résolution. Or, ces visites de terrain coûtent cher et le nombre de fonctionnaires en charge de les réaliser est très faible.
28Dans les zones d’avancée des fronts agricoles, où la tenure des terres est incertaine, certains exploitants déclarent au CAR des terrains occupés illégalement, ce que les logiciels ne permettent pas de détecter immédiatement. Ces déclarations pourront servir d’antécédent dans des procédures très longues de demande de reconnaissance d’occupation, lancées dans l’espoir d’acquérir in fine un titre de propriété [Bühler & Lúcio de Oliveira, 2018]. Ailleurs, est également observé un certain nombre d’inscriptions incomplètes ou imprécises au cadastre de parcelles, afin de bénéficier de diverses aides, le temps que soit détectée l’erreur par l’administration [L’Roe et al., 2016]. Dans les provinces septentrionales du Chaco argentin et dans une bonne part de la moitié nord du Brésil, les SIAE ont été lancés dans des situations de déficiences notoires des cadastres conventionnels de tenure des terres. Dans ce contexte, il est difficile de penser que ces outils informationnels de régulation environnementale pourront se déployer correctement. Un élément supplémentaire démontrant que ces SIAE ont d’abord une fonction d’amnistie est la constante prorogation des dates butoirs pour l’adhésion des exploitants, au-delà desquelles ils ne peuvent plus bénéficier de réduction de peine pour leurs infractions environnementales passées. Arguant d’un manque de diffusion du CAR parmi les agriculteurs, les corporations agricoles brésiliennes ont par exemple obtenu que cette date butoir, initialement fixée à mai 2016, soit reportée à décembre 2017, puis à décembre 2018.
Les SIAE comme maquillage vert institutionnel
29Dans l’état actuel de leur déploiement, les SIAE sont des instruments de certification nationale de l’agriculture exportatrice des pays étudiés, dans le but d’améliorer à la fois leur productivité et leur insertion commerciale internationale. En tant qu’outils de régularisation environnementale, ils réduisent l’insécurité juridique qui pèse sur les plus grandes exploitations. Bien qu’elles n’aient guère été jusque-là pourchassées pour leur infraction aux lois environnementales, celles-ci peuvent craindre, à l’occasion d’un changement politique par exemple, que l’État puisse un jour leur chercher noise en recourant à des lois jusqu’alors oubliées. En ce sens, ces SIAE accompagnent des processus qui sont censés rassurer les grands exploitants et les inciter à investir plus et en toute tranquillité dans leur activité. Cette fonction de sécurisation juridique peut jouer à un autre niveau, en créant de meilleures conditions pour attirer des financeurs internationaux de plus en plus soucieux du caractère responsable de leurs investissements dans les filières agricoles. En Bolivie, l’un des objectifs du gouvernement est de mieux financiariser un agrobusiness encore insuffisamment connecté, géographiquement et économiquement, aux filières internationales les plus dynamiques. À un troisième niveau enfin, ces SIAE participent d’une labellisation environnementale des agricultures nationales, qui peut favoriser la commercialisation de leurs produits sur des marchés européens et nord-américains en faisant tomber d’éventuelles barrières environnementales.
30À ce stade, cette labellisation se réalise à moindre coût pour les exploitants agricoles. Elle ne leur impose que très peu d’efforts pour améliorer leur performance environnementale. Dans le cas brésilien, elle réduit même fortement ces contraintes. En Bolivie, les chiffres officiels permettent de savoir que des cinq millions d’hectares déboisés illégalement, le programme de régularisation mis en place par la loi 337 n’a permis d’en restaurer que 47 590, soit moins de 1 %7. En Argentine, la loi forestière n’a permis entre 2010 et 2015 d’instaurer de plans de gestion que sur 8,5 millions d’hectares, soit 15 % à peine des forêts du pays [Ministerio de Ambiente y Desarrollo Sustentable, 2017]. C’est dans ce sens que ces instruments permettent un greenwashing piloté par les pouvoirs publics. L’un des principaux signes de cette portée stratégique des SIAE est la rapidité de l’adhésion aux instruments de la part des segments les plus puissants des agricultures régionales. Au Brésil, l’adhésion au CAR semble avoir été massive parmi les producteurs de soja, une filière essentiellement exportatrice, au sein de laquelle des certificats environnementaux sont de plus en plus exigés. Azevedo et al. [2017] estiment par exemple que le principal intérêt du CAR pour l’agriculture brésilienne est qu’il réduit les coûts de transaction pour les acheteurs étrangers, qui n’ont plus à payer de consultants pour vérifier le caractère responsable du produit qu’ils achètent : l’État, grâce au cadastre, remplit cette fonction.
31Ce n’est donc pas un hasard si les plus grandes entreprises adhèrent les premières à la nouvelle législation, tant celle-ci leur apporte de bénéfices économiques au prix d’arrangements minimes. C’est pourquoi ce sont parfois les entreprises elles-mêmes qui réclament la mise en place d’instruments agroenvironnementaux, dans les territoires où ils n’existent pas, afin de pouvoir démontrer à leurs actionnaires et à la société qu’elles agissent de façon responsable. Pour montrer qu’elles respectent la loi, il est nécessaire que cette loi existe, et il faut la créer lorsqu’elle n’existe pas8.
32Dans cette recherche de maquillage vert institutionnel, la dimension informationnelle des systèmes est essentielle, car elle permet de publiciser l’action de l’administration, de la mettre en scène. Cette fonction est portée à son paroxysme au Brésil, où les ministères de l’Environnement et de l’Agrobusiness communiquent régulièrement sur les chiffres du cadastre environnemental rural et sur leur progression. Le fait qu’une partie de la base de données9 soit en ligne et téléchargeable sur un site officiel participe de cette mise en scène d’un outil à la fois fédéral, transparent et innovant. Dans les discours, les ministres se congratulent de l’avancée rapide de l’inscription des exploitants au CAR, chiffres et cartes à l’appui. L’instrument est présenté comme la preuve que le Brésil est en capacité de combiner croissance et soutenabilité, et sert de vitrine à un nationalisme managérial destiné tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays10. Aujourd’hui, le CAR est mobilisé par un ensemble d’acteurs qui estiment que les problèmes environnementaux du pays sont en voie d’être réglés, notamment grâce à ces outils qui positionnent le Brésil comme plus vertueux en la matière que bien des pays développés et comme le pays qui possède désormais « l’agriculture la plus environnementale du monde ».
33La ministre de l’Environnement du gouvernement de Dilma Roussef argumentait en ce sens en public à Brasília en 201511. Selon elle, le CAR permettait de contredire les accusations selon lesquelles les agriculteurs refusaient l’innovation environnementale. Elle y voyait un moyen de réparation morale d’un groupe injustement accusé de négliger l’environnement du pays et affirmait immédiatement que grâce au CAR, « on ne pourr[ait] plus dire qu’on produit des aliments en déboisant [au Brésil]. » Ce discours était à destination de deux publics. Dans le pays, il épaulait l’important groupe des contempteurs des mouvements socioenvironnementaux, pour démontrer l’inanité de leurs préventions sur le caractère insoutenable et socialement injuste de l’agrobusiness12. Hors du pays, il s’agissait de maintenir le capital international de sympathie gagné depuis la fin des années 1990 grâce à la mise en défens environnemental de près de 20 % de son territoire, puis grâce à ses succès dans la réduction des taux de déboisement à partir de 200413. Ce capital qualifié par certains de « leadership environnemental » [Ferreira et al., 2014] était alors contesté à l’intérieur du pays par les mouvements qui dénonçaient l’orientation nettement productiviste des gouvernements de Dilma Roussef et leur inaction en matière de conservation. À un niveau international, dans le contexte encore flamboyant des années 2014-2015 où rien ne semblait arrêter la progression du Brésil sur la voie de l’émergence, ce type de discours s’inscrivait dans un éventail d’actions géopolitiques qui visait à inscrire le pays parmi les leaders mondiaux des solutions vertueuses et innovantes dans le nouveau paradigme de l’économie verte. Le ministre du Développement agraire, Patrus Ananias, lors de cette même réunion publique, présentait le CAR comme « une clé pour la compétitivité, les paiements pour services écosystémiques ».
Les SIAE entre pragmatisme et productivité périphérique
34Bien que les systèmes d’information agroenvironnementale semblent pour l’heure inadaptés aux buts qui leur ont été officiellement fixés – la régulation des atteintes à l’environnement par l’agriculture – il est encore un peu tôt pour y voir uniquement des coquilles vides au service d’intérêts strictement économiques. Les débats sur leur valeur instrumentale sont à décliner sur un plan politique et à lire en termes « d’effets d’instruments » et de « productivité ». Ces deux expressions renvoient aux effets non prévus d’un instrument de gestion publique et invitent à observer ce que cet instrument produit comme changements sociétaux ou environnementaux, au-delà de la seule notion d’efficacité.
35Ces systèmes sont avant tout l’expression d’un certain pragmatisme des gouvernements sud-américains, qui auraient estimé vers 2005-2010 que réduire les contraintes environnementales légales allait accroître le nombre d’exploitants acceptant de s’y soumettre, et au final, améliorer la portée effective de l’instrument14. La logique est similaire aux actions d’amnistie des infractions fiscales. Dans des contextes tels que ceux des pays étudiés, où le nombre d’agriculteurs est souvent immense, les moyens humains de contrôle très réduits et les capacités de résistance de certaines fractions du monde agricole puissantes, ce pragmatisme a une certaine cohérence. Il est d’ailleurs ouvertement revendiqué par certains membres de gouvernements, qui estiment que l’État doit faire évoluer la législation environnementale d’un caractère punitif vers celui d’accompagnement bienveillant au verdissement de l’agriculture.
36Ce pragmatisme se lit aussi dans la capacité des États de la région à mobiliser les SIAE au service de politiques qui ont pris de l’ampleur après leur création. Ainsi, le CAR a été inscrit comme l’un des outils garantissant les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre du Brésil à la COP21 : il est censé participer des efforts en termes de restauration de végétation contribuant à ces engagements15. En Argentine, la loi forestière et ses zonages provinciaux ont été inscrits comme antécédents pour la présentation de la stratégie REDD+ du pays. En Uruguay enfin, le décret donnant naissance aux Plans d’usage des sols a été inscrit comme l’un des piliers d’une politique plus large de verdissement de l’agriculture du pays, financée à hauteur de cinquante millions de dollars par la Banque mondiale [World Bank, 2018 ; Marquis Dupont, 2014]. Il semble donc bien qu’on assiste actuellement à ce que j’appelle une capture d’instrument dans ces pays, où des systèmes sont enrôlés pour la cause climatique a posteriori, alors qu’ils n’ont pas été créés dans ce but.
37Sur le plan strictement écologique, la prudence est de mise à l’heure de dresser un bilan de ces instruments, soit du fait de leur jeunesse, soit du fait des difficultés à isoler rigoureusement leur contribution dans des changements dus à des causes multiples. La complexité des processus de déforestation et d’atteinte à la végétation est dépendante de tant de facteurs [Hecht, 2014] que la part que peuvent jouer les SIAE dans des processus de restauration écologique ou de conservation est très difficile à estimer. D’autre part, la combinaison d’une immense complexité foncière (tenures non ou mal légalisées), d’une grande diversité des espaces ruraux et d’une application très variable des instruments selon les lieux fait des tentatives de bilan écologique des SIAE une gageure. Pour le Brésil par exemple, le débat sur la portée de la révision à la baisse des exigences du Code forestier reste ouvert. Pour certains, si le pays avait obligé les exploitants à restaurer les trente-six millions d’hectares indûment déboisés, cela aurait pu provoquer un déplacement (en anglais leakage) des fronts agricoles vers des zones encore intouchées [Sparovek et al., 2010]. L’abaissement des critères du Code, qui ont de fait conduit à renoncer au reboisement d’une large part de cette surface, aurait en théorie l’intérêt de contenir l’expansion des espaces agricoles du pays dans les zones les plus anciennement défrichées16. De la même façon, les réactions potentielles des exploitants agricoles aux possibilités de compensation des obligations de mise en réserve de leurs terres, en termes de fixation ou au contraire de dynamisation des fronts agricoles, restent encore objet de controverse [Filoche, 2017].
38Pour l’heure, c’est surtout par leur productivité qui pourrait être qualifiée de périphérique17, c’est-à-dire située au-delà du strict sujet sur lequel ils portent, qu’il est possible de mesurer les effets des SIAE. Les SIAE étudiés ont suscité de longs et intenses débats dans différentes arènes, et mis sur la place publique la question de la possibilité et des modalités de la régulation de l’agriculture. Ils ont en ce sens contribué à normaliser cette question et à en faire une question collective. Le Brésil innove avec la mise en ligne partielle du CAR : les ONG peuvent le télécharger et suivre la progression de la cadastration sur leurs propres systèmes d’information et enquêter sur les situations douteuses. Un Observatoire du CAR a été créé, contribuant à une plus grande transparence dans sa mise en place18. Sur le plan juridique, les SIAE servent parfois d’accroche à des dénonciations qui aboutissent à des procès, notamment en Argentine où des ONG ont obtenu de certaines provinces une révision des modalités d’adoption de la loi forestière. Enfin, comme nous le verrons plus bas, le montage des SIAE et les controverses associées ont été l’occasion de rassembler des informations souvent éparses sur les agroécosystèmes, de créer des informations auparavant inexistantes et de faire vivre dans l’espace public des écosystèmes méconnus. La production de connaissances écologiques a sur ce plan été notable.
39Il faut enfin évaluer les apports des SIAE à l’État, au-delà du greenwashing. Il serait faux d’imputer ces projets de régulation par l’information uniquement aux visées instrumentales d’un État totalement imperméable aux considérations environnementales. L’État est une réalité qui est loin d’être monolithique [Le Bourhis & Bayet, 2002 ; Lascoumes & Le Bourhis, 1997], où certains secteurs pro-environnement ont pu subsister au sein d’appareils majoritairement productivistes. Dans deux cas au moins, la loi forestière argentine et le zonage sylvicole du Rio Grande do Sul, ce sont des fractions conservationnistes de l’État qui ont tablé sur un vrai pouvoir régulateur de l’instrument, en franche opposition avec d’autres forces au sein des administrations qui œuvraient à sa neutralisation19. En Argentine, c’est une partie du personnel fédéral en charge des forêts qui a défendu une loi largement rejetée par les États fédérés provinciaux. Lorsque ce personnel fédéral s’est rendu compte que la loi était mal ou pas appliquée dans certaines provinces, il a œuvré pour tenter par des voies détournées d’atteindre les populations pauvres que la loi devait défendre20.
40Sur le plan de la lisibilisation par l’État de son territoire, les SIAE constituent un outil potentiel d’accumulation inédite d’information à échelle fine, tant sur son environnement que sur ses exploitants. Les SIAE s’accompagnent en effet fréquemment de production additionnelle d’information inédite, afin de donner aux administrations un regard plus précis sur les comportements des acteurs ruraux inscrits dans le système. C’est le cas de l’Uruguay, qui développe une cartographie inédite au 1/40 000e de ses sols, afin d’améliorer les estimations du risque érosif par le logiciel utilisé dans son système de Plans d’usages du sol. Reste à savoir si les capacités d’archivage et d’analyse de ces bases de données sont au rendez-vous et si l’État en fera un jour quelque chose. Au Brésil, les autorités ministérielles rappelaient lors d’un bilan public du CAR devant la presse le 4 mai 2015 que celui-ci avait permis au pays de « découvrir » l’ampleur de l’expansion agricole des années 2000-2010, puisque le dernier recensement national datait de 2006. Ainsi que le montre la figure 11, ce sont environ 116 millions d’hectares qui sont apparus dans le radar de l’État fédéral, situés dans dix-neuf États sur les vingt-sept que compte la fédération. Cet exemple révèle comment une base de données à visée environnementale a fourni des informations foncières et agricoles inédites à une administration qui en était dépourvue. C’est en ce sens qu’il est possible de dire que ces SIAE sont susceptibles de renforcer le pouvoir de lisibilisation de l’État, dans des champs qui vont bien au-delà de l’environnement21.
* * *
41Les systèmes d’information permettent d’aborder selon un angle original plusieurs débats actuels sur la relation entre agriculture et environnement en Amérique du Sud. En premier lieu, cette approche « par l’information » du monde agricole a permis d’entrevoir sa profonde intégration, politique, sociale et technique, aux processus de conception des outils de leur propre régulation. Aujourd’hui, les lobbys agricoles font plus que faire pression sur les parlements : ils placent leurs techniciens au cœur des espaces où se forgent les instruments et se négocient leurs paramètres. Leurs capacités d’enrôlement de scientifiques de haut niveau leur permettent de traduire en langage écologique leurs objectifs et leur donnent la capacité de discuter pied à pied avec les membres de l’administration et/ou de la société civile qui élaborent les instruments. Les lectures académiques latino-américaines dominantes, c’est-à-dire critiques, de l’avancée de la frontière agricole restent sur ce plan à la fois fatalistes et insuffisamment nuancées, sur le rôle de l’agrobusiness en particulier. Celui-ci est désormais capable de débattre écologie dans les arènes publiques, ce qui rend ses stratégies d’influence plus complexes à contrer et donc plus efficaces.
42La thèse principale de ce chapitre, on l’a compris, a été de présenter les instruments d’information agroenvironnementale comme des outils additionnels au service de ce qu’Otero [2012] appelle la « néorégulation » de l’agriculture en contexte néolibéral ou ce que Castree [2008] qualifie de « rerégulation ». En somme, leur principale fonction est pour l’État de mettre en conformité son secteur agricole exportateur vis-à-vis du marché international, en rendant ce secteur lisible, dans sa dimension environnementale, pour des agents extérieurs et distants. Qu’apporte alors à ces instruments leur dimension numérique et leur mise en ligne ? Avant tout un surcroît de légitimité publique nationale et internationale, particulièrement fort quand tout acheteur peut visualiser sur Internet les parcelles agricoles d’où proviennent les biens qu’il convoite et vérifier leur compliance avec les normes de responsabilité qui autorégissent son action.
43Cette thèse principale n’interdit pas de voir simultanément dans ces instruments la construction d’un potentiel inédit de régulation par l’information de la part des États sud-américains, à la fois par le volume d’information individualisée qu’ils collectent et par le type inédit d’espaces sur lesquels ils la collectent, dans ce cas précis, les agrosystèmes. Ces SIAE sont donc emblématiques des logiques hybrides des États progressistes de la décennie 2005-2010, logiques fondamentalement néolibérales et ancrées dans la marchandisation de leurs environnements, mais traversées de mouvements contraires et de tensions internes, et d’une volonté de redonner à l’État un rôle plus fort dans la régulation des ressources du territoire national [Gautreau & Perrier Bruslé, 2019].
44L’exemple des SIAE permet enfin d’apporter quelques éléments au débat ouvert sur la régulabilité du capital transnational, massivement présent dans les financements et les territoires ruraux des pays étudiés dans cet essai. Si les gouvernements progressistes ont tous fait le pari que les investissements directs étrangers et les acteurs qui les accompagnaient, notamment les transnationales agricoles, sylvicoles, minières, etc., étaient gouvernables, du moins dans un futur proche où l’État et l’économie auraient été renforcés, un nombre conséquent d’observateurs estime au contraire que ces acteurs transnationaux sont et resteront pour longtemps impossibles à réguler sérieusement. Je suis de ceux-là.
45Certains ont par exemple estimé que la période de très hauts prix des commodités agraires (aliments, bois, etc.) durant la décennie 2000 constituait un temps favorable à l’imposition de régulations environnementales, les taux de retour sur investissement étant tels à tous les niveaux des filières que la contestation allait être faible22. C’est le contraire qui s’est produit : les excellentes conditions économiques de la période n’ont en rien réduit les exigences des très grandes entreprises agraires en termes d’assouplissement des règles. La réforme du Code rural brésilien est ainsi obtenue à un moment où les bénéfices sont encore très hauts en agriculture. Dans le cas de la sylviculture que j’ai analysée sur la période 1990-2010 dans le Río de la Plata, j’ai par ailleurs montré que les grandes entreprises de la filière ne cessaient jamais d’exiger des assouplissements et des passe-droits croissants aux différents États, quel que soit le contexte de rentabilité de leur activité. Cela reste vrai malgré des politiques publiques dérogatoires – en Uruguay tout particulièrement – ayant offert à ces géants industriels des avantages économiques et environnementaux inédits. Leur action a consisté et consiste encore à faire tomber une à une toute régulation de quelque importance, voire à exiger et obtenir, dans le cadre de négociations secrètes avec le gouvernement, la modification ad hoc de normes fondatrices du système régulatoire national [Gautreau, 2014]. Je partage donc le constat de Rajão, Azevedo & Stabile [2012], selon lesquels ce qui sauve les lois forestières d’un abandon à peu près complet, c’est la nouvelle urgence de la lutte contre le changement climatique. Il faut bien pouvoir montrer que l’État prend quelques mesures lors des forums internationaux et c’est là que les systèmes d’information agroenvironnementaux ont un rôle à jouer.
Notes de bas de page
1 Outre mes travaux personnels, ce chapitre est en bonne partie redevable, sur le plan des données et du décryptage des stratégies en présence, des travaux de master de Laure Élise Ruoso, Gabrielle Marquis Dupont et Camille Roncali, avec lesquelles nous avons partagé idées et séjours de terrain, respectivement en Argentine (2012), en Uruguay (2014) et en Bolivie (2016).
2 L’essentiel des informations sur la mise en place de ce SIAE entre 2008 et 2014 provient du mémoire de master 1 de Gabrielle Marquis Dupont [2014].
3 Une part de ces « découvertes » de terres et d’hommes tient aussi partiellement aux sous-enregistrements du recensement de 2006.
4 Plusieurs auteurs mentionnent également le fait que l’autre loi majeure de l’année 1996 en Bolivie, portant sur la réforme agraire, a joué un rôle essentiel dans la violation de la loi forestière. En effet, pour prouver que la possession de la terre n’était pas oisive, il fallait désormais y porter des marques d’activité : pour nombre d’exploitants, dont les plus petits, la principale façon de réaliser ces marques de possession était de couper la forêt [Müller et al., 2012].
5 Pour une analyse cartographique détaillée de ces processus provinciaux, notamment la marginalisation progressive des cartographies trop restrictives pour le secteur agricole dominant, voir Gautreau, Langbehn & Ruoso [2014].
6 À propos des effets réduits de loi forestière argentine sur la lutte contre la déforestation, voir Camba et al., 2018.
7 Chiffre publié par l’Instituto boliviano de comercio exterio [2018]. Cette si faible surface s’explique par le fait que 10 % seulement de la surface illégalement coupée doit être reboisée. Si le but officiel est d’intégrer au système 25 % des terres déboisées, celles-ci vont pouvoir garder l’usage agricole qu’elles ont acquis, d’où des effets minimes en termes de reboisement.
8 Ainsi que je l’avais montré dans mon ouvrage de 2014 sur l’industrie papetière dans le Río de la Plata, le fait que l’Argentine n’ait pas réussi à attirer les géants internationaux du secteur comme l’Uruguay et le Brésil, tient en partie à l’absence de législation environnementale claire dans les provinces, qui renforce l’incertitude pour les actionnaires de ces entreprises très soucieuses de leur image et de leur sécurité économique. Ce dernier point s’ajoute à une série de facteurs bien plus décisifs qui dissuadent les grands investissements internationaux dans le secteur papetier argentin, et qui tiennent essentiellement à la crainte de l’instabilité politique et économique, crainte tenace suite à la crise de 2001.
9 Par exemple, le dessin des parcelles sur fond Google Maps, l’état de la vérification du dossier par l’administration.
10 Sur les discours visant à présenter sur la scène internationale le Brésil comme pionnier et leader en matière de gestion innovante de la biodiversité et du climat, voir Kintisch [2007].
11 Bilan public du CAR devant la presse, 4 mai 2015, ministère de l’Environnement, Brasília.
12 Le court pamphlet d’un sociologue travaillant pour l’équivalent brésilien de l’Inra (Embrapa) résume la violence des positions des pro-agrobusiness à l’encontre de ses critiques, notamment du mouvement agroécologique [Navarro, 2017]. Moins polémique, un article, publié par Ribeiro Romeiro dans la somme de Buainain et al. [2013] sur le monde agricole brésilien, représente cependant une position similaire consistant à ne douter en aucune façon que la grande agriculture entrepreneuriale soit sur la voie de la soutenabilité
13 En 2012, selon le World Database on Protected Areas, les aires protégées du Brésil représentaient 12 % des surfaces protégées de la planète (http://www.wdpa.org/Statistics.aspx).
14 Le Tourneau [2015] parle de « réalisme » à propos de la réforme du Code forestier de 2012 au Brésil, tout comme Filoche [2017].
15 C’est d’ailleurs sur la base du CAR et de la dette environnementale qu’on a calculé qu’environ vingt et un millions d’hectares devraient être récupérés et que le pays s’est engagé à atteindre les douze millions d’ici à 2030 dans la Nationally Determined Contribution du Brésil [Daugeard & Le Tourneau, 2018].
16 Ces débats renvoient à un point clé du débat environnemental contemporain, celui de l’alternative entre land sharing et land sparing, analysé par Arnauld de Sartre [2016].
17 Voir chapitre vi, section 4.
18 [En ligne] http://www.observatorioflorestal.org.br
19 Au Rio Grande do Sul, l’équivalent du ministère de l’Environnement (Fepam) ; en Argentine, la direction forestière du secrétariat à l’Environnement et au Développement durable (Dirección de Bosques de la Secretaría de Ambiente y Desarrollo Sustentable).
20 En réussissant à faire financer par la Banque mondiale le programme Forêts natives et communautés (Bosque Nativo y Comunidad), qui permet à l’échelon fédéral d’atteindre directement les territoires locaux pour financer le développement des communautés forestières. Ce projet fait l’objet du programme de recherche Chaco, que nous coordonnons avec Lorenzo Langbehn.
21 Même si le CAR apporte une information environnementale clé, avec une connaissance à échelle fine des surfaces forestières, et ce, malgré tous les débats sur les imprécisions de ce qui est considéré comme de la « végétation naturelle », par des exploitants qui autocartographient leurs surfaces. Durant le bilan public mentionné, la ministre de l’Environnement évoquait à l’oral en mai 2015 le fait que le CAR constituait « la première photographie de la végétation native du pays ».
22 Marquis Dupont [2014, p. 105], à propos du décret uruguayen sur les Plans d’usage des sols : « Sur la mise en place du décret, Pablo Gorriti soutient qu’il s’agit de la bonne période pour le gouvernement pour instaurer ce type de mesure. Selon lui, la bonne santé économique de l’Uruguay permet une contestation moindre du décret lorsqu’elle a lieu. La forte demande en céréales fait que les acteurs agricoles s’inquiètent moins pour leur avenir et laisse l’État intervenir dans le secteur. »
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