Chapitre i – Habiter et cohabiter
p. 31-88
Texte intégral
1Le logement et les arrangements résidentiels sont la matrice de la vie de famille. Qu’elle soit subie ou choisie, la cohabitation favorise le partage des tâches entre générations, hommes et femmes. La forme généralisée de la propriété privée y inscrit des enjeux de transmission, qui sont l’une des équations du care : qui cohabite prend soin et hérite le plus souvent. La fièvre immobilière qui saisit Cuba depuis une dizaine d’années va-t-elle entamer ce pacte ?
2J’ai rencontré Papy et Mamy dans leur logement de la rue Soledad, dans le quartier de Cayo Hueso, qui fait partie de Centro Habana. Ce jour de juillet 2010, j’avais rendez-vous avec leur fille, Melina, assistante sociale, recommandée par mes logeurs David et Fanny, pour me parler de son métier. Pendant ce second séjour à La Havane, je m’étais fixé comme objectif d’explorer les politiques sociales cubaines et de comprendre leur mise en œuvre. J’espérais beaucoup de ce contact, qui allait s’avérer plus fructueux encore que je l’imaginais.
3J’ai noté les instructions données par Melina au téléphone. J’arpente le tronçon de rue situé entre San Miguel et Neptuno, sans parvenir à repérer l’entrée. La chaleur est torride, la lumière impitoyable. Quelques familles sinistrées par un cyclone et hébergées dans un entrepôt désaffecté1, au coin de la rue San Miguel, discutent, appuyées sur le rebord d’un mur bas. Ils m’indiquent une ouverture étroite à moitié dissimulée derrière un poteau électrique, à côté d’un garage. J’hésite, avance pour m’arrêter brièvement dans un petit sas dont la paroi gauche est tapissée de compteurs électriques antiques et de milliers de fils raccordés entre eux et à des lignes publiques. Je tente de suivre des yeux leurs trajectoires embrouillées jusqu’en haut du poteau, avant de me recentrer sur mon intention. C’est ma première entrée dans un solar cubain.
4Je suis dans un passage étroit, où deux personnes peuvent à peine se croiser, bordé à ma droite par un haut mur, qu’on dirait partager en deux une allée qui devait être plus large. Au sol, un carrelage percé de trous d’évacuation grillagés, par lesquels s’écoule l’eau sale les jours de lessive, de grand ménage et de pluie. À ma gauche s’alignent des portes, jusqu’au fond d’un boyau qui me semble très long et se clôt sur un bâtiment plus haut, dont l’escalier extérieur donne sur une coursive et encore d’autres portes. Je pénètre dans un monde caché de l’extérieur, qui abrite des dizaines de familles. Pour l’instant tout est calme, silencieux, contrastant avec la joyeuse agitation de la rue, où se côtoient voisins et voisines en conversation, enfants de retour de l’école, jeunes bricoleurs penchés sur les entrailles d’une vieille voiture et interpellations d’un balcon à l’autre.
5Au téléphone, Melina m’avait expliqué : tu verras, c’est la troisième porte en métal peinte en rouge, avec des vitres. Je parcours la dizaine de mètres qui me sépare de la porte avec un peu d’incertitude. Mais Melina m’attend. La porte est entrouverte, sur une pièce toute petite, dans laquelle un comptoir marque la séparation entre le coin cuisine et la salle de séjour. Cette belle femme dorée d’une trentaine d’années, aux formes généreuses et à l’opulente chevelure noire frisée, la bouche peinte d’un rose flamboyant, me met immédiatement à l’aise par son ton chaleureux. La salle est meublée de fauteuils et d’une banquette en rotin sur laquelle je suis invitée à m’asseoir après un rapide échange de bises – une seule à Cuba, sur la joue droite.
6Pendant que Melina me sert un verre de refresco, une boisson sucrée fabriquée à la maison à partir de poudre ou de concentré, mon regard parcourt l’espace du logement. Il est encombré par un énorme réfrigérateur à deux portes, qui voisine avec une télévision massive, posée sur un meuble où trônent quelques photos. La moitié de la pièce est coupée par un plafond bas, soutenant une mezzanine reliée par une étroite échelle. En descend Alian, le compagnon de Melina, un peu plus jeune qu’elle, lui aussi en short et débardeur, un large sourire aux lèvres. Tirant un tabouret en plastique rose d’une petite pile poussée dans un coin où je ne l’avais pas remarquée, il s’installe avec nous.
7Ils me parlent de leur travail d’assistants sociaux. Tous les deux ont suivi la formation d’emergentes2 que Fidel a mise en place en 2000, à Cojimar, à quelques kilomètres à l’est de La Havane. C’est là qu’ils se sont connus. Alian a été formé en économie d’énergie et pour faire des diagnostics énergétiques. C’est pour initier le même type de programme et former à son tour des travailleurs sociaux vénézuéliens qu’il a été envoyé en mission internationale dans les années 20003, pendant la Bataille des idées4. Alian est resté cinq ans au Venezuela et Melina y a travaillé deux ans comme assistante sociale. Là-bas, avec leurs indemnités, ils ont acheté des équipements ménagers, dont le réfrigérateur et deux ordinateurs avec de quoi copier des CD et DVD. C’est maintenant le travail principal d’Alian, qui est installé à son compte, comme cuentapropista5. Il a pris une disponibilité de son emploi de travailleur social, mais il va démissionner pour de bon : les salaires sont très bas, ils ne parviennent pas à en vivre. Melina, en revanche, est restée assistante sociale de secteur et coordonne les services de sa circonscription.
8Quelques minutes plus tard, interruption de notre discussion. Une petite dame assez rondelette, les cheveux teints et la mise en plis soignée, pousse la porte et entre, un peu boudinée dans un bermuda et un T-shirt, très belle dans ses soixante-dix ans dépassés, les bras étirés par des cabas. « Voilà Mamy, c’est ma mère », me présente Melina. Alors que, jusqu’alors, c’était plutôt moi qui posais les questions, la dynamique s’inverse, tant Mamy est volubile et intriguée par cette Française qui s’est introduite chez eux.
« Tu es touriste ?
— Non, pas vraiment, je viens faire un travail de recherche pour l’université. Je voudrais apprendre des choses sur les politiques sociales cubaines. »
9Alors que je prononce ces mots, me vient à l’esprit que mon statut est, en fait, loin d’être clair : je suis venue avec un visa de touriste qui ne me permet pas, en principe, de travailler ni de conduire des enquêtes. J’en ai décidé ainsi par facilité et aussi pour éprouver les limites de ce statut. Dans la pratique, je me rendrai compte que les conversations avec des personnes sont aisées et non contrôlées. C’est l’entrée dans des institutions qui exige le fameux visa académique, que je me procurerai à plusieurs reprises lors de mes séjours ultérieurs. Pour l’instant, je navigue entre les différents statuts que mes interlocuteurs m’assignent, explorant par là même les places que je peux occuper.
« Et où loges-tu ?
— Je loge chez David et Fanny, ce sont eux qui m’ont donné les coordonnées de Melina, parce qu’elle est travailleuse sociale.
— Ah oui, je m’en souviens, Melina m’en avait parlé. »
10Deux voix féminines s’élèvent, proches et sonores, pour un bref échange. « On va fermer la porte, annonce Alian en se levant, on sera moins dérangés. » Immédiatement, la pièce s’assombrit, le verre fileté épais de la porte filtrant la lumière du jour, qui n’entre plus que par les lucarnes situées en haut du mur extérieur, côté cuisine. Alian branche le ventilateur perché sur son pied, l’oriente vers moi, pour compenser la perte d’aération. « Celui-là aussi, il vient du Venezuela. Ici, on n’en trouve pas d’aussi puissants. »
11À l’abri des oreilles des voisins, Mamy me raconte l’histoire qui les lie à David et Fanny, nés dans des maisons voisines et qui ont habité dans ce solar jusque bien après leur mariage. Tout en parlant, elle extrait quelques avocats de son cabas, les laisse sur le comptoir, sort du compartiment de congélation du réfrigérateur, qui en occupe toute la partie gauche, un petit paquet de viande dans un sac en plastique, la met à dégeler dans une bassine d’eau, puis s’assoit sur la banquette. Se penchant sous le siège, elle tire vers elle un paquet de pochettes en cellophane et une liasse de papier fort massicoté en forme de carrés. Elle dispose l’un à côté de l’autre et commence à introduire les feuilles cartonnées dans les pochettes.
12« C’est pour Alian, je l’avance, les papiers que je mets dans les enveloppes servent de dos aux disques, et ensuite ils y ajoutent le bon disque copié et la jaquette. On travaille tous un peu dans l’affaire. Quand le carton n’est pas assez fort, ils le coupent en long et je dois le plier en deux. » Mon air interrogateur incite Alian à m’expliquer : son travail est de reproduire et vendre des disques, de la musique et des films. À Cuba, les gens n’ont pas Internet, ils ne peuvent pas télécharger, mais de plus en plus de gens ont des lecteurs DVD et CD. Alian a démarré son affaire en louant des films. En fait, c’est Yusisley, qui est toujours son principal collaborateur, qui louait des films, dans un petit point de vente aménagé sur le trottoir. Il le faisait le soir, après sa journée de travail d’assistant social. C’était un collègue de Melina qui les a mis en contact. Alian avait les ordinateurs, qu’il avait rapportés du Venezuela. « C’est notre mission internationale qui nous a permis de démarrer. Je sais qu’il y en a qui disent que l’État cubain exploite ses missionnaires, mais sans ces missions, jamais nous n’aurions pu trouver l’argent pour investir dans le negocio. En plus, on a servi la révolution internationaliste. »
13Dans un premier temps, ils ont développé la location des disques. « La location, c’est rentable à long terme, parce que tes revenus sont petits. Il faut louer un certain temps pour rembourser tes investissements. Alors j’ai acheté une machine pour dupliquer, faire des copies des DVD et on a décidé de vendre plutôt que de louer. Vendre, cela permet d’avoir un fonds de roulement, tu rentres dans ton argent, et tu peux tout de suite réinvestir. » Alian accumule toute une base de données dans son ordinateur et peut graver onze disques à la fois. Il a commencé en les vendant lui-même et s’est progressivement développé. Plusieurs vendeurs travaillent maintenant pour lui, viennent chercher des disques, les vendent à des boutiques, ou directement à des particuliers. Quelques années plus tard, il a eu l’idée d’aller demander dans une cafétéria située près du fameux glacier Coppelia, le long de la Rampa6, à un important carrefour de transports publics, s’il pouvait louer l’emplacement. Il est devenu ami avec la propriétaire. « C’est un super endroit, y passent des milliers de gens tous les jours, c’est le centre de la ville, et maintenant nous avons une base économique stable. » Je constaterai rapidement que la famille, et particulièrement Mamy, est fortement impliquée dans cette affaire, principale ressource du budget familial.
14Lorsque finalement arrive un très bel homme grisonnant, droit et mince, le sourire engageant et la voix forte, je devine qu’il s’agit d’Omar, le père de Melina. Il fait un bref passage à la salle de bains pour se rafraîchir, tirant sur lui la porte en accordéon qui isole le minuscule espace, puis va se changer dans une chambre dont je découvre l’existence derrière la cloison. Allumant la télévision au passage, puis repoussant une pile de pochettes déjà remplies par Mamy, il s’installe à côté d’elle sur la banquette en rotin. La petite salle est maintenant bien encombrée, la porte sur l’extérieur de nouveau ouverte. Je jette un coup d’œil vers le haut, tentant de mesurer du regard l’étendue de la mezzanine : une dizaine de mètres carrés tout au plus. Je demande à me laver les mains et aperçois la chambre de derrière, au fond de laquelle s’ouvre une lucarne. Elle me paraît sombre et humide, et écrasée sous un plafond très bas.
15Appel de Telma, la fille aînée. Elle téléphone plusieurs fois par jour et bavarde avec sa sœur. Elles échangent des nouvelles de leur cousine, qui a un cancer des ovaires, chez qui Telma est allée dormir la veille pour lui tenir compagnie. Elle passe son fils à sa mère, pour qu’il parle avec sa grand-mère. Le téléphone sonne sans cesse. Quand ce n’est pas de la famille, ce sont des partenaires d’Alian, qui l’appellent pour organiser la vente de disques. Pendant tout ce temps, Mamy est affairée à glisser les cartons dans les pochettes de cellophane. Les pochettes sont poussées par le vent du ventilateur. Mamy ne cesse de se pencher pour les ramasser. Au bout d’une bonne heure, elle arrête : « Assez pour aujourd’hui. » Je lui demande combien elle en a fait. Elle me montre les petites piles bien rangées : « Cinq cents. »
16Alors que l’après-midi avance, le solar s’anime. Des voisins rentrent chez eux et, en dépassant la porte rouge à nouveau entrouverte, saluent au passage, échangeant quelques mots que leur curiosité semble étirer, lorsqu’ils m’aperçoivent à l’intérieur : ils parlent de la bouche, mais m’observent des yeux. Le voisin, un monsieur âgé suivi de son petit chien, engage une conversation sur le prix du poulet. Une dame tend un formulaire administratif à Melina, qui lui explique à quoi il correspond et quelles démarches elle doit faire. Un autre monsieur essaie de revendre un paquet de café distribué avec le carnet d’approvisionnement. Mamy grommelle : « Je ne vais pas le lui acheter, il dit qu’il veut vendre sa ration de café parce qu’il n’en consomme pas, mais ensuite il vient chez nous pour en boire. » Un autre voisin, qui a un cancer et habite au fond du solar, brandit un flacon de parfum par la porte entrouverte : « Tu le veux ? Je te le vends dix dollars. » « Il sent bon, lui répond Mamy, mais je ne le veux pas, je vais en parler à ma sœur. »
17Quelques moments plus tard, une jeune femme décidée vient discuter d’un problème d’eau. C’est elle qui est chargée de la pompe pour l’ensemble du solar. Elle le fait volontairement et semble en tirer un certain pouvoir. Ce que je comprends de l’affaire sera complété après sa sortie, en réponse à mes questions. L’eau de la ville arrive tous les deux ou trois jours – on dit : un jour oui, un jour non – et remplit une grosse citerne sous le solar. Quand l’eau arrive, la responsable actionne une pompe qui monte l’eau à des réservoirs sur le toit et veille à l’éteindre avant que les réservoirs ne débordent. Ainsi, à la fin de la journée, dans le meilleur des cas, les réservoirs du toit et la citerne sont pleins. C’est qu’il faut tenir, non seulement parce que la consommation des habitants a augmenté avec leur nombre et les années, mais parce que l’approvisionnement en eau de la ville est assez peu fiable. Parfois, l’eau n’arrive pas, et alors il faut économiser, on ne peut pas se doucher ni faire la lessive, et tous les voisins limitent leur consommation. En général, la lessive se fait le samedi, mais si l’eau ne vient pas et que les réservoirs sont vides, on attend. La responsable vérifie que les voisins ne font pas la lessive si l’eau de la ville n’est pas venue et essaie de se renseigner pour savoir s’il y a un problème d’approvisionnement. Parfois, quand il n’y a vraiment plus d’eau, les habitants peuvent décider d’acheter un camion-citerne, mais c’est très cher. Le jour où l’eau de la ville arrive, tout le monde fait des provisions dans des seaux et des récipients, pour la prochaine rupture d’approvisionnement et pour économiser l’eau des réservoirs. Mamy me montre les seaux qui encombrent la douche et deux autres dans la cuisine.
« Et ces récipients, dis-je montrant des faitouts alignés entre les feux de cuisson et l’évier, ce sont aussi des réserves d’eau ?
— Non, ça, c’est pour l’eau potable. Comme le réseau d’eau de la ville n’est pas bien entretenu et qu’on ne peut pas nettoyer régulièrement les citernes et les réservoirs du toit, on fait bouillir l’eau que l’on boit. Et puis ça permet d’enlever le calcaire, qui n’est pas bon pour la santé. »
18De fait, le faitout où l’eau est bouillie est tapissé de calcaire. L’eau est ensuite laissée à décanter dans deux autres cocottes, et finalement mise dans des bouteilles en plastique, au réfrigérateur. C’est un gros travail, un chantier constant.
« Mais cela revient terriblement cher de faire bouillir toute cette eau ?
— Non, le gaz n’est pas cher du tout, on a le gaz de ville. »
19De fait, certains de mes hôtes laissaient leur cuisinière allumée : « On ne trouve plus d’allumettes, se perdieron, alors on laisse le gaz ouvert. »
* * *
20Je viens de rencontrer les Gutiérrez, ma future famille d’adoption, vers laquelle je reviendrai avec constance. Dans cette petite pièce, je vivrai les moments les plus chaleureux et affectueux de mes séjours cubains. Nés à la fin des années 1930 dans l’Orient cubain7, Omar et Angélica, que j’appelle Papy et Mamy, étaient de jeunes gens à la fin des années 1950, quand Fidel Castro et ses barbudos ont pris le pouvoir. Ils me feront comprendre, chacun à leur façon, quel tournant a représenté pour eux la révolution comme événement et comment ils ont vécu ces décennies de régime révolutionnaire. Avec leurs enfants, neveux et nièces et les amis de ces derniers, je mesurerai l’écart entre générations, les malentendus et différends nés dans le sillage du grand basculement de la chute du mur et de la période spéciale.
21Je viens aussi d’inaugurer ma fréquentation des solares, passages populeux où pénètrent rarement les étrangers, caractéristiques de ce qui était un faubourg de la ville ancienne de La Havane. Cayo Hueso en posséderait plus de deux cents. J’en reconstitue l’histoire, en accumulant des bribes au fur et à mesure de mes lectures et conversations8. Jusqu’à la fin du xixe siècle, de grandes propriétés sucrières et de grandes maisons patriciennes entouraient La Havane, dont les terres ont été absorbées par la croissance urbaine. D’anciens ouvriers agricoles, tout comme des esclaves libérés, qui voulaient rejoindre la ville, se sont installés dans les dépendances de ces maisons, et ont édifié des habitats collectifs dans les cours où l’on parquait les charrettes et où logeaient les chevaux pendant la nuit. Avec les années, les naissances et les migrations internes, l’occupation de ces simples pièces s’est densifiée, des cloisons et mezzanines ont été construites pour en accroître la logeabilité, les toilettes et les sanitaires extérieurs ont été récupérés pour d’autres usages et des installations privées bâties, comme dans le solar des Gutiérrez.
22Cayo Hueso est formellement un Consejo popular, une circonscription administrative du municipio de Centro Habana, qui en compte quatre autres9. Comme dans la majorité des quartiers de La Havane, ses rues sont à angle droit, mais contrairement aux municipios plus récents situés vers l’ouest, elles ont des noms, plutôt que des numéros ou des lettres. Le quartier a plus ou moins la forme d’un carré dont le côté nord est constitué par la large rocade qui longe la mer, le Malecón et les trois autres par des avenues larges dont les maisons riveraines témoignent de leur passé commerçant et cossu. La localisation de Cayo Hueso, aux portes de ce qui constituait jusqu’à l’orée du xxe siècle la ville close de La Havane, en a fait le territoire de bâtiments publics dont la plupart ont été détruits : une léproserie et deux hôpitaux psychiatriques ont disparu, mais l’un d’eux a été transformé en polyclinique. Une maison de charité et maternité, qui s’occupait des enfants abandonnés – auxquels se donnait le patronyme Valdés – est devenue la haute tour de l’hôpital Ameijeiras qui domine le débouché sur le Malecón, là où se trouvent l’église de la congrégation des sœurs de l’Immaculée et des arrêts de bus, au milieu d’un petit jardin pelé sur le bord de la rue San Lázaro.
23Le nom du quartier lui aurait été définitivement donné en 1912. Il est une traduction du Key West de Floride, d’où revinrent, à la fin du xixe siècle et une fois la guerre d’indépendance terminée10, des cigariers émigrés aux États-Unis lors d’une crise économique, quelques décennies plus tôt. Jusqu’aujourd’hui, l’identité cigarière de Cayo Hueso est bien repérable. Le syndicat des cigariers, siège de la ligue anti-impérialiste et de l’université populaire Jose Martí, protagoniste de l’engagement des ouvriers dans le mouvement d’indépendance dès le xixe siècle, puis pendant la révolution de 1959, est aujourd’hui transformé en petit musée. Son extravagante salle de réunion, sorte de théâtre rococo richement orné, est utilisée pour des occasions officielles. À quelques pâtés de maisons, le Palacio de la Rumba était le siège de la Société des cigariers de La Havane. Il se prévaut de réunions syndicales et révolutionnaires qui ont marqué l’histoire des luttes pour l’indépendance cubaine, dont témoigne une statue qui lui fait face. S’y produisent aujourd’hui des groupes locaux et où viennent danser jeunes et vieux, s’offrant quelques bières ou cocktails. De nombreux autres lieux, plus discrets, témoignent du passé industriel, social et militant de Cayo Hueso, et marquent son urbanisme. Imprimeries, ateliers, garages, clubs, alternent avec des maisons bourgeoises, les commerces élégants des années 1930 et 1940 et les solares.
24Toute proche, l’université trône en haut de la rue San Lázaro et la surplombe de son escalier monumental. Son bâtiment néoclassique est précédé de la statue d’une femme dont le piédestal porte l’inscription « Alma mater ». Cette proximité explique que de nombreux étudiants aient logé dans le quartier de Cayo Hueso et y aient conduit des réunions politiques. L’université fait d’ailleurs face au premier cimetière de la ville, dans lequel les étudiants de médecine fusillés en 1871 provoquèrent l’incident qui fut manipulé pour les conduire à la mort. Détruit au début du xxe siècle, l’emplacement du cimetière est symbolisé par le parc des Martyrs étudiants universitaires, également appelé parc des Martyrs de l’école de Médecine, inauguré dans les premières années de la révolution. À quelques blocs, la Fragua martiana est aujourd’hui un bâtiment moderne hébergeant un centre ouvert à diverses activités. Il est jouxté par une ancienne carrière, dans laquelle Jose Martí, le héros national, a effectué des travaux forcés en 1869, et qui est devenue un petit parc. C’est sur cette base sociale et politique que le quartier a élu l’avocat Fidel Castro Ruz délégué du Parti orthodoxe en 1951, ouvrant la voie aux luttes révolutionnaires.
25Ce passé a engendré l’identité culturelle et musicale de Cayo Hueso. Le soir, dans les cours, les anciens esclaves devenus ouvriers et les ouvriers blancs arrivés d’Europe se réunissaient pour jouer de la musique et chanter. C’est ici que serait née la rumba. Les solares sont également des foyers de pratique et de diffusion des religions afro-cubaines. Maritza, engagée dans un cheminement religieux afro-cubain, et Aníbal, héritier d’une longue tradition de musique, soucieux de valoriser la contribution des Noirs11 et de ce quartier à l’histoire cubaine, me parlent longuement de cet héritage, relaté aujourd’hui en termes identitaires. Ils apprécient diversement le Callejón de Hamel, tout proche. Un groupe d’artistes a décoré ce petit passage en peignant les murs de fresques inspirées des religions afro-cubaines, et en l’ornant de nombreuses sculptures et de constructions extravagantes et insolites élaborées à partir de baignoires et autres récupérations. Ils les ont soulignées par des citations philosophiques. Dans mes explorations, je m’y rends le dimanche à midi, quand des danses de rumba sont offertes par des groupes habillés en costumes colorés représentant les diverses divinités et orishas de ces religions. Ces moments attirent de nombreux touristes, mitraillant les danseurs de leurs appareils photos et consommant des cocktails dans les petits bars ouverts dans le passage. Maritza ne fréquente pas le callejón, bien qu’elle soit religieuse : elle le trouve trop folklorique, alors que sa pratique est plus traditionnelle. Mais Lidia s’y rend régulièrement, bien que non pratiquante : « C’est un loisir gratuit et je n’ai pas d’argent pour aller ailleurs », me dit-elle, comme pour s’excuser. En l’accompagnant, je me rends compte qu’elle tente d’y nouer des conversations avec des touristes et de se faire payer des cocktails, bien trop onéreux pour sa bourse.
26Le Parque Trillo est le cœur de Cayo Hueso. Je le traverse plusieurs fois par jour. Sur ses bancs de pierre accueillants et ombragés par de grands arbres se reposent des personnes de tous âges, pendant que les enfants des écoles proches y jouent à la sortie des classes. Le matin, il est occupé par des cours de gymnastique scolaire ou par des groupes de personnes âgées qui y font leur tai-chi. Avec l’instauration de hotspots wifi, j’irai régulièrement m’installer au Parque Trillo avec téléphone et ordinateur, agenda et cahier, pour y établir, sur l’un des bancs, un bureau provisoire.
27Comme d’autres quartiers vétustes de la capitale, Cayo Hueso est frappé par l’effondrement d’immeubles, surtout au lendemain de cyclones. Des façades restent debout, cachant à peine les ruines auxquelles elles s’adossent. Des étages surplombent un vide encombré de gravats, des parkings ou ateliers portent encore les marques des logements qui occupaient la parcelle avant de s’écrouler. Certains immeubles sont très décrépits, balcons à l’espagnole à moitié effondrés, corniches sculptées envahies par plantes et arbustes parasites, crépi qui se détache par plaques. Esthétique de la ruine pour les visiteurs, cette insécurité traverse de nombreuses histoires personnelles. Nous verrons qu’elle frappera la famille Guttiérez à l’automne 2020. Petit à petit, je comprends que ces dégradations sont étroitement liées au fait qu’à Cuba, la quasi-totalité des foyers est propriétaire de son logement et ceux-là n’ont pas les moyens de les entretenir, pas plus que les immeubles qui les contiennent12. L’absence d’organisations de copropriétaires et l’annulation des charges de syndic contribuent en effet à une détérioration importante des immeubles modestes et de leurs parties communes.
28En arrivant à Cuba la première fois, je pensais naïvement que tout à Cuba avait été nationalisé, y compris bien sûr le logement. Or, bien au contraire, en vertu d’une série de lois édictées au cours des premiers mois de la révolution, et culminant dans la Loi de réforme urbaine de rang constitutionnel de 1960, la totalité du fonds de logement locatif a été transférée à ses occupants respectifs. Les anciens propriétaires ont été indemnisés par l’État en fonction de l’année de construction et du montant du loyer pour le logement perdu.
29Le gouvernement révolutionnaire a donc décidé dès le départ que la propriété était la forme prédominante de jouissance d’un logement, ce qui a été confirmé par les deux lois de 1984 et 1988. Cette propriété du logement familial est qualifiée de « personnelle », alors que le terme de propriété privée est réservé à celle des moyens de production, dont le retour est officiellement inscrit dans la Constitution de 2019. Comme nous le verrons plus bas, les droits de propriété sont soumis à de fortes restrictions. 83 % des logements sont en propriété, le reste étant soit propriété d’une organisation économique ou d’une entreprise et attaché à un emploi, soit en location auprès de l’État pour certains logements issus de programmes publics de construction, soit encore en occupation temporaire de locaux considérés comme impropres à l’habitation.
30Par ailleurs, l’État a constitué un stock important de maisons ou d’appartements individuels, par divers moyens. Jusqu’à la libéralisation des mobilités à l’extérieur du pays en 201313 et sauf exception dûment autorisée, les migrants quittant le pays étaient présumés « définitivement absents » ou « avoir abandonné le territoire national » et leurs propriétés étaient confisquées. Les fonctionnaires du « ministère des biens mal acquis » se chargeaient d’exproprier et de confisquer les biens immobiliers et mobiliers des membres de la bourgeoisie qui avaient fui la révolution. Dès les années 1960, une partie des propriétés qui excédaient la limite alors fixée d’un logement par personne – avec une tolérance d’une maison de campagne ou de plage – ont également été confisquées.
31D’autres biens immobiliers ont été saisis par voie pénale, pour des délits relatifs aux drogues, à la prostitution, au proxénétisme et à l’enrichissement illicite. Il faut ajouter que les personnes qui vivent seules et qui meurent sans héritiers éligibles présents sur l’île laissent aussi de facto leur maison à l’État, de même que ceux dont les héritiers ne souhaitent pas y vivre. Ces logements ont été distribués au fil des années soit à des migrants venus de l’intérieur du pays vers la capitale, soit à des ménages mal logés, en sur-occupation de logements exigus, ou encore victimes d’effondrement d’immeubles vétustes. Des centaines de milliers de Havanais modestes et, j’en ai l’impression, majoritairement noirs, se sont ainsi retrouvés logés dans de vastes appartements bourgeois, des maisons patriciennes et des demeures aristocratiques. C’est une autre forme de solar : là aussi, chaque pièce est occupée par une famille. Sous les hauts plafonds, dans les cours et couloirs, chaque recoin fait l’objet d’aménagements (mezzanine, cloison, passerelle).
32Ce stock s’est gonflé de constructions d’habitations populaires, notamment par le biais de vastes chantiers d’autoconstruction organisés en brigades. Toutefois, ces opérations ne sont pas parvenues à résoudre le criant déficit de logements, qui conduit des familles de peu de moyens à s’entasser dans de petits appartements insalubres et qui favorise l’extension des quartiers de bidonvilles en périphérie de la capitale. La plupart de leurs habitants sont des migrants de province, attirés à La Havane par les sirènes d’un peu de confort et de sécurité économique. Or la capitale tente de freiner l’immigration interne et n’octroie qu’avec réticence et lenteur le permis de résidence qui permet aux habitants de postuler pour un logement. J’ai découvert les bidonvilles en allant rendre visite à Tatiana, une jeune femme arrivée avec son compagnon à La Havane, bénévole dans un des centres sociaux que je fréquente. Elle vit dans une cabane de bois, à la périphérie de La Havane avec sa mère et ses filles. Si son mari a pu obtenir sa carte de résident, parce que sa mère était déjà enregistrée dans la capitale, ce n’est pas le cas de Tatiana, qui y vit de façon illégale. En conséquence, elle ne peut obtenir d’emploi public et ne reçoit pas de rations, son carnet d’approvisionnement étant enregistré dans sa ville d’origine. En revanche, ses filles sont scolarisées. La mère de Tatiana garde des enfants à la journée et s’occupe de ses petites-filles, pendant que sa fille tente de trouver du travail. À partir de 2018, l’État a fait un effort important pour repérer et concéder des bâtiments publics sous-utilisés – et notamment des écoles, désertées par des effectifs d’enfants en diminution – à des familles mal logées. Je ne sais pas si Tatiana, qui a entre-temps officiellement enregistré sa résidence à La Havane, s’en est vue octroyer un.
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33Le vieux Pedro et Lidia l’institutrice ont bénéficié des mesures en faveur du logement des ménages modestes. En cherchant sur mon plan, je repère la rue Industria, où habite le vieux Pedro, cet habitué des colis de vêtements qu’un ami français a rencontré dans la rue lors d’un voyage touristique. Je lui apporte une veste, une chemise et un peu d’argent. Il paraît aussi que Pedro peut me procurer des cigares à prix réduit que sa fille, rouleuse dans une fabrique, détourne et revend. Situé en face d’un petit marché, l’immeuble est très décrépit. Le trottoir est encombré par les spectateurs d’une opération de réparation d’un bicitaxi, retourné sur sa capote, autour duquel s’affairent deux jeunes. L’entrée, sombre et étroite, où le crépi se détache par plaques, me paraît peu avenante. Je commence à gravir les étages d’un escalier sombre et branlant, où se multiplient les signes de protection sécuritaire et de privatisation d’espaces initialement communs. Une coursive longeant une cour intérieure est fermée par une grille, derrière laquelle j’entraperçois un alignement de portes. Un cadenas ferme ce qui a dû être des toilettes communes. Essoufflée, un peu inquiète, je parviens au cinquième étage, après avoir escaladé des marches de bois, de plus en plus étroites et raides : là-haut, il ne reste rien du palier, barré par une porte. Sur l’une des trois sonnettes bricolées, dont les fils remontent vers une boîte électrique installée au-dessus du vantail, je trouve le nom que je cherche. J’entends un pas traînant et un vieux monsieur m’ouvre, l’air étonné de ma visite. Son visage s’éclaire lorsque je lui annonce que je viens de la part de Benoît. « Entre, entre, ah, Benoÿt, mon cher ami Benoÿt, comment va-t-il ? »
34Je parcours quelques mètres sur une étroite coursive, bordée de portes et visiblement annexée par les habitants. Elle s’élargit à son extrémité en une plate-forme qui accueille une douche et un étroit escalier en colimaçon. Pedro m’introduit dans une minuscule cuisine, où un ingénieux petit coin accommode les plaques électriques, l’évier et des étagères munies de crochets qui reçoivent les ustensiles de son ménage et les cuiseuses électriques. Nous prenons place à une table recouverte d’une toile cirée et décorée d’un bouquet de fleurs en plastique. Près de la télévision, une photo dans un cadre : « C’est ma femme, elle est morte il y a dix ans. »
35Pedro me raconte, je l’écoute, l’interroge. À la révolution, il vivait dans cet immeuble, qui était un hôtel meublé, et travaillait comme porteur à dos de sacs pour des entreprises. Quand il a compris que ses propriétés lui seraient confisquées, son propriétaire l’a autorisé à occuper aussi la chambre voisine. À la promulgation de la loi de réforme urbaine, en 1960, l’État lui a octroyé ce logement, avec un bail illimité et un loyer minime. Depuis la révision de la loi sur le logement de 1988, il est plein propriétaire. Devenue adulte, sa fille aînée s’est mise en couple. Les deux petites pièces sont alors devenues surpeuplées et leur superficie par personne inférieure aux normes. Ils ont fait la demande d’un autre appartement comme « cas social ». Le Bureau du logement de leur circonscription leur a octroyé un appartement qui venait de se libérer au quatrième étage au décès de son occupante, morte sans héritier. La fille aînée de Pedro y vit avec sa fille ; son fils a été réclamé par son père, émigré aux États-Unis, et elle n’a pas de nouvelles d’eux. La cuisine où nous nous tenons correspond à la pièce initiale, qui a été coupée en deux pour aménager une chambre pour la fille cadette de Pedro, rouleuse dans une usine de cigares. Son compagnon et elle ont construit une mezzanine sur laquelle dort leur fils adolescent, les parents ayant leur lit en dessous.
36« Attendez, je vais vous montrer ma chambre. » Il me vouvoie, à l’ancienne, un usage désuet à Cuba. Dans un renfoncement que je n’avais pas remarqué, une porte étroite mène à une minuscule cellule, où Pedro a son lit, un petit établi fixé au mur, quelques livres et un empilement de cartons : ce sont des bouteilles de bière vides, qu’il récupère, attendant de trouver quelqu’un pour les lui acheter. La pension de Pedro est de 232 pesos cubains seulement14 et il doit prendre en charge sa fille aînée, qui ne peut pas travailler parce qu’elle a une maladie à l’estomac : « La seule chose qu’elle pourrait faire, c’est de nettoyer les sols, mais ça ne se trouve pas. Une fois que les gens obtiennent un emploi comme cela, ils le gardent, parce que c’est payé en devises. Je suis vieux, j’ai plus de quatre-vingts ans, je suis retraité depuis longtemps15, mais je dois continuer à travailler, parce que ma fille a besoin de moi. J’ai une licence de récupérateur vendeur de matières premières. »
37Pedro sort tous les soirs, arpente des restaurants de la vieille ville touristique et récupère aussi des bouteilles d’eau en plastique, qu’un « monsieur » lui achète de temps en temps, les grandes un peso chacune, et les petites, cinquante centimes, me précise-t-il16. Comme cela fait longtemps que ce monsieur n’est pas venu, les bouteilles s’accumulent. De son pas las de vieil homme, Pedro m’entraîne dans le petit escalier, presque une échelle, qu’il a installé sur la coursive : « Faites attention, les marches sont étroites et il ne faut pas vous cogner la tête. » Nous voici sur le toit, d’où la vue confirme l’état de délabrement du quartier. Là-haut, dans une minuscule cabane de planches, Pedro garde les bouteilles d’eau ramassées, par lot de cinquante, dans des sacs de farine ou de riz récupérés de l’aide alimentaire vietnamienne.
38J’ai rencontré Lidia en jetant un œil curieux dans une école de la rue San Rafael, dont le portail était ouvert sur des voix claironnantes d’enfants. Institutrice, elle était postée près de l’entrée, surveillant les allées et venues des élèves et de leurs parents. Je la salue, la complimente sur le hall de ce qui ressemble à une ancienne maison patricienne, embelli d’un escalier monumental et de grandes fenêtres à vitraux. Elle se montre joviale et ouverte, et me propose de visiter l’école. Les années suivantes, Lidia m’encouragera à garder le contact avec elle. Nous organisons des sorties. Je paye des notes largement au-dessus de ses moyens, lui offrant ce qui pour elle est un luxe : un mojito sur le Malecón, un après-midi à la plage, un dîner d’anniversaire dans un paladar du quartier. Je lui rapporte aussi shampoing, savons, parfums, lors de mes retours de France. Je sais l’intérêt qu’elle développe pour cette relation et suis consciente du mien : Lidia raconte volontiers et, grâce à elle, je découvre de nombreux pans de la vie matérielle des gens modestes.
39C’est une cinquantenaire loquace au verbe fort et à la voix abîmée par les nombreuses cigarettes brunes, les moins chères, qu’elle fume à longueur de journée. Très rapidement, elle m’emmène chez elle, dans un appartement situé au dixième étage d’un immeuble des années 1970, édifié au coin des avenues Zanja et Belascoaín, à la limite de Cayo Hueso. « Tu verras, on a une vue magnifique, on voit jusqu’à la mer, et tout le quartier. » C’est la première fois que je prends un ascenseur à Cuba et je crains un peu d’y rester coincée. Mais l’immeuble est assez moderne et nous arrivons sans entrave au dernier étage. Dans le couloir, plusieurs portes portent l’enseigne caractéristique des loueurs de chambres à des touristes, une obligation lorsque la licence est octroyée.
40Lidia vit avec son fils, un beau jeune homme d’une vingtaine d’années, musclé, habillé d’un jean délavé et d’un débardeur soulignant les muscles de ses bras, une chaîne dorée massive autour du cou, les sourcils épilés. Il a le look reggaetonista des jeunes urbains de son âge et porte un prénom typique des bricolages entre noms de stars de séries télévisées et sonorités étranges : Yainiel. Avec eux également, la petite Stefanie, d’une dizaine d’années, gaie et souriante, qui est la nièce de Lidia : sa mère est en prison pour quelques années, accusée d’avoir volé une machine à écrire dans son centre de travail. Pendant ce temps, Lidia se charge de l’enfant. Le père de Stefanie vit avec sa femme et ses deux enfants, c’est un bon à rien, me fait comprendre Lidia, on ne pourrait pas lui faire confiance. « Il ne s’occupe pas beaucoup de sa fille, et puis Stefanie n’aime pas la nouvelle compagne de son père. Il vient la voir régulièrement. » Je lui demande si elle reçoit une aide pour cette charge supplémentaire qui pèse sur son budget limité. « Non, me répond-elle, la famille doit s’occuper de ses proches, c’est comme cela à Cuba. »
41Vêtue d’un caleçon moulant et d’une chemisette dont elle déborde un peu, Lidia m’offre le café dans la petite pièce aveugle aménagée en salon, assise sur une banquette de velours rouge aux ressorts saillants, devant la télévision qui crachote et hurle, et le ventilateur vrombissant : « J’ai reçu la télévision parce que j’étais méritante dans mon centre de travail. Elle est très vieille et marche mal, on ne peut plus la réparer, mais je n’ai pas les moyens d’en acheter une autre. » Elle me parle de son réfrigérateur : dans un pays aussi chaud que Cuba, ils cristallisent des enjeux pratiques et d’affichage. D’un côté, ceux qui, comme David et Fanny ou Alian et Melina, exposent ostensiblement d’immenses frigos armoire de style étatsunien et payés en devise. De l’autre des gens comme Lidia ou Pedro, qui ont obtenu leur réfrigérateur comme « stimulation » : grâce à leur bonne conduite, les travailleurs d’« avant-garde » étaient prioritaires pour recevoir des biens d’équipement ou parfois des voitures, tarifés à faible prix. Au moment de la bataille des idées, pour économiser l’énergie, les travailleurs sociaux sont allés dans toutes les maisons remplacer les ampoules classiques par des ampoules économes et les vieux réfrigérateurs soviétiques, qui fonctionnaient toujours bien, par des Chinois bon marché fabriqués en grande série, supposés moins gourmands en électricité. Ils distribuaient aussi des autocuiseurs de riz et des cocottes à pression électriques aux ménages. Les ménages devaient les payer, mais c’était peu cher et un montant modeste était prélevé sur leurs salaires. Les gens ne sont pas contents : les réfrigérateurs chinois coulent, me dit Lidia, on les appelle les pleureuses, et on n’a toujours pas fini de les payer. Aujourd’hui, ce programme est terminé : tous les équipements s’achètent au prix international dans les magasins en devises ou aux personnes qui les rapportent de l’étranger.
42Lidia me propose de visiter le reste de l’appartement. Je m’étonne de l’état des trois pièces, de la cuisine et de la salle de bains, encore visiblement en chantier. Elle m’explique : elle et son fils habitaient dans une maison vétuste qui s’est écroulée pendant le passage d’un cyclone. Les services de l’État les ont mis à l’abri dans une usine désaffectée où ils se sont réfugiés pendant quelques mois et leur ont finalement attribué cet appartement. « Mais il n’y a rien, il n’est pas terminé, me dit-elle, regarde. » L’État leur a avancé des matériaux, qu’ils devront rembourser quand les travaux seront finis. Mais les articles de plomberie ont disparu du marché. Dans la cuisine, il n’y avait qu’un robinet, ils ont fixé un évier qui n’est pas raccordé à l’égout, un seau posé à terre récolte les eaux usées. Ils ont trouvé une plaque de cuisson, mais les instruments de cuisine sont entassés par terre, empilés sur une tablette branlante et accrochés au mur. Même paysage de chantier dans la salle de bains, encombrée de piles de parpaings, où les ablutions se font avec un seau, au robinet. Ils ne trouvent pas non plus de peinture à des prix abordables et les magasins d’État sont en rupture de stock : « Mon fils est apprenti dans une école de restauration de bâtiments patrimoniaux, il a repeint deux murs de la salle, avec de la peinture récupérée dans un chantier où il travaille. J’espère qu’il trouvera la même teinte, pour terminer de peindre. » Dans sa chambre, elle a installé un rideau pour faire un placard, mais les murs ne sont pas peints. Dans sa penderie, elle me montre les vêtements et chaussures que lui ont donnés les parents de ses élèves : « Sinon, je ne pourrais pas me payer de quoi m’habiller convenablement. »
43« Mais enfin, soupire-t-elle, au moins on a de la place et une belle vue. » Nous nous accoudons à la balustrade de la terrasse, sortons une cigarette. Je m’imprègne du panorama des toits alentour, des cours intérieures et des constructions informelles sur les toits, abritant des élevages de pigeons, des chiens attachés et parfois des coqs enfermés dans des cages. Plus loin se découpent les grands immeubles du quartier de la Rampa, qui apparaît tout proche à vol d’oiseau, la haute tour de l’hôpital Ameijeiras, et derrière elle, la mer.
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44Pour privilégier la fonction sociale du logement, la loi cubaine protège les droits des occupants et des usufruitiers légaux au-dessus de ceux des propriétaires : si le propriétaire d’un logement le partage avec des co-résidents et que ces personnes, même non apparentées, l’occupent de façon permanente et régulière, ils ne pourront pas en être expulsés au décès du ou de la propriétaire et en deviendront propriétaires ou acquéreurs, même s’il existe des héritiers légitimes. Ces derniers seront alors indemnisés de la valeur du logement, établie selon un barème fixé par les services de l’État. Le niveau extrêmement bas de ces prix légaux17 incite les héritiers à accepter ce qui constitue pour eux une perte modeste, surtout s’ils possèdent déjà un logement et ont donc atteint leur limite légale de patrimoine. C’est en vertu de cette loi que de nombreuses personnes se sont installées avec une personne âgée et ont pris soin d’elle avec la promesse explicite d’hériter du logement après le décès de la propriétaire. C’est de cette façon que Mamy est devenue propriétaire de l’appartement du solar18.
45C’est également en vertu des lois qui protègent les occupants que le personnel domestique des familles ayant quitté Cuba au cours des premières années de la révolution a fréquemment hérité du logement de son employeur. C’est le cas d’Ana Argentina, la sœur de Mamy, que j’ai rencontrée un matin, au solar, où elle passait la prendre pour se rendre à leur séance de gymnastique, dans un parc d’agrès proche. Plus âgée que Mamy, elle a les cheveux blancs, le visage doux et le sourire malicieux. Je la reverrai plusieurs fois, et c’est par bribes qu’elle me raconte son histoire, que je recoupe avec celle de Mamy.
46Comme beaucoup de jeunes filles de la campagne avant la révolution, Ana Argentina est arrivée à La Havane pour travailler comme domestique dans une famille. Elle aussi originaire de Bayamo et épouse d’un avocat havanais, sa patronne avait fait savoir à sa sœur restée au pays qu’elle recherchait quelqu’un de province pour tenir sa maison. Il s’avère que cette dame bayamaise était l’employeuse de Mamy, déjà bonne, qui a immédiatement proposé sa sœur. Ana Argentina est venue à la capitale avec son fils, qui portait son nom « comme si c’était son frère », me commentera Mamy, parce que son mari, un pêcheur, l’avait abandonnée quand elle était enceinte de trois mois : avec sa barque, il avait poussé jusqu’à la Floride. Ils ne l’ont plus jamais revu.
47« Ils étaient de bons patrons. Ils n’avaient pas d’enfant, j’avais ma propre chambre. Ils me traitaient très bien. » Après le triomphe de la révolution, ses employeurs ont décidé de partir aux États-Unis, après avoir accompli les démarches pour certifier qu’Ana Argentina habitait bien là et lui léguer la maison. C’est comme cela qu’elle s’est retrouvée propriétaire d’un grand appartement rue Infanta, dans lequel elle a pu faire venir la plupart de ses enfants, neveux et nièces, lors de leur migration vers la capitale. C’est là, par exemple, qu’a habité Telma quand elle est arrivée à La Havane, et Angélica aussi, avant qu’elles ne rejoignent le solar.
48Faute de marché, les trajectoires résidentielles et patrimoniales impliquent souvent donations et legs, et une ou plusieurs permutas, ou échanges. Une multiplicité de panneaux en carton, accrochés aux fenêtres, témoigne de ces transactions. « Permuto un appartement deux-pièces pour un plus grand », « Permuto un premier étage pour un rez-de-chaussée », « Permuto deux pour un », ou « un pour deux », annoncent des inscriptions au marqueur. Je me plonge dans la loi de réforme urbaine et je demande à mon amie Amira, juriste, de me l’expliquer. J’interroge les gens, découvrant d’étonnantes stratégies.
49La loi de réforme urbaine a en effet éliminé et interdit tous les privilèges hypothécaires sur les biens urbains, et banni l’institution légale de la location de logement et toutes les formes d’achat et vente immobilières entre particuliers. En vigueur jusqu’en 2011, ces règles restrictives avaient pour objet de mettre un terme définitif aux pratiques spéculatives et de rendre au logement sa fonction sociale. Légalement, les mobilités doivent être réalisées en échangeant un logement contre un autre, par l’intermédiaire des bureaux municipaux du logement : c’est ce qu’institue la permuta. Une compensation peut être versée en cas de différence de valeur, mais elle est officiellement calculée à partir du prix légal, extrêmement réduit. Les versements d’argent en sus, bien qu’interdits, se réalisent régulièrement en dessous-de-table. La rigidité du dispositif légal incite toutefois à des arrangements informels que le gouvernement a entrepris de régulariser depuis le rétablissement du marché immobilier de personne à personne, tant les situations étaient intriquées et les prête-noms nombreux.
50Quelques années après notre première rencontre, Lidia, lassée de ne pas parvenir à terminer son chantier, a permuté son appartement contre un autre, situé à Cayo Hueso, juste à côté du Parque Trillo. Ceux qui sont devenus propriétaires de son appartement à la vue imprenable sont ses anciens voisins. Ils ont joué des permutas pour le mettre au nom de l’un d’entre eux et veulent le transformer en location pour touristes. De son côté, Ana Argentina a permuté son grand appartement contre deux plus petits. Elle a fait donation de l’un d’eux à son fils, alors qu’elle reste dans le second. Elle a l’intention de le léguer à sa fille, dont le fils est légèrement handicapé et dont le compagnon a lui aussi fui aux États-Unis. C’est elle qui aurait dû prendre soin de sa mère en fin de vie. Mais elle est morte d’un cancer en 2017.
51Le jeu des échanges a permis aux familles aisées de mettre en place des stratégies patrimoniales qui contournent la limite d’un logement par personne. Les permutas représentent un outil relativement souple, dès lors que l’échange peut avoir lieu entre d’un côté deux appartements, et de l’autre un seul, ou l’inverse : ce sont les « 2x1 » ou, à l’inverse, « 1x2 ». Ces transactions arrangent les couples qui se séparent, un parent qui souhaite léguer un bien à ses deux enfants, ou encore un héritier qui va transformer en un seul bien immobilier les deux dont il se retrouve propriétaire au décès d’un proche. Au sein des familles (surtout blanches) qui possédaient des logements urbains avant la révolution, les décès et départs en migration tendent à libérer des appartements dans lesquels, du fait de la réduction des naissances et la distribution du patrimoine entre les quelques présents à Cuba, personne n’est susceptible de loger. Autant que possible, les familles s’arrangent pour mettre rapidement au nom d’autres parents, voire de simples amis de confiance, les logements excédentaires dont ils héritent. Ils évitent ainsi que l’État ne s’en saisisse, le temps de mettre en place une stratégie.
52Ces transactions articulent des dispositions légales héritées des droits espagnol et étatsunien avec les règles socialistes et les multiples jeux d’écriture et pratiques de contournement mis en place par les familles. Elles impliquent des relations de parenté très élastiques et anticipent un départ en migration, un décès, un projet de location aux touristes. Elles font aussi jouer des manœuvres complexes pour trouver l’argent nécessaire aux compensations illégales mais bien réelles, alors qu’il est impossible d’obtenir un crédit bancaire. Des parents exilés sont souvent mis à contribution, qui deviendront partenaires de l’affaire et, de fait, créditeurs de leurs proches restés à Cuba.
53Je découvre ainsi comment David et Fanny, mes premiers logeurs tous deux issus du solar de la rue Soledad, sont parvenus à être propriétaires de deux immenses appartements en bordure de l’avenue Belascoaín, dont l’un, doté de quatre chambres et d’un patio très agréable, est loué à des touristes. Je suis assise sur le canapé, la fenêtre est ouverte sur l’avenue bruyante, le son de la télévision a été baissé et ils m’ont servi un jus de goyave. Sous les pales du ventilateur qui agitent un air chaud, ils se balancent tous les deux sur de confortables rocking-chairs. Je sors mon cahier de notes, je me concentre et je tente de suivre des trajectoires immobilières bien complexes.
54Tous deux ingénieurs, David et Fanny sont nés et ont grandi en voisins dans le solar de la rue Soledad, chacun dans le minuscule appartement de ses parents. Ils se sont aimés et une fois mariés, ils ont tout d’abord vécu ensemble dans l’un des deux logements. Par la suite, pour cause de sur-occupation, l’État leur a octroyé un appartement à dans le grand ensemble immobilier construit à Alamar19, de l’autre côté de la baie de La Havane. Le logement était vaste, mais ils se trouvaient loin de tout, tributaires de bus bondés et de longs trajets pour se rendre à leur travail. Ils ont alors permuté pour un appartement plus petit en centre-ville, plus proche de leurs parents. Le père de David meurt alors et son frère reste au solar avec sa mère pendant quelques années encore. Devenue veuve, la mère de Fanny demeure aussi au solar, jusqu’à ce qu’elle contracte la maladie d’Alzheimer. En 2004, Fanny décide de la faire emménager avec eux. Par la suite, quand le frère de David part vivre avec sa femme et que sa mère découvre qu’elle a un cancer, ils décident de la faire vivre aussi avec eux. Ils permutent alors les deux logements du solar et leur petit appartement pour un grand logement avenue Belascoaín, à Centro Habana. Il a quatre chambres et ils y tiennent à l’aise. L’épisode suivant est déclenché quand une tante de David décide de partir aux États-Unis, en sachant qu’elle perdrait ses biens. Pour ne pas que son appartement de la rue Hospital soit confisqué, elle en fait donation à son neveu. Afin de pouvoir recevoir ce legs sans dépasser la limite légale d’un appartement par personne, il a fallu que David fasse don à son épouse de sa part de l’appartement de l’avenue Belascoaín. En 2010, je loge dans l’appartement de la rue Hospital, aménagé pour accueillir des touristes.
55Peu de temps après, David et Fanny permutent l’appartement de la rue Hospital pour celui, voisin du leur, qui était proposé. Le différentiel de valeur était important et David a décidé de mettre sa Lada dans la transaction : « L’État me l’avait alloué pour mon travail, mais nous n’en avons plus vraiment besoin. Notre gendre a une voiture, et puis il est tellement difficile de trouver de l’essence ! » Les quatre chambres du nouvel appartement ont été aménagées pour louer à des touristes. « C’est beaucoup de travail, conclut Fanny, et on a presque soixante-dix ans, on se fatigue à s’occuper des touristes, mais sans ce revenu, on ne peut pas payer les personnes qui s’occupent de nos mères, qui nous coûtent très cher. Au moins, maintenant, on n’a plus besoin d’aller rue Hospital pour préparer les petits-déjeuners et faire le ménage pour nos locataires, on traverse juste le palier. »
56Au cours des années suivantes, une autre vieille tante de David décède sans laisser d’enfant. David et Fanny, déjà surchargés par leurs mères, décident alors de mettre le vieil oncle dans une maison de retraite, où il meurt quelques mois plus tard. Grâce au testament qu’il laisse, David hérite de son petit appartement. Ne pouvant légalement en devenir propriétaire en sus de celui de l’avenue Belascoaín, il décide de le léguer formellement au beau-frère de la cousine de Fanny. Celui-ci le vend officiellement à un ami de David, qui joue le rôle de prête-nom. En fait, il n’y aura aucune transaction d’argent, mais seulement un changement de nom et le paiement des 4 % de taxes, basées sur le prix légal très bas. Le temps que les stratégies familiales s’organisent, David le loue. Il a confié l’entretien et le ménage à une voisine contre rémunération. C’est illégal et David court un risque, parce que si l’ami prête-nom meurt entre-temps, ses enfants en hériteront légalement. Après le rétablissement du marché immobilier en 2011, il le vendra et donnera l’argent à leur fille, qui vendra sa propre maison de trois chambres héritée d’une autre tante et, avec l’ensemble des capitaux, en achètera une beaucoup plus grande pour se consacrer à la location aux touristes. Ingénieure elle aussi, elle a peu exercé son emploi et rapidement décidé de travailler dans un restaurant où elle pouvait gagner sa vie de façon correcte. Elle se lasse de ce travail peu intéressant. Entre-temps, les deux vieilles mères de David et Fanny sont aussi décédées et le couple décide d’aménager leurs deux chambres pour les louer. Cela leur en fera six, grâce au bénéfice desquels ils veulent voyager et garder des réserves pour leurs vieux jours, quand ils ne pourront plus gérer cette véritable entreprise hôtelière.
57Je m’étonne de la facilité avec laquelle des révolutionnaires convaincus, comme le sont David et Fanny, conduisent des transactions immobilières qui engendrent une telle accumulation de patrimoine. Sans jugement, je m’efforce de comprendre l’économie morale de ce socialisme pragmatique.
58Fin 2011, un décret-loi libéralisait le marché immobilier, banni depuis cinq décennies, quelle qu’ait été la vivacité des stratégies et transactions patrimoniales plus ou moins informelles. Il s’est ensuivi une effervescence de transactions, l’irruption de nombreux intermédiaires et le déploiement au grand jour de stratégies désormais permises par la loi. Comme beaucoup de personnes âgées, Marta, malade et fatiguée, vend son appartement au second étage d’un immeuble élégant de Vedado pour trouver un rez-de-chaussée moins cher et ne plus avoir à monter d’escaliers. Dayana aussi déménage, vendant un appartement lumineux mais petit pour en acheter un autre plus grand et assez sombre. Son fils y aura une chambre séparée et le linge pourra sécher dans un petit patio agrémenté de multiples plantes en pot. « Dans mon ancien immeuble, on était douze familles, six d’entre elles sont parties depuis que la loi a été promulguée. Des personnes de Habana Vieja sont arrivées. Ils avaient de tout petits logements dans les vieux quartiers populaires, mais avec le développement du tourisme, ils valent beaucoup d’argent maintenant. De nombreux investisseurs souhaitent les acheter pour les rénover et les louer aux touristes. Nos nouveaux voisins profitent de cette aubaine pour emménager dans un quartier bourgeois, le Vedado, auquel ils ne pouvaient pas accéder auparavant », m’explique-t-elle en bonne sociologue.
59À Habana Vieja, que les travaux de restauration rendent de plus en plus attractive pour le tourisme, les achats de logements pour louer de personne à personne prennent un essor impressionnant. Les locations ont été considérablement amplifiées par le développement d’Internet et de différentes plates-formes en ligne, même si les paiements ne peuvent se faire directement par carte bleue, en raison de l’embargo, et doivent passer par des tiers, situés souvent en Espagne ou aux États-Unis. L’épargne, accumulée en billets de banque, s’investit dans des opérations qui engendrent un revenu de location et la perspective, à court terme, de plus-values juteuses. Ainsi, à la mort de sa mère, le gendre de David et Fanny a quitté son emploi en musicologie. Il a vendu l’appartement qu’il occupait et dont il venait d’hériter pour en acheter un à Habana Vieja. Il l’a rénové et vit maintenant des revenus de sa location.
60Après les mesures d’assouplissement des transferts d’argent prises par le président Obama, les capitaux affluent de l’étranger pour financer des achats immobiliers au nom de résidents cubains, les seuls habilités à acquérir une propriété. Souvent, l’investisseur effectif ne l’est pas et passe par un prête-nom. La spéculation va bon train, de même que le marché de la location aux touristes. Ainsi, de nombreux Italiens investissent de l’argent dans des logements et restaurants, au nom de Cubaines, qu’ils tentent de retenir pour éviter qu’elles ne désertent avec le titre de propriété. Toutes ces opérations sont fluidifiées par l’ouverture progressive, depuis quelques années, des connexions par Internet. Les sites de petites annonces se multiplient, ainsi que les offres et demandes insérées dans le paquete, compilation de films, séries, magazines, publicités et autres clips musicaux, qui circule à un rythme presque quotidien entre la Floride et Cuba20. Les maisons « capitalistes », c’est-à-dire construites avant la révolution, sont généralement plus appréciées des acheteurs que celles construites par les programmes de l’État. « Quand j’ai voulu vendre mon appartement, j’ai mis une annonce sur Internet et un agent est venu des États-Unis, pour le compte d’un Cubain de là-bas. Le Cubano-Étatsunien voulait l’acheter pour le raccorder à un autre, qu’il avait déjà acquis juste derrière et le louer à des touristes », me raconte Antonio, enseignant à l’université, au cours d’un dîner professionnel.
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61Janvier 2016. À peine arrivée et mes bagages posés, je me précipite dans le solar, les bras chargés d’objets divers : des eaux de toilette pour Papy et Alian, des crèmes, shampoings et parfums pour Melina et Mamy, du chocolat, des biscuits et un fromage français. Ils apprécient beaucoup ces petits cadeaux, qui non seulement sont au-dessus de leurs moyens mais surtout fleurent bon l’Occident. Ces gâteries françaises se distinguent des produits auxquels ils peuvent avoir accès par les reventes de voyageurs, mules multiples qui font des navettes entre divers pays d’Amérique latine ou centrale et Cuba. J’apporte aussi des crèmes, savons et shampoings et quelques jouets et vêtements pour le nouvel arrivé dans la famille : le petit Amadeo, né un an plus tôt. Alian et Melina avaient beaucoup hésité : « On a tellement peu de place chez nous, c’est difficile d’élever un enfant dans une seule petite pièce, sur une mezzanine, avec Papy et Mamy qui vivent avec nous. »
62Je retrouve l’entrée du solar inchangée, à part les compteurs dans le renfoncement près de la porte : ils ont été remplacés. Adieu les écheveaux de fils embrouillés qui en disaient long sur l’individualisation des raccordements et leurs quelques années de retard sur les changements d’occupants. Chaque compteur neuf – chinois et infalsifiable, comme on me l’expliquera –, bien scellé dans sa boîte vitrée, est recouvert d’un cache. Il est désormais bien difficile d’y accéder. Et quasiment impossible de soudoyer les préposés aux relevés, qui n’ont même pas besoin de les ouvrir !
63Je frappe au carreau de la porte rouge au travers de la grille, pousse la porte, jette un œil : Mamy est seule dans la petite pièce, avec le petit Amadeo de quatorze mois, assis sur un coussin dans un parc vide, la tête levée vers la télévision. Embrassade émue et enthousiaste avec Mamy, qui surveille des casseroles sur le feu, bonjour prudent au petit garçon qui ne me connaît pas encore. Tous les autres sont sortis.
64Je lève les yeux pour examiner les aménagements que je n’ai pas encore vus. Lors de mon dernier séjour, le jeune couple dormait au-dessus de la petite chambre du fond, sur une mezzanine qui avait été construite du temps de Mamy et Telma, à laquelle on accédait grâce à un escalier étroit et raide. Mamy m’explique qu’ils ont élargi ce plancher pour y installer les ordinateurs de travail d’Alian qui encombraient leur pièce. Dans ce qui n’est plus qu’une chambre, ils ont pu installer le bébé. De fait, l’espace de mezzanine recouvre désormais l’ensemble de la pièce principale et engendre un sentiment d’écrasement. Sur le mur du fond sont affichées six photographies de très grande taille qui ont été prises lors du premier anniversaire du petit garçon : trois sont des portraits, sur une autre il est debout, pieds nus, devant un grand cor de chasse, habillé d’une salopette courte à grands carreaux, une casquette assortie posée sur sa tête et un gros nœud papillon autour du cou, petit poulbot à la cubaine. Un cliché de groupe le présente avec son demi-frère, l’autre fils d’Alian, et son cousin, le fils de Telma et Adolfo. Sur la dernière, l’enfant, son père et sa mère forment une sorte de pyramide humaine.
65Il est près de 14 heures, Melina arrive. Nouvelles exclamations de joie, embrassades, retrouvailles avec son petit qu’elle allaite. Papy pousse la porte à son tour. Il revient de chez Telma, qui habite le municipio éloigné et élégant de Playa, et il est passé prendre les rations alimentaires du mois qu’il rapporte dans un sac en plastique. Alian rentre à son tour et Mamy termine la préparation du déjeuner. Elle sort les assiettes, dépose sur chacune quelques tranches d’avocat et de tomate, y ajoute une grosse portion de riz, quelques morceaux de malanga21, un tubercule blanchâtre très apprécié, et enfin une patte de poulet, un peu de sauce et une cuiller. Je négocie une portion de riz moins importante : « Vous savez bien, je ne mange pas autant de riz que vous ! » Ils rient, « Ah oui, c’est vrai, si on vient de rendre visite en France, on apportera notre riz ! » Toujours pas de table, chacun mange sur ses genoux, sauf Alian qui approche un tabouret et se pose sur un coin du comptoir. Le repas est silencieux et rapide. Ils me diront qu’il est mal élevé de parler pendant qu’on mange. À peine terminé, Melina monte sur la mezzanine pour aller changer et coucher Amadeo pour sa sieste. Mamy ramasse les assiettes et fait la vaisselle.
66Quelques épisodes partagés suffisent à me faire sentir des tensions, surtout le soir quand tout le monde est à la maison. C’est un désaccord autour des programmes de télévision ou une brève discussion entre Papy et Alian, au cours de laquelle celui-ci hausse le ton. Deux générations s’affrontent : l’un, le vieux, sait par ce qu’il entend à la télévision, par les livres et par sa longue vie ; l’autre, le jeune, possède un savoir pratique forgé dans l’ère nouvelle, alimenté par la circulation des informations, des explications, des rumeurs. L’un est perdant des réformes actuelles, n’ayant pour vivre que sa pension de retraite et l’aide de ses enfants, alors que l’autre piaffe pour que s’ouvrent toutes grandes les opportunités du marché et de la globalisation ; il est impatient d’y prendre sa place, frustré des blocages et incertitudes qui continuent d’en scander le processus. Dans ce logement étroit, la cohabitation doit s’accommoder de la promiscuité. Je retrouve les jeux de porte, ouverte, fermée, entrebâillée, voire verrouillée : autant de signes de disponibilité ou de refus des interactions avec des voisins trop proches. Mamy a récemment fait installer une serrure robuste.
67Le soir, des frictions surviennent entre les deux fonctions du logement, au moment où les diverses personnes qui travaillent pour Alian passent à tour de rôle faire état de leurs ventes et se réapprovisionner en copies de films. Olimpio, le neveu de Papy et le cousin de Melina, est venu de l’Orient pour les aider. Comme Yusisley, compagnon des premiers temps de l’entreprise, il a accès aux machines et contribue à la production des copies de disques qui seront distribués le lendemain. Ils travaillent sur les ordinateurs jusque tard dans la soirée. Entre-temps, le dîner a été servi, mais il semble entendu que les travailleurs ne prendront pas leur repas systématiquement avec la famille. Quand j’apporte des bières, une bouteille de vin ou de rhum, ou quelque autre gourmandise, tout le monde s’agglutine autour du comptoir, jusqu’à ce que la dispersion rende chacun à sa place et à son foyer.
68Alian est las de la cohabitation, de cet enchevêtrement de générations et de fonctions dans ce minuscule logement, de l’absence d’intimité, de la promiscuité du voisinage, de l’exiguïté de son espace de travail.
« On cherche à déménager, ça devient compliqué de vivre à cinq ici. Mais ce n’est pas facile. Depuis que la loi autorise les achats et ventes de logements, les prix ne cessent d’augmenter. Quand tu étais venue la dernière fois, en 2013, la loi venait juste de passer, et on pouvait trouver un appartement à Centro Habana pour six ou sept mille CUC. Maintenant, pour avoir deux chambres, on devrait payer au moins 10 000 CUC. Regarde, moi j’ai travaillé toute ma vie, j’ai trente ans et je n’ai même pas de maison à moi. Tu ne trouves pas que le système est injuste ? »
69Il m’explique qu’il va hériter de la maison de sa mère à Camagüey, mais pas avant plusieurs années.
70Depuis quelques années déjà, Papy et Mamy pensent vendre leur maison de Bayamo. Ils l’avaient achetée en 1979, quand Telma avait trois ans, quelques années avant la naissance de Melina. « C’était une cabane, me dit Papy, on l’a arrangée et agrandie. » Je lui demande s’il est triste de la vendre. Sa réponse est pragmatique :
« Nous n’y allons presque plus, les filles n’ont plus aucun intérêt dans cette maison, nous nous faisons vieux et le trajet en car est très long : plus de sept cents kilomètres, une nuit entière de voyage. Depuis le 14 novembre 2012, les maisons peuvent se vendre comme des bicyclettes ou n’importe quoi. Avec l’argent, quand on aura vendu la maison, on pourra améliorer notre logement ici et rester près de nos filles et petits-fils. Avec la naissance du petit Amadeo, notre présence est nécessaire à La Havane. »
71Et qui l’achèterait ?
« Quelqu’un qui voudrait faire de l’élevage là-bas ou avoir une maison secondaire pour un parent aux États-Unis. Partout il y a des gens qui veulent acheter. Mais les prix sont très bas en province, bien en dessous de ceux de la capitale. »
* * *
72Septembre 2018. Le grand événement de ce voyage est qu’Alian et Melina ont déménagé rue Lucena, à quelques pâtés de maison du solar. Je le sais parce que je les ai appelés plusieurs fois depuis mon dernier séjour, deux ans et demi plus tôt. Internet est désormais accessible à Cuba et ils ont un compte sur leurs téléphones portables. J’ai donc reçu quelques photos de leur nouvel appartement et ils m’ont invitée à venir y loger : « Nous avons une chambre pour toi, tu as ta maison chez nous, ne loue pas de chambre chez l’habitant. » J’ai précisé : « Je vais rester six semaines, même si je compte partir en mission à l’intérieur du pays de temps en temps, ce sera peut-être long ? Et puis, ma fille et son compagnon doivent venir me rendre visite, comment allons-nous nous organiser ? » Ils ont insisté, il y aura de la place pour tout le monde. Je suis très heureuse de la perspective de loger dans cette famille que je connais bien, d’y trouver des relations affectives qui rompront la solitude du séjour de terrain. Je me réjouis aussi de pouvoir mieux partager et observer leur vie quotidienne, tout en restant en plein cœur de Cayo Hueso.
73Alian et Melina sont venus me chercher à l’aéroport avec la voiture d’un cousin, une vieille Chevrolet blanche des années 1950. J’y ai chargé mes deux valises et je donne au chauffeur les 25 CUC, ou pesos convertibles (environ autant de dollars) qui représentent le tarif convenu. Arrivés rue Lucena, devant un immeuble de piètre apparence, Alian hisse mon gros bagage sur son épaule et nous gravissons les deux étages qui mènent à leur nouvel appartement. La serrure de la porte d’en bas ouvre mal, la cage d’escalier est sale et mal entretenue : « Personne ne veut plus faire de travail collectif pour nettoyer, s’excuse Melina. Au début, je nettoyais l’escalier, mais j’ai arrêté, il n’y a pas de raison que je m’en charge seule. » Une grille sécurise la porte, qui ouvre sur une grande pièce : dans une première partie, murs orange, deux grands rocking-chairs et un autre, miniature, pour Amadeo, un immense écran de télévision fixé sur la paroi du fond. À droite, dans une seconde salle, donnant sur un balcon, un confortable canapé et ses deux fauteuils assortis, ainsi que de petits poufs.
74Le balcon a de multiples usages que la famille, qui n’avait jamais occupé que des logements au rez-de-chaussée, a découverts. Il attire le petit garçon, qui peut y contempler la rue, mais risque de tomber en se penchant par-dessus le garde-corps de maçonnerie. Il sert aussi à lancer la clé de la porte d’en bas aux personnes qui veulent monter et doivent s’égosiller de la rue jusqu’à se faire entendre. Melina s’y installe le matin, pour envoyer ses derniers baisers à son fils qu’Alian emmène généralement à l’école dans un bicitaxi. Elle discute avec les voisins et voisines qui font une apparition sur leur propre balcon, échange les nouvelles de l’immeuble et du quartier. Le balcon permet aussi de faire des achats aux colporteurs qui passent dans la rue en s’annonçant bruyamment. Une façon bien différente de pratiquer le voisinage que dans le solar. Je comprends mieux ce que me disait mon ami médecin chercheur Eduardo, critiquant le fond sonore de ce quartier.
75« Viens voir ta chambre ! » C’est une grande pièce qui a visiblement déjà deux usages. Les ordinateurs avec lesquels travaillent Alian et ses collègues sont installés d’un côté, rafraîchis par un gros ventilateur et un puissant souffleur d’air conditionné avec lequel je devrai composer (la température indiquée par le voyant est de 17 degrés !). À droite, un canapé-lit déplié, un rideau vert imprimé de personnages de bandes dessinées, une armoire blanche et des empilements de jouets signalent que c’est la chambre d’Amadeo. « Il dort toujours avec nous, il est encore petit, donc c’est ta chambre. » Je comprends que mon intimité ne sera pas complète, loin de là, mais je décide de tenter l’expérience, qui contrastera avec la solitude des chambres d’hôtes. De toute façon, je ne peux pas déshonorer leur hospitalité si rapidement. Le soir, les ordinateurs sont occupés, mais je peux m’installer pour lire ou travailler sur le lit, pourvu que l’enfant ne regarde pas des dessins animés hurlants. Le matin, Melina entre discrètement chercher ses vêtements pour l’habiller pour l’école.
76Je suis Alian et Melina dans le reste de la maison. La grande salle est traversante et, comme dans beaucoup d’appartements de ce quartier, ouvre sur une coursive, qui longe un patio. C’est là que sont installés la machine à laver que Melina a récupérée du solar, où Mamy n’en a plus, et les fils à sécher le linge. Dans cet espace presque intime de l’intérieur de l’immeuble se nouent d’autres dialogues entre voisins – et surtout entre voisines. Sur la coursive ouvrent la seconde chambre, elle aussi conditionnée et glaciale, la salle de bains, et enfin la cuisine et la salle à manger, peinte en vert du haut en bas. « Regarde, on a même l’eau chaude », me montre Alian avec un immense sourire. Dans la cuisine, un imposant réfrigérateur de marque étatsunienne, à deux portes, et une panoplie de cuiseuse de riz, cocotte-minute électrique, plaques, gazinière. « Nous avons tout racheté, même le réfrigérateur. Mamy avait payé en partie celui du solar : elle m’avait donné de l’argent quand je suis parti au Venezuela. Je ne veux pas lui devoir quoi que ce soit. »
77De nouveaux matériels arriveront quelques mois plus tard, et notamment un gigantesque lave-linge étatsunien à multiples commandes, rapporté du Panama. Il remplacera celui, semi-manuel, à double tambour, qui est courant à Cuba, que Melina prêtera alors à sa sœur. Dans la cuisine trône également un filtre à eau, à double réservoir. « J’y mets de l’eau très chaude du robinet, m’explique Melina, je ne la fais plus bouillir. » J’ai quelques doutes sur l’efficacité de cette opération pour tuer les bactéries qui prolifèrent dans les réservoirs exposés au soleil. « Chacun a son réservoir sur le toit, regarde, ces deux-là sont à nous », me dit-elle en m’indiquant deux gros bidons bleus accrochés en surplomb de la coursive. « Quand l’eau de la ville arrive, la pompe se met automatiquement en route. C’est beaucoup plus pratique qu’au solar. »
78Mes exclamations admiratives les remplissent de fierté :
« Oui, tu vois, on y est arrivés, et on a décidé de ne pas demander d’argent à Papy et Mamy. Ils ont bien vendu leur maison de Bayamo, mais ils ont gardé l’argent. On a acheté cet appartement 24 000 CUC, et il a fallu encore racheter tout l’équipement et refaire les peintures. Aujourd’hui, même pas deux ans plus tard, il a doublé de prix, on pourrait le vendre 50 000. »
79Ces montants m’impressionnent, je fais de brefs calculs de tête et ne parviens pas à imaginer comment ils sont parvenus à économiser de telles sommes, sachant qu’ils ne reçoivent aucun argent de l’étranger. Les affaires d’Alian sont-elles si florissantes ? Melina est maintenant son associée, elle a pris une licence de « mécanographe ». Je n’ose pas leur demander, mais tourne autour de la question : « Vous êtes vraiment des entrepreneurs très talentueux ! » « On travaille beaucoup », me répond-il. « On a toujours le magasin près du parc Coppelia, où on vend des films et des CD de musique, mais aussi des photocopies et des services informatiques. Maintenant, on vend aussi le paquete et cela nous rapporte beaucoup. »
80Le contraste entre l’appartement et le solar me frappe. Avec leur déménagement rue Lucena, l’équipement ménager d’Alian et Melina a fait un bond impressionnant. Les signes de consommation visibles dans l’appartement témoignent de leur désir de modernité marchande et globalisée, dépendante d’importations pour beaucoup privées et individuelles. Malgré leur appartenance, somme toute, à une modeste classe moyenne, ces signes de consommation suffisent à qualifier la famille de « nouveaux riches », catégorie très discutée à Cuba, tant elle cristallise et rend visible la rupture avec le modèle économique de pénurie socialisée organisée par l’État révolutionnaire. Papy me fera un commentaire sur les factures d’électricité du jeune ménage. Pour le solar, elles sont modestes, alimentées seulement par les ampoules et néons, un ventilateur, une télévision, un réfrigérateur-congélateur et l’équipement de cocotte à pression et cuiseur de riz qui constituent la dotation standard des ménages cubains. « La facture d’électricité d’Alian et Melina dépasse 1 000 pesos, presque vingt fois plus que celle du solar. Forcément, avec tous les équipements qu’ils ont, surtout les climatiseurs, qui doivent rester allumés nuit et jour pour les ordinateurs. On est loin des économies d’énergie que promeut le gouvernement ! »
81À Cuba, tout ce qui s’achète dans des circuits d’importation, en monnaie convertible, relève du luxe pour ceux qui n’ont que leur salaire ou leur pension pour vivre. Les disparités sociales se matérialisent par des écrans de télévision plats de grande taille, des canapés neufs, des conditionneurs d’air, des équipements de cuisine, mais aussi des vêtements, des chaussures et des jouets, des ongles impeccablement manucurés et des coupes de cheveux à la mode, outre des fréquentations culturelles et de restaurants, des choix de transport et le recours à des services à la personne. Je remarque que le réfrigérateur du jeune ménage est rempli de produits achetés sur les marchés libérés ou en devises et que leur régime alimentaire s’est diversifié. Quand Mamy ou Melina ont le temps de cuisiner, on mange de la viande deux fois par jour rue Lucena. Le soir, Alian confectionne souvent des pizzas, avec des galettes de pâte déjà prêtes, de la sauce tomate et de la mozzarelle importée. Un jour, l’oncle Axel de Florida, venu se faire soigner, prépare de grandes quantités de riz au lait et des écorces de pamplemousse confites. Du côté du solar, le régime quotidien est resté celui des distributions normées et de la nourriture créole : de grosses portions de riz, des haricots, de petites portions de viandes de faible qualité, des morceaux d’avocat et de tomates en guise de salade, et seulement en saison.
82L’enrichissement s’exprime aussi par le paiement pour des procédures accélérées. Alian m’avoue avoir payé des pots-de-vin à des intermédiaires et délégué à des courtiers, contre rémunération, des tâches administratives et surtout l’attente dans les longues files et les négociations pour mener à terme l’enregistrement de l’appartement à leur nom. Cette importance du temps et le prix payé pour accélérer les rythmes lents imposés par la bureaucratie et les pénuries sont aussi un signe d’appartenance à la classe moyenne enrichie : les pauvres font la queue et attendent leur tour, le temps nécessaire. Ce clivage temporel est crucial à Cuba, où il est assez récent que le temps vaille de l’argent.
83L’installation n’est pourtant pas terminée. Alian et Melina ont décidé que leurs hauts plafonds auraient meilleure allure avec des moulures : une grande rosace au centre, à laquelle seront suspendus de larges ventilateurs style années 1950, et des frises à la jointure entre les murs et les plafonds. La fabrication de moulures est le travail d’un artisan qui vient les livrer au bout de quelques jours. Pour préparer leur installation, le salon sera déménagé, empilé dans les deux chambres, et un échafaudage installé, qui encombrera la pièce pendant tout mon séjour. L’ouvrier commence son travail, puis s’absente, revient, disparaît à nouveau. Alian s’énerve, mais dépend de lui. Quelques semaines plus tard, les moulures de plâtre sont collées, mais le travail a laissé de longues traînées blanches sur la peinture orange. Il faut donc reprendre la couleur. Ce n’est qu’en février 2019, lors d’un bref séjour, que je verrai l’œuvre terminée : les moulures ont été peintes d’un orange vif à nuances dégradées, assorti aux murs. Je les trouve plutôt criardes, loin du cachet qu’elles étaient supposées conférer à la pièce.
84Amadeo est vraiment l’enfant de la mobilité économique de ses parents. Il possède un grand nombre de tenues élégantes, plusieurs paires de chaussures, ses propres produits de toilette, du shampoing pour bébé et du gel pour arranger ses cheveux en crête. Je le regarde jouer avec un petit voisin, qui habite sur le toit en terrasse de l’immeuble. Sa mère et lui sont logés par une vieille dame, dont elle prend soin, et dont j’imagine qu’elle espère hériter de l’appartement. Elle travaille dans une cafétéria publique. Amadeo renverse sa grande panière de jouets devant l’autre enfant qui n’en possède pratiquement pas. Leurs séances de jeu se terminent souvent par des dessins animés, chargés sur une clé USB et qui fait partie du paquete que vend Alian, autre signe de différenciation sociale. « Nous lui avons acheté un petit coq », me dit la mère du petit voisin en me montrant une cage, suspendue à une poutrelle métallique sur le toit terrasse, dans laquelle patiente un magnifique coq nain roux. « Il peut s’amuser avec lui. »
85Alian et Melina rivalisent d’ambition et d’acquisitions avec le couple de Telma et Adolfo, qui ont eux aussi changé d’appartement, mais par permuta, avec un versement d’argent économisé en sus : « Nous avons échangé avec une voisine, elle voulait un appartement plus petit et pouvoir compter sur un peu d’argent. Nous sommes passés d’un deux-pièces tout petit à un plus grand, au rez-de-chaussée, avec un patio. On vient de Playa en scooter pour travailler et on peut le rentrer le soir dans le patio. » Je suis impressionnée par leur acquisition d’un scooter électrique, comme ceux qui sillonnent désormais silencieusement les rues, tant le recours aux transports en commun est le lot obligé des Havanais. C’est une grosse dépense, qui facilite, pour Telma et Adolfo, les allées et venues entre Playa, qu’ils ne veulent pas quitter, et celui de Centro Habana, où ils travaillent dans l’immeuble de la télévision et où vit le reste de leur famille. Acquérir un moyen de transport est le prochain projet d’Alian, contraint par ses affaires à de multiples trajets dans la ville qui lui coûtent très cher et absorbent beaucoup de temps : « Je voudrais acheter une voiture, mais elles coûtent quasiment le même prix qu’une maison. »
* * *
86Et Papy et Mamy, que disent-ils de ces changements ? J’imagine que l’écart de niveau de vie entre les deux générations a dû se creuser, maintenant que les deux foyers sont séparés et qu’ils ne sont plus « au feu et au pot ». Je me demande comment se tisse cette économie familiale à plusieurs noyaux, où circulent des services, des biens, du travail, de la présence.
87À quelques pâtés de maisons dont je reconnais les détails inchangés, je leur rends rapidement une visite au solar. Il est morne et triste maintenant : j’ai un sentiment de vide et de manque de vie. Pourtant, les fauteuils en rotin sont toujours là, comme le gros réfrigérateur qu’Alian a laissé à Mamy. Les photos du premier anniversaire d’Amadeo sont encore sur le mur, mais elles paraissent avoir été laissées là par oubli. Tous les bibelots et les autres photos sont partis.
88Papy est seul quand j’arrive. Dans la pénombre, il regarde un match de baseball sur l’énorme télévision cathodique, la voix du commentateur claironnant. Il se lève pour m’ouvrir et, à me voir, un magnifique sourire éclaire son visage. Il me paraît négligé, en vêtements d’intérieur, un vieux pantalon et un tricot de corps : « Angélica est chez Telma, elle sait que tu es arrivée, elle va revenir bientôt, entre. » Il baisse le son de la télévision, se tourne vers moi et nous parlons. Deux énormes cartons encombrent le fond de la pièce : « Ce sont des congélateurs, qu’Alian et Melina ont rapportés de Panama, ils cherchent à les vendre, mais en attendant on les garde ici. »
89Pour ne pas les laisser tomber et faire l’expérience de la vie au solar, je demande l’hospitalité à Mamy pour les quelques jours qui débordent les nuitées payées par l’université au cours d’une courte mission en février 2019. Mamy m’offre la chambre de la mezzanine, qui est en fait la sienne : elle a réintégré l’espace qu’elle occupait avant le décès de l’ancienne propriétaire et avant la venue d’Alian.
90Pendant ces quelques jours, Mamy passe beaucoup de temps chez ses filles, courant ici et là avec un cabas : « Il est toujours prêt, si elles m’appellent, je peux partir tout de suite. » Je me rends compte qu’elle ne dort pas au solar pendant mon séjour, ce qui me donne un certain sentiment de culpabilité, jusqu’à ce que je comprenne que c’est réellement son choix et qu’il a plus à voir avec sa relation conjugale qu’avec ma présence. Mamy prend ses repas chez ses filles, lorsqu’elle y fait la cuisine et qu’elle s’occupe de leur intérieur et de leur enfant. Papy, un peu exclu de ces partages, se retrouve souvent seul devant la télévision, à manger l’assiette qu’elle lui a laissée et qu’il a fait réchauffer. Finalement, c’est Papy et moi qui cohabitons surtout, dans un lieu qui a perdu de sa chaleur : la lumière reste souvent éteinte, la porte sur le passage fermée. Les interactions avec les voisins se sont réduites avec le nombre d’occupants. Melina partie, personne ne vient plus demander un renseignement administratif, l’entraide s’est dissoute, les petites transactions évanouies.
91« Papy, qu’est-ce qui se passe dans la salle de bains, avec les robinets ? » Dans la douche, un seau récolte l’eau qui coule en permanence du robinet. Elle sert à nettoyer la cuve des toilettes, dont la chasse ne marche pas. Un savant échafaudage maintient le robinet du lavabo dans la position où il fuira le moins : une ficelle et un flacon de shampoing censé faire du poids pour l’orienter de façon favorable, que j’essaie de réinstaller à chaque usage.
« Ils fuient tous, on a essayé de les changer, on a payé cher pour un robinet chinois, et voilà qu’il est encore cassé. On a prévenu mon frère, il sait tout faire, il nous cherche un robinet et viendra nous l’installer.
— Et Alian ?
— Il n’a pas le temps, il est très occupé.
— Mais cela ne vous coûte pas cher, toute cette eau qui coule tout le temps ?
— Non, l’eau est très bon marché, elle est très fortement subventionnée, et c’est heureux parce qu’il y a beaucoup de gaspillages, de robinets qui fuient, de conduites percées. Plusieurs projets sont engagés pour remettre en état le réseau d’eau de La Havane, mais c’est une entreprise de longue haleine, tant les infrastructures sont dégradées. Et que dire du reste du pays ? D’un autre côté, si l’eau était plus chère, les familles prendraient peut-être mieux soin de leurs installations.
— Et le réservoir du toit, il doit se vider vite, ils ne râlent pas, les voisins ?
— Qu’est-ce qu’on y peut ? »
92Mamy a un avis un peu différent : « Papy est un peu paresseux et apathique, il pourrait bien chercher un robinet, au lieu d’attendre que son frère le fasse. Heureusement, qu’on l’a, lui. » Avec l’argent de la maison de Bayamo, il faudrait faire des travaux, pour arranger le solar. « Mais tu vois, je n’y suis pas beaucoup, et comme Omar ne fait rien, ce n’est pas facile. »
93Finalement, la séparation des ménages a l’air d’affecter Papy et Mamy plus que la cohabitation. Elle semble les éloigner l’un de l’autre et Papy me paraît bien seul. Que va devenir le vieux couple ? Comment l’organisation familiale va-t-elle s’adapter à leur vieillissement, eux qui ont déjà dépassé les quatre-vingts ans ?
Notes de bas de page
1 De nombreux locaux désaffectés ou réquisitionnés sont ainsi aménagés en refuges ou abris, pour accueillir les milliers de sinistrés des cyclones ou les personnes dont le bâtiment d’habitation s’est écroulé ou menace de le faire, jusqu’à ce qu’un nouveau logement puisse leur être attribué.
2 Travailleurs sociaux (ou enseignants) formés dans les années 2000 pour répondre à des besoins d’encadrement de diverses politiques publiques et de mise en œuvre des politiques sociales, et d’intégration dans l’emploi de jeunes. Alian s’est spécialisé dans les économies d’énergie et Melina dans le service social.
3 Ces missions concernent essentiellement des personnels médicaux, mais aussi de nombreux travailleurs sociaux, au sens large, de même que des coopérants culturels et de solidarité. Leurs salaires réguliers restaient versés sur leur compte à Cuba, ils recevaient une indemnité sur place et l’État cubain percevait directement une compensation de l’État receveur, dans ce cas, le Venezuela.
4 Mouvement de résistance et d’ajustement, lancé en décembre 1999, pour faire face à la crise économique déclenchée dix ans plus tôt par la chute du bloc soviétique.
5 Littéralement travailleur à compte propre, autoentrepreneur. Environ deux cents petits métiers ont été progressivement autorisés depuis les années 1990, avec de nombreuses fluctuations dans les conditions d’enregistrement, d’imposition, les branches autorisées ou interdites, etc.
6 Située dans le quartier du Vedado, c’est la partie basse de la rue 23, qui descend vers la mer. Construite dans les années 1930, c’est le quartier des bars, clubs et grands hôtels.
7 Le terme « Orient » désigne la partie est de l’île de façon spatialement imprécise.
8 Et notamment le livre publié par Isabel Rauber, Cayo Hueso, estampas del barrio, Adelantos Editoriales, 2010.
9 Les consejos populares sont le dernier-né des unités territoriales et administratives à Cuba, qui comptent les provinces, les municipios et, en dessous des consejos populares, les circonscriptions, puis, à l’échelle d’un pâté de maison ou d’un immeuble, les comités de défense de la révolution.
10 Formellement, la guerre d’indépendance cubaine a duré de 1895 à 1898 et a opposé l’Armée de libération cubaine, appuyée par les États-Unis, à l’Espagne. Le conflit aboutit à l’indépendance de l’île vis-à-vis de l’Espagne, mais elle passe ensuite rapidement sous la domination des États-Unis. Cette guerre fait suite à la première tentative d’indépendance cubaine, dite Guerre des dix ans (1868-1878) et à la Petite guerre (1879-1880). Si l’on prolonge ces conflits par la révolution de 1959, Cuba aura mis presque un siècle à se libérer des dominations coloniales et postcoloniales.
11 À Cuba, la notion de race est omniprésente. Elle est objectivée dans les statistiques qui recensent les Blancs, les Noirs et les Métis. Il en est de même sur certains modèles de cartes d’identité.
12 Selon le recensement officiel des ménages, la moitié des logements cubains sont plus ou moins dégradés.
13 Un décret-loi promulgué à La Havane en octobre 2012 et effectif à partir de janvier 2013, a libéralisé les procédures de mobilité internationale, notamment en supprimant la carte blanche, le visa de sortie, et en autorisant les sorties du territoire de personnes en possession d’un passeport et d’un visa si nécessaire. Les émigrants cubains peuvent rester vingt-trois mois à l’étranger sans perdre leurs droits à Cuba. Les émigrés peuvent revenir à Cuba pour 90 ou 180 jours, selon leur statut, et demander une résidence à Cuba.
14 Au moment de cette rencontre, soit moins de dix CUC ou dollars US. Les pensions de retraite ont été réévaluées plusieurs fois, mais l’augmentation parallèle des prix rend difficile l’estimation de leur pouvoir d’achat, entraîné dans une baisse continue. Du fait de la forte institutionnalisation de l’emploi à Cuba depuis la révolution, quasiment tous les hommes âgés, et plus des deux tiers des femmes reçoivent une pension de retraite, ces dernières pouvant bénéficier de pensions de réversion lorsqu’elles ont été mariées.
15 Depuis 2009, quand il a été repoussé de cinq ans, l’âge légal de la retraite est de soixante-cinq ans pour les hommes et soixante ans pour les femmes. Les retraités peuvent néanmoins continuer à exercer leur activité ou s’engager dans une autre.
16 En bout de course, les matériaux récupérés sont livrés à la Unión de Empresas de Recuperación de Materias Primas (UERMP), mais les bouteilles en plastique pour partie utilisées comme telles. Quatre mille familles cubaines environ détiennent cette licence.
17 Établi en 1985, le prix légal d’un bien immobilier est un système utilisé pour calculer la valeur d’un logement au mètre carré. Motivé par des politiques sociales du logement, il correspond à une subvention d’environ 80 % de la valeur envisageable, puis actualisable, depuis la réhabilitation du marché immobilier. Dans les faits, l’État peut subventionner 100 % du prix du logement pour les personnes de faible condition économique.
18 Cette histoire sera racontée dans le chapitre vii.
19 Construit dans les années 1970 grâce à l’institution des microbrigades d’auto-construction, le complexe de logements sociaux d’Alamar est le plus grand de Cuba : y cohabitent plus de 120 000 personnes, dans des appartements prévus pour 50 000. Alamar est relié à La Havane par le Tunnel de la Baie, achevé en 1958.
20 Ces volumes de contenus numériques sont produits sur une base hebdomadaire en Floride et circulent à Cuba sur des clés USB. Les clients apportent une clé et achètent soit tout le contenu pour un ou deux CUC, soit une partie seulement, souvent quelques épisodes d’une série. Initialement réservée à une élite argentée, la diffusion du paquete s’étend.
21 Aussi appelé taro.
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Christophe Brochier
2009
Centres de villes durables en Amérique latine : exorciser les précarités ?
Mexico - Mérida (Yucatàn) - São Paulo - Recife - Buenos Aires
Hélène Rivière d’Arc (dir.) Claudie Duport (trad.)
2009
Un géographe français en Amérique latine
Quarante ans de souvenirs et de réflexions
Claude Bataillon
2008
Alena-Mercosur : enjeux et limites de l'intégration américaine
Alain Musset et Victor M. Soria (dir.)
2001
Eaux et réseaux
Les défis de la mondialisation
Graciela Schneier-Madanes et Bernard de Gouvello (dir.)
2003
Les territoires de l’État-nation en Amérique latine
Marie-France Prévôt Schapira et Hélène Rivière d’Arc (dir.)
2001
Brésil : un système agro-alimentaire en transition
Roseli Rocha Dos Santos et Raúl H. Green (dir.)
1993
Innovations technologiques et mutations industrielles en Amérique latine
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela
Hubert Drouvot, Marc Humbert, Julio Cesar Neffa et al. (dir.)
1992