Une décennie
p. 11-13
Texte intégral
In memoriam
« Une étoile de sang me couronne à jamais »
Apollinaire, extrait du poème « Tristesse d’une étoile »
1Le 10 octobre 2011, nous nous retrouvions très nombreux et nombreuses dans l’amphithéâtre de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, 28 rue Saint-Guillaume à Paris, pour honorer la mémoire de Cassandre Bouvier et Houria Moumni, sauvagement assassinées dans la province de Salta en Argentine, trois mois auparavant. Nous rappelions alors qu’elles étaient deux étudiantes tout à fait exceptionnelles, chacune à sa façon, par leur sérieux, leur réelle passion pour l’Amérique latine qui les avaient amenées à faire connaissance dans notre institut, leur capacité à aller vers les autres et à s’engager dans des projets collectifs dépassant largement les obligations universitaires. Cassandre s’était impliquée comme membre du conseil de gestion de l’IHEAL où elle faisait vivre la démocratie universitaire. Elles étaient au mois de juillet 2011 à Buenos Aires pour participer et suivre un colloque de haut niveau sur l’orientalisme en Amérique latine. Elles faisaient notre fierté comme enseignant·es parce qu’elles portaient en elles l’esprit de passion et de rigueur scientifique de l’Institut.
2Cette tragédie continue aujourd’hui de bouleverser toute notre communauté : enseignant·es-chercheur·es, chercheur·es, personnel administratif, étudiant·es. Le 8 mars 2021, plusieurs étudiantes amies de Cassandre et Houria leur rendaient un femmage dans le forum de l’IHEAL, désormais installé sur le campus Condorcet à Aubervilliers. Elles ont témoigné que ce drame avait infléchi à la fois leurs sujets de recherche et leurs engagements, les amenant à tisser des liens entre les mouvements féministes latino-américains et français.
3Dix années se sont écoulées, dix années qui n’auront pas été vaines. L’ampleur des marches féministes Ni una menos en Amérique latine ces dernières années, la déferlante du mouvement Me too en Amérique du Nord et en Europe ont radicalement transformé l’analyse et la compréhension des violences sexistes et sexuelles. Les crimes perpétrés sur les corps des femmes ne sont ni passionnels ni privés. Ils sont politiques et systémiques. Et le crime d’homicide aggravé par des violences de genre est aujourd’hui reconnu dans la loi en Argentine. Comme nous le rappelle dans sa préface Vera Chiodi, directrice de la collection « Chrysalides » de 2015 à 2019, la mobilisation de Jean-Michel Bouvier est pour beaucoup dans cette reconnaissance. Partout les mobilisations pour faire progresser les droits des femmes sont puissantes tandis que se structurent des mouvements – souvent religieux – qui se présentent comme anti « théories du genre » et cherchent à bloquer les avancées. Ce n’est qu’après un long combat, associant femmes et hommes, que le droit à l’avortement a été légalisé en 2020 en Argentine.
4Ce drame nous invite aussi à réfléchir sur notre travail à tou·tes à l’IHEAL, étudiant·es, personnel administratif, chercheur·es, enseignant·es. La formation, la recherche, surtout dans un établissement de service public, n’ont de sens que s’ils s’appuient d’abord sur le respect des individus pour eux-mêmes, le refus de la violence et dans la perspective que nous sommes, à notre échelle et avec nos moyens, capables de changer le monde, de le rendre plus humain.
5Le 10 octobre 2011, nous nous engagions à publier le mémoire de master de Cassandre. La question que chacun·e nous pose est : pourquoi a-t-il fallu dix ans ? Pourquoi avoir tant tardé à honorer cet engagement ? Pendant dix ans, nous avons programmé le travail sur le manuscrit. Pas moins de quatre éditrices ont chacune à leur tour ouvert et commencé le travail. Trois directeurs de l’IHEAL se sont succédé : Sébastien Velut, Olivier Compagnon et Capucine Boidin. Plusieurs années consécutives, nous avons engagé des devis de maquette et d’imprimeur. À chaque fois, des circonstances extérieures et des difficultés structurelles nous ont freinés dans notre élan : l’instabilité des contrats des éditrices, liée au sous-financement chronique des universités et éditions universitaires depuis une décennie, le déménagement entre la rue Saint-Guillaume et le campus Condorcet, la covid-19… Mais il faut nous rendre à l’évidence.
6La véritable difficulté est ailleurs, comme nous l’explique dans sa préface Olivier Compagnon, directeur du mémoire de Cassandre. Le manuscrit était plus inachevé qu’il n’y paraissait en août 2011. Le commencement en était excellent mais, au fur et à mesure du déroulé, phrases et paragraphes étaient comme suspendus en vol, la troisième partie en chantier, des références manquaient. Et l’auteure n’était plus là. Comment intervenir sans trahir ? Comment reprendre sans dénaturer l’intention de l’auteure ? Corriger ? Comment établir la version finale ? Peut-on imprimer un texte fragmentaire ? Plus nous travaillions le texte pour le rendre lisible par le plus grand nombre, plus s’accumulaient les commentaires de chaque lecteur et plus s’éloignait le souffle de sa plume et plus cruelle se faisait sentir son absence. C’est pourquoi nous avons fini par renoncer au texte idéal qui réponde parfaitement aux règles académiques et à nos exigences scientifiques. Nous vous livrons un manuscrit avec ses failles et ses fragilités, mais qui respecte l’écho singulier d’une pensée en construction, celle de Cassandre Bouvier.
Campus Condorcet, Aubervilliers, le 18 juin 2021
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
S'affirmer Lacandon, devenir patrimoine
Les guides mayas de Bonampak (Chiapas, Mexique)
Julie Liard
2010
Représentations de l'Europe et identité au Mexique
Le Juan Panadero, un journal de Guadalajara (1877-1910)
Guillemette Martin
2008
Le lien migratoire
Migrations clandestines de paysans guatémaltèques vers les États-Unis
Argán Aragón
2008
Les fils du tabac à Bogotá
Migrations indiennes et reconstructions identitaires
Luisa Fernanda Sánchez
2007
Trajectoires féminines et mobilisation d’exilées à Bogotá
Des destins déplacés aux futurs éclairés
Marjorie Gerbier-Aublanc
2013
L'Institut international de Coopération intellectuelle et le Brésil (1924-1946)
Le pari de la diplomatie culturelle
Juliette Dumont
2008
Démocratie et sexualité
Politisation de la pilule du lendemain dans le Chili de la Concertación (1990-2010)
Lila Le Trividi Harrache
2013
De la parole avant le discours
Communication pré et post-natale dans une « communidad campesina » d’Amazonie péruvienne
Émilie Massot
2007
Le transfert d'un modèle de démocratie participative
Paradiplomatie entre Porto Alegre et Saint-Denis
Osmany Porto De Oliveira
2010