Chapitre 4. Les études de philosophie et les philosophes pendant le premier péronisme
p. 87-109
Texte intégral
Le Collège libre d’études supérieures : un espace alternatif d’enseignement
1Sur le même principe d’apolitisme qui avait vu naître la Sade, en 1931 est fondé le Collège libre d’études supérieures à l’initiative d’un groupe hétérogène d’intellectuels, dont le socialiste Roberto Giusti, le philosophe communiste Anibal Ponce, le nationaliste Carlos Ibarguren et le philosophe réformiste et socialiste Alejandro Korn. Le Collège a pour objectif de consolider un espace de savoir, de dépasser les défaillances de l’université et de contribuer à l’essor de la culture. Sans financement de l’État, son fonctionnement est assuré par des donations de particuliers1, par les droits d’inscription et par la création d’une amicale du Collège. Inspiré du Collège de France, le Cles offre des séminaires de sciences dures, de sciences sociales et d’humanités.
2Espace de savoir alternatif et complémentaire des universités, il se construit aussi depuis sa fondation comme un espace de résistance dans le milieu intellectuel. Ainsi, afin de faire face au mouvement contre-réformiste qui s’initie en Argentine lors du coup d’État mené par Uriburu en 1930, les fondateurs du Cles affirment alors que :
« Une coalition antidémocratique a fait tomber un gouvernement issu du peuple. Comme une conséquence inévitable, toutes les libertés publiques ont été mises sous l’index de la dictature. L’université qui avait aspiré à la réforme a appris en chair et en os ce que signifie la contre-réforme, car une nouvelle époque de la contre-réforme a bien commencé à ce moment2. »
3Le Cles se construit comme un espace lié au réformisme universitaire, qui a pour objectif d’être « la voix de la culture argentine en ce qu’elle a à la fois de national et d’universel et aspire à devenir le soubassement d’une œuvre de culture supérieure au service du peuple3 ». Lorsque les universités sont mises sous tutelle du PEN en 1946, le Collège absorbe un grand nombre d’enseignants congédiés des universités et renforce son caractère de résistance réformiste et démocratique pendant le gouvernement de Juan Domingo Perón.
4Bien que le Collège ait été créé dans l’objectif de maintenir un travail intellectuel dépassant les différences idéologiques de ses membres, un an après sa fondation l’apolitisme présente ses premières fissures : une série de conférences consacrées à la révolution russe provoque le départ volontaire du membre fondateur Carlos Ibarguren. L’effervescence politique des années 1930, d’abord, et la polarisation politique qui suivra dans les années péronistes transforment le Cles en une institution porte-parole des intellectuels antifascistes et par la suite des intellectuels antipéronistes.
5Dix ans après sa fondation, le Collège acquiert en 1940 un statut légal et l’institution se réorganise. La création des chaires par disciplines dessine la ligne politique et intellectuelle dans laquelle s’inscrit le Collège. À Buenos Aires, est d’abord créée la chaire Sarmiento référant aux questions de l’éducation et en 1941 sont fondées les chaires Alejandro Korn en philosophie, Juan María Gutiérrez en littérature, Lisandro de la Torre en économie argentine, Mitre en histoire, et Alberdi en sciences juridiques et politiques. S’y ajoutent également une chaire consacrée aux études d’agronomie et une autre consacrée à la recherche et à l’orientation artistique. Par ailleurs, différentes filiales sont créées dans le pays suivant la demande étudiante : en plus de celle de Córdoba, La Plata, Mendoza, Paraná, Rosario, Santa Fe et Tucumán, en 1941 est créée une filiale à Bahía Blanca, suivie par le Cles de Comodoro Rivadavia, de Córdoba, de Mar del Plata, Río Gallegos et Santiago del Estero, consolidant en peu de temps un réseau national d’enseignement en grande partie encouragé par la croissance des universités nationales dans ces villes [Neiburg, 1998 ; Cernadas 2005].
6Concernant son fonctionnement, en plus des conférences, sont proposés des cours de longue durée, semestriels ou trimestriels, se rapprochant de la dynamique universitaire, mais innovant dans la méthodologie par des cours collectifs. Car, comme cela avait été signalé lors de la commémoration de ses dix années d’existence : « l’Université libre que nous prétendons créer n’est pas en concurrence avec l’Université de l’État. Rapprochées en certains aspects et éloignées en d’autres, toutes les deux doivent être au service de l’élévation du peuple4 ». En effet, l’objectif du Cles n’est pas de délivrer des diplômes officiels ni d’avoir un objectif professionnalisant, mais de diffuser des connaissances, d’éduquer et de contribuer à la culture supérieure. Par la création des chaires et par les nouvelles filiales, il s’agissait d’étendre la portée de l’activité culturelle dans tout le pays. Le Cles est un espace de formation académique, mais aussi un lieu à partir duquel « faire de la culture supérieure un élément d’action directe pour le progrès social de l’Argentine5 ».
7Brisant l’apolitisme qui l’avait fait naître, dans les années 1940, le Cles commence à rendre explicite son positionnement politique. Comme cela avait été le cas pour la Sade, c’est à la fin de l’année 1941 que le Cles s’exprime de manière publique sur la Seconde Guerre mondiale contre la neutralité argentine, manifestant son soutien au Brésil qui rentre en guerre contre l’Axe6. Par ailleurs, cette même année, le Collège adresse une note au Congrès de la nation argentine exigeant la fin de l’état de siège. Le Collège et les chaires deviennent une tribune de réflexion politique sur la réalité nationale. Ainsi, en 1943 se tiennent trois conférences sur la situation et la conjoncture du pays : « Les problèmes économiques de l’actualité » de Ricardo Ortíz, « L’affirmation d’une politique culturelle » de Luis Reissig et « La philosophie et l’heure actuelle » de Francisco Romero. Cette prise de position se reflète dans les chaires tout récemment organisées : en 1942, la chaire des études brésiliennes est créée et en 1945, vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, est inaugurée la chaire d’études américaines Franklin D. Roosevelt. L’hommage au défunt président des États-Unis s’avère d’autant plus radical que « c’est la première fois dans l’histoire du Collège, que le nom d’un “non-Argentin” […] est donné à une chaire7 ». De Bartolomé Mitre à Roosevelt, tout en passant par Sarmiento et Alberdi, le Cles construit une symbolique et incarne des valeurs démocratiques, de liberté et de solidarité américaine. Vers la moitié des années 1940, toutes les chaires du Collège portent le nom des représentants argentins de chacune des disciplines, appartenant au panthéon de l’intellectualité libérale argentine.
8La chaire de philosophie Alejandro Korn, qui avait été fondée par un groupe de philosophes en poste à l’université, a un caractère hétérogène. L’activité dans les séminaires de philosophie était assurée par les fondateurs de cette chaire : Risieri Frondizi, professeur et directeur du département de Philosophie à Tucumán ; Eugenio Pucciarelli, professeur de philosophie à cette même université ; le professeur de gnoséologie et métaphysique, disciple d’Alejandro Korn, Francisco Romero ; le disciple d’Ortega y Gasset et doyen de la faculté de philosophie et de lettres de Tucumán (1939-1946), Aníbal Sanchez Reulet ; et Angel Vassallo, professeur à l’UBA, auxquels s’ajoutaient d’autres professeurs invités : l’Italien Rodolfo Mondolfo en exil et exerçant son magistère à Córdoba et à Tucumán, les professeurs de l’UBA Luis Juan Guerrero, Carlos Astrada, Vicente Fatone, entre autres. Jusqu’en 1946, avant l’arrivée du péronisme au gouvernement et la vague de licenciements qui s’ensuit dans les universités, cette chaire, à l’image de l’ensemble du Collège, est en lien étroit avec le milieu universitaire8. Les différences politiques sont encore à l’écart de l’institution et la plupart des professeurs au Cles tiennent leur réputation de leurs cours à l’université.
9Or, déjà en 1945, lors de l’occupation des universités et des confrontations du régime avec les étudiants, le Collège donne son appui moral aux étudiants : « La situation politique du pays, aggravée au jour le jour, a fait émerger un climat de rébellion […] Dans toute effervescence politique, on remarque un éveil de la conscience civique9 ». Plus tard, lorsque les professeurs universitaires et de lycée sont congédiés en 1946, le Cles rend public son positionnement contre le gouvernement péroniste et met fin à la cohabitation politique au sein du collège :
« … S’il n’y a pas de liberté de réunion, d’association et d’expression des idées, il n’y a pas non plus de liberté pour la recherche et l’enseignement. La liberté de chaire et de tribune est inséparable du libre exercice de la citoyenneté. C’est pourquoi il [le Cles] se solidarise avec les professeurs qui ont affirmé de manière publique, par des actions qui les honorent, qu’il n’est pas admissible de séparer le professeur du citoyen […] Il a été résolu d’offrir les salles des cours du Collège à tous les professeurs qui ont été séparés de leur chaire et à tous ceux qui peuvent l’être par la suite afin de conserver en toute liberté les échanges avec les étudiants. Cette décision est basée sur le fait que les professeurs atteints ou menacés de licenciement sont des spécialistes reconnus de la discipline enseignée et que leur éloignement de la chaire priverait la culture du pays d’une science ou d’une expérience pédagogique irremplaçable, si elles ne trouvaient pas comment continuer à être transmises aux étudiants de manière régulière et permanente, bien qu’extra-officielles, par l’intermédiaire du Collège libre10. »
10Bien que le statut légal de 1940 représente un tournant dans l’organisation institutionnelle du Collège, ce sont les mesures politiques prises en 1946 qui marquent un moment de clivage dans la vie et l’expérience pédagogique du Collège. Cette année-là, le Cles offre un banquet en l’honneur de ses membres démocratiques et manifeste explicitement son soutien à l’Union démocratique pour les élections présidentielles. Ce banquet « présidé par un grand portrait de Sarmiento » et qui « démarre avec l’exécution de l’hymne national et de la Marseillaise, chantés par les invités11 », sert aussi à confirmer le clivage politique qui scinde le milieu intellectuel argentin et affirmer l’intellectualité « démocratique » :
« La démocratie argentine requiert de réunir et d’organiser sa milice civile d’intellectuels pour que tous, unis, rendent le service dont elle a besoin. Par le témoignage de ce soir, je peux affirmer […] que l’intellectualité argentine est ferme et debout contre la dictature […] De ce côté-ci, il y a tout ce qui a de la valeur, avec les porte-drapeaux de la démocratie. De l’autre côté, il n’y a que d’impudiques scribes, l’écume, voire les déchets. La vraie intellectualité argentine, celle qui représente le plus dans les sciences, les arts, la littérature, la technique et les professions, est l’intellectualité de la démocratie12. »
11Lorsque Perón prend la tête du gouvernement, le Cles maintient la confrontation avec le gouvernement en place et les intellectuels qui le soutiennent. Entre le Cles et les universités, la complémentarité est brisée. La séparation du Cles avec le milieu universitaire se fait d’autant plus évidente que « parmi les 26 membres de la direction [du Cles] qui étaient des professeurs universitaires avant 1945, seulement quatre sont restés à l’université pendant la décennie péroniste » [Neiburg, 1998, p. 166].
12Deux étapes peuvent ainsi être distinguées dans le Collège : celle de 1930 à 1946, où il tisse un lien très étroit avec la faculté et se nourrit des figures intellectuelles et professeurs qui animent les enseignements universitaires dans un souci professionnel plus que politique ; et celle de 1946 à 195213, qui est caractérisée par une polarisation politique et un changement dans le corps enseignant. En philosophie, une brèche est créée, les professeurs qui sont en poste à l’université ne participent plus aux activités du Collège.
13Par ailleurs, le message de solidarité adressé par le Collège aux professeurs limogés de l’université visait aussi à consolider le Cles en bastion de l’opposition au gouvernement péroniste aussi bien que comme espace de formation alternatif à l’université. La mise sous tutelle des universités et l’intervention de l’État dans les affaires universitaires et intellectuelles, au lieu de désarticuler l’opposition politique, la consolident. Le Cles joue un rôle privilégié dans ce réseau alternatif. L’augmentation du nombre d’inscrits à partir de 1946 et un plus grand investissement de la part des professeurs à charge autorisait à rémunérer les activités d’enseignement jusqu’ici bénévoles14. Si le Collège n’assurait pas un poste stable, du moins il permettait de maintenir actif l’enseignement de ceux qui avaient été privés de leur chaire universitaire.
14De nombreux professeurs et intellectuels retranchés dans des circuits privés consolident le Cles comme un espace culturel et intellectuel alternatif à l’université. Ainsi, la fracture politique dans la société provoque l’émergence de deux circuits parallèles d’acquisition de légitimité dans le milieu intellectuel et académique argentin : l’un qui met en valeur les participations dans le Cles et d’autres institutions non rattachées à l’État ainsi que les séjours de formation à l’étranger pendant la période péroniste ; et l’autre qui, tout en valorisant les séjours internationaux de formation, donne la priorité aux activités universitaires développées durant la même période.
15Vers 1949, au moment de l’organisation du Congrès de philosophie, le Collège fait état d’un renouvellement générationnel dans ses cours. Nombreux sont ceux qui s’éloignent du Cles, quittant le pays pour des raisons politiques ou afin de poursuivre des formations et des expériences professionnelles à l’étranger. Le philosophe Aníbal Sánchez Reulet, par exemple, donne un dernier cours en 1947 avant de partir aux États-Unis, où, après l’obtention d’une bourse Guggenheim, il rejoint la division de Philosophie, Lettres et Sciences de l’Union panaméricaine. De même le philosophe Risieri Frondizi accepte de donner des cours à Porto Rico et aux États-Unis en même temps qu’il prépare son doctorat au Mexique. De nouveaux professeurs font leurs premiers pas au Collège : en philosophie, le jeune heideggérien Adolfo Carpio, ainsi que le philosophe de Córdoba, Adelmo Montenegro et le mathématicien Gregorio Klimovsky sont intégrés au Cles pour donner respectivement des cours de philosophie contemporaine allemande, de philosophie argentine et de logique. Des professeurs étrangers invités au Collège élargissent le panorama philosophique et renforcent les échanges internationaux. Le Cles tente alors d’ouvrir un horizon nouveau « organis[ant] une sorte de centrale philosophique américaine15 » – à laquelle Francisco Romero, depuis le Cles et la maison d’édition Losada, a fortement contribué. En effet, les collaborations des professeurs latino-américains au Cles sont régulières, puisque comme les membres le manifestent dans le numéro de la revue consacrée au Chili : « … nous ne concevons pas une Argentine insulaire mais continentale. Une Argentine grande dans une Amérique grande, avec toutes ses autres nations pleinement constituées et organisées16 ». Par exemple, le cours du philosophe et homme politique cubain Roberto Agramonte sur la philosophie cubaine s’ajoute à celui du philosophe polonais résidant au Chili, Bogumil Jasinowski, sur la philosophie grecque. Néanmoins, l’essentiel des cours repose sur le travail intensif d’une poignée de professeurs qui faisaient vraiment vivre l’institution. Entre 1947 et 1952, alors que les invités donnent rarement plus de deux cours annuels, Vicente Fatone organise seize cours consacrés à la philosophie orientale, au bouddhisme et à l’histoire des religions, sujets oubliés dans la FFyL de l’UBA, tandis que Francisco Romero assure la charge de vingt cours de philosophie contemporaine.
16Ce Collège, fondé dans les années 1930 dans l’objectif de surmonter les défaillances des universités, se consolide dans les années péronistes comme une institution extra-officielle et parallèle à l’université. En cela, le Collège incarne une instance de légitimation dans le champ intellectuel argentin qui est fortement en opposition au gouvernement péroniste et répugne à l’intromission de l’État dans les affaires universitaires.
17Mais alors, comment se répercutent les changements introduits par les politiques universitaires dans l’enseignement de la philosophie à l’université ?
Professeurs et courants philosophiques à l’université de Buenos Aires
18Dans les premières décennies du xxe siècle, des institutions universitaires et autres centres d’études et de recherche sont créés qui structurent institutionnellement l’espace académique et le professionnalisent. Ce processus va de pair avec un changement plus profond dans le milieu universitaire déclenché par la réforme de 1918 à Córdoba. Depuis lors, les statuts universitaires sont modifiés, permettant les élections des représentants pour le gouvernement et la participation étudiante, présentant le département d’extension universitaire pour tisser des liens entre les universités et la société, et instaurant la périodicité de la chaire. Dans les années 1920, s’accommodant à l’air du temps, les plans d’études et les programmes des cours sont également modifiés en même temps qu’un renouvellement générationnel permet l’accès aux chaires des premiers diplômés de philosophie [Buchbinder, 1997]. Depuis le clivage de la réforme, les études universitaires se réorganisent et la vie académique se professionnalise.
19À la faculté de philosophie et de lettres de Buenos Aires créée en 1896 vient s’ajouter celle de La Plata en 1920. Puis, l’espace philosophico-universitaire grandit avec la création du département de Philosophie à l’université de Tucumán (1936), plus tard devenu faculté ; la création de la faculté de philosophie de Cuyo, en 1939 ; à Córdoba, avec la création de l’Institut de philosophie tout d’abord (1934) et, ultérieurement, de la faculté de philosophie en 1946, puis celle de philosophie, lettres et sciences de l’éducation à l’université du Litoral en 1947. Par ailleurs, des initiatives privées comme la Société kantienne de philosophie, filiale argentine de la Kant Gessellschaft berlinoise créée en 1929 [Dotti, 1992], le Cles fondé en 1931 et, plus tard, la tentative de création de la première Société philosophique argentine (vers 1948), élargissent un réseau émergent d’institutions qui permet de consolider une pratique académique et professionnelle de la philosophie. Les années 1920 marquent un début d’institutionnalisation qui se consolide vers la moitié du xxe siècle. Ces institutions qui articulent la dynamique des échanges philosophiques sont pourtant perméables aux aléas politiques qui secouent le pays dans ces années et l’espace philosophique en Argentine se consolide dans une croissante politisation de l’activité intellectuelle, qui se répercute dans l’organisation de cet espace philosophique entre les universités et les académies privées.
20Les années de la réforme sont marquées par ailleurs par un renouveau spiritualiste. La visite en Argentine du philosophe espagnol José Ortega y Gasset en 1916 avait marqué les étudiants et jeunes professeurs de philosophie, réhabilitant la métaphysique et ouvrant un espace d’exploration de la pensée allemande. La philosophie kantienne prenait une nouvelle allure après le cours que José Ortega y Gasset avait donné à la faculté de philosophie sur la Critique de la raison pure [Dotti, 1992]. Le renouveau du corps professoral dans les années 1920 – dont la plupart sont diplômés de la faculté – et l’introduction de nouvelles lectures contrastent avec le positivisme dominant dans les premières années de la faculté où, de surcroît, une bonne partie des professeurs était issue de la faculté de médecine et de droit, les deux parcours traditionnels de la formation supérieure des élites. Vers la moitié des années 1920, la confrontation entre positivistes et antipositivistes tourne en faveur de ces derniers. Les lectures de Kant, Bergson, Gentile et Croce qui avaient ouvert de nouveaux horizons philosophiques prennent de plus en plus d’ampleur. Le professeur Alejandro Korn, qui après la réforme laissait derrière lui les années positivistes, et le professeur Coriolano Alberini contribuent depuis leur chaire et leur poste de direction à la faculté17 à l’introduction de nouvelles approches. Mais c’est la dénommée « génération de 1925 », formée lors de ce renouveau métaphysique et qui, depuis les années 1930, est en poste à l’université, qui scelle ce virage spiritualiste dans les études de philosophie à l’université.
21Comment se répercute alors la politique culturelle et éducative du péronisme dans la faculté et dans les études de philosophie ?
22Le spiritualisme et le retour de la métaphysique permettaient par ailleurs une entente, contre le positivisme, entre des approches métaphysiques laïques et catholiques de la philosophie qui prennent de l’ampleur au sein des universités, mais qui se confrontent ouvertement aux années 1940 et en particulier au Congrès national de philosophie de 1949.
23Lors de la mise sous tutelle des universités de 1943 à 1945, des recteurs incarnant les valeurs catholiques avaient été placés à la tête de la faculté de philosophie, comme cela avait été le cas lors de la mise sous tutelle en 1930. Lorsque le gouvernement décide de normaliser les universités, les réformistes regagnent leur place. À l’université de Buenos Aires, Horacio Rivarola emporte les élections et José Oría est nommé doyen de la faculté de philosophie. Au sein de la faculté, la rivalité avec les positivistes est désormais loin et le conflit entre les étudiants réformistes et laïques et les secteurs catholiques conservateurs prend le dessus. Dans les mois qui suivent la normalisation, les étudiants demandent la suspension des professeurs de confession catholique : Diego Molinari, Juan Ramón Sepich et Alberto Baldrich, et ils exercent la pression nécessaire, mais sans y parvenir, pour que le prélat et philosophe Octavio Derisi ne soit pas nommé comme professeur intérimaire de la chaire d’histoire de la philosophie antique et médiévale [Buchbinder, 1997, p. 158].
24La faculté vit au rythme des tensions du pays. Or, suite à la suspension des cours décrétée par le gouvernement et l’occupation étudiante qui s’ensuit en 1945, une nouvelle mise sous tutelle est décrétée début 1946. À l’université de Buenos Aires, le Dr Oscar Ivanissevich est désigné recteur et à la faculté de philosophie et de lettres est nommé le doyen Enrique François, qui, conseiller universitaire dans les années 1930, dénonçait auprès des autorités les activités des étudiants réformistes. C’est pendant leur gestion que treize professeurs sont licenciés dans la FFyL de l’UBA et quinze autres présentent leur démission, en plus de l’exécution de quelques retraites d’office [Buchbinder, 1997, p. 161].
25Parmi les professeurs exclus, se trouvent des professeurs actifs dans le milieu universitaire intellectuel liés aux cercles antipéronistes, réunis autour de la Sade, de la revue Sur et du Cles. Avec leur départ, de nombreux postes – des titulaires aux travaux dirigés – deviennent vacants. Dans le parcours de philosophie à l’UBA, les expulsions signifient le départ du professeur Jacinto Cuccaro, qui était chargé du cours de philosophie contemporaine, du professeur Francisco Romero, qui occupait la chaire de gnoséologie et métaphysique depuis 1936, de Lidia Peradotto, première femme à accéder à la chaire de philosophie à l’UBA et de Sansón Raskovsky, tous les deux exerçant dans la chaire de logique, ainsi que l’éloignement du professeur León Dujovne, qui était chargé du cours de psychologie et des travaux dirigés d’histoire de la philosophie contemporaine. Ces postes vacants, ainsi que celui de Coriolano Alberini, parti pour des raisons de santé à la même période, les portes sont ouvertes pour que des professeurs diplômés de cette même faculté accèdent à la chaire. Les postes vacants sont pris par des professeurs qui accèdent pour la première fois à la tête de la chaire, qualifiés de professeurs flor de ceibo par les professeurs limogés18. Pourtant, ce ne sont pas de nouveaux arrivants, le vide laissé par les professeurs partants au contraire permet un renouvellement générationnel et une ascension dans la hiérarchie de la chaire universitaire aux professeurs qui étaient déjà en poste au sein de la chaire19. Lors de la mise en place de la loi universitaire de 1947, ces jeunes professeurs sont titularisés. Ainsi, le cours d’histoire de la philosophie moderne et contemporaine en 1948 est assigné à Carlos Astrada en tant que professeur titulaire, et en 1949 à Miguel Virasoro, tous les deux ayant été professeurs adjoints quand Jacinto Cuccaro en était le professeur titulaire. La chaire de gnoséologie et métaphysique, où Francisco Romero avait exercé son magistère entre 1931 et 1946, est attribuée en 1947 à Carlos Astrada et, à partir de 1949, Rafael Virasoro est nommé professeur adjoint. Angel Vassallo prend en charge la chaire d’introduction à la philosophie et, en 1948 remplace Luis J. Guerrero qui, bien que séparé de la chaire d’éthique, conserve son poste dans la chaire d’esthétique. Dans les chaires de psychologie et de logique, deux professeurs, Luis García de Onrubia, professeur à l’université de Cuyo, et Horacio Schindler, professeur à l’université de La Plata, regagneront l’UBA.
26Par ailleurs, en 1947, Carlos Astrada prend la direction de l’Institut de philosophie de la faculté, un espace stratégique pour affirmer et légitimer sa place récemment acquise et contribuer à donner un virage dans les études de philosophie.
27Avec le basculement que signifiaient les expulsions des professeurs, la nouvelle loi universitaire et l’appel à concours pour les chaires, tandis que commence timidement l’organisation d’un congrès argentin de philosophie à Cuyo de la main des secteurs catholiques liés au prélat et philosophe Juan Ramón Sepich, la faculté devient un champ de bataille. C’est alors qu’Homero Gugliemini écrit à Carlos Astrada pour l’alerter du fait que « si nous savions tirer profit des circonstances actuelles, nous serions en excellentes conditions pour que ceux qui partagent nos principes réussissent à fixer une orientation définitive20 ». Cette orientation se verra plaquée dans un projet de modernisation des études de philosophie suivant lequel on crée au sein de l’Institut de philosophie une section consacrée à la psychologie, sous la direction de García de Onrubia et une section d’esthétique, sous la direction de Luis Juan Guerrero. L’influence de Carlos Astrada dans l’orientation donnée aux études de philosophie de l’UBA est décisive pour fixer la nouvelle orientation des études et déterminer les professeurs à charge des cours. Après les auditions pour le concours de la chaire de psychologie, García de Onrubia lui adresse une lettre :
« Par communication téléphonique avec M. Schindler, j’ai appris que j’ai été placé en tête de liste pour la terna21 de psychologie à Buenos Aires. Je sais – et je ne l’oublierai pas – que votre action a été décisive pour cette victoire […] Demain le recteur de la faculté de philosophie et de lettres de Mendoza voyage à Buenos Aires. Je voudrais vous prévenir, car il pourrait influencer certaines personnes contre moi. Ce n’est pas que nous aurions un problème personnel, mais il a des affinités confessionnelles avec certains des professeurs déplacés22. »
28Par ailleurs, en 1948 un nouveau plan d’études de philosophie est mis en place et quelques concours aux chaires se confirment qui signent définitivement les transformations et la nouvelle orientation dans la FFyL. Les professeurs de philosophie et prélats Octavio Derisi et Juan Ramón Sepich quittent la chaire d’histoire de la philosophie antique et médiévale de Tomás Casares. En effet, la coexistence dans la faculté du groupe réuni autour de l’Institut de philosophie et des professeurs de tendance « confessionnelle » – pour reprendre les mots de García de Onrubia –, liés au cours de culture catholique, tourne à la confrontation explicite et l’enseignement du secteur le plus traditionnel et thomiste se voit limité au cours d’histoire de la philosophie antique et médiévale et aux cours de langue et culture grecque et latine. Par ailleurs, la suppression de certains cursus comme la biologie, la psychologie expérimentale et l’histoire des sciences implique l’éloignement des chaires dans la FFyL de Marcos Victoria, Juan Ramón Beltrán et Osvaldo Loudet. Or, si le corps enseignant se renouvelle, quelles transformations apporte la nouvelle maquette du plan d’études et qu’en est-il des contenus des cours ?
29Depuis sa fondation, les études à la FFyL ont la volonté de réaliser une formation intégrale dans les humanités et le faible degré de spécialisation disciplinaire était revendiqué comme un atout [Buchbinder, 1997]. Le plan d’études réformiste connaît certaines modifications par la création de cursus plus spécialisés qui distinguent les trois parcours proposés par la faculté : philosophie, histoire et lettres, distinction qui se poursuit dans les années postérieures. Si dans les années 1920 un seul cursus était consacré à l’histoire de la philosophie, vers la moitié des années 1930, l’histoire de la philosophie est dédoublée en histoire de la philosophie antique, médiévale et contemporaine. D’une durée de cinq ans, organisé par année, le plan d’études demeure dans un esprit de formation classique. Encore en 1943, la maquette prévoit une première année commune aux trois sections de la faculté avec des cours introductifs à chacune de ces disciplines, en plus d’un premier niveau de latin et de grec. La deuxième année, les cours se diversifient. Au deuxième niveau de langues anciennes s’ajoutent le cours de littérature moderne, le cours d’histoire de la philosophie antique et du Moyen Âge, le cours de biologie, celui de psychologie expérimentale et enfin celui de physiologie. Ces trois derniers cursus héritent de la tradition positiviste qui prédominait dans les études philosophiques jusque dans les années 1920. La troisième année est composée du cours d’histoire de la philosophie moderne, et les cours de psychologie, de logique, du troisième niveau de latin et de grec. La quatrième année se poursuit avec le cours d’histoire de la philosophie contemporaine, de sociologie, d’esthétique/histoire de l’art ou un cours optionnel de la section d’histoire ainsi que par un quatrième niveau de langue latine et grecque. Finalement la dernière année, plus spécialisée, était composée du cursus de gnoséologie et métaphysique, d’éthique, d’épistémologie et histoire des sciences et d’histoire des religions, ou bien du cours de la section d’histoire : l’histoire de l’Antiquité et du Moyen Âge. À la fin de cette cinquième année d’études, et après la préparation d’une thèse, était délivré le diplôme de docteur en philosophie et lettres. Ce plan d’études de 1943, très peu modifié par rapport à celui des années 1930, met en évidence le fait que les études de philosophie étaient fortement inspirées d’une formation classique et de caractère humaniste.
30La nouvelle maquette présentée en 1948, pour sa part, cherchait à réduire les cours obligatoires de la dernière année pour encourager la recherche au sein des instituts de la faculté. C’est l’occasion aussi de revenir sur un ancien projet et de supprimer les matières héritées de la période positiviste. En effet, dans le nouveau plan d’études, le cours de biologie et ceux de psychologie expérimentale et de physiologie pour lesquels le diplôme de médecin était requis, de même que le cours d’épistémologie et histoire des sciences sont supprimés. À leur place sont créés un deuxième cours de psychologie et un cours de perfectionnement en philosophie qui va être assuré par le prêtre Hernán Benítez. Cela ne va pas sans conflits au sein de l’Institut de philosophie et méritera que plus tard, Astrada, répondant à une lettre du doyen Federico Daus, lui suggère certaines modifications de la maquette, notamment :
« 6.– Concernant la structure de la section de philosophie, je pense qu’il faut supprimer le cours de perfectionnement qui n’a aucune raison d’être et introduire des cours tels que philosophie de l’histoire, histoire des idées morales et politiques, un cours de grec philosophique et un autre d’allemand philosophique […] En plus de l’introduction d’une année préparatoire avec les cours de latin et grec et d’anthropologie philosophique23. »
31Par ailleurs, le nouveau statut de la loi 13 031 prévoit la création du poste de professeur titulaire à temps plein dont Carlos Astrada est l’un des premiers professeurs à bénéficier à partir de son implémentation en 194924.
32Concernant les contenus des cours, suivant les programmes, en lignes générales la philosophie allemande et en particulier la philosophie kantienne conservent une place privilégiée depuis les années 1920. Les thématiques liées à l’idéalisme allemand de Hegel, mais aussi les lectures de Schopenhauer et de Bergson introduites au tournant de ces années sont toujours d’actualité. Suivant les programmes des cursus, on observe que les contenus des cours changent peu et très lentement. Certes, le renouvellement des professeurs et le rôle joué à la direction de l’Institut de philosophie par Carlos Astrada permettent d’amplifier de nouveaux courants en vogue. Alors que l’ancien professeur de philosophie contemporaine, Jacinto Cuccaro, consacrait une bonne partie de ses enseignements à la philosophie italienne et notamment à la diffusion de la pensée de Gentile, et Francisco Romero, qui avait été professeur de gnoséologie et métaphysique, se consacrait à la philosophie de Nicolai Hartmann et Wilhelm Dilthey, depuis l’accès à la chaire de Carlos Astrada, l’existentialisme prend le dessus, et en particulier par la philosophie de Martin Heidegger. De fait, Carlos Astrada avait été disciple de Martin Heidegger à Fribourg, il se charge de diffuser les enseignements de son maître allemand depuis la chaire de philosophie contemporaine, mais également depuis la revue Cuadernos de Filosofía qu’il fonde à l’Institut de philosophie où sont publiés des textes inédits en espagnol du philosophe allemand. D’autre part, l’existentialisme français fait son entrée dans les programmes de cours de manière plus timide avec Angel Vassallo, qui réalise la première traduction de L’Être et le Néant de Jean-Paul Sartre en 1948, publiée par Ibero-Américana.
33Par ailleurs, dans les cours d’esthétique, Luis Juan Guerrero commence à introduire des points du programme sur l’esthétique des idées en Argentine. Ceux-ci étaient plus développés dans un séminaire à l’Institut de philosophie que dans les heures du cours régulier et abordaient des auteurs argentins du xixe siècle comme Sarmiento, Alberdi ou Echeverría. L’introduction de ces lectures et ces auteurs n’est pas sans intérêt à un moment où sont abordées timidement les interrogations sur la philosophie américaine, menées en particulier par Franciso Romero et les groupes des philosophes au Mexique sous l’autorité du philosophe espagnol José Gaos. Dans la FFyL, la formation universitaire fortement dominée par l’apprentissage des classiques de la philosophie universelle, notamment européenne, laisse peu de place à la lecture et l’étude des productions nationales et régionales aussi bien qu’à l’analyse de sa réception. De fait, la section de philosophie, à la différence de la section de lettres ou d’histoire ou du cursus d’histoire et de littérature latino-américaine et argentine inclus dans la maquette, ne consacre pas un cursus à la pensée argentine, latino ou ibéro-américaine. Pourtant, cela semble être une demande régulière des étudiants. En 1942, la revue du centre d’étudiants de la FFyL, Verbum, soulignait qu’il est « dommage que cette année, ayant trois cours d’histoire de la philosophie […] il ne soit même pas consacré un misérable espace à la philosophie argentine25 ».
34En 1952, lors d’une nouvelle modification du plan d’études, le cours de perfectionnement en philosophie est supprimé, auquel est substitué le cours d’histoire de la pensée et de la culture argentines26, commun aux trois sections. D’autres changements suivront, dont la création de la chaire de philosophie de l’histoire, celle d’anthropologie philosophique, qui perdureront au-delà de la période de l’université péroniste.
35L’arrivée du gouvernement péroniste impacte le milieu universitaire par la désignation des nouvelles autorités et le renouvellement forcé du corps enseignant, mais ne représente pas un clivage dans les contenus impartis. Quant à l’attitude des professeurs dans leurs chaires, Noé Jitrik, alors étudiant à la faculté, se rappelle que « il se peut que tous les professeurs […] aient une légère crainte et culpabilité en raison du pacte qu’ils avaient célébré d’une certaine manière pour survivre, et cela se traduisait dans une relation avec les étudiants qui n’était pas castratrice27 ».
36Par contre, dans l’organisation de l’espace philosophique se cristallisent certaines confrontations. D’une part, on constate dans le milieu universitaire les mêmes clivages politiques que dans l’espace intellectuel dans son ensemble. Il s’opère une séparation marquée entre les chaires universitaires et les espaces autonomes et privés d’études et de production intellectuelle, qui s’étaient développés jusqu’alors en parallèle et en complément. Le Cles se consolide ainsi, sans s’y substituer, comme espace alternatif à l’université. En 1946, le philosophe Francisco Romero affirmait que c’est bien dans les échanges personnels et dans l’activité autonome que se développent la culture et le savoir moderne :
« En général, la culture moderne se conçoit en dehors des universités, sous leur regard suspicieux, dans l’activité autonome et le plus souvent inquiète des sages et d’hommes de lettres, dans le fréquent échange personnel et épistolaire ; dans les académies les vrais sièges du nouvel esprit28. »
37Cette première rupture dans l’espace philosophique génère un regard méfiant et critique vis-à-vis de l’enseignement universitaire qui va être perçu, notamment par les exclus des chaires, comme un espace en décadence et moyenâgeux. L’image d’une université sous le contrôle de groupuscules intellectuels catholiques et contre-réformistes qui auraient entravé la modernisation des études supérieures [Halperín Donghui, 1962 ; Sigal, 1996] devient dominante lors de la Revolución Libertadora.
38Comme le signale Neiburg [1998], suite au coup d’État de 1955 contre le gouvernement de Juan Domingo Perón, le fait d’avoir eu une active participation dans le Cles pendant les années péronistes est un atout et ne pas avoir occupé une chaire est un prérequis pour se présenter aux concours universitaires. Non seulement le travail mené dans le Collège sera reconnu académiquement, mais il sera encore considéré comme un marqueur d’intégrité intellectuelle dès lors que la Revolución Libertadora, après le putsch militaire contre le gouvernement péroniste de 1955 met à exécution son plan pour « dé-péroniser » l’université. L’espace philosophico-académique repose encore une fois sur un clivage politique qui réaffirme deux circuits distincts de légitimation académique.
39Certes l’hispanisme et le catholicisme étaient présents à l’université et se reflètent dans la publication dirigée par Hernán Benítez, la Revista de l’Universidad de Buenos Aires. Or, suivant brièvement le plan d’études et les programmes, on peut constater que l’Institut de philosophie de l’UBA, loin d’être pris dans ce courant, offrait un espace dynamique qui ouvrait au débat et à la confrontation philosophique.
40De fait, au sein de l’université se livre une confrontation entre les philosophes catholiques et les philosophes existentialistes qui se répercute dans un partage de l’espace universitaire argentin et qui articule le déroulement du Congrès national de philosophie. Alors que les catholiques intégristes s’éloignent de la chaire philosophique de Buenos Aires, dans d’autres universités la tendance est à l’opposé. Rejoignant les chaires d’enseignement néo-thomiste comme celle que Nimio de Anquín détenait à Córdoba, Octavio Derisi trouvera son poste de philosophie à l’université de La Plata où César Pico et Juan Ramón Sepich, après un séjour proactif à Cuyo, le suivront.
41Ainsi, à la faculté de philosophie de l’université nationale de Cuyo (UNCu), la tendance semble aller à l’opposé. D’après les mémoires du professeur de philosophie à Cuyo, Diego Pró29, le plan d’études à Mendoza, contrairement à Buenos Aires, en 1947, est modifié et favorise un enseignement traditionnel et scolastique. Cette année, Juan R. Sepich prend le poste de professeur dans la chaire de gnoséologie et métaphysique, dans celle d’histoire de la philosophie de l’Antiquité et du Moyen Âge et dans celle d’histoire des religions. De surcroît, il assume la direction de l’Institut de philosophie à l’UNCu, d’où il commence à préparer un congrès argentin de philosophie. La faculté de philosophie à l’UNCu, qui avait été créée en 1939 sous l’emprise des professeurs de Buenos Aires, prend radicalement ses distances de l’UBA en 1947. Le congrès qui commence à être organisé à Cuyo devient alors une scène de conflit majeure pour indiquer le chemin à suivre à la philosophie argentine.
Notes de bas de page
1 Neiburg [1998] indique parmi les premiers mécènes du Cles Miguel Miranda, qui entre 1946 et 1949 sera le ministre de l’Économie du gouvernement de Juan Domingo Perón et l’industriel Torcuato Di Tella, dont le fils fondera en 1958 l’Institut Di Tella, centre d’études et artistique d’excellence, en hommage à son père.
2 Cles, Veintidós años de labor 1930-1952, Buenos Aires, 1953, p. 32.
3 Cles, Quince años de labor 1930-1945, Buenos Aires, 1946, p. 20.
4 Discours prononcé lors du 10e anniversaire du Cles, le 5 juin 1940, reproduit dans Cles, Veintidós años…, op. cit., p. 34.
5 « Inauguración de la filial de Bahía Blanca », Cursos y conferencias, nos 7-8-9, oct.-nov. 1941, p. 982.
6 Cles, Veintidós años…, op. cit., p. 30.
7 Ibid., p. 39.
8 Voir tableau en annexe no 2, p.175.
9 « Vida del colegio », Cursos y conferencias, n° 163, oct.-nov. 1945, p. 53.
10 « Declaración con motivo de la exoneración de profesores secundarios », publié dans Cles, Veintidós años…, op. cit., p. 33.
11 Chronique de La Nación du 14 février 1946 reproduit dans Cursos y conferencias, n° 168, mars 1946, p. 293.
12 « Discurso de Luis Reissig », Cursos y conferencias, n° 168, mars 1946, p. 294.
13 En 1952, la filiale la plus importante du Cles, celle de Buenos Aires, est fermée par la police fédérale faute d’avoir obtenu l’habilitation obligatoire accordée par le Bureau des réunions et des œuvres publiques. Cf. Neiburg, 1998.
14 Cles, Quince años…, op. cit., p. 9.
15 Ainsi s’exprime Francisco Romero faisant mention de la chaire de philosophie Alejandro Korn dans le Cles : voir Cles, Veintidós años…, op. cit., p. 12.
16 Cursos y conferencias, nos 127-128-129, oct.-nov. 1942, p. 2.
17 Le médecin psychiatre et philosophe Alejandro Korn est doyen de la faculté de philosophie et de lettres de l’université de Buenos Aires de 1919 à 1921. Lui succèdent l’historien Ricardo Rojas et, plus tard, le philosophe spiritualiste Coriolano Alberini, qui sera le premier diplômé de la faculté à accéder à ce poste de 1925 à 1928, puis de 1931 à 1932 et de 1936 à 1940.
18 Le nom de la fleur nationale vient signaler que leur recrutement était le résultat de leur adhésion au péronisme plutôt que de leurs qualités intellectuelles et académiques. De fait, au-delà des critères académiques pour rester ou accéder aux postes à l’université, était requise l’adhésion au parti péroniste.
19 Voir tableau en annexe no 3, p. 178.
20 Correspondance de Carlos Astrada. Fonds privé, Buenos Aires, lettre de Homero Guglielmini à Carlos Astrada, 2 novembre 1947.
21 Ensemble de trois candidats qui concourent à un poste.
22 Correspondance de Carlos Astrada. Fonds privé, Buenos Aires, lettre de García de Onrubia à Carlos Astrada, 8 avril 1947.
23 Correspondance de Carlos Astrada. Fonds privé, Buenos Aires, lettre de Carlos Astrada au doyen de la FFyL, Federico Daus, 31 juillet 1950.
24 L’autre poste à temps plein créé aussi en 1949 est attribué à José Imbelloni, professeur titulaire de la chaire d’anthropologie et d’ethnologie générale.
25 Centro de Estudiantes de la FFyL, Verbum, nos 2-3, 1942, p. 84.
26 En 1959, il disparaît de la maquette d’études en philosophie.
27 « Experiencia, memoria y reflexión sobre la Facultad » [entretien de Carlos Dámaso Martínez avec Noé Jitrik], Espacios de crítica y de producción, nos 19-20, nov.-déc. 1996.
28 F. Romero, « Sobre sociología de la Filosofía » [1946], dans Filosofía de ayer y de hoy, Madrid, Aguilar, 1960, p. 271.
29 Cf. Universidad Nacional de Cuyo, Memoria histórica de la Facultad de Filosofía y Letras (1939-1964), Mendoza, 1965, p. 294-408.
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