Chapitre 4. 1945-1948 : la légalité, temps d’égalité
p. 105-130
Texte intégral
De l’incidence des milieux particuliers à l’organisation collective
« Pequenina, doce menina
Teu pai é nosso, nosso irmão e guia
Nós te queremos, voltarás um dia!… »
« Petite, douce enfant,
Ton père est nôtre, notre frère et notre guide,
nous t’aimons, nous te voulons, un jour tu reviendras. »
[Amado Janaína (dir.), 2010, p. 374.]
1Ce poème fut prononcé par Zélia Gattai, l’épouse de Jorge Amado, lors d’un comice qui se tint à Lapa (RJ) en 1945. Jacínta Passos l’avait écrit pendant la période où elle consacrait sa poésie à des thématiques politiques. Il y est fait référence à Anita Leocádia Prestes, la fille alors unique de Luiz Carlos Prestes, qui rentrerait au Brésil quelque temps plus tard.
2Mariée à James Amado (frère de Jorge) depuis peu, Jacínta Passos fréquentait depuis le début des années 1940 les écrivain.e.s et intellectuel.le.s lié.e.s au Parti communiste. En tant que femme lettrée, elle écrivit dès 1942 dans le journal bahianais O Imparcial de nombreux articles sur l’avancement de la guerre, contre le fascisme, et sur l’organisation des femmes de la LBA. À partir de 1945 et pendant toute l’année suivante, elle dédia ses activités journalistiques au périodique communiste O Momento, et ses textes s’orientèrent vers la défense des programmes du PCB ; elle rédigea des discours et accorda des interviews sur ses positions politiques, comme au sujet de l’organisation possible de l’autonomie municipale, mais aussi sur la participation des femmes à ce mouvement. L’une de ses interviews, intitulée « Só unidas as mulheres resolverão seus problemas » (« Les femmes ne résoudront leurs problèmes qu’unies ») commentait « l’intérêt croissant [des femmes] pour les événements politiques ». Elle y relatait avoir observé « à São Paulo, à Curitiba, à Porto Alegre, à Rio […] un grand nombre de femmes qui se rendirent aux urnes pour voter aux dernières élections », se référant à celles du 2 décembre 1945 pour l’Assemblée constituante et pour le choix du président de la République. Et poursuivait en affirmant que les femmes « participèrent activement à la campagne électorale, furent présentes pendant les travaux d’organisation des partis, aux comices, dans les journaux, parmi les listes de candidats ». Jacínta Passos interprétait ce mouvement comme la démonstration du fait que « les femmes, au Brésil [étaient] en train d’acquérir une plus grande conscience politique » et, en tant que militante s’appropriant la rhétorique communiste, précisait que ce phénomène était, à ses yeux,
« […] le résultat d’un surgissement démocratique qui permit une mobilisation effective de tous les secteurs progressistes et révolutionnaires du peuple. La femme, et surtout la femme ouvrière [prenait] conscience de sa condition, et elle [comprenait] qu’il n’[avancerait] à rien de lutter seule pour résoudre ses problèmes fondamentaux » [Amado Janaína (dir.), 2010, p. 292].
3Pourtant, avant même de commenter le contenu de ces arguments, l’on peut remarquer que toutes les femmes militantes n’occupaient pas une place de notoriété telle qu’elles puissent rédiger des discours et des chroniques. Jacínta Passos jouissait du prestige de ses publications poétiques antérieures et bénéficiait de réseaux dont la réputation dépassait les cercles communistes et irradiait le milieu culturel et politique au sens large. Elle avait participé au premier Congrès des écrivains, au début de 1945, qui rassemblait plusieurs tendances idéologiques et pendant lequel un manifeste défendant la liberté d’expression et la démocratisation du pays avait été approuvé. Éneida de Morais comptait également parmi les participant.e.s, parmi lesquels quelques femmes seulement1. Toutes deux mirent leurs compétences linguistiques au service du PCB et furent décrites comme des oratrices convaincantes. De la même manière, Ana Montenegro travaillait au sein du journal O Momento comme rédactrice. Arcelina Mochel, avocate, dirigea la revue Continental et prononça diverses allocutions lors de comices. Ainsi, ces femmes de l’élite, lettrées, réalisaient au sein du PCB des tâches non négligeables, puisque l’image de ce dernier dépendait partiellement de celle qu’elles-mêmes véhiculaient ; de plus, elles s’exprimaient sur des sujets qui touchaient au programme même du parti, mais aussi sur le thème de la participation des femmes.
4On observera que les activités de ces militantes ne dépendaient pas immédiatement de leur qualité de femme. L’appel du parti à ces dernières et les conditions exposées dans la première partie avaient facilité leur adhésion, mais c’est en tant qu’intellectuelles, artistes ou diplômées de l’enseignement supérieur qu’elles participèrent à ces différentes tâches de légitimation idéologique du PCB. Or il faut rappeler ici que « ce fut probablement parmi l’intelligentsia que le Parti obtint la plus grande influence, contrôlant diverses revues et publications, tout comme des entités culturelles » [Felipe Victor Lima, 2010, p. 92].
5Cependant, non seulement ces femmes exerçaient alors des activités semblables à celles des intellectuels hommes (bien qu’elles fussent moins nombreuses que ces derniers dans ces attributions), mais, de ce fait, elles se rapprochaient aussi plus de ceux-là que des autres militantes.
6De fait, si l’on observe les situations d’autres femmes de la cohorte étudiée, la différence est flagrante. Nous prendrons par exemple le cas d’Odila Schmidt, qui avait approché le PCB dans les années 1930 du fait de son implication dans les luttes syndicales, et dont la fiche de police rend compte de la continuation de ces dernières entre 1945 et 1947. Que devient cette militante dans le contexte des relations entre le PCB et les syndicats pendant ces deux années ?
7Si, dans la première décennie de l’existence du PCB, l’accent était mis sur le développement des organisations de travailleurs, les priorités changèrent pendant la période de légalité du parti. La création, sous l’égide du PCB, du Mouvement unitaire des travailleurs (Movimento unificador dos trabalhadores, MUT), qui revendiquait la formation d’une Confédération générale des travailleurs brésiliens (Confederação geral dos trabalhadores brasileiros, CGTB) démontre malgré tout l’intérêt porté à ces organisations. Mais « comme cela se passait au niveau de la politique nationale, l’action du Parti dans le milieu ouvrier fut aussi très modérée, cherchant à éviter l’éclosion de grèves et d’agitations qui pussent porter préjudice à l’“union nationale”, objectif premier du PCB dans l’après-guerre » [Martins Rodrigues Leôncio, 1986].
8Malgré cela, lors du Congrès syndical des travailleurs brésiliens en septembre 1946, le MUT fut remplacé par la CTB (Confederação dos trabalhadores brasileiros) dans le but de contrer les politiques menées par le ministère du Travail. Odila Schmidt participa à cette rencontre, en tant que représentante du Syndicat des travailleurs des entreprises téléphoniques de Rio de Janeiro, et aurait été élue membre de la direction de l’Ustde2 entre cet événement et la fin de l’année 19463. Pourtant, Odila Schmidt avait été arrêtée le 31 mai 1946, sous le chef d’accusation d’être l’une des « principales responsables de la grève des travailleurs de la Light4 ». D’après le même document de la police, Odila et Cristolina Xavier auraient été les seules femmes à y participer. Ainsi, malgré les directives nationales, des grèves eurent bien lieu durant cette période et Odila Schmidt compta parmi leurs instigateurs et instigatrices. Elle maintint ses activités syndicales et devait donc côtoyer des hommes au statut équivalent au sien (rappelons qu’elle était célibataire et n’avait pas d’enfant, étant donc relativement plus libre que d’autres de ce point de vue). Elle milita au parti en tant qu’ouvrière, se distinguant donc d’autres femmes communistes.
9Renée France de Carvalho arriva quant à elle au Brésil en décembre 1946, avec un enfant en bas âge, son fils René, et enceinte d’un second. Elle ne parlait pas portugais. Son mari, Apolônio de Carvalho, membre important du PCB, revenait de l’Europe en héros5. Il circula pendant un mois dans l’État de Mato Grosso pour prendre la parole lors des comices, tandis qu’elle-même, retenue par sa condition de mère, restait dans la maison de la mère de son époux, entourée de la famille de celui-ci. Après un déménagement à Rio apparut la militante analphabète Xandoca, évoquée au chapitre 1. Selon Renée France de Carvalho, Xandoca fut envoyée par le parti, grâce à un contact de l’une des sœurs de Luiz Carlos Prestes, pour l’aider dans ses tâches domestiques. Ainsi les deux femmes géraient-elles la maison et les enfants, la première en tant qu’épouse d’un cadre du PCB, la seconde, probablement célibataire, pour l’assister dans ses tâches. La situation de Lígia Reis, mariée à un autre membre important du PCB, Dinarco Reis (qui avait également combattu le franquisme en Espagne et était lui aussi rentré de France, où il s’était ensuite installé), semble avoir été comparable à celle de Renée France de Carvalho. L’aide qui lui fut envoyée par le parti avait le visage de Raquel Berta Gleizer, « autre Xandoca ». Mais Raquel travaillait aussi dans un « local du parti », un appartement (ou une maison) qu’elle entretenait et où résidaient occasionnellement des familles communistes ou des membres du parti en déplacement à Rio.
10Ainsi, bien que nous n’ayons pas décrit ici toutes les militantes, on remarquera que chacune exerçait ses activités militantes selon sa situation familiale, sociale et professionnelle. Quelles que fussent les relations de genre dans chacun de ces milieux, celui dans lequel elles évoluaient marquait leurs pratiques peut-être plus que leur seule qualité de femme. En revanche, la division genrée des attributions paraît plus marquée entre les membres de la direction du PCB et leurs épouses.
11Cependant, dans ce contexte, et malgré ces différences, on relèvera qu’existait une coopération entre elles cette fois par le fait que, en tant que femmes, elles partageaient un certain nombre de préoccupations communes, nonobstant les écarts qui les distinguaient. Renée France de Carvalho et Xandoca, malgré leurs conditions sociales éloignées, collaboraient dans l’accomplissement de ce qui était considéré comme des tâches féminines, et la première raconte qu’elles avaient l’habitude d’échanger sur les différences de la condition des femmes en France et au Brésil. Bien que leurs situations sociales fussent cette fois semblables, Lígia Reis, qui avait deux enfants, représentait un soutien pour Renée France de Carvalho – ce qui permet au moins d’argumenter en faveur d’une certaine solidarité entre elles. Par ailleurs, et cela montre des connivences entre des femmes du PCB de milieux distincts, au moment d’accoucher de son deuxième fils, Renée France de Carvalho bénéficia du concours d’Arcelina Mochel (avocate et ancienne directrice d’une revue) et surtout de sa sœur, qui était gynécologue.
12Cela représente toutefois de bien maigres indices pour témoigner de points communs entre les femmes étudiées. En réalité, ce qui nous intéresse plus ici est le fait que toutes intégrèrent des cellules militantes, des « organismes de base », et qu’une grande partie d’entre elles contribuèrent à en créer de nouvelles, souvent spécifiquement féminines – ce qui confirme les mots de Jacínta Passos cités plus haut, selon lesquels les femmes étaient très actives. Jacínta Passos elle-même, selon le récit de Janaína Amado, fut une militante active ; elle organisait des cellules, apparaissait aux réunions et aux manifestations, et était loin de se contenter d’écrire et de publier ses textes. De la même manière, les intellectuelles qui tournaient déjà autour du PCB et de la FBPF dans les années 1930 renouvelèrent leur ardeur durant la période d’« union nationale ». Le Dictionnaire des femmes du Brésil indique ainsi que Maria Werneck Castro, dont nous avons peu parlé jusqu’à maintenant, s’affilia officiellement au PCB en 1945, et qu’elle eut « une participation notable dans l’organisation de comités dans les quartiers de la ville de Rio de Janeiro » [Schumaher Schuma et Vital Brazil Érico, 2000, p. 481]. Dans la fiche biographique que consacra Antonieta Campos da Paz à Éneida de Morais, on apprend que, « avec le processus d’ouverture politique initié en 1945 [celle-ci] se mit à participer activement comme militante du PCB […]. Avec le décret sur l’amnistie en avril de la même année, elle commença à organiser les mouvements féministes et diverses cellules du PCB dans le District fédéral » [Amorj, col. Antonieta Campos da Paz]. Bien sûr, la dénomination « mouvement féministe » ne fut donnée qu’a posteriori, et tout indique qu’Antonieta Campos da Paz rédigea ces biographies beaucoup plus tard, quand elle sentit la nécessité d’enregistrer la mémoire de ces années. Mais cette expression est compréhensible si l’on considère que l’activité des femmes dans les cellules mixtes du parti se doublait de la mise en place de cellules spécifiquement féminines, se confondant aussi peut-être avec les organisations de femmes issues de la mobilisation des années précédentes (liée à la guerre), qui maintenaient leurs réseaux sans dépendre directement du PCB.
13Renée France de Carvalho et Xandoca assistaient également aux réunions de militant.e.s : la première raconte qu’« une fois par semaine, après le dîner, [elles] se [rendaient] à la réunion du parti » [Almeida Gomes Viana Marly (de) et alii, 2013, p. 109]. Eloíza Prestes, dont on a dit qu’elle était une des sœurs du communiste Luiz Carlos Prestes, aurait été secrétaire de la cellule José Ribeiro Filho et aurait travaillé autour de « l’organisation des femmes dans leur lutte contre l’inflation et le marché noir6 ». Rappelons qu’Odila Schmidt aurait intégré à la même période la cellule Tiradentes. De la même manière, Idéalina Fernandes Gorender faisait partie de la cellule Auguste Élise, qui fonctionnait dans la rue même où elle habitait. Là s’organisait la propagande des campagnes pour l’Assemblée constituante, pour la paix (au moment de l’appel de Stockholm), etc. Idéalina narra la distribution de tracts, les collages et les tags dans la rue, et affirma que toutes ses sœurs prenaient également part aux activités de cet organisme de base du parti, y compris celle qui n’était pas officiellement affiliée au PCB7.
14Enfin, nous pouvons nous arrêter un peu plus longuement sur le cas d’Aparecida Rodrigues Azedo, qui se trouvait alors dans la province de São Paulo. Après avoir rejoint le PCB au sein duquel une de ses amies donnait des cours d’alphabétisation, elle se mit à « travailler beaucoup pour le parti » [Alves Filho Ivan, 2003, p. 50], y consacrant un temps considérable, et se rendait au siège local quotidiennement, à tel point qu’elle fut élue secrétaire de propagande. Elle donna elle aussi des cours d’alphabétisation pour adultes, et dit avoir beaucoup lu à cette période. Cependant, elle expliqua également que c’est au sein du parti qu’elle vit, de près, ce qu’était le machisme. Non pas tant en ce qu’on la restreignait dans ses propres entreprises, mais parce que ses camarades hommes du parti « avaient peur d’elle », craignant qu’elle incitât leurs épouses ou leurs filles à rejoindre ce dernier. L’un d’entre eux refusait même que sa fille sortît avec elle. Elle ajoute toutefois que « tous la respectaient beaucoup », qu’elle allait seule avec eux dans les plantations de café, à des kilomètres de la ville, pour y tenir des réunions, et qu’elle s’y trouvait être l’unique femme. Par ailleurs, elle voyageait pour le compte du parti dans toute la région autour de laquelle elle habitait. Elle devint membre du Comité régional et assuma des fonctions élargies l’amenant à parcourir toute la région pour organiser les mouvements populaires de masse et soutenir les revendications des travailleurs ruraux, mais aussi celles relatives au travail des femmes, Aparecida s’intéressant particulièrement à ces dernières.
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15Plusieurs constats peuvent être établis à partir de ce dernier témoignage et des autres cas présentés ci-dessus. Tout d’abord, les femmes, malgré les activités spécifiques à chacune, et en fonction du milieu dans lequel elles évoluaient et de leurs compétences particulières, participèrent toutes aux tâches de mobilisation et d’organisation militantes. De plus, si elles prirent généralement part aux cellules mixtes, où elles se mêlaient à leurs camarades hommes, elles s’appliquaient aussi, en parallèle, à la mise en place de réseaux spécifiquement féminins. Dans les premières, de la même manière que pour les activités dépendant surtout de leur milieu, elles se trouvaient minoritaires, mais avaient des tâches semblables à celles des hommes ; la discrimination genrée ne se jouait pas tant dans la distribution des rôles entre elles et eux (sauf dans le cas des épouses de cadre du PCB) que dans les attitudes des hommes vis-à-vis des autres femmes, non militantes, et dans les obstacles matériels qui restreignaient ces dernières. Dans les seconds, les réseaux féminins, elles s’organisaient, indépendamment de leur milieu et des cellules masculines, pour traiter de leurs problèmes spécifiques, adoptant une rhétorique en appelant à une identité féminine, comme nous le verrons plus loin.
16Avant cela, nous relaterons comment l’insertion des femmes, qui qu’elles fussent, dans l’effervescence politique et militante se traduisit aussi par la présentation de candidates aux élections de la période 1945-1947.
Les candidates du PCB
« Juste après, nous nous enquîmes de la raison pour laquelle le Parti communiste avait présenté tant de noms féminins à l’Assemblée constituante, voix majeure du peuple brésilien et concrétisation suprême des ambitions démocratiques des masses ouvrières et rurales de tout le territoire national. Notre invitée répondit :
Le Parti communiste fut le parti qui présenta le plus grand nombre de noms féminins pour la future Assemblée constituante. C’est un fait logique, parce que le Parti communiste est le parti de la classe en ascension dans le monde actuel. La présence de ces femmes à l’Assemblée constituante garantira une loi juste en ce qui concerne la protection de la maternité et de l’enfance et toutes les revendications féminines. »
17Ce passage est extrait de l’interview de Jacínta Passos citée plus haut intitulée « Só unidas as mulheres resolverão seus problemas »8 [Amado, 2010, p. 292].
18Entre 1945 et 1947, le succès du PCB se traduisit par la multiplication du nombre de ses membres. Selon plusieurs estimations, « au début de la phase de démocratisation, en 1945, [il] comptait entre 2 000 et 5 000 membres ; et en 1946, d’après Leôncio Basbaum, il atteignit 180 000 membres inscrits9. » Cet engouement se manifesta également dans les résultats électoraux des deux premiers suffrages de cette période : l’élection présidentielle du 2 décembre 1945 et, la même année, celles des députés de l’Assemblée constituante. Le PCB présenta Iedo Fiúza à la présidence de la République ; celui-ci obtint 10 % du total des voix exprimées. Aux élections à l’Assemblée constituante, quatorze députés et un sénateur candidats du PCB furent élus, soit l’équivalent de 9,7 % des votes. Le sénateur élu était Luiz Carlos Prestes, candidat ayant rassemblé le plus grand nombre de votes en sa faveur10. Si plusieurs étaient candidates, aucune ne fut élue. Parmi celles dont nous avons connaissance se trouvaient Jacínta Passos, pour l’État de Bahía, Maria Carlota Vizzotto, pour celui de São Paulo, et Eugênia Álvaro Moreyra, pour le District fédéral.
19En 1947 eut lieu un scrutin législatif partiel, pour désigner notamment les députés des États, mais aussi les élections municipales. Jacínta Passos se présenta de nouveau aux élections législatives, sans succès ; Zuleika Alambert, en revanche, parvint à être élue comme première suppléante pour l’État de São Paulo, avec 4 654 votes ; le titulaire ayant été expulsé de l’Assemblée, elle assuma un poste. Enfin, aux élections municipales, plusieurs candidates décrochèrent un siège au conseil de leur ville, à Rio de Janeiro ou ailleurs.
20Certes, le nombre de candidates fut peu élevé11, mais l’on peut attribuer cela au fait que, malgré leur insertion considérable dans la vie politique si on la compare aux époques précédentes, les femmes se trouvaient toujours proportionnellement minoritaires par rapport aux hommes dans les files du PCB ; de plus, leur accès récent au droit de vote contribua sans doute aussi à leur faible représentation dans les listes, au-delà des obstacles matériels et moraux. Au-delà de ce constat, malgré les distinctions de genre au sein du parti, malgré l’aspect genré des relations entre ses membres et les rôles attribués aux unes et aux autres, la désignation de candidates témoigne d’une projection des femmes sur la scène publique politique et d’une certaine cohérence entre le discours du parti et ses décisions : la volonté et la nécessité de mobiliser les masses féminines s’accompagnèrent stratégiquement de la mise en avant de figures pouvant les représenter. L’image publique du parti correspondait ainsi aux arguments qu’il défendait, même si, au niveau de la direction, moins visible, les orientations stratégiques étaient élaborées par les hommes.
21Qui furent ces candidates du PCB ? On trouve parmi elles des profils divers : des jeunes et des moins jeunes, des adhérentes du parti de plus ou moins longue date, des ouvrières, des intellectuelles…
22Pour la Constituante figure comme candidate Eugênia Álvaro Moreyra, née en 1899, écrivaine, directrice d’une compagnie de théâtre, qui, sans être alors officiellement membre du PCB, fréquentait déjà les réseaux communistes dans les années 1930 (en plus d’avoir été liée aux femmes luttant pour du droit de vote). Jacínta Passos, déjà mentionnée, est également candidate deux fois dans l’État de Bahía où elle rentre expressément à cette fin, appelée avec son mari, James Amado, par le parti. Elle seule sera effectivement éligible, le registre de son époux ayant étant refusé par le tribunal électoral [Amado Janaína (dir.), 2010, p. 379]. Bien que Jacínta comme Eugênia aient côtoyé les milieux culturels et intellectuels autant que les cercles strictement politiques, toutes deux proviennent de trajectoires très différentes, la première étant plus jeune et s’étant rapprochée du PCB plus tardivement. Dans l’État de São Paulo, la candidate Maria Carlota Vizzotto est une ouvrière ; une autre, Luiza Camargo Branco, une ancienne professeure qui n’aurait pas même été membre du PCB12 (ce qui témoigne de la stratégie d’ouverture du PCB, toutes les femmes se présentant sous ses couleurs n’étant pas des révolutionnaires convaincues).
23Pour ce qui concerne les candidates aux élections de 1947, on trouve Zuleika Alambert, qui ne comptait que 25 printemps, son adhésion au PCB datant de quelques années seulement. Aux municipales de Rio de Janeiro se présentaient Arcelina Mochel, déjà décrite, mais aussi Eloíza Prestes, la sœur de Luiz Carlos Prestes, dactylographe impliquée activement dans les affaires politiques, Odila Schmidt, ouvrière syndiquée. Dans l’État de Minas Gerais, Hilda Ferreira Magalhães, institutrice alors âgée de 19 ans, fille d’un cheminot, est élue à Araguari.
24À Rio de Janeiro, seule Arcelina Mochel obtint un poste de conseillère municipale, mais elle fut alors leader du groupe communiste, et présidente de la Commission d’administration et d’assistance sociale de la chambre des conseillers municipaux. Au moment des accusations contre le PCB, elle prononça un discours important, invoquant divers arguments pour sa défense.
25Ainsi que nous l’avons dit déjà, certaines femmes du PCB obtinrent donc un rôle important au sein du parti. Les profils divers des candidates indiquent par ailleurs qu’il ne s’opérait pas de discrimination entre elles, au niveau des candidatures en tout cas : la priorité n’était pas donnée à certaines au détriment des autres en fonction de caractéristiques sociales ou d’influences dont elles auraient bénéficié. Cette diversité des profils des candidates peut cependant tenir au faible nombre de femmes membres du PCB et à la nécessité consécutive de faire appel à des militantes très jeunes à l’expérience minime pour certaines. Elle prouve cependant aussi l’ouverture à leur égard et la volonté des jeunes femmes de profiter pleinement des conditions politiques qui leur étaient ainsi offertes.
26Mais un autre aspect de ces candidatures doit être commenté : lorsque les tracts de campagne des candidates existent encore et sont consultables, ils insistent sur leur attachement au PCB et valorisent leurs qualités particulières, mettant nettement en avant leur identité féminine, afin de convaincre les électrices. Le texte joint à la photo de Maria Carlota Vizzotto, par exemple, s’exclame : « Faça uma tecelã deputada federal 13! », ce qui indique qu’elle se présenta avant tout comme couturière ; cela est confirmé par le passage où il est écrit qu’« elle [représente] bien la femme ouvrière de São Paulo ». Cependant, à ces trois lignes sur sa condition en tant que membre de la classe laborieuse s’en ajoutaient trois autres s’attardant sur « son courage dans la lutte pour les droits de la femme, des droits que les communistes [reconnaissent] égaux à ceux de l’homme », cette militante étant présentée comme « une des pionnières de l’émancipation féminine. »
27La présentation des « traits biographiques » d’Arcelina Mochel commençait quant à elle par un résumé de ses activités dans le mouvement étudiant, puis à la LDN. Était valorisée sa trajectoire fidèle au PCB puis le fait qu’« elle [développait] une franche activité dans l’organisation des femmes du District fédéral, en faveur de leurs revendications et de la grande lutte contre l’inflation14 ». Son engagement auprès du mouvement de femmes était donc mis en avant.
28Le tract de candidature d’Eloíza Prestes est, de la même manière, révélateur à cet égard. Elle ne se valut pas de sa proximité avec le leader communiste le plus connu pour accroître ses propres chances d’être élue, mais de son engagement.
29Enfin, Odila Schmidt fut introduite comme une « destemida companheira » (une compagne de lutte intrépide) et certainement pas « une candidate apparaissant à la veille des élections, s’autoproclamant amie des travailleurs seulement pour obtenir leurs votes ». S’ensuivait un résumé de toutes ses activités syndicales cherchant à prouver sa fidélité au mouvement ouvrier. Dans ce dernier cas n’apparaissait aucune mention spécifique au fait qu’Odila Schmidt fût une femme. Mais, sur les huit personnes constituant le « comité de soutien à la candidature de leur collègue Odila Michel Schmidt », quatre étaient des femmes – et, ainsi que nous le verrons plus loin, son programme, comme celui des autres candidates, comprenait des revendications adressées spécialement aux personnes de sexe féminin.
30Pour finir, il ne nous semble pas superflu de relever que chez aucune de ces militantes ne furent encensées des qualités telles que la douceur ou la docilité. À aucun moment elles ne furent présentées comme des épouses idéales ou de bonnes mères. Seul le mari de Maria Carlota Vizzotto fut évoqué, parce que celle-ci aurait donné suite aux luttes de ce dernier après sa mort pendant l’Estado Novo. Maria Carlota Vizzotto était donc veuve et ne semble pas avoir eu d’enfants à l’époque ; Zuleika Alambert, Odila Schmidt et Eloíza Prestes étaient célibataires et sans enfants elles aussi ; Arcelina Mochel ne se maria qu’en 1948 et elle n’eut donc probablement aucun de ses six enfants avant cette année-là ; Jacínta Passos était mariée à James Amado et enceinte, mais, dans l’interview déjà citée pour le journal communiste O Momento, aucune question ne lui fut posée à ce sujet.
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31Plusieurs femmes se présentèrent donc comme candidates du PCB aux diverses élections de la période 1945-1947 sans qu’une catégorie particulière se distinguât parmi elles. Leurs parcours spécifiques sont valorisés par le parti comme témoignant de leur sincérité dans la défense des intérêts du peuple, ce pour quoi elles représentent bien le Parti communiste. Leurs actions en faveur de ou en adéquation avec ce dernier (lien spécial avec l’Union soviétique, le mouvement ouvrier, le mouvement étudiant, ou la défense de la nation pendant la guerre) sont rappelées. Mais en même temps, pour toutes et de manière presque équivalente, le fait qu’elles seraient plus aptes, en tant que femmes, à répondre aux attentes de leurs semblables de ce point de vue est mis en avant. De la même manière que, tout en participant aux cellules militantes mixtes, comme membres du PCB à part entière, elles se trouvent chargées d’organiser les femmes dans des cellules complémentaires, les qualités que leur confère le parti en tant que candidates allient les caractéristiques habituelles d’un bon communiste selon les critères de la période, et celles, liées au contexte également, d’être au fait de l’implication politique des femmes, et donc aptes à les représenter dans ce domaine sans nécessairement incarner l’idéal promu par l’ensemble de la société.
32Cette double attribution, ou cette double préoccupation se retrouve dans les programmes que ces militantes proposèrent en tant que candidates du PCB, et dans lesquels, cette fois, elles exploitent les thèmes de la maternité et de l’enfance.
Des programmes pour les femmes
« La position communiste était très claire – “aucune question ne [concernait] exclusivement les femmes travailleuses” ; cependant, en fonction de la conjoncture, il indiquait comme stratégie d’action : “en tout endroit où la conquête du pouvoir se [posait] clairement, les partis communistes [devaient] savoir apprécier le grand danger que [représentaient] pour la révolution des masses inertes d’ouvrières, femmes au foyer, employées domestiques ou paysannes non libérées des conceptions bourgeoises et non liées de quelque façon que ce fût au grand mouvement de libération qu’[était] le communisme” […]. » [Dely Veloso Macedo Elza, 2001, p. 141.]
« Ne questionnant pas les relations sociales et domestiques qui [opprimaient] la femme et la [condamnaient] continuellement à l’infériorité, perpétuant des relations et rôles qui [maintenaient] inaltérée la structure familiale monolithique existante, le féminisme marxiste [détournait] la cause des femmes vers celle de la révolution de la société, basée sur la thèse selon laquelle leur oppression [résultait] des modèles relationnels de la société capitaliste. Le support idéologique fourni par le PCB aux mouvements de femmes [détournait] aussi l’axe de lutte : au lieu de la construction d’une nouvelle relation en famille, on [recherchait] une meilleure condition dans cette société. » [Dely Veloso Macedo Elza, 2001, p. 144.]
33Dans ces extraits de sa thèse d’histoire Ordre à la maison et en lutte allons !, Elza Dely Veloso Macedo cite tout d’abord un des manifestes des quatre premiers congrès mondiaux de l’Internationale communiste (1919-1923) et utilise les arguments qu’il défendait pour expliquer le rapport du PCB à l’organisation des femmes en 1945. Elle considère que cette déclaration, « formulée plus de deux décennies auparavant, se montrait parfaitement actuelle », et donc que le mouvement des femmes était pensé et se pensait en fonction de ce support idéologique qu’elle nomme « féminisme marxiste ».
34Or cette affirmation, qui fait fi des luttes menées entre-temps d’une part, du contexte d’union nationale et de la rhétorique employée alors par les militantes, d’autre part, nous semble fort contestable. Rappelons encore une fois ici que, contrairement au tournant des années 1910 et 1920, les femmes avaient, en 1945, obtenu le droit de vote, et s’étaient organisées d’elles-mêmes pendant la guerre ; et que, d’autre part, le PCB certes se constituait en parti de masse, mais se trouvait bien loin de la perspective révolutionnaire selon laquelle les femmes ont à se libérer de toute conception bourgeoise de la société – puisqu’il s’agit alors au contraire de s’allier avec la bourgeoisie, dans un projet d’union nationale. Par exemple, c’est comme « femme brésilienne, comme citoyenne brésilienne, qui [veut] le progrès de [son] pays15 » qu’Eloíza Prestes appelle les femmes au foyer à voter pour elle.
35De plus, comme nous avons déjà commencé à le montrer au cours des deux chapitres précédents, plusieurs questions paraissaient concerner exclusivement les femmes, travailleuses ou pas. Jacínta Passos concluait par exemple son interview en déclarant qu’« il y [avait] un certain nombre de revendications féminines communes à toutes les femmes et que, autour de ces revendications, un travail unitaire et organisé de la part des femmes [était] possible » [Amado Janaína (dir.), 2010, p. 294-295]. Les programmes électoraux dont nous disposons confirment ses dires. Certes ces programmes incorporent le vocabulaire communiste traditionnel, quant aux conditions de vie à bonifier pour toutes et tous, et quant à l’idée selon laquelle « du processus économique et politique du pays dépendait une amélioration de la vie pour tous, y compris pour les femmes » [Amado Janaína (dir.), 2010, p. 294-295] ; mais on ne peut nier dans le même temps une conscience très nette du poids que représentait le travail domestique incombant alors aux femmes.
36On remarque donc tout d’abord qu’une partie des propositions que soumettaient les candidates du PCB aux électrices et électeurs s’adressaient spécifiquement aux femmes, voire, dans le cas du tract d’Eloíza Prestes dont nous disposons, exclusivement à elles. La candidate alertait sur le fait que les domestiques « représentaient une des couches de la société les plus exploitées », ne bénéficiant ni de plages horaires fixes ni de la possibilité de s’organiser en syndicat, et défendait leur droit à des vacances annuelles (en accord avec « la patronne », malgré tout électrice potentielle…).
37Un des titres du tract d’Odila Schmidt concernait les « revendications spécifiques des femmes » [ibid. tract DPS 177, Aperj]. Et Jacínta Passos signalait que les ouvrières recevaient quasiment toujours un salaire inférieur à celui des hommes dans les usines, insistant sur le fait qu’
« […] un grand nombre de femmes non ouvrières, surtout de la petite bourgeoisie, parvinrent à une certaine indépendance économique à travers leur propre travail, et […] [sentaient] alors les problèmes féminins de manière plus aiguë. [Que] certaines d’entre elles aboutirent, à travers le travail pratique [devons-nous comprendre le travail rémunéré ?], à une identification majeure avec la classe révolutionnaire et aussi avec son instrument de lutte, le Parti communiste16 ».
38Ainsi, bien que toutes ces revendications concernent le monde du travail – et pourraient dès lors être reliées, selon la rhétorique communiste, à la dénonciation d’inégalités intrinsèques au mode de production de la société capitaliste –, elles pointaient aussi certains éléments relatifs à la situation particulière des femmes dans cette configuration, notamment concernant la question des salaires et des droits de professions exclusivement féminines. De plus, la dernière citation confirme l’idée, exprimée au premier chapitre, selon laquelle les évolutions sociales des années antérieures confrontaient un plus grand nombre de femmes qu’auparavant aux difficultés propres à l’exercice d’une activité rémunérée conjointement au maintien de leurs obligations domestiques et maternelles.
39Or en effet, les candidates du PCB se battaient également pour faire valoir les problèmes qu’affrontaient les femmes en tant que mères. Odila Schmidt aurait demandé l’augmentation de la durée des congés maternité à huit semaines avant l’accouchement et huit semaines après ; ainsi que l’accueil gratuit des femmes enceintes dans une maison de santé, tant pour les cas chirurgicaux, que pour les grossesses normales. Elle aurait également incité à la « création de crèches, maisons maternelles et jardins de l’enfance où les femmes [pourraient] laisser leurs enfants en sécurité pendant qu’elles se [trouveraient] au travail17 ». De la même manière, Eloíza Prestes promouvait la création de réseaux de crèches et de parcs infantiles.
40Certes, l’exclusivité de la responsabilité parentale incombant aux femmes ne se trouvait pas ici contestée – ni même encensée d’ailleurs –, ni les relations régissant l’organisation familiale ; mais ces propositions tenaient directement compte du fait que cette organisation imposait aux femmes des contraintes spécifiques et visaient à alléger leur charge18. Soulignons brièvement ici la différence entre la situation des candidates, célibataires et sans enfants (sauf Jacínta Passos, mariée à James Amado, alors enceinte), et l’attention portée aux thèmes de la maternité et de l’enfance, qui concernaient la majorité des électrices potentielles. Ces thématiques touchaient toutes les catégories de femmes (quoique de manière inégale), et pas seulement celles qui exerçaient un emploi hors de chez elles.
41Ainsi le travail domestique, loin d’être idéalisé, se trouvait-il au contraire décrit comme une besogne pénible, une contrainte, et un obstacle pour l’épanouissement des femmes. Encore une fois, les solutions proposées ne remettaient pas en cause les relations de genre au sein de la famille : mais les discours pointaient cette corvée, commune à toutes les femmes. Comme le notait Eloíza Prestes, « les femmes au foyer [avaient] chez elles toute une série d’obligations qui les [prenaient] le matin et le soir19 ». Elle remarquait que, dans une famille, la femme « [était] toujours celle qui se levait en premier et se couchait en dernier », qu’« elle n’arrêtait pas de la journée » et, qu’au soir, « on aurait dit qu’elle n’avait rien fait, mais elle était épuisée20 ».
42Aussi les femmes devaient-elles s’organiser pour faciliter le réapprovisionnement et diminuer les files d’attente (de grandes campagnes contre la caréstia, la « cherté » des produits, et contre le marché noir se mirent en place), pour la création de laveries à prix modiques et pour l’ouverture d’un plus grand nombre de restaurants populaires ; tout cela dans le but de réduire leurs tâches quotidiennes.
43Les arguments pour défendre les employées domestiques, au-delà des droits formels déjà cités, étaient de même teneur : celles-ci « [travaillaient] depuis les premières heures du jour jusqu’à la nuit […]. Elles [faisaient] le travail le plus épuisant et typiquement alloué aux femmes, celui consistant à rester debout toute la journée ». Enfin, Eloíza Prestes affirmait que, « bien que ce [fût] un travail nécessaire à la société, et même indispensable à la vie de l’homme, il n’[était] pas considéré comme un travail […] »21. Par « homme », elle se référait sûrement à l’être humain plutôt qu’à la personne de sexe masculin. Mais, indépendamment de cela, ce qui est clairement identifié dans ces passages est le fait que le travail domestique constituait l’apanage des femmes d’une part, et qu’il devait être considéré comme un réel métier, d’autre part. Jacínta Passos pointait les mêmes difficultés, et notamment celles créées par l’accumulation d’un emploi extérieur et de l’accomplissement des tâches relatives à la maisonnée.
44Ainsi, les propos adressés aux femmes par les membres du PCB dans le cadre des campagnes électorales ne portent pas sur la formation politique de ces femmes à la critique du capitalisme dans la perspective de la révolution, mais relèvent de l’appropriation et de la mise en discours, par les candidates, de thématiques touchant directement et très concrètement les électrices potentielles. Que la cause des problèmes fût attribuée au capitalisme, ou au manque de développement industriel du pays, et non à l’organisation patriarcale de la société est très clairement lisible. Mais il est tout aussi certain que celles qui tentaient de conquérir l’espace public et politique avaient compris que l’exploitation se manifestait singulièrement pour les femmes. En misant, au moins partiellement, sur leur identité féminine pour être élues, les candidates du PCB devaient saisir les attentes des autres femmes, et parler à toutes de manière relativement homogène. Si l’on décèle certes des différences entre les paroles adressées aux ouvrières, aux employées domestiques ou aux femmes au foyer, trois thématiques au moins traversent ces divergences : la maternité, la responsabilité parentale et les obligations domestiques.
45Au début de ce chapitre, nous listions tout d’abord les activités des différentes militantes en fonction de leur position sociale. Leur adhésion au PCB les orientait, mais elles pouvaient aussi les exercer indépendamment de lui : être journaliste, écrivaine, ouvrière syndiquée, épouse, etc. Dans chacun de ces domaines, elles côtoyaient souvent des hommes et, bien qu’elles fussent minoritaires, celles qui se hissaient à leur niveau reproduisaient le plus souvent alors les mêmes pratiques – avec les exceptions déjà notées. Par conséquent, c’est justement dans les activités strictement relatives au fonctionnement du parti que l’écart entre les femmes et les hommes se manifestait le plus nettement pour les militantes. Certes, des cellules militantes mixtes existaient – et l’on a vu qu’Aparecida Rodrigues Azedo, Zuleika Alambert ou Arcelina Mochel avaient pris leur place parmi leurs camarades de sexe masculin. Mais c’est aussi dans le cadre de leur engagement pour le PCB que l’identité féminine des militantes comptait avant les autres. À travers celui-ci se développait donc un mouvement de femmes. L’insertion militante, en même temps qu’elle soumettait peut-être les militantes aux intérêts du PCB, en servant ses ambitions, leur donnait l’opportunité de se projeter dans la vie politique pour y défendre et rendre visibles des thématiques qu’elles considéraient comme spécifiquement féminines – et telles de fait.
46Ainsi, par la formulation utilisée dans le titre de ce chapitre, « la légalité, temps d’égalité », nous n’entendons pas que toutes et tous, femmes et hommes, femmes entre elles, fussent alors égaux et égales de manière absolue et effective. Mais voulons signifier que, malgré les distinctions de genre qui régissaient les rapports entre les militantes et les militants, un espace réel était alors offert à ces dernières, la situation légale dans laquelle se trouvait le PCB permettant que l’existence d’une branche féminine se traduisît par la présentation de candidates aux élections. Si les activités des femmes et celles des hommes étaient le plus souvent bien distinctes, cette séparation ne signifiait plus l’absence des secondes, et certaines commençaient même à occuper des positions de plus en plus importantes. D’autre part, si toutes les militantes ne partageaient certes pas les mêmes conditions de vie, leurs possibilités d’action dans le PCB ne dépendaient pas immédiatement de ces dernières.
47Enfin, concernant la formation d’une identité sexuée politisée, on remarque tout au long de ce chapitre la double assignation des militantes, entre femme et communiste ; depuis la structure fonctionnelle de l’organisation, qui distinguait les cellules de base féminines des cellules mixtes, jusqu’à la valorisation de la qualité de femmes des militantes pour soutenir leurs candidatures, sans oublier leurs programmes, mettant en exergue les revendications spécifiquement féminines. Et bien que le profil des prétendantes à des postes politiques à l’intérieur du parti ne soit pas représentatif de la majorité des femmes de la société. C’est-à-dire que les femmes susceptibles d’occuper des postes dans le Parti communiste ne correspondaient pas à l’idéal de « la femme » prôné à cette époque dans la société brésilienne. Les candidates s’adressaient pourtant à toutes les femmes, usant pour cela d’arguments semblables à ceux du PCB, et tenant compte de la réalité selon laquelle de nombreuses femmes exerçaient désormais un emploi rémunéré.
48Cependant, les conditions politiques favorables à ces évolutions ne durèrent pas. Bientôt, la configuration du contexte politique, national et international, se modifia.
Notes de bas de page
1 Cf. Felipe Victor Lima, 2010, p. 92. L’auteur y répertorie tous les représentants présents à ce congrès.
2 União Sindical dos Trabalhadores do Distrito Estadual (Union syndicale des travailleurs du district fédéral).
3 Le document de la police indique que « ainda em 1946, foi eleita membro da diretoria da Ustde, segundo tesoureiro da CTB [Confederação dos trabalhadores do brasileiros] » [de plus, en 1946 elle fut élue membre de la direction de l’Ustde, d’après le trésorier de la CTB (Confédération des travailleurs brésiliens)]. Prontuário GB 9.079, fichiers Dops, Aperj.
4 La Light, entreprise brésilienne spécialisée dans le secteur de l’énergie, implantée à Rio en 1905, gérait l’approvisionnement en énergie électrique à Rio mais également d’autres services comme le gaz, les transports publics et la téléphonie. En l’occurrence, Odila Schmidt faisait partie de la section des entreprises téléphoniques.
5 Selon Renée France de Carvalho « […] presque tous les Brésiliens qui luttèrent en Espagne retournèrent au Brésil », in Marly de Almeida Gomes Viana (dir.), Renée France de Carvalho. Uma vida de lutas, São Paulo, Fundação Perseu Abramo, 2012, p. 108.
6 Tract, DPS no 407, Aperj.
7 Interview d’Idéalina Fernandes Gorender, parue dans la revue Teoria e Debate, no 22, du 1er septembre 1993. Accessible en ligne : https://teoriaedebate.org.br/1993/09/01/idealina-fernandes-gorender/#sthash.20BGnGR9.dpuf
8 « Les femmes ne pourront résoudre leurs problèmes que si elles sont unies » traduction de l’auteure.
9 Cf. libellé PCB, in Dicionário histórico-biográfico do Brasil, CPDOC-FGV, disponible en ligne.
10 Cf. libellé PCB, in Dicionário histórico-biográfico do Brasil, CPDOC-FGV, disponible en ligne.
11 Sept militantes parmi celles étudiées ont été candidates en 1945 et/ou en 1947.
12 Sur la candidature de Maria Carlota Vizzotto : tract DPS no 988, Aperj ; et Diário oficial de São Paulo (Dosp) du 6 janvier 1946. Sur la candidature de Luiza Camargo Branco : Dosp et Amado Janaína (dir.), 2010, p. 294.
13 « Faites d’une couturière une députée fédérale ! », tract DPS no 988, Aperj.
14 Tract DPS no 1987, Aperj.
15 Tract DPS no 407, Aperj.
16 « Textes journalistiques de Jacínta Passos », in Janaína Amado (dir.), 2010, p. 294.
17 Tract DPS no 177, Aperj.
18 Au risque de tomber dans l’écueil de la comparaison que nous dénoncions dans l’introduction, prenons l’initiative de signaler que ce sont là des perspectives qui existent aujourd’hui : justement parce qu’il est difficile d’intervenir dans les relations familiales, certaines demandes visent à faire en sorte que l’État gère le care [le soin], considérant que ce dernier constitue une responsabilité collective et publique, et ne devrait pas reposer sur les seules femmes, le partage équitable des tâches domestiques étant difficilement vérifiable et contrôlable.
19 Tract DPS no 407, Aperj.
20 Ibid.
21 Ibid.
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