Les partitions de l’identité. La diplomatie musicale brésilienne au xxe siècle
p. 317-351
Texte intégral
1Dès la seconde moitié du xixe siècle, les succès obtenus par les compositeurs et interprètes brésiliens à l’étranger suscitèrent des commentaires teintés d’un patriotisme ardent dans la presse nationale. Élevés par certains chroniqueurs au rang de « meilleurs propagandistes du Brésil dans l’Univers1 », les musiciens brésiliens reçurent fréquemment le titre d’ambassadeur quand ils se produisirent au-delà des frontières du pays. Des débuts de Carlos Gomes (1836-1896) à la Scala de Milan en 1870 jusqu’aux tournées du chanteur et ministre de la Culture, Gilberto Gil (né en 1942), sous le gouvernement Lula2, la liste est longue de ces musiciens-diplomates3 dont la figure parcourt l’histoire du Brésil contemporain. Heitor Villa-Lobos (1887-1959) et Camargo Guarnieri (1907-1993) contribuèrent ainsi à la diffusion de la musique savante à l’étranger, tandis que Pixinguinha (1897-1973), Carmen Miranda (1909-1955) et Ary Barroso (1903-1964) offrirent à la samba ses premiers titres de gloire sur les scènes internationales, bientôt suivis par Antônio Carlos Jobim (1927-1994), João Gilberto (1931-2019) et la jeune génération tropicaliste. Les trajectoires de ces artistes, devenus de véritables icônes musicales du Brésil, sont aujourd’hui bien documentées grâce aux historiens, anthropologues et musicologues qui ont exploré le rôle du voyage culturel dans les carrières artistiques – à l’international, mais également au Brésil par une série d’effets retours, le succès à Paris, New York ou Los Angeles ouvrant souvent la voie de la reconnaissance par les élites latino-américaines – et interrogé la place de la musique dans les échanges culturels entre le Brésil et le reste du monde [Bastos, 2005 ; Coli, 1985 ; Dunn et Perrone, 2001 ; Fléchet, 2004, 2013 ; Guérios, 2003a ; Garcia, 2004 ; Egg, 2010 ; Lago, 2010].
2Toutefois, l’étude de la diplomatie culturelle demeure étrangement absente de ces travaux. Or les tournées internationales, les concerts et les enregistrements réalisés à l’étranger ne résultent pas uniquement d’une série d’initiatives privées, mais relèvent également d’engagements politiques et d’acteurs publics comme l’ont bien montré les recherches récentes menées, en Europe et aux États-Unis, sur le rôle de la musique dans les relations internationales [Gienow-Hecht, 2012 et 2015 ; Ahrendt, Ferrugato, Mahiet, 2014 ; Fléchet et Marès, 2013 et 2014 ; Fléchet et Lévy, 2015 ; Palomino, 2015 ; Ramel et Prévost-Thomas, 2018]. Certes, les grandes familles de mécènes brésiliens ont joué un rôle de premier plan dans la diffusion de la musique savante : les frères Carlos (1883-1869) et Arnaldo Guinle (1884-1964) ont soutenu les débuts de Villa-Lobos dans le Paris des Années folles, tandis que, quelques années plus tard, Jorginho Guinle (1916-2003) devenait l’un des principaux défenseurs du jazz au Brésil4. Certes, l’économie musicale connut, au Brésil comme ailleurs, des évolutions radicales au xxe siècle avec le développement de l’industrie du disque, contrôlée par un petit nombre de multinationales – les majors – et l’apparition de nouveaux métiers comme les agents et tourneurs en charge de la promotion des artistes sur les scènes internationales. Cependant, les musiciens, les mécènes et les marchands de musique ne furent pas les seuls acteurs de la diffusion des rythmes et des mélodies du Brésil à l’étranger. Derrière les initiatives privées se profila parfois un autre acteur, plus discret mais néanmoins présent, auquel les historiens du culturel ont jusqu’ici prêté trop peu d’attention : le ministère des Relations extérieures, également connu au Brésil sous le nom d’Itamaraty en référence au palais de Rio de Janeiro où il siégea entre 1899 et 19705. La diplomatie brésilienne, en effet, ne demeura pas insensible aux charmes de la musique comme l’atteste l’importante documentation conservée dans les archives historiques de l’Itamaraty (AHI)6. De quelle manière le ministère participa-t-il à la promotion de la musique brésilienne à l’étranger ? Quels furent les moyens mis en œuvre et dans quel but ? Quels furent les compositeurs et les interprètes choisis pour faire valoir l’image officielle du pays ? Peut-on déceler une « ligne évolutive »7 dans les actions musicales de l’Itamaraty qui mènerait de l’opéra – donc de l’image d’un Brésil européen, pensé comme « civilisé »8 – à la redécouverte des musiques traditionnelles d’origine africaine – donc à la promotion d’un Brésil champion de la diversité culturelle ?
3Les recherches menées aux archives historiques de l’Itamaraty permettent de formuler deux hypothèses. La première stipule que la diplomatie musicale brésilienne possède des temporalités, des contenus et des orientations spécifiques qui sont parfois très différents des politiques culturelles menées au même moment au niveau national. La seconde suggère que la musique, déjà utilisée par les Jésuites pendant la période coloniale en vertu d’un pouvoir d’attraction supposé universel, offrit au ministère des Relations extérieures certains de ses plus beaux succès en matière culturelle [Ribeiro, 1989, p. 72] et contribua au déploiement, tout au long du xxe siècle, d’une diplomatie brésilienne originale, distincte des actions menées par les puissances européennes et nord-américaines. Afin de tester la validité de ces hypothèses, une analyse de longue durée s’impose. Nous évoquerons donc ici une vaste période allant des premières actions musicales dans les années 1860 aux dernières décennies du xxe siècle pour retracer la genèse et les principaux développements de la diplomatie musicale brésilienne.
Genèse de la diplomatie musicale
4La première circulaire ayant trait à la musique conservée dans les archives diplomatiques brésiliennes remonte à décembre 1945. Signée par le ministre des Relations extérieures de l’époque, Pedro Leão Veloso (1887-1947), elle avait pour objet « la propagande de la musique brésilienne à l’étranger » et fut envoyée à l’ensemble des postes diplomatiques :
« Au vu de l’intérêt croissant pour la musique brésilienne à l’étranger et l’excellente opportunité de la défendre de manière effective, le ministère des Relations extérieures procède au choix d’une discothèque minimale de cette musique, en ses dimensions érudites et populaires, destinée à être envoyée dans toutes les missions diplomatiques et consulaires et, par leur intermédiaire, aux stations de radio les plus importantes du pays où ils se trouvent, aux entités culturelles représentatives qui seraient réellement intéressées9. »
5Coordonné par la Division culturelle de l’Itamaraty (DCI) à Rio de Janeiro, ce programme servit de pierre angulaire au déploiement de la diplomatie musicale brésilienne dans la seconde moitié du xxe siècle. Les diplomates brésiliens avaient toutefois manifesté un intérêt pour la musique bien avant 1945. Le ministère employa des musiciens-diplomates dès le Segundo Reinado (1840-1889)10 et mena des actions ponctuelles pour la diffusion de la musique brésilienne à partir de l’entre-deux-guerres. En 1939, la samba fut ainsi étroitement associée aux intérêts diplomatiques du Brésil par l’intermédiaire de la chanteuse Carmen Miranda, invitée d’honneur du pavillon brésilien de l’Exposition universelle de New York et promue au rang de « muse » de la politique de bon voisinage [Garcia, 2004 ; Mendonça, 1999 ; Tota, 2000]. La diplomatie musicale brésilienne n’est pas née soudainement en 1945. Elle est le fruit d’un processus complexe au sein duquel il faut distinguer plusieurs étapes : le temps des origines dans le dernier tiers du xixe siècle ; celui des premières actions concertées dans les années 1930 et 1940 ; enfin, l’institutionnalisation effective à partir de 1945.
6Dans la seconde moitié du xixe siècle, la musique intégra la correspondance diplomatique au titre des assuntos literários. Ces « sujets littéraires », qui recouvraient en fait différents domaines artistiques, firent une première apparition dans les divisions consulaires et commerciales du ministère sous l’Empire [Garcia, 2003, chapitre 4]. La musique intégra cet ensemble peu de temps après la création de Il Guarany à la Scala de Milan le 19 mars 1870. Composé par Carlo Gomes sur un livret de José de Alencar (1829-1877), cet opéra fut longtemps considéré comme le point de départ du nationalisme musical brésilien. Il met en scène un sujet perçu alors comme « typiquement » brésilien : la lutte entre les indiens Aymorés et les forces portugaises dans la baie de Guanabara au xvie siècle, dans laquelle se fond une histoire d’amour entre Ceci, la fille du gouverneur portugais, et le chef indien Pery. Les thèmes, l’orchestration et le chant répondent aux canons de la scapigliatura – courant esthétique mené par Arrigo Boito (1842-1918), qui dominait alors la scène opératique italienne. Selon l’historien Jorge Coli, Carlos Gomes utilisa son origine exotique comme une stratégie de distinction pour percer dans le milieu musical italien. Alors que ses pratiques musicales s’inscrivaient pleinement dans la production européenne de son temps, le compositeur jouait sur un imaginaire brésilien : il résidait dans une luxueuse demeure rebaptisée « Villa Brasília », se promenait sur le lac de Côme dans une barque peinte en vert et or, aux couleurs du drapeau impérial, et aimait à s’entourer d’animaux « sauvages » importés en droite ligne du Brésil. La Gazetta Musical de Milano ne voyait-elle pas en lui un « aborigène américain » doté d’une « noblesse primitive » ? Ce fut à partir de cette image exotique – derrière laquelle on reconnaît sans mal le mythe du bon sauvage – que Carlos Gomes, dont les premiers séjours italiens furent financés par une bourse impériale, parvint à être reconnu comme un « compositeur brésilien » dans les capitales culturelles européennes, créant ainsi un précédent tant pour la diffusion d’autres musiciens brésiliens à l’étranger que pour l’utilisation de la musique à des fins diplomatiques et identitaires [Coli, 1985].
7En 1871, un an à peine après la consécration de Carlos Gomes à Milan, la musique fit son entrée officielle dans le corps diplomatique avec la nomination de Brazílio Itiberê da Cunha (1846-1913), jeune pianiste et déjà célèbre compositeur de A sertaneja, une fantaisie créée à partir d’un thème folklorique du littoral du Paraná [Almeida, 2001 ; Pereira, 2001]. Après deux années à Berlin, Itiberê fut transféré à Rome en qualité d’attaché de première classe de la légation brésilienne auprès du royaume d’Italie. Il profita de son séjour dans cette capitale pour perfectionner sa pratique musicale et créer un réseau de relations artistiques qui lui permit de diffuser son œuvre et celles de ses compatriotes. Introduit auprès d’Anton Rubinstein (1829-1894) et de Franz Liszt (1811-1886), il fréquenta les salons de l’aristocratie romaine et y démontra ses talents diplomatiques et musicaux – ce qui lui permit d’intégrer l’Académie royale de musique de Santa Cecilia en 1882. Un an plus tard, il gagna Bruxelles où il demeura jusqu’en 1892, avant d’être envoyé en Bolivie, au Pérou et au Paraguay. Délégué brésilien aux Congrès internationaux d’expansion économique de 1906 et 1907, il fut ensuite nommé ambassadeur à Lisbonne (1907), puis à Berlin (1908) où il décéda à la veille de la Première Guerre mondiale. À ces différents postes, Itiberê poursuivit la politique de diffusion de la musique brésilienne initiée durant son séjour italien : outre les nombreux récitals et concerts qu’il donna dans les capitales européennes, il écrivit une série d’articles sur les arts et les lettres au Brésil pour des revues belges et allemandes11 et organisa plusieurs soirées musicales brésiliennes.
8Suivant son exemple, plusieurs diplomates brésiliens commencèrent à s’intéresser à la musique dans les premières décennies du xxe siècle. L’étude de la correspondance diplomatique entre l’ambassade du Brésil à Paris – qui s’imposa comme une capitale culturelle de premier plan pendant la Belle Époque, offrant un grand nombre de salles de concert, salons musicaux et centres de formation musicale reconnus à l’échelle internationale [Ory, 1994 ; Chimènes, 2004] – et Rio de Janeiro atteste une prise de conscience progressive, bien que timide, du ministère. En juin 1914, par exemple, l’ambassadeur Olyntho de Magalhães répondit positivement à la demande de bourse déposée par le compositeur Elpídio Pereira (1872-1961) au nom de la « propagande artistique » du Brésil12. Au même moment, le Bulletin officiel du bureau de renseignements du Brésil à Paris, une publication destinée à « l’éducation et à la propagande » du Brésil auprès du public français13, offrait à ses lecteurs des extraits de « l’intéressante conférence prononcée par M. Elpídio Pereira, musicien distingué et boursier du gouvernement brésilien à Paris14 ». Intitulée « la musique au Brésil », cette communication avait initialement pour but de présenter les compositeurs nationaux aux membres de la Société Internationale de Musique – une association fondée en 1899 pour réunir musiciens et musicologues originaires de différents pays européens [Duchesneau, 1997]. Elpídio Pereira y évoquait longuement les liens entre les compositeurs brésiliens et la France, ainsi que le succès obtenu à Paris par ses compatriotes Henrique Oswald (1852-1931) et Alberto Nepomuceno (1864-1920)15.
9Le déclenchement de la Première Guerre mondiale mit un coup d’arrêt à ces premières tentatives de diplomatie musicale, le début des combats provoquant une redéfinition générale du paysage culturel parisien au détriment des artistes étrangers [Rüger, 2007]. Toutefois, la volonté brésilienne de mener une « propagande artistique » ne disparut pas avec la Grande Guerre. En 1922, le nouvel ambassadeur du Brésil en France, Luiz Martins de Souza Dantas (1876-1954), mit en marche une série d’actions afin de promouvoir les arts brésiliens. Outre les peintres et sculpteurs modernistes présents à Paris, il aida les compositeurs nationaux à se faire un nom dans la capitale. L’ambassade contribua ainsi à l’organisation des premières auditions françaises d’œuvres de Villa-Lobos dans le cadre de l’exposition d’art américain latin du musée Galliera, en mars et avril 192416, qui lancèrent la carrière internationale du compositeur [Fléchet, 2004]. La légation brésilienne appuya également les orchestres de musique populaire17 qui réalisaient alors leurs premières tournées en Europe, comme les Batutas menés par le flûtiste, saxophoniste et « père fondateur » de la samba Pixinguinha, le Carlitos Jazz-Band ou le Jazz-Band Sul-Americano de Romeu Silva (1893-1958)18.
10La volonté d’utiliser la musique à des fins diplomatiques était donc déjà bien présente au Brésil au tournant des xixe et xxe siècles. Jusqu’à la fin des années 1930, les actions destinées à soutenir la musique brésilienne sur les scènes internationales demeurèrent cependant limitées. L’action culturelle dépendait alors d’une poignée de diplomates, qui mettaient à profit leurs séjours à l’étranger pour satisfaire une sensibilité artistique personnelle sans qu’aucune continuité ne fût assurée au niveau du ministère. Le mécénat privé constituait la principale source de financement des compositeurs et interprètes brésiliens désirant mener une carrière internationale.
11La situation commença à évoluer dans la seconde moitié des années 1930 quand furent adoptées les premières actions musicales concertées à destination de l’étranger, dans un contexte politique profondément renouvelé. L’arrivée au pouvoir de Getúlio Vargas en 1930 et la mise en place de l’Estado Novo en 1937 marquèrent le point de départ de politiques culturelles visant à l’édification des masses et à l’affirmation d’une identité nationale – la brasilidade [Gomes, 2000 ; Velloso, 2003]. La musique occupa une place centrale dans ce dispositif comme en témoignent les actions menées par Villa-Lobos à la tête de la Superintendance de l’éducation musicale et artistique [Guérios, 2003b, p. 169-170 ; Belchior Rodrigues, 2019], l’imposition de thèmes patriotiques pour les défilés du carnaval de Rio de Janeiro [Augras, 1998, p. 29-39], l’émission A Hora do Brasil19 diffusée quotidiennement sur les ondes à partir de 1934 [Mc Cann, 2004, p. 26-29] ou encore l’organisation d’une « Journée officielle de la musique populaire brésilienne » à partir de 1939 [Cabral, 1990, p. 141-142]. La politique étrangère brésilienne connut également d’importantes évolutions au cours de cette période qui conduisirent à la création d’institutions spécifiques en charge de l’action culturelle au sein de l’Itamaraty : le Service d’expansion intellectuelle (1934), tout d’abord, qui devint Service de coopération intellectuelle (1937), puis Division de coopération intellectuelle (1938). Ces services, mis en place dans la lignée des travaux de la délégation brésilienne auprès de l’Institut international de coopération intellectuelle, organe dépendant de la SDN et siégeant à Paris [Dumont, 2009], poursuivaient deux objectifs : l’intensification des échanges scientifiques, techniques et artistiques, d’une part ; et la définition d’une « propagande intelligente et adéquate du Brésil à l’étranger20 », d’autre part. Afin de mener à bien cette mission, le Service de coopération intellectuelle (SCI) initia une politique de « divulgation culturelle » qui incluait les arts, les lettres et la musique. Dans ce domaine, sa première tâche fut de recueillir le matériel nécessaire à la diffusion des œuvres brésiliennes – ou les « artifices de la musique » selon l’expression du sociologue Antoine Hennion21. En 1937, le SCI contacta ainsi l’Institut national de musique22 pour réaliser une série de « disques de musique nationale destinés à être distribués à l’étranger à titre de propagande23 ». En 1938, le ministère sollicita à nouveau l’appui de l’École nationale de musique pour éditer une « collection de partitions brésiliennes réunissant les grandes œuvres des auteurs nationaux pour orchestres symphoniques et ensembles de musique de chambre24 ». Le SCI demanda également à l’École nationale de musique d’augmenter le tirage de la Revista Brasileira de Música dont elle assurait la publication, afin que les « exemplaires supplémentaires fussent envoyés régulièrement dans les missions diplomatiques et consulats brésiliens à l’étranger25 ».
12Les responsables du SCI espéraient ainsi « intensifier, par le biais de la bonne musique, la propagande du pays à l’étranger26 ». Mais ils ne disposaient pas toujours des moyens de leurs ambitions. Outre les difficultés budgétaires27, les diplomates brésiliens durent faire face à la concurrence du ministère de l’Éducation et de la Culture (MEC), mais aussi de la présidence de la République, qui menèrent plusieurs actions culturelles à l’étranger indépendamment de l’Itamaraty [Dumont et Fléchet, 2009]. Dans ce contexte hautement concurrentiel, l’Itamaraty choisit l’Institut International de Coopération intellectuelle, qui offrait l’avantage de réunir près de cinquante délégations nationales en un lieu unique, pour tester sa politique musicale. En 1939 et 1940, la Division de coopération intellectuelle (DCI) publia un essai du musicologue et poète Mário de Andrade (1893-1945) aux presses de l’IICI et finança l’organisation de plusieurs conférences musicales au siège de l’Institut à Paris28. Les seules actions effectives menées par la DCI avant la Seconde Guerre mondiale furent donc destinées à une organisation internationale qui s’adressait à un public restreint de spécialistes et ne se souciait guère de vulgarisation [Renoliet, 1999]. Les années 1930 ne peuvent donc pas être considérées comme « un âge d’or de la samba et de la diplomatie musicale » comme le suggèrent Charles A. Perrone et Christopher Dunn [2001, p. 11]. Les seules actions musicales d’envergure à l’étranger ne furent pas menées par le ministère des Relations extérieures, mais par le ministère de l’Éducation et de la Culture et le Département de la presse et de la propagande (DIP) en lien étroit avec la présidence de la République. Ce fut le cas, notamment, des programmes musicaux diffusés en Allemagne et en Italie par la Rádio Nacional, des concerts brésiliens organisés lors des Jeux olympiques de Los Angeles et de l’Exposition internationale de New York et des disques de musique traditionnelle enregistrés pour le compte de la maison de disques Columbia dans le cadre de la politique de bon voisinage [Belchior Rodrigues, 2019, p.152 et suivantes]. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la diplomatie musicale brésilienne était encore naissante, dispersée entre plusieurs ministères et dotée de modestes moyens.
13Dans ce contexte, la circulaire de décembre 1945 introduit une réelle nouveauté. Pour la première fois étaient adoptées des mesures destinées à « toutes les missions diplomatiques et tous les consulats du Brésil », dans le cadre d’une redéfinition plus large de la politique culturelle de l’Itamaraty. L’année 1945 constitue en effet un tournant majeur dans l’histoire de la diplomatie culturelle brésilienne. La réforme engagée par Pedro Leão Veloso sous la présidence de José Linhares (1886-1957) provoqua une restructuration complète de la DCI. Le décret-loi 8.324 de décembre 1945 établit un Département politique, économique et culturel au sein du Secrétariat d’État, composé de quatre divisions dont la DCI qui devint Division culturelle de l’Itamaraty suite à l’adoption du décret-loi 9.121 en avril 1946. En dépit d’une continuité apparente – liée notamment à la conservation du sigle DCI –, le passage de la « coopération intellectuelle » à l’« action culturelle » eut des conséquences majeures sur les attributions de la Division qui inclurent désormais non seulement la signature de conventions scientifiques et d’accords techniques, mais également une politique linguistique et des actions concertées dans les domaines des arts, des lettres et de la musique. En 1961, une deuxième réforme augmenta encore le poids des affaires culturelles au sein du ministère des Relations extérieures : suite à l’adoption de la loi 3.917, la DCI fut remplacée par le Département culturel et d’information, placé sous la direction du diplomate, historien et musicologue, Vasco Mariz (1921-2017) et composé de trois divisions – coopération intellectuelle, divulgation culturelle et information. Le département avait pour mission de
« planifier l’exécution des échanges culturels, diffuser des informations sur le Brésil à l’étranger, informer les légations brésiliennes à l’extérieur de l’actualité brésilienne et éclairer l’opinion publique nationale sur l’action internationale du Brésil. » [cité dans Garcia, 2003, p. 61]
14L’activité du Département culturel s’accrut considérablement dans le nouveau cadre politique instauré par le régime militaire en 1964 et atteint son extension maximale en 1978, avec la création d’une nouvelle division de « divulgation culturelle » destinée à « promouvoir la réalité brésilienne à l’étranger » [Garcia, 2003, p. 64]. Les réformes postérieures (1982, 1984, 1987) se traduisirent par une séparation des activités de coopération technique et de divulgation culturelle, sans toutefois modifier le cadre général établi en 1961.
15Au-delà de la complexité institutionnelle, l’évolution de cet organigramme montre l’importance croissante du secteur culturel dans l’organisation interne du ministère et l’affirmation progressive des politiques de « divulgation culturelle » à côté des traditionnels « échanges intellectuels ». Le déploiement de la « machine diplomatique » [Frank, 2003] brésilienne offrait donc un cadre favorable à la mise en place d’une politique musicale coordonnée dans la seconde moitié du xxe siècle. De fait, la DCI engagea une série d’actions pour promouvoir la musique brésilienne à l’étranger. Le ministère commença par définir une « discothèque minimale » de musique brésilienne contemporaine composée « d’œuvres représentatives » et destinée à être envoyée dans toutes les ambassades. À ce titre, la DCI demanda aux compositeurs ou à leurs ayants droit de céder les droits d’exploitation des œuvres choisies à l’international29. Par ailleurs, la DCI finança l’édition de partitions et de monographies sur la musique brésilienne pour répondre aux demandes répétées en provenance des ambassades – en premier lieu de France, du Portugal, de l’Argentine, du Mexique, des États-Unis et de l’Union panaméricaine. Le ministère subventionna des voyages d’études de jeunes musiciens brésiliens dans les capitales européennes et nord-américaines, ainsi que la participation de musicologues brésiliens à des rencontres scientifiques internationales, et s’impliqua activement dans les nouvelles institutions musicales créées dans le sillage de l’Unesco30. Renato Almeida (1895-1981) contribua ainsi à la fondation de l’International Folk Music Council31 à Londres en 1947 grâce au soutien direct de l’Itamaraty [Vilhena, 1997, p. 75-115]. Deux ans plus tard, un autre musicologue brésilien, Luiz Heitor Corrêa de Azevedo (1905-1992), devenait le premier secrétaire du Conseil international de la musique (CIM), créé au siège de l’Unesco, à Paris. Il occupa ce poste jusqu’en 1952, avant de devenir responsable des relations entre l’Unesco et les ONG culturelles (1953-1965), puis membre exécutif (1966-1973) et honoraire (1979-1992) du CIM. Au cours de sa carrière à l’Unesco, il créa un réseau de sociabilités musicales de dimension internationale, ce qui lui permit de promouvoir la carrière des jeunes musiciens brésiliens en lien étroit avec l’Itamaraty [Lamas, 1985 ; Magalhães, 1990].
16Édition de disques et de partitions, voyages de compositeurs, musicologues et interprètes, importance des organisations internationales : la politique musicale du Brésil s’inscrivait ainsi dans la continuité directe des actions initiées dans les années 1930. Elle bénéficia toutefois de moyens accrus qui permirent la systématisation de mesures antérieures et l’élaboration de nouvelles formes de diplomatie musicale. À partir de la fin des années 1950, l’Itamaraty promut ainsi de nouvelles manifestations, qui contribuèrent à renouveler les modalités de l’action diplomatique dans le champ musical.
17D’une part, le ministère produisit des émissions sur la musique brésilienne en coopération avec des radios étrangères. Une des plus belles réussites en la matière fut sans aucun doute Aquarelles du Brésil, un programme hebdomadaire réalisé en coopération avec la Radiodiffusion-télévision française (RTF)32. Animée par l’écrivain Michel Simon (†1976), l’émission avait pour but de « présenter, à travers la musique, les divers aspects du paysage et de l’homme brésilien »33 et fut diffusée sans interruption entre 1957 et 1975, d’abord sur Paris-Inter, puis sur France Inter. L’ambition de l’Itamaraty ne se limitait toutefois pas à la France, mais incluait aussi l’ensemble des pays d’Afrique francophone. À partir de 1972, Aquarelles du Brésil fut ainsi diffusée au Sénégal, au Gabon, au Niger, au Cameroun, au Rwanda, au Burundi et au Mali grâce aux accords passés avec la Direction des Affaires étrangères et de la Coopération française34.
18D’autre part, le ministère parraina des rencontres musicales internationales, dont le nombre ne cessa d’augmenter à partir des années 1950 : il finança non seulement la participation d’interprètes brésiliens dans les concours et les festivals à l’étranger, mais également des événements internationaux au Brésil. En 1957, il participa à la création du concours international de piano de Rio de Janeiro en collaboration avec le ministère de l’Éducation et de la Culture et la préfecture de ce qui était alors le District fédéral35. La DCI prit en charge le voyage des membres du jury (à hauteur de 500 000 cruzeiros), diffusa l’information via les différentes légations brésiliennes et fit parvenir aux candidats étrangers les « partitions de musique brésilienne » au programme du concours. La première édition de la compétition répondit pleinement aux objectifs de la diplomatie musicale de l’Itamaraty : elle contribua à la diffusion du répertoire brésilien pour piano auprès des interprètes étrangers et à la reconnaissance de l’excellence des interprètes brésiliens – dont un jeune prodige de 12 ans qui parvint à la 7e place du classement final : Nelson Freire (né en 1944)36.
19Le concours international de piano de Rio de Janeiro servit de modèle à la création de nouvelles rencontres musicales dans les années 1960. En termes de diplomatie culturelle, la décennie vit la réalisation de deux grands projets : le concert New Brazilian Jazz qui lança la bossa-nova au Carnegie Hall de New York en décembre 1962 [Crespo, 2006] et le Festival international de la chanson de Rio de Janeiro (FIC) auquel participèrent de nombreux interprètes étrangers entre 1965 et 1972. Si le FIC ne fut ni le premier ni le plus prestigieux festival de musique brésilien [Mello, 2003 ; Stroud, 2000], il occupe une place à part dans le paysage culturel national de la seconde moitié des années 1960. Le FIC fut, en effet, le seul festival de dimension internationale créé à cette époque. Il comprenait deux sections bien distinctes : l’une nationale, l’autre internationale composée d’artistes et de jurés étrangers – représentant 26 à 40 pays selon les années. Le FIC reposa sur de nombreux acteurs publics et privés, du secrétariat du tourisme de l’État de Guanabara, à l’origine du projet, au réseau de télévision Globo qui en assura la retransmission. Cependant, le concours du ministère des Relations extérieures fut décisif pour sa réalisation. En effet, la Division de divulgation culturelle (DDC) offrit un support logistique et financier de premier plan aux sept éditions du festival. La DDC se servit du réseau d’ambassades et de consulats brésiliens pour favoriser les contacts entre les organisateurs et les institutions culturelles des pays invités, inscrire les candidats et centraliser l’ensemble de la documentation musicale et administrative (partitions et enregistrements, formulaires et visas). Elle prit en charge le transport des interprètes, compositeurs, journalistes et jurés de chaque délégation nationale, ainsi que la distribution des « disques des meilleures chansons du FIC » en Europe et dans les Amériques37. L’ampleur de l’aide apportée par le ministère fut d’ailleurs soulignée par les institutions partenaires dès la première édition du festival, comme en témoigne cette lettre adressée par le secrétaire du tourisme de l’État de Guanabara au ministre des Relations extérieures en novembre 1966 :
« Le premier Festival international de la chanson s’est achevé et, j’en suis sûr, aura accru le prestige de notre pays dans le monde. J’ai l’honneur de m’adresser à Votre Excellence pour exprimer ma profonde gratitude. […] L’action décisive de nos missions diplomatiques et de nos consulats à l’étranger a permis la venue au Brésil des plus grands interprètes de musique populaire du monde et l’aide de l’Itamaraty durant le festival n’a pas moins contribué à son succès38. »
20Le ministère des Relations extérieures adopta ainsi différentes mesures pour promouvoir la musique brésilienne à partir de 1945. Au-delà de la diversité des acteurs, des époques et des espaces concernés, nous pouvons distinguer cinq modalités d’action : le financement de tournées de musiciens brésiliens ; la fabrication et la distribution de matériel musical (disques, partitions, livres et, plus tard, films documentaires sur la musique) à travers le réseau d’ambassades et de consulats ; le lobbying dans les institutions culturelles internationales ; la coproduction d’émissions de radio à l’étranger ; l’organisation de concours et festivals internationaux. L’exécution de cette politique fut rendue possible par la conjonction de trois facteurs. Premièrement, le développement continu des services culturels du ministère dans la seconde moitié du xxe siècle. Ensuite, la présence de musiciens et musicologues dans le corps diplomatique. Après Brazilio Itiberê da Cunha, il convient de souligner ici le rôle de Vinícius de Moraes (1913-1980) qui servit successivement à Los Angeles, Paris et Montevideo où il contribua à la diffusion de la bossa nova, mais aussi l’importance des musicologues Vasco Mariz, qui dirigea successivement la DDC et le Département culturel, et José Mozart de Araujo (1904-1988), qui occupa les fonctions d’« attaché musical » à la DDC. Enfin, la création de nouvelles organisations internationales destinées à promouvoir les différentes traditions musicales du monde dans le sillage de l’Unesco.
La voix du Brésil
21Dès le début du xxe siècle, la place accordée à la musique par la diplomatie brésilienne suscita de nombreuses polémiques. L’Itamaraty fut d’abord accusé de ne rien faire, voire de travailler contre la diffusion des rythmes brésiliens dans le monde. En 1921, l’écrivain et chroniqueur Lima Barreto (1881-1922) déplorait ainsi l’absence de toute politique musicale au Brésil :
« L’Argentine, écrivait-il, a fait une gigantesque propagande en répandant son tango, qui a provoqué des débats et des excommunications en Europe. Et nous ? Nous sommes restés à la traîne. Certains jeunes hommes comme le vénérable Duque […] ont tenté d’opposer notre maxixe au tango argentin […]. Le gouvernement, cependant, ne les a pas aidés et nous avons perdu cette magnifique occasion d’être mieux connus en Europe et de développer nos échanges commerciaux avec l’étranger39. »
22Et concluait par un vibrant appel à l’intervention publique :
« Le Congrès doit aider le ministre des Relations extérieures à seconder les actions menées par les particuliers pour que cet excellent moyen de propagande de nos produits et richesses naturelles ne soit pas méprisé40. »
23Quatre décennies plus tard, Vinícius de Moraes reprit le flambeau critique en accusant le ministère de s’opposer à la sortie du film Orfeu negro et à la diffusion de la musique populaire brésilienne en Europe. Réalisé par Marcel Camus sur une idée originale du poète, cette production franco-brésilienne proposait une version contemporaine du mythe d’Orphée transposé à Rio de Janeiro au rythme du carnaval. La bande originale fut enregistrée, dirigée et en partie créée par Tom Jobim avec la participation des meilleurs interprètes de musique populaire brésilienne de l’époque, dont le guitariste Luiz Bonfá (1922-2001) et les écoles de samba Portela, Mangueira et Salgueiro. Tourné intégralement à Rio de Janeiro avec des acteurs afro-américains, le film constitua une aventure financière et fut monté in extremis pour le Festival de Cannes où il obtint la Palme d’or en 1959 avant de recevoir, l’année suivante, l’Oscar du meilleur film étranger. Consacré internationalement et distribué dans le monde entier, Orfeu negro constitua un formidable vecteur de diffusion de la musique populaire brésilienne et offrit une première incursion dans le répertoire de la bossa nova au public étranger [Fléchet, 2013]. À en croire Vinícius de Moraes, ce film ne répondait pas cependant aux attentes du corps diplomatique brésilien :
« Les capitalistes, déclara-t-il en 1967, trouvaient que nous faisions un film sur des sujets erronés, que nous ne devions pas montrer les favelas, que nous devions plutôt faire un joli film […] sur le Copacabana Palace et les coins charmants de Rio. Toutes ces choses doivent être dites : les gens doivent le savoir ! Plus tard, l’ambassadeur du Brésil à Paris, Alves de Sousa a lutté férocement pour que le film ne soit pas envoyé au Festival de Cannes, parce que c’était un film sur les Noirs41. »
24De fait, Orfeu negro ne fut pas présenté dans la sélection brésilienne, mais dans la sélection française du festival de Cannes, ce dont l’ambassadeur Carlos Alves de Souza Filho (1901-1990) s’expliqua dans une longue lettre adressée au ministre des Relations extérieures Francisco Negrão de Lima (1901-1981) quelques jours après l’annonce du palmarès :
« Maintenant qu’Orfeu negro a reçu le prix du meilleur film au Festival de Cannes ne manqueront pas au Brésil, comme hélas ils ne manquent pas en France, des patriotes de la dernière heure pour déplorer qu’Orfeu negro n’ait pas été présenté dans la sélection brésilienne, et d’en rendre coupable l’ambassade et le ministère. […] Le film ayant été conclu à la veille du festival, nous n’avons pas eu le temps de nous occuper de son inscription […]. Du reste, à partir du moment où Sacha Gordine a obtenu l’inscription dans la sélection française, il ne s’est plus intéressé à notre patronage. […] Cette ambassade a considéré, dès le début, avec la plus grande sympathie, le projet, comme MM. Gordine et Camus pourront certainement en témoigner. […] Bien qu’Orfeu negro soit officiellement une création française, j’ai envoyé un télégramme à la direction du festival, attestant l’intérêt de notre pays et demandant que le film soit présenté lors d’une séance nocturne. […] Le programme brésilien de la radiodiffusion française a déjà consacré trois émissions à Orfeu negro. Je ne vois pas ce qu’on pourrait exiger de plus de cette ambassade ni d’Itamaraty. Je plains ceux qui, devant cette victoire, qui est en bonne partie celle du Brésil, au lieu de se réjouir, vont encore, mesquinement, chercher de faux arguments pour critiquer ceux qui travaillent honnêtement42. »
25Malheureusement, nous n’avons pas trouvé dans les archives diplomatiques de document permettant d’éclairer plus avant cette polémique. Le contraste entre l’accusation portée rétrospectivement par Vinícius de Moraes (après sa rupture avec l’Itamaraty, pendant le régime militaire) et la tentative de justification de l’ambassadeur – pour le moins maladroite, sinon suspecte – ne permet pas de tirer de conclusions définitives sur cet épisode. Néanmoins, la controverse constitue en tant que telle une source très utile pour étudier les évolutions de la diplomatie culturelle brésilienne. En effet, alors que Lima Barreto dénonçait l’absence de « propagande artistique » dans les années 1920, le débat ne porte plus sur l’existence, mais sur le contenu même de la politique musicale de l’Itamaraty dans les années 1950 – et sur la place des rythmes afro-brésiliens dans la construction de l’image officielle du Brésil.
26Quels sont les rythmes et les mélodies qui composent le répertoire officiel du pays à l’étranger ? Comment définir les partitions de l’identité nationale ? À ces questions, la réponse des diplomates brésiliens connut d’importantes variations au xxe siècle. Jusqu’à la fin des années 1950, la musique savante fut à l’honneur dans les arcanes du ministère. Officiellement, la DCI devait œuvrer à la promotion de la « musique brésilienne, en ses dimensions érudite et populaire » selon les termes de la circulaire de 194543. Dans la pratique cependant, le ministère fit le choix de la musique savante et, plus précisément, du courant du nationalisme musical44. Les collections de disques, de partitions et d’études musicologiques éditées à partir de la fin des années 1940 témoignent très nettement de la prédominance du savant dans la définition du national. Ainsi, la « discothèque minimale » élaborée par la DCI ne comptait aucun enregistrement de musique populaire, mais proposait une sélection d’œuvres de Heitor Villa-Lobos, Francisco Mignone (1897-1986), Fructuoso Vianna (1896-1976), Oscar Lorenzo Fernandez (1897-1948), Cesar Guerra Peixe (1914-1993), José Siqueira (1907-1985) et Radamés Gnattali (1906-1988)45. L’édition de livres sur la musique poursuivit cette ligne à partir de 1946, attestant une fois encore l’existence de divergences fondamentales entre « l’ordre du discours » [Foucault, 1970] et les pratiques culturelles.
« Dans le but de mieux divulguer la musique brésilienne à l’étranger, la Division culturelle a initié en 1946 une série de monographies de grande utilité. Six monographies ont été commandées sur les thèmes suivants : Panorama de la musique brésilienne, Heitor Villa-Lobos, Oscar Lorenzo Fernandez, Francisco Mignone, Camargo Guarnieri et Musique populaire brésilienne46. »
27Un an plus tard, cependant, le ministère renonça à la parution de ce dernier ouvrage :
« Au lieu de publier une étude sur la musique populaire brésilienne, un thème qu’aucun musicologue ne désire aborder pour l’instant, la Division culturelle financera l’édition d’une monographie sur cinq compositeurs brésiliens contemporains47. »
28Outre les disques et les livres, l’attribution de subventions pour les voyages d’études et les tournées musicales confirment le choix effectué par l’Itamaraty en faveur de la musique savante. À partir de 1947, le ministère finança la formation de jeunes interprètes et compositeurs en Europe et aux États-Unis – dont les pianistes Arnaldo Estrella (1908-1980) et Anna-Stella Schic (1925-2009) ou le compositeur et chef d’orchestre Claudio Santoro (1919-1989)48. Il soutint également la participation de musicologues brésiliens à des colloques internationaux sur le folklore, faisant ainsi preuve d’une grande continuité vis-à-vis des deux composantes du nationalisme musical : la musique savante et le folklore. À l’inverse, les interprètes de musique populaire ne reçurent aucune forme de subvention de la part du ministère jusqu’à la fin des années 1950 : ils n’étaient pas alors considérés comme des représentants de la « bonne musique » et étaient suspectés de diffuser une mauvaise image du Brésil à l’étranger.
29En 1940, l’ambassade du Brésil à Washington intervint sur le tournage de la comédie musicale Une nuit à Rio réalisé par Irving Cummings (1888-1959) avec Carmen Miranda, afin que soient retirées toutes les références hispaniques que les scénaristes nord-américains avaient par ignorance insérées dans la reconstitution du paysage carioca. Cette demande s’insérait parfaitement dans la politique de bon voisinage qui, on le sait, poursuivait deux objectifs distincts : la promotion des États-Unis en Amérique latine et la reconnaissance des pays latino-américains auprès de la première puissance culturelle mondiale [Tota, 2000]. Les demandes de l’ambassade brésilienne excédèrent cependant très largement le cadre de la politique de bon voisinage. Outre les références à l’Amérique hispanique, le Brésil exigea le retrait des scènes dans lesquelles Carmen Miranda dansait la samba entourée de musiciens noirs. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les rythmes afro-brésiliens n’étaient pas encore considérés comme de la « bonne musique » par une grande partie du corps diplomatique. Cette ligne offre un contraste très net avec les politiques culturelles menées au même moment par Getúlio Vargas à l’échelle nationale, qui insistaient sur l’importance de la culture populaire dans la définition de l’identité nationale. Au cours des années 1930 et grâce au soutien des pouvoirs publics, la samba et le carnaval devinrent ainsi – au même titre que le football ou la feijoada – des symboles d’une brasilidade renouvelée dont l’originalité reposait désormais sur l’importance du métissage dans la formation de la société brésilienne [Frey, 1982 ; Furtado Filho, 2010 ; Vianna, 1995 ; Schwarcz, 1997]. Dans ce contexte, les réticences manifestées par l’ambassade du Brésil à Washington peuvent surprendre. Elles peuvent certes s’expliquer par des éléments conjoncturels – personnalité des diplomates en poste, cadre spécifique de la politique de bon voisinage, etc. –, mais elles révèlent également une dynamique qui porte bien au-delà de la simple année 1940 : les partitions de l’identité ne sont pas les mêmes selon qu’on les observe à l’échelle nationale ou à l’échelle internationale.
30En 1956, le ministère des Relations extérieures s’opposa à la participation de musiciens brésiliens aux Olympiades de chant choral de Paris pour de tout autres raisons. À l’origine de ces rencontres, la Fédération musicale populaire était considérée comme une dangereuse organisation communiste par la légation brésilienne, comme en témoigne cette note envoyée par l’ambassadeur au ministre en juin 1956 :
« Selon les informations que j’ai pu réunir de source sûre, il s’agit d’une organisation très marquée politiquement, pro-communiste et affiliée à la “Maison de la Pensée Française”, une entité qui rassemble des intellectuels de gauche et dont l’adresse coïncide avec celle de la Fédération. J’ai appris également que cette dernière était très mal vue par la “Fédération musicale française”, qui travaille avec l’Unesco, en raison justement de ces activités politiques. Dans ces conditions, il n’est pas souhaitable que le Brésil soit représenté officiellement dans ces Olympiades qui seront, bien plus qu’une manifestation culturelle, une nouvelle occasion de propagande des idées communistes49. »
31La musique populaire était donc doublement suspecte aux yeux de l’Itamaraty : d’une part, elle questionnait la composition raciale de la nation ; d’autre part, elle constituait un enjeu de la Guerre froide culturelle qui opposait alors les États-Unis et l’Union soviétique [Casanova, 2004 ; Gienow-Hecht, 2015]. À l’inverse, la musique savante et le folklore présentaient de nombreux avantages : ils répondaient au cahier des charges fixé par les organisations internationales (Unesco, CIM), ainsi qu’aux canons de la diplomatie culturelle européenne50, et permettaient aussi de projeter sur les scènes internationales une image à la fois civilisée (musique savante) et profondément originale (folklore) du Brésil.
32La politique musicale de l’Itamaraty évolua cependant de manière significative au cours des années 1960 quand la chanson et la musique populaire furent introduites dans le répertoire officiel de la nation à destination de l’étranger. Le concert de bossa-nova du Carnegie Hall et le Festival international de la chanson de Rio de Janeiro marquèrent l’émergence d’une nouvelle ligne musicale au sein du ministère qui se manifesta, bien au-delà de ces grandes réalisations, par l’adoption d’une série de mesures inédites en faveur des interprètes et compositeurs de musique populaire51. L’Itamaraty renouvela ainsi sa « discothèque minimale » en y incluant des genres « commerciaux », comme l’atteste cette note de 1974 :
« Afin de répondre aux demandes émanant de diverses ambassades, je demande à ce que soient acquises et envoyées à la DDC trois compilations différentes des grands succès du carnaval, ainsi que des partitions et des arrangements de musiques carnavalesques récentes. Outre les contrats avec des maisons commerciales spécialisées, je suggère que des accords soient passés avec les sociétés de droits d’auteur, qui sont susceptibles de fournir une quantité appréciable de disques de musique populaire pour la distribution à l’étranger52. »
33La liste des disques reçus par les ambassades dans la seconde moitié des années 1970 démontre clairement ce changement de cap. On y trouve des compilations de samba (Vamos sambar, Os melhores sambas de todos os tempos, Samba maior, Agora é samba, etc.) ; des anthologies de compositeurs et grandes dames de la samba comme Cartola (1908-1980), Adoniran Barbosa (1910-1982), Paulinho da Viola (né en 1942) et Beth Carvalho (1946-2019) ; les albums des principaux chanteurs de bossa nova et MPB53, dont Tom Jobim et Vinícius de Moraes, Gilberto Gil, Caetano Veloso (né en 1942) et Maria Bethânia (née en 1946), Jorge Ben (né en 1942) et Elis Regina (1945-1982)54.
34Le ministère subventionna également des tournées de musiciens brésiliens à l’étranger pour accompagner des missions commerciales ou pour participer à des festivals internationaux. La DDC produisit ainsi une série de concerts à Bruxelles et Paris, en marge de l’exposition Brasil Export 1973 destinée à promouvoir le commerce extérieur du Brésil55. Le spectacle incluait notamment le « groupe folklorique » Odaía de Bahia et la chanteuse Simone (né en 1949), qui enregistra pour l’occasion un disque de samba56. Dans un registre similaire, la DDC permit à plusieurs musiciens brésiliens de participer à des rencontres musicales internationales comme le Festival de jazz de Montreux et le Marché du disque et de l’édition Musicale (Midem) de Cannes à partir de 1967 ou les deux éditions du Festival mondial des arts nègres à Dakar (1966) et Lagos (1977). Parmi eux, on retrouve Jorge Ben, Gilberto Gil et Paulinho da Viola, mais aussi Wilson Simonal (1939-2000), Jair Rodrigues (1939-2014), Baden Powell (1937-2000) et Elizeth Cardoso (1920-1990)57.
35Les répertoires de l’identité connurent donc une mutation radicale au cours des années 1960 et 1970 avec l’introduction de nouvelles partitions du nationalisme musical : la samba et la MPB. L’évolution des contenus de la diplomatie musicale brésilienne reposa sur une série de facteurs convergents. En premier lieu, le ministère des Relations extérieures modifia sa politique culturelle en fonction des succès commerciaux obtenus par la musique populaire brésilienne en Europe et en Amérique du Nord. La diversification du répertoire avait pour but de répondre « aux demandes émanant des ambassades » qui, ne pouvant satisfaire les sollicitations des émissions de radio et des institutions musicales étrangères, se tournaient vers le ministère pour obtenir du matériel musical. À partir des années 1950, la demande internationale de musique brésilienne connut une telle croissance que les diplomates commencèrent à en reconnaître la valeur commerciale et symbolique – non seulement pour conquérir une nouvelle place sur le marché discographique international, mais aussi pour faire valoir les intérêts économiques et stratégiques du pays à l’étranger. À cet égard, le succès des « caravanes musicales », lancées en 1957 par l’Union brésilienne des compositeurs et le ministère de l’Éducation et de la Culture, contribua sans doute à la prise de conscience des diplomates. Ces tournées de musiciens populaires furent créées à l’initiative du député, poète et parolier Humberto Teixeira (1915-1979) afin de diffuser la samba et le baião58 avec « un passeport officiel59 ». Organisées annuellement entre 1957 et 1965, les caravanes obtinrent une forte répercussion en Europe, en Afrique du Nord et au Proche-Orient [Fléchet, 2013, chapitre 5]. Ont-elles servi de modèle à la nouvelle politique musicale de l’Itamaraty ? Si l’examen des documents diplomatiques ne permet pas de répondre avec certitude à cette question, les caravanes n’en participèrent pas moins à l’émergence d’un nouveau discours et à l’invention de modalités inédites de diffusion de la musique populaire brésilienne, qui apparaissait désormais comme un moyen de promotion efficace du pays.
36À ce stade, il convient de souligner que la diplomatie brésilienne ne fut pas à l’origine de la diffusion des genres musicaux brésiliens dans le monde, mais qu’elle s’est servie des réussites commerciales obtenues au préalable par le secteur privé – notamment dans le domaine des musiques de danse – pour faire valoir les intérêts du Brésil à l’étranger. La promotion de la musique populaire brésilienne à partir des années 1960 ne fut pas définie comme une fin en soi, mais comme un moyen pour attirer les investissements étrangers et développer le tourisme international à destination du Brésil. Objectif traditionnel de la diplomatie brésilienne depuis le xixe siècle [Cervo et Bueno, 2002], la quête d’investissements constitua la raison d’être du Brasil Export 73 qui fit de la samba la bande-son officielle du commerce extérieur brésilien. Le tourisme était, en revanche, un thème plus novateur à l’époque. Encore très peu développé au Brésil60, il apparaissait comme une source de richesse et un objectif stratégique de premier plan. Or, la musique brésilienne, grâce à son pouvoir de séduction sur le public étranger, pouvait devenir une première étape du voyage vers la terra brasilis. L’action culturelle de l’Itamaraty avait donc pour but de transformer les voyageurs imaginaires en touristes concrets, disposés à dépenser des espèces sonnantes et trébuchantes sur le territoire national. Et, à en croire l’ambassadeur du Brésil à Washington, la musique constituait un atout de choix pour atteindre cet objectif : « la musique brésilienne a aujourd’hui passé avec brio le dernier test de tout produit d’exportation : éveiller chez celui qui le reçoit non seulement une admiration spécifique pour ce produit, mais la sympathie et l’attirance pour la culture et le pays d’origine61. » En 1975, le « gala brésilien » organisé en marge du Midem de Cannes poursuivait le même objectif, comme en témoigne le projet déposé au Congrès par le député Célio Marques Fernandes :
« Le Midem est le principal festival de musique international du point de vue promotionnel et commercial […]. 140 spots lumineux en bord de mer seront mis à disposition pour notre message touristique […]. Des placards publicitaires en nombre illimité pourront être placés sur la plage, ainsi que des publicités, des photographies […] et des brochures touristiques sur les grandes réalisations du Brésil62. »
37Au-delà de considérations strictement économiques, l’évolution de la diplomatie musicale brésilienne répondait également aux modifications des intérêts stratégiques du pays suite au lancement de la « politique extérieure indépendante » par le président Jânio Quadros (1917-1992) en 1961 [Saraiva, 1999]. Le Brésil redéfinit ses positions stratégiques dans l’Atlantique Sud afin de développer ses relations commerciales avec les nouveaux États d’Afrique occidentale et australe et de se soustraire à une trop grande emprise états-unienne. La diplomatie culturelle brésilienne, auparavant destinée uniquement aux pays européens et américains, s’ouvrit à de nouveaux espaces dans ce contexte renouvelé. L’Itamaraty envoya une importante délégation au Festival mondial des Arts nègres de Dakar en 1966 qui servit de point de départ à une série d’échanges scientifiques et culturels avec les pays africains, placés sous le parrainage du ministère. Les diplomates brésiliens élaborèrent alors un discours spécifique à destination des pays africains, insistant sur la solidarité historique née de la traite négrière et sur la profonde affinité culturelle unissant l’Afrique et le Brésil63.
38La musique afro-brésilienne était une des formes culturelles qui répondait le mieux aux objectifs politiques du discours. À Dakar, la « rencontre entre l’Afrique et les Africains du Brésil »64 fut célébrée au rythme de la samba interprétée par Elizeth Cardoso, Clementina de Jesus (1901-1987), Ataulfo Alves (1909-1969) et les danseurs de Mangueira. Quelques années plus tard, les pays africains devinrent également les cibles de la politique de diffusion radiophonique de l’Itamaraty, ainsi que nous l’avons évoqué au travers de l’émission Aquarelles du Brésil. Et, en 1974, les « pays anglophones et francophones d’Afrique » furent définis comme les objectifs prioritaires des émissions musicales de la DDC au même titre que les pays latino-américains, témoignant ainsi de la nouvelle orientation musicale et géopolitique de la diplomatie culturelle brésilienne65.
Musique et politique : jeux d’échelles
39L’étude de la genèse et des développements de la diplomatie musicale brésilienne démontre la complexité des relations entre la musique et le politique au xxe siècle. Loin de composer un langage universel, la musique joua les partitions de l’identité brésilienne sur la scène nationale aussi bien qu’à l’étranger. On constate cependant une modification importante du répertoire de la nation dans le jeu d’échelles du régional au global [Revel, 1996]. L’Itamaraty privilégia ainsi la musique savante pour insérer le Brésil dans le concert des nations durant toute la première moitié du xxe siècle alors que les politiques nationales avaient fait de la samba un élément central de la brasilidade dès les années 1930. De même, la redéfinition de la diplomatie musicale brésilienne dans les années 1960 ne provoqua pas un alignement sur les politiques nationales. Une fois les militaires parvenus au pouvoir en 1964, de nouvelles divergences apparurent entre les politiques musicales nationales et internationales. Le débat ne portait plus désormais sur les mérites comparés du savant et du populaire, mais sur le message porté par la musique et sur la couleur politique de ses interprètes.
40Au niveau national, la scène musicale brésilienne fut soumise à un contrôle étroit pendant toute la période de la dictature, qui atteint son climax après l’adoption de l’Acte institutionnel n° 5 en 1968 [Napolitano, 2004]. Les chanteurs engagés qui avaient émergé dans le sillage de la bossa-nova au début de la décennie et les membres du mouvement tropicália aux aspirations libertaires furent les premières cibles du régime. Dès 1966, Chico Buarque (né en 1944), Nara Leão (1942-1989), Geraldo Vandré (né en 1935), Edu Lobo (né en 1943), Caetano Veloso et Gilberto Gil étaient considérés par les autorités militaires de São Paulo comme « les principaux agents d’un groupe de compositeurs et de chanteurs philocommunistes » menant une « action psychologique » néfaste sur le public brésilien [Ibid., p. 107]. Soumis à la censure, emprisonnés et contraints à l’exil, ils devinrent des symboles de la résistance pendant les anos de chumbo – littéralement, les « années de plomb » – que traversa le Brésil entre 1968 et 1973. Or, ces voix contestataires, frappées d’exclusion sur la scène nationale, furent précisément celles que le ministère des Relations extérieures choisit de soutenir à l’international. On en retrouve la trace dans la « discothèque minimale » établie par la DDC, ainsi que dans les listes de disques dressées régulièrement par les ambassades à partir de 197566. Plus encore, l’Itamaraty finança la participation de ces « dangereux agents philocommunistes » à une série de rencontres musicales internationales dans les années 1970. Il soutint les délégations brésiliennes envoyées au Midem par le producteur André Midani (1934-2019)67 entre 1968 et 1975, qui comptaient dans leurs rangs plusieurs opposants du régime dont Edu Lobo, Elis Regina et Chico Buarque68. L’année suivante, l’ambassadeur brésilien à Rome se déclarait « entièrement satisfait des résultats » de la saison musicale réalisée avec le soutien du ministère des Relations extérieures et la participation de Chico Buarque, Maria Bethânia et Gilberto Gil69. En 1977, ce dernier joua également à Lagos, lors de la seconde édition du Festival mondial des arts nègres, avec l’appui du ministère70.
41Comment interpréter un tel décalage entre la politique intérieure et la diplomatie culturelle brésilienne ? À ce jour, les archives disponibles ne permettent pas de répondre de manière définitive. En guise de conclusion, nous pouvons cependant avancer deux éléments d’interprétation : l’orientation essentiellement pragmatique de la diplomatie culturelle brésilienne et la relative indépendance du corps diplomatique. Dès les années 1930, le pragmatisme a présidé à la définition de l’action culturelle de l’Itamaraty. Conscients des contraintes budgétaires qui pesaient sur eux et soucieux de conserver une certaine indépendance vis-à-vis des États-Unis, les diplomates brésiliens ont privilégié les objets symboliques bénéficiant déjà d’une certaine reconnaissance internationale pour promouvoir les intérêts économiques et stratégiques du Brésil à l’étranger. Or, les interprètes de bossa-nova et de MPB étaient les seuls musiciens brésiliens à avoir véritablement percé sur les scènes internationales dans les années 1960 et 1970. Ils apparurent donc comme le relais le plus efficace pour défendre les intérêts du Brésil à l’étranger, même s’ils demeuraient suspects sur le plan intérieur. Outre les impératifs de ce que nous pourrions appeler une Realpolitik culturelle, il faut prendre en compte les spécificités du corps diplomatique brésilien, qui est recruté sur concours, bénéficie d’une formation de haut niveau depuis la fin du xixe siècle et jouit traditionnellement d’une relative indépendance face au pouvoir politique – notamment en termes de promotions et de carrières [Rouquié, 2006, p. 333-336]. Cet esprit de corps aurait-il permis à la diplomatie brésilienne de maintenir une distance face aux pressions exercées par le pouvoir militaire ou doit-on voir dans ces divergences la volonté d’afficher un visage libéral à l’international, afin de masquer l’ampleur de la répression ? La question demeure ouverte. Raison de plus pour espérer une ouverture prochaine des archives de l’Itamaraty pour la période du régime militaire.
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Notes de bas de page
1 Ces termes sont utilisés dans la revue illustrée Careta en 1916 à propos du danseur Duque, de son vrai nom Antônio Amorim Diniz, qui lança la mode de la maxixe à Paris à la veille de la Première Guerre mondiale (Careta, Rio de Janeiro, 12/01/1916).
2 Gilberto Gil fut ministre de la Culture entre janvier 2003 et juillet 2008.
3 Cette expression, qui doit être entendue ici au propre comme au figuré, fait écho aux réflexions menées sur les écrivains diplomates [Badel et al., 2012]
4 Il fut notamment l’auteur du premier ouvrage sur le jazz paru au Brésil : Jazz panorama, Rio de Janeiro, Agir, 1953.
5 Avant d’être transféré dans le bâtiment construit par Oscar Niemeyer à Brasília, qui reçut également le nom de Palácio Itamaraty.
6 Les archives sont réparties entre Rio de Janeiro (jusqu’aux années 1950) et Brasília (à partir de cette date). Outre les dossiers « Musique », on trouve de nombreux documents relatifs à l’activité des musiciens brésiliens à l’étranger dans les fonds des services centraux en charge de l’action culturelle, ainsi que dans la correspondance diplomatique entre le ministère et les légations brésiliennes qui inclut des articles de presse traitant de l’actualité politique, économique et culturelle du Brésil [Dumont et Fléchet, 2009].
7 Nous reprenons ici l’expression forgée par Caetano Veloso pour retracer l’histoire de la musique populaire brésilienne, de la samba à l’émergence du mouvement Tropicália dont il fut le porte-parole [Veloso, 1966].
8 Posséder un opéra national était un signe de civilisation dans l’Europe du xixe siècle. Cet élément symbolique n’échappa pas aux élites latino-américaines dont les regards demeuraient tournés vers l’Europe et la nécessaire lutte de la « civilisation » contre la « barbarie » [Devés Valdés, 1978 ; Lempérière et al., 1998].
9 AHI (Rio de Janeiro) : DCI/540.36/Circular 171
10 Littéralement, le « second règne ». Cette période correspond au règne personnel de Pedro II, qui succéda à celui de Pedro I (1822-1831), premier empereur du Brésil, et à la Régence (1831-1840). Elle prit fin avec la proclamation de la République en 1889.
11 Notamment La Revue générale (Bruxelas), Der Musiksalon (Berlin) et Der Illustrierte Zeitung (Leipzig) [Pereira, 2001, p. 77-83].
12 AHI (Rio de Janeiro) : Emb. Paris/Ofícios/n. 40/« Maestro Elpídio Pereira » 16/06/1914. Organisé peu de temps auparavant, le premier concert parisien du compositeur avait été bien accueilli par le public et la critique française, ce qui contribua à convaincre l’ambassadeur de le soutenir.
13 La ligne du périodique, diffusé entre 1912 et 1915, apparaît clairement dans l’ensemble des articles. Sur les objectifs affichés d’éducation et de propagande, voir notamment : « Le musée commercial du Brésil à Paris », Bulletin officiel du bureau de renseignements du Brésil à Paris, Paris, 15/07/1914.
14 « La musique au Brésil », Bulletin officiel du bureau de renseignements du Brésil à Paris, Paris, 15/07/1914.
15 Henrique Oswald avait gagné le prix du Figaro en 1902 avec sa pièce pour piano, Il neige. Quant à Alberto Nepomuceno, il avait dirigé un « Grand concert brésilien avec orchestre » salle Gaveau en 1910. Cf. Programme de la salle Gaveau, Paris, 17/09/1910 (nous remercions Manoel Corrêa do Lago de nous avoir communiqué ce document).
16 Cf. « Les Arts », La Revue de l’Amérique latine, Paris, janvier-juin 1924, p. 189 ; « Les Brésiliens de Paris », Paris soir, Paris, 18/01/1924.
17 Au Brésil, l’expression música popular désigne des musiques urbaines créées dans les milieux populaires et/ou objet d’une consommation de masse. L’acception brésilienne est donc plus proche de la popular culture américaine que de la musique populaire française, qui correspondrait quant à elle à la musique définie comme traditionnelle ou folklorique au Brésil (rurale et anonyme). Nous retenons ici le sens brésilien de musique populaire recouvrant les domaines français de la chanson, de la variété et de la musique de danse.
18 En mai 1922, le « glorieux anniversaire de la découverte du Brésil » fut ainsi célébré « au son de l’orchestre des Batutas » en présence de diplomates français de premier plan, dont Emmanuel Peretti de la Rocca, directeur des affaires politiques et commerciales, et le vicomte Dejean, directeur Amérique au ministère des Affaires étrangères. Cf. « Échos diplomatiques et mondains », Le Brésil, Paris, 07/05/1922, p. 2.
19 Littéralement « L’heure du Brésil ».
20 Note de Elysée Montarroyos, délégué du Brésil auprès de l’Institut International de Coopération Intellectuelle, au ministre des Relations extérieures Afrânio de Melo Franco, 05/11/1932 [citée par Dumont et Fléchet, 2009, p. 163].
21 Il désigne ainsi les différents supports qui permettent la matérialisation de « l’objet musical » : instruments, partitions, disques, etc. [Hennion, 2007, p. 310].
22 L’Institut national de musique prit la suite du Conservatoire impérial de musique de Rio de Janeiro après la proclamation de la République en 1890. Il changea de nom et devint École nationale de musique en 1937.
23 AHI (Rio de Janeiro) : IICI/542.6/n. 73/Lettre du 04/02/1937.
24 AHI (Rio de Janeiro) : DCI/540.36/n. 9077/Lettre du 20/07/1938.
25 Ibid.
26 AHI (Rio de Janeiro) : IICI/542.6/n. 73/Lettre du 04/02/1937.
27 En 1940, les sommes allouées aux « disques brésiliens pour la propagande » ne représentaient que 4 % du budget global de la DCI, pourcentage négligeable par rapport aux échanges universitaires (30 %), aux congrès scientifiques (20 %) ou à la diffusion de livres et revues (15 %) [Dumont, 2009, p. 35].
28 Mário de Andrade, « Brésil », in Folklore musical. Répertoire international des collections et centres de documentation avec notices sur l’état actuel des recherches dans les différents pays et références bibliographiques. Musique et chansons populaires, Paris, Institut international de coopération intellectuelle, 1939, p. 15-40. Voir aussi AHI (Rio de Janeiro) : IICI/542.6(04)/Lata 794.
29 AHI (Rio de Janeiro) : DCI/540.36/Lata 36940.
30 AHI (Rio de Janeiro) : DCI/Música/640.36(00)/Lata 1267.
31 Cette institution fonctionne aujourd’hui sous le nom de International Council for Traditional Music. Elle a pour but de « favoriser l’étude, la pratique, la documentation et la dissémination de la musique traditionnelle ». Ces informations sont disponibles sur le site internet : http://www.ictmusic.org/ICTM/ (consulté le 27/02/2012).
32 En 1957, la radio nationale brésilienne consacrait un temps d’antenne hebdomadaire à la musique française. En échange, la RTF s’était engagée à inclure deux demi-heures de programmation brésilienne dans sa grille. Au dernier moment, les émissions furent réduites à une demi-heure hebdomadaire. AHI (Rio de Janeiro) : Emb. Paris/Ofícios 1957/481/675(85) : « Programa de música brasileira na Radiodifusão francesa », Paris, 12/11/1957.
33 AHI (Rio de Janeiro) : Emb. Paris/Ofícios 1957/n. 75/540.36/« Anexo unico ».
34 AHI (Brasília) : Emb.Paris/Ofícios 1970/« Émissions Aquarelles du Brésil », liste 21.
35 Rio de Janeiro fut capitale et siège du District fédéral jusqu’en 1960. Après l’inauguration de Brasília, l’ancien District fédéral, dont les limites administratives correspondaient à la municipalité de Rio, devint l’État de Guanabara. En 1975, il fut intégré à l’État de Rio de Janeiro.
36 AHI (Brasília) : DCI/640.36(00)/Música 1941-1962/ « Circular n. 2653 ».
37 AHI (Brasília) : DDC/640.36(00)/Música 1963-1972.
38 AHI (Brasília) : DDC/640,36(00)/Lettre de João Paulo do Rio Branco, Rio de Janeiro, 07/11/1966.
39 Lima Barreto, « Importância da Dança no Intercâmbio Comercial », ABC, Rio de Janeiro, 08/01/1921, repris dans Coisas do reino do Jambon. Sátira e Folclore, São Paulo, Brasiliense, 1956, p. 43-48
40 Ibid.
41 Museu da Imagem e do Som, Rio de Janeiro : entretien avec Antônio Carlos Jobim, 22/08/1967, fita 1.
42 AHI (Rio de Janeiro): Emb. Paris/Reservado/no 241/640.612(00)/Lettre de Carlos Alves de Sousa Filho à Francisco Negrão de Lima, Paris, 20/05/1959.
43 AHI (Rio de Janeiro): DCI/540.36/« Circular 171 ».
44 L’expression désigne un principe de composition qui consiste à intégrer des motifs folkloriques nationaux dans des œuvres savantes. Inspiré des œuvres d’Igor Stravinski (1882-1971), le nationalisme musical est à l’origine du renouveau des écoles russe, espagnole et tchèque dans l’entre-deux-guerres. À la même époque, il est introduit au Brésil par des compositeurs comme Heitor Villa-Lobos, Luciano Gallet (1893-1931) et Camargo Guarnieri, ainsi que par des critiques musicaux comme Mário de Andrade [Contier, 2004 ; Travassos, 1997 ; Wisnick, 1983].
45 AHI (Rio de Janeiro) : DCI/540.36/Lata 36940.
46 AHI (Rio de Janeiro) : DCI/540.36/Lata36940/« Monografias sobre música brasileira », Rio, 08/07/1947.
47 Ibid. Les compositeurs choisis furent finalement Brazílio Itiberê da Cunha, Claudio Santoro, Fructuoso Vianna, Luiz Cosme (1908-1965) et Radamés Gnattali.
48 Voir, à ce sujet, le témoignage d’Anna Stella Schic, dans Villa-Lobos, souvenirs de l’Indien blanc, Paris, Actes Sud, 1987, p. 87-88.
49 AHI (Brasília) : DCI/640.36(00)/« Primeiras Olimpíadas Internacionais de Canto Coral Amador. Paris, junho de 1956 ».
50 L’action du British Council et de l’Alliance française, les deux principales sources de la DCI, reposait alors sur la culture érudite. Cf. AHI (Rio de Janeiro) : DCI/542.6/n. 86/« Meios de ação cultural empregados. Conveniência de uma análise cuidadosa », 11/04/1950.
51 On voit ainsi apparaître une subdivision « musique populaire » dans le classement des AHI en 1972.
52 AHI (Brasília) : DDC/640.361(B46)(00)/n. 1457/« Discos e partituras de músicas de carnaval », 11/11/1974.
53 Le sigle MPB – écrit en majuscules – a été adopté à la fin des années 1960 pour désigner la bossa nova, la chanson protestataire, le tropicalisme et les différents genres commerciaux dits « de qualité » [Napolitano, 2001].
54 AHI (Brasília) : DDC/640.361(B46)(00)/Lettre à Odeon Discos, 24/02/1975 ; « Discos. Recebimento », 12/12/1975 ; Lettre à Discos Marcus Pereira, 13/02/1976 ; Lettre à Som Livre, 13/02/1976. DDC/640.361(B46)(B13)/« Cultura. Brasil. Recebimento de discos », 14/06/1977.
55 AHI (Brasília) : DDC/640.0(B46)/Difusão Cultural 1972-1977/640.361(B46)(F21)/ «Feira brasileira de exportação », 11/09/1973.
56 Simone et Robert Ribeiro, À Bruxelles. Brasil Export 73 p Odéon, 1973. Ce disque a été repris sous forme de CD par EMI/Odéon en 2003.
57 AHI (Brasília) : DDC/640.36(00)/ Música 1963-1972/540.36(85)/« Festival do Midem. Participação », 25/11/1969 ; « Participação do Brasil no Midem de Cannes », 15/01/1970 ; « Festival do disco. Carnaval brasileiro », 07/01/1975.
58 Danse populaire du Nordeste au mouvement vif et au rythme syncopé, le baião gagna l’ensemble du pays dans les années 1940, incarné par le chanteur et accordéoniste Luiz Gonzaga (1912-1989).
59 « Samba com passaporte official », O Cruzeiro, Rio de Janeiro, 05/04/1958.
60 Le nombre d’entrées de touristes étrangers au Brésil est passé de 106 450 en 1963 à 1 081 799 en 1981 et 5 018 991 en 2006 (Embratur, Anuário estatístico, 1970 ; 1981 ; 2006).
61 AHI (Brasília) : DDC/Música popular 1972-1977/640.361(B46)(B13)/n. 204/ Lettre de João Augusto de Araujo Castro, ambassadeur à Washington, au secrétariat d’État, 11/02/1975.
62 Diário do Congresso Nacional, Brasília, novembre 1977, p. 9088.
63 « Programa de cooperação cultural entre o Brasil e países africanos », Afro-Asia, Salvador de Bahia, n° 12, 1976, p. 247-251.
64 AHI (Brasília) : DDC/640.36(00)/Música 1963-1972/ « Primeiro Festival Mundial de Artes Negras, Dakar, Senegal », 13/04/1966.
65 AHI (Brasília) : DDC/AIG/647.361(B46)(00)/ « Colaboração com emissoras de rádio e televisão no exterior », 12/03/1974.
66 AHI (Brasília) : DDC/640.361(B46)(00)/ lettre à Odeon Discos 24/02/1975 ; « Discos. Recebimento », 12/12/1975 ; lettre à Discos Marcus Pereira, 13/02/1976 ; lettre à Som Livre, 13/02/1976. DDC/640.361(B46)(B13)/« Cultura. Brasil. Recebimento de discos », 14/06/1977.
67 Il dirigeait alors la filiale brésilienne de Philips et avait sous contrat les plus grands noms de la MPB [Napolitano, 2001, p. 84].
68 Le ministère apporta un soutien logistique et financier à ces délégations à partir de 1970 en vertu d’une convention signée avec le Conseil fédéral de culture, une institution fondée en 1967 afin de définir la politique culturelle du Brésil par le biais de campagnes nationales et d’échanges internationaux [Calabre, 2006]. AHI (Brasília) : DDC/640.36(00)/ Música 1963-1972/Of. 297.69/Lettre de Aerthuyr Cezar Ferreira Reis, président du Conseil fédéral de la culture, à Vasco Mariz, chef du DC, 30/12/1969.
69 AHI (Brasília) : DDC/640,36(00)(B46)(F31)/Música popular 1972-1977/« Cultura. Itália. Promoção da Música Popular Brasileira », 01/11/1976.
70 Cf. The Impact of African Culture on Brazil, Brazilian Exhibition, II FESTAC, Lagos-Nigeria, Brasília, MRE/MEC, 1977.
Auteur
Anaïs Flechet est maîtresse de conférences en histoire à l’université de Paris-Saclay, UVSQ, directrice adjointe du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (EA 2448) et membre junior de l’Institut universitaire de France. Ses travaux portent sur les relations culturelles entre la France et le Brésil à l’époque contemporaine, la circulation des idées et des pratiques artistiques dans l’espace atlantique et le rôle de la musique dans les relations internationales. Elle a notamment publié Si tu vas à Rio. La musique populaire brésilienne en France au xxe siècle (Paris, Armand Colin, 2013), et codirigé Cultural History in France: Global Debates, Local Perspectives (New York, Routledge, 2019), Como era fabuloso o meu francês. Imagens e imaginários da França no Brasil (Rio de Janeiro, FCRB/7Letras, 2017), Littératures et musiques dans la mondialisation. xxe-xxie siècles (Paris, Publications de la Sorbonne, 2015), De la démocratie raciale au multiculturalisme : Brésil, Amériques, Europe (Bruxelles, Peter Lang, 2009). Depuis 2016, elle codirige le programme de recherche Transatlantic Cultures – Cultural Histories of the Atlantic World 18th-21st centuries soutenu par l’ANR et l’agence brésilienne Fapesp.
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