Chapitre i. Modernité urbaine et confection : le vêtement bon marché dans une métropole émergente
p. 47-83
Texte intégral
1Au Brésil comme dans les pays plus anciennement industrialisés, l’industrie de la confection fait partie du socle des activités industrielles associées au décollage industriel et à l’essor urbain. Dans la première moitié du xxe siècle, le secteur de la confection brésilien se structure sur la base d’une production peu sophistiquée, modeste quant aux volumes de fabrication, et répartie entre le vêtement destiné à une classe moyenne encore peu nombreuse – qui de surcroît a une consommation individuelle réduite – et les uniformes ou vêtements professionnels destinés aux travailleurs. Quant à la mode vestimentaire en série, le prêt-à-porter, elle s’adresse alors à un public féminin trié sur le volet.
2La confection, initialement, n’est donc pas une production de masse de produits bon marché, phase de la structuration du secteur dont l’avènement dépend d’un seuil de croissance urbaine et de développement industriel. Au Brésil, la consommation de masse de vêtements apparaît à partir des années 1960 lorsque, grâce aux progrès de l’urbanisation, l’usage social du vêtement comme artefact de différenciation et d’appartenance culturelle se diffuse peu à peu dans le pays et se généralise à l’ensemble des catégories sociales, des classes supérieures aux couches populaires. São Paulo devient alors la capitale nationale de la production de vêtements. En une cinquantaine d’années, l’offre se diversifie et la consommation par habitant augmente, de sorte que l’ensemble du secteur se transforme radicalement ; au point qu’aujourd’hui, le secteur de la confection brésilien produit en majorité des articles bon marché destinés à une clientèle autochtone issue des classes populaire et moyenne.
3Modification des habitudes de consommation, décollage sectoriel et réorganisation productive se conjuguent en un même mouvement de redéfinition de la place du vêtement dans la société et l’économie brésiliennes. Au cœur de cette dynamique, la révolution urbaine et industrielle qui, en moins d’un siècle, des années 1880 au milieu du xxe siècle, transforme la modeste ville provinciale de São Paulo en capitale économique et industrielle, en faisant la plus grande ville du Brésil. Pour comprendre ce changement, il faut analyser l’évolution de la filière de la confection, de son émergence à Rio de Janeiro à sa concentration à São Paulo, et considérer la diversification et la segmentation de l’offre au cours des dernières décennies. Il est aussi nécessaire de tenir compte des évolutions sociologiques et démographiques qui, dans un contexte de croissance urbaine, modifient le rapport individuel et collectif au vêtement et à la mode. Prendre en compte le contexte particulier des années 1980 à 2000, période de démocratisation et de transformations économiques, s’avère également indispensable pour dresser un tableau de la situation économique et sociodémographique du secteur de la confection aujourd’hui. Ces éléments ne peuvent être détaillés sans un exposé succinct de la croissance de la ville de São Paulo, des caractères de son peuplement et du processus d’industrialisation depuis la fin du xixe siècle.
São Paulo, croissance urbaine et décollage industriel
4Dans la seconde moitié du xxe siècle, São Paulo s’affirme comme la capitale brésilienne de la confection et du commerce vestimentaire face à Rio de Janeiro. Ce statut se constitue à la faveur d’une trajectoire historique qui débute à la fin du xixe siècle, au cours de laquelle São Paulo, grâce à une exceptionnelle croissance démographique soutenue par l’immigration internationale puis la migration interne, devient la principale ville du pays et la capitale industrielle.
Antécédents coloniaux et essor industriel et urbain
5Officiellement fondée en 1554, la ville de São Paulo est à l’origine le projet religieux des Jésuites. Son emplacement, situé à plus de 700 mètres d’altitude, bénéficie d’un climat plus amène que la côte ou l’intérieur du plateau ; les fièvres y sont moins persistantes. Ainsi que l’observe le géographe Pierre Monbeig, « la catéchèse est donc à l’origine non seulement de la fondation de Saint-Paul, mais aussi de sa fonction urbaine » [Monbeig, 1953a p. 69]. Par la suite, en raison de sa position géographique et de son articulation avec l’arrière-pays, la ville devient celle des Bandeirantes, explorateurs, pilleurs et chasseurs d’Indiens. Pendant deux siècles, la petite ville rayonne sur un immense espace, elle est l’antichambre de l’exploration du territoire de la colonie. En 1709, la Capitainerie1 de São Paulo est créée, dont elle est la capitale et, en 1745, la papauté y installe un évêché. Pourtant, la population n’atteint que quelques centaines de foyers à la fin du xviiie siècle [Monbeig, 1953a].
6L’impulsion vient de l’essor de la caféiculture qui, depuis la Province de Rio de Janeiro, se développe en direction de celle de São Paulo en suivant la vallée du Paraíba. La production de café progresse ensuite, avec la colonisation des plateaux forestiers du nord-ouest de São Paulo, et prend une ampleur exceptionnelle2 grâce à une politique migratoire soutenue par les planteurs. Pour mettre en œuvre la mise en valeur des terres les plus fertiles, les propriétaires terriens du São Paulo ont recours à une nombreuse main-d’œuvre libre, qu’ils importent. En quelques décennies, des millions d’Européens et d’Asiatiques viennent peupler l’État. Débarquant à Santos, ils sont envoyés à São Paulo pour y être redistribués vers les plantations de l’intérieur. Le développement du réseau de chemins de fer3 joue alors un rôle déterminant dans le dynamisme de la marche pionnière, en ouvrant la voie vers de nouveaux espaces, en facilitant la circulation de la main-d’œuvre, en limitant le temps d’acheminement des marchandises produites ou importées. São Paulo sert d’interface entre la zone littorale et l’outre-atlantique comme à l’intérieur des terres, où les défrichements et la culture de plantation avancent à grands pas. La relation vaut dans les deux sens, car la ville croît à la faveur des importations, de l’immigration, mais aussi de la demande de l’hinterland, qui ne se limite pas aux matières premières produites et transformées, mais concerne aussi les services et les biens manufacturés. Car les planteurs sont des exploitants agricoles innovant dans leurs relations avec la ville. Ils ont besoin d’activités de soutien, financières, logistiques ou industrielles, que seule la ville peut héberger. L’électrification de la ville et l’inauguration du tramway en 1900 seront déterminantes dans l’accélération de la croissance urbaine et industrielle de São Paulo. L’intérêt grandissant pour la ville est tel que, à certaines époques, la crise de la main-d’œuvre dans la zone caféière est en partie imputable à l’attrait qu’exerce la ville de São Paulo sur les migrants, intérieurs ou internationaux [Monbeig, 1937, p. 91].
Décollage démographique et industriel et concentration urbaine 1900-1930
7En une trentaine d’années, l’économie de plantation et son modèle agro-exportateur enclenche une dynamique de croissance inédite en articulant dans un même dispositif l’immigration internationale, l’industrialisation et l’urbanisation. Au tournant du xxe siècle, São Paulo devient une grande ville, industrielle, ouvrière et immigrée. Dès son origine, l’industrialisation du Brésil s’accompagne d’une double concentration géographique des activités : dans l’État de São Paulo et, à l’intérieur de celui-ci, dans sa capitale, laquelle nous intéresse au premier chef.
8Au tout début des années 1880, le Brésil ne compte guère plus de 200 établissements industriels ; mais on en dénombre déjà un peu plus de 600 en 1888. À cette date, 60 % du capital industriel total sont investis dans le textile, 15 % dans l’alimentation, 10 % dans les produits chimiques, et seulement 3,5 % dans la confection [Ianni, 2004 [1997], p. 367]. Selon Loureiro [2007], la ville de São Paulo émerge comme « épicentre industriel » dès la fin du xixe siècle en raison des caractères d’une Province où se conjuguent croissance de la demande urbaine, expansion du réseau ferré, importante disponibilité de la matière première, développement d’un réseau de production et de distribution d’énergie et, enfin, structuration d’un marché de capitaux par concentration bancaire. La ville ne concentre pas encore la production industrielle nationale, mais la transition approche ; elle a lieu au tournant du siècle, lorsque la culture du café dans l’État de São Paulo devient la base de l’économie brésilienne. L’importance de la confection n’apparaît pas immédiatement dans cette phase initiale, contrairement au textile, dont on peut dire qu’il est essentiel à ce stade.
9En 1907, l’État de São Paulo regroupe 327 établissements de l’industrie de transformation, assurant 15,9 % de la valeur de la production nationale [Negri, 1994, p. 32]. En 1928, 9 603 unités de production assurent 37,1 % de la valeur de la production nationale. Entre 1907 et 1928, la population ouvrière est multipliée par six, passant de 24 686 à 158 746 (80 782 déjà en 1919). L’industrie devient alors le moteur de la croissance urbaine. Ce lien est établi notamment par Pierre Monbeig lorsqu’il souligne, au sujet de la ville du début du siècle, qu’« en étudiant les facteurs du développement industriel, on connaîtra les principales causes de l’épanouissement urbain » [Monbeig, 1953a, p. 269]. De fait, la concentration industrielle dans la capitale de l’État de São Paulo est perceptible dès le décollage du début du xxe siècle : en 1907, des 327 établissements industriels que compte l’État, 154 (47,1 %) sont installés dans la commune de São Paulo4. Des taux de concentration voisins sont constatés dans la valeur de la production ou la distribution de la population ouvrière : en 1907, 12 773 ouvriers sont recensés dans les usines de la commune de São Paulo [Negri, 1994, p. 42]. Vingt années plus tard, en 1928, la commune de São Paulo renforce son poids, puisqu’elle assure désormais 58,0 % de la valeur de la production industrielle de l’État de São Paulo. En quelques décennies, cet État est devenu le centre industriel majeur du pays et sa capitale la première ville industrielle du pays.
10Dès la phase de démarrage industriel, la confection apparaît aux côtés du textile, mais il s’agit encore d’une production marginale5. Car, pour une bonne part, les vêtements sont l’objet d’une fabrication domestique et privée, les vêtements fabriqués par des tiers étant des modèles sur mesure, confectionnés par des tailleurs et des couturiers autonomes dans de modestes ateliers peu visibles comparés aux installations de l’industrie textile [Maleronka, 2007, p. 38]. La confection a cependant ceci de particulier qu’elle est d’emblée une industrie urbaine. Si les industries de l’alimentation et du textile sont implantées dans l’intérieur pour la proximité des matières premières, la confection affiche quant à elle une préférence pour l’environnement urbain : en 1928, 79,6 % des ouvriers du secteur des « vêtements, chaussures et artefacts de tissus6 » sont employés dans le grand São Paulo [Negri, 1994, p. 48]. On perçoit ici l’une des caractéristiques de la confection, dont les importants besoins de main-d’œuvre déterminent ses caractères en matière de localisation – c’est-à-dire à proximité des concentrations de populations ouvrières. Wanda Maleronka [2007, p. 39] observe ce phénomène dès le début des années 1920 ; car selon la Diretoria Geral de Estatística, en 1920, soixante-dix des soixante-quatorze établissements industriels du secteur de la confection recensés dans l’État de São Paulo se trouvent dans la capitale. Au sein de la capitale, un quartier se démarque, le Bom Retiro, dont la trajectoire fonctionnelle, très tôt définie autour de la combinaison de la confection et de l’immigration, aboutit quelques décennies plus tard à sa spécialisation dans le commerce et la fabrication du vêtement prêt-à-porter [Feldman, 2008]7.
11Le développement de l’industrie et sa concentration dans l’État de São Paulo et sa capitale sont concomitants avec la période d’intense immigration du tournant du xxe siècle [Souchaud, 2009]8. L’immigration dans l’État de São Paulo, en raison de son ampleur, nourrit en effet la croissance démographique et stimule la demande industrielle. Par ailleurs, de nombreux immigrants s’installent en ville et prennent part à l’essor de l’industrie, comme ouvriers ou entrepreneurs. En 1920, selon le recensement [Ministério Da Agricultura, 1926], plus du tiers de la population de la capitale, soit 205 245 habitants, est étrangère. Une fois au Brésil, une part conséquente des migrants internationaux, issue des classes moyennes, se convertit à l’entrepreneuriat. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les pionniers de l’industrie, qu’ils soient étrangers ou Brésiliens, presque sans exception, entretiennent ou ont entretenu des activités dans le commerce d’importation et la production de matières premières agricoles [Fausto, 2006 [1997], p. 299]. Le projet industriel est le fruit d’une trajectoire professionnelle d’où naît la volonté, soit de mettre en valeur une ressource brute extraite, soit de substituer une importation. Le renchérissement des tarifs douaniers sur les importations est aussi un facteur du développement industriel. Enfin, les capitaux étrangers jouèrent un rôle décisif dans le développement initial de l’industrie pauliste9. En 1911, près des deux tiers des avoirs financiers des banques dont le siège social se trouve à São Paulo sont en possession d’institutions étrangères. Situation qui se prolonge pendant plusieurs décennies [Levine, Love, Wirth, 2006 [1997], p. 69].
12Dans la première moitié du xxe siècle, la présence étrangère dans l’industrie demeure importante. Selon Sarah Feldman [2008, p. 5], des 8 500 fabriques répertoriées dans l’État de São Paulo en 1936, presque 4 000 appartiennent à des étrangers. À cette époque, les immigrés installés à São Paulo, dont la présence est importante dans toute la ville, se concentrent dans quelques districts centraux, et notamment le Bom Retiro, Sé et Liberdade. Dans le Bom Retiro, les immigrés développent très tôt des activités industrielles de petite envergure, souvent domestiques, au sein desquelles la confection tient une place importante. Le quartier attire de nombreux immigrés juifs qui « détiennent le commerce des vêtements et articles vestimentaires tout en ayant des ateliers de fabrication » [Monbeig, 1953b, p. 298]. Quant à la rue 25 de Março, aujourd’hui haut lieu du commerce populaire de la capitale, elle n’est déjà « qu’une succession de marchands d’étoffes syriens ou libanais » [p. 297]. Mais, si les immigrés juifs débutent dans la production et le commerce de la confection à São Paulo même, les Syriens et les Libanais exercent leurs compétences dans les colonies de l’intérieur de l’État, avant de s’installer eux aussi dans la rue 25 de Março [Maleronka, 2007, p. 41-47].
13Jusqu’aux années 1920-1930, le développement de la capitale se fonde donc sur une dynamique d’industrialisation portée par une immigration internationale de masse. À partir des années 1940-1950, la donne change. L’immigration internationale cesse quasiment, et la part de population étrangère baisse rapidement. Pourtant, la croissance urbaine se maintient à un niveau élevé puisque, dans les années 1950, la population de São Paulo dépasse en nombre celle de Rio de Janeiro ; elle croît de 65 000 à 4 905 000 habitants entre 1890 et 1960. À l’approche de la transition démographique, la croissance démographique repart de plus belle, l’industrialisation entre dans une nouvelle phase ; une révolution s’amorce dans la consommation urbaine.
L’arrivée du vêtement bon marché
14À partir des années 1960, la diffusion de la mode bon marché provoque un changement dans l’économie de l’habillement brésilien. La prise en charge locale, c’est-à-dire au Brésil même, de la production d’une part importante du vêtement à bas coût permet à l’industrie de la confection de décoller. Parallèlement, le secteur opère une différenciation de la production par grandes catégories d’articles de vêtements, selon la qualité, le prix, l’usage et les conditions sociales de la clientèle. La segmentation est à la fois économique et sociale.
15Il est nécessaire de comprendre comment l’habit à bas coût s’élabore historiquement, en tant qu’article de mode vestimentaire et comme produit industriel ; car, dans le processus historique qui conduit à l’émergence de la confection d’une mode bon marché se trouve la définition de certains caractères aujourd’hui essentiels de ce secteur. Pour réaliser ce retour en arrière, un déplacement dans l’espace s’impose, puisque c’est entre New York et Paris qu’apparaît la massification de la confection de mode.
16Selon Solange Montagné-Villette [1990, p. 14], la confection naît en France, sous le Second Empire, alors que se combinent progrès technologiques, changements économiques et évolutions sociologiques. Le perfectionnement de la machine à coudre à navette et à deux fils assure à cet outil une plus grande diffusion et améliore la productivité des ouvrières et des ouvriers. À la suite de la forte croissance de la population parisienne, l’élévation du niveau de vie fait émerger une classe moyenne dont les modes de consommation changent : les grands magasins qui apparaissent font évoluer la consommation et le commerce vers la massification. Solange Montagné-Villette précise toutefois que « les premiers vêtements “tout faits” apparaissent à Londres au xviiie siècle et à Paris vers 1770 » [p. 13]. L’auteur ajoute qu’il ne s’agit pas encore d’une industrie, puisque les modèles sont fabriqués en petites quantités et parce qu’ils sont cousus par des artisans tailleurs.
17L’historienne Nancy Green adopte un point de vue différent quant aux origines de la confection, qu’elle situe peu avant le milieu du xixe siècle et associe à la demande militaire. Ainsi, si la confection est définie, en tant qu’activité industrielle, par la division du travail, la mécanisation des activités et la production de modèles en série (et non sur mesure) et en quantités importantes, Nancy Green souligne cependant que « la partition du travail en tâches spécifiques est indépendante de la mécanisation ou de la concentration des moyens de production » [1998, p. 49]. L’évolution radicale qu’introduit la confection tient à l’échelle de production. À partir du milieu xixe siècle, grâce à la diffusion des machines à coudre, « les grands ateliers militaires puis civils portèrent [la production] à une échelle jusque-là inconnue » [p. 49]. Enfin, l’auteure ne perçoit pas l’essor de la confection en tant que phénomène urbain ; elle y voit le résultat de l’augmentation de la demande vestimentaire de l’armée, groupe social ayant l’uniformité pour règle. Dans les années 1830 à 1848, l’armée française monte ses propres ateliers, qui rassemblent en un même lieu un nombre important d’ouvriers. Ces premiers ateliers de l’histoire de la confection produisent tout d’abord des uniformes pour la Garde nationale [1998, p. 48] ; mais la demande militaire croissante impose l’amélioration des techniques de production et entraîne l’apparition d’ateliers civils.
18Le terme de confection apparaît d’ailleurs bien en référence à la production d’uniformes pour l’armée dans des ateliers militaires et civils ; à ses origines, il correspond à une production de vêtements masculins dans le cadre d’ateliers de production. À partir de la fin du xixe siècle, l’industrie de la confection étend sa production à la mode féminine. L’évolution des modes vestimentaires traduit un changement plus général des mentalités, associé à l’avènement de la société de consommation, que Nancy Green situe à la fin du xixe siècle. En 1895, le terme ready-to-wear (prêt-à-porter) apparaît.
19Il est important de s’attarder sur les changements qui se produisent à cette époque et notamment sur ce que signifie d’une part le développement de la confection féminine et, d’autre part, le phénomène du prêt-à-porter, car leur émergence implique des évolutions majeures dans les préférences vestimentaires et dans l’organisation économique de l’industrie du vêtement ; implications qui se conjuguent et où la demande apparaît peu à peu déterminante dans la définition et dans l’organisation de la production.
20À l’origine, le prêt-à-porter désigne une production en série, et non plus sur-mesure, du vêtement de mode. Bien qu’encore réservé à une élite sociale, il touche un public élargi. Surtout, le prêt-à-porter est un modèle standardisé qui se décline en tailles et possède l’avantage d’éviter les longues séances de mesure et d’essayage chez le tailleur.
21Solange Montagné-Villette s’attarde sur l’histoire de Charles F. Worth, Britannique installé à Paris en 1858 [1990, p. 15], qui inventera la haute couture et, surtout, l’instituera en industrie du luxe. Nous retiendrons de son parcours et de ses intuitions que les innovations industrielles et commerciales pensées pour la mode haut de gamme se diffusent alors à des segments de la mode destinés à des catégories sociales moins privilégiées et plus nombreuses. En somme, le développement, par le haut de gamme, de la confection féminine à la fin du xixe siècle pose les jalons de l’émergence du vêtement bon marché.
22Certes, Worth dessine des modèles ; mais ceux-ci sont produits en série et seuls quelques détails visibles quoique secondaires du point de vue la confection sont déclinés, comme les broderies, ou les volants. Les modèles sont présentés sur catalogue à des clientes fortunées. Worth fait usage de la publicité, et est en cela aussi un précurseur. L’idée lui vient en outre de proposer ses habits à d’autres clientèles, en les simplifiant à mesure que l’on descend dans la hiérarchie sociale. Une partie des innovations dues à son système lui échappent, car la diffusion de ses vêtements dépasse leur cadre initial. En raison de leur succès, les modèles de Worth sont copiés plus ou moins fidèlement et déclinés en versions simplifiées ; la diminution des coûts de fabrication permet d’étendre la distribution à une plus large clientèle. La mode des classes supérieures pénètre donc plus en profondeur dans la société et l’habit distingue avec moins d’évidence les couches sociales [Montagné-Villette, 1990, p. 15]. Les modèles de l’élite se démocratisent, ils se simplifient, la coupe devient alors un critère de distinction, plus discret mais non moins révélateur des origines sociales de celui qui porte l’habit.
23La féminisation de la production de la confection entraîne aussi une simplification de la mode féminine, qui se rapproche de la mode masculine. En effet, les femmes sont plus nombreuses à travailler, à avoir des loisirs extérieurs, notamment sportifs, et certains détails ou attributs de leurs habits, comme les poches, sont empruntés aux modèles masculins [Green, 1998, p. 43]. L’habit féminin devient aussi moins contraignant, grâce par exemple à des innovations issues de la haute couture qui font évoluer ses attributs esthétiques et son approche fonctionnelle. Ainsi Paul Poiret fera-t-il figure de révolutionnaire en supprimant en 1907 le corset.
24Enfin, Worth repense la chaîne de production. Il dessine les modèles, se charge de sélectionner les matières premières, mais innove en segmentant la fabrication de ses habits qu’il sous-traite à divers ateliers spécialisés. La production est donc dispersée, et les habits naviguent d’un lieu à l’autre [Montagné-Villette, 1990, p. 15]. Dispersion et complémentarité que l’on retrouve dans le système de production du vêtement bon marché à São Paulo.
25On voit donc se préciser, à l’époque de Worth, les ressorts du décollage de la confection de masse. En premier lieu, la large diffusion d’une mode conçue pour une élite, grâce notamment à l’usage de la publicité et du marketing, qui permettent à chacun de s’identifier à un groupe social, d’en reproduire les habitudes de consommation tout en marquant une autonomie par rapport à celles-ci [Simmel, 1957, p. 543]. Ensuite, la simplification et l’uniformisation relatives des modèles, qui s’opèrent entre les couches sociales et, à l’intérieur de celles-ci, entre les univers masculins et féminins. Enfin, la segmentation des activités au sein de la production, ressort aujourd’hui essentiel de la flexibilité et de la compétitivité.
26En Europe, à ce stade, la confection se divise en deux catégories distinctes : soit elle est une production de masse qui évolue indépendamment des critères esthétiques de la mode – ce segment est celui du vêtement masculin, de l’habit de travail et du sous-vêtement ; soit elle est un reflet et une déclinaison de la haute couture – elle touche alors un public réduit et féminin.
27C’est dans l’immédiat après-guerre que ces deux catégories se rejoignent, lorsque le vêtement en série et bon marché acquiert une respectabilité en devenant un produit de mode masculin et féminin. La notion de prêt-à-porter évolue alors sensiblement, pour devenir une référence à un vêtement grand public, de qualité correcte et exprimant les tendances de la mode.
28Selon Solange Montagné-Villette [1990, p. 17], le confectionneur Jean-Claude Weil jouera, en France, un rôle important dans cette évolution. À partir de 1948, ce dernier promeut le vêtement tout fait de qualité qui pâtit alors encore d’une mauvaise réputation. Weil est soutenu par le journal Elle qui défend le modèle unique pour les valeurs de modernité et de dynamisme qu’il véhicule. En une année, entre 1956 et 1957, 10 000 robes toutes faites sont vendues [Montagné-Villette, 1990, p. 17].
29Il faut néanmoins attendre l’arrivée des baby-boomers pour que la production de vêtements en série s’emballe et évolue. En effet, au milieu des années 1960, les préférences en termes de mode vestimentaire et les attentes quant aux attributs du vêtement des jeunes générations sont révolutionnées. De nouvelles valeurs attachées à l’habillement, telles l’originalité et la décontraction, arrivent des États-Unis, de la Californie plus précisément, où la mode sportswear apparue dans l’après-guerre se diffuse [Green, 1998, p. 94]. Elles sont véhiculées par des marques nord-américaines dont certaines sont restées célèbres, comme Fruit of the Loom ou Levi’s. L’ensemble emblématique du sportswear, mis au goût du jour à cette époque, se compose du pantalon en toile denim, le jeans, et du T-shirt en maille coton, l’un et l’autre étant à l’origine des vêtements de travail.
30En France, grâce au succès du sportswear, les caractères d’un habit relevant de l’apparence, du style, de la notion de tendance deviennent déterminants dans le choix du public, au détriment d’attributs qualitatifs tels que la solidité du vêtement, auparavant primordiale, qui passe au second plan [Montagné-Villette, 1990, p. 22]. Mais la baisse de la qualité est aussi une nécessité économique, car, pour devenir un produit de mode, les collections doivent se succéder et circuler dans les garde-robes ; le consommateur doit pouvoir renouveler facilement ses tenues, le vêtement doit donc être un produit accessible, bon marché en somme. Vêtements de moindre qualité et moins chers, variations cycliques de la mode, tout concourt à la diminution de la durée de vie des vêtements et à l’augmentation mécanique de la consommation.
31L’avènement du vêtement bon marché, que Solange Montagné-Villette nomme le vêtement « prêt à jeter », révolutionne en quelques années les confections new-yorkaise et parisienne. C’est l’aboutissement d’un mouvement de massification par segmentation successive de la production de vêtements en série.
32Deux éléments doivent être retenus des faits exposés. Dans la seconde moitié du xxe siècle, le développement de la confection repose sur la promotion de la production en série et la massification de la consommation de vêtements. L’uniformisation des goûts et des habitudes vestimentaires qui en résulte n’est que partielle ; car, bien entendu, des phénomènes de différenciation interviennent, qui relèvent à la fois de détails esthétiques et de la qualité des produits, laquelle varie en fonction des matières premières utilisées ou des procédés de fabrication. Naturellement, la segmentation de la confection, c’est-à-dire la différenciation des produits et du marché consommateur, s’établit sur des modèles économiques et industriels différents où, nous le verrons, sont en jeu l’essentiel des déterminants de la concurrence.
Naissance et diversification de la confection, de Rio de Janeiro à São Paulo
33Ce changement radical se produit également au Brésil, où il se joue entre Rio de Janeiro et São Paulo10. Il repose tant sur le développement industriel de la mode féminine que sur l’arrivée du sportswear. Ici aussi, la combinaison de l’un et de l’autre déclenche le décollage de la confection et sa segmentation successive. La mode féminine, ciblée socialement, permet le développement de compétences, dans la conception des modèles, la production industrielle et l’organisation de la filière, qui se diffusent aux autres segments en gestation. Le segment de la mode féminine est encore réservé à une élite, les magasins se situent dans les beaux quartiers de São Paulo (dans la rue Augusta et à Jardins) et de Rio de Janeiro (à Copacabana et à Ipanema).
34Au milieu des années 1960, la mode sportswear arrive à Rio de Janeiro ; elle favorise, sur la base des compétences qui se forgent dans le segment de la mode féminine, l’émergence de nouveaux segments qui misent sur la massification et la différenciation de la confection.
35Le Brésil présente un environnement favorable au développement de la mode légère et décontractée caractéristique du sportswear, en raison des conditions climatiques de l’environnement tropical auxquelles les tenues légères et ouvertes sont plus adaptées que les tenues ajustées et strictes, et de la disponibilité sur le marché national d’une production textile, tissus ou mailles de coton, issue de la matière première locale. Au Brésil, le sportswear est désigné sous le terme modinha, qui « se rapporte aujourd’hui encore dans la filière textile et habillement à un domaine bien précis de la production : les habits décontractés et sportifs présentant certaines touches d’originalité inspirées des grandes tendances du prêt-à-porter11 » [Kontic, 2007, p. 37]. La modinha est distribuée dans les grands magasins, équivalents des department stores nord-américains, de Rio de Janeiro et de São Paulo, à l’époque Mesbla et Mappin respectivement, ainsi que chez quelques grossistes de São Paulo, situés dans le Bom Retiro, le Brás et la rue 25 de Março.
36Branislav Kontic [2007, p. 37 et suivantes] développe une analyse importante lorsqu’il explique comment, dans le courant des années 1960, les petites et moyennes entreprises du secteur de la modinha trouvent leur place sur le marché. Selon lui, les grandes entreprises qui produisent en masse et atteignent un vaste public, telle Hering, entreprise du Santa Catarina, ne font pas obstacle aux petites et moyennes entreprises tant le marché est vaste et la demande importante. Les petites et moyennes entreprises de la confection de masse débutent dans l’espace laissé par les grands groupes, produisant des articles de base du sportswear, básicos, segment que l’auteur distingue de la modinha. Car, peu à peu, elles introduisent des éléments esthétiques qui les différencient de la production industrielle à vaste échelle. Cette différenciation, portant sur des détails esthétiques, est souvent inspirée du prêt-à-porter ; elle repose également sur un modèle économique plus intégré verticalement, dont les produits sont destinés à un plus large éventail de catégories sociales, des classes moyennes aux classes populaires. Le segment des básicos devient finalement une marque de fabrique. Branislav Kontic différencie ainsi la modinha et les básicos davantage en fonction de leur modèle économique qu’au regard du type de produits qui en est issu, de sorte que la production de básicos apparaît comme une catégorie de la modinha et non comme un produit différent.
37Dans les années 1970 et 1980, le modèle entrepreneurial qui se développe dans le secteur de la modinha et des básicos diffère suivant qu’il se développe à Rio de Janeiro ou à São Paulo. Branislav Kontic avance que les entrepreneurs sont issus, à Rio de Janeiro, de la classe moyenne supérieure. Ils ont une bonne connaissance de l’environnement urbain, des tendances de la mode, et savent jouer des images de Rio de Janeiro et de ses habitants, qui sont véhiculées à travers le pays : savoir-vivre, décontraction, goût recherché de l’esthétique corporelle. La production est limitée, elle repose souvent sur une main-d’œuvre locale nombreuse qui travaille en sous-traitance dans des ateliers modestes de la périphérie urbaine. La distribution de la production se fait dans des petits magasins de vente au détail de la zone sud12 de la ville, à Copacabana ou à Ipanema, dans l’intérieur de l’État, mais au-delà également, dans d’autres États du Brésil. À Rio de Janeiro, l’image du produit guide le projet économique de la confection de modinha, la dimension industrielle étant reléguée au second plan. Quant à la distribution, elle demeure cantonnée aux circuits de vente au détail.
38Il en est tout autrement à São Paulo, où le dispositif industriel caractérise en premier lieu le projet économique de la modinha. Notons tout d’abord que les producteurs sont issus de familles modestes, souvent commerçantes ; et que les pionniers ont été des imitateurs, qui tirent leur « inspiration » de la création de Rio de Janeiro, soit qu’ils y séjournent régulièrement, soit qu’ils y entretiennent des contacts. Ces derniers ont souvent une expérience professionnelle dans la confection, dans le secteur commercial. Surtout, ils s’appuient sur une bonne connaissance d’un environnement urbain où le commerce de gros s’est développé de longue date et où les économies d’agglomération – qui désignent l’ensemble des avantages indirects que la densité et la diversité des agents économiques locaux procurent aux entreprises, sont nombreuses. L’esprit d’entreprise et l’environnement industriel poussent les Paulistains plus avant que les Cariocas13 dans l’intégration verticale de la filière, de la production du tissu à la vente en gros du vêtement, en passant bien entendu par la fabrication des modèles.
39À Rio de Janeiro, le stylisme et le commerce conduisent à l’industrie de la confection. À São Paulo, il semble que la confection consacre un projet avant tout industriel.
40Aux côtés de la moda feminina, des básicos et de la modinha, en tant que segments de marché, un quatrième et dernier type de produit et de modèle économique voit le jour dans le courant des années 1960. Il s’agit d’une production destinée aux classes populaires, souvent pauvres, des périphéries de la métropole de São Paulo. Distribuée au détail dans les petits magasins de la périphérie, sur les étals des marchés populaires du Brás notamment, ou dans les enseignes de vente en gros, la production de carregação, telle qu’on la nomme, est de piètre qualité et peu soignée, qu’il s’agisse de la matière première, des modèles ou de la coupe. La production repose sur une « informalité sauvage » [Kontic, 2007, p. 41], que l’on observe dans les ateliers non déclarés travaillant en sous-traitance et employant illégalement une main-d’œuvre parfois immigrée, ou sur la contrefaçon grossière d’articles de grande diffusion. Elle est initialement contrôlée par les Nordestins du Brás, qui écoulent leurs produits dans la métropole même et sur les marchés du Nord-Est. À partir du foyer de départ, situé dans le Brás et le Bom Retiro, les ateliers, qui emploient d’importants effectifs d’ouvriers venus du Nord-Est, essaimeront ensuite en banlieue, et notamment à Guarulhos et ses environs. Dès les années 1970, les migrants coréens prennent position dans le secteur de la carregação, tirant les coûts de production vers le bas par le recours systématique au sweating labour14.
41Depuis une cinquantaine d’années, la confection brésilienne suit une trajectoire qui, à bien des égards, semble comparable à celle que nous avons évoquée pour Paris et New York. Ici et là, on trouve à l’origine une mode féminine qui évolue grâce à la production industrielle de modèles en série. À partir de ce segment surgissent d’autres modèles économiques de confection, qui accompagnent la croissance urbaine et pénètrent la société métropolitaine jusqu’aux catégories les plus modestes, faisant du vêtement un produit de consommation courante largement diffusé, à la fois standardisé et différencié.
42Il en est de la confection comme de beaucoup de domaines de la vie sociale au Brésil, où des lignes de partage établies sur la distinction socio-économique des individus définissent des pratiques strictes. Le vêtement se caractérise par un modèle économique, certes, mais aussi par sa clientèle. Cela est vrai dans une certaine proportion à Paris comme à New York ; cela se vérifie plus systématiquement encore à São Paulo, où chaque segment de produit de la confection est attaché à un groupe socio-économiquement défini, la consommation de chaque individu se limitant à un ou deux segments au plus, correspondant à son univers social. Au Brésil, il est impensable qu’une personne appartenant aux catégories défavorisées se fournisse en vêtements de confection de la moda feminina ou de la modinha. Et, s’il est théoriquement possible pour un membre des classes supérieures de se fournir dans la confection de carregação, dans les faits, cela ne se produit pas. De sorte qu’aujourd’hui, établir des correspondances entre les produits des confections parisienne et paulistaine lorsqu’il s’agit de vêtements très bon marché est très difficile. Car, si l’on trouve ici ou là des enseignes de moda feminina comparables à Jardins et dans le 6e arrondissement de Paris, de modinha à Jardins encore et dans le quartier de la Bastille, de básicos dans le Bom Retiro et dans le Sentier, il sera difficile de trouver un équivalent à Paris de la carregação du Brás. Tati et H&M. produisent bien des vêtements de carregação, mais leur clientèle n’est pas limitée aux classes les plus défavorisées.
43Voilà qui est donc une spécificité de São Paulo, où cette confection, la carregação, est strictement marquée et socialement exclusive. Ce fait est d’autant plus remarquable que la production de carregação est très importante en volume compte tenu de l’importance numérique des ménages dits à « faibles revenus »15 dans la région métropolitaine et au Brésil. L’importance de ce segment d’activité dans l’espace urbain paulistain se mesure à l’aune de son emprise spatiale, comme nous le verrons dans le chapitre vi. Notons d’ores et déjà que la confection prend à São Paulo les traits d’une société du Sud où l’organisation urbaine et la stratification sociale sont définies par le régime de la transition démographique.
44Au Brésil, Rio de Janeiro et São Paulo se partagent l’histoire du développement de la confection. Mais Rio de Janeiro est rapidement distancée par São Paulo qui, à une échelle inégalée dans le pays, développe la confection et le commerce du vêtement, forte de son histoire industrielle et grâce à une importante population de migrants, internes et internationaux. Nous avons évoqué l’importance de l’immigration dans le démarrage industriel ; nous verrons que les migrants nordestins, coréens, boliviens et paraguayens jouent un rôle essentiel dans le développement de la production et le commerce de modinha, básicos et carregação.
La trajectoire de l’industrie de la confection dans l’économie brésilienne des années 2000
45Le développement de la confection à São Paulo, entre les années 1960 et aujourd’hui, ne se fait pas sans heurts. En particulier, la crise des années 1980 et les réformes du début des années 1990 entraînent d’importantes évolutions, alors même que les différents segments de la confection connaissent une croissance considérable. Nous ne détaillerons ni les causes ni les conséquences de la crise des années 1980, ni les conditions du redressement du début des années 1990. Mentionnons néanmoins que les réformes économiques et monétaires (et notamment le Plan Real de 1994) rétablissent au début des années 1990 la dynamique de croissance de l’économie brésilienne une fois l’hyperinflation maîtrisée et l’investissement relancé. Mais la levée d’une partie des barrières douanières et la valorisation du taux de change du réal concourent à faire baisser les prix des produits étrangers et à l’augmentation des flux d’importations concurrençant la production nationale sur le marché intérieur. En outre, le renchérissement de la production brésilienne sur le marché international, conséquence également de la valorisation du réal, est un handicap pour les exportateurs ; l’exportation, qui avait servi de bouée de sauvetage pendant la décennie de la crise, perd de son importance relative face au marché intérieur, tout au moins pour ce qui concerne les produits manufacturés.
46En 2003, Lula arrive au pouvoir. Il réalise deux mandats de quatre ans chacun avant d’être remplacé par Dilma Rousseff en 2011. Selon ses détracteurs, sa politique économique diffère peu de celle de son prédécesseur de centre droit, Fernando Henrique Cardoso, qui fut par ailleurs, en tant que ministre de l’économie, l’artisan du Plan Real de 1994. Or, s’il est vrai que, du point de vue monétaire et budgétaire, Lula suit les orientations définies par Cardoso, il s’en distingue par une politique d’élévation des salaires des catégories populaires et de transferts sociaux à destination des couches les plus défavorisées.
47Dès son arrivée au pouvoir, l’immense défiance des secteurs économique et financier à l’égard de Lula se traduit par une évasion importante des capitaux et une diminution des investissements. Lula emploie donc son gouvernement à favoriser le retour des investisseurs et à contenir une inflation qui repart dangereusement, faisant entrevoir le spectre de l’hyperinflation dont Cardoso était venu à bout une dizaine d’années auparavant. Les taux d’intérêt réels augmentent donc, passant de 5,1 % à 11,9 % en 2003 ; l’inflation remontée à 9,3 % en 2003, retombe à 5,7 % en 2005, puis à 3,1 % en 2006 [Salama, 2010, p. 168]. Alors seulement, le gouvernement Lula engage une politique de réduction des inégalités basée sur l’augmentation du salaire minimum et la mise en place de programmes de transferts sociaux. Ces éléments, combinés à la croissance retrouvée et à la baisse du chômage, favorisent une élévation du niveau de vie qui se traduit par une augmentation de la demande interne.
48Pourtant, l’industrie connaît certaines difficultés dans la seconde moitié des années 2000 ; car, tout comme dix années auparavant, la politique monétaire et la rigueur budgétaire, menées cette fois par le gouvernement Lula, conduisent à la valorisation du réal. En conséquence, la production chute dans certains secteurs de l’industrie, en particulier dans l’industrie de transformation où, entre 2005 et 2008, le solde de la balance commerciale baisse avant de devenir négatif [Salama, 2010, p. 175]. Les produits manufacturés brésiliens sont en effet concurrencés par des importations que la valorisation du réal stimule. En outre, le faible niveau d’investissement dans l’industrie de transformation handicape certains secteurs ; il serait la conséquence de la financiarisation accentuée de l’économie brésilienne [Bruno, 2008]. Si l’on ne peut cependant parler de désindustrialisation du Brésil entre 2002 et 2011, l’indice de la production industrielle passant de 100 à 121 au cours de cette période, c’est en raison de l’augmentation de la production dans l’industrie d’extraction [Salama, 2011].
49Dans ce contexte, il ne serait pas surprenant que la confection, industrie de transformation intensive en travail et très peu en équipements (caractéristiques la fragilisant face à la concurrence des importations) ait été sévèrement touchée. La valorisation de la monnaie nationale se répercute en effet sur la valeur de la production via les salaires et, à l’inverse, la faible intensité en équipements de l’activité de la confection la prive d’éventuelles économies sur les matériels et équipements importés.
La confection, profil économique et sociodémographique
50Les sources de données statistiques sur le secteur de la confection sont variées ; mais elles souffrent toutes d’un certain nombre d’inconvénients qui concernent la composition et la taille des échantillons ou la périodicité des études, de sorte qu’elles sont insuffisantes pour se forger une opinion précise et complète des aspects économiques du secteur. Ainsi, l’enquête industrielle annuelle (Pesquisa industrial anual – PIA) conduite par l’Ibge n’enregistre-t-elle que l’activité formelle, c’est-à-dire les entreprises déclarées au registre national de la personne juridique (Cadastro nacional da pessoa jurídica – CNPJ). Quant au recensement de la population, il prend en compte les actifs de l’économie formelle et informelle mais ne livre aucune information sur l’organisation et la production des entreprises. Ce à quoi s’ajoute le défaut d’informations pendant la période intercensitaire, dix années pendant lesquelles les tendances économiques évoluent. Pour combler en partie cette lacune, nous disposons des enquêtes annuelles auprès des ménages (Pesquisa nacional anual domiciliar – Pnad), qui, tout comme les recensements, nous renseignent sur l’emploi formel et informel, mais à nouveau font l’impasse sur les caractéristiques des entreprises. Enfin, l’approche géographique est contrainte par les limites de certaines sources, notamment celles des PIA et des Pnad, dont les échantillons ne permettent pas l’analyse des échelons municipaux et métropolitains, contrairement aux recensements de la population 2000 et 2010 et aux bases de données d’informations sociales (Relação anual de informações sociais – Rais, ministère du Travail) consacrées à l’emploi formel. Grâce à la précision des informations du recensement de la population, la caractérisation démographique de la main-d’œuvre pose en revanche moins de difficulté.
Une production tournée vers le marché intérieur
51Au Brésil, à la différence des pays asiatiques, la production de vêtements est destinée avant tout au marché national. Avec 1 097 milliers de tonnes produites en 2007, le pays est, selon l’Institut d’études et de marketing industriel (IEMI), le sixième producteur mondial de vêtements [IEMI, 2009, p. 28] ; il n’est cependant, en valeur, qu’en 69e position du classement des pays exportateurs. En 2007, 78,7 milliers de tonnes de vêtements ont été exportés [IEMI, 2009, p. 43] et 92,8 % de la production nationale ont été écoulés sur le marché brésilien.
52Les données PIA montrent que la valeur de la production brésilienne du secteur « confection et articles d’habillement » a fortement augmenté entre 1996 et 2007 ; multipliée par près de trois, elle est passée de 7,8 à 22,7 milliards de réaux (tableau 3, p. 68). Au cours de cette période, l’État de São Paulo maintient son poids relatif au sein de la production nationale, de 42,8 % à 41,8 %. Le secteur de la confection aurait donc connu une forte croissance de la seconde moitié des années 1990 à la fin des années 2000, au Brésil comme dans l’État de São Paulo, celui-ci demeurant largement en tête des États producteurs. La croissance de l’ensemble de la production industrielle brésilienne est plus vigoureuse encore, multipliée par un peu plus de quatre entre 1996 et 2007. L’industrie de transformation des biens, quant à elle, suit une trajectoire semblable. Par conséquent, la croissance du secteur de la confection étant moins importante que celle de l’ensemble de l’industrie de transformation, ce secteur a bien connu une légère crise, même si elle n’est que relative. Il est cependant important de mentionner que, si l’État de São Paulo enregistre une croissance de la valeur de la production de son industrie de transformation inférieure à ce qu’elle est dans le reste du pays (c’est-à-dire multipliée par 3,5, contre 4,1 pour l’ensemble du pays), la croissance du secteur de la confection est en revanche sensiblement équivalente dans l’État de São Paulo et dans le reste du pays. On pourrait donc en conclure que le secteur de la confection est plus vigoureux dans l’État de São Paulo que dans le reste du pays. Il y aurait dès lors une spécificité, une vitalité économique propre à ce secteur. Nous ne pouvons cependant l’affirmer, car ces données issues des enquêtes industrielles annuelles ne concernent, comme nous l’avons mentionné, que l’activité formelle et, de surcroît, que les unités industrielles de cinq employés et plus.
Tableau 3. Valeur (en milliers de réaux) de la production industrielle au Brésil et dans l’État de São Paulo, selon le secteur, entre 1996 et 2007
Total | Industrie de transformation | Confection et articles d’habillement | ||
Brésil | 1996 | 340 793 706 | 331 973 199 | 7 767 970 |
2000 | 561 786 123 | 542 555 521 | 9 425 467 | |
2007 | 1 418 321 915 | 1 347 497 903 | 22 733 255 | |
État de São Paulo | 1996 | 164 254 985 | 163 618 601 | 3 323 366 |
2000 | 253 052 045 | 252 316 620 | 3 474 700 | |
2007 | 569 420 920 | 567 774 316 | 9 514 101 |
Source : Ibge, PIA Empresa (entreprise) [Sidra-Tabela, 1987]. Entreprises de cinq employés et plus (emplois formels) inscrites au registre des entreprises (CNPJ).
53Poursuivons l’analyse pour nous intéresser à l’emploi au sein des unités de production, l’État de São Paulo traçant une évolution encore différente de celle du reste du Brésil. Entre 1996 et 2007, au Brésil, l’emploi industriel dans les unités de cinq employés et plus a progressé, augmentant de 41,5 % dans l’ensemble de l’industrie, et de 44,5 % dans la confection ; dans l’État de São Paulo, le nombre des employés s’est accru de 20,9 % dans l’industrie et de 4,7 % seulement dans la confection (tableau 4, p. 69).
Tableau 4. L’emploi industriel (en nombre d’employés) au Brésil et dans l’État de São Paulo, selon le secteur, entre 1996 et 2007
Total | Industrie de transformation | Confection et articles d’habillement | ||
Brésil | 1996 | 5 054 978 | 4 939 816 | 361 082 |
2000 | 5 231 011 | 5 121 301 | 383 848 | |
2007 | 7 151 453 | 6 987 254 | 521 725 | |
État de São Paulo | 1996 | 2 121 422 | 2 105 589 | 123 753 |
2000 | 2 016 332 | 1 999 905 | 107 054 | |
2007 | 2 563 035 | 2 550 536 | 129 589 |
Source : Ibge – PIA Empresa (entreprise) [Sidra-Tabela, 1987].
54Retenons par conséquent que les enquêtes PIA ciblant l’emploi font apparaître une différenciation du secteur de la confection dans l’État de São Paulo, qui apparaît nettement moins dynamique, par rapport au reste du pays, où l’ensemble de l’emploi industriel, y compris dans la confection, progresse nettement.
55S’agissant de l’emploi, et non de la valeur produite, il y a une spécificité de la dynamique industrielle dans le São Paulo par rapport au reste du pays : la création d’emploi y est moins dynamique, en dépit d’une forte progression de la valeur, dans des proportions à ce qui se produit dans le pays. Voilà qui semble indiquer que l’industrie de l’État de São Paulo a réalisé d’importants gains de productivité. Mais cette évolution statistique masque peut-être une évolution de l’emploi et des structures de production, notamment dans le secteur de la confection, telle que le développement de micro-unités de production ou le recours accru au travail informel, deux conditions qui excluent l’activité de ce type d’enquêtes statistiques.
56Il n’en reste pas moins que l’industrie du São Paulo, afin de faire face à l’ouverture du marché brésilien à la concurrence étrangère, a réalisé d’importants gains de productivité, grâce à l’automatisation de la production. En effet, la confection (le secteur formel principalement) s’est modernisée en adoptant des machines-outils de plus en plus performantes, spécialement pour la coupe et la broderie. Mais, si ces avancées ont bien été réalisées, la confection n’en demeure pas moins un secteur où l’investissement en équipements est limité et où la part de la main-d’œuvre reste importante. Par conséquent, d’autres explications sont à envisager.
57On avancera peu si l’on se limite aux arguments liés à l’organisation du travail, tels l’augmentation des cadences et l’allongement des journées de travail, car les données présentées concernent le secteur formel. Or, l’encadrement de l’activité dans le secteur formel a semble-t-il progressé au cours des 2000, par un contrôle plus strict de l’application des règles du Code du travail qui a sans doute limité les débordements de la flexibilisation excessive vers laquelle ce secteur est toujours tenté d’évoluer. Il faut peut-être lire aussi dans les tendances enregistrées par ces données le reflet des limites des enquêtes industrielles annuelles concernant la définition et la taille des échantillons ou la collecte des informations, et en déduire de probables erreurs.
58Enfin, il nous faut envisager l’hypothèse d’un transfert d’une part de l’activité du secteur formel, c’est-à-dire déclaré, vers le secteur informel. La production vestimentaire est soumise à la loi des distributeurs qui exigent de la part du secteur productif réactivité et flexibilité, pour répondre le plus rapidement possible aux évolutions de la mode et à l’engouement passager du public [Amadio, 2004], facteurs qui déterminent le volume et le rythme des commandes. Il faut alimenter le marché jusqu’au point de saturation tout en anticipant son arrivée en lançant de nouveaux produits. En conséquence, les modèles vestimentaires évoluent sans cesse et les commandes, variables en volume, se succèdent à intervalles de plus en plus réduits. Les entreprises dûment enregistrées au registre des entreprises (CNPJ) sont souvent moins flexibles et réactives que nombre de petits ateliers informels dans lesquelles ne s’imposent pas l’observation des règles du Code du travail, s’agissant des horaires et de la durée des journées de travail notamment ; si bien qu’une partie des commandes à courtes échéances ou portant sur des volumes inattendus adressées à des ateliers déclarés sont sous-traitées par des ateliers non déclarés, les premiers faisant valoir dans leurs bilans cette production. Là se trouve peut-être l’explication des gains de productivité enregistrés par l’enquête PIA dans les entreprises de cinq employés et plus du secteur formel, la complémentarité entre les secteurs formel et informel étant monnaie courante dans la confection, à São Paulo comme dans le Nord-Est. Il est même probable qu’elle soit, entre autres raisons, déterminante dans le développement des ateliers irréguliers et, à São Paulo, dans le recours croissant à une main-d’œuvre immigrée.
59À ce stade, les données consultées établissent une croissance réelle de la production du secteur de la confection, même si elle est inférieure à celle observée dans l’ensemble de l’industrie, d’une part, et une augmentation de la population employée dans la confection en dépit d’importants gains de productivité, d’autre part ; caractères qui apparaissent plus marqués dans l’État de São Paulo. Les données des recensements de la population et des enquêtes ménages annuelles (Pnad) qui, contrairement aux enquêtes industrielles (PIA), comptabilisent l’ensemble des actifs du secteur informel et les actifs de toutes les entreprises indépendamment du nombre de leurs employés, permettent de compléter l’analyse en livrant des informations sur la région métropolitaine de São Paulo (RMSP).
60En 2000, selon le recensement de la population [2003, 2012c], le Brésil compte près de 1,3 million d’actifs dans le secteur de la « confection d’articles d’habillement et accessoires16 » ; 25,4 % (324 416) d’entre eux résident dans l’État de São Paulo, dont une bonne moitié (176 482) dans la métropole de São Paulo, soit 13,8 % du total national des actifs du secteur (tableau 5, p. 72). En 2000, la ville de São Paulo est donc un centre de la confection brésilienne de première importance, c’est la ville du pays qui rassemble le plus d’actifs du secteur, devançant largement Rio de Janeiro, seconde métropole de résidence des actifs de la confection (85 799).
61Le recensement de 2010 enregistre une légère augmentation du nombre d’actifs du secteur de la confection dans la RMSP entre 2000 et 2010 (tableau 5, p. 72). C’est ce que les PIA mettaient en lumière entre 1996 et 2007 (tableau 4, p. 69) pour l’État de São Paulo. Les enquêtes annuelles auprès des ménages (Pnad), dont l’approche méthodologique s’apparente à celles des recensements, établissent elles aussi que la progression du nombre d’emplois dans la confection a ralenti à São Paulo au cours des années 2000, tout en maintenant une croissance non négligeable, de 6,9 % dans l’État et de 9,7 % dans la région métropolitaine (RMSP) – quand, dans l’ensemble du Brésil, elle s’établit à 23,8 % (tableau 6, p. 73). Nous avons consulté les données, annuelles, du ministère du Travail sur l’emploi formel – Rais [Seade, 2012] –, qui ciblent l’analyse jusqu’à l’échelon municipal. Cependant, elles regroupent dans un même sous-secteur le textile et la confection, branches dont on sait qu’elles ont des trajectoires différentes, voire opposées, ce qui rend l’interprétation des données délicate. Quoi qu’il en soit, entre 2000 et 2009 (tableau 7, p. 73), le nombre d’emplois formels dans « l’industrie textile de l’habillement et des articles de tissu » évolue différemment suivant que l’on considère l’État, la région métropolitaine (RMSP) ou la commune de São Paulo. Dans la région métropolitaine et la commune, le nombre d’emplois augmente de 18,5 %, c’est-à-dire nettement moins que dans l’État. Il nous faut évaluer et soustraire la part du secteur textile dans cette croissance. Or, s’agissant de la région métropolitaine, les données Pnad nous apprennent que l’emploi dans le textile représente environ 30 % du volume de l’emploi dans la confection. Selon la même source, l’emploi dans le textile a progressé de 41,7 % entre 2002 et 2009, de sorte que la croissance de l’emploi dans la confection est bien en deçà des 18,5 % et avoisine probablement les 10 %.
Tableau 5. Nombre d’actifs de la confection d’articles d’habillement et accessoires au Brésil, dans l’État de São Paulo (UF SP) et dans la région métropolitaine de São Paulo (RMSP), selon les recensements de 2000 et 2010
Brésil | UF SP | RMSP | ||
2000 | Total | 1 278 968 | 324 416 | 176 482 |
Hommes | 208 617 | 61 866 | 36 622 | |
Femmes | 1 070 351 | 262 550 | 139 860 | |
% Femmes | 83,7 | 80,9 | 79,2 | |
2010 | Total | 1 608 091 | 360 491 | 183 114 |
Hommes | 306 738 | 71 844 | 42 608 | |
Femmes | 1 301 353 | 288 647 | 140 506 | |
% Femmes | 80,9 | 80,1 | 76,7 |
Source : Ibge, recensements de la population 2000 et 2010 [Ibge 2003 et 2012a]. Emplois formels et informels.
Tableau 6. Nombre d’actifs de la confection d’articles d’habillement et accessoires au Brésil et dans l’État de São Paulo (UF SP), en 2002 et 2009, selon les enquêtes annuelles auprès des ménages (Pnad)
Brésil | UF SP | RMSP | ||
2002 | Total | 1 491 053 | 401 101 | 220 923 |
Hommes | 225 271 | 70 264 | 46 690 | |
Femmes | 1 265 782 | 330 837 | 174 233 | |
% Femmes | 84,9 | 82,5 | 78,9 | |
2009 | Total | 1 845 591 | 428 606 | 242 364 |
Hommes | 302 709 | 82 170 | 62 516 | |
Femmes | 1 542 882 | 346 436 | 179 848 | |
% Femmes | 83,6 | 80,8 | 74,2 |
Source : Ibge, Pnad 2002 et 2009.
Tableau 7. Nombre d’emplois formels de l’industrie textile de l’habillement et des articles de tissu dans l’État de São Paulo (UF SP), la région métropolitaine de São Paulo (RMSP) et la commune de São Paulo, en 2000 et 2002, selon les données Rais
2000 | 2009 | Var. 2000-2009 (%) | |
UF SP | 229 163 | 289 910 | 26,5 |
RMSP | 118 747 | 140 751 | 18,5 |
Mun SP | 85 824 | 101 931 | 18,8 |
Source : ministère du Travail [SEAD, 2012].
62Ainsi, toutes les sources concordent pour établir une croissance de l’emploi dans la confection, dont l’intensité varie entre la région métropolitaine de São Paulo, l’État de São Paulo et le reste du Brésil. Mais les enquêtes annuelles industrielles (PIA) et les recensements de la population de 2000 et 2010 établissent la stabilisation du nombre d’actifs dans le secteur, tandis que les enquêtes ménages (Pnad) et les données du ministère du Travail pointent une augmentation du nombre d’emplois dans la confection de l’ordre de 10 % dans la métropole de São Paulo.
63Derrière cette évolution quantitative, qu’il est difficile d’évaluer avec précision, se cache une réorganisation majeure de la filière. À partir de la fin des années 1990 et tout au long des années 2000, une présence étrangère croissante dans la confection métropolitaine accentue la montée en puissance des petits ateliers de confection face au modèle de production en usine.
64Au cours de l’année 2000, un nombre croissant – par rapport à la décennie antérieure – de migrants originaires des pays voisins, Bolivie et Paraguay en tête, s’installent à São Paulo (RMSP) pour travailler dans la confection. Entre 2000 et 2010 [Ibge, 2003, 2012a], le poids relatif des migrants internationaux (tableau 8, p. 74-75) dans la population active de la confection passe de 3,2 % (5 668) à 8,4 % (15 354). Dans le même temps, la population brésilienne employée dans la confection a diminué de 170 814 à 167 760. Précisons que le nombre d’immigrés sud-américains vivant au Brésil est sous-évalué par les recensements de 2000 et 2010, ce qui implique que leur poids relatif dans la population active est à réévaluer à la hausse et fragilise l’hypothèse des gains de productivité dans le secteur. Cette substitution de la main-d’œuvre autochtone par une main-d’œuvre immigrée explique la stabilisation du nombre total des actifs en dépit de l’augmentation du nombre des immigrés dans la confection.
Tableau 8. Population active du secteur de la confection résidant à São Paulo (RMSP) selon le lieu de naissance, en 2000 et 2010
État de naissance | 2000 | (%) | 2010 | (%) |
Rondônia | 48 | 0,0 | 99 | 0,1 |
Acre | 0 | 0,0 | 19 | 0,0 |
Amazonas | 62 | 0,0 | 52 | 0,0 |
Roraima | 0 | 0,0 | 13 | 0,0 |
Pará | 235 | 0,1 | 359 | 0,2 |
Amapá | 0 | 0,0 | 22 | 0,0 |
Tocantins | 47 | 0,0 | 37 | 0,0 |
Total Nord | 2 392 | 1,4 | 2 611 | 0,3 |
Maranhão | 1 484 | 0,8 | 1 694 | 0,9 |
Piauí | 3 640 | 2,1 | 3 421 | 1,9 |
Ceará | 9 175 | 5,2 | 6 905 | 3,8 |
Rio Grande do Norte | 2 076 | 1,2 | 2 062 | 1,1 |
Paraíba | 4 193 | 2,4 | 3 570 | 1,9 |
Pernambuco | 13 298 | 7,5 | 10 595 | 5,8 |
Alagoas | 4 182 | 2,4 | 2 973 | 1,6 |
Sergipe | 1 673 | 0,9 | 1 301 | 0,7 |
Bahia | 20 007 | 11,3 | 15 630 | 8,5 |
Total Nord-Est | 59 728 | 33,8 | 48 151 | 26,3 |
Minas Gerais | 11 285 | 6,4 | 7 548 | 4,1 |
Espírito Santo | 672 | 0,4 | 454 | 0,2 |
Rio de Janeiro | 1 039 | 0,6 | 870 | 0,5 |
São Paulo | 87 404 | 49,5 | 102 187 | 55,8 |
Total Sud-Est | 100 400 | 56,9 | 111 059 | 60,7 |
Paraná | 7 910 | 4,5 | 5 274 | 2,9 |
Santa Catarina | 455 | 0,3 | 272 | 0,1 |
Rio Grande do Sul | 434 | 0,2 | 198 | 0,1 |
Total Sud | 8 799 | 5,0 | 5 744 | 3,1 |
Mato Grosso do Sul | 500 | 0,3 | 269 | 0,1 |
Mato Grosso | 370 | 0,2 | 323 | 0,2 |
Goiás | 498 | 0,3 | 263 | 0,1 |
District fédéral | 104 | 0,1 | 203 | 0,1 |
Total Centre-Ouest | 1 472 | 0,8 | 1 058 | 0,6 |
Sans information | 23 | 0,0 | 1 147 | 0,6 |
Étranger | 3 668 | 2,1 | 13 344 | 8,4 |
TOTAL | 176 482 | 100,0 | 183 114 | 100,0 |
Source : Ibge, recensements de la population 2000 et 2010 [Ibge 2003 et 2012a].
65L’insertion croissante de la migration régionale dans le secteur renforce également le modèle de production de l’atelier où les immigrés, qu’ils soient patrons ou ouvriers, sont majoritairement employés. Nous détaillerons dans le chapitre iv l’organisation de la filière du vêtement en analysant le fonctionnement et l’articulation des ateliers de confection, des usines (firmas) et du travail à domicile, mais mentionnons d’ores et déjà que la confection peut être structurée de plusieurs façons, lesquelles peuvent coexister et se compléter. Dans un premier cas, l’ensemble des étapes qui constituent la trajectoire d’un vêtement de sa conception à sa commercialisation en passant par sa fabrication sont concentrées dans une même entreprise ; ce fut longtemps le modèle dominant, celui de la marque de vêtements qui conçoit, fabrique et distribue ses produits. Dans la fabrication, l’usine est certes importante, mais elle est une pièce d’un dispositif plus vaste. Dans le second modèle, celui de l’atelier autonome, la fabrication est extraite du dispositif pour devenir une activité autonome dont l’entreprise de vêtements est déchargée. Par conséquent, le domaine d’activité des ateliers se limite le plus souvent aujourd’hui à la fabrication du vêtement, c’est-à-dire à l’exécution de commandes sous-traitées ou émanant d’une marque qui se charge de la conception et de la commercialisation du produit. La fabrication étant devenue autonome, les ateliers ont développé des caractéristiques propres les opposant aux firmas, différences qui constituent autant d’avantages compétitifs des premiers sur les secondes. Ils se caractérisent notamment par leur flexibilité, ce qui, d’un point de vue organisationnel, produit une informalité accrue et se traduit par le recours aux contrats oraux sans garanties (et non aux contrats en bonne et due forme, les carteira assinada) et des conditions de travail précaires, qu’il s’agisse de la modulation des horaires et des journées de travail ou des conditions d’hygiène et de sécurité sur le lieu de travail17.
La confection dans la métropole : une main-d’œuvre féminine et migrante
66À un degré moindre que dans le reste du pays, la confection à São Paulo (RMSP) reste dynamique dans les années 2000 alors que d’importants changements structurels s’opèrent, organisationnels et sociodémographiques.
67Il sera question en détail dans les chapitres suivants de l’implication croissante de l’immigration internationale dans la confection à São Paulo. Auparavant, une description globale du secteur d’activité métropolitain s’impose, dont l’importance se maintient au fil du temps, malgré le recul global relatif des activités industrielles.
68Avec 13,8 % de l’emploi industriel de la région métropolitaine [Ibge, 2012a], la confection est le deuxième secteur d’activité industrielle en 2010. À titre de comparaison, le secteur textile, dont on connaît l’importance historique, ne représente en 2010 que 4,0 % de l’emploi industriel métropolitain, soit moins du tiers de la confection.
69La confection se distingue nettement des autres activités industrielles par la place qu’y occupent les femmes. Alors qu’elles représentent à peine la moitié des actifs de la région métropolitaine et un tiers des actifs de l’industrie (tableau 9, p. 79), plus de trois actifs sur quatre dans la confection sont des femmes. L’identification de la confection à une activité féminine est encore bien réelle et elle se confirme sur l’ensemble du pays, où 83,4 % la population active totale du secteur sont des femmes (figure 4, p. 78) ; la confection est assurément l’un des tout premiers secteurs d’activité des femmes brésiliennes.
70Revenons cependant à l’étude de la métropole de São Paulo et détaillons l’information par classes d’âge concernant cette féminisation généralisée du secteur. À São Paulo (RMSP) en 2010, la part des femmes dans la population active de la confection atteint 76,7 % (tableau 9, p. 79) toutes classes d’âge confondues [Ibge, 2012a], mais s’élève à 85,8 % chez les 45-65 ans et tombe à 66,6 % pour la génération dont l’âge est compris entre 18 et 35 ans. La féminisation de la confection, bien que nettement marquée quel que soit l’âge des actifs, tendrait à s’estomper pour les générations les plus jeunes. L’interprétation de cette donnée nous fait aborder la question plus vaste du marché de l’emploi féminin à São Paulo, et au Brésil. Dans les dernières années, l’un des changements majeurs intervenus dans la société brésilienne est l’intégration croissante des femmes au marché du travail. De plus, non seulement les femmes sont plus nombreuses à accéder à un emploi, mais les emplois qui leur sont accessibles sont aussi plus diversifiés et font notamment appel à des niveaux de qualification supérieurs. Ainsi, en 2002 et en 2015, le taux d’activité à São Paulo (RMSP) est stable à 57 %. Cependant, le net écart historique entre hommes et femmes se resserre considérablement : entre ces deux dates, le taux d’activité des hommes est passé de 68 % à 66 %, celui des femmes de 46 % à 50 %18.
Tableau 9. RMSP. Nombre d’actifs de 10 ans et plus, selon le secteur d’activité et le sexe, en 2010
Secteur | Hommes | Femmes | Total | Femmes |
Confection | 42 608 | 140 506 | 183 114 | 76,7 |
Toutes industries | 870 865 | 445 291 | 1 316 156 | 33,8 |
Toutes activités | 5 191 632 | 4 288 480 | 9 480 112 | 45,2 |
Source : Ibge, recensement de la population 2010 [Ibge, 2012a].
71Cette évolution est sans aucun doute liée à la fin de la transition démographique, qui associe baisse de la fécondité, généralisation de la scolarisation des femmes et extension rapide chez celles-ci des qualifications dans l’enseignement supérieur, et urbanisation ; phénomènes qui se conjuguent et dont nous constatons les effets sur le marché de l’emploi.
72L’examen des origines géographiques des actifs de la confection vivant dans la région métropolitaine de São Paulo révèle la présence importante des migrants internes et celle croissante des migrants internationaux (tableau 9, p. 79). L’essentiel de la population étudiée est cependant né dans l’État de São Paulo, cette proportion augmentant entre 2000 et 2010, de 49,5 % à 55,8 %. Quant aux migrations internes, elles sont au trois quarts composées de populations originaires de la région Nord-Est, région qui à elle seule, en 2000, compose le tiers de l’effectif total des actifs de la confection, et plus du quart en 2010. Les États de Bahia, du Pernambouc et de Ceará sont les principaux pourvoyeurs de main-d’œuvre. Notons que le Pernambouc et le Ceará sont eux-mêmes des États producteurs de vêtements. On y compte certains des pôles de confection parmi les plus importants du pays (figure 4, p. 78), telles la métropole de Fortaleza, capitale du Ceará, ou la microrégion constituée autour des communes de Toritama [Fusco et Vasconcelos, 2010], Santa Cruz do Capibaribe, Taquaritinga do Norte, Vertentes et Surubim, dans l’Agreste de l’État du Pernambouc. En 2000, le rôle de la migration internationale dans le secteur est marginal, les migrants internationaux ne représentant que 2,1 % des actifs. Mais en 2010 la donne change, l’effectif des immigrants est multiplié par trois, ceux-ci représentant désormais 8,4 % des actifs de la confection. On ne peut se priver d’observer que, dans le même temps, la part des migrants du Nord-Est baisse de 5,5 points, soit un effectif équivalent à l’augmentation de l’immigration internationale. Il semble donc bien que ceux-ci remplacent ceux-là – globalement, entre 2000 et 2010, la part des migrants internes baisse alors que celle des migrants internationaux augmente [Ibge, Séries historiques].
73La diminution de la présence des migrants du Nord-Est dans la confection est à l’image de ce qui se produit dans l’ensemble de la région métropolitaine, où leur nombre est passé de 3,7 millions à 3,1 millions entre les deux derniers recensements de la population. Mais le tarissement relatif du flux de migrants venus du Nord-Est n’explique pas à lui seul le recul de leur participation au secteur de la confection ; car, nous l’avons vu, la confection attire de moins en moins les jeunes générations de migrants internes, particulièrement lorsque ce sont des femmes. Ainsi, en 2010, l’âge moyen des migrants du Nord-Est dans la confection varie de 39,8 à 46,6 ans selon les États d’origine [Ibge, 2012a], quand il est de 40,4 ans pour l’ensemble de la population du secteur et de 28,1 ans et 28,8 ans pour les immigrants paraguayens et boliviens, respectivement. Certes, les migrants du Nord-Est sont globalement plus âgés, mais la comparaison du taux d’activité par classe d’âge dans la confection, entre la population du Nord-Est et la population totale, met en évidence que la désaffection pour la confection parmi les jeunes générations est plus importante chez les migrants du Nord-Est.
74Le recensement de 2010 examine le statut des actifs selon qu’ils sont employés, employeurs ou autonomes (tableau 8, p. 74-75). Parmi les employés, il est précisé s’ils sont ou non déclarés (com/sem carteira assinada). Ces catégories permettent d’approcher la réalité de la condition migratoire sur le marché du travail métropolitain. En effet, la surreprésentation de l’entrepreneuriat et du salariat informel dans certaines niches d’activité est souvent l’indice que les actifs (ici, les migrants) qui y travaillent sont tenus en marge des circuits économiques et, plus généralement, des ressources de l’environnement urbain.
Tableau 10. Population active de la confection dans la région métropolitaine de São Paulo (RMSP), selon le statut dans l’activité et l’origine géographique
Nés dans l’UF SP | % | Migrants internes nés hors UF SP | % | Migrants internationaux | % | |
Salarié déclaré | 42 862 | 41,9 | 26 814 | 40,9 | 1 715 | 11,2 |
Salarié non déclaré | 21 103 | 20,7 | 11 860 | 18,1 | 4 266 | 27,8 |
À son compte | 33 889 | 33,2 | 25 527 | 38,9 | 8 799 | 57,3 |
Employeur | 3 304 | 3,2 | 992 | 1,5 | 487 | 3,2 |
Non rémunéré | 1 029 | 1,0 | 380 | 0,6 | 87 | 0,6 |
Total | 102 187 | 100,0 | 65 573 | 100,0 | 15 354 | 100,0 |
Source : Ibge, recensement de la population 2010 [Ibge, 2012a].
75S’agissant du statut dans l’activité, les données ne font pas apparaître de distinction nette entre les natifs de l’État de São Paulo et les migrants internes nés dans le reste du pays ; chez ces derniers, le taux de salariés est légèrement inférieur : il atteint 59 % des actifs, parmi lesquels la proportion d’individus déclarés est légèrement supérieure. La seule différence notable réside dans le taux d’employeurs, nettement inférieur au sein des migrants internes. S’agissant des migrants internationaux, d’importantes différences apparaissent. La proportion d’employés est faible, elle atteint 39,0 % de la population totale. Et, à la différence des autochtones, parmi les migrants internationaux, ce statut est marqué par l’informalité, puisque 71,3 % des salariés travaillent illégalement, contre 30,7 % chez les migrants internes nés en dehors de l’État de São Paulo. Par ailleurs, on retrouve chez les migrants internationaux une forte proportion d’entrepreneurs. Ces deux tendances peuvent sembler contradictoires mais en réalité, le travail informel et l’entrepreneuriat résultent bien souvent des difficultés que rencontrent les migrants internationaux sur le marché de l’emploi. La méconnaissance de la société d’accueil (difficultés linguistiques, manque d’expérience du marché du travail), une situation administrative irrégulière, l’isolement et l’urgence de trouver un travail sont autant de situations qui expliquent pourquoi les migrants occupent des emplois non déclarés. Mais l’entrepreneuriat peut aussi être une solution, certes plus difficilement réalisable, face aux difficultés rencontrées pour s’intégrer dans l’économie urbaine. En effet, dès lors que l’on s’affranchit des obligations légales et des contraintes administratives, monter un atelier de confection est à la fois peu coûteux, rapide et discret. Dans le cas du salariat non déclaré, la fragilité et l’insécurité qui caractérisent la situation du migrant se traduisent par une vulnérabilité accrue ; dans le cas de l’entrepreneuriat, il en résulte davantage d’autonomie. Nous verrons dans les chapitres à venir qu’en effet, bien souvent, les entrepreneurs ont une trajectoire semblable à de nombreux ouvriers, ce qui nous amènera à nuancer la réalité de l’autonomie et de la vulnérabilité attachée aux statuts dans la confection.
76***
77Ce chapitre a permis d’établir les conditions dans lesquelles la confection surgit et se développe au Brésil. Orchestrée entre New York et Paris dans l’après-guerre, la confection émerge alors comme produit manufacturé, standardisé et destiné à une consommation de masse, puis se diffuse mondialement. Au Brésil, elle apparaît à Rio de Janeiro puis se déplace rapidement à São Paulo. Les caractères des modèles économiques diffèrent initialement d’une ville à l’autre. À Rio de Janeiro, le vêtement est un article de mode, à São Paulo, il est un produit de consommation. La confection en tant que dispositif économique se constitue dès lors selon deux pôles : l’innovation et la création d’un côté, le projet industriel et entrepreneurial de l’autre. À Rio de Janeiro, l’innovation et la création prévalent sur l’aspect productif, qui passe au second plan, tandis qu’à São Paulo, le projet industriel et entrepreneurial prime, aux dépens de l’innovation et de la créativité. Très vite, São Paulo devient le principal lieu de la production vestimentaire du pays et, malgré les difficultés que connaît l’économie brésilienne dans les années 1980 et 1990, le secteur de la confection y croît et y confirme son fort ancrage. La seconde moitié des années 1990 et les années 2000 sont marquées par une triple évolution. L’important développement de la confection dans le pays, dont la production en valeur est multipliée par quatre, confirme la place de la région métropolitaine de São Paulo (RMSP) dans le dispositif national. La stabilisation en volume des effectifs d’actifs laisse entrevoir d’importants changements au sein de la filière, entre gains de productivité et réorganisation du dispositif productif. Enfin, le renouvellement de la main-d’œuvre fait émerger la participation de l’immigration sud-américaine. Au début des années 2010, la confection est un secteur d’activité dynamique de l’industrie manufacturière brésilienne, qui entretient un fort ancrage métropolitain à São Paulo et renoue avec la migration internationale. Ces changements se concentrent dans le cœur de la ville de São Paulo, et tout particulièrement dans le Bom Retiro, le Brás et le Pari, quartiers qui, après avoir été les principaux foyers de l’industrialisation et de l’immigration dans la première moitié du xxe siècle, étaient entrés dans une longue période de déclin.
Notes de bas de page
1 La Constitution de 1891 a instauré les États fédérés, en remplacement des Provinces (Províncias) qui dataient de 1821 et abolissaient les Capitaineries.
2 En 1880, l’État de São Paulo produit le quart de la production brésilienne de café et 12 % de la production mondiale. En 1900, alors que la production mondiale de café a été multipliée par deux, il en produit la moitié, ce qui correspond à 64 % de la production brésilienne. Au début des années 1930, la production mondiale est 2,5 fois supérieure à celle de 1900, les équilibres restant à peu près semblables [Luna et Klein, 2014, p. 356-357].
3 En 1906, 11 281 km des 17 340 km de voies de chemin de fer que compte le Brésil sont installés dans l’État de São Paulo (soit 65 %). En 1874, soit trente ans plus tôt, le réseau de la Province comptait 1 053 km de voies ferrées [S. Silva, 1986, p. 52].
4 Sauf exception, les données présentées dans les lignes qui suivent ne mentionnent pas les valeurs, pourtant fournies par Negri, correspondant aux communes proches de celui de São Paulo, pour la raison que ceux-ci ne sont pas encore intégrés à la métropole.
5 L’industrie textile est bien antérieure à la confection. Elle apparaît dès la fin du xviiie siècle en Angleterre et en Écosse quand la machine à filer (James Hargreaves, 1765), le métier à tisser (Edmund Cartwright, 1785) et la machine à vapeur (James Watt, 1765) sont inventés puis se diffusent. La confection, c’est-à-dire la production industrielle de vêtements, devient une réalité dans la seconde moitié du xixe siècle. Le démarrage tardif de l’industrialisation au Brésil crée ainsi les conditions d’une proximité chronologique du textile et de la confection.
6 « Vestuários, Calçados e Artefatos de tecidos » (p. 48).
7 Nous reviendrons sur ces aspects dans le chapitre ii.
8 Des années 1880 aux années 1920, plusieurs millions d’étrangers entrent au Brésil. Une majorité d’entre eux s’installent dans l’État de São Paulo.
9 L’adjectif « pauliste », traduction du portugais paulista, désigne les habitants de l’État de São Paulo ; à ne pas confondre avec « paulistain » (paulistano en portugais), qui désigne lui les habitants de la seule ville de São Paulo.
10 L’essentiel des informations présentées dans ce développement sont issues du mémoire de Branislav Kontic [2007].
11 « Modinha significa ainda hoje no ramo têxtil e vestuário uma área precisa de produto: a roupa casual e esportiva com alguns toques de diferenciação inspirados nas grandes tendências do prêt-à-porter. »
12 La zone sud-est la région méridionale de la commune de Rio de Janeiro, constituée principalement des quartiers en front de mer, entre le Flamengo et le massif de la Tijuca, en passant par Copacabana, Ipanema ou Leblon, où prédomine la classe moyenne supérieure.
13 Les Cariocas sont les habitants de Rio de Janeiro. Paulistains (Paulistanos), São Paulinos, Cariocas… chacun de ces termes a une forme adjectivée, d’usage courant : À l’État de São Paulo correspondent le nom et l’adjectif Paulistain (Paulistano.a), à la ville de São Paulo, São Paulino.a.
14 Ils ne diversifieront leurs activités dans la modinha qu’à partir des années 1990.
15 Baixa renda. Cette catégorie regroupe une très large part de la population, dont le revenu avoisine le salaire minimum. En 2011, pour l’IPEA, les personnes à bas revenu ont un revenu domestique par tête d’un demi-salaire minimum.
16 « Confecção de artigos de vestuário e acessórios ».
17 L’atelier de confection, marqué par un haut degré d’informalité, est directement lié au développement de l’immigration. Cette observation est valable pour la période qui nous intéresse. Mais il serait faux d’affirmer que l’atelier est une organisation caractéristique de la migration internationale, qui relèverait des « spécificités » de l’immigration. Au cours du xxe siècle, les ateliers de São Paulo ont longtemps été « autochtones » : les ouvriers et les patrons étaient exclusivement des nationaux. Les liens entre l’atelier et la main-d’œuvre s’inscrivent dans un ensemble d’évolutions sociodémographiques locales et nationales, comme nous le verrons dans les chapitres suivants.
18 Ibge, Diretoria de Pesquisas, Coordenação de Trabalho e Rendimento, Pesquisa Mensal de Emprego (Direction des enquêtes, secteur travail et rendement, enquête emploi mensuelle). Données consultables à l’adresse : http://www.ibge.gov.br/home/estatistica/indicadores/trabalhoerendimento/pme_nova/defaulttab_hist.shtm
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Meurtre au palais épiscopal
Histoire et mémoire d'un crime d'ecclésiastique dans le Nordeste brésilien (de 1957 au début du XXIe siècle)
Richard Marin
2010
Les collégiens des favelas
Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro
Christophe Brochier
2009
Centres de villes durables en Amérique latine : exorciser les précarités ?
Mexico - Mérida (Yucatàn) - São Paulo - Recife - Buenos Aires
Hélène Rivière d’Arc (dir.) Claudie Duport (trad.)
2009
Un géographe français en Amérique latine
Quarante ans de souvenirs et de réflexions
Claude Bataillon
2008
Alena-Mercosur : enjeux et limites de l'intégration américaine
Alain Musset et Victor M. Soria (dir.)
2001
Eaux et réseaux
Les défis de la mondialisation
Graciela Schneier-Madanes et Bernard de Gouvello (dir.)
2003
Les territoires de l’État-nation en Amérique latine
Marie-France Prévôt Schapira et Hélène Rivière d’Arc (dir.)
2001
Brésil : un système agro-alimentaire en transition
Roseli Rocha Dos Santos et Raúl H. Green (dir.)
1993
Innovations technologiques et mutations industrielles en Amérique latine
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela
Hubert Drouvot, Marc Humbert, Julio Cesar Neffa et al. (dir.)
1992